eJournals lendemains 42/168

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Narr Verlag Tübingen
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2017
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Les îles d’Ormerod: relations entre le souffle du conteur, le cri du monde et la parole qui se déroule

2017
Daniel Graziadel
ldm421680048
48 Dossier diesem spirituellen Erbe in Verbindung zu bringen. Ihr Kommentar macht sehr deutlich, wie stark Aspekte des Schweigens auch aktuell in das kulturelle Leben Haitis hineinspielen. Chancy, Myriam J. A., Framing Silence. Revolutionary Novels by Haitian Women, New Brunswick, Rutgers University Press, 1997. Dalembert, Louis-Philippe, Les dieux voyagent la nuit, Monaco, Éditions du Rocher, 2006. Mars, Kettly, „Ich habe überlebt. Augenzeugenbericht aus Haiti“, in: Zeit online, 21.01.2010. —, Lesung und Gespräch mit Peter Trier im Literarischen Zentrum Göttingen, 4.6.2013 [Video- Mitschnitt des Literarischen Zentrums Göttingen]. —, Aux frontières de la soif, Paris, Mercure de France, 2013. —, Je suis vivant, Paris, Mercure de France, 2015a. —, Ich bin am Leben, trad. Ingeborg Schmutte, Trier, litradukt, 2015b. Price Vorbe, Rachel, Initiation à la littérature haïtienne contemporaine, Port-au-Prince, c3 Éditions, 2014. Trouillot, Lyonel, Bicentenaire, Paris, Actes Sud, 2004. —, Jahrestag, trad. Peter Trier, Trier, litradukt, 2012. Wüllenkemper, Cornelius, „Die karibische Tragödie. Lyonel Trouillots pessimistischer Roman über seine Heimat Haiti“, in: Süddeutsche Zeitung, 23.10.2012. —, „Insel im Meer aus Tinte“, in: Deutschlandradio Kultur, 26.6.2016 [Feature]. 1 „Alles verweist hier nur auf das Nichtmitteilbare und die Stille, die der Lärm und die Wut verbergen. Es geht also nicht darum, denen auf die Sprünge zu helfen, die verstehen wollen, warum die Polizei eine friedliche Menschenmenge angegriffen hat, warum eine bestimmte Stadt einen zum Verbrecher werden lässt, warum dies und jenes so oder so ist. Wie in allen Erzählungen werden hier mehr Stimmen als Anliegen zu hören sein. Oder der Monolog, in dem jede einzelne Stimme ihr Anliegen oder das Fehlen eines Anliegens, das, was ihr eigen ist, das heißt ihren Teil Suche und Unwissenheit, erforscht“ (Trouillot 2012: 7). 2 „Er hat vergessen, sie alle haben vergessen, dass es in diesem Land tausende von Menschen gibt, und im Inneren jedes dieser Menschen leben Schreie, ein Tumult, der sich vervielfältigt und dem Marsch seinen Rhythmus verleiht. Es gibt aber auch eine Welt aus Schweigen, und niemand kann das Schweigen des anderen hören. Dabei ist es diese Vorstellung, die ihn marschieren lässt“ (Trouillot 2012: 71). 3 „Die Wörter sind tot, meine Geliebte“ (Trouillot 2012: 51). 4 „Ohne, dass wir es wussten, änderte sich alles im Haus. Wir wurden uns und anderen gegenüber argwöhnisch. Mussten wir Angst haben, aber wovor eigentlich? Dass unsere Familie auseinanderflog? Wir lernten auf die allerempirischste Weise, dass wir ein Gehirn besitzen und dass es erkranken und uns zu einem befremdlichen Wesen machen kann, das die anderen kaum mehr liebenswert finden“ (Mars 2015b: 46). 5 „[…] als der Wagen von der Anstalt durch das Tor fuhr. […] Das erwartete und befürchtete Ereignis ist eingetreten, und es wiegt schwer wie ein Todesurteil. Wir waren erleichtert, doch es schmerzte uns auch sehr. Wir verstanden nicht, warum es endgültig sein sollte. Warum Alexandre nicht wieder auf die Beine kam, nicht gegen die Schatten ankämpfte, die ihn entführten? […] In unserer Familie wurde nicht viel gesprochen. Wir überließen es dem Schweigen, unsere Geheimnisse und unsere Bekenntnisse in seinen Tiefen zu verwahren“ (Mars 2015b: 40). 