eJournals Oeuvres et Critiques 46/1

Oeuvres et Critiques
0338-1900
2941-0851
Narr Verlag Tübingen
10.24053/OeC-2021-0003
2021
461

La Poétique de La Mesnardière : une lecture à rebours des concepts aristotéliciens

2021
Rainer Zaiser
Œuvres & Critiques, XLVI, 1 (2021) DOI 10.24053/ OeC-2021-0003 La Poétique de La Mesnardière : une lecture à rebours des concepts aristotéliciens Rainer Zaiser Université de Kiel La Poétique de La Mesnardière, publiée à Paris en 1639 chez Antoine de Sommaville, est la première poétique française du XVII e siècle prenant soin de répertorier systématiquement les aspects essentiels de la poétique aristotélicienne en matière de théâtre. À part le traité latin De Constitutione Tragoediae du savant hollandais Daniel Heinsius, paru en 1611 et très influent en France 1 , les débats sur les principes dramatiques du Stagirite se cantonnent jusqu’à la parution de l’ouvrage de La Mesnardière dans de nombreux écrits plus ou moins brefs et publiés ci et là afin de justifier le pour ou le contre de ces principes. C’est le cas, par exemple, de la fameuse Lettre sur les vingt-quatre heures de Jean Chapelain 2 , des préfaces de plusieurs tragi-comédies des années 1630 3 , des pamphlets et des libelles de la Querelle du Cid ainsi que du jugement de l’Académie française sur la même pièce 4 . Tous ces textes témoignent, certes, de l’influence qu’avait exercée en France la Poétique d’Aristote, réactualisée durant le XVI e siècle par les doctes ita- * Je remercie Lydie Karpen pour la relecture de ce texte et pour les suggestions stylistiques. 1 Voir l’«-Introduction-» à l’édition bilingue De Constitutione Tragoediae - La Constitution de la Tragédie, dite La Poétique de Heinsius, édition, traduction et notes par Anne Duprat, Genève, Droz, «-Travaux du Grand Siècle, n o XXI-», 2001, p. 9-: «- En rédigeant une poétique érudite simplifiée, élégante et accessible à tout le monde, le savant hollandais peut contrebalancer leur influence [des exégètes italiens de la Poétique d’Aristote] auprès du public des Cours d’Europe - et en particulier, celui de la France de 1610-1620, où, après la mort d’Henri IV, le souvenir de l’italianisme de la Cour des Valois retrouve toute sa force de modèle. D’où le succès de la Constitution de la Tragédie, immédiatement diffusée et rééditée non seulement à Leyde, mais également en France, où elle sera connue sous le nom de ‘Poétique d’Heinsius’.-» 2 Jean Chapelain, Lettre sur la Règle des Vingt-Quatre Heures, dans Jean Chapelain, Opuscules critiques, édition Alfred C. Hunter, introduction, révision des textes et notes par Anne Duprat, Genève, Droz, «-Textes Littéraires Français-», 2007. 3 Voir Giovanni Dotoli, Temps de préface. Le débat théâtral en France de Hardy à la Querelle du «-Cid-», Paris, Klincksieck, 1996. 4 Voir l’édition des documents relatifs à cette querelle, réunis et commentés par Jean-Marc Civardi, La querelle du Cid (1637-1638), édition critique intégrale, Paris, Champion, «-Sources classiques, n o 52-», 2004. 30 Rainer Zaiser Œuvres & Critiques, XLVI, 1 (2021) DOI 10.24053/ OeC-2021-0003 liens sous forme d’éditions, de commentaires et de traductions et étudiée notamment par ce biais par les lettrés français au premier XVII e siècle 5 . Mais, tandis que ces derniers ne traitent que des aspects sélectionnés de la théorie dramatique d’Aristote, l’ouvrage de La Mesnardière en constitue une première somme en langue française, qui est digne de servir de point de repère à tous ceux et celles qui exercent l’art dramatique ou qui sont des lecteurs ou des spectateurs du théâtre 6 . Néanmoins, la Poétique de La Mesnardière avait mauvaise presse à l’époque, échec que Jean-Marc Civardi, à qui nous devons l’édition la plus récente de l’ouvrage, explique par le fait que son auteur «-s’en tient à la raison, à la doctrine, aux règles, au bon sens, jusqu’à l’étroitesse d’esprit et à la monotonie 7 .- » Ce jugement résume la réticence que bon nombre de savants ont longtemps montrée à l’égard de la Poétique de La Mesnardière en lui reprochant d’être trop éclectique et peu éclairant 8 . Quoi qu’il en soit, ce traité fait malgré tout un bon tour de la question des règles aristotéliciennes, même si l’auteur perd souvent de vue l’essentiel en enrichissant son argument d’abondants exemples tirés de la production littéraire de l’Antiquité. Cette pléthore d’exemples semble avoir gêné même l’un ou l’autre lecteur du très érudit siècle classique, ce dont témoigne par exemple l’abbé d’Olivet, historiographe de l’Académie française, dans les remarques suivantes-: [La Mesnardière] donne [… ] et des préceptes et des exemples-: les préceptes, il les emprunte des anciens, et il les expose, non pas toujours avec une brièveté didactique-; mais souvent avec un faste oratoire. Les exemples, il les tire 5 Voir à ce propos le chapitre «-L’influence des théoriciens italiens-» dans René Bray, La formation de la doctrine classique en France, Paris, Nizet, 1966, p. 34-48, notamment la remarque conclusive, p. 48-: «-Chose curieuse, l’influence de ces Italiens s’est plus exercée en France qu’en Italie. Celle-ci était classique avant eux. C’est à celle-là qu’ils ont imposé le classicisme. C’est dans leurs éditions qu’on lisait Aristote.-» 6 Pour une analyse de l’organisation thématique de La Poétique de La Mesnardière en comparaison avec les sujets traités à l’époque dans d’autres écrits théoriques sur le théâtre, voir l’article de Bénédicte Louvat, «-La Poétique de La Mesnardière et les théoriciens français contemporains-», Littératures classiques, n o 103, 2020, La Mesnardière, un lettré de cour au XVII e siècle, sous la direction de Carine Barbafieri, Jean-Marc Civardi et Jean-Yves Vialleton, p. 47-58. 7 Voir l’«- Introduction- » à Hippolyte Jules Pilet de La Mesnardière, La Poétique, édition critique par Jean-Marc Civardi, Paris, Honoré Champion, «- Sources classiques, n o 120-», 2015, p.-7-72, la citation p. 13. 8 Voir à propos des voix critiques prononcées ostensiblement ou furtivement au cours des XVII e et XVIII e siècles sur la Poétique de La Menardière les chapitres «-Une fortune critique sans gloire-» et «-Une carrière réussie-» dans l’éd. Civardi, 2015, p. 8-13 et p. 16-21. 31 Œuvres & Critiques, XLVI, 1 (2021) La Poétique de La Mesnardière : une lecture à rebours des concepts aristotéliciens DOI 10.24053/ OeC-2021-0003 parfois de son propre fonds-; car il avait fait quantité de vers, et une tragédie, entre autres, intitulée Alinde, qui n’eut point de succès 9 . Ce que d’Olivet appelle ici le «- faste oratoire- », à savoir les exemples qui illustrent les préceptes poétiques que La Mesnardière développe dans son traité, se compose donc, selon l’historiographe de l’Académie, non seulement d’une accumulation fréquente d’emprunts aux œuvres de l’Antiquité, mais aussi de références aux vers poétiques et dramatiques de l’auteur luimême, créations que d’Olivet tient, par sous-entendus, pour des œuvres assez médiocres. Mais en tout état de cause, La Poétique de La Mesnardière reste un ouvrage ayant le mérite de présenter pour la première fois en langue française les concepts de la doctrine dramatique d’Aristote dans leur intégralité, et ceci pour une large part bien conformément aux idées de ce dernier. Toutefois au lieu de nous focaliser sur ces rapprochements orthodoxes des concepts aristotéliciens qu’une première lecture du traité de l’auteur suggère sans aucun doute, nous nous proposons de mettre en lumière les aspects originaux et modernes qui se détachent entre les lignes de ses raisonnements. Contrairement à ses critiques du XVII e siècle, La Mesnardière est si convaincu de son talent de théoricien d’art qu’il n’hésite pas à reprocher à la plupart des arts poétiques de ses prédécesseurs d’être soit lacunaires soit dépourvus d’une compréhension approfondie du texte original d’Aristote. Il explique ces insuffisances par le fait que les œuvres de ce dernier sont parfois fort compliquées et difficiles à appréhender. C’est pourquoi une nouvelle présentation cohérente, complète et clairement énoncée de la doctrine poétique de son maître à penser est à son avis nécessaire-: Après avoir observé que les écrits du philosophe [Aristote] qui concernent la science sont difficiles à entendre, que l’art que nous tenons d’Horace n’est pas étendu, que les trois livres de Vida ne parlent qu’en général de la conduite du poète, que la Poétique de l’Escale [Scaliger] n’est faite que pour les plus doctes, que le discours de Heinsius ne touche que la tragédie, bref que tout ce que nous avons, soit des Anciens ou des Modernes, sur l’art de former les poèmes, est ou trop particulier ou bien trop universel pour enseigner une doctrine extrêmement délicate, et d’autant plus nécessaire parmi les honnêtes personnes qu’elle est fort souvent la matière des belles conversations, j’ai pensé que les gens d’esprit ne trouveraient pas mauvais qu’on leur donnât des préceptes pour parler de la poésie sans commettre des injustices. J’ai estimé qu’ils souf- 9 Voir Histoire de l’Académie francaise. Depuis 1652 jusqu’à 1700, par l’abbé d’Olivet, par MM. Pellisson et d’Olivet, Paris, Coignard, 1743, p. 108, Source gallica.bnf. fr / Bibliothèque nationale de France. Je dois la référence à cette citation à Jean- Marc Civardi, 2015, p. 10. 