eJournals Vox Romanica 80/1

Vox Romanica
0042-899X
2941-0916
Francke Verlag Tübingen
10.2357/VOX-2021-006
Es handelt sich um einen Open-Access-Artikel der unter den Bedingungen der Lizenz CC by 4.0 veröffentlicht wurde.http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/
La traduzione dei Moralia in Iob di Gregorio Magno è trasmessa da un testimone poco noto (New Haven, Yale University, Beinecke Library, 1152), copiato alla fine del XIV sec., che offre il testo completo, ma rimaneggiato, dei libri I-V, e dal meglio conosciuto Paris, BnF, fr. 24764 (XIII sec.). Quest’ultimo, l’unico edito, presenta una serie di estratti del testo, quasi tutti dai libri I-V con l’aggiunta di due passaggi dal libro XXXIII. La comparsa di un nuovo frammento (Bruxelles, Bibliothèque Royale de Belgique, IV. 824) permette di esaminare i rapporti tra i manoscritti e di riprendere la questione della lunghezza originaria della traduzione. Si dà infine il testo del frammento di Bruxelles, collazionato con i testimoni di Parigi e New Haven, accompagnato dalla trascrizione di quest’ultimo per i passi interessati.
2021
801 Kristol De Stefani

La traduction des Moralia in Iob: un «nouveau» fragment à côté des deux témoins connus

2021
Piero Andrea Martina
La traduction des Moralia in Iob: un «nouveau» fragment à côté des deux témoins connus DOI 10.2357/ VOX-2021-006 Vox Romanica 80 (2021): 175-201 La traduction des Moralia in Iob: un «nouveau» fragment à côté des deux témoins connus Piero Andrea Martina (Universität Zürich / IRHT-CNRS) http: / / orcid.org/ 0000-0002-8446-259X Riassunto : La traduzione dei Moralia in Iob di Gregorio Magno è trasmessa da un testimone poco noto (New Haven, Yale University, Beinecke Library, 1152), copiato alla fine del XIV sec., che offre il testo completo, ma rimaneggiato, dei libri I-V, e dal meglio conosciuto Paris, BnF, fr. 24764 (XIII sec.). Quest’ultimo, l’unico edito, presenta una serie di estratti del testo, quasi tutti dai libri I-V con l’aggiunta di due passaggi dal libro XXXIII. La comparsa di un nuovo frammento (Bruxelles, Bibliothèque Royale de Belgique, IV.-824) permette di esaminare i rapporti tra i manoscritti e di riprendere la questione della lunghezza originaria della traduzione. Si dà infine il testo del frammento di Bruxelles, collazionato con i testimoni di Parigi e New Haven, accompagnato dalla trascrizione di quest’ultimo per i passi interessati. Mots-clés: Moralia in Iob, Grégoire le Grand, Traductions médiévales, Fragment 1. La traduction des Moralia dans les manuscrits P et Y La traduction wallonne des Moralia in Iob de Grégoire le Grand est connue depuis longtemps grâce au ms. Paris, BnF, fr. 24764 (désormais P) 1 , qui contient des extraits tirés surtout des livres I à V, avec quelques passages du livre XXXIII. Un deuxième manuscrit, New Haven, Yale University, Beinecke Library, 1152 (Y), moins étudié, mais pas sans intérêt, contient en entier les cinq premiers livres de cette œuvre. Ici, il sera question d’un nouveau fragment (Bruxelles, Bibliothèque Royale de Belgique, IV.-824) qui invite à reconsidérer les rapports entre les témoins, l’étendue originaire du texte et l’espace culturel à l’intérieur duquel il a été composé et a circulé 2 . Mais prenons les choses dans l’ordre. Le manuscrit P a attiré de bonne heure l’attention des critiques. Il s’agit d’un codex en parchemin de la première moitié (ou du début) du XIII e siècle 3 , de 185 feuillets, qu’on a parfois daté du XII e s., probablement à cause de son petit format (213x149 mm, plutôt carré), d’un décor très simple, ainsi que de quelques traits graphiques (l’écriture au-dessus de la première ligne de réglure, quelques d droits en début et à 1 Édité par Foerster (1876). 2 Je prépare une édition de cette traduction, qui sera l’occasion de revenir de manière plus approfondie sur certains aspects concernant les milieux de composition et de circulation du texte. 3 Cf. Careri/ Ruby/ Short (2011: xxv). Piero Andrea Martina 176 DOI 10.2357/ VOX-2021-006 Vox Romanica 80 (2021): 175-201 l’intérieur de mot, les diacritiques sur deux voyelles voisines -- íí, íé, óé…- - mais aussi sur évángile). Il contient 4 la traduction des extraits des Moralia in Iob de Grégoire (f.-1v o -57r o , le f.-1r o étant blanc à l’origine), d’un extrait de l’homélie II.38 du même auteur (f.-57r o -v o ), la traduction des quatre livres des Dialogues (f.-58r o -173r o ) et ce que le ms. désigne comme Sermo de sapientia 5 (f.-173v o -184r o ). Pour Léopold Delisle, le ms. se compose «de deux morceaux bien distincts: d’une part les fol. 1-57, d’autre part les fol. 58-184. Le premier morceau me paraît être un débris d’un manuscrit plus considérable, que le copiste des fol. 58-184 a complété et arrangé pour le souder avec le manuscrit qu’il avait exécuté», opinion partagée par Eugenio Burgio 6 . Pour ce qui est de la graphie, un changement d’écriture est évident entre les f.-27r o et 27v o , ce que Wendelin Foerster interprétait comme un changement de main; de plus, il croyait que la main qui avait copié les f.-27v o -184v o pouvait être la même que celle du f.- 1v o7 . Toutefois, les différences d’écritures peuvent être le résultat d’un changement de plume plutôt que de copiste (même ductus pour le g, le z, alternance de 7 taillé et non taillé pour et, alternance de d droit et couché, signe & pour et, même ‘système’ de signes d’abréviation 8 ). Du point de vue de la langue, avant de procéder à son étude du «dialecte du ms.», Maurice Wilmotte, qui considère que P a été écrit par deux copistes différents, se pose le problème des différences linguistiques éventuelles entre le premier et le second scribe (A et B), en concluant que «il y a accord complet entre les deux scribes; tout au plus un examen minutieux atteste-t-il chez l’un [A] une certaine prédilection pour quelques graphies (si toutefois, comme le suppose M.- Förster, tous deux ont copié le même ms. de Job); c’est le cas pour ue=u […]», formes qui, toutefois, figurent «dans B […] comme dans A» 9 . En outre, il démontre que les ‘deux copistes’ ont le même respect pour les formes qu’ils pouvaient trouver dans leur modèle, à quelques exceptions près. L’observation de la composition originaire des cahiers n’aide pas, en ce sens; on remarque seulement l’attention à terminer le cahier avec la fin du texte. Les problèmes de succession des f.- 10 et 11, par contre, sont dus à la reliure moderne, le cahier II originaire se trouvant actuellement cousu à l’intérieur du III. f. 1: feuillet isolé (le texte commence au verso); I 4+4 (f.-2-9): signature de cahier au f. 9v o (.VII.); II 4+4 (f. 12-19): le quaternion est inséré à l’intérieur du suivant, après le f. 11; signature de cahier au f. 19v o (.VIII.); 4 Cf. Burgio (2006: 86-88). 5 Suchier (1877), Wins (1992); cf. aussi Lefèvre (1954: 308-11), Türk (2000: 165). 6 Burgio (2006: 87; avec, à la N10, la citation de Delisle, tirée d’une lettre envoyée à Foerster). 7 Foerster (1876: xiii). 8 À ce propos, voir les remarques de l’article pionnier de Hasenohr (2002). 9 Wilmotte (1932: 173 et N1). 177 DOI 10.2357/ VOX-2021-006 Vox Romanica 80 (2021): 175-201 La traduction des Moralia in Iob III 4+4 (f. 10, 11, 20-25): signature de cahier au f. 25v o (.VIIII.); IV 4+4 (f.-26-32, avec 26bis): signature de cahier au f. 32v o (. X’.); V 4+4 (f.-33-40): signature de cahier au f. 40v o (.XI’.); VI 4+4 (f.-41-48): signature de cahier au f. 48v o (.XII’.); VII 4+5 (f. 49-57), sans signature; fin des Moralia; VIII-XXIII 4+4 (f. 58-184): tous les cahiers sont des quaternions réguliers, sans aucune trace de signature ou de réclame; noter que le cahier XVI a un f. 127bis, que dans le cahier XIX on a un feuillet numéroté 152-153 (sans lacune de texte ou dans la fasciculation) et que le cahier XXI a un f. 163bis. La signature des cahiers fait supposer que l’unité f.-1-57 faisait originairement partie d’un manuscrit qui comptait au moins six autres cahiers, donc vraisemblablement 48 feuillets supplémentaires, si l’on suppose que c’étaient des quaternions. Même en admettant un changement de main entre les f.-27r o et 27v o , ce qui me paraît difficile à prouver, on pourrait imaginer une situation de plusieurs textes copiés sur des cahiers peut-être autonomes du point de vue codicologique (voir la composition du cahier VII, un quaternion et un feuillet dépareillé), dans un milieu qui est le même. Antoine Le Roux de Lincy (1849) procura une première transcription de ces extraits des Moralia en appendice de son édition des Quatre livres des Rois, suivi, quelques décennies plus tard, par W.-Foerster (1876), qui édita tous les textes de P 10 . Cela ouvrit la voie aux études menées par la suite par L.-Wiese (1900) et M.-Wilmotte (1932 [ 1 1900]) sur la langue du manuscrit, qui avait déjà attiré l’attention de Friedrich Diez 11 . En particulier, M.-Wilmotte conclut son étude par une proposition de localisation assez précise du dialecte de P: «nord-wallon, à l’exclusion de Huy […] et probablement de l’Est-liégeois […]; il ne reste donc que Liège et son territoire à prendre en considération; là s’élevaient de nombreux monastères, où un clerc obscur a fort bien pu composer nos traductions». Même si M.-Zink écarte la possibilité que le manuscrit ait été réalisé dans l’abbaye d’Orval, comme l’avait proposé L.-Wiese 12 , il le considère comme un produit cistercien 13 . En tous cas, il s’insère dans un «groupe de traductions monastiques du Nord- Est, que les philologues ont successivement implantées en Lorraine, puis dans la région liégeoise et enfin, avec beaucoup de vraisemblance, dans l’Ardenne, aux confins des aires dialectales wallonne, champenoise et lorraine» 14 . 10 Foerster (1876: édition aux p.-299-72, apparat p.-276-380). 11 Diez (1836, vol. I: 125s.). 12 Mais A.-Henry (1981: 111) semble ne pas exclure totalement cette possibilité. 13 Zink (1976: 130): «Il ne semble pas exclu que cet auteur [Guillebert de Cambres, moine à l’abbaye cistercienne de Beaubec] n’ait pas été une exception au sein de son ordre et que les cisterciens se soient intéressés aux recueils édifiants en langue vulgaire. Aussi bien le manuscrit BN fr. 24764 […] est certainement un manuscrit cistercien, même si L.-Wiese avait tort de le localiser plus précisément dans l’abbaye d’Orval, près de Sedan»; il est vrai toutefois --comme le rappellent Ruhe (1992: 23) et Burgio (2006: 88)-- que M.-Zink n’a pas fourni d’arguments en faveur de cette hypothèse. 14 Hasenohr (1991: 483 et N8); cf. aussi Gregory (1994). Piero Andrea Martina 178 DOI 10.2357/ VOX-2021-006 Vox Romanica 80 (2021): 175-201 P est un témoin intéressant non seulement du point de vue linguistique: du long texte des Moralia, il ne conserve que quelques extraits, tirés des livres I à V et XXXIII; l’ordre consécutif est respecté jusqu’au f. 39r o du ms. (fin de Moral. XXXIII, 37), mais n’est plus suivi après: f. 1v o -3r o : Moral. I, 1-5; f. 3r o -8r o : Moral. I, 49-57 15 (fin du premier livre); f. 8r o -9v o , 12r o -15r o : Moral. III, 57-70 (les f. 10-11, déplacés dans l’actuelle reliure, doivent être lus après f.