49 Dossier Daniel Graziadei Les îles d’Ormerod: relations entre le souffle du conteur, le cri du monde et la parole qui se déroule 1. Introduction: Ormerod en relation Les pages qui suivent portent sur la question de la relation entre les Antilles et les littératures du monde, à travers un exemple textuel. Le dernier roman de l’écrivain martiniquais Édouard Glissant, Ormerod (2003), invite à l’analyse des liens entre mimèsis et poïésis - l’imitation du réel par la littérature et la création de réalités à travers la littérature -, mais surtout de l’interrelation mondiale des éléments dans le monde fictionnel, et particulièrement des liens entre roman, champ littéraire et opinion publique mondiale. C’est la présentation et évolution explicite des perspectives attentives et créatives concernant la relation de l’énonciation avec la terre, le monde humain et le cosmos qui permettent de lire le titre et l’explication de celui-ci comme insertion émancipée et fière du roman glissantien dans diverses formes de littérature du monde. Avec Lydie Moudileno, on peut arguer que le concept de littératuremonde en français, tirée du manifeste de 2007, partage avec les précédentes formes postcoloniales l’affirmation de l’Antillanité, l’éloge de la créolité et la pensée du processus de créolisation. Il s’agit d’un contre-discours à l’ethnocentrisme français, qui propose un retour au monde physique comme site d’authenticité privilégié, lequel garantit une représentation meilleure des identités, réalités et diversités humaines (Moudileno 2013: 15sq.). On verra comment la créativité continuelle et les liens imprévisibles dans le sens de la Poétique de la relation (1990) et de la Philosophie de la relation (2009) achèvent dans Ormerod la déterritorialisation et re-territorialisation des liaisons spatiales, narratives et personnelles dans le Tout-Monde relationnel qui est à la base du manifeste Pour une littérature-monde, signé aussi par le même Glissant (Moudileno 2013: 20; Ueckmann 2014: 357-363). 2. Entre mimèsis et poïésis: souffle et vent Ormerod commence avec un paratexte qui relie l’œuvre à un „texte créole obscur, œuvre d’un Initié des Gros-Mornes“ (Glissant 2003: 9). Placés en exergue, ces mots énigmatiques assurent une fonction d’exordium et d’anticipation: „Regardez au sable, entendez dans la roche [/ ] Trouble avec grand-jour montent le Morne et crient...“ (9). Ces deux vers, qui accomplissent un tour d’île sensationnel de la plage jusqu’à „toute hauteur de forme arrondie“ (Larousse), aux mornes, les collines et montagnes des Caraïbes évoquées avec un „mot créole, de l’espagnol morro, monticule“ (Larousse). La voix ordonne ou célèbre une immersion dans l’infinité microscopique du matériau granulaire des roches sédimentaires, meubles, ou des éjecta volcaniques minuscules. Après la virgule du premier vers, l’attention du lecteur est 50 Dossier attirée sur la forme solide des mêmes roches. Pendant cette montée de l’horizontal sableux au vertical rocheux, l’appel à la contemplation devient un appel à l’écoute et présuppose des réalités et sensations alternatives, comme l’écoute des roches et de leur cri. Monchoachi a proposé d’interpréter ce geste provenant de la tradition des peuples amérindiens ou de la représentation médiatique de celle-ci, „l’oreille tendue collée au sol“, comme une attention poétique pour le devant et derrière spatial et temporel: „Le poète, comme l’Indien, l’oreille tendue collée au sol. Il perçoit ce qui a eu lieu et résonne encore et ce qui vient“ (Monchoachi 2002: 7, italiques de l’auteur). Futur et passé se croisent et se connectent dans cette écoute d’historicité transversale (Ceballos 2005: 72). 1 Les appels à l’attention topophile (Tuan 1974: 92-97) établissent un mouvement d’ascension topographique et un mouvement de descente topologique. Le mouvement provient de la marge centrale de la géographie sociale de l’île, le littoral, et va à l’arrière-pays dans le centre et le nord cartographique. Ainsi le „texte créole obscur “ établit une esquisse d’une île avec des qualités anthropomorphiques et une voix propre en deux vers. Il est possible de le lire comme une référence à la création d’une île littéraire, ce que je nomme un acte nissopoïétique, en passe d’enfanter un archipel global à travers ce que je nomme un acte archipelagopoïétique. 