32 Rainer Zaiser Œuvres & Critiques, XLVI, 1 (2021) friraient que je fisse pour ma nation ce que plusieurs Italiens ont fait pour ceux de leur pays, Lope pour les Espagnols, et le grand Jules de l’Escale pour tous les savants de l’Europe. (Éd.-Civardi, 2015, p. 138-139) Sont à souligner ici deux points qui font voir les desseins que la Mesnardière poursuivait avec sa Poétique. Premièrement, il affirme expressément avoir écrit ce livre pour les «-honnêtes personnes- », à savoir pour ceux et celles qui ne sont pas experts en matière poétique et ne veulent pas l’être non plus. Rien de plus étranger à la figure de l’honnête homme, on le sait, que d’être spécialiste dans un domaine quelconque et de se comporter comme un pédant qui affiche son savoir livresque. Tout de même, on le sait aussi, les honnêtes gens sont friands de causer de la littérature et des autres arts et ont besoin pour cela, comme notre auteur le suppose, d’un manuel qui leur enseigne intelligiblement un savoir qui leur soit utile pour mener avec adresse et facilité de «-belles conversations-» en société. Nous reviendrons sur ce public envisagé par La Mesnardière dans une partie ultérieure de cet essai. Retenons pour l’instant simplement qu’il a notamment en vue les honnêtes gens comme lecteurs et lectrices de sa Poétique. Deuxièmement, l’attention qu’il prête particulièrement aux lecteurs et lectrices du groupe social des beaux esprits cultivés, mais peu versés en matière théorique n’empêche pas qu’il s’adresse également à un public savant, à savoir aux auteurs dramatiques et aux doctes humanistes s’intéressant à la théorie des genres littéraires. Pour satisfaire les besoins de ce public, il se propose de créer une poétique aristotélicienne à portée nationale, donc en français, tel que l’a réalisée en latin Jules-César Scaliger avec ses Poetices libri septem (1561) à l’usage de la République des lettres en Europe et tel que l’a fournie en italien Lodovico Castelvetro avec sa Poetica d’Aristotile vulgarizzata e sposta (1571), une reprise du texte grec de la Poétique d’Aristote, traduit paragraphe par paragraphe en italien («-vulgarizzata-») et commenté («-sposta-») de façon circonstanciée pour les lecteurs et lectrices d’Italie. Reste à mentionner que La Mesnardière se méfie en principe de ses prédécesseurs, notamment de ceux d’Italie en ce qui concerne leurs interprétations du texte d’Aristote, guidées chacune, selon lui, par les tempéraments différents des traducteurs et commentateurs. C’est pourquoi il fonde son travail sur sa propre lecture d’Aristote et du théâtre des Anciens et vise à composer sur cette base un ouvrage susceptible de remplir la fonction d’un art dans le sens d’un manuel de consignes techniques à l’usage du créateur d’un texte dramatique-: Quand j’ai fait cette entreprise, d’abord j’ai considéré les divisions qu’il y a entre ce grand nombre d’auteurs, la plupart de delà les Alpes, qui ont parlé de la poétique en interprétant Aristote chacun selon sa passion-; et voyant que DOI 10.24053/ OeC-2021-0003 33 Œuvres & Critiques, XLVI, 1 (2021) La Poétique de La Mesnardière : une lecture à rebours des concepts aristotéliciens ses vérités étaient tellement embrouillées par leurs opinions différentes, qu’il était du tout impossible d’en composer une science, j’ai tâché d’en former un art qui fût sinon plus élevé, au moins plus intelligible que tous ceux qu’on nous a laissés. (Éd.-Civardi, 2015, p. 139) Pour mettre en œuvre ce projet, il suffisait à La Mesnardière «- de dire ce qu’Aristote, la raison, la lecture des anciens poètes et quelque usage du théâtre [lui] ont conjointement appris touchant les poèmes dramatiques.-» (Éd.-Civardi, 2015, p. 157) C’est ainsi que naît un ouvrage qui, à première vue, semble suivre scrupuleusement les grands théorèmes de la poétique d’Aristote. Prenons comme exemple la définition que La Mesnardière donne de la tragédie-: Examinons séparément chacune de ces espèces [la tragédie et la comédie]-; et pour suivre dans ces discours l’ordre de la dignité, commençons par la tragédie et disons avec Aristote, accommodé à notre usage, que c’est la représentation sérieuse et magnifique de quelque action funeste, complète, de grande importance et de raisonnable grandeur, non par le simple discours mais par l’imitation réelle des malheurs et des souffrances qui produit par elle-même la terreur et la pitié et qui sert à modérer ces deux mouvements de l’âme. (Éd.-Civardi, 2015, p. 163) Pour mettre en lumière les parallèles, rappelons les mots du passage correspondant dans la Poétique du Stagirite-: La tragédie est donc l’imitation d’une action noble et achevée, ayant une certaine étendue, dans un langage relevé d’assaisonnements, dont chaque espèce est utilisée séparément selon les parties de l’œuvre-; cette imitation est exécutée par des personnages agissant et n’utilise pas le récit, et, par le biais de la pitié et de la crainte, elle opère l’épuration des émotions de ce genre 10 . À la suite d’Aristote, La Mesnardière souligne tout d’abord la dignité par laquelle la tragédie se distingue de la comédie, à savoir par le caractère sérieux, magnifique et important de l’action, attributs que le Stagirite résume en un seul mot-: elle doit être «-noble-». De plus, La-Mesnardière exige que l’action tragique soit «-complète-» et «-de raisonnable grandeur-», comme il entend les termes «- τελείας , μέγεϑος ἐχoύσης -» du texte original, traduits dans l’édition française moderne que nous utilisons ici par «-achevée-» et «-d’une 10 Aristote, Poétique, bilingue, traduction, introduction et notes de Barbara Gernez, troisième tirage, Paris, Les Belles Lettres, 2008, chap. 6, p. 21. Les références ultérieures sont tirées de cette édition. DOI 10.24053/ OeC-2021-0003 34 Rainer Zaiser Œuvres & Critiques, XLVI, 1 (2021) certaine étendue 11 - ». Aristote précise ailleurs ce que les mots «- τελείας - » («-achevée-») et «- μέγεϑος -» («-étendue-») signifient dans ce contexte-: Un tout [qui est achevé et complet], c’est ce qui possède un commencement, un milieu et une fin. Le commencement, c’est ce qui ne vient pas, par nécessité, après autre chose, mais après quoi une autre chose existe naturellement ou vient à se produire. Une fin, au contraire, c’est ce qui [… ] vient naturellement après autre chose, mais après quoi rien ne se produit. Le milieu, c’est ce qui vient après autre chose et est suivi d’autre chose 12 . Cette explication est à la fois simple et compliquée- : simple par rapport à l’énoncé, compliquée par rapport à l’énonciation qui se laisse réduire à l’énoncé suivant-: l’économie de l’action tragique s’inscrit dans une continuité logique et linéaire d’événements aboutissant à un dénouement qui s’impose conformément à un mécanisme de causes et effets. C’est le sens que le terme «- τελείας -» suggère par rapport à l’action dramatique selon Aristote-: il veut que cette dernière soit accomplie, close, complète et concluante. La formule «- μέγεϑος ἐχoύσης - » «- ayant une certaine étendue- » (Gernez) ou «- grandeur- » (La- Mesnardière) réfère, au contraire, au nombre des événements, comme le constate à juste titre Scaliger dans ses Poetices libri septem-: «-Quod autem dixit μέγεϑος ἐχoύσης , positum est ad differentiam epopoeiae, quae aliquando prolixa est [… ] 13 -». Contrairement à l’action de l’épopée à laquelle Aristote concède de nombreux événements («-quae aliquando prolixa est-»), la tragédie doit se contenter de beaucoup moins, plus précisément de tant qui sont nécessaires pour maintenir la structure logique, linéaire et achevée d’une seule action, comme il le note dans un autre passage de sa Poétique- : «-l’étendue qui permet le renversement du bonheur au malheur ou du malheur au bonheur à travers un enchaînement d’événements ordonnés les uns aux autres selon la vraisemblance ou la nécessité, constitue une limite convenable de l’étendue 14 .-» Selon toute apparence, La Mesnardière a donc en tête toutes les connotations qu’Aristote confère aux termes «-achevée-» et «-étendue-» quand il définit les qualités de l’action d’une tragédie. À cela s’ajoute la distinction structurelle que ce dernier fait entre le genre dramatique et le genre narratif, en l’occurrence, l’épopée. Le trait essentiel qui les sépare est le fait que l’un représente l’action par les discours des personnages qui agissent dans l’univers dramatique, et que l’autre la présente 11 Voir Poétique, éd. et trad. B. Gernez, 2008, chap. 6, p. 20-21. 12 Ibid., chap. 7, p. 29. 