eJournals lendemains 46/182-183

lendemains
0170-3803
2941-0843
Narr Verlag Tübingen
10.24053/ldm-2021-0026
2021
46182-183

De Rétif de la Bretonne à Pierre Testud

2021
Hélène Cussac
ldm46182-1830172
172 DOI 10.24053/ ldm-2021-0026 Arts & Lettres Hélène Cussac De Rétif de la Bretonne à Pierre Testud Les Nuits de Paris: une entreprise éditoriale et scientifique d’envergure Pierre Testud, en offrant aux lecteurs l’édition des Nuits de Paris aurait-il fini son ouvrage, à l’image de son auteur de prédilection, Rétif de la Bretonne, qui faisait une telle déclaration à la fin de la publication des Contemporaines? 1 Le grand spécialiste de Rétif aurait-il terminé d’éditer l’œuvre entier du polygraphe, insatiable scripteur? Non, mais grâce à lui, même si certains l’avaient précédé, les innombrables pages de Rétif (65 titres, 199 volumes et 61 897 pages dans l’édition Slatkine Reprints, dont près de 4 000 pages rien que pour Les Nuits) représenteront sans doute encore pour de nombreuses décennies, voire des siècles, un riche patrimoine littéraire, historique, éditorial. Rétif n’est-il pas en fait le miroir du chercheur qui en fin de compte nous lègue un immense travail „que rien ne pourra détruire“ 2 ? L’entreprise scripturale et éditoriale, c’est d’abord celle de Rétif, c’est ensuite celle de Pierre Testud. Tant du côté des études que de l’édition de l’œuvre, aucun de ses prédécesseurs n’avait pu aller aussi loin dans l’objectif de faire vivre, ou plutôt revivre, les écrits de Rétif. On doit en effet à „l’infatigable randonneur rétivien“, comme le rappelle Jean-Yves Haberer avec ce titre qui inscrit avec justesse Pierre Testud dans les mots, et de fait presque dans les pas, de Rétif, une „œuvre immense: nombreuses études, entrée de Monsieur Nicolas dans La Pléiade, savantes et définitives rééditions critiques de textes introuvables, déchiffrement du Journal de Rétif, organisation d’une exposition pour le bicentenaire, direction, pendant vingt-sept ans, de la très précieuse et exemplaire revue des Études rétiviennes, etc.“. 3 On sait gré aux maisons d’édition d’avoir su et de savoir encore accueillir ces textes qui n’étaient plus publiés que par extraits dans des anthologies. Sans les citer toutes, retenons d’hier Isidore Liseux, 4 G. Charpentier, 5 L. Michaud, 6 J.-J. Pauvert; 7 puis les éditions Stock qui publient Sara, préfacé par Maurice Blanchot (1984); Gallimard avec Monsieur Nicolas dans la collection de la Pléiade en 1989 (2 vol.) édité par Pierre Testud; Robert Laffont qui fit entrer plusieurs textes dans sa Collection Bouquins (éd. P. Testud) et Les Nuits de Paris en 1990 sous forme anthologique en regard avec le Tableau de Paris de Mercier (éd. D. Baruch et M. Delon); enfin Honoré Champion, qui a déjà offert sa vitrine à plusieurs œuvres rétiviennes, toutes éditées par Pierre Testud: Le Paysan et la Paysanne pervertis dans la collection Champion Classiques Littérature en 2016, et dans la Collection Âge des Lumières La dernière aventure d’un homme de quarante-cinq ans en 2007 (en collaboration avec Pierre Bourguet) et La Quadragénaire ou l’homme de 40 ans en 2013. Pierre Testud écrivait en 1975 „qu’éditer les quarante-deux volumes des Contemporaines serait une DOI 10.24053/ ldm-2021-0026 173 Arts & Lettres entreprise commerciale téméraire“: 8 voilà qui est pourtant fait. L’œuvre des Contemporaines, savamment annotée, a été publiée chez Champion en dix volumes entre 2014 et 2018. Depuis presque un demi-siècle, la connaissance de l’œuvre rétivienne a fait un bond considérable, au point que l’on compte aussi nombre d’éditions en livre de poche. 9 On peut donc légitimement penser que la communauté scientifique et estudiantine, ainsi que le lecteur intéressé par le 18 e siècle, sauront faire bon usage de ces publications savantes, quoi qu’il en soit de ce propos émis en 2006 en introduction d’un article: „On ne lit presque plus Rétif de la Bretonne aujourd’hui, en tout cas pour le plaisir. Et, ce qui est pis: on a peut-être bien raison“. 10 Certes, le lecteur qui ne connaît que peu ou rien de l’œuvre est susceptible d’être effarouché devant le monument qu’elle représente. Certes, les répétitions entre les œuvres peuvent l’agacer parfois. L’insertion au cœur des historiettes des Nuits de propos cosmogoniques et de la fable d’Épéménide revue par Rétif peut le dérouter, comme les écrits sur l’astronomie, „échappées célestes [qui] sont emblématiques des échappées du récit vers des territoires littéraires multiples“ (I/ 35), ou encore la présence exacerbée d’un Moi qui va au-delà d’un simple geste autobiographique. 11 Mais ce lecteur bienveillant et curieux sera certainement sensible à la modernité du style qui ne lui paraîtra pas étranger, aux petits récits brefs qui lui révèleront le Paris d’hier, un Paris vivant, fait des petites histoires, des drames, des chagrins, des joies d’un petit peuple transformé en personnages, à l’origine réels et auxquels il s’attachera; un Paris tel qu’il ne se promènera plus lui-même dans le Paris d’aujourd’hui sans avoir à l’esprit les maisons qui encombraient les ponts, les carrosses qui résonnaient sur les pavés, les femmes effarouchées qui se débattaient contre quelque agresseur, les filles de joie qui s’offraient au coin des allées, les murmures, les rires ou les cris qui s’échappaient par les fenêtres, les cloches qui résonnaient, les chiens qui amplifiaient de leurs aboiements le sonore nocturne… Car il est certain que „Les Nuits de Paris, leur conception, leur ambition, leur esthétique de déconstruction narrative, leur entrelacs des genres, et pour tout dire leur liberté littéraire, s’imposent comme l’œuvre la plus originale du XVIII e siècle“. 12 Pénétrons donc plus avant au cœur de la création de ces Nuits que cette édition nous offre pour la première fois en intégralité. I. La dernière édition des Nuits de Paris Les Nuits de Paris, constituées au préalable de quatorze parties, n’avaient connu qu’une seule édition, en huit volumes, en 1788. S’ajoutent en 1790 une quinzième partie intitulée La Semaine nocturne et en 1794, sous la Terreur, une seizième partie, intitulée Vingt Nuits de Paris, toutes deux conçues comme une continuité des Nuits déjà publiées et plus connues aujourd’hui sous le titre de Nuits révolutionnaires, donné par Funk-Brentano à son édition de celles-ci en 1911 chez Fayard. Entre l’édition de 1788 (à laquelle se sont donc ajoutées celles des XV e et XVI e parties) et celle de 2019, il n’y avait eu que des publications sous forme d’anthologies. L’établissement du texte donné aujourd’hui s’est par conséquent effectué sur 174 DOI 10.24053/ ldm-2021-0026 Arts & Lettres l’édition d’origine. Précisons toutefois, comme le souligne P. Testud, que les vingt nuits de 1794 ont été augmentées: d’abord passées à vingt et une, elles ont été „prolongées par cinq ‚Nuits surnuméraires‘, la cinquième étant elle-même grossie d’événements postérieurs […]. Puis, au-delà d’une ‚profession de foi politique‘ conçue comme une conclusion, prend place un post-scriptum, et encore quatre pages actualisant le récit jusqu’au dernier moment de l’impression“ (V/ 2153). On est peu surpris, quand on connaît un tant soit peu la graphomanie de Rétif, qu’il ait par conséquent débordé du cadre qu’il s’était préalablement fixé (celui de 366 nuits). Plus encore, alors que l’impression des Nuits était en 1788 bien avancée, il en écrit deux de plus à la fin du mois de juillet 1788 qu’il place à la fin du volume 27 de la seconde édition des Contemporaines. P. Testud, en toute logique, les adjoint à la fin de la XIV e partie. 