2 La devise est suivie par le premier des „Deux prétextes“ introductifs d’Ormerod; elle réactive le lieu d’énonciation et la nissopoïésis directionnelle, de la plage aux sommets, se répète dans le souffle poussé en haut, puis ouvre à la mondialisation atmosphérique. Cette localisation de la voix du conteur montre des qualités métafictionnelles. Ce souffle haletant donne mesure à la cadence du conteur, à la parole qu’il profère d’une fois entre deux respirations, comme entre les battements d’un tambour des Mornes mis en tourmente par la vieille lune, et ainsi d’un souffle à l’autre poussés haut il exhale sa divagation, criant le cri du monde (Glissant 2003: 13). La parole dans la tradition orale du conteur afro-caribéen et dans la tradition du griot de l’Afrique de l’Ouest est comparée avec les rythmes d’une percussion, mais cette percussion est spéciale parce qu’elle est d’origine lunaire. De plus, le souffle, qui donne mesure à la parole, exhale la divagation et le cri du monde; c’est-à-dire qu’il est condition de la force poétique, générateur de rythme et médium hétéronome. Le „cri du monde“, la divagation et la „parole“ naissent du même lieu: le souffle haletant du conteur sur le morne qui, comme les battements du tambour et de la marée, agit sous l’influence de la dernière phase du cycle lunaire. Voilà comme cette captatio benevolentiae du premier des „Deux Prétextes“ expose une polyphonie métafictionnelle et synesthétique qui s’ancre dans la géomorphologie et le climat d’une île volcanique en interaction avec la planète, l’homme et sa parole précaire. La narration, entre deux pauses de respiration ou dans la résonance entre deux battements du tambour dans les hauteurs éloignées des mornes insulaires, d’accès difficile, donne une vue d’ensemble de l’île en relation et crée ainsi un parallèle entre la parole qui crie, le cri du monde et le marronnage. 51 Dossier 3. La mise en relation mondiale des éléments fictionnels Dans Ormerod, le souffle haletant du conteur empêche, à cause de ses sauts non linéaires, multi-temporels, de contenu et d’espace, subversifs, révolutionnaires, un résumé transparent de l’histoire du roman. Ceci peut signifier la mise en place d’une pensée de l’opacité, de la trace, de la relation et de l’archipel, qui forment les points centraux de la Philosophie de la Relation (Glissant 2009: 45-81). En fait, „Ormerod est le roman de la diversité choisie contre les tentations d’un improbable retour à la source perdue de la mémoire et d’une impossible synthèse unifiante“ (Joubert 2005: 27). Le roman fait partie de la phase Tout-Monde, et plus précisément de la phase de la Relation de l’œuvre philosophique, lyrique, romanesque et politique de Glissant. Dans le sens du slogan „le monde se créolise“, l’arrangement littéraire du Tout- Monde vise à mettre en valeur les relations avec les discours historiques, politiques et littéraires de portée globale (Bongie 1998: 11; Tauchnitz 2014: 51-57). La Philosophie de la Relation approfondit la mobilité, la pluridimensionnalité et la réciprocité des relations de l’Antillanité dans le Tout-Monde mondialisant. 3 En outre, Carminella Biondi et Elena Pessini affirment, à travers la mise en évidence de traces de ses écrits précédents dans Ormerod, que les romans de Glissant „constituent, dans leur ensemble, une envoûtante aventure du peuple martiniquais et antillais dans leur terre de la Caraïbe et dans le monde“, c’est-à-dire un univers romanesque cohérent en relation (Biondi/ Pessini 2004: 44, 116-118). Pendant que l’autotextualité se montre seulement aux lecteurs avides de Glissant, la radicalité de la mise en relation dans le monde fictionnel est impressionnante et se montre dans une question rhétorique dans ce premier „Prétexte“: Qu’y a-t-il de commun entre le souffle, quand même il serait saccadé, sur le point de finir, et les bêtes et le vent, un vonvon, un manicou, un colibri, et Flore Gaillard à Sainte-Lucie en 1793, et la tragédie de Grenade en l’an 1983, et un taureau exaspéré? C’est l’archipel des Caraïbes, qui s’offre là et se dérobe, il nous manque et nous lui manquons. Sautez de roche en roche, d’île en île, de temps anciens en temps actuels et déjà futurs, courez au large et embrassez l’entour. L’appel des bêtes élues et l’éclat du vent primordial déchaînent ou apaisent, c’est selon, autour de la parole des humains, le grondement des laves et des fonds, le striant vivat des ciments et des goudrons des villes. Voici déjà la mer! Elle chante relation et s’ouvre aux eaux douces du soir (Glissant 2003: 13sq.). Jennifer Birkett a souligné la transposition de l’histoire et du futur de la Caraïbe dans un contexte global et interconnecté sous la dominance de la mer dans son interprétation