13 Julius Caesar Scaliger, Poetices libri septem/ Sieben Bücher über die Dichtkunst, Band I-: Buch 1 und 2, herausgegeben, übersetzt, eingeleitet und erläutert von Luc Dietz, Stuttgart-Bad Cannstatt, Frommann-Holzboog, 1994, p. 132. 14 Poétique, éd. et trad. B. Gernez, 2008, chap. 7, p. 31. DOI 10.24053/ OeC-2021-0003 35 Œuvres & Critiques, XLVI, 1 (2021) La Poétique de La Mesnardière : une lecture à rebours des concepts aristotéliciens par le récit d’un narrateur qui appartient ou non à l’univers des personnages agissants et rapporte, seul, dans l’un ou dans l’autre cas, les événements qui s’y produisent. En termes elliptiques, on lit chez Aristote-: «-cette imitation [de l’action tragique] est exécutée par des personnages agissant et n’utilise pas le récit-». Ce passage réapparaît modifié, mais non pas moins elliptique chez La Mesnardière comme suit-: «-[La tragédie est] la représentation [… ] de quelque action funeste, complète, [… ] non par le simple discours [le récit] mais par l’imitation réelle des malheurs et des souffrances qui produit par elle-même la terreur et la pitié-[… ]-» (Nous soulignons en gras). Finalement, la définition de la tragédie clôt chez Aristote et La Mesnardière par la fameuse catharsis qui résulte des malheurs et souffrances subis par les personnages et est supposée susciter auprès des spectateurs et spectatrices la crainte (respectivement la terreur) et la pitié pour épurer, purger ou modérer ces mêmes émotions chez ces derniers. C’est du moins la doxa qui jalonne l’exégèse de la poétique aristotélicienne des premières traductions et premiers commentaires jusqu’à ceux et celles de notre époque. Que la conception de la catharsis soit plus compliquée et la formule « δι’ - ἐλέου καὶ φόβου 15 -» mal rendue par «-pitié et crainte (ou terreur)-» est rarement observé dans l’histoire de la réception de la Poétique d’Aristote. En tout cas, La Mesnardière compte de fait parmi les rares théoriciens de la première modernité qui ont exploré le potentiel sémantique des passages concernant la catharsis dans la poétique aristotélicienne. Ainsi parvient-il en définitive à une lecture plus moderne que ses prédécesseurs bien qu’il recoure encore aux termes «-terreur-» et «-pitié-» quand il évoque la catharsis dans sa définition de la tragédie au début de son traité. Nous y reviendrons. Du reste, La Mesnardière ne peut s’empêcher de se tenir aux interprétations orthodoxes des principes dramatiques d’Aristote tels qu’elles sont monnaie courante à son époque. Il dédie par exemple tout un chapitre aux «-Parties de la tragédie, appelées de qualité 16 -» qu’il divise à l’instar d’Aristote en six catégories-: Ces six parties essentielles qui servaient au poème tragique pour imiter une aventure, sont la fable, les mœurs, les sentiments, le langage, l’appareil ou disposition du théâtre, et la musique- : pièces dont la tragédie se sert encore aujourd’hui, excepté que la musique n’est plus du tout de son essence ainsi qu’elle était autrefois. (Éd.-Civardi, 2015, p. 167) À y regarder de plus près, on se rend compte que les parties énumérées ne vont pas complètement de pair avec celles mentionnées par Aristote qui 15 Ibid., chap. 6, p. 20. 16 C’est le titre du Chapitre IV, éd. Civardi, 2015, p. 167. DOI 10.24053/ OeC-2021-0003 36 Rainer Zaiser Œuvres & Critiques, XLVI, 1 (2021) constate-: «-la tragédie dans sa totalité comporte six parties [… ]-: ce sont l’intrigue, les caractères, l’expression, la pensée, le spectacle et la composition du chant 17 .- » Les déviances sémantiques qui frappent le plus concernent surtout le mot «-mœurs-» chez La Mesnardière au lieu de «-caractères-» chez Aristote ainsi que le terme «-sentiments-» chez le premier au lieu de «-pensée-» chez le dernier. Il va de soi que «-les caractères-» et «-les mœurs-» vont bien ensemble. Le remplacement de l’un par l’autre ne fait que susciter un changement de perspective- : les «- caractères- » se composent des mobiles qui font agir les personnages, que ces mobiles soient intrinsèques ou extrinsèques, exécutés consciemment ou non- ; les mœurs sont, en revanche, le résultat de l’ensemble de ces actes accomplis par les individus dans une société et forment leurs habitudes, pour le bien et pour le mal. Le rapport entre «-caractères-» et «-mœurs-» est donc comme celui entre la cause et son effet. Le fait que La Mesnardière traduit le mot grec «- διάνοια 18 -» par «-sentiments- et non pas par «- pensée- », est, par contre, une modification conceptuelle qui bouleverse la sémantique du terme qui figure dans le texte original de la Poétique d’Aristote-: «- διάνοια -» signifie en effet la capacité de penser ou de réfléchir, et c’est dans ce sens que la plupart des commentateurs italiens de la Renaissance ont entendu le mot grec en choisissant comme traduction «-sententia-» en latin ou «-sentenzia-» en italien 19 . Dans un des paragraphes qui succèdent à la liste des six parties de la tragédie, Aristote confère luimême ce sens à son usage du mot «- διάνοια -», repris en traduction française par «- sentence- » ou «-pensée- »- : «-La pensée [… ] est la capacité de dire ce qu’implique la situation et ce qui convient [… ]. La pensée réside dans les discours [des personnages] où l’on essaie de démontrer qu’une chose est ou n’est pas, ou bien lorsqu’on énonce une généralité 20 .-» Le terme «- διάνοια -» alias «- pensée- » implique donc la faculté de juger de manière appropriée telle ou telle situation dans des cas particuliers aussi bien que généraux. La Mesnardière parvient, au contraire, à une autre interprétation du sens du mot «- διάνοια -». Il avoue avoir longtemps eu des difficultés à comprendre ce que veut dire ce terme dans le contexte en question- : «-D’abord j’ai eu de la peine à découvrir bien justement ce que le philosophe entend par le mot διάνοια [… ]. Car la pensée du philosophe est si obscure en cet endroit que, si l’on n’était instruit par l’usage du théâtre, il serait du tout impossible de comprendre ce qu’il veut dire.-» (Éd. Civardi, 2015, p. 341) C’est pourquoi, 17 Poétique, éd. et trad. B. Gernez, 2008, chap. 6, p. 23. 18 Voir ibid., chap. 6, p. 22. 19 Voir la traduction italienne de Scaliger, Poetica d’Aristotele, vol. I, p. 165-: «-Adunque di necessità sono sei parti d’ogni tragedia, secondo le quali la tragedia è di certe qualità- ; e sono queste- : Favola, Costumi, e Favella, e Sentenzia, e Vista, e opera di Melodia […].-» 20 Poétique, éd. et trad. B. Gernez, 2008, chap. 6, p. 27. DOI 10.24053/ OeC-2021-0003 37 Œuvres & Critiques, XLVI, 1 (2021) La Poétique de La Mesnardière : une lecture à rebours des concepts aristotéliciens il se met à explorer les autres œuvres d’Aristote à la recherche de quelques éclaircissements sur son usage du terme «- διάνοια - » et croit finalement découvrir dans l’Éthique à Nicomaque et dans la Rhétorique une connotation qui lui paraît celle que le Stagirite voulait conférer à ce mot quand il l’a utilisé pour désigner une des six parties de la tragédie-: «-Aristote lui-même, nous expliquant sa pensée dans le chapitre onzième du livre que j’ai cité [Éthique à Nicomaque] et dans le vingt-unième du second de la Rhétorique, dit en termes intelligibles que ce qu’il a nommé sentence, est à proprement parlé les sentiments d’un honnête homme.-» (Éd. Civardi, 2015, p. 342) Il nous semble tout de même peu probable que la signification «-sentiments-» vaille aussi pour le passage de la Poétique, et ceci d’autant plus que l’interprétation de La Mesnardière ne se rapporte pas du tout au mot «- διάνοια -» dans les œuvres mentionnées, mais au mot «- γνώμη -» dont les significations sont, certes, similaires à celles de «- διάνοια -», mais ne suggèrent pas forcément la connotation «- sentiments- ». Selon le dictionnaire grec-français d’Anatole Bailly le mot «- γνώμη -» comporte premièrement les connotations «-jugement-», « esprit-», «-pensée- », «- intelligence- », deuxièmement «-bon sens- », «-droite raison- » et troisièmement «-disposition de l’âme-», «-esprit-», «-caractère-» 21 . Il s’agit donc là d’un champ sémantique qui se rapproche seulement dans deux occurrences sur neuf («-disposition de l’âme-» et «-caractère-») tant bien que mal du terme «-sentiments-». Rares sont en outre les cas où les traducteurs et commentateurs de la Poétique d’Aristote se sont décidés à rendre le mot «- διάνοια - » par «- sentiments-». Jean-Marc Civardi attire notre attention sur Corneille 22 qui, dans son Discours de l’utilité et des parties du poème dramatique, choisit en fait le mot «-sentiments-» quand il parle des six parties de la tragédie selon Aristote-: «-Ce philosophe y en trouve six, le sujet, les mœurs, les sentiments, la diction, la musique, et la décoration du théâtre 23 .-» Il se peut que Corneille se soit inspiré de La Mesnardière sur ce point sans être vraiment conscient 21 Voir le Bailly en ligne https: / / outils.biblissima.fr/ fr/ eulexis-web/ ? lemma= γνώμη &dict =Bailly, accès le 10 septembre 2021. 