eJournals lendemains 46/181

lendemains
0170-3803
2941-0843
Narr Verlag Tübingen
10.24053/ldm-2021-0008
2021
46181

Revenants de l’insurrection: relectures spectrales de la Commune de Paris dans la culture française contemporaine

2021
Benjamin Loy
ldm461810064
64 DOI 10.24053/ ldm-2021-0008 Dossier Benjamin Loy Revenants de l’insurrection: relectures spectrales de la Commune de Paris dans la culture française contemporaine 1. Histoire(s) de fantômes: la ‚spectralité‘ de la Commune de Paris „Les spectres de leurs victimes, assassinées sur leurs ordres, depuis les jours de juin 1848 jusqu’au 22 janvier 1871, se dressaient devant eux“, note Karl Marx (1993: 71) dans ses réflexions sur la Commune de Paris dans La Guerre civile en France. Force est de constater que le caractère spectral attribué aux acteurs et idées de l’insurrection parisienne s’inscrit dans la philosophie de l’histoire marxienne selon laquelle, suivant ses remarques introductoires dans Le XVIII Brumaire de Louis Bonaparte (1852), c’est surtout au moment des crises révolutionnaires que les agents „évoquent en leur faveur les esprits du passé, leur empruntent leur nom, leur cri de guerre, leur costume pour jouer sous ce déguisement d’une antiquité respectable et dans cette langue empruntée une nouvelle scène historique“ (Marx 1900: 192). Cependant, ce qui, dans l’analyse du coup d’État de 1851, revêtait une dimension négative, 1 acquiert une signification entièrement différente vingt ans plus tard: les revenants de la Commune de Paris ne représentent plus la répétition de l’histoire en tant que caricature, mais la reprise et le retour des idées et des actions révolutionnaires réprimées au cours du XIX e siècle. Les spectres communautaires, à la différence des „esprits du passé“ bourgeois, entament pour Marx une ‚spectralité‘ spécifique - leur réapparition ouvre l’horizon de la révolte du présent et de l’avenir, les révolutions du passé se transformant en réservoirs de savoirs et d’énergies insurrectionnelles potentiellement renouvelables. C’est dans cette perspective que la Commune (et la pensée de Marx en général) touche de manière exemplaire à l’un des paradigmes les plus productifs au sein des humanités et des sciences sociales contemporaines au moment de (re)lire l’histoire politique moderne: la ‚spectralité‘. En partant de Spectres de Marx (1993), essai célèbre de Jacques Derrida, ce patron d’une lecture spectrale - notamment depuis la fin des utopies communistes et de leur philosophie de l’histoire - a connu une diffusion massive et s’est projeté sur les phénomènes historiques et culturels les plus divers. 2 Bien que Derrida ne fasse aucune allusion directe à la Commune de Paris, un nombre important de propos philosophiques, politiques, littéraires et cinématographiques contemporains en France se sont servis de ce patron d’une lecture spectrale pour (re)penser la Commune au XXI e siècle. Ils suivent la tendance, comme Éric Fournier l’a remarqué, que „[l]a Commune est devenue un fantôme, certes, mais qui parfois ressurgit sous des formes aussi variées que fugitives“ (Fournier 2013: 13). DOI 10.24053/ ldm-2021-0008 65 Dossier Notre analyse prend comme point de départ l’hypothèse que cette productivité des relectures spectrales de la Commune se fonde sur la temporalité spécifique du spectre dans le sens de Derrida, dont le propre serait „qu’on ne sait pas s’il témoigne en revenant d’un vivant passé ou d’un vivant futur, car le revenant peut marquer déjà le retour du spectre d’un vivant promis“ (Derrida 1993 : 162). Les usages contemporains de la Commune, à analyser dans ce qui suit, se caractérisent - soit dans des (con)textes factuels ou fictionnels - par cette double fonctionnalisation spectrale du passé insurrectionnel tirée du caractère temporel du spectre: caractérisé par sa capacité de hanter le présent, le spectre symbolise en même temps un passé inachevé et une réactivation future possible. En transposant cette spectralité aux lectures contemporaines de la Commune, celle-ci devient une figure dépositaire par excellence des espoirs du retour de la révolte. L’objectif des textes à analyser de percevoir la Commune en tant que spectre est justement le refus de le considérer comme événement historique clôturé. Il s’agit de lectures de l’insurrection qui soulignent son pouvoir d’alimenter les imaginaires révolutionnaires et qui s’inscrivent eux-mêmes dans cette longue tradition des invocations d’un possible retour des spectres de la Commune, c’est-à-dire dans cette ‚histoire fantôme‘ qui en a accompagné la mémoire collective dès le début. Dans cette perspective, dans les analyses à suivre l’accent sera mis sur des exemples qui situent la Commune de Paris dans des contextes politiques et économiques contemporains du XXI e siècle (à la différence du grand nombre de textes littéraires et historiographiques dédiés à une relecture ou une recréation d’épisodes et des figures historiques de la Commune). C’est le cas des essais philosophicopolitiques d’Alain Badiou et du Comité invisible, qui seront le point de départ de nos relectures spectrales de la Commune, suivis d’une analyse des transpositions de la Commune dans la littérature et le cinéma contemporains à partir des exemples du roman Les Renards pâles (2013), de Yannick Haenel, et du film Louise-Michel (2008), de Benoît Delépine et Gustave Kervern. 