eJournals Papers on French Seventeenth Century Literature 49/96

Papers on French Seventeenth Century Literature
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
10.24053/PFSCL-2022-0008
2022
4996

La Vie du P. de Condren par Amelote. Traduire une doctrine spirituelle dans une approche biographique

2022
Charles Berger de Gallardo
PFSCL XLIX, 96 DOI 10. / PFSCL-2022-0008 La Vie du P. de Condren par Amelote. Traduire une doctrine spirituelle dans une approche biographique C HARLES B ERGER DE G ALLARDO , FSSP (I NSTITUT C ROIX DES V ENTS , S ÉES ) « Le Père de Condren est, dans l’École Française, le grand docteur du sacrifice 1 ». C’est dire s’il a donné une couleur sacrificielle à la doctrine de son illustre prédécesseur à la tête de l’Oratoire, Pierre de Bérulle. Selon ce dernier, l’imitatio Christi à laquelle tout chrétien est appelé, porte tout d’abord sur la conformité de ses dispositions intérieures avec les « états du Christ ». Les actes du Christ ne sont en effet pas imitables selon l’intégralité de leur réalisation historique, mais ils constituent autant de manifestations extérieures des dispositions intérieures du Verbe Incarné, auxquelles le chrétien doit, avec la grâce de Dieu, devenir conforme. Fidèle à cette idée fondatrice, Charles de Condren a concentré son attention sur l’acte le plus élevé qu’a accompli le Christ, acte auquel sont ordonnés tous les autres, son sacrifice sur la croix et, corrélativement, sur la disposition intérieure que cet acte contient et manifeste, une disposition de victime. Imiter le divin Maître, pour le père de Condren, c’est donc essentiellement se conformer à cette disposition, à cet état intérieur de victime offerte en sacrifice, état d’immolation et d’anéantissement devant la majesté divine. On comprend ainsi pourquoi son biographe, Denis Amelote s’attache à décrire les dispositions intérieures que Dieu opère en l’âme de celui qu’il raconte. Il s’agit de montrer que la grâce divine a fait de cet homme un saint en conformant son esprit à l’état même qui régnait dans l’âme de la divine Victime à l’heure du sacrifice rédempteur. L’introspection n’est plus seulement un élément plus au moins accidentel d’une vie de saint, elle est la clef même pour comprendre comment son auteur « traduit » une doctrine spirituelle dans une approche biographique. 1 Jean Galy, Le sacrifice dans l’École française de spiritualité, Paris, 1951, p. 109. Charles Berger de Gallardo, FSSP PFSCL XLIX, 96 DOI 10. / PFSCL-2022-0008 160 1 Éléments biographiques 1.1 Le sujet : Charles de Condren 2 Charles de Condren (1588-1641) fut le successeur du cardinal Pierre de Bérulle à la tête de la congrégation de l’Oratoire de Jésus, qu’il dirigea de 1629 à sa mort. Bien que ses parents l’eussent voué à Dieu dès avant sa naissance 3 , son père, oublieux de cette pieuse intention le destinait à la carrière des armes, au point que, convaincu de sa vocation au sacerdoce, il devait étudier en cachette les Saintes Écritures, les Pères de l’Église et Thomas d’Aquin. Il ne dut qu’à la maladie le revirement de l’autorité paternelle, qui consentit à son entrée dans les ordres 4 . Il fut ordonné prêtre en 1614 et entra en 1617 à l’Oratoire. Il s’adonna tout d’abord à la prédication et aux conférences contre l’hérésie, puis à la fondation de maisons, enfin à la direction de séminaires. Il fut aussi à l’origine de la fondation de la Compagnie du Saint-Sacrement du baron de Renty. C’était alors un directeur apprécié et recherché, on en veut pour preuve qu’il fut le confesseur de Gaston d’Orléans, le frère du roi et, à partir de 1625, de Bérulle lui-même. À la mort de ce dernier, en 1629, ses confrères l’élurent Général de l’Oratoire. C’est sous son supériorat que l’Oratoire verra sa constitution définitive se dessiner progressivement. Il mourut en odeur de sainteté le 7 janvier 1641. 1.2 L’auteur : Denis Amelote 5 L’auteur de sa Vie, Denis Amelote (1609-1679) fut ordonné prêtre en 1632. Il ne fit pas d’abord partie de la congrégation de l’Oratoire, mais s’était placé, avec d’autres prêtres, sous la direction du père de Condren. Sa grande proximité avec celui-ci, qui l’appelait parfois « son fils aîné » le désigna tout naturellement pour écrire sa vie, tâche à laquelle il s’attela dès la mort de son maître, la première édition datant de 1643 6 . Par la suite, il 2 Cf. Auguste Molien, « Condren (Charles de) », dans Charles Baumgartner SJ (dir.), Dictionnaire de Spiritualité ascétique et mystique, t. 2, Paris, Beauchesne, 1953, col. 1373-1388 (1373-1375). 3 Cf. Denis Amelote, La Vie du P. Charles de Condren, second supérieur général de la congrégation de l’Oratoire de Jésus, Paris, Huré et Léonard, 1657 2 , p. 3. Il s’agit là de la deuxième édition, « refaite et augmentée par l’auteur », la première datant de 1643 (Paris, Sara). Nous citons habituellement l’édition de 1657. 4 Cf. Amelote, Vie de Condren, p. 88-94. 5 Cf. Auguste Molien, « Amelote (Denis) », dans Marcel Viller SJ (dir.), Dictionnaire de Spiritualité ascétique et mystique, t. 1, Paris, Beauchesne, 1937, col. 472-474. 6 Ibid., col. 472-473. La Vie du P. de Condren par Amelote PFSCL XLIX, 96 DOI 10. / PFSCL-2022-0008 161 entra à l’Oratoire, en 1650, et prit part au gouvernement de la congrégation, sous le père Bourgoing, troisième supérieur général. 