-19); f. 15r o -19v o , 10r o -11r o : Moral. IV, 24-41; f. 11r o -v o , 20r o -29r o : Moral. V, 1-26; f. 29r o -37r o : Moral. V, 50-67; f. 37r o -39r o : Moral. XXXIII, 35-37; f. 39r o -43v o : Moral. I, 30-47; f. 43v o -48r o : Moral. II, 71-79; f. 48r o -50v o : Moral. XXXIII, 22-26; f. 50v o -57r o : Moral. V, 70-86. La plupart des extraits sont donc tirés des livres I à V, à l’exception de Moral. XXXIII, 35-37, transcrits aux f.-37r o -39r o , et Moral. XXXIII, 22-26, aux f.-48r o -50v o . Les données matérielles ne suffisant pas à expliquer le choix de ces extraits, la question se pose d’une éventuelle sélection en amont de la copie. Notre connaissance de ce qui semble vraisemblablement être la première traduction de cette œuvre de Grégoire le Grand en langue vernaculaire reste très partielle si elle se base seulement sur P, et beaucoup de questions sur l’état originel du texte restent ouvertes. Le seul autre témoin connu de la traduction des Moralia est l’ancien manuscrit Phillipps 3534, sur lequel Geneviève Hasenohr attirait à juste titre l’attention en 1991, alors qu’il était considéré comme perdu 16 . Vendu chez Sotheby’s en 2011 17 , il a été acheté par la Beinecke Library de l’Université de Yale, où il est actuellement conservé sous la cote 1152 18 . Une collation de l’intégralité de Y m’a permis de valider l’hypothèse de G.-Hasenohr: Y est un manuscrit complet des livres I-V (comprenant aussi l’épître dédicatoire et la Praefatio qui manquaient dans P) de la même traduction des Moralia dont P ne conserve que des extraits, dans une version linguistique- 15 Pas 48-56: numérotation de Foerster (1876: -301-6) à corriger. 16 Hasenohr (1991: 483, N10). 17 Sotheby’s (2011: Sale number L11240, lot 82). N’ayant consulté que la reproduction du ms., je cite la description de Sotheby’s: «184 leaves (including 2 original endleaves at back), 180- mm. by 125-mm., complete, collation: i-xxiii 8 , contemporary foliation in red, single column, 29-35 lines»; notice à consulter aussi pour les informations sur les passages de propriété entre 1946 (date de la vente de la collection de Sir Thomas Phillipps) et 2011. Cf. aussi l’excellente description de Pope (1999: n. 91), faite pendant que le ms. faisait partie de la collection Bergendal. 18 «Our copy being in French is possibly unique» Pope (1999: n. 91: 2), information reprise dans la description de Sotheby’s et de la Beinecke Library. 179 DOI 10.2357/ VOX-2021-006 Vox Romanica 80 (2021): 175-201 La traduction des Moralia in Iob ment revue et rajeunie. Grâce au colophon de Y, on apprend que le ms., copié par une seule main, fut écrit dans le «bois de Chimay» en 1388 19 (f.-182r o ): Chi fine li quint livre des Morales s. Grigores, qui fut escrit ou bos de Chimay l’an .m.ccc. lxxxviii. ou mois de jenvier. Malgré cette précision, le milieu de production du codex reste pour l’instant inconnu 20 . Il est superflu de souligner l’importance de Y: sans ce témoin, on n’aurait aucune preuve de l’existence d’une traduction complète des cinq premiers livres des Moralia in Iob 21 . 2. Le fragment de Bruxelles En 1954, Édith Brayer avait repéré le fragment d’un troisième témoin aux Archives de l’État de Hasselt, petite commune du Limbourg 22 ; ne se trouvant plus à Hasselt, il était considéré comme perdu. Lors d’un dépouillement des recueils de la Bibliothèque Royale de Belgique à Bruxelles 23 , j’ai repéré ce que je croyais être un nouveau fragment du texte des Moralia dans le recueil IV.-824 (fragment n o 45: désormais Br). Il s’avère que l’incipit et l’explicit donnés par É.- Brayer correspondent à ceux de notre Br, tout comme les dimensions et les autres éléments de la description matérielle, ce qui impose l’identification du fragment de Bruxelles avec celui olim Hasselt. Le fragment Br est un bifeuillet en parchemin de dimensions considérables, 328x225-mm; le texte est disposé sur deux colonnes de 51 lignes (cadre de réglure 265x175-mm, écriture au-dessus de la première ligne tracée). Il fut sans doute réutilisé comme couverture d’un recueil de documents, ce qui a endommagé le recto du premier feuillet et le verso du second, qui sont donc difficiles à lire: de cet usage restent des chiffres tracés à l’encre au f.-1r o (années 1663-1668, 1664). La réglure est tracée à la mine; dans la marge de tête, sur toutes les pages, on remarque le titre courant, écrit à l’encre: li ciemes livres (‘le cinquième livre’). 19 Si le calendrier suit le style de Noël, le plus répandu à l’époque en Hainaut et dans le diocèse de Liège: cf. la base Millesimo de l’IRHT; sinon en 1389. 20 Cf. aussi Hasenohr (1991: 483 et N10). Parmi les moines actifs dans le scriptorium de l’abbaye de Vaucelles (dans le deuxième quart du XII e siècle, il est vrai), on peut repérer Joannes heremita, qui toutefois a copié des textes dum esset adhuc in saeculo; les textes en question sont Dialogum Gregorii papae et partem Marci evangelistae. Cf. Tock (2018: 23). 21 Je compte revenir sur le texte de Y pour une étude plus approfondie des procédés de révision linguistique de la traduction. Pour l’instant, la transcription des passages parallèles à ceux du fragment Br fournissent un premier élément de comparaison. 22 Sa notice est déposée à la Section romane de l’IRHT; elle est désormais consultable sur la page de la base Jonas <http: / / jonas.irht.cnrs.fr/ manuscrit/ 80986>; cf. aussi Hasenohr (2015: 485). 23 J’avais commencé cette recherche avant de connaître le travail parallèle de Giannini/ Palumbo (2018). G. Palumbo m’a très aimablement fait part de ses résultats, afin de nous éviter de dépouiller deux fois les mêmes recueils. Piero Andrea Martina 180 DOI 10.2357/ VOX-2021-006 Vox Romanica 80 (2021): 175-201 Parmi les traits graphiques du scribe, on remarque: le d arrondi (couché en début de phrase); après o, r droit, rarement rond (quand il est à la fin de la ligne); le s droit, rarement rond et non seulement en fin de mot (cf. sieut, f. 1v o A); rare , en début de phrase; i plongeant surtout en contexte de jambages (mais aussi dans le mot si, par exemple); le 7 crocheté et à la tête ondulée; en général, les hastes rostrées, les hampes et les jambages crochetés. La ponctuation est syntaxique, avec des points suivis ou non d’une majuscule (pour marquer une pause plus ou moins forte), et des points d’interrogation. En guise de terme de comparaison, on peut citer le ms. Berlin, Staatsbibliothek, Preussischer Kulturbesitz, Phillipps 1925 24 . Le décor des lettrines est sobre mais exécuté avec soin: les chapitres du texte de Grégoire sont introduits par un numéro en rouge, et leur début est marqué par une initiale alternativement rouge avec filigrane bleu (très) clair ou verte avec filigrane rouge. Parfois, des initiales de phrase à l’intérieur d’un chapitre sont rehaussées de rouge. La graphie, le décor et la mise en page, après quelques hésitations, me font penser au début du XIII e siècle 25 . Le texte du f.-1 correspond à Moral. V, 31-37, celui du f.-2 à Moral. V, 12-17: le bifeuillet est donc aujourd’hui plié à l’envers et il n’était pas médian de son cahier d’origine. On remarque le fait que la portion de texte du f.-1r o n’est pas conservée dans P: il est donc fort probable que le ms. dont provenait Br contenait une version complète au moins des livres I à V des Moralia. Même si je n’ai pu observer aucune trace de foliotation ancienne ou d’autres indications pouvant renseigner sur la constitution du manuscrit, le format et la présence de titres courants peuvent confirmer cette idée. Si l’hypothèse est correcte, le manuscrit Br témoignerait d’un état textuel antérieur au choix d’excerpta de P et comparable à celui dont Y offre une version linguistiquement modernisée. La provenance wallonne du fragment est assez sûre; on peut se contenter d’énumérer les traits linguistiques les plus intéressants du fragment, avec une attention particulière aux divergences entre Br et P. Les mots dont la lecture est très douteuse en raison du mauvais état du parchemin et les formes abrégées n’ont évidemment pas été prises en compte; le renvoi se fait au paragraphe des Moralia (la numérotation a été introduite dans la transcription des fragments, publiée en annexe de cet article). La palatisation de a tonique est très bien représentée, avec -eir pour les infinitifs (par ex. loueir §31, meischeneir §35, noteir §32, semmeir §35…; à côté de loer §31, noter §32) et -eit pour les participes des verbes du premier groupe (apeleit §15; mais apareilliét §34, coreciét §15, esploitiét §33), ainsi que -eit pour -ate (auctoriteit §17, 24 Careri/ Ruby/ Short (2011: 12, n o 6): «de caractère probablement ‘cistercien’» (cf. Introduction: xxxviii); sur ce dernier ms., cf. aussi la description dans Stutzmann/ Tylus (2007: 265-67). 25 J’ai discuté de la datation du fragment avec M. Careri, C. de Saint-Pol, P.-Stirnemann, A. Vitale- Brovarone: je souhaite ici les remercier, même s’ils ne partageront pas tous mon avis --trop prudent pour certains, trop hasardeux pour d’autres. 181 DOI 10.2357/ VOX-2021-006 Vox Romanica 80 (2021): 175-201 La traduction des Moralia in Iob bonteit §17, posteit §16, veriteit §14…; mais enfertét §15) etc. Par contre -ata donne -ee (à côté des nombreux participes, cf. espee §33), face à -eie de P (donee Br, doneie P, §12; renfusee Br, renfuseie P, §13; saulee Br sauleie P, §14…), mais avec un cas de -eie dans Br (doneie, toujours §12) 26 . Après les précisions de Remacle 27 , il conviendra de reconnaître le caractère peu probant pour la localisation dans les graphies coraige (§33), coraiges (§17, P ici a corages, mais ailleurs coraige(s)), saiges (§12, sages ici dans P, mais ailleurs aussi saiges), assuaigent (§16, assuagent ici dans P), raigent (§16, eradicant dans le latin des Moralia, ragent ici dans P). Ē / Ĭ tonique suivi d’une nasale donne oin 28 : moinent (§12), amoinent (§16), ramoinent (§12), mais foindent (§34, lat. fingunt); paine, paines (§35). Le lat. - Ĕ llu est rendu par -eal 29 : flaeal (§15), flaeas (§16), mais flael (§16, 33) 30 ; ceas (§16, 17, 35…), eas (§15,-34); voir aussi bealteit (§12). On peut repérer des cas de a protonique dans parvengent (§15, cf. aussi §33 parven[…]), parvers (§32), parturbet (§16: ces cas avec la voyelle suivie de -r) ramenbret (§15) rapenset (§34). On peut ajouter aussi orgaillosement (§17, P ici a orguilhousement, ailleurs orgailhos). Dans la conjugaison du verbe ‘être’, si la lecture de astoit (§17) est douteuse, le a initial est confirmé par astons (§12) 31 . cainitial donne cha- (chaneis §15, chaut §16, char §36…), avec un seul cas de cascuns (§33) 32 . Pour ce qui est de l’absence des consonnes intercalaires (Remacle 1992: §64; Pope 1952: §1320.xiii), on trouve humelement (avec voyelle intercalaire; dans le même passage, P a humlement), toutefois à côté de trenblen[t] (§15), senblet (§12), senblance (§12), assenblee (§15) etc. L’absence de e prosthétique devant le groupe initial s+consonne est plus fréquente que sa présence 33 , voir: la sperance (§34, mais le esperance §16), le deventriene splen[dor] (§13), le spir (§35), sploitent (§36), mais esploitiét (§33), et le espee (§33). La forme aigue, seule occurrence du fragment, est attestée aussi dans P, surtout dans les Dialogues (tandis que les Moralia ont le plus souvent aiwe, cf. Wiese 1900: 49, 173); Wilmotte (1932: 183) l’explique comme «aiwe», ce qui est convaincant pour Br, qui ne connaît pas la graphie w. Le caractère faible de la graphie gu est assuré aussi par segurance 34 . 