2. Revenants communautaires: la Commune de Paris dans L’Hypothèse communiste (2009) d’Alain Badiou et les Manifestes du Comité invisible (2007-2017) La Commune a occupé une position fondamentale dans les imaginaires et les pratiques mémorielles de la gauche et du commun(autar)isme tout au long du XX e siècle, d’ailleurs bien au-delà de la France. 3 Cette importance a été étroitement liée à son potentiel extraordinaire de mobilisation des émotions et de l’imagination politiques: c’est à partir de son apparition fugitive et intense que naît, pour recourir à une expression de Michel Winock, la dialectique de sa durable „double vie - une vie réelle et une vie rêvée“ (Winock 1971: 965). Et bien qu’on ait constaté un „déclin des usages politiques de la Commune“ depuis les années 70 (Fournier 2013: 139), il ne fait aucun doute que le spectre de l’insurrection parisienne a été invoqué à nouveau lors des débats actuels au sein de l’extrême gauche. Ainsi, la Commune joue un rôle 66 DOI 10.24053/ ldm-2021-0008 Dossier éminent dans les réflexions qu’Alain Badiou a développées dans son essai L’Hypothèse communiste (2009), où la réapparition spectrale de la Commune s’insère dans la perception généralisée du présent qu’ébauche le philosophe: Le paradoxe historique est que, en un certain sens, nous sommes plus proches de problèmes examinés dans la première moitié du XIX e siècle que de ceux que nous héritons du XX e siècle. Comme aux alentours de 1840, nous sommes confrontés à un capitalisme cynique, sûr d’être la seule voie possible d’organisation raisonnable des sociétés. (Badiou 2009: 203) Le sentiment de vivre le retour des constellations historiques de la modernité est le point de départ de l’argumentation de Badiou, pour qui le communisme n’a pas complètement disparu en 1989, mais devrait être réactualisé, ce qui implique une relecture et une réinterprétation de l’histoire et des événements paradigmatiques dits communistes. Les exemples discutés par Badiou comprennent Mai 68, la Révolution Culturelle et la Commune de Paris qui - afin de pouvoir les fonctionnaliser pour son récit d’un possible retour d’un nouveau communisme - exigent une sorte de ‚transformation en spectres‘, c’est-à-dire une relecture n’apercevant pas ces événements en premier lieu comme autant de preuves des faillites historiques du communisme mais, bien au contraire, comme des „échecs apparents“ et des „étapes de son histoire“ (ibid.: 12) - une histoire que Badiou considère évidemment comme inachevée. Cette perspective ne réclame pas seulement de „nouvelles disciplines requises pour le succès insurrectionnel“ (ibid.: 29), mais surtout une nouvelle lecture de l’histoire révolutionnaire et de la Commune de Paris en particulier: au-delà du fait qu’„on se souvient mal“ de la Commune „qui a été retirée des programmes d’histoire, où elle n’occupait pourtant guère de place“, le vrai problème pour Badiou „n’est pas relatif à la mémoire, mais à la vérité. Comment se concentre pour nous, aujourd’hui, la vérité politique de la Commune? Sans négliger les appuis factuels, textuels, il s’agit de reconstituer […] l’irréductibilité de cet épisode de notre histoire“ (ibid.: 137- 138). Cela présuppose pour Badiou une opération qui suit la logique mentionnée de ‚spectraliser‘ la Commune en l’extrayant des cadres statiques (et étatiques) d’une mémoire inerte: au lieu d’une „commémoration […] qui interdit toute réactivation“ (ibid.: 147, souligné par l’auteur), Badiou plaide pour une „désincorporation“ (ibid.: 158) de la Commune se dirigeant principalement contre la pétrification de l’insurrection par la gauche traditionnelle. Celle-ci, selon l’auteur, n’a su concevoir la Commune qu’à partir de son manque d’institutionnalisation et de pouvoir, ce qui aurait contribué précisément à la vider „de tout contenu proprement politique“ (ibid.: 147). Débarrasser la Commune de ses usages traditionnels signifie la transformer en ce que Badiou appelle „un site“, une apparition singulière et dotée d’une „intensité d’existence“ (ibid.: 158) étant capable d’une „subversion des règles de l’appareil politique (de la logique de pouvoir) par son propre support actif“ (ibid.: 165). À première vue, il peut sembler contradictoire d’associer à la figure du spectre ce désir d’effacer les appropriations historiques et de revitaliser la Commune en tant qu’événement. Cependant, Derrida a bien mis en lumière la relation de la conjuration du spectre avec une sorte de vitalisme chez Marx en accentuant „le geste d’une conjuration DOI 10.24053/ ldm-2021-0008 67 Dossier positive“ qui, certes, implique l’angoisse face au spectre mais qui surtout „appelle la mort pour inventer le vif et faire vivre le nouveau, pour faire venir à la présence ce qui n’a pas encore été là […]. Cette angoisse devant le fantôme est proprement révolutionnaire“ (Derrida 1993: 177). Seulement, en libérant la Commune de sa condamnation mémorielle à un moment historique conclu et dominé, en lui conférant un statut énergétique et fluide d’une „composition multiple“ (Badiou 2009: 158), bref, en la transformant en un spectre capable de hanter le présent de nouveau, Badiou voit la chance d’appréhender la Commune comme un événement qui „a, comme tout événement véritable, non pas réalisé un possible, mais [qui] l’a créé“ (ibid.: 175). On peut observer une même existence spectrale de la Commune de Paris dans la série de manifestes rédigés par le groupe activiste anonyme du Comité invisible, qui, depuis L’Insurrection qui vient (2007), s’est transformé en un point de référence du spectre intellectuel d’extrême gauche en France (et ailleurs). 