eJournals lendemains 46/182-183

lendemains
0170-3803
2941-0843
Narr Verlag Tübingen
10.24053/ldm-2021-0021
2021
46182-183

„Phisiologes dit que li formiz a III natures“

2021
Françoise Laurent
ldm46182-1830096
96 DOI 10.24053/ ldm-2021-0021 Dossier Françoise Laurent „Phisiologes dit que li formiz a III natures“ 1 Au Moyen Âge, l’homme et l’animal entretiennent d’étroites relations reposant sur le principe d’une réciprocité entre zoomorphisme animal et anthropomorphisme humain dont témoignent les nombreuses branches du fameux Roman de Renart, les recueils d’isopets et, surtout, les bestiaires. Ce genre, bien représenté en latin comme en langue romane se rattache à une œuvre anonyme, composée à Alexandrie au II e siècle, le Physiologos - du nom de son auteur ‚le naturaliste‘ ou ‚le sage en choses naturelles‘ - qui traite des animaux et des pierres précieuses. 2 Situé au carrefour de la tradition zoologique grecque, de l’ésotérisme égyptien, de la mystique juive et de la théologie chrétienne (Cf. Zucker 2004: 25-28), le Physiologos est le premier bestiaire chrétien où chacun des quarante-huit animaux sélectionnés fait l’objet d’un chapitre composé sous une forme binaire. Leurs ‚natures‘, c’est-à-dire leurs propriétés morphologiques ou leurs conduites, examinées dans la première partie de la notice, donnent lieu, dans la seconde, à une exégèse où elles sont rapportées aux saintes Écritures - principalement aux textes vétérotestamentaires, aux évangiles et aux épîtres de Paul - ou encore à l’institution ecclésiastique dont, suivant la tradition du néoplatonisme augustinien, elles sont le signe. Suivant les termes d’Arnaud Zucker, le Physiologos „propose à la fois une zoologie spiritualisée et une théologie incarnée dans les bêtes“; il habille, poursuit-il, les animaux „en théologiens pour représenter les mystères chrétiens“ (Zucker 2004: 9sq.). Le succès de ce traité fut considérable dans le monde chrétien. Vers la fin du IV e siècle, sans doute, il fut traduit en latin avant d’être enrichi de commentaires inspirés d’ouvrages naturalistes antiques, comme l’Histoire naturelle de Pline l’Ancien inspirée d’Aristote, et d’extraits des Étymologies d’Isidore de Séville ou encore du De proprietatibus rerum de Barthélemy l’Anglais. 3 Ces différentes additions ont permis le classement des bestiaires en latin dont certains ont, à leur tour, inspiré des ouvrages en langue vernaculaire (sur la repartition des familles manuscrites cf. James 1928, McCulloch 1962). Dans le domaine roman, leur influence s’est exercée sur quatre bestiaires dont le premier, celui de Philippe de Thaon, l’auteur du premier calendrier ecclésiastique en langue vernaculaire, le Comput, figure parmi les plus anciens textes en vers anglo-normands. Près d’un siècle plus tard, avant 1206, Pierre de Beauvais composa un autre bestiaire, suivi, en 1210, par Guillaume le Clerc dit de Normandie qui nous a laissé son Bestiaire divin. Enfin, nous est conservé un quatrième texte, écrit, vraisemblablement, vers 1230, par un certain Gervaise. 4 Héritiers du Physiologos, ces quatre ouvrages occupent une place essentielle dans l’élaboration d’un savoir qui, étendu sur un temps long, forme la base des connaissances sur la zoohistoire médiévale où sont établis les rapports entre l’homme et l’animal sur le plan de la réalité comme au niveau de l’imaginaire. 5 Certaines figures du bestiaire ont reçu très tôt les faveurs de la critique, comme la licorne, le lion ou encore le cerf qui ont nourri l’imaginaire médiéval, d’autres, comme DOI 10.24053/ ldm-2021-0021 97 Dossier les insectes, restent encore peu étudiées. 6 Il est vrai que l’espèce est mal représentée puisque, seule, la fourmi est nantie d’une notice. Cette prédilection mérite d’être interrogée. Elle tient, bien sûr, à l’existence de sources bien attestées dont les auteurs ont respecté la lettre. Elle s’explique aussi par la parfaite adéquation de cet insecte avec l’écriture d’un genre qui se propose, d’une part, de décrire les propriétés des animaux et, d’autre part, de faire servir celles-ci à un exercice de décodage et de reformulation à visée édifiante qui reprend en le développant le modèle des bestiaires latins. Dans leurs homologues romans, la fourmi est le support privilégié de l’activité exégétique à laquelle se sont livrés, parfois complaisamment, les auteurs: c’est à ce petit insecte, cette simple ‚bestelette‘, qu’ils ont attribué le rôle d’articuler une leçon où se cristallisent de manière exemplaire leurs desseins religieux et didactiques. La fourmi dans la composition des bestiaires romans Les bestiaires du corpus présentent de nombreux points communs touchant au statut de leurs auteurs, à leur destination et à leurs sources. Tous sont des œuvres de clercs qui composèrent pour un auditoire d’illiterati. Celui de Philippe de Thaon participe du vaste mouvement de translatio studii qui vit le jour très tôt en Angleterre où il connut un fort développement, et dont la visée fut la diffusion de connaissances réservées jusqu’alors à ceux qui connaissaient le latin, et destinées par voie de conséquence à un vaste public. Dédié à Adélaïde de Louvain, qui épousa Henri I er , roi d’Angleterre et duc de Normandie, en 1121, ce texte de 3194 vers au mètre irrégulier - des octosyllabes succèdent à 2888 hexasyllabes -, 7 fut vraisemblablement lu et diffusé à la cour anglo-normande, même si la présence d’un apparat didactique en latin, constitué notamment de rubriques parfois rimées permettant aux lecteurs de se repérer parmi les différentes notices, suggère une circulation plus large de l’œuvre. 8 Les trois bestiaires composés dans le premier tiers du XIII e siècle coïncident, eux, avec une floraison de traités d’histoire naturelle et avec l’essor de la lecture allégorique. Ils se situent surtout en une période marquée, selon Jean Bichon, par une „réaction religieuse anti-courtoise“ soucieuse de moralisation et d’exhortation religieuse et hostile aux fictions de la littérature profane, autant de conditions qui favorisèrent leur émergence (Bichon 1976: 545). C’est à ce dessein que répond le bestiaire du Normand Gervaise, texte de 1278 octosyllabes, 9 qui prétend respecter la vérité de la lettre suivant l’opposition exposée dans le prologue entre les „fablaor qui toz jors mantent“ (v. 1) et „celui qui verité dit / et selonc divine escriture“ (v. 24sq.). 10 Le même motif est repris dans le prologue du texte de Pierre de Beauvais dont le fondement théologique trouve dans la forme prose une caution de véridicité qui confirme le discrédit pesant sur le vers au XIII e siècle: Chi commence li livres que on apele bestiaires et pour ce est apelez ainsi qu’il parle des natures des bestes, car toute la creature que Diex cria en terre cria il pour home et pour 98 DOI 10.24053/ ldm-2021-0021 Dossier prendre essample de creance et de foi en elles. En cest livre translater de latin en romanz mist lonc travail Pierres qui volontiers le fist et pour ce que rime se vieut afaitier de moz concuielliz hors de verité, mist il sanz rime cest livre […] (Article I: 59). 11 L’auteur affiche aussi au seuil de son ouvrage la destination aristocratique de celuici. Son bestiaire est dédié à un certain Philippe, identifié à l’évêque Philippe de Dreux, mort en 1217, mais l’un des manuscrits contient une dédicace à un comte Robert, peut-être Robert II, comte de Dreux et frère de Philippe de Dreux, mort en 1218. Tel est aussi le public visé par Guillaume le Clerc qui entreprit son Bestiaire divin de 4174 octosyllabes à l’initiative d’un certain Raoul cité dans le prologue d’un des manuscrits: 12 Guillaumes qui cest livre fist En la definaille nous dist, De signour Raoul son signor, Por cui il fu en tel labour, Qu’il li a bien guerredonne, Pramis li a et bien donne, Bien li a convenant tenu. 13 L’auteur est le seul à exposer d’entrée une définition du genre du bestiaire dont il annonce le sujet et la vocation didactique. Le „livre nos aprent“, écrit-il: Natures des bestes e mors, non de totes, mes de plusors, ou mult avra moralité e bons pas de divinité, ou l’em porra essample prendre de ben faire et de ben apprendre (v. 27-32). 