2 Le regard d’Amelote : une hagiographie introspective par nature La réputation de Condren était telle 7 que ses confrères et disciples ne tardèrent pas à proclamer sa sainteté, ainsi le père Bernard, qui écrivit au lendemain de son décès : Le défunt P. de Condren est de présent jouissant de la béatitude éternelle ; aussi un jour sera-t-il béatifié en terre par le Saint-Siège, c’est-à-dire que, s’il ne l’est pas canoniquement, au moins, le sera-t-il par permission et tolérance 8 . On comprend dès lors leur hâte à voir rédigée et publiée une biographie de leur maître. La tâche fût confiée, comme on l’a dit, à Amelote, bien qu’il ne fût pas encore membre de l’Oratoire, au motif que celui-ci avait été son ami intime de plusieurs années, recueillant en particulier de nombreuses confidences. C’est du moins ce qu’affirme notre auteur : « […] comme l’amitié ne se cache point, celle qu’il avait pour moi a été si connue de tout le monde, que chacun m’a dit après sa mort, que c’était moi qui devais écrire sa vie 9 ». Ce faisant, il exprime nettement la nature de son projet : Il est vrai qu’en parlant d’un homme qui n’a point vécu de la vie de la terre, je ne dois écrire que ce qui appartient à la vie de Jésus-Christ en lui. Et je ne puis avoir de légitime dessein, que de former le même Fils de Dieu dans les âmes, par l’exemple que je proposerai de son serviteur 10 . Dans cette déclaration d’intention typiquement bérullienne - il s’agit de « former le Fils de Dieu dans les âmes » - on remarquera qu’Amelote revendique un projet semblable à celui des auteurs inspirés des livres bibliques. Ceux-ci, en effet, rapportant la vie des patriarches et des apôtres, […] ont choisi avec un merveilleux artifice les seules choses qui pouvaient représenter Jésus-Christ. De sorte que ce que nous lisons dans l’ancien et 7 Cf. Henri Bremond, Histoire littéraire du sentiment religieux en France depuis la fin des guerres de religion jusqu’à nos jours, t. 3.1 (La conquête mystique : L’École française), Paris, Bloud et Gay, 1925, p. 290-295. L’abbé Bremond rassemble les témoignages d’Amelote, évidemment, mais également de saint Françoise de Chantal, saint Vincent de Paul, Bérulle, Richelieu, Saint-Cyran, Olier, Bourgoing, etc. 8 Cf. Lettres et conférences inédites du T.R.P. de Condren, éd. Émile Bonnardet, Paris, Poussielgue, 1899, p. 33. 9 Amelote, Vie de Condren (1643), préface non paginée. 10 Ibid., p. 13. Charles Berger de Gallardo, FSSP PFSCL XLIX, 96 DOI 10. / PFSCL-2022-0008 162 dans le nouveau Testament, ne contient pas tout ce qu’il y a de rare et de saint dans les actions des grands hommes qui y sont dépeints ; mais seulement ce qui a été propre pour former l’image du Fils de Dieu. « L’intention de ceux qui écrivent des livres vraiment Saints, n’étant jamais autre », dit saint Augustin, « que d’enfanter le Fils de Dieu ou son Église 11 ». Ainsi, je ne prétends consigner en ce livre, que ce qui sert à faire connaître Jésus-Christ, de qui les secrets sont découverts par la vie de ses membres 12 . Dès lors, le biographe doit principalement tourner son regard vers l’« intérieur 13 » de son sujet. Il doit rapporter les « dispositions » et les « états » qui accompagnèrent ses actions, celles-ci ne constituant en quelque sorte que l’affleurement sensible d’une sainteté cachée par nature : [Dieu] prend un soin particulier de conserver à l’Église les choses les plus secrètes de ses serviteurs, et que sa providence découvre admirablement ce qu’ils s’étaient étudiés de cacher. L’intérieur du Père de Condren a été des plus inconnus ; mais la Divine sagesse qui l’avait rendu une excellente idée des âmes les plus pures, n’a pas permis que nous fussions privés du bonheur de le connaître 14 . Amelote signale d’ailleurs à l’occasion qu’il tient de Condren lui-même ce qu’il rapporte de son « intérieur » : « […] c’est de lui que Dieu a voulu que j’apprisse tout ce que je rapporte de son intérieur 15 ». Il prévient ainsi toute suspicion d’invention ou d’extrapolation hasardeuse, tout en s’autorisant un regard pénétrant, scrutateur. Sur cet aspect, l’enchaînement de deux chapitres vers le début de l’œuvre constitue un exemple évocateur. Le premier s’intitule : « Le commencement de sa vocation 16 ». Amelote y rapporte l’expérience mystique fondamentale que Charles de Condren connût vers l’âge de douze ans, dans laquelle s’enracinent à la fois sa vocation et la centralité du sacrifice dans sa doctrine spirituelle. Dans le chapitre suivant, « Réflexions sur la grâce précédente 17 », il revient sur l’expérience qu’il vient de décrire pour en préciser l’importance dans l’itinéraire de sainteté de son sujet. On notera qu’il se fonde, pour ce faire, sur les propres confidences de Condren. La réflexion qu’il propose n’est donc pas exacte- 11 D’après saint Augustin, Contra Faustum, XXII,94, éd. Joseph Zycha, Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum, t. 25.1, Vienne, Akademie der Wissenschaften, 1891, p. 701. 12 Amelote, Vie de Condren, p. 13. 13 Nous employons ce terme au sens typique qu’il a sous la plume des auteurs de l’École française : cf. infra. 14 Amelote, Vie de Condren, p. 103. 15 Ibid., p. 72. 16 Ibid., p. 33. 17 Ibid., p. 43. La Vie du P. de Condren par Amelote PFSCL XLIX, 96 DOI 10. / PFSCL-2022-0008 163 ment celle d’un observateur extérieur, mais elle tend à faire partager au lecteur le regard propre du saint sur son expérience : […] je m’arrête un peu à considérer les grâces que Dieu a faites à la pure et innocente victime 18 , de qui j’écris la sanctification, et […] j’en examine les particularités dans la lumière que je tiens d’elle-même 19 . Le projet hagiographique d’Amelote se précise donc et nous pouvons le résumer rapidement. Il s’agit d’expliquer comment Dieu lui-même a formé l’image de son Fils en son serviteur, afin que cet exemple serve à former la même image dans ceux qui liront sa vie 20 . À cette fin, le biographe doit se concentrer, non pas tant sur les actions extérieures et connues de tous, que sur les états et dispositions intérieures de son sujet. Le témoignage de ce dernier est dès lors crucial, non seulement pour la description de son « intérieur » sanctifié, mais encore pour sa compréhension ou son explication. C’est ainsi que l’entreprise hagiographique comporte logiquement une exigence d’introspection et tend presque par nature vers l’exposition de la doctrine spirituelle du serviteur de Dieu. 3 Vers une perspective complémentaire Nous voudrions cependant retourner, en quelque manière, la perspective adoptée jusqu’ici. Il nous semble en effet qu’il n’est pas anodin que ce fut précisément la Vie du Père de Condren d’Amelote qui soit qualifiée par un critique incontournable de la littérature religieuse française du XVII e siècle, 18 « La pure et innocente victime » est évidemment Charles de Condren, et c’est là l’une des manière habituelles qu’Amelote a de désigner l’illustre oratorien. Nous aurons l’occasion de souligner la portée et l’importance de cet usage caractéristique. 