4 Poursuivant un style pamphlétaire inspiré des avant-gardes, 5 l’orientation idéologique du collectif se fonde sur une critique de l’ordre économique et social du capitalisme tardif et prône l’ébauche des nouvelles formes communautaires basées sur „l’union de l’affect communautaire, de l’organisation communaliste et du combat communiste“ (Marcolini 2021: s. p.). Néanmoins, la présence de la Commune de Paris dans les écrits du Comité, à la différence de Badiou, n’est plus liée à l’idée d’une „politique prolétaire indépendante“ (Badiou 2009: 175); bien au contraire, c’est à partir du sabotage et du refus des structures de production et du travail mêmes de l’État capitaliste que le Comité conçoit son programme „ d’une démobilisation générale [qui] est le spectre qui hante le système de production présent“ (Comité invisible 2007: 33sq.). Par conséquent, on n’entend plus par communisme le mouvement d’une classe déterminée, mais „le mouvement réel qui destitue l’état de choses existant“ (Comité invisible 2017: 85). Dans ce sens-là, l’insurrection de 1871 sert d’exemple concret de sabotage du pouvoir de contrôle de l’État, puisque „[l]a Commune de Paris avait en partie réglé le problème du fichage: en brûlant l’Hôtel de Ville, les incendiaires détruisaient les registres de l’état civil“ (Comité invisible 2007: 106). Cependant, les références à la Commune en tant qu’événement historique concret sont en fin de compte très limitées dans les manifestes du Comité; il s’agit plutôt d’une présence spectrale, ce qui rapproche l’évocation de la Commune non seulement de la notion de Badiou mais aussi de toute une tendance répandue dans des écrits contemporains qui, selon l’observation pertinente de Sébastien Févry, préfèrent l’usage du „term ‚imaginary‘ […] over ‚memory‘: the first term allows the Commune to free its potentialities for the present, while the second locks the event up in the past“ (Févry 2019: 49). Cette notion spectrale de la Commune facilite également un détournement de l’événement concret pour le réintégrer dans une généalogie insurrectionnelle alternative au-delà de la conjuration du retour du spectre d’une insurrection imminente. La première dimension s’exprime à travers l’intégration de la Commune de Paris dans un assemblage d’événements et de lieux insurrectionnels assez vaste comprenant des cas aussi divers que celui du Maquis de la Seconde Guerre mondiale, du 68 DOI 10.24053/ ldm-2021-0008 Dossier Printemps arabe ou de la scène autonome de Hambourg - la Commune ici n’est qu’un événement dans une longue histoire universelle de la révolte évoquée par le Comité „pour tracer des solidarités et des fronts à l’échelle mondiale“ (Comité invisible 2014: 87). 6 La seconde dimension au travers de laquelle la Commune est pensée comme un spectre capable de hanter le présent se traduit quant à elle par le caractère exemplaire de l’insurrection parisienne qui sert de modèle aux révoltes contemporaines, particulièrement en ce qui concerne le scénario d’une guerre civile: „Il reste que face à l’armée, il faut une foule nombreuse, envahissant les rangs, et fraternisant. Il faut le 18 mars 1871. L’armée dans les rues, c’est une situation insurrectionnelle“ (Comité invisible 2007: 120). Cependant, il s’agit moins d’une récapitulation des stratégies spécifiques des communards plutôt que d’ériger la Commune en événement singulier dont la dimension spectrale et menaçante serait capable de s’étendre jusqu’au présent. 7 D’une manière encore plus prononcée que celle de Badiou, le Comité invisible utilise la Commune pour justifier le refus de toute institution ou constitutionnalité capable de canaliser, voire de diminuer les énergies communautaires à déchaîner. 8 C’est pourquoi la critique a souligné à juste titre la proximité des positions du Comité à certains discours de l’extrême droite autour du paradigme de la guerre, notamment ceux de Carl Schmitt et d’Ernst Jünger (Marcolini 2021: s. p.). En effet, plus particulièrement dans sa publication la plus récente, le Comité paraît avoir accentué encore la dimension messianique de son idéologie: celle-ci s’associe à la notion spectrale de la révolte communautaire et s’exprime sans ambiguïté dans l’invocation d’un nouveau communisme entendu comme „le retour sur terre, la ruine de toute mise en équivalence, la restitution à elles-mêmes de toutes les singularités, l’échec fait à la subsomption, à l’abstraction, le fait que moments, lieux, choses, êtres et animaux acquièrent tous un nom propre - leur nom propre“ (Comité invisible 2017: 43). La dimension eschatologique du récit, de plus, est accompagnée d’une reprise de la célèbre distinction de Carl Schmitt: on souhaite la venue du choc qui facilitera „que se découvrent l’ami et l’ennemi“ (ibid.: 63). Il est évident que cette radicalisation du spectre de la Commune, qui n’est d’ailleurs plus évoquée dans ce dernier manifeste de 2017, s’est éloignée d’une manière claire (et problématique) de l’idéal communautaire des combattants de 1871 et de leurs visions d’une nouvelle société. 