14 Et il est aussi le seul à débuter par un abrégé de l’histoire sainte qui place l’homme au centre de la Création avant d’introduire les différentes bêtes conçues pour être à son service (sur la composition du texte cf. Mann 1888: 37-73). Cette construction illustre bien la résolution qui prévaut à l’écriture des bestiaires: révéler les vérités incarnées par chaque animal auquel, dans le cadre du plan divin, le destin des hommes est lié et qui les renseigne sur leur propre statut, et favorise, si l’on en croit l’incipit du Bestiaire de Pierre de Beauvais, leur compréhension de l’Écriture: „car toute la creature que Diex cria en terre cria il pour home et pour prendre essample de creance et de foi en elles“ (Article I: 59). Quel que soit le texte, tous témoignent d’un même souci de moralisation et tous héritent d’une tradition reconnue et affirmée, car le savoir exposé se construit par référence à des auteurs faisant figure d’autorité. Philippe de Thaon renvoie à „Ysidorus“ (v. 2226) et au Phisiologus (v. 2249), Pierre de Beauvais au „livre que Phisiologes, uns boens clers d’Athenes, traita“ et à „Jeahan Crisostonus [qui] enchoisi en les natures des bestes et des oisiaus“ (Article I: 61). Quant à Gervaise, qui DOI 10.24053/ ldm-2021-0021 99 Dossier indique aussi dans son prologue avoir trouvé „a Barbarie en l’armoire“, sa source, c’est-à-dire vraisemblablement à Barberie ou Barbery, abbaye cistercienne de Bayeux, il cite „Johanz Boche d’or“, appelé „Crisothomus“ (v. 39sq.; Meyer 1872: 421). „Physiologus“ - auteur ou titre du premier bestiaire -, Isidore de Séville et Aristote, que désigne sans doute la périphrase „le bon clerc d’Athènes“, le choix de ces grands noms permet aux auteurs de faire le vide sous le décor de leur source, préférant citer, conformément à l’habitude des clercs de l’époque, la référence la plus ancienne et la plus prestigieuse, sans faire cas des textes réellement consultés et adaptés en roman. La critique a, néanmoins, pu identifier plus précisément les sources de leurs bestiaires, parmi lesquelles se distingue la version nommée B-Is ou B-Isidore, correspondant à l’une des quatre traductions latines du Physiologos, la famille dite B dont les trente-six notices ont été augmentées de citations bibliques et de passages tirés du chapitre XII des Étymologies d’Isidore de Séville. 15 Cette version constitue l’hypotexte sur lequel trois de nos auteurs ont tissé leurs propres créations et que, en dépit de quelques variations, dues, sans doute, à l’influence d’autres manuscrits, Pierre de Beauvais et Guillaume le Clerc ont respecté avec une grande fidélité si l’on en juge par le nombre de notices - trente-cinq et trente-six -, 16 par l’ordonnance de celles-ci et, en particulier, par la position de la fourmi au sein des recueils. Dans leurs textes, comme dans le Physiologos grec et la version latine de B-Isidore, la notice sur la fourmi se trouve placée entre celle de la huppe et celle de la sirène, suivant un ordre tout à fait arbitraire et sans organisation raisonnée et concertée. Philippe de Thaon, le troisième auteur à s’inspirer de la version B-Isidore, ne suit pas ce modèle, mais organise ses 38 chapitres en les répartissant en trois groupes, pour traiter successivement des „bestes“, c’est-à-dire des animaux terrestres (de 1 à 23, du „lion“ au „cetus“), des oiseaux (de 24 à 34, de la „perdrix“ au „nicticorax“) et des pierres, les „turrobolen, adamas, duze pieres et union“ (de 35 à 38). En outre, comme l’a relevé Luigina Morini, il assortit ce classement à caractère naturaliste „d’une grille allégorique et typologique qui repère et regroupe les types représentant le Christ, l’homme et le diable“. Cela donne lieu, poursuit-elle, „à une structure solide et rigoureuse qui reprend et valorise la répartition traditionnelle en plan descriptif et plan interprétatif de chaque chapitre du bestiaire“ (Morini 2018: 15). La fourmi qui est insérée à la dixième place entre l’antilope et l’onocentaure, créature formée d’une tête, d’un buste et de bras humains sur un corps d’âne - sorte de version masculine de la sirène -, représente l’homme, ce que confirment, on le verra, le mode de présentation de l’animal et le contenu de la notice. La source de Gervaise n’est pas la version B-Isidore, mais les Dicta Chrysostomi, titre cité dès le prologue. Cet ouvrage anonyme, attribué à tort à Jean Chrysostome, patriarche de Constantinople au V e siècle, est la reproduction d’une famille latine du Physiologos où ne sont conservés que les chapitres sur les animaux, répartis globalement, par famille: les quadrupèdes, les reptiles et les oiseaux. Le classement de Gervaise n’est pas exactement celui de son modèle latin, puisque sa version se limite à organiser les animaux en deux groupes: les bêtes (de 1 à 16) et les oiseaux 100 DOI 10.24053/ ldm-2021-0021 Dossier (de 17 à 29). La notice de la fourmi qui figure parmi les „bêtes“ et qui s’inscrit entre le hérisson et l’aigle, clôt le premier. Dans les bestiaires, les notices sont de longueur inégale, en raison des propriétés animales dont le nombre variable justifie une composition reposant, comme le rappelle A. Zucker à propos du Physiologos, sur „une succession de diptyques, répétant la même structure binaire (nature animale / symbole théologique ou moral)“ (2004: 11). Le chapitre consacré à la fourmi fait partie des plus longs des recueils, en raison des différents traits qui lui sont attribués, et des riches commentaires dont, conformément à la loi du genre, ils sont assortis. Avant d’en analyser le contenu, il convient d’interroger l’intérêt qu’a suscité la fourmi, seul insecte, on l’a dit, à avoir l’honneur de figurer dans un bestiaire et, ce, dès l’origine du genre. 17 La Bible, pourtant, offrait à l’auteur du Physiologos un riche éventail d’insectes dans lequel il pouvait piocher, comme les auteurs de bestiaires après lui. Il en va ainsi de l’abeille dont les vertus sont célébrées 18 (Jg 14: 8, Si 11: 3, Ex 3: 8 et Pr 6: 8), de la mouche (Ec 10: 1 et Mt 23: 24) ou du moustique (Ex 8: 12-15), de la sauterelle (Ex 10, Jl 1: 1-4, Ap 9: 1-12, Mc 1: 6) ou encore du taon (Ex 8: 16-28, Jr 46: 20). La plupart des insectes étant liés aux catastrophes naturelles ou à la vengeance divine s’abattant sur les ennemis d’Israël - qu’on pense aux plaies d’Égypte rapportées dans les livres 8 et 10 de l’Exode -, ce statut les rendait, néanmoins, peu aptes à répondre à la logique d’un genre où les animaux présentent le plus souvent soit des traits positifs soit un caractère polyvalent, non réductible à une interprétation univoque. Ce qui est le cas de la fourmi. La prédilection que les bestiaires vouent à cet insecte tient aussi à un riche passé ‚littéraire‘ où il a été gratifié de légendes. 19 Dans ses Histoires (III: 102), par exemple, Hérodote s’intéresse à ces fourmis qui sont „plus petites que des chiens, mais plus grosses que des renards“, et qui vivent dans un désert près de la ville de Kapastyros et du pays de Paktuïke, où elles fouillent des sables aurifères avant d’entreposer l’or qu’elles découvrent dans leurs fourmilières. La même histoire est reprise avec quelques variations par Pline dans son Histoire naturelle (11, 111) où les fourmis de l’Inde septentrionale sont elles aussi les gardiennes de mines d’or: Les cornes d'une fourmi indienne, attachées dans le temple d'Hercule à Érythres (V, 31), ont excité l’étonnement. Cette fourmi tire l’or des cavernes, dans le pays des Indiens septentrionaux appelés Dardes. Elle a la couleur du chat, la taille du loup d'Égypte. Cet or, qu’elle extrait durant l’hiver, est dérobé par les Indiens pendant les chaleurs de l'été, dont l’ardeur fait cacher les fourmis dans des terriers. Cependant, mises en émoi par l’odeur, elles accourent, et souvent déchirent les voleurs, bien qu’ils s’enfuient sur des chameaux très rapides; tant sont grandes leur agilité et leur férocité, jointes à la passion de l’or! 20 Indépendamment de ce contexte légendaire, elles font l’objet de l’observation attentive de Pline et surtout d’Élien qui, dans la Personnalité des animaux (VI: 43), décrit l’ingéniosité des fourmis, capables d’emporter de la terre du fond de leurs galeries pour dresser des murs de séparation entre les cavités afin de les isoler, et pour obstruer l’entrée de la fourmilière et prémunir leurs provisions des intempéries. 21 Elles DOI 10.24053/ ldm-2021-0021 101 Dossier construisent, précise-t-il, „des sortes de murs et de protections, en disposant la terre tout autour de l’entrée de façon à empêcher que les infiltrations d’eau de pluies ne les inondent trop facilement [...]