19 Amelote, Vie de Condren, p. 44, nous soulignons. 20 Outre le passage cité ci-dessus (cf. note 10), cet objectif est clairement mentionné au peu plus loin : « Dieu qui a fait l’homme à son image, et lui a donné l’inclination de former sa vie sur la sienne, lui a imprimé tout ensemble le mouvement naturel d’imiter les actions d’autrui. […] Dieu qui nous a créés avec cette pente, ne nous a pas seulement proposé son fils qui est son portrait vivant, pour être toujours l’objet de la contemplation de notre esprit, mais il l’a exposé à nos yeux, afin qu’il nous fournisse, avec le plus illustre de tous les Patrons, le plus puissant de tous les motifs pour nous rendre semblable à lui. Et de peur que par son absence cet attrait ne cessât de nous inviter, il le représente en une infinité de manières sous divers visages des Saints ; afin que si nous n’en sommes pas touchés sous une forme, nous le puissions être sous l’autre ; et qu’étant comme revêtu de toutes sortes d’esprits, il n’y ait personne qui se puisse dispenser de l’imiter » (ibid., p. 102-103). Charles Berger de Gallardo, FSSP PFSCL XLIX, 96 DOI 10. / PFSCL-2022-0008 164 Henri Bremond, dans les termes suivants : « Son livre est, à ma connaissance, le premier modèle de ce que nous appelons aujourd’hui une biographie psychologique 21 ». Nous avons tracé à grands traits le projet hagiographique d’Amelote, qui permet de rendre compte de ce jugement. Autrement dit, nous sommes partis de l’auteur pour comprendre l’œuvre. Ne serait-il pas possible de partir du sujet étudié, en l’occurrence, le père de Condren et, particulièrement, sa doctrine spirituelle ? Il nous semble en effet que sa doctrine exigeait par elle-même l’approche biographique adoptée par son disciple. Pour tenter d’apporter des éléments à l’appui de cette thèse, nous devons désormais nous pencher sur cet enseignement spirituel. 4 La doctrine spirituelle du père de Condren Le père de Condren se situe dans le sillage du cardinal de Bérulle et, bien qu’il soit aujourd’hui moins connu que celui-ci, il a une grande influence au sein de ce qu’il est convenu d’appeler depuis les travaux de Bremond l’« École française de spiritualité 22 ». Cette importance se trouve d’ailleurs accrue par le fait que les notes propres que Condren a données à la doctrine bérullienne sont passés, via Jean-Jacques Olier, fondateur de la congrégation de Saint-Sulpice et l’un de ses plus fidèles disciples, dans la formation habituelle du clergé français jusqu’à la Révolution, voire même jusqu’au concile Vatican II. Charles de Condren a donné un tour sacrificiel à la doctrine des « états du Christ » de Pierre de Bérulle. Expliquons-nous. 4.1 La doctrine spirituelle de l’école bérullienne Au témoignage de Pierre Pourrat, les caractéristiques essentielles de la spiritualité bérullienne sont « la dévotion au Verbe Incarné, la prédilection pour la vertu de religion [et] la conception augustinienne de la grâce 23 ». S’il est loisible de traiter à part ces trois aspects, il vaut mieux encore en voir l’unité, et, pour ce faire, nous pouvons partir du premier. Pour le père Bourgoing, deuxième successeur de Bérulle à la tête de l’Oratoire et biographe de celui-ci, la « disposition » spirituelle fondamentale de son prédécesseur était « la liaison et l’appartenance singulière qu’il a eue à la 21 Bremond, Histoire littéraire, t. 3.1, p. 287. Au sens où l’entend Bremond, il semble que la biographie psychologique se distingue de la biographie que l’on pourrait qualifier d’anecdotique, en ce qu’elle s’attache moins à l’exposé des faits et gestes qu’à l’exploration des dispositions intérieures du sujet. 22 Ibid., p. 3-4. 23 Pierre Pourrat, La Spiritualité Chrétienne, t. 3.1 (Les Temps Modernes : De la Renaissance au Jansénisme), Paris, Lecoffre (Gabalda), 1944, p. 501. La Vie du P. de Condren par Amelote PFSCL XLIX, 96 DOI 10. / PFSCL-2022-0008 165 personne de Jésus-Christ Notre-Seigneur en sa sainte humanité, et à sa très sainte mère 24 ». Il continue en ces termes : […] il était tellement lié à Jésus-Christ, et dans un si grand mépris et oubli de soi-même, pour être tout à lui, que ses soins, ses pensées, ses actions et ses travaux ne regardaient que Jésus, et que Jésus était son centre et toute sa circonférence 25 . Cela a valu à l’illustre cardinal l’éloge appuyé du pape Urbain VII, qui lui décerna le titre d’« Apôtre du Verbe Incarné 26 ». Cette doctrine « théocentrique 27 » - plus précisément, christocentrique - qui s’inscrivait résolument à rebours de l’humanisme ambiant a pu donner lieu à quelques exagérations parmi ses admirateurs, jusqu’à faire de Bérulle « un autre Copernic », opérant une « révolution de la piété chrétienne 28 ». Amelote écarte cette idée et, ce faisant, il nous livre le trait le plus typique de la dévotion bérullienne : Tout le monde confesse que l’on avait bien pensé à Dieu devant la congrégation de l’Oratoire, mais que c’est elle qui a renouvelé l’application des esprits à Jésus-Christ. Je ne veux pas dire que cette dévotion essentielle fut effacée dans l’Église, ou qu’il n’y eut plus que cet Élie 29 qui gardât la fidélité à son maître. […] Mais en vérité le gros du christianisme s’était refroidi dans l’ancienne et nécessaire dévotion envers Jésus-Christ 30 . Plutôt que de nouveauté, donc, il faudrait parler, au sujet de cette spiritualité, de renouvellement, du moins dans l’esprit et l’intention de ses promoteurs. Et pour ceux-ci, le renouveau de la dévotion des chrétiens à leur maître consiste principalement en « l’application des esprits à Jésus- Christ ». C’est d’ailleurs de là que se tire le nom même de la congrégation fondée par Bérulle : les membres de l’Oratoire de Jésus-Christ ont, certes, pour vocation de prier Jésus-Christ, mais mieux encore de s’unir, de 24 François Bourgoing, Préface aux prêtres de l’Oratoire, dans Pierre de Bérulle, Œuvres complètes, éd. Jacques-Paul Migne, Paris, Migne, 1856, col. 95/ 96. 