9 Néanmoins, ce type d’instrumentalisation de la Commune au service d’une destruction violente de l’ordre social et économique contemporain est loin d’être l’apanage des écrits du Comité invisible, ainsi que le prouve l’analyse suivante du roman Les Renards pâles, de Yannick Haenel. 3. La Commune et le fantôme d’Afrique: l’insurrection imaginée des ‚communoirs‘ dans Les Renards pâles (2013) de Yannick Haenel Ce roman raconte à la première personne l’histoire de Jean Deichel, alter ego littéraire de l’auteur également présent dans ses textes antérieurs, 10 qui est au chômage et perd son foyer à Paris. Cet événement, qui coïncide avec l’élection du nouveau DOI 10.24053/ ldm-2021-0008 69 Dossier Président de la République, incite Deichel non seulement à s’installer dans une vieille voiture dans la Rue de la Chine, mais aussi à réaliser de manière intégrale la rupture avec la société contemporaine française considérée comme décadente par le narrateur. C’est aussi le point de départ de sa transformation en spectre social: „Le jour où j’étais entré dans la voiture, où j’avais mis la clef dans le contact sans démarrer, en quelque sorte, je m’étais soustrait à la vie […], j’existe des deux côtés à la fois - comme si le vide pouvait se retourner, comme si le suicide pouvait s’inverser“ (Haenel 2013: 34-35). Ce refus multiple de la société capitaliste, des impératifs de production et de concurrence est exposé dès le début du roman par des références intertextuelles multiples. Elles comprennent, en plus de l’épigraphe de Walter Benjamin („Vaincre le capitalisme par la marche à pied“), des allusions à L’Étranger et à la théorie de l’absurde d’Albert Camus, 11 le livre biblique de Jonas 12 et En attendant Godot de Samuel Beckett, livre que le narrateur garde dans la boîte à gants de sa voiture et qui lui sert à expliquer, dans un commentaire métalittéraire, la tâche de la littérature comme lieu des voix spectrales, puisque les figures de Beckett „me confirmaient que, pour les voix, la mort n’est pas assez. En trouvant quelqu’un qui les écoute, elles reprennent vie“ (ibid.: 29). Le motif de la spectralité traverse tout le roman comme un fil rouge et en particulier les références à la Commune de Paris, dont le spectre apparaît surtout au travers de la topographie parisienne: les promenades interminables dans le XX e arrondissement mènent constamment le flâneur désoccupé à parcourir des espaces rappelant aussi bien les sites emblématiques de l’insurrection (Belleville, Montmartre, Père- Lachaise, etc.) 13 que des lieux portant les noms de communards célèbres comme Henri Mortier ou Édouard Vaillant. Le XX e arrondissement est marqué par une topographie hantée par l’histoire violente de la France - „cet étrange quartier où même les platanes qui bordent l’avenue ont l’air de spectres“ (ibid.: 31) - de même que la ville entière: „Lorsqu’on marche dans Paris, on s’imagine qu’on se promène, mais on piétine surtout les morts“ (ibid.: 50). 14 C’est cette perception spectrale de Paris qui va progressivement affecter les pensées de Deichel: „[par] flammes montaient en moi des pans de vie ancienne, des vies vécues par d’autres, dans d’autres temps, des vies qui s’adressaient à moi depuis le sous-sol, comme si les rues de Paris se retournaient et que les trottoirs révélaient la terre qu’ils dissimulent, une terre ensorcelée, une terre dont nous avions oubliée, en France, qu’elle est maudite“ (ibid.: 82). À partir d’ici, la dimension apocalyptique du récit s’intensifie; le narrateur qui, dès le début de sa nouvelle existence, avait imaginé une „grève générale qui plongerait le pays dans le tumulte“ et „la France étouffée dans son chaos“ (ibid.: 21), commence à lire le présent sur la base des présages annonçant le retour spectral des insurrections du passé lorsqu’il affirme: „Les moments irréductibles d’une historie restée en suspens réapparaissent toujours, comme des revenants; et ce qui revient donne chance à une nouvelle époque“ (ibid.: 27). Tandis que des amis de Deichel fuient Paris pour entrer dans la clandestinité, 15 le protagoniste est de plus en plus absorbé par son obsession pour la Commune, un processus qui s’intensifie lorsqu’il trouve par hasard un exemplaire de La Guerre 70 DOI 10.24053/ ldm-2021-0008 Dossier civile en France dans une piscine. Cette lecture qui donne lieu à la réflexion suivante, dont la tonalité épiphanique est sans appel: [S]ans aucun doute la Commune de 1871, dont parle le livre de Marx, est-elle dans l’histoire de France l’épisode le plus refoulé: on s’obstine à en réduire l’importance, comme s’il ne s’agissait que