eJournals lendemains 46/182-183

lendemains
0170-3803
2941-0843
Narr Verlag Tübingen
10.24053/ldm-2021-0022
2021
46182-183

La poésie verte de Plein-champ

2021
Sidona Bauer
ldm46182-1830120
120 DOI 10.24053/ ldm-2021-0022 Dossier Sidonia Bauer La poésie verte de Plein-champ Le poème Plein-champ 1 au sous-titre Poésie verte par Pascale Auraix-Jonchière (2020), est remarquable dans une double perspective. Le lyrisme vert évoque dans le même temps une dimension spatiale et une dimension féminine unique. Notre enjeu sera l’analyse de l’intrication concrète de la poétique spatiale et de la poétique féminine. Selon notre hypothèse, une géopoétique au féminin se fait jour notamment à travers le thème de l’insecte. L’hymne poétique à la nature est construit par un flux de cinquante poèmes numérotés, interrompus à intervalles irréguliers par huit poèmes en italiques. Tandis que les poèmes en vers libres, comme un corrido, 2 se déroulent dans une structure cyclique cosmique, les poèmes en italiques, tout en s’y intégrant, dévoilent une force vitale intarissable en tant que notes particulièrement intenses. Si le titre Plein-champ se réfère à un lieu concret, voire à un paysage symbolique à référent topographique, le sous-titre Poésie verte semble plutôt proposer une association entre une couleur et un concept. Or, à quel concept, par rapport aux travaux d’Auraix-Jonchière, penser sinon au ‚bohémianisme‘? Le concept du ‚bohémianisme‘, extrait de l’analyse de l’œuvre de George Sand, mais toutefois valable indépendamment de ce corpus, se compose essentiellement de deux éléments (cf. Limbach 2021): ériger une éthique et en même temps une poétique singulières qui se situent par rapport aux représentations sociales dominantes tout en se libérant d’elles afin de créer, au moyen de l’imagination, un espace dont le nom symbolique serait la ‚verte Bohème‘. 3 Cet espace, sur la page, s’articule à travers un lieu qui correspondrait au véritable chez-soi, „la patrie originelle du Moi“ (Auraix-Jonchière 2019: 250). Le concept du bohémianisme est étroitement lié à la représentation de systèmes écologiques symboliques et se focaliserait en conséquence sur la représentation de pensées-paysages selon la théorie lyrique de Collot (2011). Dans le cas de Plein-champ, le concept de bohémianisme, qui se montre en filigrane grâce aux multiples références intertextuelles aux bohémiens, 4 serait d’emblée attaché à la couleur verte, ce qui représente une véritable innovation par rapport aux bohémianismes depuis le 19 e siècle. 5 Dans le même temps, la couleur verte transporte elle aussi tout un cortège de significations culturelles historiques (cf. Pastoureau 2013), dont Plein-champ ne reste pas indemne. Déployer une poétique verte ne va pas sans entrer en relation avec le courant de la géopoétique actuelle, qui repose sur l’œuvre de Kenneth White (Grimm 2011). Or, force est de constater que les détenteurs du courant dit géopoétique sont d’emblée des poètes et non des poètes femmes. 6 Se pose à partir de ce constat la question d’une possible divergence en matière de genre. Car si la géopoétique en tant que telle associe volontiers la nature, voire le paysage ou bien même le cosmos, au corps féminin 7 dans un érotisme qui relève d’un rapport associé à l’hétérosexualité, dans lequel femme et nature sont souvent identifiées l’une à l’autre et soumises au désir du poète, la question se pose DOI 10.24053/ ldm-2021-0022 121 Dossier dans des termes nouveaux lorsqu’on s’interroge pour savoir de quelle façon s’articulerait cette relation entre la nature et la femme du point de vue de l’autoreprésentation féminine. Il s’agirait donc d’analyser thématiquement et poétiquement la géopoétique féminine telle qu’elle se présente dans Plein-champ. Le titre: du paysage Plein-champ suggère comme topographie un champ, renvoie donc à une spatialité champêtre. Le dictionnaire Larousse définit le champ comme une étendue de terre propre à la culture, il est un espace libre et ouvert (lat. campus). Ce champ renvoie forcément aux activités humaines dont il est le produit, les travaux agricoles. Nous considérons la transposition du champ in situ vers sa représentation in arte comme la création d’un paysage, forcément subjectif, car il dépend du point de vue du sujet qui le regarde („Du haut du mont / aigu“, 9). 