26 Cf. Wiese (1900: 158s.), Wilmotte (1932: 178-80), Pope (1952: §1321.iv), Remacle (1948: §4), Remacle (1992: §1). 27 Cf. Remacle (1948: §7), Remacle (1992: §6); cf. Wilmotte (1932: 184). 28 Remacle (1948: §16). 29 Wilmotte (1932: 188), Remacle (1948: §12), Remacle (1992: §11). 30 Cf. ALW I, 43. 31 Wiese (1900: 151), Wilmotte (1932: 187), Remacle (1992: 53, §8). 32 Cf. Wiese (1900: 172), Wilmotte (1932: 196-7). 33 Cf. Wiese (1900: 172), Remacle (1948: §2), Pope (1952: §1321.x). 34 Pour cette forme, cf. Henry (1981: 102). Piero Andrea Martina 182 DOI 10.2357/ VOX-2021-006 Vox Romanica 80 (2021): 175-201 Parmi les formes les plus intéressantes, je signale pau (§32) 35 , paureteit (§14) 36 et dans les titres courants ciemes (probablement faite «sur le modèle de setme»), attestée aussi dans le Sermo de sapientia et les Sermones in Cantica et étudiée par A.-Henry 37 . Pour ce qui est de la morphologie verbale, il faut remarquer l’imparfait indicatif mangievet (un seul cas, §14) 38 ; les formes en adu verbe ‘être’ ont déjà été citées. Le copiste n’utilise pas les graphies typiquement wallonnes, à savoir w, ou lh pour rendre la palatisation de l (voir, où cela est possible, le parallèle entre le fragment bruxellois et le manuscrit de Paris: Br finailes, P finalhes; Br exil, P exilh; Br travail, P travailh…). On retrouve dans Br la «graphie étonnante» faihs pour ‘faix, fardeau’ (§12, qui paraît plus intéressante que fahis de P), présente aussi dans les Sermons de saint Bernard 39 . Je signale aussi messhenent (‘moissonnent’, §15, à côté, dans le même chapitre, de meischeneir, meschenent, meischenent, meschennent, meschenet; cf. aussi meisson), où ssh paraît marquer la chuintante (à lire en parallèle avec faihs) 40 . Le h ne peut pas rendre une palatisation dans tenhs (§34: tempus), ni, paraît-il, dans anemihs (§35). En général, la déclinaison est bien respectée. Le lexique de la traduction des Moralia mériterait une étude à part: ici, il paraît intéressant de signaler les points de contact avec les autres traductions wallonnes des XII e et XIII e siècles, les Dialogues du ms. P et les Sermons de saint Bernard 41 . Dans le bifeuillet de Bruxelles on remarque aussi des corrections (on en compte 29) qui semblent de la même main qui copie le texte. Le plus souvent, le copiste oublie un ou plusieurs mots, qu’il ajoute dans l’interligne ou dans la marge; ou bien il copie le mot erroné (sa biffé et corrigé en lur dans l’interligne §15; faire a lur faire a lur proimes avec a lur faire biffé §15; est creist avec est biffé §35; cil cil avec le premier biffé §35; etc.), peut-être par habitude d’une certaine tournure (§16: de lur chastiement soient dolent, avec dolent biffé et corrigé tout de suite en joious). Dans certains cas, on peut se demander si l’ajout d’une lettre n’est pas le résultat d’un écart entre la graphie attendue d’un mot et celle que le scribe trouvait dans son modèle (at avec t ajouté dans l’interligne §12; judisce avec s ajouté dans l’interligne §12; faire avec a tracé à partir d’un e §12; repentence avec le troisième e biffé et cor- 35 Cf. surtout les exemples dans les documents n o 13, 16 et 29 édités chez Gysseling (1949); cf. aussi Pope (1952: §482). 36 Même forme dans les Sermons édités par Gregory (1994: Glossaire, s.v.) 37 Henry (1973) et Henry (1977: 36): «Forme dialectale: rien ne le prouve, en l’absence de tout témoignage proprement dialectal, de quelque époque que ce soit. Cette formation essentiellement analogique pourrait être fort bien une création sortie d’un milieu de culture (ici, dans ce cas, monastique)». 38 Cf. Wiese (1900: 180), Wilmotte (1932: 180-81) et en général Pope (1952: §1321.xvi), Remacle (1948: §45), Remacle (1992: §74). 39 Remacle (1992: 123, §58, «h secondaire en liégeois»), Gregory (1994: Glossaire, s.v.). 40 Cf. ALW III notice 21, carte 6. 41 Cf. surtout Henry (1977: 77-94, 1980 et 1981); voir aussi Gregory (1994). 183 DOI 10.2357/ VOX-2021-006 Vox Romanica 80 (2021): 175-201 La traduction des Moralia in Iob rigé en a dans l’interligne §15; disist avec le premier i exponctué et corrigé en e §34; sens avec e exponctué et corrigé en ai §34). Dans deux cas, des lettres peut-être mal tracées sont réécrites dans l’interligne: vengeance avec premier e exponctué et recorrigé en e (§16); floibeteit avec dernier e retracé dans l’interligne §35). Quoi qu’il en soit, une certaine attention pour la surface graphique du texte est à noter, en particulier pour la morphologie nominale ([sov]raineteiz corrigé à partir de [sov]raineteit §16; diz à partir de dit §36), de la part d’un copiste peut-être habitué à copier du latin (Jheremias corrigé en Jheremies §35), mais peu à l’aise avec certaines formes typiques de la traduction des Moralia (altre corrigé en altrui §33). Dans un cas, on peut se demander si la correction du copiste ne dépend pas d’une duplex lectio de son modèle: après avoir écrit nullui (§35: Et se il nullui ne feroit, ki creroit que Deus oust cure des humaines choses? lat. Si autem nullum omnino percuteret quis Deum res humanas curare credidisset? ), le scribe biffe ce mot et le corrige en alcunui dans l’interligne 42 . Le texte est très soigné, ce qui rend intéressante l’étude de ce témoin en regard des deux autres copies de l’œuvre, pour mettre en évidence les rapports entre Br, P et Y. Il est évident que la collation est utile surtout pour le f.-2 de Br, la seule portion du texte pour laquelle on peut utiliser Y et P. L’édition de Y en regard de Br fournie à la fin de cette étude permet de laisser de côté les leçons singulières du manuscrit plus tardif, dont le souci d’innovation conduit parfois à de véritables erreurs. J’examine les leçons de Br et Y (la forme de Y est entre parenthèses) contre P 43 : 1) Moral. V 11: parvenruns Br (parvenrons Y), parvenons P: le futur de Br et P peut s’appuyer sur le latin perveniam. 2) Moral. V 12: que li morteiz venins de pureture soi atapisset Br (si que li morteis venins ne soi reponne Y), ke li morteiz venins de purreture soi atapisset P. Le texte de P avait déjà été corrigé par Foerster. La question est rendue moins simple par la présence, en latin, d’un verbum timendi, dont la subordonnée est introduite par ne (que): Unde sancti viri cum mala superant, sua etiam bene gesta, cum bona agere appetunt de actionis imagine, pestifera tabes putredinis sub boni specie coloris. De ce est que li saint homme, quand il sormontent les mals, mimes lur biens la senblance de l’oevre quand il les biens voelent faire, li morteiz venins de pureture desoz la bealteit de bone color. (Br) On pourrait a priori défendre la leçon sans ne, s’il n’y avait, dans P ke… nes dezoivet qui traduit ne fallantur. 3) Moral. V 16: que li mal que il sofrent ne mie pieue bature de chastiemenz Br (si que li mal qu’il sueffrent ne soit mie pieue bature de chastiement Y) ke li mal ke 42 La forme alcunui est très rare: cf. Henry (1981: 104); TL aucunui; DMF 2015 ad vocem. 43 Pour le texte latin, j’utilise l’édition Adriaen (1979: vol. I). Piero Andrea Martina 184 DOI 10.2357/ VOX-2021-006 Vox Romanica 80 (2021): 175-201 il soffrent ne mie pie bature de chastiement P. La leçon de Br et Y avec le verbe au singulier (soit) trouve un parallèle dans le latin (ne malum quod tolerant non pia percussio disciplinae sit), ce qui suggère une innovation de P. De ces trois cas, du point de vue de la méthode, il est important de souligner le fait que dans le premier et le dernier Br et Y présentent des leçons préférables par rapport à P seulement si l’on prend en considération le texte latin des Moralia. À ces endroits, intelligemment, Foerster n’est pas intervenu sur le texte de P; toutefois, il est assez probable que les cas présentés soient des innovations erronées de P. Les cas des leçons communes de P et Y contre Br sont plus rares et ne permettent pas de construire un argumentaire solide. 1) la impatience de la posteit P (la impacience de la puissance Y): Br écrit impatice par simple oubli du signe d’abréviation. 2-3) et ce ke il volanment servoient gouvernement perdent par l’engresserie de lengue P (et ce que voillanment servoient gouvernement perdent par l’engresserie de langue Y), et [ce] que il voillamment servoient go[vernement perdent] par l’engresserie de leng[ue] Br. Voir le latin: et hoc quod invigilantes regimini serviunt per linguae procacitatem perdunt. On peut se demander si tous les copistes avaient compris que les formes volanment- / voillanment- / voillamment, qui traduisent invigilantes, sont liées au verbe ‘veiller’ et pas au verbe ‘vouloir’. Dans le cas de le/ l(e)ur, il n’y a pas de possessif en latin et il est également probable qu’un lur se soit corrompu en le ou bien le contraire 44 . Dans le cas al/ el, dans Br, au-dessous du e, on remarque une petite tache, voire même un signe d’exponction, mais sans aucune correction. La leçon de P et Y paraît donner plus de fluidité à la frase (al governement), d’autant plus que regimini est au datif en latin; toutefois, la leçon de Br aussi (el governement), si elle n’est pas corrigée, pourrait s’appuyer sur le latin, le el voulant rendre le préverbe inde invigilantes. Si on considérait al comme une erreur de P et Y face à el de Br, alors on pourrait admettre un rapprochement de P et Y, ce qui paraît très hasardeux. On pourrait ajouter à la maigre moisson un exemple de la singularité de P au niveau de l’articulation du texte. Au f.-24v o , P place une lettrine à un endroit où ni Br ni Y n’en présentent (§12: Et bient sieut aprés: «cui Deus at avironeit de tenebres»). Ici, on ne peut évidemment pas parler d’erreur, mais il semble que l’initiale ornée de P soit une innovation par rapport au texte de Br et Y. 44 Peut-être à cause d’un signe d’abréviation. On peut rappeler aussi la persistance, en wallon, «de l’ancien datif les ‘leur’ jusqu’à l’époque moderne» Remacle (1948: 87); cf. Sermones in cantica, Gregory (1994: xxi). 185 DOI 10.2357/ VOX-2021-006 Vox Romanica 80 (2021): 175-201 La traduction des Moralia in Iob Le f.