d’une explosion d’anarchie dont l’outrance aurait légitimité les dérapages qui l’ont stoppée; ou alors, ce qui revient au même, on n’en parle pas - mais l’impunité de cet oubli en dit long sur ce qu’on nomme la politique en France. Voici donc qu’un jour d’été, à Paris, les fantômes de la Commune se réveillaient. […] J’ai lu cette quarantaine de pages debout, sur le trottoir, dans le soleil de midi. […] C’était comme si le sang de Jean-Jacques Rousseau se remettait à ruisseler depuis les hauteurs de Paris, comme si le sang des révolutionnaires n’avait plus cessé de s’écouler en France, et que les phrases qui s’écrivent en lettres rouges depuis quelques mois sur les murs du XX e arrondissement manifestaient, avec l’évidence d’un sacrifice, une histoire qui n’en finissait pas d’être occultée: celle d’une guerre civile qui traverse les époques et continue aujourd’hui (ibid.: 93-96). La présentification continuelle de la répression violente de la Commune 16 accentue le désir de vengeance que Deichel (et son amante polonaise Anna, la propriétaire du livre de Marx) 17 éprouve à l’encontre de la classe bourgeoise et politique - tendance qui sera renforcée lorsqu’ils font la connaissance d’un groupe de migrants maliens sans-papiers travaillant comme éboueurs et habitant dans une communauté clandestine à l’intérieur du Père-Lachaise et dans un squat voisin. C’est là que le protagoniste et son amante brûlent leurs cartes d’identité pour rejoindre le groupe de Maliens portant le nom qui est aussi le titre du roman: Les Renards pâles. Il s’agit d’un animal sacré de la cosmogonie des Dogon, que les travaux ethnologiques de Marcel Griaule ont popularisée en France. 18 Le roman cite non seulement des éléments de cette œuvre sur le renard pâle, mais fait apparaître l’ethnologue comme l’un des habitants du squat parisien sous le quasi-homonyme de „Le Griot“ (ibid.: 113). À première vue, le renard, conformément à ses caractéristiques mythologiques d’„animal anarchiste qui s’était rebellé contre la Création“ (ibid.: 111), semble remplir la fonction de symboliser et d’annoncer l’insurrection postérieure des Maliens dont le narrateur fera partie. Toutefois, la référence à Griaule entame une chaîne intertextuelle plus vaste, qui conduit notamment vers Michel Leiris, présent pendant la mission Dakar-Djibouti de mai 1931 à février 1933, dont un an plus tard résulterait la publication de L’Afrique fantôme, 19 et, d’une certaine manière, aussi vers Raymond Roussel et ses Impressions d’Afrique. 20 La passion pour les Dogon en France, comme l’a bien démontré Irene Albers dans son œuvre monumentale sur Leiris, 21 est restée intacte jusqu’à présent - une passion, néanmoins, qui „a plus à voir avec des questions d’identité françaises qu’avec les Dogon“ (Albers 2018: 457). Les Dogon, suivant les observations d’Albers, dans le contexte de l’ethnologie (et de la littérature) française ont toujours servi comme un „contre-monde utopique dans lequel le ‚sens‘ de la religion, de l’amour et de l’art, détruit par la civilisation occidentale et ses idéaux (efficience, rationalité, partage de travail, christianisme et sécularisation), acquiert une nouvelle DOI 10.24053/ ldm-2021-0008 71 Dossier visibilité, où la vie dans un ordre temporel différent est possible, où tout est à sa place et où il n’y a qu’un seul mythe et une seule vérité“ (ibid.: 458). 22 Le roman d’Haenel se rattache directement à cette tradition et à la fascination vitaliste pour le primitivisme africain, qui remonte jusqu’aux avant-gardes historiques, 23 et le combine avec sa lecture de la Commune de Paris. Le narrateur Deichel se sent „entraîné dans une histoire millénaire, qui était aussi la plus jeune des histoires, celle d’un avenir qui me semblait vivable, où la politique avait de nouveau un sens. Le vieux rêve occidental de la révolution avait moisi; et j’entrevoyais que, si quelque chose devait avoir lieu - si un réveil était possible - c’était à partir du Renard“ (Haenel 2013: 113sq.). Or, le spectre de la Commune se fond avec l’imaginaire d’un exotisme consolidé dans l’histoire culturelle française. La seconde partie du roman, par conséquent, raconte sous forme d’une sorte de manifeste collectif 24 cette fusion des revenants africains et des communards hantant le Paris du présent: [V]ous aurez beau nous chasser hors de vos frontières, nous reviendrons vous hanter, comme vous hantent les massacres que vous avez commis dans vos anciennes colonies: en Algérie, à Sétif et à Guelma, durant l’été 1945; au Sénégal, lorsqu’en 1944 vous avez liquidé des tirailleurs sénégalais dans le camp de Thiaroye; au Cameroun, en Côte d’Ivoire, à Madagascar: crimes, tortures, charniers. Que vous le vouliez ou non: un spectre hante la France, c’est l’Afrique (ibid.: 119, souligné par l’auteur). La fusion des revenants (post-)coloniaux et communards est complète quand un cortège fourni en masques dogons et en noms de communards se met en route vers le centre de la capitale en réclamant: „On dit que le monde est hanté. Seulement hanté? Non: il revient, et ce retour incessant transporte avec lui des noms. Réveiller les noms des morts est déjà une déclaration