22 Voir éd. Civardi, 2015, p. 341, n. 3. Un autre exemple est Jean-François Sarasin qui constate ceci-: «-Ce Philosophe […] la divise [la tragédie] en six parties essentielles, dont les deux dernières se rapportent aux autres et en dépendent. Celles-là sont, la fable, les mœurs, les sentiments, la diction. Celles-ci, l’appareil du théâtre, et la musique.-» («-Discours de la tragédie ou Remarques sur L’Amour tyrannique de Monsieur de Scudéry, dédiées à l’Académie française par Monsieur de Sillac d’Arbois-», dans Georges de Scudéry, L’Amour tyrannique, Paris, Augustin Courbé, 1639, http: / / gallica.bnf.fr/ ark: / 12148/ btv1b8607044w.r, Éditeur scientifique- : Hélène Baby, p. 4, consulté le 22 septembre 2021). 23 Voir dans Pierre Corneille, Œuvres complètes, III, textes établis, présentés et annotés par Georges Couton, Paris, Gallimard, «-Bibliothèque de la Pléiade-», 1987, p. 117-141, p. 123. DOI 10.24053/ OeC-2021-0003 38 Rainer Zaiser Œuvres & Critiques, XLVI, 1 (2021) du problème que pose la traduction de ce dernier. C’est sans doute la raison pour laquelle son explication de la fonction de cette partie de la tragédie ne s’harmonise guère avec la signification du mot qu’il utilise pour désigner cette partie-: «-Après les mœurs viennent les sentiments, par où l’acteur fait connaître ce qu’il veut ou ne veut pas, en quoi il peut se contenter d’un simple témoignage de ce qu’il se propose de faire, [… ]. Cette partie a besoin de la rhétorique pour peindre les passions et les troubles de l’esprit, pour en consulter, délibérer, exagérer, ou exténuer [… ] 24 -». Corneille signale ici qu’au théâtre les sentiments ne peuvent se manifester que par la rhétorique, c’està-dire par le raisonnement des personnages-: «-vouloir-» et «-ne pas vouloir-», «-se proposer-», «-consulter-», «-délibérer-», voire «-exagérer-» ou «-exténuer-» sont les termes qui font voir que Corneille est soucieux de former un langage dramatique qui transforme les mobiles intérieurs des personnages en un raisonnement dialectique visant à aboutir à une conclusion. Somme toute, l’auteur du Cid finit par se montrer par-là plus proche d’Aristote que de La Mesnardière, car il paraphrase en réalité très fidèlement la définition que le Stagirite a donnée du terme «- διάνοια -». Rappelons-nous une fois de plus ce passage de la Poétique en traduction française-: «-La pensée [‘ διάνοια ] [… ] est la capacité de dire ce qu’implique la situation et ce qui convient-; c’est, dans les discours, l’œuvre de l’art politique et de l’art rhétorique-: en effet les anciens poètes faisaient parler leurs personnages “politiquement”, ceux d’aujourd’hui les font parler “rhétoriquement” 25 .-» Même si Corneille utilise le mot «-sentiments-» au lieu de «-pensée-» dans sa paraphrase de cette remarque d’Aristote, il sent ou s’aperçoit que ce dernier attache beaucoup d’importance à la structuration rhétorique des passions quand les personnages tragiques parlent de leurs troubles de cœur. La Mesnardière, au contraire, veut que les personnages expriment librement ce qu’ils sentent sans être limités par les règles de la rhétorique ou du raisonnement logique. Ceci se manifeste clairement dans la citation suivante dans laquelle il demande à l’auteur dramatique de créer des personnages dont les paroles et les actions sont guidées par les sentiments qui résultent de leurs malheurs déplorables-: Il est donc fort nécessaire que notre poète [… ] donne à cette personne des sentiments qui lui conviennent, jugeant par ce premier principe auquel il se doit attacher jusqu’où un insigne malheur peut emporter cette grande âme et ce qu’elle peut sentir, dire, faire ou ne faire pas dans le pitoyable débris de sa fortune renversée. (Éd. Civardi, 2015, p. 343) 24 Voir ibid., p. 134. 25 Poétique, éd. et trad. B. Gernez, 2008, chap. 6, p. 27. DOI 10.24053/ OeC-2021-0003 39 Œuvres & Critiques, XLVI, 1 (2021) La Poétique de La Mesnardière : une lecture à rebours des concepts aristotéliciens Il est intéressant de constater que La Mesnardière place ici le verbe «-sentir-» au premier rang avant les mots «- dire- » et «- faire- » en soulignant de cette façon le rôle important que jouent, selon lui, les sentiments chez les personnages de la tragédie. La Mesnardière ne cesse donc de souligner l’importance qu’occupent les sentiments dans la conception des personnages de la tragédie, et ceci d’autant plus qu’il a consacré à ce sujet un des plus longs chapitres de sa Poétique 26 . Cependant, tout en prenant grand soin de suggérer qu’Aristote a déjà accordé la même importance à la sensibilité des personnages que luimême, il s’écarte en réalité sur ce point de la Poétique du Stagirite et adapte la conception des personnages dramatiques aux conditions psychologiques et sociales de son temps. Que la filiation que La Mesnardière cherche avec Aristote au sujet des sentiments des personnages tragiques soit imaginaire, montre l’exemple de Corneille qui a des difficultés à réconcilier la partie de la tragédie qu’il nomme «- sentiments- » d’après La Mesnardière avec le passage correspondant de la Poétique du Stagirite - et ceci à juste titre, car ce dernier est en effet loin de mettre les affects au centre de son intérêt quand il explique les traits caractéristiques de cette même partie qu’il appelle, lui, «- διάνοια -». C’est pourquoi la thèse s’impose que La Mesnardière, comme bon disciple d’Aristote, a fait, consciemment ou à son insu, de la tragédie aristotélicienne un théâtre des sentiments bien que cette orientation du théâtre tragique convienne plutôt à ses propres idées qu’à celles de son maître. Avec ce concept d’un théâtre des sentiments, il répond en réalité aux attentes du public de son temps, qui est surtout celui des honnêtes gens. Nous avons déjà mentionné que La Mesnardière a en vue ce groupe social important du XVII e siècle 27 comme lecteurs et lectrices de sa propre Poétique. Mais il veut aussi que les personnages de la tragédie se comportent comme des honnêtes gens, tel qu’on le voit déjà, selon lui, dans les tragédies des Anciens, et ceci non seulement chez les grands - rois et reines, princes et princesses - mais aussi parmi les personnages secondaires, eux de basse condition- : «- Toute l’ancienne tragédie, principalement la grecque, est pleine de messagers, de nourrices et de valets qui semblent fort honnêtes gens [… ].-» (Éd. Civardi, 2015, p. 349) Ceci implique que les mœurs représentées dans la tragédie devraient être celles des honnêtes hommes et femmes qui sont soucieux de respecter les bonnes manières-: 26 Dans l’éd. Civardi, 2015, le «-Chapitre IX- : Les Sentiments-» comporte 65 pages (p.-341-406), le «-Chapitre X-: Le Langage-» est de la même longueur (p.-407-469), seul le «-Chapitre VIII-: Les Mœurs-» les excède d’une trentaine de pages (p.-243- 339). Les autres des douze chapitres comportent entre 4 et 40 pages. 27 Voir le tour d’horizon récent sur ce phénomène social et culturel dans l’ouvrage collectif édité par Marcella Leopizzi, L’honnêteté au Grand Siècle-: belles manières et Belles Lettres, Tübingen, Narr Francke Attempto, «-Biblio 17, n o 221-», 2020. DOI 10.24053/ OeC-2021-0003 40 Rainer Zaiser Œuvres & Critiques, XLVI, 1 (2021) Le poète ne doit pas douter que les honnêtes gens qui fréquentent le théâtre ne soient étrangement choqués lorsqu’ils voient des sujets outrager leurs souverains, des héros faire des rudesses à des reines et à des dames, dont les plus simples villageois seraient à peine capables, et enfin des courtisans faillir dans la plupart des choses qui sont et de leur profession et de l’usage de la cour. (Éd. Civardi, 2015, p. 383-384) Sont donc à éviter les scènes de brutalité et de rudesse et à favoriser un héroïsme nourri par les malheurs, les tristesses et les souffrances d’une passion amoureuse pour former ce que Carine Barbafieri a appelé une «-tragédie élégiaque-» dont, selon elle, La Mesnardière est le plus important théoricien et défenseur au XVII e siècle 28 . Elle montre de façon convaincante que ce dernier préfère des sujets «-qui présentent des malheurs modérés, en particulier des tristesses nées de l’amour 29 -» à ceux qui tournent autour des actes cruels et monstrueux perpétués par les personnages de la tragédie ancienne. Pour soutenir cette thèse, Carine Barbafieri s’appuie sur plusieurs citations tirées de la Poétique de La Mesnardière. En voici une des plus pertinentes-: [… ] notre poète [dramatique] doit donner à ses amants un langage fort approchant de ces termes délicats et de ces façons languissantes que les Anciens [les poètes d’amour] ont pratiquées en semblables occasions, où ils me semblent plus polis que les plus galants des modernes [… ]. Qu’il voie avec combien d’adresse Catulle, Gallus et Properce [… ] charment l’esprit de leurs maîtresses et qu’il ne dédaigne pas d’apprendre de ces Anciens, très illustres en ces sujets, les manières d’exprimer les souffrances amoureuses. (Éd.