“. La fourmi est astucieuse, mais c’est surtout son courage à la tâche qui a été célébré par les Anciens quel que soit le type de texte. Il en est ainsi d’Horace, qui, dans le premier livre de ses Satires, s’exclame „Humble est la fourmi, mais quel grand exemple de prévoyance et de travail! Quelle ardeur à commencer sa réserve, quelle constance à l’augmenter chaque jour! “ (I, I: 33). Ou encore de Virgile, qui, dans le chant IV de l’Énéide, compare l’activité des Troyens au moment de quitter Carthage à celle des fourmis: Alors en fait, les Teucères s’activent et tirent les hautes nefs depuis rivage vers l’eau. Les coques ointes de poix flottent; pressés de fuir, les hommes apportent, trouvés dans les forêts des rames encore feuillues et des troncs de chêne non dégrossis. On pouvait les voir quitter la ville et se ruer de tous côtés. On eut dit des fourmis qui, pensant à la mauvaise saison, pillent dans un immense tas du blé qu’elles mettent à l’abri; leur noire colonne sillonne la plaine et transporte le butin dans l’herbe, sur un étroit sentier; certaines obstinées poussent sur leurs épaules d’énormes grains de blé; d’autres ferment les colonnes, fustigent les retardataires; tout le sentier bouillonne d’activité (IV, 395-400). „Parvula nam exemplo est magni formica laboris“, écrit Horace, l’activité inlassable de l’animal n’a pas manqué de séduire les Pères de l’Église pour qui la fourmi devient „nettement positive grâce à une focalisation sur un corpus réduit de formules ou de sentences“ (Zucker 2004: 110), comme celles de la Septante ou des Proverbes (30: 24-25). Car, en dépit de sa petite taille ou plutôt grâce à elle, l’animal est une illustration de la toute-puissance de Dieu et un moyen de vérifier la diversité de son œuvre, ainsi qu’un exemple confirmé de sagesse: „Il existe sur terre quatre êtres tout petits et pourtant sages parmi les sages: les fourmis, peuple sans force, qui, en été, savent assurer leur nourriture…“. 22 Aussi est-elle présente dans l’écriture patristique où elle joue, comme l’a montré Anne de Saxcé, 23 un rôle de „contrepoint poétique“ servant à „étayer une réflexion d’ordre souvent moral ou philosophique“: Il nous semble donc que cette „ fourmi de Dieu“, comme la désigne Augustin, permet, à sa modeste place, de comprendre ce que vise un symbolisme parfois déconcertant pour l’esprit moderne: rendre compte, par le texte biblique, de la présence de Dieu en l’homme et dans le monde (Saxcé 2018: 209) Ainsi, dans le De animalibus, Philon d’Alexandrie fait de la fourmi une illustration de la providence divine reconnaissable dans le discernement de l’animal. 24 C’est aussi pour cette vertu que Clément d’Alexandrie dans ses Stromates (I: 5) voit en elle un modèle de la vie chrétienne, 25 et qu’Augustin propose en modèle à l’homme impie celle qu’il nomme la „fourmi de Dieu“: Voyez la fourmi de Dieu: chaque jour elle se lève, elle court à l’église de Dieu, elle prie, elle écoute la lecture, elle chante l’hymne, elle rumine ce qu’elle a entendu, elle réfléchit en ellemême et cache à l’intérieur les grains ramassés sur l’aire (En. Psalm. 66: 3). 26 102 DOI 10.24053/ ldm-2021-0021 Dossier Ces différents textes sont connus des auteurs de bestiaires et les articles qu’ils consacrent à la fourmi en répercutent les échos, indépendamment même des sources dont ils ont hérité et qui, elles-mêmes, ont pu s’inspirer de ces mêmes témoignages. Leur fidélité à la lettre du „livre“, à la „grammaire“, pour reprendre le terme de Philippe de Thaon, confère à leurs notices un caractère répétitif, toutefois, les ressemblances entre les versions romanes n’empêchent pas, on le verra, de percevoir ce feuilletage d’influences. Bien plus, ces affinités entre les textes révèlent un mode d’écriture commun qui, rattaché à l’insecte, semble prendre modèle sur lui. À l’instar des fourmis qu’ils évoquent, les auteurs, inscrits dans une même tradition littéraire et culturelle, engrangent des informations en sélectionnant, comme leurs sources, les meilleures; comme elles, ils se succèdent en empruntant la même voie et en creusant un même sillon; comme elles, enfin, ils savent faire fructifier les graines de leurs récoltes. Ce sont là très exactement les trois „natures“ qu’ils mettent en récit. Approche naturaliste de la fourmi Sur le modèle du Physiologos et de la version B-Isidore, la notice est introduite par une citation de Salomon tirée du Proverbe 6: 6 et rapportée, dans nos bestiaires, soit au discours direct, soit sous une forme narrativisée et mise en exergue. Le texte biblique original est plus complet, mais seul ce qui se rapporte à la fourmi est conservé: Vade ad formicam, o piger, et meditare eam, quae, quum sit viribus infirmior, multum per aestatem frumentum reponit. 27 L’ouverture de la notice placée sous l’autorité de celui qui, suivant la tradition, est le roi de tous les savoirs, souligne à l’évidence le lien entre le genre du bestiaire et les Saintes Écritures. 28 La parole de Salomon convoquée au seuil du texte donne en exemple les actions et le comportement des fourmis au paresseux à qui il est demandé d’observer et de tirer parti de ce qu’il voit. Telle est très exactement la démarche qui gouverne l’écriture du bestiaire elle-même où il s’agit toujours d’évoquer ce que le texte nomme la „nature“ de l’animal, c’est-à-dire ses propriétés, ses traits distinctifs, une qualité physique ou une conduite naturelle, avant de tirer une leçon de cette observation et d’interpréter ces données relevant des sciences naturelles. L’exhortation qui introduit la notice en programme aussi le contenu, à la fois naturaliste et moral, en raison de l’accent porté sur les qualités physiques de l’insecte, bête infatigable, toujours en mouvement et œuvrant à sa préservation, dont les trois „natures“ condensent l’activité. „Chaque nature“, écrit Zucker, „expose une étape de la cueillette et témoigne de la profondeur de son jugement“ (2004: 111). La première intéresse la discipline dont les fourmis font preuve quand elles sortent à la suite les unes des autres pour chercher leur nourriture en été en prévision des disettes hivernales et qu’aucune ne déroge à la tâche, 29 qualité que Pline l’Ancien dans son DOI 10.24053/ ldm-2021-0021 103 Dossier Histoire naturelle (11, 36: 109sq.) avait déjà soulignée en abordant la question de leur vie sociale: Comme elles apportent leur récolte d’endroits différents en s’ignorant l’une l’autre, certains jours sont fixés, comme des sortes de foire, pour une inspection mutuelle. Alors, quel concours de peuple! Avec quelle sollicitude elles s’entretiennent, pour ainsi dire, quand elles se rencontrent, que de questions elles semblent se poser! 30 La deuxième concerne leur habitude de couper en deux les grains récoltés afin d’éviter leur germination, geste connu d’Aristote (Histoire des animaux: 622b) qui „n’est pas sans fondement zoologique“ (Zucker 2004: 112). On trouve, en effet, chez Pline (11, 36: 109) que la salive est le moyen utilisé par les fourmis pour stériliser leurs aliments: avant d’enfouir les graines, elles les rongent, de peur qu’elles ne germent en terre; les graines trop grosses pour entrer, elles les divisent; celles qui sont mouillées par la pluie, elles les tirent dehors et les font sécher. 31 Aucune précision de ce type n’est donnée dans les bestiaires si ce n’est que Philippe de Thaon, conformément au texte de B-Isidore, note que la fourmi transporte sa nourriture „od sa buche“ (v. 874). La troisième nature est leur capacité à distinguer le blé de l’orge ou de l’avoine. Parce qu’elle complète la première, cette propriété est associée à elle dans la version B-Isidore, ainsi que dans les bestiaires de Pierre de Beauvais et de Guillaume le Clerc où ce dernier s’attache encore à évoquer l’ascension des insectes sur les épis: „Donc montent amont a l’espi“ (v. 877). Alors que leurs comportements en matière de quête et de conservation de nourriture sont rappelés, la description des fourmis se concentre uniquement sur leur petite taille. Il est vrai qu’elles ne présentent rien d’exotique ni d’étrange, qu’elles font partie du quotidien d’un homme du Moyen Âge, leur familiarité ne justifiant pas qu’on s’attache à son apparence. Restent, il est vrai, les fourmis légendaires qui ont alimenté, on l’a vu, l’imagination des auteurs de l’Antiquité. Or, bien que le Physiologos et la version B-Isidore fassent état des fourmis éthiopiennes et des „formicaleon“, nos bestiaires puisent avec mesure à ces sources orientales. Guillaume le Clerc est le seul à évoquer longuement les fourmis chercheuses d’or