de guerre. Les Dogon-communards sont des anarchistes couronnés“ (ibid.: 155). Le cortège, rejoint par des groupes marginaux des banlieues parisiennes, finit par incendier la ville et s’achève par une orgie massive au Père-Lachaise. La fin du roman, en citant implicitement les théories sociologiques de Ferdinand Tönnies, ébauche l’utopie d’une communauté mythique comme alternative à la société républicaine décadente: „La seule question qui fasse trembler la société a toujours été celle de la communauté, parce que la société ne veut qu’elle-même, et qu’elle redoute ce qui peut se substituer à elle“ (ibid.: 165). Bien que le roman essaie de présenter cette communauté positivement comme „confusion tranquille“ et comme entité qui „déjoue la clôture“ (ibid.), l’implication politique et la généalogie doublement problématique du récit sont difficiles à ignorer: la mise en scène de la Commune de Paris par le roman, de manière identique aux écrits du Comité invisible, se limite à une fascination de la violence contre la société bourgeoise et ses institutions. Il ne s’agit pas, comme pour la plupart des communards, de créer et d’organiser une société différente, mais d’effacer l’idée même de la société. En dépeignant la société libérale comme hypocrite et décadente, le roman d’Haenel représente un équivalent de l’autre côté de l’éventail politique au genre de la dystopie sociale contemporaine en France, si chère à des auteurs comme Raspail, 72 DOI 10.24053/ ldm-2021-0008 Dossier Houellebecq et autres (avec qui Les Renards pâles partage l’invocation voluptueuse du scénario d’une guerre civile). Le recours aux exclus migrants, constituant à première vue une critique sociale totalement justifiée, engendre chez Haenel un effet plus que douteux dans la mesure où il rattache les ‚spectres africains‘ à une tradition imaginaire et problématique au vu de ses enjeux coloniaux. La Commune de Paris, du point de vue de l’auteur, apparaît privée de toute dimension progressive et idéaliste: les spectres ‚communoirs‘ dans Les Renards pâles ne s’intéressent guère à réformer la société du présent: c’est, comme dans les écrits du Comité invisible, la consigne schmittienne de la claire distinction ami/ ennemi qui domine leur imaginaire communautaire, ou plus exactement tribal, où le seul message aux adversaires annonce que „nous avons appris dans nos squats et chez nos protecteurs à ne plus laisser entrer en nous vos syllabes, vos consignes, votre conception du monde“ (139). 4. La Commune aux temps de la globalisation: revenants prolétaires dans Louise-Michel (2008) de Benoît Delépine et Gustave Kervern L’idée marxienne des communards comme revenants-vengeurs de la classe ouvrière est le point de départ de la comédie noire Louise-Michel, réalisée par Benoît Delépine et Gustave Kervern: Louise (Yolande Moreau) fait partie de la maind’œuvre (entièrement féminine) d’une usine de textile en Picardie qui est fermée du jour au lendemain, ne laissant les ouvrières dans la rue qu’avec une indemnité de 2 000 euros par personne. Après avoir rejeté différentes idées de monter une entreprise en commun, les femmes décident de suivre une proposition de Louise et d’employer leur argent pour engager un tueur à gages afin de faire assassiner leur ancien patron. Ce n’est qu’après que Michel (Bouli Lanners), un (autodénominé) ‚security Figure 1: Delépine/ Kervern: Louise-Michel DOI 10.24053/ ldm-2021-0008 73 Dossier manager‘ raté et incapable de tuer même un chien, parvient à manipuler sa cousine cancéreuse pour abattre le patron que les femmes apprennent que le responsable de la fermeture d’usine n’était pas la victime, mais un fonds international appelé World Found Ltd. ayant son siège sur l’Île de Jersey. Là-bas, la recherche grotesque des vengeurs Louise et Michel s’achève sur le meurtre du manager qui avait liquidé l’usine de textile. Le film se termine avec la naissance de l’enfant du couple en prison, suivi par un poème attribué à la communarde Louise Michel: „Maintenant que nous savons / Que les riches sont des larrons, / Si notre père, notre mère / N’en peuvent purger la terre / Nous, quand nous aurons grandi, / Nous en ferons du hachis.“ Même si l’attribution des vers à Louise Michel est incorrecte, 25 le film met en lumière une fois de plus la réception puissante et continue de la plus célèbre communarde, qui, suivant l’étude fondamentale de Sidonie Verhaeghe, „n’est pas seulement un personnage de l’histoire, elle est un signifiant, elle est le support immatériel d’idées qui lui sont associées“ (6). Dans le cas de Louise-Michel, le spectre de la communarde sert à évoquer l’histoire de la solidarité et des révoltes prolétaires dans le contexte contemporain de ce que Christophe Guilluy a appelé „la France périphérique“: Louise et ses collègues dans une petite ville négligée en Picardie font partie de ce milieu populaire qui ne partage pas de „‚conscience de classe‘ mais une perception commune des effets de la mondialisation et des choix économiques et sociétaux de la classe dirigeante“ (108). Lors de la délocalisation de leur usine, elles rejoignent cette „France des plans sociaux“ (114). Le film prend