25 Ibid., col. 95/ 96. On notera la proximité de cette dernière affirmation avec la description pascalienne de Dieu : « C’est une sphère infinie dont le centre est partout et la circonférence nulle part » (Blaise Pascal, Pensées, éd. Léon Brunschvicg, Paris, Hachette, 1914, fragment 383). Il semble d’ailleurs que Pascal ne fait que recueillir cette formule, qui remonte au moins à Alain de Lille, au XII e siècle. Cf. Valère Novarina, « Une sphère infinie dont le centre est partout, la circonférence nulle part », entretien réalisé par Olivier Dubouclez, Littérature, 176 (2014), p. 11- 25. 26 Pourrat, Spiritualité Chrétienne, t. 3.1, p. 501. 27 Bremond, Histoire littéraire, t. 3.1, p. 23. 28 Pourrat, Spiritualité Chrétienne, t. 3.1, p. 502. 29 Il s’agit bien de Bérulle. 30 Amelote, Vie de Condren, 1643, p. 88-89, nous soulignons. Charles Berger de Gallardo, FSSP PFSCL XLIX, 96 DOI 10. / PFSCL-2022-0008 166 « s’appliquer » à la prière de Jésus-Christ. Voici en quels termes Amelote commente le passage de la Bulle d’institution dans lequel il est dit que ces prêtres « auront le nom de l’Oratoire de Jésus-Christ notre Seigneur, en l’honneur des Oraisons qu’il a faites pendant qu’il était dans la chair mortelle 31 » : « Cette vocation les applique à ce qui a été proprement la vie intérieure de Jésus-Christ, et à ce qui s’est passé de plus saint et de plus parfait en son âme divine 32 ». La dévotion au Verbe Incarné, nous l’avons dit, est indissociable, chez Bérulle et ses disciples, d’une prédilection pour la vertu de religion et d’une conception augustinienne de la grâce. Autant dire que l’application à la vie intérieure de Jésus-Christ sera principalement, d’une part, une adhésion à ses dispositions religieuses, au premier rang desquelles se trouve l’adoration et le culte rendu au Père, et, d’autre part, l’effet, non pas tant de l’activisme du fidèle, que de l’action souveraine de la grâce. Ces deux aspects se conjuguent merveilleusement, en ce que la disposition religieuse comporte, par nature, une dimension d’anéantissement, sur laquelle nous aurons l’occasion de revenir. C’est sur une autre implication que nous voulons insister pour le moment, qui constitue « la partie la plus neuve et la plus captivante de la doctrine bérullienne 33 » : l’adhérence à Jésus-Christ par la participation à ses mystères. Avec M. Olier, nous pouvons la résumer ainsi : Pour être parfait chrétien, […] il faut […] particip[er] à tous les Mystères de Jésus-Christ qui se sont passés exprès en lui pour qu’ils fussent des sources de grâces très grandes et très particulières dans son Église 34 . Pour Bérulle, les mystères - c’est-à-dire les événements - de la vie du Christ ont chacun « quelque chose de particulier, non seulement en [leur] 31 Bulle d’institution citée par Amelote, Vie de Condren, p. 375. 32 Ibid., nous soulignons. L’expression finale - « âme divine » - doit évidemment être entendue dans le sens d’âme « divinisée », non seulement par la grâce toute particulière dont jouissait l’âme humaine du Verbe Incarné, mais, fondamentalement et formellement, par l’union hypostatique de la nature humaine à la nature divine en la personne du Verbe. Sur la grâce du Christ, cf. Thomas d’Aquin, Summa Theologiae, p. III, q. 7, dans id., Opera omnia, éd. de la Commissio leonina, t. 11, Rome, Typographia polyglotta de la S. C. de Propaganda Fide, 1903, p. 106- 125. Sur la question de la sanctification formelle du Christ, cf. Humbert Bouëssé OP, Le Sauveur du monde, t. 2 (Le Mystère de l'Incarnation), Paris, Office général du livre, 1953, p. 250-252 ; Réginald Garrigou-Lagrange OP, De Christo Salvatore : Commentarius in III am partem Summae Theologicae Sancti Thomae, Rome, Marietti, 1946, p. 180-186 et 190. 33 Pourrat, Spiritualité Chrétienne, t. 3.1, p. 531. 34 Jean-Jacques Olier, Catéchisme chrétien pour la vie intérieure, Paris, Langlois, 1657, p. I, leçon XX , p. 101. La Vie du P. de Condren par Amelote PFSCL XLIX, 96 DOI 10. / PFSCL-2022-0008 167 effet, mais aussi en [leur] état 35 ». L’illustre cardinal distingue ainsi, sans les séparer, l’« effet » et l’« état » du mystère, employant l’analogie du corps et de l’âme : Comme en nous il y a l’âme et le corps, et tout cela ne fait qu’un, aussi, dans les mystères du Fils de Dieu il y a l’esprit opérant et pâtissant du mystère, la lumière de la grâce du mystère, le dessein d’établir quelques effets du mystère, et le corps ou l’action du mystère 36 . L’« esprit opérant et pâtissant », « la lumière de la grâce », « le dessein d’établir quelques effets », c’est cela qui constitue l’état du mystère, et c’est cela même que le chrétien doit s’efforcer de reproduire en lui pour adhérer à Jésus-Christ. Plus exactement, c’est cela même que la grâce vient reproduire dans l’âme fidèle pour la faire adhérer au divin maître. Plus profondément, c’est l’effet actuel de la grâce particulière de tel mystère que de faire adhérer l’âme à Jésus en la conformant aux dispositions qui furent les siennes en cette occasion. Et l’emploi du temps passé est ici encore de trop, puisque les dispositions et sentiments du Christ sont en quelque manière permanents en celui-ci : « [ils] font partie de cet état permanent qu’est l’Incarnation 37 ». On comprend ainsi le terme « état », si prisé par l’École française, que l’on retrouve jusque dans le titre du maître ouvrage 38 de son initiateur : « Elle exprime ainsi la permanence de ces sentiments, qui rend les mystères du Christ toujours actuels et toujours opérant la grâce dans nos âmes 39 ». À ce sujet, M. Olier emploie la belle expression de « dilatation » 40 des états de Jésus-Christ dans l’âme des chrétiens. 35 Pierre de Bérulle, De l’état et des grandeurs de Jésus, discours 11, § 4, dans id., Œuvres complètes, éd. Jacques-Paul Migne, Paris, Migne, 1856, col. 360. 