eJournals Vox Romanica 80/1

Vox Romanica
0042-899X
2941-0916
Francke Verlag Tübingen
10.2357/VOX-2021-011
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2021
801 Kristol De Stefani

Mikael Males (ed.), Etymology and wordplay in medieval literature, Turnhout (Brepols) 2018, viii + 272 p. (Collection Disputatio 30)

2021
Thibaut Radomme
305 DOI 10.2357/ VOX-2021-011 Vox Romanica 80 (2021): 305-311 Besprechungen - Comptes rendus Besprechungen - Comptes rendus Philologie et linguistique romane générale - Allgemeine Philologie und Romanische Sprachwissenschaft Mikael Males (ed.), Etymology and wordplay in medieval literature, Turnhout (Brepols) 2018, viii + 272 p. (Collection Disputatio 30). L’ouvrage publié sous la direction de M. Males s’intéresse à l’étymologie et au jeu de mots, respectivement définis dans l’«Introduction» (p.- 1-13) comme procédé destiné à révéler le sens d’un mot à travers sa mise en relation avec des mots phonétiquement semblables (p.-5) et comme rapprochement de mots phonétiquement semblables employé à des fins signifiantes, sans que la relation phonétique soit explicitement commentée (p.-6). L’ambition de cette collection d’articles est triple (p.-1-2): offrir une vue d’ensemble des emplois divers de l’étymologie et du jeu de mots dans les textes médiévaux; déterminer dans quelle mesure ces emplois littéraires reflètent les conceptions du langage et du signe linguistique discutées par les grammairiens et logiciens médiévaux; donner enfin un aperçu de la très large diffusion des pratiques étymologiques dans la littérature médiévale, à travers les âges, les langues et les genres. Le premier et le dernier objectifs sont amplement atteints grâce à la remarquable diversité des études rassemblées, qui envisagent pêle-mêle les œuvres théologiques de saint Augustin, la littérature juridique en ancien irlandais, les jeux macaroniques dans le roman courtois Parzival de Wolfram von Eschenbach ou l’interprétation étymologique des rêves dans la littérature vieil-islandaise. Dans le cadre du présent compte rendu et étant donné sa revue de destination, je me contenterai d’examiner les contributions dédiées aux œuvres en langues latine et romanes; le lecteur voudra donc bien se reporter aux pages 9-11 de l’«Introduction» pour trouver un résumé des autres études. En ce qui concerne le deuxième objectif de l’ouvrage, j’aborderai en détail, à la fin de ce compte rendu, l’épineuse question de l’arbitraire du signe linguistique qu’il soulève. Néanmoins, je dois dire déjà que, dans son «Introduction», Males souligne pertinemment la distance, voire la discrépance, qu’il a pu y avoir entre les discours savants des philosophes et les œuvres littéraires latines ou vernaculaires, fussent-elles composées par des auteurs parfaitement au fait des débats théoriques sur la grammaire: comme Males le dit très justement, la relative simplicité conceptuelle des Etymologiae d’Isidore de Séville a eu sans nul doute une influence infiniment plus importante sur l’esprit de la littérature médiévale que les subtiles spéculations du De dialectica de saint Augustin (p.-2-3). Un mot encore sur l’appellation wordplay, ‘jeu de mots’ employée par Males, car elle est infiniment trompeuse --ce dont l’auteur se montre d’ailleurs pleinement conscient: 306 DOI 10.2357/ VOX-2021-011 Vox Romanica 80 (2021): 305-311 Besprechungen - Comptes rendus «It should be noted that the term wordplay is not meant to indicate that semantically significant paronomasia was only playful and void of any claims on truth… wordplay was used to convey meaning that was considered to be both true and of great importance» (p.-6). Les jeux de mots sont en effet bien plus, bien autre chose que des jeux: dotés d’une valeur épistémologique, voire d’une puissance mystique, ils permettent de déchiffrer, à travers le décodage du langage, le Livre de la Nature et de rapprocher la langue imparfaite des hommes de l’harmonie parfaite de la Création. Ce n’est pas le moindre mérite de cet Etymology and Wordplay in Medieval Literature que de l’avoir utilement rappelé et brillamment démontré. Dans «Allegorical Writing and the Concealment of Etymologia» (p.