pour thème justement le caractère spectral du capital transnational et de ses dirigeants (Sklair 2013), ce qui devient explicite au moment où Louise et Michel se trouvent dans un bureau rempli de boîtes postales et Louise constate: „pas de sonnette, il n’y a pas de porte, pas de bureaux, il n’y a personne“. Néanmoins, la référence du film au personnage historique de Louise Michel vise à défendre une attitude combative face à l’impuissance des ouvrières: contrairement Figure 2: Delépine/ Kervern: Louise-Michel 74 DOI 10.24053/ ldm-2021-0008 Dossier à la tendance dominante de la ‚littérature sociale‘ contemporaine chez des auteurs comme Didier Eribon ou Édouard Louis, 26 Louise-Michel rompt avec la notion fataliste des classes ouvrières contemporaines. Le spectre de la Commune est réincarné par les personnages de Louise et de Michel, qui non seulement dénoncent la spectralité du capitalisme global, mais mettent encore en lumière ses bases matérielles (à la fin de la chaîne des sociétés écrans, il y a une personne en chair et en os) et la possibilité d’une expérience communautaire et solidaire des ouvrières. Cette solidarité ne se limite pas à la sphère du travail mais inclut aussi une autre dimension liée à la figure historique de Louise Michel: Louise et Michel sont tous les deux des personnes transgenres. Louise est en réalité Jean-Pierre, un assassin condamné qui change de sexe pour se réinsérer dans le monde rural serré picard; Michel est en réalité Cathy, identité qu’il abandonne à la déception de ses parents. L’histoire de leur empowerment en tant qu’ouvrières exploitées se combine donc avec cette dimension sexuelle évoquant la longue histoire des (més)usages de l’identité sexuelle de la communarde Louise Michel: 27 comme l’a bien démontré Sidonie Verhaeghe, tandis que historiquement son surnom de Vierge rouge était utilisé particulièrement par ses adversaires pour dénoncer son entrée „dans un champ socialement considéré comme masculin et légalement réservé aux hommes“ (115), un nouveau féminisme queer et militant s’est emparé de cette dimension (trans)sexuelle de Louise Michel qui a commencé „ à être sollicitée comme une figure de femme badass“ (290). Cependant, le bébé que conçoivent Louise (Jean-Pierre) et Michel (Cathy) à la fin du film souligne non seulement la ‚productivité‘ des luttes communes mais, sur fond de la citation ci-dessus attribuée à Louise Michel, symbolise l’idée de la spectralité et de l’immortalité de la Commune et de ses idéaux incarnés dans l’enfant commun de ces revenants prolétaires. 5. Conclusion Les quelques exemples analysés ici sont la preuve que la Commune de Paris non seulement continue à susciter l’intérêt des historiens et à provoquer des usages idéologiques au sein du champ politique (Fournier 2013: 144-180), mais jouit également d’une présence vivante dans les différents segments de la culture française contemporaine en tant que spectre historique auquel se rattachent des discours (et des espoirs) qui visent à réactualiser l’événement de la Commune eu égard aux contextes sociaux, économiques et artistiques du présent. Quant à la philosophie et l’activisme politique, les exemples d’Alain Badiou et du Comité invisible peuvent être considérés comme représentatifs d’un certain courant idéologique d’extrême gauche qui conçoit la Commune particulièrement en tant qu’expérience singulière et non assimilable par les discours, la mémoire et les institutions d’État ou des partis politiques. Cette insistance sur l’impossibilité de limiter la force et la portée de la Commune en tant que modèle d’une transformation radicale DOI 10.24053/ ldm-2021-0008 75 Dossier va de pair avec un renforcement de son caractère spectral: il faut qu’elle reste insaisissable afin d’être capable de continuer à hanter la société bourgeoise (et à être invoquée par les détracteurs du système). Le rayonnement de ces discours activistes, comme le roman de Yannick Haenel l’a bien démontré, s’étend jusqu’au domaine des fictions contemporaines: Les Renards pâles déploie un scénario où la Commune sert de modèle radicalisé à un discours anti-républicain qui, malgré ses préoccupations justifiées quant aux inégalités de la société capitaliste actuelle et au postcolonialisme, participe à une généalogie discursive problématique en vue de son éloge d’un ‚primitivisme‘ dépassé et d’un idéal communautaire tribal. En revanche, Louise-Michel évoque le spectre de la communarde historique sous les traits d’une critique grotesque et en même temps édifiante qui témoigne une fois de plus de l’assimilabilité et de la longévité de la Commune, de ses protagonistes et de ses idéaux dans le contexte du capitalisme global contemporain, ce dernier ayant plus que jamais besoin d’imaginer des formes de société alternatives. Albers, Irene, Der diskrete Charme der Anthropologie. 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Sur la réception globale de la Commune, cf. l’étude de Deluermoz (2020). 4 Cf. l’article de Palheta 2016 sur les influences et la réception des écrits du groupe. 5 Cf. les remarques de Marcolini 2021 et l’analyse de Guest 2018. 