d’Ormerod (Birkett 2006: 62-65). Elle met en évidence la généralisation métaphorique et transmédiale des isolarii comme forme narrative proposée par Lestringant: „Car l’Insulaire est un atlas, mais c’est aussi un récit, le récit par îles, un genre à part entière, toute une littérature de ‚fictions en archipel‘ dont la fragmentation narrative épouse un ordre cartographique ouvert“ (Lestringant 2008: 215sq.). L’archipel conduit à une structure de mouvement narratologique, géographique, épistémologique, toponomastique, culturel, ludique, spirituel et magique du rapprochement 52 Dossier sympathique et de la privation tragique. Il montre des possibilités distinctes d’interprétation intertextuelle et métafictionnelle, mais d’abord toute une nissopoïétique et une archipelagopoïétique visibles et fières d’elles-mêmes. Les îles en archipel peuvent être vues comme des lieux de rencontre des mouvements, comme parts visibles de la trace sous-marine et volcanique, qui sont mises en relation par l’hydrosphère, la lithosphère tout comme par l’atmosphère. De sorte que cette introduction fait référence au „double signe de l’archipel et du rhizome“, que Frank Lestringant met en place pour la totalité de l’œuvre de Édouard Glissant (ibid.: 232). Dans le même texte, Lestringant définit l’archipel „comme figure du multiple et de l’inachèvement“ et souligne sa fragmentation et son changement perpétuel (ibid.: 215). De cette manière, tout paraît être en relation: „ les exhortations glissantiennes […] sont un éloge du morcellement et de la diffraction et explicitent une idée fondamentale de l’auteur: la réalisation de l’Unité dans la Diversité. Encore une fois, c’est au paysage, à un matériau terrestre, qu’est laissé le soin de décrire cette diversité“ (Biondi/ Pessini 2004: 116). Le vent comme parallèle à la parole explicitement humaine montre l’abandon de l’anthropocentrisme de la voix narrative. La question de la possibilité d’une position biocentrique ou anti-anthropocentrique, qui était discutée dans les études d’un deep ecology, paraît s’accomplir d’une manière poétique. Tout paraît être en relation et en interdépendance. Tous et toutes? Seulement un taureau exaspéré qui ne trouve pas sa place, et qui est nommé une deuxième fois à la fin de la première introduction, paraît rester isolé et devenir fou parce qu’il ne trouve que des barrières et pas d’espace. Il y faudra l’enroulement patient et lent de la parole, où à la fin le souffle reprend. Comme de ce taureau de Plantation, bête désespérée, qui d’un matin au soir sanglant dévala fou et exténué le long des barrières, sans trouver l’espace (Glissant 2003: 14). La référence surprenante au mouvement de la panthère dans „Der Panther“ (1902) du poète autrichien Rainer Maria Rilke peut être interprétée comme intertextualité nette avec un poème du canon globalisé. Cette référence permet d’établir à la fois des différences et des convergences entre l’animal prédateur dans le Jardin des Plantes de Paris de l’hypotexte, et l’animal de ferme, le taureau reproducteur dans une plantation des Antilles françaises. Cette référence intertextuelle et cette oscillation sémantique donnent un aperçu de l’archipelagopoïétique complexe d’Ormerod. En première ligne, les mouvements paradoxaux entre invitation et rejet se referment de manière rotative dans cette version exagérée de l’île geôlière: l’île-cage zoologique où „[i]l ne lui semble voir que barreaux par milliers et derrière mille barreaux, plus de monde.“ La poétisation de la captivité et la fonctionnalisation dramatique de ses conséquences corporelles et psychiques font référence à l’insignifiance du visiteur du Jardin des Plantes ou au lecteur: „Quelquefois seulement le rideau des pupilles / sans bruit se lève. Alors une image y pénètre, / court à travers le silence tendu des membres - / et dans le cœur s’interrompt d’être“. 