8 Selon Collot, le paysage se définit comme l’étendue qu’un sujet embrasse par son regard. Le paysage est caractérisé par sa structure d’horizon qui à la fois délimite la partie de pays concerné et l’ouvre vers l’infini (Collot 1989). Conférer à un jardin le statut d’un champ non seulement lie la terre évoquée à sa culture et par là à une profession paysanne, mais en outre renvoie à la dimension d’espace infini qui distingue le jardin clos du paysage. Le poème nous révèle en effet une conception de jardin inédite, une forme de jardin qui s’ouvre vers un horizon qui transgresse la clôture coutumière du jardin conventionnel. Selon le paysagiste Clément, un jardin se définit comme suit: „Le jardin, partout dans le monde, signifie à la fois l’enclos et le paradis. L’enclos protège. Au sein de l’enclos se trouve le ‚meilleur‘: ce que l’on estime être le plus précieux, le plus beau, le plus utile et le plus équilibrant“ (Clément 2011). Si nous retenons en accord avec Auraix-Jonchière le caractère paradisiaque du jardin évoqué - l’épigraphe en guise d’introduction nous renvoie précisément au „paradis“ (PC: 9) - la clôture protectrice en revanche est invisible. Il s’agit plutôt d’une topologie intérieure non protégée, par conséquent mise à nu. Le lecteur / la lectrice gagne le cœur du jardin aux valeurs symboliques les plus précieuses du sujet poétique. Or, le poème ne nous saute pas aux yeux comme un lyrisme fauve (cf. Bauer 2015: 328, cit. Bernard Noël). Son approche est un triomphe que le sujet gagne sur soi, un acte de courage intime auquel le lecteur / la lectrice est invité/ e à assister. Correspondant à une démarche délicate, le premier poème nous introduit à une poétique du minuscule proche des pas de fourmis qui forment ligne (PC: 22). Le sujet lyrique, intérieurement, n’est pas encore là, au cœur du jardin, au cœur de sa propre ouverture sur le monde. En suivant le sujet qui „ose“ (PC: 1) pénétrer dans son espace intérieur, 9 le lecteur implicite s’approche gracieusement d’un lieu singulier qui se présente de façon cryptique, le mont aigu (PC: 9). Le nom à la verticale, qui renvoie à une perspective à vue d’oiseau, s’oppose à la topologie de l’espace évoqué, analogue au pays des Combrailles. Les Combrailles sont situées au nord-ouest de l’Auvergne, une „région vallonnée, bien arrosée“ - le nom provenant du gaulois cumba, fond, vallon (Dauzat 122 DOI 10.24053/ ldm-2021-0022 Dossier 1931: 382sq.). Les combes et vals prédominent dans Plein-champ, forment un espace concave, suave, ouvert à des prolongements dans l’horizontale et donc imprégné d’une symbolique féminine. L’itinéraire qui produit l’espace du champ joue sur tous les sens: il s’agit d’une pénétration au sein de la nature singulière effectuée au moyen du toucher („toucher l’armoise“, 1), de l’ouïe („Sonnailles“, 16), de la vue („œil de pharaon“, 3) surtout. Le jardin se présente comme l’espace d’une quête qui est itinéraire vers le sublime du minuscule. La quête est aussi bien démarche de découverte du jardin que de l’intériorité du sujet lyrique. Si le jardin, explicitement caractérisé comme tel à maintes reprises (PC: 26, passim), 10 se transforme en un champ 11 à partir du voisinage des maraîchers, jardiniers et paysans (PC: 88), la tension poétique entre son et sens tire vers cet élargissement sémantique du jardin vers le champ. Force est de constater que le chant comme homophone du champ occupe une place centrale dans le poème qui se veut un hymne au printemps. Le plain-chant en outre comme homonyme du néologisme plein-champ renvoie à la thématique de la déploration de l’être aimé 12 et lie le jardin paradisiaque du vivant au jardin des morts (PC: 20), notamment au cimetière situé plus haut dans la topographie du lieu, se présentant comme un pendant naturel au jardin principal. Si la conception du jardin peut subsumer aussi le cimetière, jamais explicitement nommé comme tel, la conception du champ se réfère uniquement au jardin de la „Croix verte“. Un sens de plus est conféré au titre de Plein-champ. Car le contexte de la poésie contemporaine dans le sillage de la nature, de l’érotisme, de l’éthique et de l’esthétique renvoie au taoïsme chinois tel qu’il nous est transmis par François Cheng. Son ouvrage Vide et plein. Le langage pictural chinois nous instruit par rapport à l’importance du vide qui est nécessairement la condition du plein éprouvé à son degré le plus accompli. Le „plein“ du chant fait allusion à une expérience unique éprouvée dans ce lieu même qui donne forme au poème vert. À l’instar d’une mémoire involontaire proustienne, le poème condense des souches d’expérience incarnée qui proviennent du présent (PC: 1) et du passé (PC: 33), non sans renvoyer à un futur proche (PC: 27). Les poèmes forment des unités et dans le même temps ils représentent des fragments d’un tout plus vaste qui est le mouvement universel de la vie. La structure du long poème nous renvoie ainsi au fonctionnement du récit poétique (cf. Tadié 1994: 157) associé à une structure mythique. Or, Plein-champ se compose décidément de poèmes lyriques et expressifs qui envoûtent par la force de leurs images. L’hymne au printemps épouse de surcroît