6 La dimension temporelle, par contre, paraît plus ordinaire en nommant des dates ‚classiques‘ de la généalogie moderne révolutionnaire comme „10 août 1792, 19 mars 1871, octobre 1917“ (2007: 119). 7 Cf. le commentaire de Fébry, selon qui „[a]nother point to stress is the performative dimension of the memory dynamic activated around the commune. Whereas many activist movements use memory to change public perceptions of the past in order to better transform the present, the activist memory conveyed by the Invisible Committee does not seek particularly to bring a new light on the era of the Commune“ (57). DOI 10.24053/ ldm-2021-0008 77 Dossier 8 Cf. par exemple la critique décapante envers le mouvement de Nuit debout et ses débats sur une nouvelle assemblée constituante (2017: 52sqq.). 9 Cf. par exemple l’analyse du programme politique exposé dans „la déclaration de la Commune au peuple de France“ par Robert Tombs (2014: 141sqq.). 10 Cf. le texte de l’auteur sur la conception de ce personnage autofictionnel dans sa collection d’essais Le sens du calme (Haenel 2017: 131sqq.). 11 Tant le style laconique du narrateur de la première partie du texte que la répétition des termes liés au sujet de l’étrangeté et de l’absurdité attestent de l’importance du modèle littéraire camusien pour le protagoniste (cf. par exemple Haenel 2013: 16sq.). 12 Deichel appelle son vieux Renault 18 Break „une vraie baleine“ (18) qu’il habitera désormais pour se transformer en revenant du prophète biblique dont il partage particulièrement le motif de la fuite de la société et de la résurrection (symbolique) ou bien de la conversion racontée à continuation. 13 Sur la topographie et les politiques mémorielles de la Commune à Belleville, cf. l’article de Zederman 2014. 14 Cf. la remarque de Yannick Haenel dans un interview sur le Père-Lachaise comme lieu des „fantômes de la Commune“ et le fait que „[q]uand vous descendez à pied depuis Gambetta jusqu’à Ménilmontant et plus bas, vous marchez sur les Communards. On a mis des cailloux, et l’idée de Thiers était que les Français devaient écraser ceux qui ont osé être révolutionnaires“ (Gefen/ Brière 2013: 157). 15 Par exemple, le lecteur apprend que deux personnages que Deichel côtoyait „n’étaient plus à Paris car ils avaient rejoint le groupe de Tarnac“ (85). 16 Cf. la description détaillée d’une scène de la vengeance de bourgeois où des femmes „crèvent les yeux des prisonniers sous les vivats de la foule“ (102). 17 Le roman d’Haenel n’est pas avare de scènes pathétiques comme celle où Deichel et Anna font l’amour sur la tombe du général polonais de la Commune Walery Wroblewski (105sq.). 18 Parmi les publications les plus importantes de Griaule citons La Cosmogonie des Dogons (1936), Masques Dogons (1938) et Renard pâle, ethnologie des Dogons (1965). 19 Sur l’importance de l’Afrique et les relations entre ethnologie/ anthropologie et avant-garde littéraire, cf. par exemple l’article de Janis 2006. 20 Haenel fait allusion au principes poétologiques de Leiris et de Roussel, notamment à l’hommage de Leiris à Roussel dans Dogon en gondole (1977) où „c’est à partir d’un jeu de mots [...] que, procédure identique à celle dont Roussel a dévoilé le secret dans un ouvrage conçu comme livre posthume, la composition du Dogon en gondole s’est faite “ (Albers 2007: 81). Dans le roman d’Haenel, ce jeu de mots renvoie à la lecture de En attendant Godot par le narrateur, qui coïncide avec la première apparition d’un renard pâle dessiné sur un mur - la similitude phonétique de Dogon et Godot explique d’ailleurs la remarque du narrateur: „C’est alors que le nom de Godot m’a semblé une évidence“ (Haenel 2013: 61). 21 Albers nomme le roman d’Haenel au cours de sa discussion de la réception contemporaine des Dogon en France sans l’analyser et en se limitant à parler d’un „recodage critique“ par l’auteur (2018: 456). 22 Ma traduction (cf. la citation originale: „Die Welt der Dogon wird zu einer utopischen Gegenwelt, in welcher der von der okzidentalen Zivilisation und ihren Idealen (Effizienz, Rationalität, Arbeitsteilung, Christentum und Säkularisierung) zerstörte ‚Sinn‘ von Religion, Liebe und Kunst wieder sichtbar wird, in der ein Leben in einer anderen Zeitordnung möglich ist, wo alles seinen Platz hat, und wo es nur einen Mythos und nur eine Wahrheit zu geben scheint.“) 78 DOI 10.24053/ ldm-2021-0008 Dossier 23 Cf. l’essai classique sur la proximité entre l’ethnologie dogon et le surréalisme de Douglas (1967). 24 La voix individuelle de Deichel se dissout. Cependant, il est plus important de noter que les personnages africains, à l’exception des deux éboueurs maliens, n’acquièrent jamais une individualité dans le roman, un fait qui est certainement contraire aux intérêts du roman dans le sens qu’il lui confère une dimension clairement paternaliste. 25 En réalité, les vers sont issus d’un recueil de chansons anarchistes intitulé Rondes pour récréations enfantines (1889), recueillies par la communarde Louise Pioger, dite Louise Quitrime (1848-1920) (cf. l’article sur la chanson anarchiste de Manfredonia 2007: 339sq.). 26 Cf. la lecture critique de ces auteurs par Lenz 2019. 27 Cf. l’article de Mullaney (1990).