13 L’ensemble s’offre en cinq volumes, tous parfaitement équilibrés. On sait que Rétif devait fournir des parties de trois cents pages, ce qu’il a respecté on s’en doute sans mal, soulagé toutefois d’arriver à la fin de la rédaction des Vingt Nuits, qui se voulait être la rédaction du moment révolutionnaire alors qu’il en était au cœur. 14 Quoi qu’il en soit, P. Testud disposait d’un matériau stable, que l’adjonction de l’Introduction générale (I/ 7-53), de l’Introduction de La Semaine nocturne (V/ 1977-1984), de celle des Vingt Nuits (V/ 2153-2165), qu’il était nécessaire de préfacer séparément en raison de leur caractère singulier, de la Bibliographie et d’Index précieux ne rompt pas. Le Tome I offre ainsi, outre l’Introduction générale, les Nuits de la 1 e à la 82 e , soit les quatre premières parties; le Tome II de la 83 e à la 202 e , soit les Parties V à VIII; le Tome III de la 203 e à la 345 e , soit les Parties IX à XIV. On a compris que le Tome V est consacré aux Nuits révolutionnaires. Une précision qui a son importance: la IX e Partie avait subi des cartons; l’édition présente la restitue dans sa version non cartonnée (contrairement au reprint Slatkine), les variantes figurant toutefois en note. C’est bien grâce à cette totalité que l’œuvre révèlera désormais sous les yeux du lecteur sa véritable nature. Nous disposions, il est vrai, de l’édition Slatkine de 1988 en huit volumes, qui, on le sait, n’est pas une édition savante et se trouve peu accessible. Or, l’appareil critique élaboré par l’érudit rétivien qu’est P. Testud est inégalable. Le contenu des notes de bas de page est un régal, tant pour les contextualisations inévitables que pour les croisements - et on sait qu’ils sont légion - entre Les Nuits et les autres textes de Rétif. On n’ira pas jusqu’à dire que P. Testud est habité par l’œuvre de Rétif, mais on ne peut que rendre grâce à son travail tout à la fois de philologue et d’herméneute, mené tout au long de ces quarante dernières années, depuis sa thèse capitale sur Rétif et la création littéraire, 15 qui a eu le grand mérite de souligner non seulement l’originalité de l’œuvre du polygraphe, mais aussi sa cohérence. Une entreprise „gigantesque“, 16 comme le notait à l’époque Catherine Lafarge, déjà à l’image de Rétif, comme est gigantesque cette dernière décennie l’édition d’un nombre de volumes rétiviens impressionnant, pour le plus grand bonheur des chercheurs. Si dans toute édition critique moderne figure un index, parfois deux, avec P. Testud, le chercheur est gâté! Cinq index: des noms de personnes, ne recueillant que DOI 10.24053/ ldm-2021-0026 175 Arts & Lettres les noms ne relevant pas de la fiction (V/ 2379-2396), des sujets (V/ 2397-2403), des titres (V/ 2405-2418), des noms de rues, de lieux et d’établissements (V/ 2419-2428), et du lexique correspondant aux mots tombés en désuétude, ainsi que les néologismes de Rétif (V/ 2429-2434), permettront „de rendre plus aisée la consultation de l’œuvre et de donner un aperçu de sa richesse“ (I/ 48). Que l’intérêt se porte vers la topographie, l’onomastique, la linguistique, etc., il est certain que ces index seront d’une très grande utilité. Comme l’annonce Champion en présentant l’édition, P. Testud a choisi de moderniser l’orthographe et la ponctuation. Que les puristes ne s’insurgent pas! Le travail est en ce sens délicat, et Rétif avait sur l’orthographe lui-même „des idées bien précises“ (I/ 49-50) au point de proposer plusieurs fois une orthographe nouvelle (I/ 38). On relève toutefois moins de particularités dans Les Nuits que dans Les Contemporaines ou Le Paysan et la Paysanne pervertis, précise l’éditeur qui souligne encore avoir conservé des graphies d’époque et certains choix typographiques de l’auteur. Quant à la ponctuation, P. Testud prend le soin d’expliquer les emplois de Rétif puis de justifier ses choix quant au fait d’avoir conservé certains signes (comme les deux points) ou non. Son souhait a été „d’obéir à deux impératifs: le respect des effets stylistiques voulus par Rétif et la cohérence de [ses] interventions“ (I/ 53). On ne doute aucunement de la réflexion et de l’intelligence qui ont fait aboutir cette modernisation pour rendre la lecture plus aisée en faisant preuve de tous les égards dus au texte et à l’écrivain. Signalons enfin le plaisir à découvrir la reproduction des gravures au début de chaque Partie, comme l’avait voulu Rétif. Autant que pour l’édition des Contemporaines - riche de 283 estampes 17 - il eut été inconcevable, même si le nombre de celles des Nuits est comparativement bien plus faible, qu’elles n’accompagnent pas le texte, sachant l’importance que Rétif leur accordait. On sait qu’au 18 e siècle, surtout dans sa seconde moitié, l’estampe était en vogue (on connaît la formule des Goncourt à ce sujet); 18 nombre d’écrivains avaient de plus en plus à cœur de faire illustrer leurs livres par les meilleurs dessinateurs (pensons à Rousseau, Bernardin de Saint-Pierre…), et les ouvrages illustrés étaient recherchés par les collectionneurs. Rétif est un de ceux qui se passionnent pour l’image 19 au point qu’il suit de très près le travail. Les clichés reproduits viennent de la BnF, tels qu’on peut les visualiser sur Gallica. Il n’est pas question de les détailler ici; P. Testud l’effectue dans sa Préface (I/ 41- 47), tout en tenant compte de l’enquête menée par Philippe Havard de la Montagne, tout particulièrement dans Mes Inscriptions et le Journal „depuis le 22 décembre 1786, qui marque le début de la rédaction [des Nuits] (dont l’impression commença le 6 mars 1787) jusqu’à quelques mois après l’achèvement de la XVe Partie, le 18 février 1790“. 20 Contrairement aux gravures des œuvres précédentes, celles des Nuits ne sont pas signées. Les deux chercheurs, en accord, donnent la paternité du dessin à Charles-Etienne Gaucher pour celle bien connue du frontispice et à Antoine-François Sergent pour les suivantes jusqu’à la XVe Partie. La dernière, illustrant la XVIe Partie, représentant Charlotte Corday sur l’échafaud, reste celle 176 DOI 10.24053/ ldm-2021-0026 Arts & Lettres d’un anonyme. 