-45-81), W. Verbaal livre une étude aussi exigeante que stimulante de l’Anticlaudianus d’Alain de Lille. Il consacre la première partie de son article (p.-48-58), modèle de lecture rapprochée, à l’examen du prologue en prose de l’Anticlaudianus en analysant successivement: l’adresse au lecteur, typique de la littérature latine du XII e siècle, qui exige de celui-ci une compétence et une disponibilité intellectuelles nécessaires à percer les mystères du texte; le catalogue des arts libéraux qu’établit Alain, auxquels succède le degré ultime de la connaissance, la théophanie, consciencieusement distinguée par Verbaal de la théologie; enfin, la progression promise au lecteur sur la voie de la connaissance, de l’auditus et de la litteralis sensus suavitas au sensus et à la moralis instructio, pour aboutir à l’intellectus et à l’acutior allegorie subtilitas. Dans la deuxième partie de son étude (p.-58-70), Verbaal analyse les techniques d’explication étymologique employées par Alain afin de démontrer, à travers l’étude de la figure allégorique de Prudentia/ Fronesis, que le poète compose une œuvre qui n’est pas une allégorie, mais une allégorèse --c’est-à-dire un texte qui n'est pas destiné à offrir au lecteur l’occasion d’une allégorèse, mais qui est déjà en soi le produit d’un exercice interprétatif. Dans la troisième partie enfin (p.-70-79), Verbaal recherche chez les prédécesseurs d’Alain (Sigebert de Gembloux, Bernard Silvestre, Bernard de Clairvaux) les prémices d’une telle exploitation de l’étymologie comme outil de création poétique, dont Alain s’inspire et qu’il conduit à leur parfaite maturité dans l’Anticlaudianus, modèle et source d’inspiration de Jean de Meun pour la rédaction du Roman de la Rose. Dans «The Terminal Paronomasia of Gautier de Coinci» (p.-83-114), K. Busby rappelle, à la suite des travaux de ses prédécesseurs, que les Miracles de Nostre Dame du moine bénédictin se distinguent des autres légendiers mariaux en langue vernaculaire par un souci double de structuration du recueil et de versification virtuose. Busby se propose donc d’examiner les «queues» des miracles --transposition du latin coda, employée par Gautier lui-même pour désigner les épilogues de ses miracles, où la narration cède la place au commentaire de l’écrivain se faisant tantôt prédicateur, tantôt moraliste, tantôt satiriste. C’est dans ces queues en effet que le raffinement formel de la versification est poussé à son paroxysme et que fleurissent les paronomases dont Busby entend examiner la fonction. La thèse principale de l’auteur est que la paronomase n’est pas seulement «a superficial display of verbal pyrotechnics», mais qu’elle sert à attirer l’attention du lecteur sur «the core of the tale and its meaning, Gautier’s devotion to Mary, and the objects of his satire» (p.-97-98). Busby ne dit donc guère 307 DOI 10.2357/ VOX-2021-011 Vox Romanica 80 (2021): 305-311 Besprechungen - Comptes rendus davantage dans cet article que T. Hunt avant lui dans son livre 1 - ce que l’auteur reconnaît d’ailleurs volontiers: «my own commentary here is little more than a selective supplement to Hunt’s meticulous analysis» (p.-98). Busby dégage une série de fonctions remplies par les paronomases: elles peuvent fournir une transition entre deux miracles (p.- 100), révéler les liens thématiques entre deux miracles (p.-103), offrir une mise en abyme de la structure du recueil lorsqu’elles apparaissent au début et à la fin d’un miracle (p.-104) ou encore, dans les miracles les plus longs, ménager des pauses dans la narration afin de susciter la réflexion du lecteur sur les thèmes moraux abordés par le récit (p.-106). À l’inverse, certaines queues de miracles sont dépourvues de paronomases, probablement afin de ne pas interrompre l’enchaînement de récits reliés les uns aux autres en séquences (p.-104-05). Examinant enfin la relation contrastée --entre amour et haine-- de Gautier à la littérature profane, Busby suggère que les paronomases servent à enrichir le discours édifiant des Miracles afin d’attirer et séduire le lecteur friand de littérature courtoise. Cette hypothèse, contradictoire mais non incompatible avec celle que Busby défend aux pages 97-98, ne saurait, à mon avis, invalider celle selon laquelle c’est d’abord à son propre plaisir esthétique que le poète a pourvu en s’adonnant, en dépit de ses maux de tête, à une telle virtuosité verbale. Sous la plume des poètes toscans du Duecento qu’il examine dans «Wordplay and Obscurity in Thirteenth-Century Italian Poetry» (p.