-Civardi, 2015, p. 441-442) Le ton élégiaque réclamé par La Mesnardière pour la tragédie moderne provient donc de la poésie amoureuse des poètes anciens, surtout d’origine romaine, qui chantent avec désespoir et langueur un amour malheureux. À cela s’ajoute, selon La Mesnardière, une certaine pratique de se comporter et de s’exprimer conformément aux bonnes manières en matière d’amour, pratique de civilité qu’il rattache aux us et coutumes des honnêtes et galantes gens de son époque. Enfin, il confère tout ceci à la conception des personnages de la tragédie. Carine Barbafieri va jusqu’à dire que «-La Poétique de La Mesnardière constitue [… ] rien moins que le manifeste de la galanterie dans la tragédie 30 .-» 28 Voir Carine Barbafieri, «- La Mesnardière et la tragédie élégiaque- : du mineur au majeur-», Littératures classiques, n o 51, 2004, Le théâtre au XVII e siècle-: pratiques du mineur, sous la direction d’Hélène Baby et Christian Delmas, p. 269-283. 29 Voir Barbafieri, 2004, p. 277. 30 Ibid., p. 282. DOI 10.24053/ OeC-2021-0003 41 Œuvres & Critiques, XLVI, 1 (2021) La Poétique de La Mesnardière : une lecture à rebours des concepts aristotéliciens Tout compte fait, La Mesnardière a intérêt à élaborer le concept d’une tragédie qui, certes, se veut ancienne en ce qui concerne sa composition structurelle, mais qui s’entend moderne, à savoir enracinée dans l’actualité du XVII e siècle, pour ce qui est des mœurs, des sentiments, des passions, des troubles amoureux et des vicissitudes tragiques des personnages dramatiques 31 . C’est par cette voie qu’il parvient finalement à une nouvelle lecture de la fameuse catharsis aristotélicienne, lecture qui est, si paradoxale qu’il paraisse, plus proche du texte d’Aristote que le sont à ce propos les commentateurs qui l’ont précédé. Et pourtant la relecture que La Mesnardière apporte à la catharsis est plus moderne que celle de ces derniers. Nous nous expliquerons. Les mots-clés autour desquels tourne la définition de la catharsis dans la Poétique d’Aristote sont, on le sait, les fameux termes «- ἐλεος -» et «- φόβος -» 32 , que l’on est convenu de traduire en français par «- pitié- » et «- crainte- » 33 , respectivement, pour ce qui est de la seconde notion, par «-terreur-», «-horreur-» ou «-frayeur-» 34 . Cet usage remonte aux premiers traducteurs et commentateurs qui ont largement influencé le choix du vocabulaire de ceux qui les ont suivi dans cette entreprise au fil des siècles. Contentons-nous d’en citer seulement quelques-uns. Lodovico Castelvetro traduit en 1561 les termes «- ἐλεος -» et «- φόβος -» en italien par les mots suivants-: «-È dunque tragedia rassomiglianza d’azzione magnifica e compiuta, che abbia grandezza [… ] e oltre a ciò induca per misericordia e per ispavento [épouvante] purgazione di così fatte passioni 35 .-» Et Daniel Heinsius de reprendre en 1611 le même passage en traduction latine- : «- Tragœdia est seriae absolutaeque actionis, et quae justae magnitudinis sit, imitatio- ; [… ] per misericordiam et horrorem, eorundem expiationem affectuum inducit 36 . Dans 31 Voir à propos de plusieurs contextualisations du pathos que La Mesnardière réclame pour la tragédie de son temps les contributions suivantes parues dans Littératures classiques, n o 103, 2020- : Aurélia Sort, «- La Poétique de La Mesnardière et les passions tragiques- : art oratoire, ornement poétique et mimèsis dramatique- » (p.-59-71), Sabine Chaouche, «-La tragédie au prisme du genre. L’idée de masculinité d’après La Poétique de La Mesnardière-» (p.-73-82) et Jörn Steigerwald, «-Une tragédie pour le Louvre-: La Poétique de La Mesnardière-» (p.-83-91). 32 Voir Poétique, éd. et trad. B. Gernez, 2008, chap. 6, p. 20. 33 Voir ibid., chap. 6, p. 21. 34 Voir à propos des traductions différentes du mot «- φόβος - » dans les éditions françaises de la Poétique d’Aristote au XX e siècle ainsi que dans les traductions et commentaires des siècles précédents l’article de Jean Émelina, «-Les avatars de la catharsis-», Australian Journal of French Studies, vol. XXXIII, n o 3, 1996, p. 308-329, notamment p. 308-313. 35 Lodovico Castelvetro, Poetica d’Aristotele vulgarizzata e sposta, a cura di Werther Romani, Roma-Bari, Laterza, 1978, 2 vol., vol. I, p. 155. Nous soulignons. 36 Heinsius, De Constitutione Tragoediae, éd. Duprat, op. cit. (note 1), p. 132. Nous soulignons. DOI 10.24053/ OeC-2021-0003 42 Rainer Zaiser Œuvres & Critiques, XLVI, 1 (2021) son «-Discours de la tragédie-», Jean-François Sarasin, traduit, en revanche, le mot «- φόβος -» par «-terreur-»-: «-La tragédie est l’imitation d’une action sérieuse, complète et juste dans sa grandeur, qui [… ] excit[e] la pitié et la terreur [… ] 37 .- » Deux décennies ultérieures à la parution de ce discours, Corneille préfèrera comme traduction du mot «- φόβος -» l’expression «-crainte-» aux termes «-terreur-» et «-horreur-» dans son propre Discours de la tragédie-: «-la tragédie a celle-ci [cette utilité] de particulière, que par la pitié et la crainte elle purge de semblables passions 38 .-» Dans La Dramaturgie de Hambourg, Lessing rejette expressément le mot «-terreur-» et le remplace par «- crainte- »- : «- Das Wort, welches Aristoteles braucht, heißt Furcht- : Mitleid und Furcht, sagt er, soll die Tragödie erregen-; nicht Mitleid und Schrecken 39 .-» [Le mot employé par Aristote signifie crainte-: que la tragédie suscite la pitié et la crainte, dit-il, non pas la pitié et la terreur.] Au XIX e siècle, Hegel choisit les mêmes notions dans son Esthétique- : «- Aristoteles [hat] bekanntlich die wahrhafte Wirkung der Tragödie darein gesetzt, daß sie Furcht und Mitleid erregen und reinigen solle 40 .-» [Aristote, on le sait, a voulu que le véritable effet de la tragédie soit la crainte et la pitié ainsi que la purgation de ces mêmes affects.] Et enfin, citons une traduction française de la Poétique d’Aristote qui date de la deuxième moitié du XX e siècle et fait encore autorité aujourd’hui-: «-Et, en représentant la pitié et la frayeur, elle [la tragédie] réalise une épuration de ce genre d’émotions 41 .-» Ce panorama sélectif des traductions d’«- ἐλεος - » et de «- φόβος - » nous apprend que la traduction d’«- ἐλεος - » est relativement stable - à part «-pitié- », il n’existe que la variante «- misericordia- », qui a une connotation plus empathique que le terme «- pitié- » -, tandis que celle de «- φόβος - » se scinde en plusieurs mots qui impliquent, chacun, différents degrés en ce qui concerne l’intensité de l’affect en question-: sur le plan sémantique, les mots «-crainte-», «-frayeur-», «-terreur-», «-spavento-» et «-horreur-» montrent en effet une progression du choc vécu au moment où se produit l’événement susceptible de susciter la crainte. Reste tout de même à savoir quelles sont les personnes qui sont hantées par la pitié et la crainte et subissent ensuite 37 Sarasin, «-Discours de la tragédie-», op. cit. (note 22), p. 4. Nous soulignons. 38 Corneille, Œuvres complètes, III, op. cit. (note 23), p. 142. Nous soulignons en gras. 39 Gotthold Ephraim Lessing, Hamburgische Dramaturgie, Vierundsiebzigstes Stück. Den 15. Januar 1768, dans Gesammelte Werke in drei Bänden, vol. II, Gütersloh, Bertelsmann, 1966, p.-588. Nous soulignons. 40 Georg Wilhelm Friedrich Hegel, Vorlesungen über die Ästhetik, III, Werke, vol.- 15, Frankfurt, Suhrkamp, 1970, p. 524. Nous soulignons en gras. 41 Aristote, La Poétique, le texte grec, avec une traduction et des notes de lecture par Roselyne Dupont-Roc et Jean Lallot, Paris, Éditions du Seuil, 1980, chap. 6, p. 53. Nous soulignons. DOI 10.24053/ OeC-2021-0003 43 Œuvres & Critiques, XLVI, 1 (2021) La Poétique de La Mesnardière : une lecture à rebours des concepts aristotéliciens une purgation ou une épuration 42 des passions ou émotions en question- : sont-ce les personnages dramatiques ou les spectateurs et spectatrices 43 - ? Et de quelles passions ou émotions s’agit-il-: sont-ce simplement la pitié et la crainte ou toutes celles qui entraînent le héros ou l’héroïne dans le malheur-? Corneille s’est très bien aperçu des lacunes que le texte aristotélicien laisse en ce qui concerne les réponses à ces questions-: [… ] les termes dont Aristote se sert dans sa définition [… ] nous apprennent deux choses. L’une, qu’elle excite la pitié et la crainte- ; l’autre, que par leur moyen elle purge de semblables passions. Il explique la première assez au long, mais il ne dit pas un mot de la dernière, et de toutes les conditions qu’il emploie en cette définition, c’est la seule qu’il n’éclaircit point 44 . Pourtant, Corneille n’hésite pas à faire «-quelques conjectures-» sur le fonctionnement de la purgation qu’Aristote a laissé dans l’obscurité-: [… ] la pitié embrasse l’intérêt de la personne que nous voyons souffrir, la crainte qui la suit regarde le nôtre, et ce passage seul nous donne assez d’ouverture, pour trouver la manière dont se fait la purgation des passions dans la tragédie. La pitié d’un malheur où nous voyons tomber nos semblables, nous porte à la crainte d’un pareil pour nous-; cette crainte au désir de l’éviter-; et ce désir à purger, modérer, rectifier, et même déraciner en nous la passion qui plonge à nos yeux dans ce malheur les personnes que nous plaignons- : par cette raison commune, mais naturelle et indubitable, que pour éviter l’effet il faut retrancher la cause 45 . Corneille considère donc la pitié et la crainte comme des réactions affectives que les spectateurs et spectatrices subissent face aux malheurs qui arrivent aux personnages d’une tragédie. Il est convaincu que ceux et celles qui assistent à la représentation de ces malheurs ne sont pas seulement touchés de compassion pour le malaise des personnages dramatiques, mais craignent aussi d’être victimes à leur tour du même sort funeste au cas où ils ne réussiraient pas à contrôler leurs propres passions et notamment celles qui sont 42 Voir à propos de l’ambivalence du mot grec «- χάϑαρσις -» l’article de Jean Émelina, «- Corneille et la catharsis- », Littératures classiques, n o 32, janvier 1998, Corneille, Cinna, Rodogune, Nicomède, p. 105-120, p. 105-106- : «- Au XVII e siècle, catharsis avait pour équivalent purgation. Le terme grec a aussi «-pur-» pour racine. Il signifie «-purger-», «-purifier-», au sens médical et non pas moral du terme […].