36 Pierre de Bérulle, Opuscules divers de piété, fragment 77 (De la perpétuité des mystères de Jésus-Christ), ibid., col. 1053. 37 Pourrat, Spiritualité Chrétienne, t. 3.1, p. 533. Cf. Pierre de Bérulle, Opuscules divers de piété, fragment 9 (En la fête de l’Annonciation), dans éd. cit., col. 921 : « L’incarnation est un état permanent et permanent dans l’éternité. Sans cesse, Dieu fait le don de son Fils à l’homme ; sans cesse ce Fils qui est le don de Dieu se donne luimême à notre humanité ; sans cesse le Père éternel engendre son Fils dans une nouvelle nature ». 38 Pierre de Bérulle, Discours de l’estat et des grandeurs de Jésus-Christ, par l’union ineffable de la divinité avec l’humanité, Paris, Estienne, 1623. 39 Pourrat, Spiritualité Chrétienne, t. 3.1, p. 533. Cf. Pierre de Bérulle, Opuscules divers de piété, fragment 77 (De la perpétuité des mystères de Jésus-Christ), éd. cit., col. 1052-1053 : « Les mystères de Jésus-Christ sont passés en quelques circonstances, et ils durent et sont présents et perpétuels en certaine autre manière. Ils sont passés quant à l’exécution, mais ils sont présents quant à leur vertu, et leur vertu ne passe jamais, ni l’amour ne passera jamais avec lequel ils ont été accomplis. L’esprit donc, l’état, la vertu, le mérite du mystère est toujours présent. Charles Berger de Gallardo, FSSP PFSCL XLIX, 96 DOI 10. / PFSCL-2022-0008 168 4.2 Les accents propres au père de Condren Avant d’examiner comment Denis Amelote a traduit cette doctrine spirituelle dans son approche biographique, prenons quelques instants pour repérer les accents propres qu’elle acquiert chez Condren. Parmi les divers états et mystères du Christ, les auteurs de l’École française ont leurs attraits propres. Celui du père de Condren est pour l’état d’hostie, c’est-à-dire de victime : « L’objet principal de la dévotion du P. Condren, c’est l’état d’hostie du Verbe Incarné et sa disposition d’anéantissement intérieur et d’immolation totale 41 ». Tous les auteurs catholiques s’accordent évidemment pour enseigner que le Christ est le prêtre et la victime du sacrifice qu’il a offert le Vendredi Saint sur la Croix et qu’il offre chaque jour, par ses prêtres, à la messe 42 . Le successeur de Bérulle développe cependant cette perspective dans L’idée du Sacerdoce et du Sacrifice de Jésus-Christ 43 , jusqu’à faire de l’ensemble de la vie du Christ un sacrifice : « Posons pour fondement que toute sa vie 44 , depuis le premier moment de l’Incarnation jusque dans l’éternité, est le sacrifice véritable 45 ». Pour Condren, la vie du Rédempteur n’a été qu’un sacrifice unique « dont les différentes parties sont composées par ses divers mystères 46 ». Il s’est d’ailleurs appliqué à développer une théorie des « par- L’esprit de Dieu par lequel ce mystère a été opéré, l’état intérieur du mystère extérieur, l’efficace et la vertu qui rend ce mystère vif et opérant en nous, cet état et disposition vertueuse, le mérite par lequel il nous a acquis à son Père et a mérité le ciel, la vie et soi-même ; même le goût actuel, la disposition par laquelle Jésus a opéré ce mystère est toujours vif, actuel et présent à Jésus ». 40 Cf. Jean-Jacques Olier, Introduction à la vie et aux vertus chrétiennes, Paris, Langlois, 1657, p. 23. 41 Pourrat, Spiritualité Chrétienne, t. 3.1, p. 552. 42 Telle est la doctrine enseignée, par exemple, au Concile de Trente, Session XXII, 17 septembre 1562, Doctrina de ss. Missae sacrificio, c. II : « Et quoniam in divino hoc sacrificio, quod in Missa peragitur, idem ille Christus continetur et incruente immolatur, qui in ara crucis “semel seipsum cruente obtulit” [Heb 9, 14 ; 27-28] : docet sancta Synodus, sacrificium istud vere propitiatorium esse. […] Una enim eademque est hostia, idem nunc offerens sacerdotum ministerio, qui se ipsum tunc in cruce obtulit, sola offerendi ratione diversa » (éd. Heinrich Joseph Denzinger et Peter Hünermann, Enchiridion Symbolorum. Symboles et définitions de la foi catholique, Paris, Cerf, 2001 38 , n° 1743). 43 Charles de Condren, L’idée du Sacerdoce et du Sacrifice de Jésus-Christ, éd. Pasquier Quesnel, Paris, Coignard, 1677. Nous citons d’après l’édition par Réginald Biron OSB, Paris, Téqui, 1901. 44 Il s’agit de la vie de Jésus-Christ. 45 Condren, L’idée du Sacerdoce, p. 60. 46 Ibid., p. 87. La Vie du P. de Condren par Amelote PFSCL XLIX, 96 DOI 10. / PFSCL-2022-0008 169 ties » du sacrifice, reposant sur une systématisation, parfois un peu artificielle, il faut bien le dire, des données de l’Ancien Testament 47 . Il en discerne cinq - sanctification ou consécration, oblation, occision 48 , consommation et communion - et s’emploie à identifier à laquelle d’entre elles se rattache chacun des mystères de la vie du Christ. Nous n’avons pas le loisir de nous étendre et de discuter les aspects proprement théologiques de la doctrine du sacrifice chez Condren, dont la théorie des « parties » ne constitue qu’un pan 49 . Il nous suffira de retenir que, recueillant la doctrine de Bérulle sur l’adhésion aux mystères du Christ, il n’a de cesse de considérer ceux-ci en fonction de son sacerdoce et de son sacrifice ; et, par conséquent, l’état fondamental du Christ que les chrétiens - et en particulier les prêtres - sont appelés à reproduire est à ses yeux l’état de victime, c’est-à-dire l’esprit d’anéantissement et d’immolation qui constitue l’essentiel de la disposition intérieure de Jésus. Notons bien, cependant, qu’il ne s’agit pas seulement d’un effacement de la créature devant le Créateur. Il y a effacement, en ce que la créature reconnaît que, en un sens, elle n’est rien, tandis que Dieu est tout : « Tu es celle qui n’est pas, je suis Celui qui suis 50 ». La créature n’est pas par elle-même, mais elle reçoit l’être de Dieu, tandis que le Créateur est par lui-même, il est l’Ipsum esse per se subsistens, pour employer une expression de Thomas d’Aquin 51 . C’est la reconnaissance de cette situation et de la totale dépendance dans l’être de la créature à l’égard de son Créateur qu’elle comporte, qui constitue, avant même la considération du péché, le motif fondamental du sacrifice 52 . Cependant, le sacrifice ne s’arrête pas à l’oblation et à l’immolation de la victime, il comporte en outre la consommation et la communion 53 . En d’autres 47 Cf. Jean Galy, Le sacrifice, p. 171-190. Une présentation plus accessible se trouve dans le petit livre du père Pourrat qui fut autrefois très répandu dans les séminaires français : Pierre Pourrat, Le sacerdoce : doctrine de l’École française, Paris, Bloud et Gay, 1947. 