21 Le graveur est celui attitré de Rétif: Louis Berthet, au moins jusqu’à la XV e Partie. Dix-huit illustrations agrémentent donc l’œuvre pour le lecteur-spectateur qui découvre un des rares portraits de Rétif en pied, vêtu de sa „redingote“, ce „pauvre habit bleu, fait en 1773, tout rapiécé“ 22 et de son chapeau à larges bords, sur lequel se dresse un hibou, ailes déployées. C’est ce vêtement qui permet d’identifier, précise P. Testud, le personnage correspondant à la personne de l’auteur dans toutes les gravures (I/ 42). L’illustration des Nuits se distingue en effet, en ce qui concerne les Parties II à XIV, „de toutes celles qui ornent les ouvrages de Rétif par la présence de l’auteur dans chacune des gravures, à une exception près“ 23 (I/ 41- 42). Rétif aimait à choisir le sujet des estampes et il avait une règle, comme il l’écrit à Sergent le 12 novembre 1783: „le sujet gravé doit toujours avoir un rapport avec le titre“. 24 Même si le hibou-spectateur, piéton de Paris, était en fait rarement vêtu du costume dessiné sur le frontispice, l’image, accompagnée de sa légende, illustre, résume même on ne peut mieux le sujet - et le projet - de l’œuvre, en mettant en avant les actions, la classe sociale des personnages, les ‚faits singuliers‘, ainsi que l’importance du regard: Le Hibou-Spectateur, marchant la nuit dans les rues de la capitale. On voit au-dessus de sa tête voler le Hibou, et dans les rues, un enlèvement de filles; des voleurs qui crochètent une porte; le guet à cheval et le guet à pied: Que de choses à voir, lorsque tous les yeux sont fermés! Ce projet, c’est de représenter tout un peuple de la nuit et si la jeunesse y est de fait la plus mise en scène, courant les rues, les cafés et les bals, Rétif n’en n’oublie ni l’enfance ni la vieillesse. Cent cinquante personnages de toutes catégories sociales, des deux sexes, habitent Les Nuits de Paris. 25 Mais d’où viennent ces Nuits, par périodes oubliées et dédaignées, pour reprendre les mots de Charles Monselet, 26 alors même qu’elles ont vivement inspiré quelques grands auteurs du siècle suivant: Balzac, Hugo, Nerval et Les Nuits d’octobre, Baudelaire avec ses „Tableaux parisiens“, Alexandre Dumas avec son Ingénue…? S’impose de revenir sur la genèse de l’œuvre, qu’expliquent plus ou moins les auteurs de chaque publication d’extraits et que P. Testud, à la suite de David Coward, 27 précise tout particulièrement. Rappel pour les uns, découverte pour les autres, cette histoire dont je ne ferai qu’une petite synthèse est l’histoire d’une création atypique. II. La genèse des Nuits „Lire les Nuits - écrit P. Testud - c’est lire l’histoire de la rédaction des Nuits, traversée d’événements qui la mettent plusieurs fois en péril“ (I/ 25). Ne seraient-elles pas, ajouterai-je, un roman avec en leur centre un protagoniste en je? Celui de l’auteur, autorisé, en raison de la réflexivité de son discours moral, „à faire des Nuits le récit d’une œuvre qui s’écrit“? 28 DOI 10.24053/ ldm-2021-0026 177 Arts & Lettres Nous sommes au mitan du siècle, dans les années 1766-1767 plus précisément, 29 moment où Rétif „abandonne son métier de prote pour devenir écrivain“ (I/ n. 1, 63). Ce dernier commence un nouveau Cahier, 30 ce dont il est familier, 31 sur lequel il note, il note, sans doute inlassablement, 32 tout ce qui lui paraît mémorable. Il ne sait pas encore que ce qu’il enregistre à partir de cette date fournira partiellement la matière des sept premières parties de ce qui s’appellera Les Nuits de Paris, jusqu’à la 187 e (II/ n. 2, 920). Comme à son habitude, plusieurs projets d’ouvrages s’entremêlent dans son esprit. Mais que note-t-il? D’où vient ce qu’il relève? „Dès 1773, il avait pris [l’habitude] de faire des ‚courses nocturnes‘“ dans la capitale et de faire ensuite de sa collecte „un travail de recyclage“. 33 L’Observateur, comme il se définit, „guidé par l’amour du vrai, du beau, de l’utile“ (I/ 1 e Nuit, „Plan“, 66), ces valeurs platoniciennes chères aux Lumières, fait œuvre de spectateur, au sens de l’époque, c’est-à-dire de journaliste, dans la lignée des journaux d’Addison 34 et de Marivaux. 35 Œuvre aussi de philosophe et de moraliste en mettant littéralement sous les yeux du lecteur, à partir d’un emploi abondant du verbe voir, „les abus, les vices, les crimes, les vicieux, les coupables, les scélérats, les infortunées victimes du sort et des passions d’autrui […]“ (I/ 1 e Nuit, „Plan“, 67). On comprend dès lors d’une part la création du néologisme qu’il donne à quelques-uns de ses textes, en place de celui de satire: „juvénales“, d’autre part le titre complet des Nuits: „Les Nuits de Paris ou Le Spectateur nocturne“, tel qu’il figure sur la page de titre du premier tome de l’édition de 1788, accompagné du frontispice; page et illustration fort heureusement toutes deux reproduites dans l’édition de P. Testud (I/ 57 et 59). En prenant le modèle des satires de Juvénal, le dénonciateur des maux de Rome, Rétif s’inscrit dans une tradition littéraire. Lors de ses promenades nocturnes, il est le hibou, „l’oiseau de Minerve“ (I/ 8 e Nuit, 99), l’oiseau scrutant la nuit de ses grands yeux, symbolisant „la connaissance et le savoir qui percent les ténèbres de l’ignorance“ (I/ 37). Pourquoi ne pas intituler ainsi sa future œuvre moraliste et réformatrice? 1776: Le Hibou est conçu. 1777: Rétif a trouvé l’idée des Contemporaines qui absorbera la part romanesque d’une production en plein développement. Nous voilà en 1778: il songe de plus en plus sérieusement au Hibou. 36 Les milliers de notes commencent à s’organiser, Rétif imagine son Hibou comme un recueil de juvénales et le 23 mars 1782, il écrit à son ami de plume Louis-Sébastien Mercier, qui, lui, a commencé depuis un an à faire paraître son Tableau de Paris. Il lui parle du Hibou et des deux volumes de morceaux satiriques déjà rédigés; depuis 1779, précise P. Testud (I/ 8), année du décès de son censeur et ami Mairobert, perte douloureuse pour Rétif qui interrompt le travail. Ici et là toutefois, au cours des années qui suivent, au détour de quelques ouvrages, il mentionne encore le projet (I/ 8-9). Il confirme d’ailleurs, en 1784 dans La Paysanne pervertie le titre du Hibou, contenant „50 juvénales“. En 1786, il l’annonce encore à „la fin des Françaises“ (I/ 9). Mais Rétif puise dans sa collection d’écrits et de fait dans les deux volumes en question pour d’autres ouvrages. Des juvénales en parsèment plusieurs: que faire 178 DOI 10.24053/ ldm-2021-0026 Arts & Lettres de ces volumes qui se sont amenuisés? L’ouvrage l’embarrasse, écrit-il dans Monsieur Nicolas. 