-» 43 Voir aussi Émelina, 1996, p. 309- : «- Qui, enfin, est concerné- ? Le spectateur, le héros ou les deux ensemble-? -» 44 Corneille, Œuvres complètes, III, op. cit., p. 142. 45 Ibid., p. 142-43. DOI 10.24053/ OeC-2021-0003 44 Rainer Zaiser Œuvres & Critiques, XLVI, 1 (2021) responsables de l’échec écrasant dont souffrent leurs semblables sur scène. Selon Corneille, cette crainte fait comprendre aux spectateurs et spectatrices qu’il leur faut absolument esquiver ou, si ce n’est pas possible, apaiser, épurer, voire extirper en leur for intérieur les passions qui occasionnent le mal des personnages sur scène. C’est ainsi que fonctionne aux yeux de Corneille la purgation des passions. En dernière analyse, il fait de la catharsis un concept psychologique et moral qui trouvera, par ailleurs, un long écho dans l’exégèse de la Poétique du Stagirite au fil des siècles. Mais étant donné que ce dernier ne s’est pas exprimé clairement sur les mécanismes de la purgation, l’explication que Corneille donne de la catharsis n’est qu’une interprétation parmi d’autres. La Mesnardière, par exemple, l’a expliquée bien différemment de son contemporain en développant un concept du tragique qui se nourrit surtout de passions amoureuses. C’est ainsi que La Mesnardière a créé en théorie une tragédie qui devait devenir en pratique celle de Racine, et non seulement de celui-ci- : Carine Barbafieri démontre dans son article sur la tragédie élégiaque que le concept du théâtre tragique présenté par La Mesnardière dans sa Poétique a connu au XVII e siècle une certaine continuité qui va des pièces d’Isaac de Benserade et de Gabriel Gilbert à celles de Philippe Quinault et de Nicolas Pradon 46 . L’idée d’une tragédie où les souffrances de l’amour sont supposées marginaliser les horreurs des crimes abominables a considérablement changé la conceptualisation de la catharsis chez La Mesnardière. Emmanuelle Hénin va jusqu’à parler d’une «-catharsis galante-» qui «-modifie en profondeur la réception de la tragédie, puisque l’effet tragique n’est plus formulé en termes moraux, de purgation ou de modération des passions, mais en termes entièrement sentimentaux (larmes, transport, tendresse) [… ] 47 .-» Cette thèse est entre autres conforté dans le fait que La Mesnardière préfère l’effet de la pitié à celui de la crainte ou de la terreur-: Encore que la tragédie doive exciter la compassion et produire la terreur, comme ses effets légitimes, le poète doit tâcher pourtant que la terreur soit beaucoup moindre que les sentiments de pitié. (Éd.-Civardi, 2015, p. 174) Tout en acceptant que la terreur fait partie des «-effets légitimes-» de la tragédie, La Mesnardière ne peut s’empêcher de diminuer l’importance de cet effet, et ceci non seulement quantitativement, mais aussi qualitativement, comme le révèle la citation suivante-: 46 Voir Barbafieri, 2004, art. cit. (note 28), p. 282-283. 47 Voir son article «- Le plaisir des larmes, ou l’invention d’une catharsis galante- », Littératures classiques, n o 62, été 2007, Le langage des larmes aux siècles classiques, sous la direction d’Adélaïde Cron et Cécile Lignereux, p. 223-244, la citation p. 223. DOI 10.24053/ OeC-2021-0003 45 Œuvres & Critiques, XLVI, 1 (2021) La Poétique de La Mesnardière : une lecture à rebours des concepts aristotéliciens Ce n’est pas que la terreur ne soit utile sur la scène-; mais comme elle est désagréable et qu’elle ne doit régner que dans les sujets horribles qui exposent le châtiment des parricides, des incestes et des crimes de cette espèce, il vaut mieux que la compassion, qui est un sentiment plus doux et qui naît des calamités des personnes imparfaites, moins coupables que malheureuses, fasse impression sur les esprits et que même elle y domine jusque à tirer des larmes. (Éd.-Civardi, 2015, p. 174) Voilà donc une stratégie qui vise à adoucir les effets «-désagréables-» résultant des «-sujets horribles-» de la tragédie. Va de pair avec ceci la préférence pour des scènes pitoyables fondées sur les grandes infortunes personnelles et ressortant de «-sentiments plus doux-» et «-moins coupables-» que ceux qui sont engendrés par les grands crimes commis bon gré mal gré par les personnages de la tragédie ancienne. Les «-sentiments plus doux-» qui sont digne de la tragédie moderne sont en revanche, selon La Mesnardière, «-les grands mouvements de l’âme, comme la douleur, la colère, l’amour et la jalousie- » (Éd.-Civardi, 2015, p. 407), qui, eux, sont capables d’amener les personnages aussi bien que les spectateurs et spectatrices à pleurer à chaudes larmes. Ce sont en fait, selon lui, ces passions-là qui méritent la compassion et c’est l’amour qui joue parmi elles le rôle le plus important, ne fût-ce que par le fait que les autres passions mentionnées dans ce contexte en découlent-: «-la douleur-», «-la colère-» et «-la jalousie-»-: Que si le poète demande comment il faut exprimer la première de ces passions, je lui répondrai que l’amour désire d’être expliqué par des termes doux et soumis, languissants et pitoyables-; que la meilleure manière pour réussir en ces folies est d’émouvoir la pitié en la personne qu’on adore-; que ces maladies de l’esprit se glissent admirablement par la voie de la douceur-; et que cet aimable poison agit très [… ] efficacement dessus un cœur amolli et sur une âme attendrie par une compassion perfide et qui va troubler son repos. (Éd.-Civardi, 2015, p. 436-437) L’amour tragique qui est susceptible de susciter la compassion se caractérise donc selon La Mesnardière par l’antagonisme entre la douceur d’un sentiment amoureux qui nourrit l’espoir d’être assouvi et la langueur, la maladie ou la folie de l’esprit troublé par un obstacle qui empêche l’accomplissement du même désir. Cet obstacle est la personne aimée qui refuse, ignore ou fuit la passion du soupirant ou de la soupirante. C’est pourquoi, ce dernier ou cette dernière cherche avec une rhétorique douce autant qu’élégiaque à susciter la compassion de la personne aimée afin d’attendrir le «-cœur-» de celle-ci et de «-troubler son repos-», une tentative qui est un tant soit peu «-perfide-» parce que «-c’est par cette voie [rusée], explique La Mesnardière, DOI 10.24053/ OeC-2021-0003 46 Rainer Zaiser Œuvres & Critiques, XLVI, 1 (2021) qu’on amollit la dureté de l’âme la plus insensible.- » (Éd.- Civardi, 2015, p. 442) Pourtant, la poétique de la compassion ne concerne pas seulement les personnages dramatiques. La Mesnardière déclare, au contraire, que «-la pitié [… ] doit avoir l’ascendant sur tous les mouvements tragiques et faire fendre tous les cœurs par ses expressions lugubres- » (Éd.- Civardi, 2015, p. 179). Avec ce constat, il suggère qu’il y va aussi de l’état affectif des spectateurs et spectatrices. Il deviendra plus formel à ce propos dans plusieurs passages qui suivent plus loin dans la démarche de son raisonnement. En voici les plus importants-: [Il faut] apprendre à notre poète que ce sont des sentiments pleins de tristesse et de douleur dont notre âme est agitée à la réception des objets que le poème lui fournit, soit par l’oreille ou par les yeux, quand il fait voir ou qu’il raconte quelques actions pitoyables. (Éd.-Civardi, 2015, p. 215) Il va de soi que l’invitation au poète d’agiter «-notre âme-» est une généralisation qui implique notamment la réaction des spectateurs et spectatrices assistant «- par l’oreille ou par les yeux- » à la présentation des tristesses et douleurs des personnages dramatiques. Que cette participation affective du public à la représentation théâtrale soit une compassion au sens propre du mot, à savoir un véritable acte de partage des peines dont souffrent les personnages, se révèle encore plus nettement dans les citations suivantes-: [… ] le poète doit considérer qu’il ne sera point estimé dans ses aventures tragiques s’il ne sait admirablement l’art d’exciter la compassion- ; et il doit encore comprendre qu’il ne réussira pas dans cet article important si la disposition des choses qu’il touchera dans ses poèmes ne fait répandre des larmes à la plupart des spectateurs. (Éd.