dont avaient parlé Hérodote, Solin, Pline et Strabon et qui figurent dans les récits merveilleux. Il précise que „de chien ont tote la feture“ (v. 949) et s’attache à les décrire „esgrat[a]nt et tre[a]nt or fin“ (v. 953) et chargeant les sacs portés par les juments que les gens du pays envoient près d’elles pour leur faire croire qu’elles ont trouvé un „boen recet“, une bonne cachette (v. 980) où cacher leur or. L’histoire de la fourmi à tête de chien est plus brièvement rapportée dans le premier bestiaire roman où Philippe de Thaon l’assortit de la brève évocation de la fourmi à tête de lion, le „formicaleün“ (v. 1097), calque du mot latin formicaleon, fourmi à tête de lion et au corps de fourmi dont la présentation est due à une interprétation de la Septante. Cette fourmi myrmidon ou fourmillon est un insecte névroptère dont les larves, suivant les scientifiques, 104 DOI 10.24053/ ldm-2021-0021 Dossier creusent un entonnoir dans le sable pour prendre au piège et dévorer d’autres fourmis. Or, alors qu’on pouvait s’attendre à ce que Philippe de Thaon s’appesantisse sur son hybridité qui rattache l’insecte au domaine du monstre, il conserve une rigueur toute ‚scientifique‘ en faisant de lui une variété de la famille des fourmis „ki de furmi mustre estre“ (v. 1096) et signale les dommages qu’il cause à leur espèce: Ceo est beste petitete, met sai en la puldrete la u li formiz vait, forment li fait grant lait. (v. 1101-1104) 32 L’animal éthiopien et le fourmicalëon ne sont mentionnés dans les deux textes romans qu’en toute fin de notice, conformément à la version de B-Isidore où ils apparaissent sous la rubrique „Ethym[ologia]“ avec un renvoi aux Étymologies d’Isidore de Séville. Ils n’interviennent donc pas dans la démonstration des trois natures de la fourmi et cette mise en écart, on y reviendra, n’est pas insignifiante. Alors que les bestiaires sont avares de descriptions, dans quelques manuscrits, des enluminures ont été intégrées dans les folios pour donner à voir le contenu de la notice (Sur les illustrations des bestiaires cf. Durliat 198: 73-92, Evdokimova 2005: 85-105). Dans l’une des trois copies qui nous ont conservé le Bestiaire de Philippe de Thaon, comme le signale l’éditrice de celui-ci, en plus des rubriques latines qui décrivent les miniatures qui les suivent - pratique somme toute assez banale dans les manuscrits médiévaux -, le texte vernaculaire contient lui-même une douzaine de références aux images. En plus de ces références, le texte est truffé de 38 rubriques latines employant le verbe pingere. Ces rubriques sont toujours placées entre la description physique de l’animal, de l’oiseau ou de la pierre en question et la moralisation. Des rubriques de caractère purement didactique peuvent y être accolées ou bien se trouver en tête d’article. Les rubriques faisant référence aux miniatures, comme les miniatures ellesmêmes, sont généralement limitées à une par article. Certains articles, bien que privés de rubriques, sont néanmoins pourvus de miniatures dans les manuscrits O et C (Morini 2018: 24). Les lecteurs médiévaux étaient donc invités à lire le texte et à observer les images dont il est assorti. Ainsi, au folio 59 du manuscrit 3466, l’enlumineur s’est attaché à représenter, en la stylisant, l’intense activité des fourmis, les disposant avec une régularité mimétique, sans doute, de l’ordonnance qui régit leurs mouvements (ill. 1). Il les rend surtout visibles par l’emploi de la couleur rouge et bien reconnaissables à leurs antennes qui apparaissent derrière un tumulus figurant, peut-être, une fourmilière. Dans le même manuscrit, la puissance de leur labeur et leur discipline sont encore au centre de l’enluminure du folio 61 où elles sont peintes grimpant à la suite les unes des autres sur des épis de blé, image qui résume de fait deux des natures de l’insecte (ill. 2). DOI 10.24053/ ldm-2021-0021 105 Dossier ill. 1 ill. 2 Pour les autres bestiaires où la présence des enluminures n’est pas activée par le texte, le manuscrit 14969 contenant l’une des nombreuses copies de celui de Guillaume le Clerc représente au folio 17, sous une forme très élaborée, la scène centrale, évoquée plus haut, des fourmis d’Éthiopie chargeant d’or les sacs portés par une jument (ill. 3). Tout figure dans l’enluminure: l’eau que la monture a traversée pour brouter l’herbe fraîche, la rive dont le sable est creusé pour extraire le précieux métal, les fourmis au corps hérissé de pointes agressives. La légende prend le pas sur la réalité en cette image narrative destinée à expliquer pourquoi les gens du ill. 3 106 DOI 10.24053/ ldm-2021-0021 Dossier pays, craignant les attaques des terribles fourmis, sont contraints d’employer le stratagème des juments qu’ils chargent de sacs et attirent, une fois l’or chargé par les fourmis, en les faisant appeler par leurs poulains. L’histoire a de quoi surprendre et son caractère merveilleux justifie que l’enlumineur ait souhaité offrir de la scène centrale une représentation. Telle n’est pas la démarche, plus réaliste, de l’artiste qui a enluminé le Bestiaire de Pierre de Beauvais du manuscrit BnF 13521 qui, au folio 24, a cherché, lui, à représenter, sous une forme stylisée, le corps de la fourmi en y faisant figurer trois parties distinctes (ill. 4). ill. 4 L’insecte se présente, en effet, doté de ces ‚segments‘ qui, comme le précise Pline dans le livre XI des Histoires naturelles, lui donnent son nom: Tous ces animaux ont été appelés avec raison insectes, à cause des divisions qui les coupent tantôt au col, tantôt à la poitrine et à l’abdomen, en segments réunis l’un à l’autre seulement par un conduit ténu (11, 1: 149). Aucun auteur de bestiaire ne recourt à cette explication étymologique que les sources latines ne donnent pas elles non plus. En outre, malgré l’intérêt que le Moyen Âge a accordé à l’étymologie, malgré aussi la présence dans la version B- Isidore d’une citation tirée des Étymologies d’Isidore de Séville (3, 9): Formica dicta, quod ferat micas farris, cuius sollercia multa est, Philippe de Thaon est le seul auteur à préciser que „fourmi“ vient de ferre micas, littéralement „porter des graines“ (v. 1032-1052), et à rendre le jeu de mot entre formica, la „fourmi“, et mica, le „grain“: 33 DOI 10.24053/ ldm-2021-0021 107 Dossier Uncor de furmi dit Ysidre en sun escrit e ben mustre raisun pur quei furmi ad nun: fort est e porte mie, ço cest nun signefie. (v. 1031-1036) 34 L’étymologie est fautive, on le sait, 35 mais, pour un homme du Moyen Âge, le signifiant et son contenu sémantique sont motivés par le signifié: la fourmi étant bien la créature qui ne cesse, l’été durant, de porter et de transporter des graines. Le nom formica/ fourmi ramène donc l’insecte à l’essence de son être, il permet d’imaginer ses caractères et son activité à partir de la forme phonique ou graphique du nom qui le désigne. Et Philippe de Thaon se plaît à renchérir sur sa source en comparant la force de la fourmi à celle des animaux de somme qui la dépassent en taille: Il nen est creature de tant breve figure ki port de sun endreit tel fais cum il ferait. Il porte de sun grant de plum sum fais pesant; iceo ne pot nent faire cheval ne dromedaire. (v. 1037-1044) 36 En ajoutant ces données, étrangères au Physiologos, à la version B-Isidore ou encore aux Étymologies d’Isidore (Etymologiae 12, 3, 9), le clerc anglo-normand a peut-être emprunté directement à Pline l’Ancien, qui, au chapitre XXXVI de son livre, joint à sa description de l’insecte de nombreuses informations: Si l’on compare à la taille des fourmis les fardeaux dont ellen se chargent, on conviendra qu’aucun animal n’a proportionnellement plus de force. Elles les portent avec leur bouche; les fardeaux plus lourds, elles les poussent à reculons avec leurs pattes de derrière, en appuyant leurs épaules (11, 36: 108). À moins qu’il n’ait été inspiré par saint Jérôme pour qui „la grandeur véritable n’a rien à voir avec l’espace“: L’exemple même de la création ne prouve-t-il pas que l’esprit est plus souvent lié à la petitesse des proportions qu’à des corps volumineux: fourmis et abeilles n’ont-elles pas un sens plus fin que l’âne ou le chameau? Un grand arbre naît souvent d’une semence infime, et de graines bien plus grosses des plantes plus petites: la petitesse de l’œil saisit d’une seule vue la moitié du ciel, le centre ponctuel du cerveau est maître des cinq sens, le cœur commande à la vie du corps tout entier. Il y a plus: loin d’infirmer la grandeur divine, cette petitesse d’un corps d’enfant viendrait plutôt souligner sa puissance […]. 