-137-68), P. Borsa décèle «the invention of an original, Italian trobar clus» (p.- 141). À la faveur d’une série d’études de cas fouillées, l’auteur démontre en effet que Guittone d’Arezzo et ses héritiers (Panuccio del Bagno da Pisa et Monte Andrea da Firenze) exploitent les ressources formelles du jeu de mots, de la paronomase et de l’équivoque afin de produire des textes confinant à l’hermétisme. D’après Borsa, un tel usage de l’écriture poétique aurait non seulement pour objet de démontrer la virtuosité du poète, mais aussi de soustraire aux regards inavertis un sous-texte érotique potentiellement scandaleux (p.-148). Ayant souligné, de façon tout à fait pertinente, combien la mise en texte et la mise en page de cette poésie formaliste est signifiante en soi (et donc, combien l’édition critique moderne de ces textes peut en compliquer, voire en appauvrir la lecture), Borsa conclut son étude en situant son corpus dans le cadre de la relation dialectique entre le latin et les langues vernaculaires au XIII e siècle. L’auteur note que la jeunesse des langues vernaculaires, non encore formalisées et régulées, leur autorise un «linguistic eclecticism in word choice and thematic associations» (p.-163) et suggère que cette absence de normativité serait la condition sine qua non à l’existence d’une telle poésie formaliste et hermétique: «their extraordinary artificiality is the result of the extreme exploitation of the freedom allowed to writers in the vernacular, regarded as a natural language that evades strict rules and regulations» (p.-164). Si la distinction des moyens poétiques propres aux expressions latine et vernaculaire ne manque pas d’être suggestive, l’idée qu’une telle liberté formelle serait inaccessible au latin («Exploiting a kind of wordplay and obscurity that were not allowed in Latin…», p.- 164) me semble néanmoins remise en cause par l’existence d’une poésie formelle, voire maniériste, et volontiers obscure en langue latine à toutes les époques du Moyen Âge. 1 Hunt, T. 2007: Miraculous Rhymes. The Writing of Gautier de Coinci, Cambridge, Brewer: 123-60. 308 DOI 10.2357/ VOX-2021-011 Vox Romanica 80 (2021): 305-311 Besprechungen - Comptes rendus Ma fin est mon commencement… Achevons là où l’ouvrage débute. La passionnante étude initiale de M. Males, «Etymology, Wordplay, and the Truth Value of the Linguistic Sign from Antiquity to the Middle Ages» (p.- 15-43), fournit au volume sa véritable introduction en établissant le cadre théorique et historique dans lequel s’inscrivent tous les autres articles du recueil. Elle se présente en trois parties: un exposé des conceptions pré-modernes du caractère naturel ou conventionnel du signe linguistique (p.- 16-20); un remarquable résumé de l’histoire de la méthode étymologique en Occident de l’Antiquité à la période scolastique (p.-20-35); une étude de cas enfin, examinant la relation paradoxale de saint Augustin à l’étymologie, lequel nie sa véridicité dans le De dialectica tout en s’y adonnant abondamment dans ses œuvres théologique et homilétique (p.-35-40). Dans la deuxième --et plus substantielle-- partie de son étude, Males délivre un panorama très suggestif de l’histoire de la méthode étymologique. On regrettera seulement qu’à part la gematria ou interprétation numérique des lettres (p.-30) et une allusion incidente dans la troisième partie (p.-37), l’auteur ne fasse aucune mention de la tradition hébraïque d’interprétation des noms, dont le Liber interpretationis Hebraicorum nominum de saint Jérôme constitue l’essentiel héritage pour l’Occident chrétien. Débutant par les Stoïciens (qui s’attachent à expliquer les noms des dieux chez Homère, p.-22), Males examine ensuite le De lingua latina de Varron (p.-23-25), avant d’aborder les incontournables Etymologiae d’Isidore de Séville, dont l’auteur souligne à juste titre l’immense influence sur la pensée et la culture médiévales (p.