-Civardi, 2015, p.-219) Car étant certain que le poète doit tendre principalement à émouvoir la pitié, il faut qu’il écrive des choses qui touchent extrêmement et que l’acteur les anime par une expression réelle de gémissements et de pleurs dans les endroits où ils sont propres, s’il veut que le spectateur le récompense par des larmes, qui sont le plus noble salaire que demande la tragédie. (Éd.- Civardi, 2015, p. 226) Selon La Mesnardière, «- l’art d’exciter la compassion- » a finalement pour objectif de provoquer les larmes des spectateurs et spectatrices. De ce point de vue, l’identification de ces derniers avec les souffrances des dramatis personae n’est pas simplement un acte de complicité intellectuelle qui pousse DOI 10.24053/ OeC-2021-0003 47 Œuvres & Critiques, XLVI, 1 (2021) La Poétique de La Mesnardière : une lecture à rebours des concepts aristotéliciens les spectateurs et spectatrices à déplorer les troubles des personnages tragiques dans une situation qui les confronte à un mal inéluctable, mais aussi et surtout un acte physiologique qui leur fait vraiment sentir comment les effets de ces maux agissent sur leurs propres corps. Les larmes en sont les signes visibles. En outre, il est intéressant de noter que La Mesnardière confère à l’effet de la terreur ou de la crainte la même vigueur empathique qu’à celui de la compassion ou de la pitié. Dans le premier cas, il se voit de surcroît confirmé par Aristote même, parce qu’il est convaincu que le terme «- φόβος -» a été mal compris et mal traduit par tous les commentateurs et traducteurs qui ont légué depuis le XVI e siècle les concepts poétiques du Stagirite aux théoriciens et aux auteurs dramatiques de son temps-: Tel est le sens du philosophe puisque, cherchant un synonyme qui revienne au verbe φόβειν afin de varier sa phrase, il emploie celui de φρίττειν , qui signifie frissonner [Poétique, XIV, 1453 b 5], étant tiré du mot φρίζ , qui exprime le frisson attaché à certaines fièvres et d’où sans doute est venu le frigere des Latins, qui a fait notre mot français. De là nous devons inférer que ce qu’il entend par φόβος n’est point à proprement parlé ce que nous appelons horreur, sentiment mêlé de dégoût, de mépris et d’aversion, mais qu’il veut dire la terreur, l’épouvantement et la crainte qui causent le transissement, nommé horror chez les Latins. Car lorsqu’ils emploient ces termes, horresco referens, ils disent la même chose que s’ils se servaient de ceux-ci-: gelidos tremor occupat artus [… ]. (Éd.-Civardi, 2015, p. 176) Il est évident que La Mesnardière entend le terme «- φόβος -» dans le sens de «-frisson-» ou de «-tremor-» en latin, mots qui tous les deux soulignent le côté physiologique de la crainte. «- Φόβος -» ne réfère donc pas, selon lui, à une crainte pure et simple qui pousse les spectateurs et spectatrices à développer intellectuellement une «-aversion-» contre les actions immondes des personnages dramatiques, mais à un tremblement de leur corps, tel que le provoquent, par exemple, la fièvre ou le froid. C’est donc un véritable «-transissement- » du corps que La Mesnardière veut que les spectateurs et spectatrices éprouvent face aux actions furieuses des personnages tragiques pour revivre en leur for intérieur la douleur, le désespoir, la jalousie, la rage et la folie que ces derniers ressentent eux aussi. DOI 10.24053/ OeC-2021-0003 48 Rainer Zaiser Œuvres & Critiques, XLVI, 1 (2021) Le philologue allemand Manfred Fuhrmann, professeur de lettres classiques à l’Université de Constance de 1966 à 1990, a souligné, dans sa traduction de la Poétique aristotélicienne parue en 1982 48 , l’importance primordiale de l’aspect profondément touchant et bouleversant qu’implique les termes «- ἐλεος - » et «- φόβος - » chez Aristote. C’est pourquoi il traduit les notions en question par «-Jammer und Schaudern 49 -», id est «-lamentations-» et «- frémissements- ». Les significations de ces termes sont très proches de l’interprétation que La Mesnardière a déjà donnée au XVII e siècle de l’usage de ces deux mots grecs dans la version originale de la Poétique. Fuhrmann signale que le terme «- ἐλεος -» désigne en grec ancien une forte émotion qui touche le système végétatif de l’homme et se manifeste à l’écoute d’autrui par des complaintes et des criailleries 50 . Selon Fuhrmann, cette sensation intérieure et ses manifestations extérieures naissent d’un mal qui s’empare soudainement du personnage tragique et le conduit à la ruine. À partir du moment où les spectateurs et spectatrices s’aperçoivent que le mal dont souffrent les dramatis personae est immérité, ils compatissent à leurs misères en éprouvant les mêmes douleurs et la même disposition aux jérémiades et aux pleurs que leurs semblables sur scène, de peur d’être hantés dans leur vie par le même mal que ces derniers 51 . En ce qui concerne la signification de «- φόβος -», Fuhrmann renvoie, tout comme La Mesnardière, au terme de «- φρίττειν -». Aristote l’utilise comme synonyme verbal de «- φόβος -» dans la formule «- φρίττειν καὶ ἐλεεῖν 52 -» au chapitre 14 de la Poétique (1453 b 5). Fuhrmann traduit «- φρίττειν -» en allemand par «-erschaudern 53 -». Ce verbe correspond au mot français «-frissonner-». C’est avec ce mot que La Mesnardière explique le sens de «- φόβος -» qui acquiert par là une connotation plus pathétique au sens physio-psychologique du terme que l’expriment les seuls mots «-crainte-» et «-terreur-». 48 Voir Aristoteles, Poetik, Griechisch/ Deutsch, übersetzt und herausgegeben von Manfred Fuhrmann, Stuttgart, Reclam, 1982. 49 Voir ibid., p. 19-: «-Die Tragödie ist Nachahmung […] von Handelnden und nicht durch Bericht, die Jammer und Schaudern hervorruft und hierdurch eine Reinigung von derartigen Erregungszuständen bewirkt.-» (Nous soulignons) 50 Voir ibid., «-Nachwort-» [Postface], p. 162-: «-Das Wort Eleos läßt sich am besten durch ‘Jammer’ oder ‘Rührung’ wiedergeben-: es bezeichnete stets einen heftigen, physisch sich äußernden Affekt und wurde oft mit den Ausdrücken für Klagen, Zetern und Wehgeschrei verbunden.-» 51 Voir ibid., «-Nachwort-» [Postface], p. 162-: «-Eleos sei der Verdruß über ein großes Übel, das jemanden treffe, der es nicht verdient habe-; wer Eleos empfinde, nehme an, daß das Übel auch ihn selbst oder eine ihm nahestehende Person treffen könne.-» 52 Poétique, éd. et trad. B. Gernez, 2008, chap. 14, p. 50. 53 Voir Aristoteles, Poetik, éd. Fuhrmann, «-Nachwort-» [Postface], p. 163-: «-[…] eine Stelle der Poetik ersetzt den Begriff durch das Synonym φρίττειν , ‘erschaudern’-». DOI 10.24053/ OeC-2021-0003 49 Œuvres & Critiques, XLVI, 1 (2021) La Poétique de La Mesnardière : une lecture à rebours des concepts aristotéliciens Mais en quoi consiste à proprement parler la catharsis qui est en dernière analyse la fin des «- lamentations- » et des «- frémissements- » destinés à accaparer les spectateurs et spectatrices dans la salle de théâtre à l’instar des personnages tragiques sur scène-? Le texte de la Poétique, nous l’avons mentionné, est peu clair à ce propos. Pourtant, Manfred Fuhrmann est convaincu que ni une épuration morale selon les normes d’une éthique religieuse ou sociale, ni une purgation curative selon l’ancienne médecine des quatre humeurs ne jouent un rôle capital dans le concept de la catharsis suggéré par Aristote 54 . Il met en avant, au contraire, le plaisir esthétique qui s’empare des spectateurs et spectatrices à la vue d’un spectacle qui les invite à partager les émotions des personnages souffrants 55 . Une telle interprétation de la catharsis n’est pas loin de ce que Aristote affirme dans le passage suivant de sa Poétique-: [… ] en effet, ce n’est pas tout type de plaisir qu’il faut chercher dans la tragédie, mais celui qui lui est propre. Et puisque le poète doit susciter le plaisir qui vient de la crainte et de la pitié par le biais de l’imitation, il est clair qu’il doit produire cela au moyen des faits. Voyons donc parmi les événements lesquels paraissent terribles et lesquels semblent pitoyables. [… ] les cas où les événements pathétiques surgissent au sein des alliances, [… ] c’est cela qu’il faut rechercher 56 . Mis à part que les «- événements pathétiques- » dignes de figurer dans une tragédie sont ceux qui se produisent parmi des personnes liées les unes aux autres par une alliance familiale, amicale ou amoureuse, le propre de la tragédie réside, selon Aristote, dans le fait que l’excitation de la crainte et de la pitié auprès des spectateurs et spectatrices sert paradoxalement à leur faire prendre du plaisir à un spectacle qui est supposé les toucher sensiblement au fond de leur cœur et les libérer simultanément par-là de ces mêmes affects. La Mesnardière, certes, ne souligne pas tellement cet effet de plaisir que Fuhrmann découvre à juste titre dans la catharsis aristotélicienne, mais il apprécie le caractère esthétique, voire sublime des affects qui touchent en les tenant pour la partie la plus belle et la plus noble de la fable tragique-: 54 Voir ibid., «-Nachwort-» [Postface], p. 164-65. 