37 De la nature des fourmis, les quatre textes ne retiennent que quelques traits, toujours les mêmes, portant exclusivement sur leur conduite. Car les bestiaires ne sont pas des traités de sciences naturelles, ils ne visent aucune investigation naturaliste et 108 DOI 10.24053/ ldm-2021-0021 Dossier n’ont aucune prétention scientifique. La place tenue par la partie interprétative le montre avec évidence: la réalité zoologique est transposée au plan spirituel; elle cède la place à l’édification morale du lecteur et à la vérité théologique. La fourmi: instrument pastoral et ressource exégétique La notice sur la fourmi n’a pas pour but de dresser une représentation du monde des insectes, mais de la faire servir à une démonstration programmée par la parole de Salomon, mise en exergue, on l’a vu. Un bestiaire étant un répertoire de métaphores permettant au chrétien de déchiffrer le monde à travers un réseau d’équivalences symboliques, chacune des ‚natures‘ de la fourmi est immédiatement ‚convertie‘ en leçon, c’est-à-dire qu’elle est suivie d’un développement qui la commente et l’interprète à la lumière des saintes Écritures. 38 Les bestiaires de Pierre de Beauvais et de Guillaume le Clerc, dans lesquels deux natures seulement sont exposées, 39 se limitent dès lors à deux interprétations, les deux autres auteurs assortissent chacune des trois natures de commentaires. Quel que soit le nombre des ‚natures‘, il s’agit toujours, conformément à l’esprit de tout bestiaire, de passer de ce qui est raconté à un sens autre, spirituel, en recourant de manière privilégiée à l’allégorie. Aussi l’enseignement ainsi livré est-il constitué en grande partie d’une exégèse biblique destinée à fonder la morale quotidienne et la vie spirituelle. La prévoyance des fourmis qui profitent de l’été pour faire des réserves est, de façon quelque peu inattendue, on y reviendra, mise en relation avec la parabole des vierges sages et des vierges folles; leur habitude de couper en deux les graines afin d’éviter leur germination avec l’exercice de la lecture et de l’interprétation de l’Ancien Testament où l’esprit du texte doit être bien séparé de la lettre de celui-ci; quant à leur capacité à distinguer par l’odeur les grains de blé des grains d’orge, elle est associée à la nécessité pour le chrétien de fuir les doctrines ennemies de la vérité dont les auteurs hérétiques sont cités dans la version B-Isidore: Le Physiologus latin se fend même d’une liste étendue des courants hérétiques: „fuis Sabellius, Marcion, Manichée, méfie-toi de Novatien, Montanus, Valentinus, Basilide, Macdonius, méfie-toi de Donatien, Photius et tous ceux qui sont de souche arienne“ (Zucker 2004: 113). Ainsi que dans le texte de Philippe de Thaon qui est le seul auteur à reprendre certains de ces noms: Ki volt a Deu plaisir tricheür deit guerpir, Fotin, Sabelliun, Donet, Arrianon (v. 1023-1025). 40 Le passage de la partie descriptive à la partie interprétative peut reposer sur une comparaison, comme chez Guillaume le Clerc, où l’introduction du commentaire de DOI 10.24053/ ldm-2021-0021 109 Dossier la première nature avec le qualificatif „sages“ référant aux fourmis annonce la parabole évangélique des vierges sages et des vierges folles, suivant un principe d’opposition puisqu’il n’est question que de ces dernières: Plus sunt sages e veziez Que les foles vierges ne furent (v. 892-893). La transition est rendue nécessaire en raison du contenu de la partie zoologique où n’est illustrée que l’ardeur de l’insecte au travail et où sa prévoyance, vertu qui a permis aux vierges sages d’avoir suffisamment d’huile dans leurs lampes pour attendre le retour nocturne de l’époux, reste implicite. Cette lacune rend opaque la mise en parallèle des fourmis et de la parabole évangélique, et explique que les auteurs, gênés, peut-être, par l’absence de liens explicites entre la ‚nature‘ et son explicitation, se soient contentés de suivre leurs sources qui, soit placent la description et l’interprétation à la suite l’une de l’autre, soit insèrent une intervention narratoriale où l’auditoire est pris à partie et invité à réfléchir. Gervaise choisit la première des deux solutions. Philippe de Thaon, lui, après lui avoir rappelé le „bel estre“ de l’insecte sur qui il doit prendre „esperment“ - l’expression revient à deux reprises dans le passage - annonce, immédiatement après, le récit d’une „autre semblance“, c’est-à-dire un autre exemple fondé sur la ressemblance, la similitude, à savoir l’histoire des dix vierges: Quant ceste mue beste nus mustre si bel estre, li hom meïmement en dait prendre esperment. Et oëz senz dutance d’iceo altre semblance; car ceo dit escripture .v. virgines par figure […] (v. 887-894). 41 Quant à Pierre de Beauvais qui reprend le même type de liaison, il interpelle celui qu’il nomme le „crestiens“ pour lui signaler que l’attitude des vierges folles contredit celle des fourmis: Puisque ces besteletes qui, sans entendement sont se tiennent si sagement et nue n’en remaint fole, tu crestiens qui resnable entendemenz as, bien doiz ci prendre garde car les .v. vierges qui avoient raison furent fole par negligence […] (Article X: 67) 42 Ces interventions de la voix narratrice, présentes déjà dans les textes sources, sont une expression évidente de la vocation du bestiaire: faire servir un animal à une leçon dispensée par un clerc, seul capable de révéler le sens des choses, et qui peut prendre la pose d’un prêcheur tout disposé à admonester son lecteur et son public à suivre les préceptes chrétiens ou à prouver les vérités de la foi, les deux registres étant complémentaires. 43 Aussi, que ce soit avant l’insertion des commentaires ou 110 DOI 10.24053/ ldm-2021-0021 Dossier en cours de développement, les recommandations ne manquent-elles pas: le chrétien est sommé de „prendre garde“ et de respecter le message des Saintes Écritures, comme l’y invite Philippe de Thaon: Mais os tu, hum de Dé, entent auctorité, e oies escripture […] (v. 959-961). Il doit se soucier des fins dernières, penser à faire son Salut et prier, autant de recommandations qui émaillent les commentaires de toutes les notices sur la fourmi, et que Gervaise résume en un quatrain éloquent: Homs, pren toi gard dou furmi, garnis toi de bien autresi, cerche l’escripture divine, fui heresie et sa doctrine (v. 825-828). Par-delà sa fonction didactique, la partie interprétative épouse un processus exégétique qui prend, selon les bestiaires, une certaine extension. Il est particulièrement appuyé à propos de la seconde nature de la fourmi rapportée à la méthode de lecture des textes vétérotestamentaires dans lesquels il s’agit de distinguer la lettre de l’esprit. Ainsi Gervaise invite ses lecteurs à „chercher“ dans le „Vieil Testament“, „con li furmiz fait le froment“ (v. 804); Pierre de Beauvais les incite à „partir le texte“, c’està-dire à le fendre pour trouver le sens de ce qui est écrit: „Et tu crestiens de Dieu, partez ainsi l’escriture du viez Testement en deux parties“ (Article X: 67sq.); Guillaume le Clerc s’adresse à tout croyant afin qu’il s’attache à „deviser sagement“ les textes sacrés: Et tu, hom qui en Deu creiz, qui l’Escriture entenz e veiz fent et devise sagement la lettre del vieil Testament (v. 923-926). Conformément aux préceptes de l’Écriture sainte et à la parole de saint Paul, l’homme de Dieu doit suivre l’exemple des fourmis. Il lui faut lire le texte biblique en séparant le sens historique du sens spirituel, en passant de la lettre qui tue à l’esprit qui vivifie, 44 car, „close comme une gaine, la lettre étouffe le grain de l’esprit, le cœur de la parole, et il faut que le grain soit ouvert pour qu’il donne la vie“ (Zucker 2004: 112). Dans le temps même où ils invitent à l’exégèse, les commentaires offrent l’application directe de celle-ci, sa réalisation dans l’écriture. À propos une fois encore de l’Ancien Testament, Guillaume le Clerc donne un exemple de la lecture à laquelle un chrétien doit soumettre le texte sacré: DOI 10.24053/ ldm-2021-0021 111 Dossier C’est a dire ne deiz mie prendre selon la letre qui ocit, mes selon l’esperitel dit. Fent et devise par grant cure hors de la letre la figure: biens ez tu que l’apostre dit: „Que la letre tue et ocit, et li esperit vivifie“ (v. 927-935) 45 Le passage est significatif de la démarche du commentateur dont le but consiste à extraire „hors de la letre la figure“. 