une sonorité naturelle qui est le paysage sonore du lieu, composé de chants d’oiseaux, vents, insectes, arbres. Même les fleurs ont droit à la parole (PC: 7, 11). Le poème se déroule alors comme une grande symphonie jardinière, à laquelle contribuent plus que tous les insectes comme, au premier chef, le bourdonnement clair, sousentendu des abeilles (PC: 49). Parallèlement aux sons, les couleurs peignent le paysage du microcosme („tableau“, PC: 17) parmi lesquelles triomphe incontestablement le vert („La courbe du tableau / Verdoie“, ibid.). De plus, la typographie d’une grande partie des poèmes met en relief les formes du vivant, comme par exemple DOI 10.24053/ ldm-2021-0022 123 Dossier les fleurs (PC: 7), la danse de l’abeille (PC: 38) ou encore le doux paysage des Combrailles avec ses vallons, ruisseaux et en contrepartie ses cols (PC: 8). La couleur verte La couleur verte affiche le caractère paysager et champêtre du poème. Or, comme dans l’œuvre du peintre, elle devient un véritable matériel avec des qualités variables. Auraix-Jonchière ouvre la gamme des verts (PC: 1, 33: „Gammes vertes“, „Vert incroyable“) attachés au monde (Collot 2018: 18) 13 dont elle décrit l’expérience. La sensibilité passe par les couleurs de la nature dont le fond est constitué, surtout dans la saison printanière, par un éventail (PC: 33) des tons verts. C’est ainsi que l’ouverture évoque une plante qui fait partie du patrimoine culturel du sujet lyrique, mais également d’une culture européenne qui a ses racines communes dans la Grèce ancienne. Le poème s’ouvre comme suit: 1. Osé toucher l’armoise L’avoir bue du bout des lèvres sel du jour et aucune heure, ma fille, aucune heure sans sel (PC: 10) Si le O initial évoque les rondeurs (PC: 2) du paysage des Combrailles, l’armoise ou herbe d’Artémis, de la famille des astéracées (Rochedy/ Boudart 2015: 6sqq.), couvre le champ sémantique de la déesse grecque, déesse protectrice des femmes, vivant en communion avec la nature, de préférence dans les forêts et espaces de grande végétation. Elle a été assimilée à la déesse Diane dans la mythologie romaine, également protectrice des femmes, propice à leur fertilité. De plus, Diane est associée à la lune, mais elle est aussi emblème de la chasse en pleine nature („Les braconniers de l’air / lui ont appris les gammes / luette haute“, PC: 1). L’armoise verte en tant que thé au Moyen Âge faisait partie indispensable des philtres d’amour, 14 habituellement préparés par celles que l’on considérait comme des sorcières. Or, si le sujet lyrique ose „toucher l’armoise“ et se résout à la boire, il s’agit d’une incorporation du vert qui va ensuite déployer sa qualité, probablement comme un philtre enchanteur. Le breuvage va donc ouvrir à une saison de l’amour qui éclôt, image qui traverse les époques, surtout depuis les chants des troubadours, où il est associé à la saison du printemps. Il est fort possible, dans le dialogue qui s’ouvre à un „tu“ féminin, appelé d’emblée „ma fille“, plus tard également „ma sœur“, qu’un partage d’une expérience féminine soit recherché. Nous affirmons donc la présence d’un nous féminin 15 qui guide le déploiement des variantes du vert. 124 DOI 10.24053/ ldm-2021-0022 Dossier Le genre: la reverdie Placée en italiques, la notion de reverdie (PC: 123), empruntée au Moyen Âge, guide l’analyse du genre poétique. Le recours au genre de la reverdie situe la poétique de Plein-champ par rapport à la signification du vert comme couleur courtoise. Car aux côtés des fêtes païennes (PC: 108sq.) qui célèbrent le réveil de la nature (Pastoureau 2017: 78) et de façon plus populaire les montées des sèves (PC: 79, „sèves et sucs / en leur reflux“; PC: 87), la beauté du vert de la belle saison du printemps devient caractéristique de la poésie et des mœurs courtoises. ‚Reverdie‘ est dans son sens premier synonyme de verdure ou de feuillage (Pastoureau 2017: 72). Appliqué au calendrier, il désigne spécialement le début du printemps qui voit les arbres et les plantes reverdir. Par extension, il qualifie également l’allégresse que chacun éprouve à ce moment de l’année: le cœur se reverdit. Par rapport à la poésie lyrique, une reverdie est une pièce de vers qui chante tout ensemble le retour des beaux jours, l’impression du bonheur qui s’en dégage et la naissance du sentiment amoureux (ibid.: 72sq.). Plein-champ a pour enjeu ces trois éléments: 1) la verdure dans sa diversité quant au jardin („gammes vertes“, PC: 33). 2) Le temps de Pleinchamp est majoritairement le printemps („Pentecôte“, PC: 5) et le passage vers le début de l’été. En revanche, liés à la constance de l’amour et à la mort, l’automne et l’hiver paraissent également en filigrane (PC: 34). 