37 Un événement se produit alors, lors d’une de ses habituelles flâneries nocturnes, à „onze heures du soir“, comme il nous en informe: J’errais seul dans les ténèbres en me rappelant tout ce que j’avais vu depuis trente ans. Tout à coup une idée me frappe: mon imagination s’embrase; mais les idées confuses qui se présentent ne me permettent pas de les classer. Dans ce désordre d’idées, j’avance, je m’oublie, et je me trouve à la pointe orientale de l’île Saint-Louis. C’est un baume salutaire qu’un lieu chéri! Il me sembla que je renaissais; mes idées s’éclaircissent; je m’assis sur la pierre, et à la tremblante lumière de la lune, j’écrivis rapidement. (I/ Préambule, 64). Lisons la juste analyse de P. Testud quant à ce moment magique et majeur: „Dans ce scénario, significatif est le passage des ténèbres à la lumière (même si elle reste ‚tremblante‘), de la confusion à la clarté, et plus encore le rôle de la marche: j’avance signifie à la fois je m’avance et je progresse“ (I/ 14). À cet événement s’ajoute un second. Le 14 septembre 1786, notre hibou pénètre dans une rue écartée de ses quartiers habituels, la rue Payenne, et au numéro 7, entend et aperçoit une femme à son balcon. 38 La vaporeuse 39 marquise des Nuits, celle qui crée le déclic: „Je sentis quel devaient être le but et la marche des Nuits“, 40 celle qui va permettre de transformer le lot d’anecdotes présentes et à venir en véritable récit, est née. Il en est presque fini de la publication envisagée du Hibou; le fil ne sera pas rompu, l’esprit des juvénales persistera, mais dès lors l’observateur-spectateur, aussi philosophe, sera un conteur du nocturne parisien. La rédaction des Nuits, „placée sous le double signe de cette illumination et de cette apparition“ (I/ 14), peut désormais commencer: En quittant la vaporeuse, je me hâtai de me rendre chez moi. L’aurore commençait à paraître. Et je me dis en moi-même: „Je compterai d’aujourd’hui la seconde Nuit. Car cette femme m’a intéressé. Et lorsque je l’aurai vue longtemps, je ferai un livre de nos entretiens. Je l’intitulerai, Les Nuits du Hibou spectateur, car je ne considèrerai que les choses nocturnes; assez d’autres voient les événements du jour“ (I/ 2 e Nuit, 71-72). 41 Ce sera le cas trois mois plus tard, le 22 décembre 1786 précisément, et le 20 janvier 1787, Rétif écrit une 368 e Nuit (I/ 13). En mai 1787, lors de la mise en vente des Parisiennes, apparaît pour la première fois dans la liste des ouvrages de l’auteur: „Les Nuits de Paris, ou le Hibou spectateur nocturne, en 366 Nuits, VI volumes“ (I/ 9). Le 9 août de la même année, il en est à la 381 e , soit quinze de plus que celles prévues initialement. Au mois de décembre 1788, paraissent les douze premières parties avec le titre définitif adopté le 25 janvier 1787, titre qui, après réflexion durant toute l’année 1787 et plusieurs hypothèses, 42 souligne la continuité avec la notion de spectateur, mais ne mentionne plus le Hibou. Le roman des Nuits de Paris n’est cependant pas terminé, contrairement à ce que pensait l’auteur qui dans la 381 e Nuit, malade, en déclare explicitement la fin: „Je termine ce long et pénible ouvrage“ (IV/ 14 e Nuit, 1881), tout en évoquant avec tristesse la perte de celles et ceux qui lui étaient chers, et en prenant soin de noter dans DOI 10.24053/ ldm-2021-0026 179 Arts & Lettres son Journal la fin de l’impression des Nuits le 7 novembre 1788. Une année s’écoule. Rétif déménage et va habiter dans ce qui sera sa dernière demeure, rue de la Bûcherie; il rédige et publie plusieurs textes; le printemps le voit souvent flâner au Palais-Royal avant qu’il n’en publie le texte éponyme; il est même arrêté à la fin de cette année 1789 (le 9 octobre) à cause de son gendre. 43 1789 touche à sa fin. Une année s’est écoulée, mais tout a changé; comme l’écrit P. Testud, „un monde s’est écroulé“ (V/ 1977). Le 19 novembre 1789, jusqu’à la fin du mois, Rétif s’attache à rédiger les textes historiques de la quinzième partie des Nuits. 44 Puis, deux mois plus tard, de façon un peu surprenante, comme si la violence des événements le perturbait trop, comme si l’avènement d’un nouveau monde lui semblait inouï, il s’avise de compléter les morceaux historiques par des „historiettes romanesques“ (V/ 1977). Sa perception des Nuits semble n’être plus tout à fait la même comme il l’écrira dans l’„Avis sur la XVI e Partie“: „Les Nuits de Paris sont un ouvrage qui doit avoir une continuation tant que cette grande ville existera. Pendant ma vie, j’aurai soin de les rédiger, en rendant compte de tous les événements nocturnes et des diurnes qu’ils [sic] auront occasionnés“ (V/ 2173). Certes, le pacte, en quelque sorte, ne sera pas tenu; néanmoins les événements révolutionnaires sont tels qu’ils méritent d’être écrits: „pour Rétif - explique P. Testud - qui a toujours prétendu rendre compte de son temps dans ses ouvrages, écrire l’Histoire est un devoir impérieux“ (V/ 1977). Ces Nuits révolutionnaires sont toutefois spécifiques et tiennent une place à part dans l’ensemble des Nuits, même si Rétif ressent „le besoin d’affirmer une continuité“ (V/ 1978). Aussi les textes de La Semaine nocturne et des Vingt Nuits sont-ils présentés comme le prolongement des Nuits antérieures jusqu’à la numérotation qu’il leur donne, bien qu’il ne s’agisse plus de récits de nuits. Aurait-il eu besoin, comme P. Testud en formule l’hypothèse dans son Introduction à La Semaine nocturne, „d’inclure ce nouvel ouvrage dans un ensemble, une construction en devenir, qu’aucun bouleversement ne p[ourrait] abattre“ (V/ 1979)? Dans ces mois de la fin 1789 et du début 1790, la Révolution n’a pas encore fait toute son œuvre. Malgré l’image sombre qu’il en donne, malgré la violence qu’il observe, Rétif peut se montrer optimiste quant à ses effets, ne serait-ce que grâce à la liberté d’imprimer proclamée en août 1789. Il attend toutefois trois années entières avant de livrer les écrits des Vingt Nuits de Paris, titre relativement anodin alors qu’„écrire sur la Révolution en 1793 est devenu une tâche redoutable“ (V/ 1984). Aux yeux de P. Testud, dans son Introduction aux Vingt Nuits, „cette dernière Partie des Nuits de Paris est assurément la plus originale, la plus ancrée dans l’actualité historique et politique“ (V/ 2153). Ce ne fut pas la plus simple à écrire, à découvrir la chronologie détaillée de l’élaboration de ces nouvelles Nuits, effectuée à l’aide du Journal de Rétif (V/ 2154-2155). Rétif revient même plusieurs fois sur son texte au cours de l’impression et se voit imposer des cartons, après en avoir introduits lui-même. „Mais avant les cartons, des exemplaires avaient déjà été mis en vente“, nous apprend P. Testud; „il existe aujourd’hui deux états du texte“ (V/ 2156). Par chance, cette dernière édition propose le texte original, dont un exemplaire se trouve à la Bibliothèque 180 DOI 10.24053/ ldm-2021-0026 Arts & Lettres Nationale de France, 45 et observe en note les passages cartonnés. Rétif, qui