4 L’ouverture du monde à travers l’accumulation des barrières provoque un cumul hallucinatoire conditionné par 53 Dossier le long enfermement. Par conséquent, il provoque une isolation et une paralysie de la volonté apparemment impénétrable. Ormerod réalise l’intertextualité d’une manière radicale et accélérée à l’aide du taureau. La ‚molle marche des pas flexibles et forts‘ qui devient frénésie et les tours circulaires de la bête que rien n’impressionne qui se muent en halètements fous traduisent la translatio geographiae du jardin zoologique de la capitale en paysage culturel/ cultivé de la Caraïbe insulaire, d’où les félins sont absents. On peut comparer le taureau désespéré au nouveau souffle du conteur (à la fin de l’enroulement des paroles déroulées), lequel répète et amplifie l’élément métafictionnel. Le bos primigenius taurus importé d’Europe, la panthère américaine amenée à Paris et le souffle du griot africain enlevé à la Caraïbe prolongent l’idée du mouvement forcé qui fut celui du commerce triangulaire transatlantique et montrent le chaos-monde comme une unité explosée (Ueckmann 2014: 446- 450). Il est aussi question des marchandises de la globalisation, qui seraient inaccessibles sans la violence des transports. Certes, la panthère et le taureau (et l’homme en esclavage) ne voient pas de monde ou d’espace à cause des mille barreaux qui les entourent, mais leur existence et leur captivité sont le signe d’une mobilité massive, qui témoigne d’un échange transatlantique des biens économiques et de l’exploitation écologique qui surpassent l’espace clos de la cage, du zoo, de la ville et de la ferme, de la plantation, de l’île. La mise en scène d’une situation d’extrême désespoir et d’épuisement dans les „Prétextes“ sert d’ultime explication aux ébauches spatiales du roman avant le premier chapitre. C’est dans ce contexte de relation que la lutte contre le système colonial et esclavagiste peut être lue. Flore Gaillard, la principale cheffe de la révolte et de la guerre d’émancipation des esclaves en Sainte-Lucie aime, imite et vit „la tracée des fourmis“ (Glissant 2003: 31sq.) comme tactique couronnée de succès pendant la guérilla dans les denses forêts de Sainte-Lucie. Les petites contre-cultures en perdition qui survivent grâce aux tactiques de guérilla se situent dans les lieux les plus reculés; il ne se posent pas seulement comme une menace à l’île du sucre et de l’esclavage totalitaire du système colonial, mais sont encore en relation au cosmos dans son entier. La cheffe pratique des rites revigorants avec le feuillage, le sol de la forêt et ses soldats. La sexualité déchaînée de Flore Gaillard, qui a souffert, comme une grande partie des femmes mises en esclavage, des viols de leurs maîtres, attire, mais également effraie les hommes de la révolution. Parmi les amants de Flore Gaillard il y a Makondji, l’esclave révolté qui a tué le maître franco-anglais de la plantation Lovenblade, mais aussi le sergent cubain Alvarez qui rapporte de Paris, avec son adjudant Gros Zinc, l’esprit et la guillotine de la Révolution française (appelée „Bête-à-mort“, cf. ibid.: 41, 181-186, 250). Un outil peu pratique et peu maniable dans la forêt tropicale montagneuse. La relation entre petite île et monde prend ici la même forme que celle que Glissant développait dans „Ouverture: Îles et archipels“, l’essai introductif de l’anthologie Paradis brisé (2004). Dans les deux cas, elle est à la fois une stratégie et un discours: „L’absence d’un réel arrière-pays protégé n’y a pas favorisé des victoires anticolonialistes durables. C’est peut-être pourquoi la pensée globale de la Caraïbe 54 Dossier apparaîtra plus vite, mais sous une forme fantasmée, dans ces petites îles [...]“ (Glissant 2004: 8). Dans une vue géologique, Glissant file la métaphore de „la levée sousmarine des volcans qui se parlent entre eux, une grande route de lave qui achève et ouvre le cercle entre les Amériques“ (ibid.: 6). Ceux-ci sont „les mêmes volcans qui […] sont devenus tout à fait terrestres, ils ont quitté les chemins sous-marins de leur feu, et ainsi la Caraïbe pour nous est un cercle qui s’élargit et un écho venu de la terre ferme et infinie“ (ibid.: 7). On retrouve explicitement ce même point de vue géologique aussi distinctement dans le deuxième „Prétexte“, où l’action se situe sur la plage du Diamant en Martinique pendant la deuxième moitié du XX e siècle. Ici, la course du taureau exaspéré, limitée par une clôture, se réflète dans les pensées de Nestor’o qui „travaille à la Sécurité sociale, avec de raisonnables perspectives de directorat“ (Glissant 2003: 