-1 du fragment Br est évidemment presque inutilisable pour établir des rapports entre les témoins du texte, conservant une portion textuelle qui n’est pas reproduite dans P. Il est toutefois intéressant de signaler le passage suivant: Br: Gieres cil semment dolors ki les mas fait Y: Dont cis seme doleurs qui les mals fait lat.: Dolores itaque seminat cum perversa agit Le texte de Br est erroné, Y ayant la bonne leçon seme, corroborée par le latin seminat. Les autres cas de divergences entre Br et Y s’expliquent tous comme des innovations du manuscrit plus récent, avec quelques fautes évidentes. Aucune erreur commune aux trois manuscrits ne permet de placer un archétype en amont de cette tradition. La proximité de Br et P est frappante, et les rares cas de leçons divergentes se résolvent tous par une erreur de P contre un accord de Br et Y qui donnent la bonne leçon. 3. Conclusions Résumons les données en notre possession: Br est le fragment d’un ms. qui contenait selon toute vraisemblance les cinq premiers livres de la traduction des Moralia au moins. Les corrections dans l’interligne de la main du copiste montrent un certain degré d’attention à la lettre de son modèle et son texte est généralement très bon. P est un témoin d’excerpta des livres I-V et du livre XXXIII. Il est impossible d’établir si son copiste avait sous les yeux un manuscrit complet de la traduction des Moralia, ou bien seulement des morceaux choisis. Les deux passages du livre XXXIII sont les seuls indices dont nous disposons indiquant que la traduction des Moralia n’était pas limitée aux cinq premiers livres. Y est le seul témoin complet des livres I-V; remanié du point de vue linguistique, il permet de rétablir la bonne leçon lors d’une erreur manifeste. Le colophon pourrait faire penser que son modèle ne comportait que les cinq premiers livres. Rien n’autorise à penser que la traduction des Moralia était complète: on pourrait penser que le traducteur avait terminé le travail pour les livres I-V, et qu’il s’était limité à quelques passages des livres successifs; ou bien qu’il avait réalisé une traduction complète des trente-cinq livres, parmi lesquels le compilateur de P (ou celui en amont de lui) avait choisi des passages en privilégiant surtout les cinq premiers livres. Dans tous les cas, ceux-ci forment la première des six parties qui, selon Grégoire le Grand, constituent son œuvre 45 et une comparaison avec la tradition des «volgarizzamenti» des Moralia fournit quelques cas parallèles au nôtre 46 . 45 Moral., Ep. Leandro, 2: hoc opus per triginta et quinque volumina extensum, in sex codicibus explevi. 46 Cf. en général Dufner (1958). Piero Andrea Martina 186 DOI 10.2357/ VOX-2021-006 Vox Romanica 80 (2021): 175-201 Il est impossible, en l’état présent des connaissances, d’aller plus loin dans la reconstruction des rapports entre les témoins de notre texte, si ce n’est pour regretter la perte du ms. d’où provenait Br, dont la qualité paraît indéniable et qui se situait très haut dans la tradition textuelle. De nouvelles recherches, parallèlement à une étude approfondie de Y, pourraient éclairer les milieux de circulation, et peut-être celui de composition, de cette traduction. Pour l’instant, l’air de famille de Br avec d’autres produits cisterciens, du point de vue matériel, peut trouver des échos dans les indices lexicaux sur lesquels A. Henry attirait déjà l’attention. On serait alors en possession d’une nouvelle pièce utile pour reconstituer l’activité culturelle entre latin et langue vernaculaire dans le Nord-Est vers la fin du XII e et le début du XIII e siècle. * * * Br f. 2 Pour le f. 2 de Br je fournis la transcription interprétative du fragment, en m’aidant de P pour la lecture. Les critères de transcription sont ceux généralement utilisés, avec résolution des abréviations en italique, distinction de i et j, u et v, ajout des majuscules, de l’accent sur le e tonique en fin de mot (-é, -és, -ét, -éz) et des signes de ponctuation. J’utilise les crochets pour signaler une lacune matérielle, en intégrant le texte sur la base de P; je change la graphie de P seulement quand la forme intégrée est attestée dans Br et je la signale avec l’italique (par ex., j’intègre sunt là où la graphie de P est sont). Les lettrines sont transcrites en gras; pour aider la consultation, j’ai introduit, en chiffres arabes en gras, les numéros des paragraphes des Moralia; les chiffres romains non gras représentent, par contre, la numérotation des chapitres qui se trouve dans les manuscrits et que je n’ai pas corrigée. Les guillemets marquent les citations présentes dans l’œuvre de Grégoire le Grand. Le texte du fragment est accompagné de la transcription de Y. Br |f.-2r o A| […desier]s permanrat. Quand nos les pechiez [laissons et a] justice tendons, si savons nos dunt nos venuns, mais nos ne savons u nos parvenruns 47 . Bien savons queil nos fumes ier, mais nos ne savons queil nos seruns demain. Gieres a l’homme est la voie repunse, quar ensi met il comencement a s’oevre 48 que il ne puet savoir l’eissue de le fin. 12. Nequedent uns altres repunemenz de nostre voie est, quar mimes ce que nos creuns droitement faire 49 ne savons nos se droiz est solunc l’esguard del destroit jugeor. Maintes foiz, si cum nos avons la desor dit, est nostre oevre ocaisons de damnation, et si cuidons que ele soit 47 parvenruns Br Y; parvenons P; lat. perveniamus. 48 oevre: r ajouté dans l’interligne. 49 faire: a corrigé à partir de e; peut-être rasure avant f. 187 DOI 10.2357/ VOX-2021-006 Vox Romanica 80 (2021): 175-201 La traduction des Moralia in Iob creissemenz de vertut. Maintes foiz tariet li hom lo paisieble jugeor 50 a iror, dunt il l’iriét cuidoit apaisenteir, si cum tesmonget Salomons ki dist: «Une voie est ki senblet l’omme bone, mais ses finailes moinent a mort». De ce est que li saint homme, quand il sormontent les mals, redotent mimes lur biens, que la senblance de l’oevre nes 51 deceoivet quand il les biens voelent faire, que li morteiz venins de pureture ne 52 soi atapisset desoz la bealteit de bone color. Il sevent que li faihs 53 de lur corruption les apoiset, si que il ne sevent subtilment deviseir les biens. Et quand il la riegle de lur dairiene balance ramoinent devant lur oez, si dotent il en eas les biens cui il alcune foiz avoient loeiz. De tote lur pense desirent les deventrienes choses, mais, cremetous por la non-certeit des oevres, ne sevent u il vont. Et par tant sieut bien, aprés ce que il at dit «Por quoi est donee la lumiere [al do]lent 54 ? », «A l’homme a cui la voie est repunse», alsi cum se il disoit overtement: por quoi est la prosperiteiz de ceste vie doneie a celui ki solunc l’aesmance del jugeor ne seit la voie de sa oevre? Et 55 bient sieut aprés: «cui Deus at avironeit de tenebres». De tenebres est li hom avironeiz quar, ja soit ce que il soit boillanz del celeste deseier, nequedent ne seit il que de lui est ateiriét; et mut dotet que alcune chose ne venget encontre lui al judisce 56 ki or li est repunse mimes el desier de le sainte ardour. De tenebres est li hom avironéz quar il est apresseiz de le obscurteit de son non-savoir. N’est dunkes cil avironeiz de tenebres ki a la foiz ne soi r[a]menbret mie des choses ki passees sunt, ne truevet mie celes ki a venir sunt, nes avisunkes conoist celes ki present li sunt? De tenebres soi veoit avironeiz uns saiges ki disoit: «Cez choses ki en [nost]re esguard sunt trovons nos a travail; et celes [ki sunt e]l ciel, ki encercherat 57 ? » De cez tenebres soi [vit avir]oneit li prophetes [ki ne] poout trespercier 58 les deventraineteiz de [la divin]e disposition 59 , si dist: «Il mist tenebres son [rep]unal». Quar, par ce que Nostres 60 Sires at 61 toloit a [nos] ki en cest exil astons chaut la lumiere de |f.-2r o B| sa vision, soi at il en un repunail de tenebres devant les oez de nostre pense mis. 13. Et quand nos cez tenebres de nostre avoglement esguardons songousement, si somonuns nostre pense a ploremenz, quar cil ki humelement soi ramenb[ret] de le deventriene lumiere cui il at perdue, c[il plo]ret l’avoglement cui il par defors sofret. Et q[uant] il voit de queiz tenebres il est avirone[iz, si soi] afflit del deseier de le deventriene splen[dor, et] la pense soi esmuet par tote la force de [sa enten]tion; et ele renfusee quiert la sovraine [lumiere], cui ele de son greit 62 , quand ele faite fut 63 , deg[uerpit]. De ce avient a la foiz que en cez pieus p[loremenz] salt fors la clarteiz de le deventrie[ne joie, et la] pense ki 50 lo paisieble jugeor Br P; la paisieble viguer Y. 51 nes Br P; ne Y. 52 ne Br Y (ne soi reponne Y); om. P (intégré par Foerster). 53 faihs Br P (fahis P); fails Y. 54 Petite déchirure du parchemin. 55 Et: P seul place à cet endroit une lettrine. 56 judisce: s ajouté dans l’interligne. 57 encercherat Br Y (enchercherat); enchergerat P, corrigé en enchercherat par Foerster (mais simple variante graphique); lat. investigabit. 58 […] poout trespercier ajouté dans la marge de queue, avec signe d’insertion; ki ne pout trespercier P. 59 disposition Br P; dispensation Y; lat. dispositionis. 60 Nostres: s final ajouté dans l’interligne. 61 at: t ajouté dans l’interligne. 62 de son greit Br P Y; pas de correspondant en latin. 63 fut ajouté dans l’interligne. Piero Andrea Martina 188 DOI 10.2357/ VOX-2021-006 Vox Romanica 80 (2021): 175-201 promiers 64 gisoit avogle el cors, [nurrie par] sospirs, [dev]ient forte p[or esgardeir la deven]triene fulgor. Et de ce sieut bien apr[és]: 14. « A nceoiz que je mangeoise sospire je». Mang[iers] a l’anrme est estre poute des esguarz d[e la] sovraine lumiere. Gieres anceoiz que ele m[an]geoist sospiret ele, quar premiers gemist ele [es] tribulations, et aprés est saulee del mangier de contenplation. Se ele ne sospiret, ne mangeout mie, quar ki ne soi abaisset en cest exil par les ploremenz des celestes deseiers, il ne gostet des joies de le deventriene paiz; quar cil ki liét sunt en ceste paureteit sunt jeun 65 de le pasture de veriteit. Mais cil sospiret ki mangeout, quar ceas ki unt l’amor de veriteit paist la viande de contenplation. Sospiranz mangievet li prophetes quand il disoit: «Mes larmes furent a moi pain». De son plorement soi paist li anrme quand ele en plorant soi lievet as parmanables joies; et vraement dedenz sofret ele les gemissemenz de sa dolor, mais de ce 66 receoit ele la pasture de refection, que la force de le amor eist fors parmei les larmes. Et cele force de larmes nos ensenget encor li bieneurous Job quand il dist: .X. 15. « E t mes ruimenz est alsi cum aigues enundanz». Quand les aigues enundent, si vinent burissanment et si creissent parmei lo multipliement des undes. Et li elliét, quand il mettent les devins jugemenz devant les oez de lur 67 pense, quand il redotent de le repunse sentensce ki sor eas est, quand il unt fiance que il a Deu porunt parvenir, mais nequeden[t] unt paur que il n’i parvengent, quand eas ramenbret 68 de lur trespasseiz mals cui il deplorent, quand il dotent de ce que il encor ne sevent que a venir les est, si soi assenblent en eas solunc la constume des aigues pluisors undes ki |f.