n’hésite pas à changer de bord au fur et à mesure des soubresauts politiques, 46 prend des risques en ces années certainement les plus terribles de la Révolution. Il a commencé la rédaction de ces Nuits le 29 mars 1793; arrivé à la XX e , il se rend compte qu’il lui manque une centaine de pages. Alors qu’il revenait dans La Semaine nocturne sur des événements des trois années précédentes, le voici en train d’écrire sans plus de recul, dans l’immédiateté du chaos et du drame. Il lit les journaux, il écoute les conversations; le café Manoury, place de l’École, est celui qu’il préfère, semble-t-il. Plus âgé, devenu légitimement craintif, il s’aventure moins dans les rues. Il n’est donc pas souvent au bon endroit au bon moment. Qu’importe? En habitué de la rue, il sait transformer les propos entendus en choses vues (I/ 2 e Nuit, 2013). Ainsi, „[d]e Nuit en Nuit, de date en date, Rétif évoque quatre années de la Révolution, dans un récit fragmenté […]“ (V/ 2159), et au cœur de la grande Histoire, il dessine les histoires et les „affaires particulières“ (V/ II e Nuit surnuméraire, 2340), ne se faisant pas historien, mais bien écrivain. „Sur la difficulté d’écrire de la Révolution sous la Révolution, les Vingt Nuits de Paris apportent“ en fin de compte „un témoignage exceptionnel. Elles sont à cet égard une œuvre politique“ (V/ 2160), affirme P. Testud. III. Le genre littéraire et le style des Nuits Mais que sont ces Nuits? Reportage, roman, essai philosophique, nouvelle, conte, tableaux, autobiographie? Peut-être même des contes merveilleux? Rétif n’a-t-il pas pensé à les intituler Les Mille et Une Nuits françaises puis Mille et Une Aurores, dans le sillage des Mille et Une Nuits, ces contes orientaux découverts au début du siècle grâce à la traduction d’Antoine Galland? Ne dit-il pas toutefois d’entrée au lecteur: „Vous y trouverez de la morale, de la philosophie…“ (I/ 1 e Nuit, „Plan“, 67)? Un lectorat non averti, ou peu au fait des écrits du temps, n’ayant pas à l’esprit les caractéristiques propres à la créativité de Rétif, pourrait être agacé, ennuyé par la forme de ce recueil très libre, d’une littérature très nouvelle; il n’y verrait peut-être pas les potentialités de déconstruction du récit propre à l’époque. 47 Il n’entendrait peut-être alors Les Nuits que comme un „Tout. Tout, en ce sens que sa graphomanie [fait que] Rétif n’écrit jamais, en définitive, rien que sa propre vie“. 48 Certes, „[l]’entreprise littéraire rétivienne est ainsi doublée d’une écriture de soi qui se situe au hors-champ des Belles Lettres et qui investit la première personne de l’œuvre“, 49 aussi l’omniprésence du Moi rétivien dans tous ses ouvrages est-elle susceptible d’en outrer d’aucuns. Le lecteur non averti penserait peut-être encore, à partir d’une posture néanmoins un peu rigide, que „[l]e trait distinctif de ce style littéraire désinhibé, c’est la ruine de la convention du narrateur omniscient - et en passant, d’une certaine manière, de l’effet littéraire lui-même“; 50 ce lecteur n’y percevrait en fait que de „la folie sous presse“! 51 DOI 10.24053/ ldm-2021-0026 181 Arts & Lettres Mais l’incompréhension première sera vite compensée par les riches explications et définitions apportées par P. Testud. „Les Nuits sont d’abord un ‚magasin d’anecdotes‘“ (I/ 37): ainsi faut-il aborder l’œuvre. Il s’agit bien néanmoins d’un récit, d’une œuvre narrative où la fiction a donc sa part: un récit à deux protagonistes que tout sépare socialement: 52 une marquise, qui a des vapeurs et s’ennuie en rêvant à sa fenêtre, et un promeneur observateur de Paris la nuit, qui se trouve l’une de cellesci sous ladite fenêtre. S’engage un dialogue et se forme un pacte: chaque nuit, il viendra la distraire en lui contant une nouvelle histoire. Deux personnages s’ajouteront à ces deux protagonistes initiaux. 53 „Les Nuits - précise P. Testud - ne sont donc pas une juxtaposition de ‚tableaux‘, comme peut l’être le Tableau de Paris de Mercier, mais une histoire, celle d’une alliance entre deux classes sociales, pour soulager la misère, protéger la vertu et améliorer le bonheur de l’homme“ (4 e de couv.). L’œuvre a par conséquent la structure d’un récit dans lequel s’entremêlent personnages fictifs et personnes réelles, comme la marquise, qui réunit en elle plusieurs femmes connues, marquises ou non d’ailleurs. 54 À l’intérieur de ce roman, des petites histoires qui ne pouvaient que plaire en un temps où le goût s’affirmait pour le texte bref. Mais n’oublions pas l’annonce faite par Rétif dans le plan de la 1 e Nuit: il envisage d’écrire un ouvrage de moraliste et d’observateur: „Il reste à cet égard dans l’esprit du Hibou spectateur, première mouture des Nuits“ (I/ n. 8, 67). Au cœur des histoires donc: de la philosophie, de la satire ou encore des idées réformatrices. Au temps des Lumières, alors que les genres littéraires n’étaient pas encore cloisonnés comme ils le deviendront au siècle suivant, cette façon d’écrire n’est pas entièrement neuve: „La philosophie, dont le nom est devenu si commun dans ce siècle, s’est glissée jusque dans les romans“, 55 constate un auteur anonyme en 1765. Les romanciers du 18 e siècle aiment en effet „à mettre en scène des héros philosophes, à évoquer des problèmes métaphysiques, à décrire des sociétés politiques imaginaires ou des expériences de pensée. Ils n’hésitent pas à l’occasion, à glisser de longues dissertations dans un roman par lettres sentimental ou des leçons sur les fondements de la morale, sur Dieu ou la liberté humaine, entre deux états libertins“. 56 Rétif est bien à l’image des auteurs qui l’ont précédé: pensons à l’insertion du roman du voyage d’Épiménide en Grèce, qui lui permet d’exposer à la marquise des idées philosophiques et politiques entrecoupées - et vice versa - de faits divers qu’il rapporte de ses promenades nocturnes. Lire Les Nuits, c’est donc lire des „histoires multipliées, fragmentées, fait[es] de suites et de conclusions différées, d’un récit nocturne suspendu par l’apparition de l’aurore […]“ (I/ 11), un récit qui révèle ainsi une esthétique de la discontinuité. C’est lire aussi un texte qui s’échelonne sur vingt années, de 1767 à 1787, et qui s’écrit dans le refus des conventions, dans le rejet d’un cadre narratif figé: „le hasard des rencontres détermine l’écriture des Nuits“ (I/ 23). L’expérience urbaine fait naître avec Rétif - et Mercier - l’esthétique du hasard que ne mettaient pas en œuvre les premiers guides et tableaux de Paris et qui influencera longuement, jusqu’à nos jours, les poètes de la ville. Cependant, une fois „parvenu vers la moitié de [la] VIII e Partie“, 57 le récit, inscrit jusqu’alors dans une 182 DOI 10.24053/ ldm-2021-0026 Arts & Lettres chronologie, opère un glissement vers un plan thématique, comme le remarque P. Testud (I/ 26) à la lecture de ces explications de Rétif: […] sans avoir employé les faits publics, je vais enfin attaquer les abus généraux. Tout ce qu’on a lu jusqu’à présent est le relevé d’un Cahier commencé en 1767, et même une année plus tôt. Mais j’ai laissé les faits antérieurs à cette époque. Nous sommes actuellement en 1775, et cette année fournira peu. Cependant ce fut celle où je commençai de voir les billards, les académies et les cafés. Quant aux spectacles, je les fréquentais dès 1756, mais je ne dois les apprécier qu’en 1787 et 88. 