3) L’impression du bonheur et d’un sentiment amoureux frais sont surtout au cœur des douze premiers poèmes particulièrement intenses avant que n’entre dans la ronde la mort, corollaire du temps qui passe („Temps furent“, PC: 84). La constance dans l’amour, liée à l’arbre symbolique du tilleul (PC: 64), intègre également la reverdie avec son pouvoir de réactualisation d’un début toujours à revivre, même dans la peine, et associé au cycle des saisons. Ainsi, le sujet lyrique s’adonne aux „revenures“ (PC: 80), „retours“ (PC: 82), „reflux“ (PC: 119), „revenances“ (PC: 128). La poésie revendique une éthique de la constance et de la fidélité à la symbolique du lieu, même si celle-ci s’atteint dans l’effort et temporairement par le tarissement de la voix (PC: 97) et de l’espérance („Rester / quoi qu’il arrive“, PC: 64; „où / boire / mon âme / où boire / à en mourir“, PC: 73, „Faudrait-il un jour / cesser / remiser soi / entre flaques d’ombre / et / geler“, PC: 111). Or, chaque reverdie s’opère par un poème en italiques qui exprime une indomptable force et jouissance de vivre, attachée à l’enfance et à la présence des insectes. Le sentiment amoureux inséparable du vert - „couleur de l’amour[, ou] du moins de l’amour naissant, de l’amour jeune et plein d’espérance, de l’amour impatient également“ (Pastoureau 2017: 79) - trouve sa langue dans celle des fleurs et des animaux („Jusqu’à toucher le cri / De l’âne / Enamouré“, PC: 12), spécialement par la langue des abeilles (PC: 38). Le sentiment amoureux, quasiment charnel, toutefois révèle à peine son lien de relation dirigé vers… qui serait désir. Au contraire, il s’agit d’une force pudique qui se suffit en elle-même, qui émane de l’espace pénétré, consubstantiel au sujet lyrique qui s’identifie à tel point au lieu que celui-ci adopte un caractère sacré. Il s’agit de la description même de la source, de la personnalité profonde: „Assise / près du miroir des sources“. À l’approche de la source, qui DOI 10.24053/ ldm-2021-0022 125 Dossier superpose la source topographique du lieu, la source vitale du sujet lyrique féminin et la source de la poiesis, se dégage une joie énorme. Aussitôt le sujet lyrique se transforme en insecte: en scarabée doré. Assise près du miroir des sources - surtout ne rien dire - J’ai saisi les pollens et je m’en suis poudrée pour rire - rire, surtout - comme un grand scarabée de campagne toutes dorures dehors (PC: 14-15) L’insecte se présente d’emblée comme une forme libre du corps-cosmos, un échange à la fois symbolique et réel avec le (micro)cosmos (du lieu). Cet échange et ce lien seraient un trait d’union entre le règne animal, végétal et humain. Par extension au microcosme du jardin, corps-cosmos (Collot 2008: 10) du sujet lyrique féminin, la symbolique de puissance charnelle et physique féminine émanant de la terre, s’ouvre au paysage plus large des Combrailles et, de par sa topologie intime, à tout lieu naturel, indépendamment de son ancrage topographique. Le vert se dote alors d’une signification actuelle qui est surtout celle du souci environnemental touché par le réchauffement climatique et l’asséchement („asséchée“, PC: 37) du sol qui a des conséquences néfastes sur le paysage concret, constitué entre autres de bocages, d’étangs et de ruisseaux (Office du tourisme des Combrailles 2021). Si ce n’est pas la poésie qui sauvera le monde (Siméon 2016), peut-être que le poème vert pourra contribuer à la sauvegarde de l’environnement et des mœurs des ancêtres liés au cosmos? Le vert, qui non seulement dans la symbolique contemporaine, mais aussi dans Plein-champ symbolise l’espérance, la liberté, le naturel (sans artifice) et la vigueur (l’élan), est au centre de l’habiter du sujet lyrique et de son espace intérieur. Le rôle de l’insecte La métamorphose du sujet lyrique féminin en scarabée de campagne se réalise sur le mode de la joie. L’acte de la saisie des pollens s’apparente à une autofécondation par le moyen de la nature, possiblement par des fleurs jaunes comme on les trouve dans les prés, des pissenlits ou dents-de-lion qui désignent un échange enjoué avec la nature environnante. Le fait que l’être mi-femme mi-animal se retrouve „toutes dorures / dehors“ renvoie au caractère précieux de l’expérience, à la beauté également, qui transgresse - d’une façon propre à la couleur jaune (Auraix-Jonchière 2020) - la frontière entre intimité et extériorité. Les scarabées se lient aux abeilles par leur couleur jaune. Les insectes en général se caractérisent par leur propriété 126 DOI 10.24053/ ldm-2021-0022 Dossier d’avoir des ailes. Les ailes des insectes sont d’une très grande importance; toute classification repose sur leur nombre, leur forme et leurs particularités (Schauenberg 1973: 2414). Les holométaboles (scarabées, abeilles, fourmis, mouches, papillons) se