46 Le mot „figure“ que l’auteur normand est le seul à employer, par deux fois, dans ce sens, relève du vocabulaire des Pères de l’Église. Alors que pour les Latins, la figura, terme issu de fingere signifiant ‚modeler‘, se rapporte à une inscription matérielle, celle de la forme tirée du modelage de la matière, elle désigne dans la Patrologie latine un événement, un personnage ou encore une expression de l’Ancien Testament qui trouvent une réalisation dans le Nouveau, et dont ils sont la préfiguration (Cf. Auerbach 2003). „Il ne s’agit évidemment plus“, précise Gilbert Dahan dans un chapitre traitant de l’allégorie dans l’exégèse médiévale, „des figures de style ou de pensée chères à la rhétorique classique mais de la notion, capitale en exégèse chrétienne, de typologie“ (Dahan 1967: 124). Il y a dans le mot ‚figure‘ une correspondance qui dit à elle seule ce qu’est la lecture des textes vétérotestamentaires et la recherche de l’esprit sur la lettre, et qui exprime aussi ce qu’est ce désir d’interpréter par quoi la religion n’est qu’une ‚relecture‘. La citation de saint Paul trouve dans ce contexte tout son sens puisqu’elle permet très exactement d’illustrer le principe de la lecture typologique à laquelle Guillaume le Clerc invite ses lecteurs. D’autre part, le contenu de son commentaire redouble la lecture interprétative à laquelle, dans le genre du bestiaire, est soumis l’exposé naturaliste. Pour paraphraser la célèbre formule de saint Paul, il revient donc à chaque auteur de révéler dans ses commentaires la signification de la ‚lettre‘, en l’occurrence du donné naturaliste. Aussi aucun ne se prive-t-il de passer du sens propre au sens symbolique ou allégorique, comme le signale Philippe de Thaon à propos de la troisième nature de la fourmi: E ceo dit escripture furmi n’ad d’orge cure; grant chose signefie, oëz le allegorie. (v. 991-994) 47 Le décryptage des sens cachés repose sur la méthode de la glose qui fonctionne par commentaire et qui recourt à la synonymie, à l’analogie et au symbole, à tout un attirail rhétorique permettant de comprendre les textes bibliques. La mise en jeu de la lecture interprétative s’accompagne aussi d’une rhétorique du double sens qui travaille en profondeur l’écriture des bestiaires et notamment les rubriques consacrées à la fourmi où les termes sont littéralement ‚traduits‘ dans la partie interprétative de celles-ci pour révéler les significations dont l’insecte est porteur. Le procédé 112 DOI 10.24053/ ldm-2021-0021 Dossier employé est celui de la simple mise en relation par le présentatif „c’est“ qui marque l’équivalence. L’été où les fourmis récoltent des grains de blé „c’est“ la période de la vie humaine où tout est tranquille et favorable et où le chrétien peut „engranger“ les vertus et écouter la parole de Dieu pour la conserver dans son cœur. L’hiver en revanche „c’est“ le jour du Jugement dernier, le moment où le chrétien doit donner la preuve de ses mérites et s’assurer ainsi de la vie éternelle: „au jor de l’iver, c’est au jor de jouisse“, écrit Pierre de Beauvais (Article X: 68). L’interaction est si forte entre la partie descriptive et interprétative qu’il est difficile de savoir si, dans le cadre de la physiologie chrétienne, les bestiaires ‚partent‘ de la description zoologique pour en mener une interprétation ou si l’animal est choisi en fonction d’une intention pastorale ou exégétique préconçue qu’il concentre et vivifie. Les gloses, en effet, ne perdent jamais de vue leur origine, c’est-à-dire l’exposé zoologique sur lequel elles se greffent suivant une parfaite équivalence, et l’animal contient déjà la transposition spirituelle: il signifie autant qu’il illustre. Comme l’a bien montré A. Zucker avec le Physiologos, „le discours naturaliste et le discours théologique, pris dans une logique circulaire, se valident mutuellement“: La description naturaliste n’est pas seulement une exposition flagrante, elle est un codage de l’écriture et le texte physiologique, en somme, est entièrement exégétique, puisque les êtres naturels ont à cœur d’incarner l’écriture et en constituent pour ainsi dire l’exégèse physique (Zucker 2004: 33). Ainsi, à propos de la question paulinienne de la lettre qui tue et de l’esprit qui vivifie, Pierre de Beauvais adresse cet avertissement: „que tu ne perisse de fain par la letre qui soit porrie“ (Article X: 68), et attaque le peuple juif incapable de dépasser le sens littéral des textes sacrés. Le vocabulaire témoigne de la conformité entre le développement relevant des sciences naturelles et son interprétation théologique, car l’emploi de „porrie“, mot appliqué à la „lettre qui tue“, fait explicitement signe vers la situation des fourmis qui coupent le grain de blé pour le conserver en hiver et se prémunir de la faim. La même critique soutenue par la même image se trouve encore sous la plume de Guillaume le Clerc qui emprunte lui aussi aux données naturelles: Le grein gardent trestout entier Tant qu’il porrist sanz depecier Moult a la formi greignur sens (v. 941-943). 48 Dans les deux textes, les juifs, peuple déicide pour Pierre de Beauvais, sont condamnés en raison de leur attachement à la lettre, à la „paille“. Aussi, écrit celuici, „perissent [ils] de fain de ci a ore, car il laissent le grain et voient en la paille, c’est qu’ils leissent l’esperitel sens pour la letre“ (Article X: 68). Une fois encore, il revient au présentatif „c’est“ d’articuler la transposition du sens propre au sens figuré, si ce n’est que s’ajoute à l’image du grain celle de la paille qui ressortit autant à l’univers des sciences naturelles qu’aux Saintes Écritures: „Vous avez conçu du foin“, écrit Ésaïe (33: 11), „Vous enfanterez de la paille; Votre souffle, C’est un feu qui vous DOI 10.24053/ ldm-2021-0021 113 Dossier consumera“. C’est grâce à ces interférences que fonctionne la notice et c’est sur elles qu’elle se construit. Sous la plume de Philippe de Thaon, toutefois, ce décryptage qui fonctionne sur l’interprétation allégorique dont le but est de donner un plus haut sens à des réalités zoologiques est tout à la fois supplanté et suspendu par une dynamique exégétique qui excède les propriétés de la fourmi et le cadre des données naturalistes. La glose spirituelle produit elle-même d’autres gloses, le discours se développe du même au même en strates interprétatives successives. Ainsi, après avoir paraphrasé la parabole des cinq vierges sages et des cinq vierges folles et après en avoir annoncé la „grant signefiance“ (v. 907), l’auteur anglo-normand en explicite chaque composante. Il décode tout d’abord le nombre cinq en le mettant en relation avec les sens, suivant, peut-être, la théorie de saint Grégoire pour qui „tout homme possède en double chacun des cinq sens“, et dont le commentaire de son homélie s’appuie d’ailleurs sur la parabole évangélique: […] le nombre cinq étant doublé donne le nombre dix. Or, comme les deux sexes concourent à former la multitude des fidèles, la sainte Église nous est représentée sous la figure de ces dix vierges, et, comme les bons s’y trouvent mêlés aux méchants et les réprouvés avec les élus, elle est comparée avec raison aux vierges sages et aux vierges folles. 49 Philippe de Thaon passe ensuite à la signification des noces auxquelles sont invitées les vierges et qu’il associe au Jugement dernier, puis à l’époux figure de „Dampnedé“ „en majesté“, à la lampe métaphore de „l’âme“ et enfin à l’huile qui métaphorise l’esprit de Dieu. L’écriture repose ici sur une mise en correspondance de l’ordre naturel et de l’ordre spirituel dont les normes sont confirmées, mais cette corrélation qui dépasse le seul cadre de la description naturaliste prend en quelque sorte au mot l’admonestation à gloser l’Ancien Testament, exprimée à propos de la deuxième nature des fourmis pour en donner une application directe dans le commentaire qui accompagne la première. Dans cette partie de la notice du Bestiaire, le symbolisme déborde le texte. Les commentaires se superposent par strates successives, réduisant la fourmi au rôle de simple déclencheur d’une lecture allégorique engageant le lecteur et le public non seulement à la moralité mais à la remémoration des Saintes Écritures dans leur dimension eschatologique. Ce surplus de sens ne se rencontre que sous la plume de l’auteur anglo-normand dont la pose de prêcheur s’explique peut-être par son statut ecclésiastique que révèle notamment sa composition du premier calendrier roman à finalité didactique, le Comput, adressé „e a cler e a lai“, mais rédigé en particulier, précise L. Morini, „‚pur pruveires guarnir / de la lei maintenir‘ (v. 3sq. et 37sq.)