58 La plume du moraliste et du réformateur semble dès lors prendre le pas sur le conteur: „Bien des scènes décrites par le ‚Spectateur-nocturne‘ - remarque Jean Varloot - ont pour conclusion, non pas une banale réflexion moralisante, mais une proposition d’ordre administratif, qui vise à mettre fin à une carence, à une insuffisance, plus rarement à un excès“. 59 La conception des Nuits change ainsi progressivement. Rétif va encore plus loin, notamment quand l’Histoire fait irruption et se mêle au romanesque; 60 le récit alors „se déploie sur fond de tragédie historique“ (V/ 2160): l’Observateur-Spectateur, familier de la lecture des gazettes dans lesquelles il puise, qui évoque certains journaux dans Les Nuits, 61 prendrait-il la plume du chroniqueur, en cette année 1789 où le journalisme rencontre un grand succès? „Je tâche de recueillir tous les faits extraordinaires, pour les consigner dans cet ouvrage qui sera un jour de la plus grande importance“, déclare-t-il dans la V e Nuit surnuméraire (V/ 2353). Il se contredit pourtant parfois: „Je ne fais pas de journaux, parce que je trouve dit tout ce que j’aurais dit“ (V/ IX e Nuit, 2225) et il énonce le refus de parler de la Révolution dans Monsieur Nicolas. 62 Son ambition est bien toutefois dans les Nuits révolutionnaires de rendre compte en partie de l’actualité. L’œuvre des Nuits, même dans les quatorze premières parties, présente d’ailleurs, comme le relève Françoise Le Borgne, „plusieurs traits caractéristiques de l’écriture journalistique“. 63 Pour Jean Varloot, cela ne fait aucun doute, „Rétif se considère bien dans les Nuits comme un confrère des journalistes contemporains“, 64 ce que confirment le début et la fin de l’„Avis“ donné à la XVI e Partie (V/ 2173-2174). Si P. Testud remarque cette ambition (V/ n. 4, 2173), il observe toutefois que Rétif est rarement un témoin oculaire des faits révolutionnaires, même s’il n’est pas inexact; il faut par conséquent „beaucoup relativiser la valeur historique des Nuits“ (V/ 2159). On ne peut oublier que Rétif est un amoureux de la langue, un inventeur de mots, et que ce qui l’intéresse est ce qui se passe dans la rue. Son style est donc d’abord celui d’un je qui souhaite rendre compte de son expérience du regard et de l’écoute, dans une écriture qui se veut spontanée, orale (souvenons-nous qu’il lit ses écrits ou raconte à la Marquise ce qu’il vient de voir). On ne peut nier, comme pour Les Contemporaines, l’aspect documentaire de l’œuvre, mais l’insertion d’anecdotes dans la chronique historique, la part autobiographique (même si dans les Nuits révolutionnaires, comme le remarque F. Le Borgne, il se présente plus comme citoyen qu’en tant qu’individu privé), 65 les effets rhétoriques recherchés dans ces dernières DOI 10.24053/ ldm-2021-0026 183 Arts & Lettres Nuits 66 (allégorie, emphase, évocation épique), contrairement à son habitude, et le fait de ne pas écrire l’événement au jour le jour, font qu’il ne colle pas réellement à celui-ci, mais en écrivain le met en scène. 67 Sans doute se heurtait-il à la difficulté d’écrire cette prodigieuse histoire qu’il était en train de vivre, comme P. Testud et F. le Borgne en formulent l’hypothèse. Peut-être qu’en fin de compte Rétif en est-il venu à écrire ces Nuits révolutionnaires et à les présenter comme des périodiques en raison de sa confrontation directe avec la violence de la rue, avec la vindicte populaire; sans doute s’est-il bien senti „poussé par une impérieuse réalité“. 68 Quoi qu’il en soit, l’œuvre de Rétif présente une rupture manifeste avec les canons littéraires existants, comme le montre P. Testud: Apparemment, il a usé de tout: du roman, du roman par lettres, du conte, de la nouvelle, du traité, et naturellement du théâtre. En fait, il a brouillé tous les genres: son théâtre tient parfois de la narration dramatique (comme dans „Le Drame de la vie“), et sa création narrative porte l’empreinte du théâtre en même temps qu’elle déborde, par un jaillissement intarissable d’histoires, de personnages, tous les cadres habituels, si ce n’est, en définitive, celui de l’anecdote, de l’„historiette“, commun dénominateur de toutes ses œuvres, forme élémentaire et fondamentale de sa création littéraire. 69 Sa manière de percevoir le nocturne parisien, de mêler le petit et le grand et de métamorphoser le réel, relève par conséquent tout à la fois d’une esthétique du hasard, du détail, du discontinu, du quotidien et de l’oralité, tout à fait nouvelle. Aucun auteur d’ouvrage sur Paris 70 ne l’avait ainsi fait si ce n’est Mercier, sans toutefois la construction narrative proposée par Rétif. Fréron n’avait pas tort, même si sous sa plume ce n’était pas un compliment, de dire de ce „Rousseau du ruisseau“ que „de tous les hommes de Lettres qui sont actuellement en France, il est celui qui se singularise le plus“, 71 car il est vrai qu’„il y a un Paris de Restif, un univers de Restif“, 72 que savaient apprécier un Goethe, un Schiller ou un Jean Paul. Sa singularité est d’ailleurs telle qu’il faut même entrevoir la présence du je dans l’œuvre comme celle d’un corps participant, 73 constamment en relation profonde, en sympathie même, avec la ville, avec la nuit, avec les êtres de la nuit. C’est aussi ce qu’exprime sa poétique qui n’a pas souvent été bien perçue dans la France du temps, a contrario de l’Allemagne littéraire qui voue à Rétif à la fin du siècle „un véritable culte“. 74 Son autre originalité pour son temps a été certainement de faire à travers de micro-récits le grand récit du peuple dans la nuit parisienne, d’écrire le roman d’une capitale nocturne qui en est le premier personnage, dans des contrastes entre ombre et lumière, entre bruit et silence. 75 Au fondement de cette réalité, en marchant, en flânant, puis en écrivant, Rétif avait peut-être l’impression, comme Modiano, autre promeneur urbain dans les mots et sur les pas de Rétif, „la nuit, dans les rues, […] de vivre une seconde vie plus captivante que l’autre, ou, tout simplement, de la rêver“. 