caractérisent par une métamorphose complète, avec stade nymphal. Parmi eux figurent les papillons (lépidoptères), les diptères (mouches), les hymenoptères (abeilles, guêpes, fourmis) et les coléoptères (scarabées). À la différence des hémimétaboles, avec qui ils forment la sous-classe des néoptères, dont les ailes se replient au repos, les holométaboles qui nous intéressent disposent d’un stade nymphal. Les hémimétaboles au contraire ont une métamorphose incomplète sans stade nymphal. Le choix d’Auraix-Jonchière de faire apparaître uniquement des holométaboles nous renvoie d’une part à la grande importance des ailes comme autant d’instruments de liberté qu’ils partagent avec les oiseaux. Le mouvement produit au moyen des ailes en outre illustre le rôle de trait d’union qui leur est conféré. D’autre part, le fait que tous ces insectes se développent par des métamorphoses complètes nous indique leur fonction méta-poétique. Car à peine assis près du miroir des sources, le sujet lyrique se métamorphose. Il revêt tour à tour des corps (Pastoureau 2013: 107) de petits êtres mystérieux qui vivent dans la nature (elfe, nymphe) provenant du folklore européen, et des corps d’insectes qui englobent la nymphe au sens entomologiste du terme. Le champ visuel du sujet lyrique est également investi par des insectes, comme en plus des coccinelles, des mouches et des papillons. Diptères Les mouches font une apparition mineure. Contrairement à leur activité dérangeante 16 habituelle, elles se trouvent endormies (PC: 17) dans le poème n°3. Non seulement elles soulignent ainsi l’impression de paix qui se dégage des bovins („grands bœufs“, PC: 16) dans le pré en fleurs. Mais de plus, elles contribuent à une esthétique paysanne, car les trois vers libres, qui se réfèrent à la couleur des bœufs, dont l’échine est „tachée de / mouches / endormies“ (PC: 17), accentuent une peau mouchetée. Ainsi, les mouches noires se fondent aux plans lumineux des charolaises blanches, entourées d’un cadre tout aussi impressionniste, le pré en fleurs (PC: 17), dans le champ de vision de l’œuil de pharaon (PC: 16). Lépidoptères Les papillons (PC: 8, 18, 50) revêtent un rôle plutôt conventionnel (cf. Bauer 2020: 156sq), pourtant élevés dans un cadre de sacre du printemps. Dans le poème n°8, il s’agit de „Diligenter / les papillons / furtifs / qu’ils répandent / la nouvelle du jour / neuf et / bon / comme un pain“ (PC: 29). Les papillons fonctionnent en tant que messagers du sujet lyrique. Ils paraissent des incarnations de la joie neuve de la vie simple qui accomplit le sujet. Les papillons sont censés répandre un évangile (εὐαγγέλιον gr. = la bonne nouvelle) comparable à une vie humble choisie et approu- DOI 10.24053/ ldm-2021-0022 127 Dossier vée. Il s’agit de la mise en lumière d’une seconde simplicité comme éthique quotidienne (Bonnefoy 1961). Les éclats de joie qui se dégagent de cette vie sont représentés par des „papillons / furtifs“. Les lépidoptères sont autant de messagers non seulement de la joie, mais aussi de la vie éphémère, quand ils se transforment en anges (littéralement des messagers = ἄγγελος gr.) qui frôlent les vivants dans l’espace du jardin des morts (le cimetière). Les papillons, qui devraient s’occuper des plantes du jardin, se fourvoient (PC: 129) en butinant le ‚nous‘ lyrique. Les morts ont l’aspect de „beaux fruits / défigurés / au goût persistant / sous la langue“ (PC: 129). Les fruits du verger sont acides (PC: 39, 49) et par conséquent jeunes et verts, c’est-à-dire que les Défunts vivaces (PC: 128) non seulement se métamorphosent en fleurs (vivaces) qui prolongent la vie, mais en plus elles restent jeunes et claires dans le souvenir du sujet lyrique. Les rainettes rémanentes (PC: 129) qui terminent Plein-champ s’intègrent dans le même champ sémantique du vert, de la verdure et du règne animal qui s’intègre dans l’écosystème du lieu (les Combrailles). Les rainettes s’associent dans le même temps aux arbres, à l’eau, au temps qu’il fait et aux mouches. Elles font partie du „trésor de la / mare enfouie“, équivalent du jardin intérieur de la verte Bohème. Hymenoptères La fourmi La fourmi comme un point entêté sur la route Fourmi herborifolle aux pas de délinquante tire un fil entre nos jardins (PC: 60) La première strophe du poème n°22 nous montre la fourmi comme un élément central du lieu (PC: 9) en ce qui concerne son rôle de trait-d’union entre le cimetière du „haut du mont / aigu“ (PC: 32) et le jardin situé à la „Croix verte“ 17 comme lieu-dit du jardin paradisiaque. Non seulement elle se déplace sur la route entre les deux jardins, mais elle dessine ce chemin en le mettant corporellement en relief et en couleur. Prolongeant l’esthétique impressionniste des diptères