-2v o A| [cuere]nt es [complaintes de] dolor [al]si cum [les aigue]s en lur chaneis. Dunke[s li] sainz hom vit cum grand assenblee d[es] penses [a]voit es ploremenz de repentance 69 , si apel[e]t cez reploemenz de dolor [al]si cum aigues enundanz, si dist: «Mes ruimenz est [si cu]m les aigues enundanz». Mimes a la foiz, si cum [nos las]sus avons di[t], trenblen[t] li juste en lur [bones o]evres et plorent continueilment que il par [alcun]e repunse error ne desplaisent a Deu. [Et quan]d li devin flaeal les chastient sodaine[ment, ma]nés aesment que il coreciét aient la grace [de lor fa]iteor, par ce que il, u enconbreit d’enfertét, [u apressei]t de dolor, ne soi puent leveir por pi[eues oevre]s faire 70 a lur proimes. Et li cu[ers soi turnet al ploreir] quand [li cors soi a]tar[get del service de sa devocion. Et quand il voie]nt [ke il n’acreissent mie lor lowier, si ont paur ke les tre]spassees oevres ne desploussent a Deu. [De ce] est que quand Job out son ruiment apeleit si [cum] les aigues enundanz, dist manés aprés: .XI. 16. « Q uar la cremors cui je cremo[i] moi est venue, et ce que je redotoi moi est chaut». [Li ju]ste homme sunt en dolor et en paur et de granz plors soi crucient que il ne soient deguerpit. Et ja soit ce que il de lur chastiement soient 71 joious, nequedent si parturbet mimes li 64 Lecture doutesue. 65 jeun Br P; lonc Y; lat. ieiuni. 66 ce ajouté dans l’interligne. 67 sa biffé, corrigé en lur par le copiste dans l’interligne. 68 ramenbret: écrit ramenbrent avec dernier n biffé; ramenbret P Y. 69 de repentance: d’abord écrit repentence avec e biffé et corrigé en a dans l’interligne: de repentance P; des repentans Y. Cf. le passage en lat. Vir igitur sanctus vidit quanta sint in lamentis paenitentiae volumina cogitationum. 70 Écrit faire a lur faire, avec a lur faire biffé. 71 Écrit soient dolent, avec dolent biffé 189 DOI 10.2357/ VOX-2021-006 Vox Romanica 80 (2021): 175-201 La traduction des Moralia in Iob chastiemenz lur paurose pense, que li mal que il sofrent ne soit 72 mie pieue bature de chastiemenz, m[ais] durs flaeas de droite vengeance 73 . Ce esgardat bien li psalmistes quand il dist: «Ki conut la posteit de ta iror? ». Vraement nostre pense ne puet mie conpenre la posteit de le divine iror, quar sa pieteiz at si repuns ateiremenz sor nos que maintes foiz 74 cuidons nos que ele de ce nos laist [d]un[t] ele nos receoit, et de ce nos guerpist dunt nos creons que ele nos prendet. Et a la foiz ce que nos cuidons que irors soit est grace et ce que nos cuidons maintes foiz que grace soit est irors, quar les alquanz chastient li flael, les alqua[n]z amoinent a forsenerie de inpatience; et les altres ostent de forsenrie 75 les prosperiteiz, quar 76 eles les assuaigent, les altres raigent del tot fors de le esperance de conversion, quar eles les ellievent. Li visce traent toz les hommes en bas, mais nequedent li alquant s’en relievent tant plus le[gie]rement que [il gra]nd hunte unt de ce que il sunt en ea[s] [par]f[und]ement chaut, et les vertuz lievent toz jors a[s sov]raineteiz 77 , mais nequedent chient a [la] foiz li alquand en la voie de montement, quar il conceoivent orguel de le vertut. Dunkes par tant que l’om ne puet [con]oistre la posteit de le |f.-2v o B| divine iror, [si est besoins ke l’om dotet senz entre]cessem[ent en totes choses]. Aprés [sieut: .XII.] 17. « N e fis je dun[k]es des[semb]lant? [Ne moi tou ge dun]kes? Ne moi cessai je dunkes [et si vint sor moi 78 ] tes desdenz? » Ja soit ce que nos prés [en toz lieus] pechons en pensant, en parlant, e[n ovr]ant, [dunt] nequedent est maement li coraiges defreneiz en ces trois choses, quand la prosperiteiz de cest m[und]e l’eslievet 79 , quar quand il voit que il par post[e]it [e]st devant les altres, manés sent en pensant orgaillosement de soi; et quand nul[e] riens ne [con]trestat a l’auctoriteit de sa voiz, si v[at] pl[us legi]er la lengue en trebuchemenz, et qu[ant] li [loist fai]re ce que li plaist, se pensent que bien loiset [kanke] li plaist. Mais li saint h[o]mme cum plus [sunt] st[ancen]eit de le poesteit de cest munde, tant [soi mettent] plus desoz grand magist[ere de] pense, quar il sevent que l’impati‹en›ce 80 de le posteit l[ur enh]ort[et legierement] maintes choses cu[i il] ne loist 81 mie faire; [si rapres]sent lur cuer de l’esguard 82 de [s]a gloire et [r]est[r]endent la lengue de mal ordinee parole, et gu[ardent] la main de male oevre. Maintes foiz per[de]nt [cil ki] en posteeit sunt 83 ce que il droitement funt p[ar ce ke il] orgaillousement en pensent; et quand il [soi] cuid[ent] estre boen en totes choses, si perdent lo m[erit]e d[e la] bonteit cui il avoient, quar [besoins est ca]scun, se il voet que sei fait [soient] d[igne, ke] il to[z jors li sem]blent nient-digne [ke la bone oevre n’ellievet lo cu]er de celui ki [la] fait, et en e[llievant 84 72 soit Br Y; soient P. 73 vengeance avec premier e exponctué et recorrigé en e dans l’interligne. 74 foiz ajouté dans l’interligne 75 forsenrie: lecture douteuse. 76 Écrit quand avec nd biffés, r dans l’interligne. 77 On lit raineteit avec t final exponctué et corrigé en z dans l’interligne. 78 Il parait possible d’entrevoir d’autres lettres dans Br, mais le passage reste illisible sans recourir à P. 79 Lecture douteuse: peut-être ellievet, comme dans P. 80 Écrit l’impatice, peut-être avec signe d’abréviation de en dans le grattage du parchemin. 81 cui il ne loist Br P; qui ne loisent Y; cf. lat. quanto sibi per impatientiam potestatis suaderi illicita quasi licentius sciunt. 82 al biffé, del dans l’interligne. 83 funt avec f exponctué et corrigé en s dans l’interligne. 84 Foerster propose d’intégrer ne, qui manque dans P comme dans Y. Piero Andrea Martina 190 DOI 10.2357/ VOX-2021-006 Vox Romanica 80 (2021): 175-201 nuis]et plus a soi mimes que il n’aiut 85 a ceas a cui [il la] fait. [De ce est ke li] rois de Babilone, quand il par org[aillouse] pens[e] disoit en soi mimes: «N’est ce dun[kes Babilone cui] je ai faite? », fut manés tuerneiz 86 en [beste ki point] n’out de raison, quar, par ce que il [humlement 87 ne] volt alsi cum non savoir ce que il [av]ot 88 fait, per[di]t il [ce] que il astoit 89 faiz. Et par ce que il desor h[o]mme soi [ell]ev[at] par orguel de pense, si perdit il lo sen[s cui il a]vo[it] commun avoec les h[o]mmes. [M]aintes [foiz cil ki en] posteit sunt saillent [en ra]npon[nes de lur sogéz], et [ce] que il voillamment servoient el 90 go[vernement perdent] par l’engresserie de le 91 leng[ue; car il n’ont mie] si grand paur cum il douissent de[s paroles del ju]geor ki dist: «Cil [ki a son frere dist sanz cause folz], cil soi met es fous d’enfer». [Maintes foiz cil ki sunt] es posteit lovergent es choses cu[i il ne loist 92 mie] quand il soi ne s[e]vent 93 reten[ir des choses cui bien] loist, quar cil solement ne chiet [mie en ce ke ne loist] ki a la foiz soi restrent voisou[sement de ce ke bien] loist. De cest restr[en]demen[t] soi demost[ret sainz] Paules estre loié[t] quand il dist: «Totes [choses loi]sent a moi, mais totes choses ne moi s[…] Y |f.- 148v o | […] si ne seit se en ces desiers parmainrat. Quant les pecchiés laissons et a justice tendons, si savons dont nous venons, mais ne savons la 94 nous parvenrons. Bien savons queis nous fummes hier, mais ne savons queis nous serons demain. Dont a l’homme est la voie reponse, car ensi met il commenchement a sen oevre qu’il ne puet savoir l’issue de la fin. 12. Toutevoie est uns autres reponnemens a nostre voie, car ce meismes que nous creons droitement faire ne savons se drois est solonc le jugement dou destroit juge. Moult de fois est nostre oevre oquoisons de dampnation, si comme dit avons, et cuidons qu’elle soit acressement de vertut. Maintes fois tarie li hons la paisieble viguer a ire, dont il cuidoit apaisenteir l’ireit, si comme tesmoingne Salemons qui dist: «Une voie est qui semble bonne a l’homme, mais ses finailles mainnent a mort». De ce est que li saint homme, quant il sormontent les mals, redoutent leur biens, si que la semblance de l’oevre ne dechoive quant les biens wellent faire, si que li morteis venins ne soi reponne desous la biauteit de belle coleur. Il sevent que li fails de leur corruption les apoise, si qu’il ne sevent sutilment departir |f.-149r o | les biens. Et quant la riele de leur dairainne balanche ramainnent devant leur oes, si doutent en yaus les biens que aucunne fois avoient loueis. De toute leur pensee desierent les deventrainnes choses mais, cremeteus par la nient-certainneteit des oevres, ne sevent la 95 il vont. Et pour ce ensiet bien, aprés ce qu’il at dit «Pour quoi est lumiere donnee au dolent? », «A l’homme de cui la voie est reponse», ensi que s’il disoit clerement: pour quoi est la prosperiteis de ceste vie donnee a 85 n’aiut: n’aiuet P; n’ayde Y. 86 tuerneiz: lecture douteuse de la dernière lettre. 87 humlement P; pour ce que humle ne volt Y; cf. lat. quod enim factus fuerat perdidit quia humiliter noluit dissimulare quod fecit. 88 [av]ot: lecture douteuse. 89 astoit: lecture douteuse. 90 el (peut-être e avec signe d’exponction, mais sans correction visible); al P Y (au); cf. lat. et hoc quod invigilantes regimini serviunt… 91 de le: de lur P Y (leur); cf. lat. per linguae procacitatem. 92 loist d’après P; loisent Y; cf. lat. ad illicita opera. 93 sevent: lecture douteuse (sivent? ). 94 savons la: savons u Br P. 95 sevent la: sevent u Br P. 191 DOI 10.2357/ VOX-2021-006 Vox Romanica 80 (2021): 175-201 La traduction des Moralia in Iob celui qui solonc l’aesmance dou juge ne seit la voie de sen oevre? Et bien ensiet aprés: «que Diex at avironneit de tenebres». De tenebres est li hons avironneis car, ja soi ce qu’il soit bolans de celestiens desiers, toutevoie ne seit que de lui est ordineit. Et moult doute que aucunne chose ne viengne contre lui au jugement qui ore li soit reponse ou desier meisme de sainte ardeur. De tenebres est li hons avironneis car apresseis est de l’obscurteit de son non-savoir. N’est dont cis avironneis de tenebres qui aucunne fois ne soi ramembre mie des choses passees et ne trueve mie celles a venir, nes a painne connoist celles qui li sont present? De tenebres soi veoit avironeis un saiges qui disoit: «Ces choses qui sont en nostre regart trovons a travail; et celles qui sont ou ciel, qui les enchercherat? » De ces tenebres soi vit avironneit li prophetes, qui ne pot tresperchier les deventrainneteis de la divine dispensation, si dist: «Il mist tenebres son reponnail». Car, pour ce que Diex absconse a nous qui en cest exil sommes cheut la lumiere de sa vision, soi at il mis en reponnail de tenebres devant |f.-149v o | les oes de nostre pensee. 