76 Les Nuits rétiviennes relèvent donc en partie du fantasme et d’une transfiguration plus que d’un réalisme littéraire, mais malgré le goût de leur auteur pour „l’ancienne littérature“, elles opèrent une révolution dans le domaine des Belles-Lettres. Aussi 184 DOI 10.24053/ ldm-2021-0026 Arts & Lettres faut-il (re)découvrir Les Nuits de Paris, ou le spectateur-nocturne, grâce à cette nouvelle et riche édition, 77 car, pour conclure avec le passeur rétivien, „la modernité de Rétif est moins dans son réalisme pré-balzacien que dans sa proximité avec notre temps“. 78 1 „Je viens d’achever un ouvrage […]“ (Rétif de la Bretonne, Les contemporaines ou Aventures des plus jolies femmes de l’âge présent, ed. Pierre Testud, t. X, Paris, Honoré Champion, 2018, 6337). 2 „Je viens d’achever un ouvrage que rien ne pourra détruire. […] Je mourrai lorsque le nombre de mes jours sera rempli […] mais je vivrai à jamais par la portion la plus noble de moi-même; mon nom franchira les mers; on lira mes Nouvelles dans les deux mondes, dans toutes les langues; chaque peuple y reconnaîtra les aventures racontées dans ses villes, dans ses villages […]“ (ibid.). 3 Jean-Yves Haberer „Pierre Testud, l’infatigable randonneur rétivien“, in: Études rétiviennes, 45, décembre 2013, 76. 4 Il s’agit en 1883 de la réimpression en 14 volumes de l’édition de Monsieur Nicolas de 1776. 5 Il s’agit de l’édition des Contemporaines dirigée et préfacée par Jules Assézat en 1884, publiée par Georges Charpentier. 6 Henri d’Alméras a publié chez l’éditeur Louis Michaud La Vie de mon père en 1910. 7 Jean-Jacques Pauvert édite à son tour en 6 volumes en 1959 l’ouvrage de Rétif qui l’avait été le plus souvent, à savoir Monsieur Nicolas. 8 Pierre Testud, „Etat présent des études sur Rétif de la Bretonne“, in: Dix-Huitième Siècle, 7, 1975, 317. 9 Cf. la Bibliographie de P. Testud qui donne nombre d’éditions anciennes et modernes de l’œuvre, ainsi que les traductions modernes des Nuits (V/ 2367-2371), et celle élaborée par Françoise Le Borgne, pour les années 1988-2011, sur le site internet des Études rétiviennes: http: / / retifdelabretonne.net/ editions-de-retif-de-loeuvre-de-la-bretonne-anterieuresa-2012-bibliographie-non-exhaustive (dernière consultation: 23/ 12/ 21). 10 Lanselle Rainier, „Rétif de la Bretonne ou la folie sous presse. (S’)écrire, (S’)inscrire, (S’)imprimer“, in: Essaim, 2006/ 1, 16, 65. 11 Cf. Gisèle Berkman, Filiation, origine, fantasme. Les voies de l’individuation dans Monsieur Nicolas ou le cœur humain dévoilé de Rétif de la Bretonne, Paris, Honoré Champion, 2006 et Philippe Barr, „Le je des Nuits de Paris et les Lumières“, in: Études rétiviennes, 37, 2005, 45-61. 12 Pierre Testud, „Introduction“, in: Rétif de la Bretonne, Les Nuits de Paris ou le Spectateur nocturne, ed. Pierre Testud, t. I, Paris, Honoré Champion, 2019, 7. Sauf exception signalée en note, toutes les références se feront à cette édition dans le corps du texte sous la forme: n° du tome suivi du n° de page. Si la référence se fait à une Nuit particulière, on intercalera le n° de ladite Nuit. 13 Il s’agit des „Propriétaires de maison“ (V/ 1962) et de „La cruelle soirée“ (V/ 1970). 14 „Le point final imposé par la règle des trois cents pages“, explique P. Testud, „est un soulagement (il est décidément devenu trop difficile et dangereux, à la fin de 1793, d’écrire la Révolution), mais aussi une frustration: la Révolution est un drame aux rebondissements incessants, qui appelle une écriture elle aussi incessante“ (V/ 2157). 15 Pierre Testud, Rétif de la Bretonne et la création littéraire, Paris, Droz, 1977. 16 Catherine Lafarge, Compte-rendu de Rétif de la Bretonne et la création littéraire, in: DHS, 11, 1979, 512. DOI 10.24053/ ldm-2021-0026 185 Arts & Lettres 17 Cf. la présentation des gravures des Contemporaines par P. Testud dans l’édition Champion, op. cit., t. I, 51-57. 18 „Le XVIII e siècle est le siècle de la vignette“ (Edmond et Jules Goncourt, L’Art du Dixhuitième siècle, t. II, Paris, A. Quantin, 1882, 7). 19 Rétif a „commencé à introduire des illustrations dans ses volumes en 1777, avec Le Quadragénaire“ (P. Testud, Introduction aux Contemporaines, art. cit. [note 12], 52). Cf. le n° 31 (1999) des Études rétiviennes consacré à Rétif et l’image. 20 Philippe Havard de la Montagne, „Qui a illustré Les Nuits de Paris? “, in: Études rétiviennes, 31, déc. 1999, 130-131. 21 Cette gravure avait été „réalisée pour le dixième volume de L’Année des dames nationales [1791], où elle a été effectivement placée“ (P. Havard de la Montagne, ibid., 130). 22 Lettre à La Reynière du 12 octobre 1792 (I/ n. 233, 42). 23 „La gravure de la XIIe Partie représente les acteurs du Misanthrope sur la scène du Théâtre-Français“ (I/ n. 226, 42). 24 Repris à P. Testud, éd. des Contemporaines, op. cit., 56. 25 Cf. Jean Sgard, à qui je reprends ces données: „La perception démographique dans Les Nuits de Paris“, in: Rétif de la Bretonne et la ville, Presses universitaires de Strasbourg, 1993, 151-160. 26 Charles Monselet, Les originaux du siècle dernier. Les oubliés et les dédaignés, Paris, Michel Lévy Frères, 1864. 27 Cf. tout particulièrement David Coward, „Du Hibou aux Nuits: les Juvénales de Rétif“, in: Études rétiviennes, 6, 1987, 88-100. 28 Philippe Barr, art. cit. [note 11], 45. 29 1767 est l’année de publication de son premier texte, La Famille vertueuse. 30 „Tout ce qu’on a lu jusqu’à présent est le relevé d’un Cahier commencé en 1767, et même une année plus tôt. Mais j’ai laissé les faits antérieurs à cette époque. Nous sommes actuellement en 1775 […]“ (Verso de la page de titre de la VIII e Partie, II/ 920). 31 P. Testud souligne que „Monsieur Nicolas est jalonné de références à ces Cahiers, notes que Rétif dit avoir tenues dès 1747 (il a 13 ans) […] Il parle alors de tablettes, mais à partir de 1749, c’est le mot cahiers qu’il emploie, d’abord surtout cahiers d’étude […], puis après 1752, memoranda […]“ (II/ n. 3, 920). Cf. aussi du même tome I/ 35 et I/ n. 189, 35. 32 Rétif dormait semble-t-il peu; il rentrait à l’aurore de ses promenades nocturnes, écrivait, dormait deux heures, précise-t-il parfois, écrivait et sortait à nouveau. Et comme l’exprime P. Testud, il faut voir en lui bien plus un graphomane qu’un polygraphe. 33 David Coward, art. cit. [note 27], 88. 34 The Spectator, quotidien fondé par Joseph Addison et Richard Steele, commença à paraître en 1711. 35 Marivaux s’inspire du Spectator pour créer Le Spectateur français, qu’il publiera de 1721 à 1724. 36 D. Coward et P. Testud donnent les endroits des œuvres où Rétif livre de manière précise ces informations. P. Testud souligne à juste titre „le souci de Rétif d’inscrire dans l’œuvre ses conditions d’élaboration“ (I/ 23) Cf. l’article cité de l’un et l’Introduction à l’édition présentée de l’autre. 37 Rétif de la Bretonne, Monsieur Nicolas [1797], ed. Pierre Testud, t. II, Paris, Gallimard (Bibliothèque de la Pléiade), 1989, 396 (cité par P. Testud, I/ 10). 