“: „Le discours, quoique décidément prolixe, révèle un effort enthousiaste, et qui sera assidu, de vulgarisation didactique et scientifique“ (Morini 2018: 10). Le traitement de la figure de la fourmi révèle le même objectif, voire la même destination, et laisse penser que le Bestiaire, en dépit de la dédicace à la reine Adélaïde, fut destiné, comme le Comput, à des ecclésiastiques, comme semblent le confirmer la 114 DOI 10.24053/ ldm-2021-0021 Dossier présence de rubriques en latin dans l’un des trois manuscrits ou encore le classement édifiant de l’ensemble des animaux référant successivement au Christ, à l’homme et au diable. Dans la notice consacrée à l’insecte, l’auteur anglo-normand prend la pose d’un prêcheur attentif à l’esprit des Écritures: la partie relevant des sciences naturelles est à la base du discours pastoral et fonctionne en quelque sorte comme un exemplum, genre qui connaîtra un fort succès dans la prédication du XIII e siècle. 50 La fourmi des bestiaires est une créature surprenante, voire fascinante qui présente de réelles dispositions pour entrer au royaume de Dieu. Ses ‚natures‘ constituent autant d’indices moraux et religieux qui concourent à l’adoption par le lecteur ou l’auditoire de comportements conformes aux préceptes chrétiens et au sacré dont elles sont le signe. 51 Sa sagesse que révèle sa prévoyance peut être donnée en modèle aux hommes soucieux de leur Salut et, surtout, sa connaissance des grains qui forment son alimentation et dont elle sait préserver la fraîcheur en les coupant en deux, disent sous une forme allégorique ce que sont là les vertus que les clercs doivent cultiver: celles de cet „homme de Dieu“ pris à partie dans les notices où sont projetées les connaissances cléricales depuis l’origine même du genre, la foi dont l’homme d’Église se fait le relais et sa capacité à déchiffrer les textes. La petite fourmi satisfait aux aspirations des laïcs comme à celles des clercs, tout dépend de la lecture auxquelles ses propriétés se prêtent et surtout, les bestiaires se répétant beaucoup les uns les autres, de l’infléchissement que les auteurs leur font subir. Faut-il en conclure que des Proverbes de Salomon à la „fourmi de Dieu“ de saint Augustin, l’insecte est toujours positivement connoté, alors que, dans les bestiaires, un même animal peut être à la fois une chose et son contraire? R. Courtray rappelle que „Sénèque avait fait des fourmis le symbole de la ‚paresse agitée‘ (inquieta inertia)“ et que Bernard de Clairvaux „prenait également leur exemple pour évoquer la vaine agitation des hommes dans le monde“ (Courtray 2016: 19). Aucun de nos bestiaires ne développe le motif de la vanité de leurs activités, néanmoins, la mention des fourmis d’Éthiopie et celle du fourmillon assombrissent le portrait qu’ils dressent d’elles. Les premières fouillent le sable en quête d’or et non de nourriture, montrant là un goût pour les biens terrestres et les richesses, condamné par le christianisme. Quant au second qui nuit à ses congénères en dévorant leurs œufs, son attitude contrevient à la charité chrétienne. Si elle est induite par ce qui n’est, on l’a vu, qu’une dernière mention figurant à la toute fin de la notice, la leçon n’est pas exprimée. Elle reste dans les marges du texte, comme une ouverture possible à une glose à laquelle les auteurs ne se livrent pas, confiants qu’ils sont, peut-être, dans les capacités interprétatives de leur public et dans la démarche heuristique qu’ils ont contribué au fil de la notice à affuter. Aussi est-ce jusqu’au bout que la fourmi, toute petite qu’elle est, nous invite à élaborer une lecture allégorique et symbolique et à poursuivre l’œuvre des clercs dont le dessein est d’atteindre à l’essence même des choses, parce que le symbole „est à la fois l’émanation d’un ordre divin et le fruit de la mémoire des hommes“ (Bianciotto 1980: 14). DOI 10.24053/ ldm-2021-0021 115 Dossier Auerbach, Erich, Figura, La loi juive et la Promesse chrétienne, Paris, Macula (collection Argô), 2003. Augustin (saint), Enarrationes in Psalmos, 66, 3, https: / / www.brepolsonline.net/ doi/ pdf/ 10.1484/ J.RA.5.102237 (dernière consultation: 08/ 11/ 21). Aristote, Histoire des animaux, ed. Pierre Louis, Paris, Belles Lettres, 1969. Baker, Craig, „De la paternité de la Version longue du Bestiaire, attribuée à Pierre de Beauvais“, in: Baudouin Van den Abeele (ed.), Bestiaires médiévaux. 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La première qui comporte 48 ou 49 chapitres est, suivant les termes d’Arnaud Zucker, „la plus profonde d’un point de vue spirituel, mais elle est aussi la base dont dérivent diectement tous les autres textes appartenant au genre, y compris les versions non grecques“ (Zucker 2004: 13; cf. aussi id. 2009). 3 Outre les versions vernaculaires qui en sont une adaptation et dont il sera question dans l’étude, le Physiologos fut traduit en vers par l’abbé du Mont-Cassin, Theobaldus, au début du XI e siècle, sans doute aussi par Jean Chrysostome sous le titre de Dicta Chrysostomi. 4 Les citations renvoient aux éditions suivantes des bestiaires: „Le Bestiaire divin de Guillaume, clerc de Normandie, trouvère du XIII e siècle, publié par C. Hippeau, d’après les manuscrits de la Bibliothèque nationale, avec une introduction sur les bestiaires, volucraires et lapidaires du Moyen Âge, considérés dans leurs rapports avec la symbolique chrétienne“, Mémoires de la Société des antiquaires de Normandie, 19, 1852, 317-476; „Le bestiaire de Gervaise“, édition de Paul Meyer, Romania, 1, 1872, 420-443; Philippe de Thaon, Bestiaire, édité par Luigina Morini, Paris, Champion (Classiques français du Moyen Âge, 183), 2018; Pierre de Beauvais, Bestiaire, ed. Guy R. Mermier, Paris, A. G. Nizet, 1977. C’est avec lui que la tradition ancienne du Physiologos se termine en France. 5 Vient s’ajouter, au milieu du XIII e siècle, le Bestiaire d’amour en prose de Richard de Fournival, poète de Thibaut de Champagne, qui recourt aux animaux pour illustrer la doctrine de l’amour courtois. Il n’est pas intégré à l’analyse: il ne prend pas pour source les versions issues du Physiologos et la fourmi n’y figure pas. Longtemps attribué à Pierre de Beauvais et considéré comme la version longue de son bestiaire, cette hypothèse a été remise en DOI 10.24053/ ldm-2021-0021 117 Dossier cause par Craig Baker, qui a donné des 72 chapitres de ce texte une édition (Cf. Baker 2005: 1-29). Sur l’écriture du genre du bestiaire, cf. Van den Abeele 2015, Bergot 2015. 6 Ils l’ont été davantage dans les textes de l’Antiquité (cf. Sauvage 1970: 269-296, 293-295). 7 L’auteur précise le changement de mètre: „Or voil mun metre müer“ (v. 2889). 8 Rédigé vers 1130, il est le plus ancien de la lignée des bestiaires en langue française et est présent aujourd’hui dans trois manuscrits, l’un à Londres (L), un autre à Oxford (O) et le troisième à Copenhague (C). 9 Il existe dans un seul manuscrit de la seconde moitié du XIII e siècle. 10 Traduction: „les auteurs de fables qui mentent“ et „celui qui dit la vérité selon l’Écriture sainte“. 11 Traduction: „Ici commence le livre que l’on nomme Bestiaire, ainsi appelé parce qu’il traite des natures des bêtes. Or l’ensemble des créatures que Dieu plaça sur terre, Dieu les créa pour l’homme, et afin que celui-ci prenne chez elles les exemples de croyances religieuses et de foi. Pour traduire ce livre du latin en langue romane, Pierre a accompli avec beaucoup de soin et de très bon gré un long travail et, parce qu’un texte en vers se pare de mots choisis hors de toute vérité, ce livre fut écrit sans rimes […]“ (Bianciotto 1980: 21). 12 Quelque 23 manuscrits anglais et français, répartis sur une période allant du milieu du XIII e siècle au XV e siècle, témoignent de la grande popularité que connut le Bestiaire divin. La critique ne s’accorde pas sur l’identité du protecteur de Guillaume. Il s’agit peut-être de Robert fitz Rauf, qui fut grand sénéchal de Normandie sous Richard-Cœur-de-Lion et Jeansans-Terre, Raoul de Ferrières ou Raoul de Coucy. 13 Ces vers manquent dans l’édition de référence. Traduction: „Guillaume qui fit ce livre nous parle pour finir de son seigneur Raoul pour qui il accomplit cette tâche et qui l’en a bien récompensé. Il a bien tenu sa promesse en lui donnant ce qu’il lui a promis“. 