13. Et quant ces tenebres de nostre aveuglement regardons soingneusement, si somonons nostre pensee a pleuremens, car cis qui humlement soi ramembre de la deventrainne lumiere qu’il at perdut, il pleure l’aveuglement qu’il sueffre par dehors. Et quant il voit de queiles tenebres il est avironneis, si soi afflit par le desier de deventrainne resplendeur, et la pensee soi esmuet par toute la force de sen entention; et renfusee quiert la sovrainne lumiere que de son greit deguerpit quant faite fut. De ce avient aucunne fois que en ces pieus pleuremens sat hors la clarteit de la deventrainne joie, et la pensee qui devant gisoit aveuglee ou cors, nourie par sospirs, devient forte pour regardeir la deventrainne resplendeur. De ce s’ensiet: .VII. 14. « A nchois que je mangue je sospire». Mangier a l’ame est estre paissue des regars de sovrainne lumiere. Dont anchois qu’elle mangue sospire, car premiers gemist es tribulations, et aprés est solee dou mangier de contemplation. S’elle ne sospire, ne mangeut mie, car qui ne soi abaisse en cest exil par les pleuremens de celestien desier, il ne goste mie des joies de la deventrainne pais, car cil qui sont liét en celle povreteit sont lonc de la pasture de veriteit. Mais cis mangue qui sospire, car chiaus qui ont l’amour de veriteit paist la viande de contemplation. Sospirans mangoit li prophetes quant il disoit: «Mes larmes 96 furent a moi pain». De son pleurement soi paist li ame quant en plorant soi lieve as parmanables joies; et vraiement devens sueffre les gemissemens de sa doleur, mais de ce rechoit pasture de refec|f.-150r o |tion, si que la force de l’amour ist hors par les larmes. Et ceste force de larmes nous ensaingne encore li bieneureus Job quant il dist: .VIII. 15. « E t mes ruiemens est ensi que yawe enondant». Quant les yawes enundent, si vinent bruiamment et cressent par le montepliement des undes. Et li esliét, quant il mettent les divins jugemens devant les oes de leur pensee, quant il doutent la reponse sentence qui sur yaus est, quant il ont fiance qu’il poront parvenir a Dieu, mais toutevoie ont cremeur qu’il n’i parviengnent, quant il leur ramembre de leurs trespasseis mals qu’il pleurent, quant il doutent de ce qu’il ne sevent que a venir leur est, si soi assemblent en yaus solonc le costume des yawes pluseurs ondes qui cuerent es complaintes de doleur, si comme les yawes en leur chenaus. Dont li sains hons vit com grant assemblee de pensee avoit es pleuremens des repentans, si nomme ces pleuremens de doleur ensi que yawes enondans, et dist: «Mes ruiemens est ensi que yawes enondans». Aucunne fois meismes, si comme dit avons, tremblent li juste en leur bonnes oevres et pleurent continueilment, si que par aucunne reponse erreur ne desplaisent a Dieu. Et quant li divins flaiaus les chastie sodainnement, tan- 96 Écrit larme avec s ajouté dans l’interligne, peut-être par une main différente. Piero Andrea Martina 192 DOI 10.2357/ VOX-2021-006 Vox Romanica 80 (2021): 175-201 tost cuident qu’il aient corchiét la grasce de leur createur, pour ce que, encombreit d’enfermeteit ou apresseit de doleur, ne soi puevent leveir pour faire a leur proismes pieues oevres. Et li cuers soi tourne a ploreir quant li cors soi targe dou service de sa devotion. Et quant il voient que ja ne cressent mie en leur leuier, si ont cremeur que les tres|f.- 150v o |passees oevres ne desplaisent a Dieu. De ce est que quant Job eut son ruiement nommeit si comme yawes enondant, aprés dist: .IX. 16. « C ar la cremeur que je cremoie est venue a moi, et ce que je doutoie est aprochiét». Li juste homme sont en doleur et en cremeur et de grans pleurs soi tourmentent, si qu’il ne soient renfuseit. Et ja soi ce que de leur chastiement soient joieut, toutevoie li chastiemens meismes tourble leur cremeteuse 97 pensee, si que li mal qu’il sueffrent ne soit mie pieue bature de chastiement, mais durs flaiaus de droite vengance. Ce regardat li psalmistes quant il dist: «Qui conneut la puissance de ta ireur? » Vraiement nostre pensee ne puet comprendre la puissance de la divine ireur, car sa piteis at si repons ses ordinances sur nous que maintes fois cuidons que de ce nous laisse dont elle nous rechoit, et de ce nous relenquist dont nous creons qu’elle nous prende. Et aucunne fois cuidons que ireur soit ce qui grasce est et maintes fois cuidons que grasce soit ce que est ireur, car les aucuns chastient li flaiaul et les aucuns mainnent a forsenerie d’impatience; et les autres ostent de forsenerie les prosperiteis, car elles les assuaigent, les autres traient dou tout hors de l’esperance de conversion, car elles les eslievent. Li visce traient tout homme en bas, mais toutevoie li aucun s’en relievent tant plus legirement que grant honte ont de ce que en yaus sont parfondement cheut, et les vertus eslievent toudis as soverainneteis, mais toutevoie chient aucunne fois li aucun en la voie de montement, car de vertut conchoivent orguel. Dont, pour ce que on ne puet |f.-151r o | connoistre la puissance de la divine ireur, si est besoing que on le doute sens cesseir en toutes choses. Aprés ensieut: .X. 17. « N e fi ge dont desemblant? Ne moi taisi ge? Ne cessai ge dont et la indignation vint sur moi? » Ja soi ce que prés en tous lieus pecchons en pensant, en parlant et en ovrant 98 , toutevoie adont especialment est li coraiges defreneis en ces .iii. choses, quant la prosperiteis de ce monde l’eslieve, car quant il voit que par puissance est devant les autres, tantost en pensant sent orguilleusement de soi; et quant riens ne contrestat a l’auctoriteit de sa vois, si vat la langue plus legirement en trebuchement, et quant faire li loist ce qu’il li plaist, si pense que bien loist tout ce qui li plaist. Mais li saint homme que plus sont stancheneit de la puissance de ce monde, tant soi mettent plus desous grant maistrie de pensee, car il sevent que la impacience de la puissance leur enhorte legirement maintes choses qui ne loisent mie faire; si rapressent leur cuer dou regart de la glore, et restrendent la langue de mal ordenee parolle, et gardent la main de mavaise oevre. Cil qui sont en puissance perdent mainte fois ce qu’il font droitement, pour ce qu’il en pensent orguilleusement; et quant il soi cuident boin en toutes choses, si perdent le merite de la bonteit, car besoing est a chascun, s’il wet que si fait soient digne, que toudis li semblent nient-digne, si que la bonne oevre n’eslieve le cuer de celui qui le fait, et en eslevant nuise plus a soi meisme qu’il n’ayde a chiaus as queis il le fait. De ce est que li rois de Babilone, quant par orguilleuse pensee disoit en soi meisme: «N’es ce dont Babilone que j’ai fait? », tantost fut tourneis en beste qui n’eut point de raison, car, pour ce que humle ne volt ensi que nient-savoir ce qu’il avoit fait, perdit il ce qu’il estoit fais. Et pour ce que deseur homme soi 97 Écrit cremetuse avec e ajouté dans l’interligne. 98 Écrit orant avec u ajouté dans l’interligne entre r et a. 193 DOI 10.2357/ VOX-2021-006 Vox Romanica 80 (2021): 175-201 La traduction des Moralia in Iob |f.-151v o | eslevat par orguel de pensee, si perdit le sens qu’il avoit commun awec les hommes. Cil qui ont puissance saillent mainte fois en ramponnes a leur sugés, et ce que voillanment servoient au governement perdent par l’engresserie de leur langue; car il n’ont mie si grant cremeur qu’il deuissent des parolles dou juge qui dist: «Qui a son frere dist fols sens cause, il soi met ou feu d’infer». Cil qui sont es puissances glachent mainte fois es choses qui ne loisent quant il ne soi sevent abstenir des choses qui loisent, car cis seulement ne chiet mie en ce qui ne loist qui aucunne fois soi restraint sutilment de ce qui loist. De ce restraindement soi moustre sains Pols loiiés quant il dist: «Toutes choses loisent a moi, mais toutes ne moi sont mie besoingnables». * * * Br f. 1 Pour Br f.-1 (Moralia V, 31-37) on dispose de Y comme seul autre témoin. Le f. 1r est dans un très mauvais état, surtout dans la partie supérieure et vers la couture, et le texte en résulte lacunaire au début. Je suis contraint de fournir une lecture de Br sans intégrations, en donnant entre crochet seulement les lettres qui s’entrevoient, mais dont la lecture est douteuse, ou les lacunes remédiables aisément. La transcription du passage correspondant dans Y se veut une aide à la lecture. Br |f.-1r o A| […] il en [g]overnant et les parma[nables-… l]a droiture de vie […] l[.] v[e]oient et par par[ole-…] lo oent. Mais quand u li herite u li mal[…]me recontent les biens des justes, si les reflectent il a provance de blame; quar de ce prent Eliph[az] ocaison de [r]anponn[e] encontre lo bieneuros Job, qu[…]cont[…]t 99 les choses ki a loer erent, quar aprés sieut: .XVIII. 32. « M [ais-…] est sor [toi venu]e la plaie, si es defaliz; ele toi at atoi[…]». Tuit li parvers assaillent en do[… l]a vie des boens, quar il afferment u que […] u q[ue] ce que il bien dient ne guardent mie. D[…] ami del bieneu[ro]us Job lo reprendent en u[…]e lieu de parole, et or[…]t que il droitement parl[… m]ais ne guardat mie ce que il disoit. Dunkes li fel[…] foiz blament la parole des boens, a la foiz l’oev[re…] que la lengue, quand ele est blamee, soi taiset, [et 100 la] vie cui la lengue forjuget soit vencue; et si [est] a noteir que il premiers dient les loenges de le p[…] puis soi conplainde[nt] de le floibeteit de le oevr[re. Li] felun, p[ar ce] que il ne senblent malvais, dient alcun[…] des justes que il sevent cui li [al]tre co[n]no[i]sse[nt; m]ais, si cum nos av[on]s dit, manés les ratrae[nt-…] que il bien en unt dit, si [v]oelent que l’om […] cum plus alsi cum devot[e]ment […] biens, p[lu]s alsi cum vraement ensenge[nt…]. Dunkes les [vo]iz de loenge ram[…] il a l’us[…] quand il de ce dunt 101 il un pau de[…] d[e]fendoient la vie 102 des justes la navren[t…]t. Maintes foiz soi merveillen[t… cui] il devant despitoient unt il […]t que Eliphaz racontet les v[ertuz…] alsi cum perdues, quand il dist apré[s]: .XVIIII. 99 Peut-être racontét at; raconte Y; lat. narravit. 100 et (lecture douteuse); ou Y. 101 de ce dunt Br; de ce bien dont Y. 102 d[e]fendoient la vie: faindoient en la vie Y. Piero Andrea Martina 194 DOI 10.2357/ VOX-2021-006 Vox Romanica 80 (2021): 175-201 33. « L [a 103 -…]m[o]rs, ta force […] et la perfections de tes voies». Vraement […] cele sentence cui il at devant dit: «[…] defaliz [..]e toi at tochi[…]» […] que il dist del flael estre turbeit lo bi[eneurou]s Job, [aff]erme il tutes ses vertuz estre peri[… gua]rdeir […] que il covenablement recon[… v]ertuz, ja soit ce que il mal covena[…]. Par quatre greiz devisat il la vi[e del bie]n[euro]us [ Jo]b: quand il ses vertuz recon[…] cremor joinst la force, et a la for[ce la patien]ce et a l[a pati]ence la perfection. En la […]men[…] que l’om parven[…], quar, alsi cum li hardemenz enfan[tet en la] voie del siecle force, alsi enfantet [il en la] voie Deu floibeteit. Et alsi cum la cremors […] en la voie del siecle floibeteit, alsi en|f.