et des lépidoptères, elle compose une ligne à partir des points (PC: 60). Dans le même temps, la ligne (fil) qu’elle décrit s’associe à la ligne d’écriture poétique en vers libres, qui sont souvent constitués de paroles ou même de syllabes solitaires („folle“, „entre“), à la fois rendues autonomes et mises en relation par leurs collocations. Il s’agit d’un labeur entêté, mené avec rigueur et endurance. Comme les papillons messagers, la fourmi relie l’espace des morts avec celui des vivants et tend vers un infini minuscule. Ses 128 DOI 10.24053/ ldm-2021-0022 Dossier pas proposent une poéthique 18 de l’infime (point) comme effort, mais aussi de l’espace plein, à la différence des poétiques du désert qui préfèrent l’expérience du vide, du vaste, de la vitesse et de l’immensité. 19 La „marche tê- / tue“ (PC: 30) qui caractérise le mouvement de croissance des plantes est tout aussi valable pour le travail des fourmis. Or, la fourmi n’est pas seulement l’animal travailleur et méticuleux par excellence, 20 elle est aussi signe du règne animal dépendant de son écosystème environnant. Celui-ci est victime des catastrophes climatiques. Le soleil paraît comme menace des nuages, des animaux et des plantes (herbes). Le vert pourrait disparaître dans un futur proche, réduire à néant toutes les vies minuscules et tous les efforts des petits êtres et plantes: Mais on m’a dit que les nuages les beaux nuages allaient s’évaporer un jour et que plus rien ne séparerait plus le fil de l’herbe du bouclier du soleil (PC: 31) L’abeille L’abeille est l’insecte qui revêt la plus haute importance et qui apparaît avec la plus grande fréquence dans Plein-champ. Comme la fourmi, le papillon et le scarabée, elle se trouve menacée par la destruction de son écosystème. Pour l’abeille, il s’agit en premier lieu des fleurs sauvages („Plus de sainfoin sur nos terres, ma sœur, / plus de sainfoin / tremblant / d’abeilles / sous l’azur blessé“, PC: 36) qui sont en voie de disparation pour une multiplicité de raisons, l’empoisonnement du sol, le fauchage insensé, le changement climatique entre autres. Auraix-Jonchière évoque plus loin (PC: 19) aussi le manque d’insectes représenté par la fleur de la pivoine qui dirige sa bouche muette vers le nous poétique. Il s’agit d’un signe au moyen d’une image qui remplace le langage des fleurs. Le sujet lyrique arrive à donner une parole aux animaux et aux êtres végétaux. L’accomplissement de cette traduction ou bien transaction (Jaccottet 1987) s’adresse à une „somme in- / articulée de / nous“, c’est-à-dire à une somme illimitée d’hommes et de femmes. O la pivoine désancrée vers nous - sommes-nous - vers la somme inarticulée de nous tend ses lèvres veuves d’abeilles (PC: 55) DOI 10.24053/ ldm-2021-0022 129 Dossier Auraix-Jonchière met en scène la symbiose entre la fleur et l’abeille, de sorte qu’une fleur dépourvue d’abeilles serait „veuve“. Outre la fonction biologique, Auraix- Jonchière accentue l’énergie vitale de l’abeille en mettant en analogie le sujet lyrique féminin et l’insecte (PC: 38). S’il est vrai que l’abeille dispose d’un langage qui aux yeux des êtres humains s’identifie avec une danse, une danse frétillante, Auraix- Jonchière met en lumière au premier plan la joie de l’existence et la douceur de boire à la source („L’abeille / Ravie / D’ivresse […] En extase“, PC: 98; „saoule“, PC: 99). L’état extatique, aussi bien lié au paysage qu’à un érotisme inhérent au symbole des abeilles et des fleurs, est symbolisé par l’abeille qui devient une forme du vivant avec laquelle s’identifie le sujet lyrique. Si au début, le sujet lyrique féminin s’est métamorphosé en scarabée, la métonymie de la couleur jaune continue l’identification avec le règne des insectes: „endiadémé[e] / de / pollen“ (PC: 99), le sujet lyrique s’est „poudré“ (PC: 14) des pollens, pour montrer les „dorures / dehors“ (PC: 15). Lors de sa danse de joie, il roule dans l’or frais (PC: 98) et verse à contre-ciel (PC: 99) dans les roses (PC: 98), signes de l’amour. L’abeille exprime par cette danse extatique un amour fol. 21 La couleur jaune, par ailleurs, est réhabilitée par son association au vert de l’environnement et du printemps. Le jaune de la poésie verte absorbe les significations de l’or, comme l’or de la verdure: la vie, l’énergie, la joie, la puissance (Pastoureau 2005: 80). Il garde cependant son caractère de marginalité et de transgression qui le situe sur un versant de la protestation - contre la destruction du trésor poétique. Polysémique, la couleur jaune renvoie à la félonie, à la mauvaise réputation (Auraix-Jonchière 2020: 30), mais aussi à la peinture en plein air et à l’électricité mentale provoquée par l’extase (cf. Pastoureau 2005: 85). En dernier lieu, l’abeille est