48 C’est-à-dire la mise à mort. 49 Pour une présentation complète, cf. Galy, Le sacrifice, p. 107-282 ; Marius Lepin, L’idée du sacrifice dans la religion chrétienne, principalement d’après le P. de Condren et M. Olier, Paris et Lyon, Delhomme et Briguet, 1897. 50 Cf. B. Raymond de Capoue, Vie de sainte Catherine de Sienne, éd. Étienne Cartier, t. 1, Paris, Poussielgue, 1877 4 , p. 71. 51 Cf. Thomas d’Aquin, Summa Theologiae, p. I, q. 4, a. 2, éd. cit., t. 4 (1888), p. 52. 52 Cf. infra, le récit de l’expérience mystique que Condren eut à l’âge de douze ans. 53 Nous adoptons ici la manière de parler du père de Condren, mais on retrouverait les mêmes considérations chez bien des auteurs, à commencer par Thomas d’Aquin, Summa Theologiae, p. II a II ae , q. 85, a. 3, ad 1 m , ed. cit., t. 9 (1897), p. 218 ; p. III, q. 22, a. 2, ed. cit, t. 11 (1903), p. 257-258 ; q. 48, a. 3, ed. cit., t. 11 (1903), p. 465-466. Charles Berger de Gallardo, FSSP PFSCL XLIX, 96 DOI 10. / PFSCL-2022-0008 170 termes, le sacrifice, qui permet à l’homme de manifester sa relation de dépendance à l’égard de son Créateur, est en même temps le moyen qui lui est donné de s’unir à son Dieu. Il est d’ailleurs remarquable que Condren, dont on retient souvent l’insistance sur le sacrifice-destruction 54 , c’est-à-dire sur l’immolation, affirme lui-même que c’est la « consommation » du Christ en Dieu qui contient toutes les autres parties du sacrifice rédempteur 55 . L’insistance bérullienne sur l’adhésion aux états et mystères du Verbe Incarné prend donc, avec Condren, une nouvelle profondeur, puisque l’accent est mis sur le mystère du sacrifice du Christ et l’état de victime qui le sous-tend 56 , lequel, précisément dispose l’âme ainsi unie à son rédempteur à être « consommée » en Dieu : Car c’est lui qui s’est offert à Dieu comme un entier et parfait holocauste, duquel il n’est rien resté qui ne fût consommé dans la fournaise ardente de la divinité. Or nous devons être […] à Dieu dans cette intention de Jésus- Christ, afin qu’il nous consomme tout à fait en lui, et avec dessein de perdre tout ce que nous sommes, mais singulièrement tout ce qui est du vieil Adam 57 . Dès lors, on pourrait résumer la doctrine spirituelle de Condren en disant que c’est par l’adhésion à l’« anéantissante consommation 58 » du Christ, que le chrétien sera tout à Dieu et, par le fait même, prolongera l’Incarnation du Verbe : En cette façon, il n’est pas seulement consommé en Dieu, comme notre chef, mais il l’est aussi en ses membres, en qui il s’établit pour être de nouveau consommé en eux, l’étant déjà en sa propre personne. C’est à cela que nous devons encore tendre avec lui ; car nous devons lui céder de bon 54 Cf. Galy, Le sacrifice, p. 145-146. 55 Cf. Condren, L’idée du Sacerdoce, p. 80. 56 Cf. infra, dans notre conclusion l’articulation de sacrifice extérieur et du sacrifice intérieur. 57 Charles de Condren, Considérations sur les mystères de Jésus-Christ, selon que l’Église les propose pendant le cours de l’année, éd. Auguste-Marie-Pierre Ingold, Paris, Poussielgue, 1882, p. 75. La mention d’Adam renvoie évidemment à la considération du péché, qui touche significativement l’économie du sacrifice, non cependant sans en laisser subsister les fondements naturels. Cf. aussi Charles de Condren, Recueil de quelques discours et lettres du R.P. Charles de Condren, Paris, Vitray / Huré / Jost, 1643, p. 384 : « Laissez-vous à Dieu dedans la consommation qu’il a faite de Jésus-Christ, et à Jésus-Christ dedans la perte qu’il a faite de soi en Dieu, afin que Dieu fût tout en lui ; et, perdant pour vous tout désir de vivre et d’être, que toute votre disposition soit que Dieu soit en vous ». 58 Pourrat, Spiritualité Chrétienne, t. 3.1, p. 560. La Vie du P. de Condren par Amelote PFSCL XLIX, 96 DOI 10. / PFSCL-2022-0008 171 cœur tout ce que nous sommes, afin qu’il y effectue le dessein qu’il y a d’y être tout au lieu de nous-mêmes 59 . 5 Traduction de la doctrine spirituelle de Condren dans le projet hagiographique d’Amelote Le programme spirituel que trace le père de Condren dans ces dernières lignes fut, précisément, celui qu’il a suivi pour lui-même. Le biographe consacre donc, assez naturellement, une part de son travail à exposer pour elle-même la doctrine spirituelle de son sujet. C’est ainsi que certains chapitres d’Amelote, s’écartant de la narration linéaire ou thématique de la vie de Condren, s’écartant même des réflexions sur tel ou tel moment ou aspect important de sa vie, sont dédiés à l’explication de ce qu’il appelle l’« état 60 » - nous dirions aujourd’hui le charisme - de la congrégation de l’Oratoire. Ils occupent notamment le début du livre second. Les chapitres III et IV traitent des ordres religieux en général et des communautés régulières en particulier, les suivants concernent l’Oratoire lui-même : son esprit d’adoration de Dieu (chapitre V), son amour particulier pour Jésus-Christ (chapitre VII), son propos de renouveler l’esprit du sacerdoce (chapitre VIII), son « état » enfin (chapitre IX). En quelque manière, Amelote quitte, en ces pages, la stricte hagiographie, pour livrer au lecteur un résumé de la spiritualité oratorienne. Cet aspect de son travail n’est pas négligeable, car il indique clairement que l’auteur, d’une part, avait conscience que son sujet était un illustre représentant d’un courant spirituel et doctrinal spécifique en train de se constituer et, d’autre part, qu’il comptait sur son ouvrage pour en faire partager la substance. Cependant, il nous semble que ce n’est pas là que réside le trait le plus remarquable de la Vie de Condren. Il nous faut le trouver plutôt au fil des pages où Amelote rapporte les faits et gestes de son maître. Comme nous l’avions noté, en effet, le biographe ne s’arrête pas aux actions extérieures. Il cherche toujours à dévoiler l’« intérieur » de Condren, ses « états » et « dispositions ». Comme le note l’abbé Bremond, si Amelote a mené honnêtement son enquête sur tout « l’extérieur de cette vie, […] là n’est pas ce qui l’intéresse 61 » : « […] je n’ai jamais pu comprendre qu’il fallût s’arrêter qu’à son intérieur 62 ». 