-1r o B|genret ele en la voie Deu force, si […] «En ta cremors est fiance de [force». Vr]aem[ent en] la cremor Nostr[e] Saingeor est fiance de force, quar cum plus fortement despitet nostre pense les paurs des temporeiz 104 choses, cum plus soi 105 met desoz lo faiteor de cez mimes choses par c[r]emor. Et quand ele est en la cremor Deu, ne troevet riens par defors cui ele criemet, quar quand ele soi joint droitement al governeour de totes choses, si soi ellievet ele par une posteit sor totes choses. Mais la force n’est demostree se en aversiteit nun: de ce est que aprés la for[ce] est mise la patience, quar en tant soi demostret cascuns plus vraement avoir esploitiét en force que il plus fortement sofret les altrui maz. Quar cil cui altrui 106 malvaistiez acraventet n’est prout enforciéz en soi; et en ce que il altrui contrarieteit ne puet sofrir, jeist il navreiz de le espee de son petit coraige. Et par ce que de le patience naist la perfections, si sieut aprés la patience la perfections des voies 107 , quar cil est vraement parfiz ki n’est mie inpatienz encontre l’inperfection de son proime; et bien s’est tesmoins que il n’est mie parfiz cil ki altrui inperfection n[e] puet sofrir. De ce dist la Verit[ei]z [en] l’Evange[…]: «En vostre patience possereiz vos vos ar[mes].» Que est arme posseir se parfitement nun vivre en totes choses et par art de vertut avoir se[nge]rie sor toz les movemenz de pense? Dunkes cil k[i] tient la patience possiét l’arme, quar de ce devient il forz encontre totes altres aversiteiz, dunt il, soi mimes venquand, at sengerie sor soi. Et cum plus briset soi mimes, plus fortement devient entiers, quar cum il soi sormuntet en ses deliz, si soi aparellet il fort es contraires choses. Mais quand il en blamant l’at choseit, si dist il aprés alcune chose alsi cum enhortant: .XVIIIII. 34. « R ecorde toi, ce 108 toi prei, li qu[e]iz innocenz perit unkes? U quand furent destruit li droit? » Soient li herite[…]ui semblance, si cum nos avons dit, tinent li ami del bieneurous Job, u li p[…] s[..] 109 alsi cum il desordeneement blament, enhortent il 110 ; quar Eliphaz dist: «Li queiz innocenz perit unkes? U quand furent destruit li droit? ». A la foiz perissent ci li innocenz [et su]nt li droi[t] del tot destruit, mais nequedent en perissant sunt il a la vie parmanable guardét. Se nuz innoc[…] ne perissoit, dunt ne diroit mie li prophetes: «Li justes perit et nus n’est ki soi en 103 La lecture de l’initiale L, en rouge, est sûre; on peut penser à une erreur du rubricateur pour Ta; cf. lat. Timor tuus fortitudo tua patientia tua et perfectio viarum tuarum. Y paraît introduire une interrogative: Ou est ta cremeur, ta force, ta patience et la parfections de tes voies? 104 temporeiz: lecture douteuse (temporelz? ). 105 soi: i ajouté dans l’interligne 106 Écrit altre avec e exponctué et corrigé en ui dans l’interligne. 107 si sieut aprés la patience la perfections des voies: om. Y. 108 ce: je Y. 109 u li p… ajouté dans la marge, avec signe de renvoi. 110 Omission dans la traduction: cf. lat. tam reprehensibiliter exhortantur. 195 DOI 10.2357/ VOX-2021-006 Vox Romanica 80 (2021): 175-201 La traduction des Moralia in Iob rapenset». Se Deus par sa porveance ne ravissoit les droiz, la Sapience ne desist 111 mie del juste: «Il est raviz que li malisce |f.-1v o A| ne changeast son entendement». Se nule vengeance ne feroit les justes, sains 112 Pieres ne desist mie: «Tens est que li jugemenz comencet de le maison Deu». Dunkes cil vraement sunt juste ki por l’amor del sovrain paihs sunt aparelliét encontre totes les aversiteiz de le present vie; quar cil ne sunt mie vraement droit ki ci redottent por les parmanables biens les mas a sofrir. Mais Eliphaz n’aesmet mie que li droit soent ci destruit u li innocent perit, quar maintes foiz cil ki servent a Deu ne mie por la sperance de le celeste glore, mais por terrien gueredon, foindent en eas mimes ce que il quierent. Et quand, cum il entaissent a ensengier, prechent la terriene segurance, si mostrent il en toz lur travaz queil chose il aiment. Aprés sieut: .XXI. 35. «Mais maement vi ceas ki funt felenie et dolors semment et meschennent perir quand Deus soflat, et estre deguasteiz par le spir de sa iror». Dolors semmeir est dire decivances et dolors meischeneir est li faires aprés lo dire 113 ; u dolors semment cil 114 ki mas funt et dolors meschenent quand il les paines sofrent por les mas, quar li gueredons de le damnation ce est li fruiz de le dolor. Mais par ce que aprés sieut que cil ki les dolors semment et messhenent perissent quand Deus soflet et sunt deguasteit par le spir de sa iror, si est demostreit que l’om ne doit mie ci entendre por la meisson de le dolor la paine, mais la perfection de le felenie, quar la vengeance de le meisson sieut aprés ki vient de le spir de le devine iror. Dunkes ci semment li mal dolors et meischenent, quar et mas est ce que il funt et en lur mas creissent, si cum li psalmistes dist del felun: «Ses voies sunt enboees en tos tenhs; tei jugement sunt osteit de sa faice, il arat sengerie sor toz ses anemihs». Et de lui sieut aprés: «Desoz sa lengue est travaz et dolors» 115 . Gieres cil semment 116 dolors ki les mas fait et dunt les meschenet il quand il des mas creist tenporeilment. Coment perissent dunt quand Deus soflet cil cui Deus sofret a la foiz que il ci sunt plus bieneurousement que li justes? De ceas dist lo parés li psalmistes: «Il ne sunt mie es travaz des hommes, et avoec les hommes ne serunt mie flaeleit». De ce dist Jheremies 117 : «Por quoi creist 118 en prosperiteit la voie des feluns? » Quar Nostre Sires ki, si cum escrit est, «est sofranz renderes» sofret maintes foiz longement ceas cui il damnet en parmanant; nequedent a la foiz les fiert hastieument, quand il socuert et confortet la floibeteit 119 des innocenz. Dunkes a la foiz sofret |f.-1v o B| li totpoanz Deus que li felun soient essalci[…] la vie des justes soit plus nettement purgie. […] ocit isnelement les feluns et par lur mort confermet les cuers des innocenz, quar se il or feroit toz ceas ki mal funt, a cui feroit il son dairien jugement? Et se il alcunui 120 ne feroit, ki creroit que Deus oust cure des humaines choses? Gieres par tant fiert il a la foiz les feluns que il mostret que il ne lait mie les mas senz vengeance, et a la foiz sofret les feluns p[a]r ce que il 121 demostret a ceas ki guar- 111 desist: écrit disist avec premier i exponctué et corrigé en e dans l’interligne. 112 sains: sens avec e exponctué et ai ajouté dans l’interligne. 113 aprés lo dire: aprés Y. 114 cil répété; le premier des deux est exponctué. 115 Y ajoute ici c’est tricerie; rien dans le lat. 116 cil semment-(à corriger en semmet): cis seme Y; lat. dolores itaque seminat. Le parchemin est un peu gratté, mais les lettres sont assez lisibles. 117 Jheremies: écrit Jheremias avec a exponctué et e final ajouté dans l’interligne. 118 est creist avec est biffé. 119 floibeteit: le dernier e, mal tracé, est réécrit dans l’interligne. 120 nullui biffé et corrigé en alcunui dans l’interligne. 121 p[a]r ce que il: si qu’il Y. Piero Andrea Martina 196 DOI 10.2357/ VOX-2021-006 Vox Romanica 80 (2021): 175-201 de i prendent que il al jugement 122 les guardet. 36. Et se ceste sentence de le atargance des feluns jusque a la fin del munde n’est generalment dite de toz, senz faille 123 [e]n grand partie est voide de le vertut de veriteit; mais dunt serat ele vrae quand li atargeance de felenie ne serat mie. Nequedent altrement puet l’om entendre que li innocenz ne perist mie ne li droiz n’est mie destruiz, quar, ja soit ce que il soit ci atreubleiz en char, si est il 124 raparelliez de vrae santeit en l’esguard del deventrien jugeor. Et cil ki semment et meschennent les dolors perissent quand Deus soflet, quar cum plus haltement sploitent ci cil ki mal funt 125 , plus durement serunt ferut en la damnation ki sievrat. Mais quand ciz moz «ramenbre toi» est devant diz 126 , si est aoverte chose que la chose ki a venir est n’est mie noncie, mais la trespassee ramenee a memore. Gieres plus vraement ouist Eliphaz dit, se il creist que ces choses avenissent generalment des feluns en la dairiene vengeance. 37. Mais ce que dit est de Deu que il soflet nos destrent que nos plus subtilment lo devisons: vraement quand nos sofluns si trauns nos l’air de par defors dedenz, et quand nos l’avons dedenz trait si lo rendons defors. Gieres dit est que Deus soflet el rendement de sa vengeance, quar des defoiriens afaires conceoit il lo conseil de son jugement, et del deventrien conseil jettet fors la sentence. Alsi cum par un soflement 127 trait Deus alcune chose des defoirienes dedenz quand il defors esguardet nos mas, et par dedenz ateret son jugement; et lo parés alsi cum par un soflement jettet Deus le spi[r] de dedenz par defors quand il del deventrien concivement de son conseil dist par defors lo jugement de damnation. Dunkes est bien dit k[e] cil ki semment les dolors perissent quand D[e]us soflet, quar de ce dunt li felun funt les mas [p]ar defors sunt il a droit bleciét par dedenz. U par lo soflement Deu, par ce 128 que il manés aprés parolet de le spir de sa iror, puet l’om entendre sa dure vengeance: nos vraement quand… Y |f.- 157r o | […] les temporeiles choses ordonne en governant et les parmanables anonche en prechant; la droiture de vie il moustrat a chiaus qui le veoient par oevre, et par parolle a chiaus qui l’oioient. Mais quant li hirite ou li mavai homme racontent les biens des justes, si les reflechent a provance de blame; car de ce prent Eliphas oquoison de ramponne contre le bieneureut Job, qu’il raconte les choses qui sont a loueir. Aprés ensiet: .XVI. 32. « M ais ore est sur toi venue la plaie, si es defalus; elle toi at touchiét, si es contourbleis». Tout li parver assaillent en .ii. manieres la vie des boins, car il afferment qu’il dient mal ou qu’il ne gardent mie ce qu’il dient. De ce est que li amit |f.-158r o | dou bieneureut Job le reprendent en autre lieu de parolle, et ore dient qu’il parlat droitement, mais ce qu’il disoit ne gardat mie. Dont li mavai blament aucunne fois la parolle des boins, aucunne fois l’oevre, si que la langue, quant blamee est, soi taise, ou la vie que la langue forjuge soit vencue; et a noteir est que premiers dient les loenges de la parolle et puis soi complaindent de la foibleteit de l’oevre. Li 122 al jugement: pour le dairain jugement Y; lat. ad quod-… iudicium. (Erreur dans la traduction? ) 123 senz faille: om Y; lat. procul sine dubio. 124 il ajouté dans l’interligne. 125 funt: lecture douteuse (font Y). 126 diz: écrit dit avec t exponctué et corrigé en z dans l’interligne. 127 alsi cum par un soflement: ensi que par un soflement le trait ens si le rent dehors dont dit est que Diex sofle ou rendement de sa vengance car des deforains fais conchoit il le consel de son jugement et dou deventrain consel gette hors la sentence ensi que par un soflement Y. 128 ce ajouté dans l’interligne. 