-25). Abordant le Moyen Âge central, Males distingue dans la pratique étymologique des XII e et XIII e siècles deux changements, l’un de méthode, l’autre de perspective: d’une part, la méthode isidorienne, qui procédait par rapprochement sémantique de mots phonétiquement proches (flumen - fluendo), fait place à l’étymologie par syllabation (catenae - capiendo teneant) et par épellation (Deus - dans eternam uitam suis) (p.-28-31); d’autre part, l’enjeu de la démarche étymologique ne réside plus tant dans le décodage de la relation phonosémantique entre le mot et la chose que dans l’interprétation du texte à la lumière de l’explication des mots qui le composent. En d’autres termes, si la prétention au vrai de l’enquête étymologique demeure intacte, l’intention épistémologique semble avoir cédé la place à l’ambition exégétique (p.-29) - partiellement du moins, comme Males, notant qu’Isidore est lu avec passion jusqu’à la fin du Moyen Âge, le souligne pertinemment: «Etymology’s potential for textual exegesis had been increased, but that does not necessarily imply a corresponding decrease in its usefulness for reading the book of world» (p.-34). La façon dont Males emploie les concepts de naturalisme et de conventionnalisme linguistique a suscité chez moi, sinon des résistances, du moins quelques interrogations. Dans la première partie de son article en effet, l’auteur se fonde sur la lecture du Cratyle de Platon pour articuler les trois conceptions traditionnelles du signe linguistique: le naturalisme défendu par Cratyle (le langage est naturel, les signes linguistiques émanent nécessairement des choses), le conventionnalisme arbitraire défendu par Hermogène (le langage, d’invention humaine, est une convention, par laquelle des signes ont été arbitrairement attribués aux choses) et une position médiane défendue par Socrate (le langage est une convention certes, mais, plutôt qu’arbitrairement, les signes ont été rationnellement attribués aux choses, conformément à la nature de celles-ci). Cette troisième position est largement acceptée dans 309 DOI 10.2357/ VOX-2021-011 Vox Romanica 80 (2021): 305-311 Besprechungen - Comptes rendus l’Occident latin, depuis les grammairiens latins antiques jusqu’aux traités de grammaire du XIII e siècle, en passant par Isidore de Séville, Pierre Abélard et Jean de Salisbury 2 . Elle constitue en effet un compromis, qui résout la «douloureuse ambiguïté [des auteurs médiévaux], née du profond écart entre ce qu’ils savaient des signes verbaux et ce qu’ils désiraient croire à leur propos» 3 . Dans les écrits des grammairiens et théoriciens de la langue de l’Antiquité tardive et du Moyen Âge, on ne trouve en effet ni naturalisme pur, ni conventionnalisme absolu, mais très majoritairement cette troisième position intermédiaire consistant à considérer que le langage est d’invention humaine (conventionnalisme), mais que l’homme, étant un être de raison, a rationnellement suivi la nature lorsqu’il a inventé les mots (naturalisme), de telle sorte que les mots, pour conventionnels qu’ils soient, correspondent -- au moins partiellement, cf.-infra-- aux propriétés des choses. H.-Bloch appelle cette position hybride un «conventionnalisme modéré» 4 ; considérant les causes plutôt que le point de vue de l’observateur, je propose de la désigner comme un ‘conventionnalisme rationnel’. D’abord assez clairement exposée par Males (p.-16-17), cette troisième position est, dans la suite de son étude, incompréhensiblement confondue avec la position naturaliste, au prétexte que dans l’Occident latin, «The naturalist position that developed would not be that of Cratylus, but that of Socrates; as we shall see in Isidore, not all words were believed to carry essential links to reality» (p.