59 Condren, Considérations sur les mystères, p. 76. 60 Cf. Amelote, Vie de Condren, l. II, c. IX : « Considérations sur l’état de la Congrégation de l’Oratoire ». 61 Bremond, Histoire littéraire, t. 3.1, p. 288. 62 Cf. ibid. Charles Berger de Gallardo, FSSP PFSCL XLIX, 96 DOI 10. / PFSCL-2022-0008 172 À cet égard, l’examen des titres des chapitres est révélateur. Dans le livre premier, aux chapitres XI et XII, il s’agit de l’« âme » de Condren ; au chapitre XVIII, de ses « dispositions » lorsqu’il assiste à la messe ; au chapitre XXII, de l’« esprit » dans lequel il communiait ; au chapitre XXIII, de ses « dispositions » lorsqu’il enseigne la philosophie ; au chapitre XXIV de l’« esprit » dans lequel il prenait ses repas et récréations. Dans le livre second, les chapitre XII à XIV sont consacrés à l’« état de son âme » lorsqu’il était à la maison Saint-Magloire à Paris ; les chapitres XXVIII, XXIX et XXXVI, aux « dispositions » avec lesquelles il prit et occupa la charge de Général de l’Oratoire. Il est encore question de ses « dispositions » en diverses circonstances aux chapitres XXXVIII et XXXIX ; finalement, Amelote évoque, au chapitre XLIV, l’« esprit de sacrifice » de Condren à l’heure de sa mort. On remarquera également l’importance qu’occupe, dans la Vie de Condren, la question - toute intérieure - de la vocation 63 , ainsi que la manière si typique que l’auteur a de désigner son maître, le qualifiant souvent de « victime 64 ». Voyons maintenant plus précisément comment le biographe décrit l’intérieur de Condren. Il en donne une image saisissante à travers le récit du ravissement que celui-ci connut, vers l’âge de douze ans. Ces pages, qui arrivent naturellement tôt dans l’ouvrage, nous semblent essentielles. Mieux que les passages où le biographe livre ses propres réflexions ou bien des exposés doctrinaux, elles permettent d’entrevoir le mécanisme par lequel l’hagiographe traduit, dans son genre propre, la doctrine spirituelle de celui qu’il raconte. Citons-en les lignes les plus significatives. Tout d’abord, l’auteur note l’état intérieur du jeune homme : « il était toujours dans son esprit de Sacrifice 65 ». Puis son esprit se trouve environné d’une lumière, qui lui fit paraître la divine Majesté si immense et infinie, qu’il lui sembla que ce seul pur être devait subsister, et que tout l’univers devait être immolé à sa gloire 66 . […] que la seule disposition d’offrande de soi-même et de toutes choses avec Jésus-hostie était digne de sa grandeur 67 , 63 Cf. Amelote, Vie de Condren, l. I, c. VIII : « Le commencement de sa vocation » ; c. IX : « Réflexions sur la grâce précédente » ; l. II, c. I : « De sa vocation à l’Oratoire ». 64 Ibid., passim. 65 Ibid., p. 38 66 Ibid. La Vie du P. de Condren par Amelote PFSCL XLIX, 96 DOI 10. / PFSCL-2022-0008 173 […] et que ce n’était pas l’aimer assez, que de ne pas vouloir consumer soimême avec son Fils pour lui témoigner notre amour 68 . Cette lumière produisit en l’âme de Condren « une impression de mort spirituelle, qui ne s’est jamais effacée » 69 , en sorte « qu’il eût voulu être immolé dès l’heure même à la gloire de celui dont la Majesté pénétrait jusqu’à la division de son âme et de son esprit 70 ». L’auteur précise bien que « la force de cette grâce lui est demeuré présente toute sa vie 71 ». Dans ces pages qui, au jugement de l’abbé Bremond « appelle[nt] sans doute quelques atténuations de détail, mais […], dans l’ensemble, [sont] inattaquables 72 », nous retrouvons non seulement les traits essentiels de la doctrine spirituelle de Condren, mais encore la raison pour laquelle Amelote s’est donné le projet d’une biographie qui soit avant tout intérieure. C’est que la doctrine en question fait fondamentalement résider la sainteté dans un état intérieur, dans cette disposition d’hostie, qui n’est autre que l’adhésion à l’état de victime de Jésus-Christ 73 . Un autre passage, qui répond en quelque manière à la description du ravissement initial - il s’agit du vœu de victime que fit Condren - confirmera cette perspective : Voici le point auquel consistait une des plus grandes dévotions du P. de Condren, et dans lequel Dieu a fait paraître dès son enfance, qu’il le voulait enrichir des grâces les plus rares et les plus singulières. Après avoir été voué comme une victime par ses parents, et avoir eu l’esprit du Sacrifice infus dans son âme dès ses premières années. Étant enfin parvenu au fort de 67 Amelote, Vie de Condren, 1643, p. 42, nous soulignons. Le texte de 1657 est semblable, mais n’emploie pas le terme « disposition » : « que le seul anéantissement de nous-mêmes et de toutes choses avec Jésus-Christ mourant, était capable d’honorer l’infinité divine » (Amelote, Vie de Condren, p. 39). 68 Amelote, Vie de Condren, p. 39 69 Ibid. 70 Ibid., p. 40, l’auteur souligne la citation de Heb 4, 12. 71 Ibid. La conclusion de cette expérience mystique est donnée par l’auteur, p. 42 : « Dieu lui mit dans l’esprit deux dispositions très saintes, mais dont l’une prévalut par-dessus de l’autre. La première fut une haute estime de la Prêtrise, avec le sentiment qu’il était infiniment indigne d’y être élevé ; et la seconde fut une claire lumière, par laquelle il connut évidemment que Dieu lui en voulait faire la grâce ». 