55 Voir ibid., «-Nachwort-» [Postface], p. 165-: «-Diese Darlegungen erläutern die Lehre von den Wirkungen der Tragödie. Die orgiastische, Entspannung verschaffende Musik appelliert an die Affekte, zumal an Jammer und Schaudern, und sie bewirkt eine mit Lust verbundene Katharsis. Dasselbe gilt offenbar für die Tragödie-: auch sie verschafft dem Publikum Gelegenheit, bestimmten Affekten freien Lauf zu lassen, und bereitet ihm durch diese Entladung Vergnügen.-» 56 Poétique, éd. et trad. B. Gernez, 2008, chap. 14, p. 51-53. DOI 10.24053/ OeC-2021-0003 50 Rainer Zaiser Œuvres & Critiques, XLVI, 1 (2021) Voyons les troubles de l’âme, qui sont [… ] la première beauté de la poésie dramatique. (Éd. Civardi, 2015, p.-215) [… ] il faut qu’il [le poète] écrive des choses qui touchent extrêmement et que l’acteur les anime par une expression réelle de gémissement et de pleurs [… ], s’il veut que le spectateur le récompense par des larmes, qui sont le plus noble salaire que demande la tragédie. (Éd. Civardi, 2015, p.-226) En somme, avec son interprétation de la catharsis, La Mesnardière s’éloigne des concepts de la pitié et de la crainte tels que les avaient conçus les traducteurs et commentateurs italiens de la Poétique aristotélicienne à la Renaissance et tels que les ont repris leurs successeurs français au XVII e siècle. Ce n’est pas que La Mesnardière abandonne entièrement les termes «- pitié et crainte- » ou «- compassion et terreur- », mais il leur confère une connotation qui fait émerger la partie radicalement sensitive de ces émotions dans le but d’adapter la tragédie au goût du public de son temps. Paradoxalement, cette démarche pour moderniser la catharsis est plus proche d’Aristote que ne le sont à ce propos la plupart des théoriciens dramatiques contemporains de La Mesnardière, qui, eux, restent fidèles sur ce point à ce que leurs prédécesseurs italiens leur ont transmis-: ils considèrent la pitié et la crainte comme une prédisposition notamment mentale de l’homme. À partir d’une lecture attentive du texte original de la Poétique, La Mesnardière s’aperçoit, en revanche, du potentiel sensitif que comportent les termes «- ἐλεος -» et «- φόβος -» chez Aristote. C’est ainsi que La Mesnardière révèle les soubassements physiologiques qui accompagnent la pitié et la crainte dans la conceptualisation de la catharsis chez le Stagirite. Néanmoins, ces deux émotions humaines sont tout d’abord, il est vrai, le résultat d’un raisonnement des personnages tragiques sur leur situation conflictuelle, mais c’est grâce aux complaintes, aux larmes, aux cris et aux folies qui les gagnent de plus en plus lors de ce raisonnement que les spectateurs et spectatrices sont amenés à ressentir au sein de leur propre corps comment la douleur commence à pénétrer les personnages jusqu’à la moelle de leurs os. Les larmes et les frissons deviennent ainsi l’expression de ces mobiles intérieurs de l’un et de l’autre côté de la scène. Une telle poétique qui touche particulièrement la sensibilité des personnages autant que du public de théâtre présuppose une tragédie qui évite les atrocités et les horreurs et met en scène les tristesses et les souffrances d’un amour inassouvi plutôt que le choc de meurtres et de crimes. Une tragédie de ce genre s’adresse surtout à un public d’honnêtes gens, de galants hommes et de galantes femmes, et elle atteint au XVII e siècle son apogée avec le théâtre des passions de Racine dont il suffit de rappeler la fameuse remarque souvent citée d’après la préface de Bérénice-: «-La principale Règle est de plaire et de toucher. Toutes les autres ne sont faites DOI 10.24053/ OeC-2021-0003 51 Œuvres & Critiques, XLVI, 1 (2021) La Poétique de La Mesnardière : une lecture à rebours des concepts aristotéliciens que pour parvenir à cette première 57 .-» Ou disons-le avec les mots de Georges Forestier sur le tragique de Racine- : «- la tragédie racinienne ne recherche pas le tragique, au sens où nous l’entendons aujourd’hui, mais le tragique au sens d’exacerbation des émotions, c’est-à-dire, à proprement parler, le pathétique 58 .-» Une trentaine d’années avant Racine, La Mesnardière a déjà donné à ce pathétique une place prépondérante dans la tragédie grâce à une relecture soigneuse de l’original de la Poétique d’Aristote, relecture qui va parfois à rebours de l’un ou de l’autre des concepts aristotéliciens qui circulaient à la première modernité. Cependant, ces concepts n’étaient pas en vérité une reproduction absolument fidèle des pensées poétologiques d’Aristote, mais des interprétations enclines à ajuster ces dernières - souvent en menus détails - aux phénomènes sociaux, politiques, moraux ou poétologiques de l’époque à laquelle elles sont nées. Dans les années 1630, par exemple, la Poétique d’Aristote sert à maints auteurs et théoriciens du théâtre ou à critiquer les nouveaux genres de la tragi-comédie et de la pastorale dramatique ou à les légitimer, comme je l’ai montré ailleurs 59 . La Mesnardière, lui, va dans une autre direction avec sa Poétique- : il profite d’un aspect de la catharsis aristotélicienne, ignoré à son époque, pour fonder une tragédie qui appelle la sensibilité des personnages dramatiques aussi bien que celle des spectateurs et spectatrices et emprunte à cette fin le thème de l’amour malheureux non seulement à la poésie élégiaque de l’Antiquité, comme Carine Barbafieri l’a constaté 60 , mais aussi aux tragi-comédies et aux pastorales qui sont en plein essor au moment où La Mesnardière a rédigé son ouvrage. C’est ainsi qu’il a contribué à former une théorie dramatique qui adapte la tragédie ancienne au goût moderne d’un public qui se compose pour une large partie d’honnêtes et de galantes gens. 57 Préface de Bérénice, dans Racine, Œuvres complètes, I, Théâtre-Poésie, édition présentée, établie et annotée par Georges Forestier, Paris, Gallimard, «-Bibliothèque de la Pléiade-», 1999, p. 452. 58 Georges Forestier, La tragédie française. Règles classiques, passions tragiques, 2 e édition, Paris, Arman Colin, «-Collection U-», 2016, p. 282. Voir aussi Christian Biet qui examine la poétique des larmes comme signe du caractère éminemment pathétique du tragique racinien dans son article «-La passion des larmes- », Littératures classiques, n o 26, janvier 1996, Les tragédies romaines de Racine- : Britannicus, Bérénice, Mithridate, p. 167-83, notamment p. 174- : «- […] fusion des comédiens avec leur rôle, fusion de certains rôles avec d’autres, fusion des spectateurs avec les personnages, fusion des spectateurs avec les comédiens, et fusion des spectateurs entre eux. Mélange, partage, échange, cette économie des larmes - nouveau code de circulation sensible, mise en scène de la douleur collective - est le principe sur lequel la tragédie racinienne repose au XVII e siècle.-» 59 Voir mon article «- Tragédie, tragi-comédie, pastorale et règles aristotéliciennes- : une relation compliquée et ambiguë autour de 1630- », Cahiers de l’Association Internationale des Études françaises, n o 73, 2020, p. 187-204. 60 Voir Barbafieri, 2004, art. cit. (note 28). DOI 10.24053/ OeC-2021-0003 52 Rainer Zaiser Œuvres & Critiques, XLVI, 1 (2021) Bibliographie Sources primaires Aristote, La Poétique, bilingue, le texte grec, avec une traduction et des notes de lecture par Roselyne Dupont-Roc et Jean Lallot, Paris, Éditions du Seuil, 1980. Aristote, Poétique, traduction, introduction et notes de Barbara Gernez, troisième tirage, Paris, Les Belles Lettres, 2008. 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Depuis 1652 jusqu’à 1700, par l’abbé d’Olivet, par MM. Pellisson et d’Olivet, Paris, Coignard, 1743 [Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France]. La Mesnardière, Hippolyte Jules Pilet de, La Poétique, édition critique par Jean-Marc Civardi, Paris, Honoré Champion, «-Sources classiques, n o 120-», 2015. La querelle du Cid (1637-1638), édition critique intégrale par Jean-Marc Civardi, Paris, Champion, «-Sources classiques, n o 52-», 2004. Lessing, Gotthold Ephraim, Hamburgische Dramaturgie, Vierundsiebzigstes Stück. Den 15. Januar 1768, dans Gesammelte Werke in drei Bänden, vol. II, Gütersloh, Bertelsmann, 1966. Racine, Jean, Œuvres complètes, I, Théâtre-Poésie, édition présentée, établie et annotée par Georges Forestier, Paris, Gallimard, «-Bibliothèque de la Pléiade-», 1999. 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