14 „Le livre nous enseigne les natures et les mœurs des bêtes, non pas de toutes, certes, mais de beaucoup d’entre elles; on trouvera là abondante matière à réflexion morale et de bons passages d’enseignement théologique où l’on pourra prendre exemple et apprendre“ (Bianciotto 1980: 70sq.). 15 Les quatre familles sont notées Y, A, B et C. Un premier ensemble de manuscrits très proches du texte grec et comportant 49 notices forme la version Y. Les versions A (36 notices) et B (36 ou 37 notices) se ressemblent fortement, B constituant la branche la plus représentée et le type le plus courant. Une version C, assez éloignée du texte grec et proche de la version éthiopienne, contient 26 notices. Ces diverses versions du texte latin, bien qu’elles proposent souvent de nouveaux développements par rapport à la 1ère collection grecque, n’introduisent aucun animal nouveau. La famille B a été elle-même divisée en trois familles dont la deuxième contient les Dicta Chrysostomi (Carmody [ed.] 1939). 16 Trente-huit dans certains manuscrits du Bestiaire de Pierre de Beauvais. 17 Dans la première collection du Physiologos, il n’est question que de la fourmi; dans la seconde, appelée collection ‚byzantine‘, datant sans doute du V e siècle, s’ajoute l’abeille (cf. Zucker 2004: 14) 18 Selon Zucker, „nul, pas même l’abeille, n’[a] pu dans la tradition réunir sur soi tant de vertus“ (2004: 110). 19 Il y a là une fascination admirative devant la fourmi. Mais les auteurs des bestiaires n’ont pas été chercher au-delà de leurs textes sources. En effet, comme l’a montré Jean Bouffartigue, la fourmi fait partie chez les Anciens „des animaux artisans régulièrement évoqués, avec l’araignée, l’hirondelle, l’abeille et l’alcyon“ (Bouffartigue 2006). 20 Référence reprise à Courtray 2016: 12. 118 DOI 10.24053/ ldm-2021-0021 Dossier 21 Élien, La personnalité des animaux, VI, 43. Référence citée par Bouffartigue 2006. 22 Concernant la sagesse des animaux, le texte complet est le suivant: „Il existe sur terre quatre êtres tout petits et pourtant sages parmi les sages: les fourmis, peuple sans force, qui, en été, savent assurer leur nourriture, les damans, peuple sans puissance, qui font leur habitation dans les rochers; les sauterelles, qui n’ont pas de roi mais sortent toutes en bon ordre; le lézard, que tu peux attraper avec tes mains et qui se trouve dans les palais des rois“ (Proverbes 30: 24-28). 23 Cf. aussi Régis Courtray 2016. 24 Référence citée par de Saxcé 2018: 209. 25 Ibid.: 210. 26 Ibid.: 213. 27 Traduction: „Va vers la fourmi, paresseux; considère ses voies et deviens sage.“ 28 Comme le relève Zucker, la réputation de Salomon „s’appuie à l’origine sur deux passages de l’Ancien Testament, dont le premier est le suivant: ‚Dieu donna à Salomon sagesse et intelligence à profusion ainsi qu’ouverture d’esprit autant qu’il y a de sable au bord de la mer (I Rois, 5, 9-13)‘ […]. Le second texte est un extrait du Livre de la sagesse (7, 17-21) considéré comme une œuvre rédigée par Salomon: ‚C’est Dieu qui m’a donné la science vraie de qui est, qui m’a fait connaître la structure du monde et les propriétés des éléments, […] les positions des astres, la nature des animaux et les instincts des bêtes sauvages, le pouvoir des esprits et les pensées des hommes, les variétés de plantes et les vertus des racines’“ (Zucker 2004: 21). 29 Il n’est pas question dans les textes romans de la courtoisie dont font preuve les fourmis, qualité qui, selon Zucker, serait, dans le Physiologos, une réminiscence d’un texte dont se serait aussi inspiré Élien (2, 25): „Les fourmis forment des compagnies et adoptent un ordre de marche sur une ou deux colonnes - avançant parfois même à trois de front; […]. Tandis que certaines partent récolter des graines, d’autres rapportent leur butin et elles se cèdent mutuellement la priorité sur le chemin avec beaucoup de respect et d’égards; ce sont d’ailleurs celles qui sont délestées qui s’effacent devant celles qui portent une charge“ (cité par Zucker 2004: 111). 30 Référence citée par Courtray 2016: 8. 31 Ibid.: 11. Zucker cite aussi comme source Élien (2, 25). 32 Traduction: „C’est une toute petite bête qui se cache dans la terre, là où va la fourmi et qui lui cause un grand dommage“. 33 Son explication étymologique est précédée d’un titre rubriqué: „Et formica a fortitudine et mica nomen acepit “. 34 Traduction: „Isidore ajoute encore quelque chose à propos de la fourmi et explique pourquoi elle s’appelle fourmi. Elle est forte et elle porte une graine, telle est la signification de son nom“. 35 De fait, l’origine du mot est obscure. Si son étymologie est formica, on ignore si le nom a pour origine le grec μύρμηξ, fourmi, ou le latin formus, chaud: la brûlante qui renvoie à la sensation de brûlure provoquée par sa piqûre. L’habitude où elle est de partager les grains en deux parties, est peut-être la cause de celui de nemala (du verbe namal, couper), que lui donnent les Hébreux; de même que la finesse étonnante de son odorat lui avait fait donner par les Chaldéens celui de sumsemana. 36 Traduction: „Il n’y a pas de créature de taille aussi petite que la fourmi qui soit capable de porter un poids aussi lourd qu’elle. Elle porte un poids équivalent au plomb; ni un cheval ni un dromadaire ne peut en faire autant“. DOI 10.24053/ ldm-2021-0021 119 Dossier 37 Jérôme, Tractatus de psalmo, 135, 25, l. 6365. Référence citée par Courtray 2016: 8. 38 Avec Brunetto Latini, dont l’ouvrage tient davantage de l’encyclopédie, on a seulement l’information brute, sans enseignement moral. En effet, le Livre du Trésor est une sorte d’encyclopédie qui résume la connaissance du temps sur telle ou telle question. Dans un seul paragraphe, Brunetto Latini condense l’histoire de la fourmi sans apporter d’informations nouvelles par rapport à ses prédécesseurs et sans faire de commentaires (Cf. Latini 1998: I 109. 3, 188, 199. 1). 39 C’est le cas dès la deuxième collection du Physiologus (Zucker 2004: 113). 40 Traduction: „Si l’on veut plaire à Dieu, on doit fuir ceux qui trompent, Photius, Sabellius, Donatien, Arius“. 41 Traduction: „Quand cette bête muette nous montre une si belle attitude, l’homme lui-même doit prendre exemple sur elle. Et écoutez en vérité un autre exemple; l’Écriture nous parle de cinq vierges dans une parabole“. 42 Traduction: „Puisque ces toutes petites bêtes, qui sont dépourvues de la faculté de comprendre, agissent avec autant de sagesse, et qu’aucune d’entre elles ne se comportent follement, toi, chrétien, qui possède une intelligence et une raison, tu dois prêter une grande attention à ces fourmis. En effet, les cinq vierges qui possédaient la raison furent folles à cause de leur négligence“ (Bianciotto 2008: 33). 43 „Puisque la compréhension des mystères chrétiens, écrit Zucker, amène nécessairement à adopter les préceptes et la conduite inspirés par l’Évangile“ (2004: 31). 44 Rm 7: 14; 2 Co 3: 6. 45 Traduction: „Et toi, homme qui croit en Dieu, qui lit l’Écriture et qui la comprend, fends et divise avec sagesse la lettre du Vieux Testament, ce qui veut dire que tu ne dois pas le prendre selon la lettre qui tue, mais selon l’esprit qui vivifie“(Bianciotto 1980: 83). 46 Pierre de Beauvais adopte la même démarche dans son commentaire: „depart la verité de sa figure, dessoivre les esperitieuses choses des corporeus, garde l’esperitel sens qui vivifie […]“, (Article X: 68). 47 Traduction: „L’Écriture dit que la fourmi n’a que faire de l’orge ; c’est là quelque chose qui a une grande signification, écoutez en l’allégorie“. 48 Traduction: „Ils gardent le grain tout entier sans le diviser, de telle sorte qu’il pourrit dans leurs greniers“ (Bianciotto 1980: 83sq.). 49 Il s’agit de l’Homélie 9, prononcée devant le peuple dans la basilique de saint Sylvestre, le jour de sa fête 31 décembre 590 (Cf. Grégoire le Grand 2005). 50 Sur les discours animalier dans la littérature exemplaire, (Cf. Dittmar 2015: 91-99). 51 Il faut rappeler à la suite de Zucker, la définition que saint Augustin donne du „signe“ dans la Doctrine chrétienne (II, 1, 1-2): „Un signe est, en effet, une chose qui, en plus de l’impression qu’elle produit sur les sens, fait venir, d’elle-même, une autre idée à la pensée…“. „Tel est, écrit Zucker, l’animal, pris dans la physiologie chrétienne“ (Zucker 2004: 41).