qualifiée explicitement d’ambassadrice (abeilles / ambassadrices, PC: 106). Sa danse s’apparente à la „circulation / du verbe“ (PC: 106). Elle revêt donc la signification du verbe en action, en mouvement. Nous assistons à la circulation d’une nouvelle qui est non seulement celle du sacre du printemps, mais de plus appel à la sauvegarde de la nature. Il s’agit d’un appel émis par la nature elle-même et dans le même élan traduit par le sujet lyrique. Celui-ci sait s’articuler, grâce à la multisensorialité que revêt le langage poétique, en images, en sons et en paroles humaines. L’abeille, tout comme le sujet lyrique, est messagère de la nature. Tous les insectes de Plein-champ s’avèrent ainsi ambassadeurs de l’appel à l’action, de la mouche aux papillons et fourmis, jusqu’aux abeilles, depuis longtemps emblèmes d’un paradis géorgique 22 et faisant fonction des doubles du poète. 23 Plein-champ d’Auraix-Jonchière n’est pas la seule œuvre dans le contexte de la poésie francophone contemporaine dans laquelle surgissent des insectes. Un ensemble de poètes qui se soucient notamment des poétiques de la simplicité et de l’humilité („Toutes ces choses simples de la vie“, Namur 2012), d’un travail minutieux et entêté, de l’environnement comme paysage ont été attirés surtout par la maison d’édition belge Le Taillis Pré, au nom à caractère programmatique. Béatrice Libert, Yves Namur, Yves Broussard, Gaspard Hons et Jean Dypréau ne sont que quelques auteurs de grand renom qui ont fait des insectes du jardin des animaux de bestiaires insoupçonnés et neufs, 24 dans le cortège de nouveaux Orphées qui chantent la 130 DOI 10.24053/ ldm-2021-0022 Dossier nature menacée. Depuis le Moyen Âge, le bestiaire vert revêt une importance majeure. Auraix-Jonchière renverse le rôle en ne s’identifiant pas à Orphée, mais aux animaux du cortège qui, eux, à présent, ‚chantent‘ et dont il s’agit de traduire les langages communs pour les faire entendre. Entre son et sens „Bourdonnent / Enormément“ (PC: 126) les êtres du jardin ouvert, qui rencontrent dans Plein-champ une langue (PC: 2, 5, 18, 19, 27, 40, 50) et un sujet lyrique (PC: 120sq.), marié à la nature du lieu. La géopoétique déclinée au féminin en appellerait à une analyse plus profonde, aux côtés des insectes, de la constitution de la géographie et du décor végétal. Notre analyse, pour l’instant, nous permet de constater que le rapport du sujet lyrique féminin au lieu s’apparente à une identification du lieu qui passe par l’intrication (des corps humains, animaux, végétaux), par l’analogie, par la traduction et par la fusion. Il ne s’agit pas d’un mouvement dirigé vers la vie de la terre, mais d’une ouverture végétale, qui est simple mouvement d’ouverture sans objet. La „Croix verte“ topographique croise en effet, dans une poétique de l’espace, la chair du monde (des animaux et des végétaux) avec le physique du sujet lyrique. La porte ou l’enclos du jardin levés depuis le poème n°1, nous souhaitons parler d’un poème en déclosion selon la définition de Nancy: „La déclosion désigne l’ouverture d’un enclos, la levée d’une clôture“ (Nancy 2005: 16). La déclosion présente serait celle du jardin vers le champ, accompagnée par les messagères de l’espace (mouches, papillons, fourmis, abeilles): „La déclosion“ donne, sur le registre de la „conquête spatiale“, c’est-à-dire en somme du ciel déserté et réouvert, une variation formelle du thème - à savoir du divin en tant qu’ouverture ou espacement, de lui-même aussi bien qu’en lui-même espacé (Nancy 2005: 25). Pour conclure, nous souhaitons citer, en traduction (approximative) française, un slogan politique de la partie des Verts en Allemagne. Symbolisée par l’abeille reine qui souhaite préserver son royaume, il s’agit de sauvegarder un royaume comme un espace naturel, symbolique et divin - un parti pris „pour des reines sur nos prés“. 25 Auraix-Jonchière, Pascale, „Géopoétique de l’Éden sandien“, in: Simone Bernard-Griffiths / Marie-Cécile Levet (ed.), Fleurs et jardins dans l’œuvre de George Sand, Clermont-Ferrand, PUBP, 2006, 245-257. —, „Le bohémianisme, entre ethos et poétique dans l’œuvre de George Sand“, in: Sidonia Bauer / Pascale Auraix-Jonchière (ed.), Bohémiens und Marginalität. Künstlerische und literarische Darstellungen vom 19.-21. Jahrhundert, Berlin, Frank & Timme, 2019, 239-251. —, „Vêtures de bohémiennes et effets de marge“, in: Sidonia Bauer / Kirsten von Hagen (ed.), Aux frontières: Roma als Grenzgängerfiguren der Moderne. Eine kritische Betrachtung von Selbst- und Fremdrepräsentationen in der Romania, München, AVM, 2020, 23-44. —, Plein-champ. Poésie verte, Châtelineau, Le Taillis Pré, 2020. 