-17). Arguant de ce que le naturalisme pur est quasiment inexistant dans la tradition grammaticale tardo-antique et médiévale, Males assimile naturalisme et conventionnalisme rationnel et réduit donc la triade à une opposition binaire: «naturalisme» socratique (en réalité, un conventionnalisme rationnel) vs conventionnalisme (en réalité, un conventionnalisme arbitraire). Pourquoi procède-t-il à cette schématisation? En raison du fait, écrit-il, qu’Isidore de Séville ne considère pas tous les signes linguistiques comme motivés naturellement. Or, la distinction entre naturalisme et conventionnalisme rationnel ne porte pas sur le caractère intégralement vs partiellement motivé des signes linguistiques: c’est justement le propre de la position médiane du conventionnalisme rationnel que d’admettre que le lien phonosémantique entre le mot et la chose est parfois inexistant, soit qu’il ait été brisé par l’évolution des langues, soit qu’à l’origine le mot n’ait pas été inventé selon la nature de la chose. La distinction entre naturalisme et conventionnalisme rationnel porte plutôt sur la cause du caractère motivé des signes linguistiques: ils sont motivés naturellement parce que le langage est naturel vs parce que le langage est une institution humaine, et donc rationnelle. En réduisant un système ternaire à un système binaire, Males obscurcit donc considérablement son propos, puiqu’il confond les positions radicalement distinctes de Cratyle et de Socrate. Cette confusion conduit Males, me semble-t-il, à commettre certains contre-sens, par exemple lorsqu’il discute la définition de l’étymologie donnée par Isidore de Séville (Etymologiae, I, XXIX, 2-3). En effet, contrairement à l’analyse de Males rapportée ci-dessus (p.-17), 2 Bloch, H. 1989: Étymologie et généalogie. Une anthropologie littéraire du Moyen Âge français, trad. Béatrice Bonne, Paris, Seuil: 58-64. Minnis, A. J. 2001: Magister Amoris. The Roman de la Rose and Vernacular Hermeneutics, Oxford, Oxford University Press: 140-44. 3 Bloch (1989: 58). 4 Bloch (1989: 63). 310 DOI 10.2357/ VOX-2021-011 Vox Romanica 80 (2021): 305-311 Besprechungen - Comptes rendus l’encyclopédiste espagnol affirme que, si les signes linguistiques ne sont pas tous motivés naturellement, c’est précisément parce que le langage est une institution humaine: Non autem omnia nomina a veteribus secundum naturam inposita sunt, sed quaedam et secundum placitum […] Hinc est quod omnium nominum etymologiae non reperiuntur, quia quaedam non secundum qualitatem, qua genita sunt, sed iuxta arbitrium humanae voluntatis vocabula acceperent 5 . Not all words, however, have been imposed by the ancients according to nature, but some have also been given arbitrarily […] This is the reason why the etymology of all words cannot be recovered, since some of them have received their words not according to the quality that gave rise to them, but rather in accordance with a decision of the human will. D’après Isidore, tous les noms (sauf les noms d’origine onomatopéique, qui imitent les sons de la nature) sont d’invention humaine, a veteribus inposita: le récit de la Genèse, 2, 19, qui voit Adam nommer «toutes les bêtes des champs et tous les oiseaux du ciel», en offre l’exemple originel et parfait 6 . Néanmoins, alors que certains noms ont été imposés secundum naturam, selon les propriétés naturelles des choses à nommer (c’est-à-dire rationnellement), d’autres ont été forgés secundum placitum, selon le bon plaisir du donneur de nom, indépendamment de la nature des choses (c’est-à-dire irrationnellement, arbitrairement) --ce qui explique qu’on ne puisse retrouver (non reperiuntur) l’étymologie de tels noms. En conséquence, la traduction proposée par Males ne me paraît pas très claire: puisqu’ils ont été a veteribus inposita, tous les noms sont le fruit de «a decision of the human will»; dès lors, le mot arbitrium ne désigne pas le ‘jugement’, la ‘décision’ au sens neutre du terme (auquel cas la tournure arbitrium humanae voluntatis paraîtrait pléonastique), mais bien le ‘pouvoir de faire quelque chose à sa guise’, le ‘bon plaisir’ (Gaffiot), employé par Isidore dans un sens apparemment dépréciatif 7 . 5 Etymologiae, I, XXIX, 2-3. Je cite le texte et la traduction donnés par Males, p.-27. 6 Adam a su nommer parfaitement les animaux (c’est-à-dire au plus près de leur nature) parce que, selon Origène, il a été inspiré par «une mystérieuse science divine qui est attribuée au Créateur de l’univers» ou parce que, selon Abélard et Jean de Salisbury qui écartent l’explication surnaturelle, il était un esprit éclairé, en quelque sorte à la fois philosophe et grammairien. (Cf. Bloch 1989: 59- 60 et 63). 