72 Bremond, Histoire littéraire, t. 3.1, p. 341. C’est ce qui fait dire au critique littéraire que « Charles de Condren était aussi bérullien que Bérulle, et [qu’]il l’était bien avant d’avoir rencontré Bérulle » (ibid.). 73 Nous disons « fondamentalement », car Condren, à l’instar des autres auteurs de l’École française, ne renie aucunement les œuvres extérieures - à commencer par la célébration des Saints Mystères, en laquelle il voit la raison d’être du prêtre. Charles Berger de Gallardo, FSSP PFSCL XLIX, 96 DOI 10. / PFSCL-2022-0008 174 son âge, il se dévoua à Dieu lui-même, et se donna à Jésus-Christ 74 , afin d’être avec lui une seule hostie pour la gloire de son Père. Il s’obligea 75 par ce vœu 76 aux lois que le Saint Esprit a prescrites pour les victimes, et ne pouvant pas les garder à la lettre, du moins, il eut l’intention d’en accomplir le mystère 77 . L’on voit, dans ces lignes qui se situent vers la fin de l’ouvrage, le biographe récapituler les étapes de la vie qu’il vient de narrer. La ligne directrice de celle-ci n’est autre que l’« état de victime », l’« esprit du sacrifice », l’adhésion au mystère de Jésus-hostie, c’est-à-dire une disposition fondamentale, anticipée d’ailleurs par les parents du saint homme, que le vœu qu’il formule vient assumer et ratifier. Au terme de son travail, donc, Amelote suggère de nouveau que c’est la nature même de la « dévotion » du père de Condren qui appelait une biographie psychologique. Raconter l’« intérieur » de Condren, c’est faire connaître son état de victime, c’est par là-même faire connaître, non pas tant l’effet des grâces par lesquelles Dieu l’a sanctifié, que le fondement de sa sainteté. Pour Condren, être saint c’est « adhérer » au Christ-victime pour participer à son sacrifice, et cette adhésion est d’abord intérieure. 6 Conclusion On rejoint là une idée de saint Augustin, reprise par saint Thomas d’Aquin : « Le sacrifice que l’on offre extérieurement est signe du sacrifice 74 Dans le vocabulaire du biographe, cette « dévotion » à Dieu et ce « don » de soimême à Jésus-Christ ont une couleur éminemment religieuse et, pour tout dire, sacrificielle. 75 Ici encore, la notion d’« obligation » n’est pas tant juridique que religieuse. Ou plutôt, la dimension juridique - externe et publique - du vœu n’exclut pas, mais au contraire suppose sa dimension religieuse. Pour saint Thomas, d’ailleurs, est obligé - ob-ligatus - celui qui est pris dans quelque lien, et celui-ci n’est pas nécessairement arbitraire et comme imposé de l’extérieur, mais il peut simplement consister dans la situation de fait où se trouve l’obligé, en l’occurrence celle de la créature à l’égard de son Créateur. Cf. Jean Tonneau OP, Absolu et obligation en morale, Montréal, Institut d’études médiévales Albert-le-Grand de l’Université de Montréal, 1965, p. 38-65. 76 Il s’agit du vœu de victime que fit le P. de Condren, dont il est question dans ce chapitre. 77 Amelote, Vie de Condren, p. 618. La Vie du P. de Condren par Amelote PFSCL XLIX, 96 DOI 10. / PFSCL-2022-0008 175 intérieur par lequel on s’offre soi-même à Dieu 78 ». À la limite, c’est-à-dire pour le Verbe Incarné, la distinction même tend à s’estomper entre le sacrifice intérieur et le sacrifice extérieur, puisque le Christ est à la fois le prêtre et la victime de son propre sacrifice 79 . Il n’en demeure pas moins que, dans le sacrifice - celui du Christ en particulier - il y a, pour ainsi dire, une immanence de l’acte intérieur à l’acte extérieur. Celui-ci, sans celui-là serait comme une coquille vide, il se prêterait au reproche divin que rapporte le prophète Isaïe, repris par le Christ lui-même : « Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi 80 ». Les derniers versets du Psaume Miserere traduisent également cette préoccupation : Tu ne prends aucun plaisir au sacrifice ; un holocauste, tu n’en veux pas. Le sacrifice [qui plaît] à Dieu, c’est un esprit brisé. […] Alors tu te plairas aux sacrifices de justice holocauste et totale oblation alors on offrira de jeunes taureaux sur ton autel 81 . C’est jusque dans les prières de la messe, que les auteurs de l’École française ont abondamment commentées, que l’importance des dispositions intérieures du prêtre est explicitée : « In spiritu humilitatis, et in animo contrito suscipiamur a te, Domine : et sic fiat sacrificium nostrum in conspectu tuo hodie, ut placeat tibi, Domine Deus 82 ». Pour revenir au vocabulaire de nos auteurs - Condren et de son biographe en particulier - nous dirons que c’est par l’adhésion à l’état de victime du Christ dans le mystère de son sacrifice rédempteur que le chrétien, rejoint, ou même reçoit, cette disposition, ce sacrifice intérieur par lequel, selon Condren et Amelote, il s’offre lui-même à Dieu et qui le fait participer réellement au sacrifice du Christ, que chaque messe rend présent, renouvelle, actualise. Condren n’a pas seulement enseigné cette doctrine, il l’a vécue, ou plutôt, il l’a enseignée aussi et surtout en la vivant. Se pencher sur son intérieur, pour son biographe, était donc le moyen de la traduire et de la transmettre. 78 Thomas d’Aquin, Summa Theologiae, p. III, q. 82, a. 4, ed. cit, t. 12 (1906), p. 263, citant Augustin, De Civitate Dei, X : « Exterius sacrificium quod offert, signum est interioris sacrificii quo quis seipsum offert Deo ». 79 Ibid., q. 48, a. 3, ad 2 m, , ed. cit., t. 11 (1903), p. 466. 80 Mt 15, 8 ; cf. Is 29, 13. 81 Ps 51 (50), 18-19 ; 21. 82 Quatrième prière de l’offertoire. Charles Berger de Gallardo, FSSP PFSCL XLIX, 96 DOI 10. / PFSCL-2022-0008 176 7 Bibliographie 7.1 Sources S. Augustin ‹ Aurelius Augustinus Hipponensis ›. Contra Faustum, éd. Joseph Zycha, Corpus Scriptorum Ecclesiasticorum Latinorum, t. 25.1, Vienne, Akademie der Wissenschaften, 1891. Amelote, Denis. La Vie du P. Charles de Condren, second supérieur général de la congrégation de l'Oratoire de Jésus, Paris, Sara, 1643. Amelote, Denis. La Vie du P. 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