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J’ai erré souvent dans tes montagnes et voltigé sur la cime de tes sapins; je m’en souviens fort bien, quoique je ne fusse pas encore né parmi les hommes, et mon malheur est venu de n’avoir pu t’oublier en vivant ici“ (Sand 2004: 195). 4 Sans entrer en détail, nous énumérons Alain-Fournier, Rimbaud, Apollinaire comme maints exemples à la bohème artistique et aux bohémiens réels. 5 Vincent-Munnia 2019 par rapport à Baudelaire; Meyer 2020. 6 Pour ne pas disputer le terrain géopoétique à son inventeur Kenneth White ou encore à Michel Deguy, qui fait précocement aussi usage de la même notion dans un contexte plus centré sur le langage poétique (Collot 2005, Bauer 2015), plusieurs courants, issus de la même tendance, se sont fait jour. Il ne faut pas négliger le terme d’‚écocritique‘ non plus. Or dans l’œuvre d’Auraix-Jonchière, nous trouvons d’emblée la notion de ‚géopoétique‘ avec référence au jardin d’Eden, notamment dans l’œuvre de George Sand (Auraix-Jonchière 2006). Nous souhaitons rester, par conséquent, proche du terme géopoétique qui, selon notre point de vue, correspond le mieux à Plein-champ. 7 À ce sujet, il suffit de consulter Valéry, Cheng, Velter, White et al. Cf. aussi Collot 2018: 17. 8 Dans la poésie contemporaine d’Auraix-Jonchière, nous trouvons une correspondance avec les enjeux de l’École de Barbizon et la peinture en plein air du cercle d’artistes qui la constitue, école située à l’orée de la Forêt de Fontainebleau et avec laquelle George Sand entretient des relations d’amitié. Il s’agit non seulement de peindre la géographie du lieu naturel et ses effets de lumière, mais aussi les travaux et les hommes et femmes liés à ces paysages suite à leur style de vie (paysans, bohémiens etc.). Comme George Sand, ces artistes impliquent un intérêt pour une ethnologie de l’intérieur, c’est-à-dire pour les mœurs du peuple concerné. Cet intérêt à tendance ethnologique se retrouve dans Plein-champ notamment concernant des mœurs de fertilité (PC: 41). 9 Selon Henri Michaux qui, d’ailleurs, n’hésite pas à mettre en analogie des insectes et son expérience intérieure. 10 Dix-huit apparences du mot „jardin“ au total. 11 Dix apparences du mot „champ“ explicites au total. 12 Cf. Velter 2007: 8, chant d’ouverture: „Dans le plain-chant de l’univers / tu es le rire de la pure lumière / joie sans ombre qui donne / et donne encore présence à l’impossible“. 13 Collot 2018: 18 cite Paul Valéry, Propos sur la poésie, Paris, Gallimard, 1957, 1363: „Percevoir un monde, ou un système complet de rapports, dans lesquels les êtres, les choses, les événements et les actes“ sont „musicalisés, devenus commensurables, résonants l’un par l’autre“. L’unité de ce monde est fondée sur l’analogie. DOI 10.24053/ ldm-2021-0022 133 Dossier 14 Pastoureau 2013: 94: „Au Moyen Âge, quatre plantes sont indispensables pour concocter un philtre d’amour: la verveine, l’armoise, la valériane et le millepertuis. D’autres produits animaux et végétaux peuvent y être ajoutés, mais la présence de ces quatre plantes est indispensable“. 15 Un ‚nous‘ féminin participe des tendances d’émancipation depuis le 19e siècle, passant, à titre d'exemple, par Marceline Desbordes Valmore, Louise Victorine Ackermann et Lucie Delarue Mardrus (cf. Hegering 2021). Le nous féminin est évidemment présent jusqu’à aujourd’hui, comme Plein-champ le met en scène. 16 Cf. Brossard 2001: 33, Sartre, Les Mouches, 1943. 17 Correspondence personnelle avec Auraix-Jonchière le 25 mars 2021: „La ‚Croix verte‘ (c’est le nom du lieu où se trouve la maison) fait/ faisait partie des propriétés de campagne“. Comme chez Kenneth White, une topologie concrète - dans son cas le „Champ blanc“ - s’intègre à la poétique du géopoéticien respectif (un monde blanc, une verte Bohème). 18 Pinson 2008: 59sqq.: „Was ist das ‚Poéthique‘? “. 19 Ainsi André Velter, Lorand Gaspard, François Cheng, Zéno Bianu, Adonis et al. 20 Jean de La Fontaine, La Cigale et La fourmi; Broussard 2001: 31. 21 Bauer 2015: 328sqq. L’amour fol est une forme d’amour fou dans le sillage d’André Breton. La conception de l’amour fol s’applique, dans l’œuvre d’André Velter, sur sa relation amoureuse avec Chantal Mauduit. Nous privilégions ce terme pour des raisons de genre, car l’amour fol est plus empreint de connotation féminine et correspond donc aux abeilles („Elle / La folle“, PC: 38). 22 Cf. Vergil (37-29 av. Chr.), Georgica; Claude Simon, Les Géorgiques, 1981. 23 Montaigne cit. d’après Westerwelle 2009: 320sq.: „Les abeilles pilottent deçà delà les fleurs, mais elles en font après le miel, qui est tout leur; ce n’est plus ni thin ni marjolaine“. 24 Brossard 2001, Dypréau 2009, Hons 2008, Libert 2011 et 2016, Namur 2012, à titre d’exemple. 25 „Für Königinnenreiche auf unseren Wiesen“, Wahlplakat, Bündnis 90/ Die Grünen, 2019.