7 Il ne faut donc pas confondre le sens de l’expression secundum placitum telle qu’elle est employée dans la typologie isidorienne d’une part --qui considère les seuls noms-- et dans la typologie des «émissions de son signifiantes» (vox significativa) d’autre part, exposée dans le De interpretatione d’Aristote traduit et commenté par Boèce: les «émissions de son signifiantes» peuvent signifier «naturellement» (naturaliter) ou «non naturellement» (non naturaliter), c’est-à-dire «par convention» (secundum placitum); à la première catégorie appartiennent les cris, les pleurs, les aboiements de chien, alors qu’à la seconde appartiennent tous les noms: «Le nom est une émission de son signifiant conventionnellement» (Nomen ergo est vox significativa secundum placitum). (Cf. Reynolds, S.-1996: Medieval Reading. Grammar, Rhetoric and the Classical Text, Cambridge, Cambridge University Press: 47.) L’expression secundum placitum n’a donc pas le même sens chez Boèce et chez Isidore de Séville, comme la traduction française récemment parue du premier livre des Etymologiae le montre parfaitement: «Cependant, tous les noms n’ont pas été attribués par les Anciens d’après la nature; certains l’ont aussi été selon le bon plaisir […] Il s’ensuit que les étymologies de tous les noms ne peuvent être retrouvées, parce que certaines choses ont reçu leurs appellations non pas d’après la propriété avec laquelle elles ont été créées mais selon le bon plaisir de 311 DOI 10.2357/ VOX-2021-011 Vox Romanica 80 (2021): 305-311 Besprechungen - Comptes rendus En résumé, Isidore affirme clairement le caractère conventionnel du signe linguistique (puisque tous les noms a veteribus inposita sunt) --et non son caractère naturel, comme Males le suggère 8 --, tout en reconnaissant la coexistence d’un conventionnalisme arbitraire (secundum placitum) et d’un conventionnalisme rationnel (secundum naturam). À ce titre, l’évêque de Séville admet la même limite à l’enquête étymologique que celle qu’affirmait déjà Platon, ainsi que Males le notait d’ailleurs à l’entame de son étude: In response to Cratylus, Socrates points out that just like artists, namegivers can be good or poor at representing reality. For this reason, words are not always phonosemantically true to what they signify and any inquiry into the true nature of things must therefore begin with the things themselves, rather than the words for them. (p.-17) Mutatis mutandis, la position médiane d’Isidore est aussi celle d’Abélard (Glossae super Porphyrium 9 ) et de Jean de Salisbury (Metalogicon 10 ). En fait, elle résume l’histoire de l’humanité --et donc du langage-- avant et après la Chute: «Le langage peut être vicié par les détours inhérents à toute intention humaine, mais celui qui a le premier nommé ‹les animaux et les oiseaux terrestres› n’en était pas moins guidé par les propriétés des choses 11 ». Telle est l’ambition étymologique d’Isidore de Séville: retrouver, sous les discrépances superficielles engendrées par l’évolution et la dégradation des langues, la connexion parfaite des mots aux choses propre au langage adamique. Thibaut Radomme (FNS - Université de Fribourg) https: / / orcid.org/ 0000-0002-8181-107X ★ la volonté humaine». (Isidore de Séville, Étymologies, Livre I, La Grammaire, ed. et trad. Olga Spevak, Paris, Les Belles Lettres 2020: 124 [je souligne].) 8 «to Isidore, all of these etymologies are equally natural» (p.-28). 9 «les mots imitent les choses»; «celui qui a originellement composé les mots a suivi la nature des choses» (cité dans Bloch 1989: 63). Sur la conception abélardienne de l’impositio des noms, voir: Martin, C.-J. 2010: «The Development of Logic in the Twelfth Century», in: R. Pasnau (ed.), The Cambridge History of Medieval Philosophy, Cambridge, Cambridge University Press, vol.-1: 129-45 (131). 10 «quoique celle-ci [la grammaire] procède dans une certaine mesure, et même très largement, de l’institution humaine, elle imite pourtant la nature dont elle tire pour une part son origine et à laquelle elle s’efforce autant que possible de se conformer en tout. L’imposition des noms et des autres expressions, même si elle procède du jugement humain, dépend en quelque façon de la nature qu’elle imite dans une mesure honorable.» (Cité dans Bloch 1989: 63). 11 Bloch (1989: 64).