186 DOI 10.24053/ ldm-2021-0026 Arts & Lettres 38 Pour avoir une idée de cette rencontre réelle, cf. l’enquête menée par Jean-Jacques Tomasso, „À l’origine de la marquise des Nuits. Une enquête rue Payenne“, in: Études rétiviennes, 48, 2016, 187-231 et bien sûr l’introduction de la présente édition (I/ 10-11). 39 Dénommée La Vaporeuse en raison de ses vapeurs, de ses langueurs. Il s’agit d’un vocabulaire médical courant au 18 e siècle. 40 In Monsieur Nicolas, op. cit., t. II, 396. 41 Comme le précise P. Testud, il faut entendre ici une allusion au Tableau de Mercier qui fait partie de l’actualité littéraire au moment de l’écriture des Nuits (I/ 1 e Nuit, n. 4, 66). 42 Sur les différentes hypothèses, cf. P. Testud (I, 11). 43 L’épreuve, „délation horrible“ d’Augé, est narrée dans la VIII e Nuit (au titre courant de nuit surnuméraire) de La Semaine nocturne (V/ 2109-2136). 44 Cf. la „Chronologie“ établie par P. Testud dans son édition de Monsieur Nicolas, op. cit., xxvii-liii; pour l’année 1789, xlvi-xlvii. 45 Sous la cote 8° Z Le Senne 5618 (16). P. Testud précise que „le reprint Slatkine est fait sur l’édition non cartonnée“ (V/ 2156). 46 „Cette adaptation aux circonstances“, remarque Laurent Loty, „entraîne une évolution des formes et des contenus de son discours historique et politique, qui est manifeste si l’on compare ses projets de réforme de l’Ancien Régime, son récit des événements au jour le jour entre 1789 et 1794, et ses analyses et propositions politiques de 1797“ („La philosophie de l’Histoire et les choix politiques de Rétif après la Terreur“, in: Études rétiviennes, 11, 1989, 26). 47 Cf. P. Barr, art. cit. [note 11], 61. 48 L. Rainier, art. cit. [note 10], 69. 49 Philippe Barr, „La maladie du temps qui passe: Restif et l’inscription“, in: Le discours du corps au XVIIIe siècle. Littérature, philosophie, histoire, science, ed. Hélène Cussac / Anne Deneys-Tunney / Catriona Seth, Paris, Hermann, 2015 [2 e éd.], 150. 50 L. Rainier, art. cit. [note 10], 69. 51 Ibid., titre de l’article. 52 „[…] il s’agit d’une aristocrate et d’un homme du peuple, d’une femme riche et d’un pauvre. Rétif confronte deux classes sociales, et ce faisant donne à ses Nuits une dimension politique“ (I/ 17). 53 Du Hameauneuf et Le Pelletier de Morfontaine. 54 Pour l’identification de ces figures féminines, cf. P. Testud (I/ 18-22). 55 In Le philosophe par amour, ou lettres de deux amants passionnés et vertueux, Paris, Cailleau, 1765 (repris à Florence Lotterie, „Comment la ‚femme philosophe‘ peut-elle devenir personnage de roman? Pour un bilan ‚critique‘ de la question“, in: Fictions de la pensée, pensées de la fiction. Roman et philosophie aux XVII e et XVIII e siècles, ed. Colas Duflo, Paris, Hermann, 2013, 183). 56 Colas Duflo, „Introduction: Roman et philosophie aux XVII e et XVIII e siècles“, ibid., 1. 57 Verso de la page de titre de la VIII e Partie (II/ 920). 58 Ibid. 59 Jean Varloot, „Préface“, in: Rétif de la Bretonne, Les Nuits de Paris, ed. Jean Varloot / Michel Delon, Paris, Gallimard (folio), 1992, 17. 60 Cf. Didier Masseau, „L’irruption de l’Histoire dans l’écriture des Nuits révolutionnaires“, in: Revue des Sciences Humaines, 212, 4, 1988, 31-37 et Jean-Jacques Tatin, „Restif écrivain de l’Histoire“, in: Études rétiviennes, 11, 1989, 165-180. DOI 10.24053/ ldm-2021-0026 187 Arts & Lettres 61 Rétif se réfère par exemple au quotidien le Journal de Paris du 2 octobre 1780, qui a publié une lettre de La Harpe sur un point d’orthographe (IV/ 359 e Nuit, 1750); donne de certains de ses ouvrages les comptes rendus parus dans les Affiches de province (IV/ 17611765); s’exprime sur Le Mercure (IV/ 361 e Nuit, 1766-1770); donne son avis sur la qualité de plusieurs journaux (IV/ 366 e Nuit, 1808-1810); cite un compte-rendu du Mercure de France du 5 janvier 1788 au sujet de troubles à la Comédie italienne lors de la présentation d’une pièce de Desfontaines (IV/ 373 e Nuit, 1846-1847), etc. 62 „Parlerai-je ici de la Révolution, de cet événement étrange dont le bruit grondera longtemps encore dans la suite des siècles? … Non“ (Monsieur Nicolas, op. cit., t. II, 430). 63 Françoise Le Borgne, Rétif de la Bretonne et la crise des genres littéraires (1767-1797), Paris, Honoré Champion (Les Dix-Huitième Siècles), 2011, 437. Cf. „Les Nuits révolutionnaires et le modèle journalistique“ (ibid., 2 e P., chap. 5, 420-456). 64 J. Varloot, „Préface“ citée [note 59], 24. 65 F. Le Borgne, op. cit. [note 63], 441-442. 66 Cf. l’analyse de F. Le Borgne, ibid. 67 Cf. Jean-Marie Goulemot, „Effets de réalité et constructions narratives dans les Nuits révolutionnaires“, in: Études rétiviennes, 11, 1989, 201-209. 68 F. Le Borgne, op. cit. [note 63], 439. 69 P. Testud, Rétif de la Bretonne et la création littéraire, op. cit. [note 15], 187. 70 Ces guides et tableaux se multiplient à partir de 1750. Quelques titres: Le Voyage pittoresque de Paris (Dézallier d’Argenville 1749); les Essais historiques sur Paris (Poullain de Sainte-Foix 1754-1757); le Tableau de Paris pour l’année 1759, formé d’après les antiquités, l’histoire, la description de cette ville; l’État ou Tableau de la ville de Paris, considéré relativement au nécessaire, à l’utile, à l’agréable et à l’administration (Jèze 1760); etc. 71 Fréron, L’Année littéraire, 1770, t. 4, 345. 72 André Lebois, „Le peuple urbain et rural d’après Restif“, in: Images du peuple au 18 e siècle, Centre Aixois d’Études et de recherches sur le 18 e siècle, Paris, A. Colin, 1973 (cité par P. Testud, art. cit. [note 8], 324). 73 Aspect que je me propose de creuser à l’occasion du colloque „Les nuits de Paris in extenso“, les 11 et 12 mars 2022 à Montpellier, dans ma communication intitulée „De l’attention à la participation: Rétif ou le corps sensoriel des Nuits“. 74 Hermann Hofer, „La réception allemande de Rétif de la Bretonne“, in: Études rétiviennes, 4-5, 1986, 81. Humbold rend même visite à Rétif vieillissant et pauvre; cf. H. Hofer, „Le témoignage de Wilhelm von Humboldt sur Rétif (traduction de sa lettre à Goethe en 1799)“, in: Études rétiviennes, 7, 1987, 113-115. 75 Je me permets de renvoyer à mon article: „Paris la nuit à la fin du XVIII e siècle ou les contrastes du sonore nocturne chez Louis-Sébastien Mercier et Rétif de la Bretonne“, in: Alain Montandon / Sylvain Ledda (ed.), Les Voix de la nuit, Clermont-Ferrand, Paris, Honoré Champion, 2021, 111-140. 76 Patrick Modiano, Accident nocturne, Paris, Gallimard (folio), 2018 [1e éd. 2003], 40. 77 Je signale le film de Charles Brabant, Les nuits révolutionnaires, réalisé en 1989, actuellement disponible en version restaurée sous forme de quatre DVD (Doriane films, 2021). 78 Cf. P. Testud, „De ‚l’ancienne littérature‘ à la modernité: le cas de Rétif de la Bretonne“, in: Huguette Krief / Jean-Noël Pascal (ed.), Débat et Écritures sous la Révolution, Louvain- Paris-Walpole, Peeters (La République des Lettres), 2011, 195.