197 DOI 10.2357/ VOX-2021-006 Vox Romanica 80 (2021): 175-201 La traduction des Moralia in Iob mavai, pour ce qu’il ne semblent mavais, dient aucunne fois le bien des justes qu’il sevent que li autre connoissent; mais, si comme dit avons, tantost les retournent a mal et, pour ce que bien en ont dit, wellent il que on les en croie es mals, et que plus ont ensi que devotement loueis les biens, plus ensi que vraiement ensaingnent les mals. Dont les vois de loenge ramainnent il a l’usaige de blame, quant de ce bien dont un pau devant faindoient en la vie des justes, de ce le navrent plus griement. Mainte fois soi mervellent que les biens que devant despitoient ont ensi que perdus. De ce est que Eliphas raconte les vertus dou saint homme ensi que perdues, quant aprés dist: .XVII. 33. « O u est ta cremeur, ta force, ta patience et la parfections de tes voies? » 129 Vraiement ce ensiet aprés ceste sentence qu’il at devant dit: «La plaie vint sour toi, si es defalus; touchiét toi at, si es contourbleis». En ce qu’il dist le bieneureus Job tourbleis dou flaial, afferme il toutes ses vertus estre peries. Mais a regardeir est qu’il raconte convenablement l’orde des vertus, ja soi ce que mal covenablement le cose. Par .iiii. degreis devisat la vie dou bieneureut Job: quant ses vertus racontat, quant a cremeur joint force, et a force pascience, et a patience parfection. Car en la voie de Dieu commenche on a cremeur 130 si que on parviengne a force, car, ensi que en la voie dou siecle |f.-158v o | hardemens enfante force, ensi enfante il en la voie de Dieu foibleteit. Et ensi que cremeur enfante en la voie dou siecle foibleteit, ensi engenre elle force en la voie de Dieu, si comme dist Salemons: «En ta cremeur est fiance de force». Vraiement en la cremeur de Dieu est fiance de force, car, comme plus fortement despite nostre pensee les cremeurs des temporeiles choses, tant plus soi met par cremeur desous le faiseur de ces meismes choses. Et quant en la cremeur de Dieu est, riens ne trueve par dehors qu’elle doute, car quant droitement soi joint 131 au governeur de toutes choses, si soi ellieve par puissance deseur toutes choses. Mais la force n’est demoustree se en adversiteis non: de ce est que aprés force est mise patience, car tant soi moustre chascuns plus vraiement avoir esploitiét en force que plus fortement sueffre les mals d’autrui. Car cis cui mavaisteit d’autrui acravente, il n’est mie enforchiés en soi; et en ce que la contraireteit d’autrui ne puet souffrir, gist navreis de l’espee de son petit coraige. Et pour ce que de patience naist ‹…› 132 la parfection des voies car cis est vraiement parfais qui n’est mie impatiens contre l’imparfection de son proisme; et bien est tesmains a soi qu’il n’est mie parfais qui l’imparfection d’autrui ne puet souffrir. De ce dist la Veriteis en l’Evangile: «En vostre patience possessereis vos ames». Qu’es ce possesseir sen ame se parfaitement non vivre en toutes choses et par art de vertut avoir signorie sur tous les movemens de sa pensee? Dont cis qui tient patience possesse l’ame, car de ce devient fors contre toutes adversiteis, dont il, venquant soi meisme, at signorie sur soi. Et que plus brise soi meisme plus fortement devient entiers, car quant il soi sormonte en ses desiers, si soi aparille fort es contraires choses. |f.- 159r o | Mais quant en blamant l’at choseit, si dist aprés aucunne chose ensi que enhortant: .XVIII. 34. « R ecorde, je toi prie, li queis innocens perit onques? Ou quant furent destruit li droit? » Soient li hirite, la cui semblance tinent li amit dou bieneureut Job, si comme dit avons, ou li parver ensi qu’il blame desordineement, ensi enhortent il; car Eliphas dist: «Li queis innocens perit onques? Ou quant furent destruit li droit? ». Aucunne fois perissent chi li innocent et sont li droit dou tout destruit, mais toutevoie en perissant sont gardeit a la parmanable vie. Se nuls 129 Passage problématique: cf. Br et note. 130 Lat. in via etenim Dei a timore incipitur ut ad fortitudinem veniatur. 131 soi joint ajouté dans l’interligne. 132 Lacune textuelle, cf. Br. Piero Andrea Martina 198 DOI 10.2357/ VOX-2021-006 Vox Romanica 80 (2021): 175-201 innocens ne perissoit, li prophetes ne diroit mie: «Li justes perit et n’est qui s’en ramembre». Se Diex par sa porveance ne ravissoit les drois, la Sapience ne disist mie dou juste: «Il est ravis que li malisce ne cangaist son entendement». Se nulle vengance ne feroit les justes, sains Pieres ne disist mie: «Temps est que li jugemens commenche a la maison de Dieu». Dont cil sont vraiement juste qui pour l’amour dou sovrain paiis sont aparilliét contre toutes adversiteis de la presente vie; car cil ne sont mie vraiement droit qui chi doutent pour les biens parmanables souffrir les mals. Mais Eliphas ne cuide mie que li droit soient chi destruit ou li innocent perit, car cil qui servent a Dieu non mie pour l’esperance de la celestienne glore, mais pour terrien gueredon, mainte fois faindent en yaus ce qu’il quirent. Et s’il 133 presument a ensaingnier, si prechent la terrienne segurance, si moustrent en tous leur travas queil chose il aiment 134 . Aprés ensieut: .XIX. 35. « M ais especialment vis perir chiaus qui font iniquiteit et qui sement doleurs et messonent quant Diex sofflat, et estre deguasteit par l’esperit de sa ireur». Doleurs semeir est dire dechivances et doleurs messoneir est li faire aprés; |f.-159v o | ou cil sement doleurs qui mals font et doleurs messonent quant les painnes en sueffrent, car li gueredon de dampnation est li fruis de doleurs. Mais pour ce que aprés ensieut que cil qui doleurs sement et messonent perissent quant Diex soffle et sont deguasteit par l’esperit de sa ireur, si est moustreit que on ne doit mie chi entendre par le messon de doleur la paine, mais l’acomplissemens de mavaisteit, car la vengance de la messon ensieut aprés qui vient de l’esperit de la divine ireur. Dont chi sement et messonent doleurs li mavais, car mals est ce qu’il font et en leur mals cressent, si comme li psalmistes dist dou mavais: «Ses voies sont embouees en tous temps; ti jugement sont osteit de sa face, il aurat signorie sur tous ses anemis». Et de lui ensieut aprés: «Desous sa langue est travas et doleur» - c’est tricerie 135 . Dont cis seme doleurs qui les mals fait et adont les messone quant des mals creist temporeilement. Comment perissent dont quant Diex sofle cil que Diex sueffre aucunne fois qu’il sont chi plus bieneureusement que li juste? De chiaus dist encore li psalmistes: «Il ne sont mie es travas des hommes, et awec les hommes ne seront mie flaieleit». De ce dist Jeremies: «Pour quoi creist en prosperiteit la voie des mavais? ». Car, si comme escrit est, «Diex est souffrans renderes», et mainte fois sueffre longement chiaus qu’il condampne parmanablement; toutevoie les fiert aucunne fois hastivement quant il soscourt et conforte la foibleteit des innocens. Dont aucunne fois sueffre li totpuissans Diex que li mavai soient essauchiét, si que la vie des justes soit plus nettement purgie. Et aucunne fois occit isnelment les mavais et par leur mort conferme les cuers des innocens, car s’il feroit ore tous chiaus qui font mal, a |f.-160r o | cui froit 136 il son dairain jugement? Et s’il ne feroit aucun, qui creroit qu’il euist cure des humainnes choses? Dont pour ce fiert il aucunne fois les mavais qu’il moustre qu’il ne laisse mie les mals sens vengance, et aucunne fois sueffre les mavais si qu’il moustre a chiaus qui garde y prendent qu’il les garde pour le dairain jugement. 36. Et se ceste sentence de l’atargance des mavais jusque a la fin dou monde n’est generalment dite de tous, en grant partie est wide de la vertut de veriteit; mais adont serat vraie quant li targance de mavaisteit ne serat mie. Toutevoie autrement puet on entendre que li innocens ne perist mie ne li drois n’est mie destruis, car, ja soi ce qu’il soit chi frossiés en char, si est raparilliés de vraie santeit ou regart dou deventrain juge. Et cil qui sement et mes- 133 s’il: s ajouté dans l’interligne. 134 aiment: i ajouté dans l’interligne. 135 c’est tricerie: ajout de Y (glose? ); rien dans le latin. 136 Probablement à corriger en feroit. 199 DOI 10.2357/ VOX-2021-006 Vox Romanica 80 (2021): 175-201 La traduction des Moralia in Iob sonent doleurs perissent quant Diex sofle, car que plus hautement esploitent chi cil qui font mal, plus durement seront ferut en la dampnation qui ensievrat. Mais quant cis mos «ramembre toi» est devant dis, si est clere chose que la chose qui est a venir n’est mie anonchie, mais la trespassee ramenee a memore. Dont plus vraiement euist dit Eliphas, s’il creyst que ces choses avenissent generalment des mavais en la dairaine vengance. 37. Mais ce qu’il dist que Diex sofle nous contraint que plus subtilment le devisons: car quant nous soflons si traions par devens l’air de dehors, et quant trait l’avons devens si le rendons dehors. Dont dit est que Diex sofle ou rendement de sa vengance, car des deforains afaires conchoit il le consel de son jugement, et dou deventrain consel gette hors la sentence. Ensi que par un soflement le trait ens si le rent dehors. Dont dit est que Diex sofle ou rendement |f.-160v o | de sa vengance, car des deforains fais conchoit il le consel de son jugement, et dou deventrain consel gette hors la sentence 137 . Ensi que ‹par› un soflement, trait Diex aucunne chose devens des deforainnes quant par dehors regarde nos mals, et par devens aparille son jugement; et encore ensi que par un soflement gette Diex hors l’esperit de devens quant dou deventrain concivement de son consel dist par dehors le jugement de dampnation. Dont est bien dit que cil qui sement doleurs perissent quant Diex sofle, car de ce dont li mavai font les mals par dehors sont il a droit blechiét par devens. Ou par le soflement de Dieu, pour ce que tantost aprés parolle de l’esperit de sa ireur, puet on entendre sa dure vengance, car, quant nous nos courchons, si enflamons nous meismes de soflement de forsenerie. Bibliographie Adriaen M. (ed.) 1979: S. Gregorii Magni Moralia in Iob, Turnholti, Brepols (CCSL 143). Burgio, E. 2006: «Schede bibliografiche sulla traduzione delle versioni antico-francesi dei Dialogi di Gregorio Magno», in: P. Chiesa (ed.), I ‘Dialogi’ di Gregorio Magno. Tradizione del testo e antiche traduzioni, Firenze, SISMEL Ed. del Galluzzo (Archivum Gregorianum 10): 83-125. Careri, M./ Ruby, C./ Short, I. 2011: Livres et écritures en français et en occitan au XII e siècle, Roma, Viella. Diez, F. 1836: Grammatik der romanischen Sprachen, Bonn, Weber. 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The article provides the transcription of the Brussels fragment and the corresponding passages in New Haven MS. Keywords: Moralia in Iob, Gregory the Great, Medieval Translations, Fragment