15). Jardinier amateur, philosophe ou visionnaire apocalyptique clandestin, Nestor’o pose „dans le plus grand désordre de l’esprit“ (ibid.: 15) la question - on notera l’italique - des causes et du sens de la genèse et de la fin d’un espace archipélagique mobilisé. [E]t il se demandait, détracteur de sable et vigie de ce Sud, quand comment par quel détour et quel accident et quelle catastrophe innommable les ravines infinies du monde, de ce qu’il voyait être le monde, s’étaient rameutées en ce seul inaltérable et tourmenté cheminement, qui n’avait pas pour exigence de séparer mais d’unir, et ne bénéficiait d’aucune nomination exclusive, propre ou de genre commun, mer Caraïbe ou mer des Antilles ou mer du Pérou […] (Glissant 2003: 15sq.). De cette manière, Nestor’o traduit bien ce qui est au fondement de l'oeuvre de Glissant, fondement que Frank Lestringant propose de rendre par la métaphore suivante: un cercle d’îles instable et volcanique, en suspension entre „exondation et submersion“ (Lestringant 2008: 233). En effet, aussi bien l’interrogation chaotique et existentielle que l’unification pan-caribéenne s’achèvent par l’activité volcanique et „le souffle de tourmentes“ qui traverse l’archipel avant de culminer dans une prévision („de science et de prophétie certaines“) d’une fin apocalyptique immédiate: „l’apocalypse qui engloutit ces terres et submerge la mer elle-même, dans une furie d’eau sans dimension ni intention, et de vent sans direction“ (Glissant 2003: 16). Dans cette fantaisie (ce fantasme) d’engloutissement, autre forme d’unification, il n’y a pas de nouveaux éléments décisifs; eau et vent restent primordiaux. Mais leur absence de dimension, d’intention et de direction leur prête une forme victorieuse. L’apocalypse peut être lue dans le sens de la poétique de la destruction divine révélée dans l’Ancien Testament, mais il n’y a aucun plan divin, cosmique ou biologique de punition, et aucune re-création apportée par cette incorporation cannibalesque. Cette perspective apocalyptique ne change pas seulement le sens du temps, mais aussi celui de l’espace: l’île s’émancipe autant des limitations de ses côtes que de l’influence du climat maritime et montre ses relations géologiques, hydrosphériques et atmosphériques avec le reste du monde. 55 Dossier Comme on l’a vu déjà au début de ce texte, les îles de la Caraïbe comme lieux de naissance du cri et d’énonciation de la parole mondialisante dans Ormerod s’établissent et se communiquent grâce aux turbulences atmosphériques. Le geste métafictionnel de ce souffle et de ce vent dans le monde imaginaire est frappant et atteste de la relation entre un lieu, un monde fictionnel, et la critique littéraire entre plusieurs champs littéraires et académiques. Le passage du texte métafictionnel, qui commente en profondeur le titre du roman, met sa genèse à nu et commence, paradoxalement, avec le contraire supposé d’une relation du Tout-Monde: une ‚terre entourée d’eau‘, une île qui est à la fois un archipel, un continent, une gigantesque île bagne. Il est difficile de l’abandonner. Même les vents, qui ont parcouru la planète d’ouest en est s’enroulent autour de l’Uluru, Ayers Rock, et rejoignent à Perth la spécialiste de la littérature de la Caraïbe francophone qui donne le titre au roman, Beverley Ormerod. 5 [V]ous ne sortirez pas si facilement de cette ‚terre entourée d’eau‘ si vous y entrez, à supposer que vous puissiez y entrer, l’Australie est une île et voyez, cette île est un archipel et voyez, cet archipel est un continent, l’île et l’archipel fermeront s’il se trouve sur vous leurs battants continentaux, les vents ne vous soulèveront pas pour vous ramener à la Table du Diable en Martinique ou à la Pointe des Châteaux en Guadeloupe après avoir couru leur tour de Terre, non, ces vents qui ont balayé des océans infinis […] s’enroulent autour des montagnes sacrées où ils président aux prophéties, c’est leur repos, très propice à toute humanité menacée, puis ils glissent lassés jusqu’à Perth où réside Berverley Ormerod, elle essuie lentement le vent sur son visage, les neiges d’Ukraine l’eau des icebergs les cavernes dans les Cévennes les roches rouges de Tlemcen les trous fragiles des océans qui s’évident l’argile jaune du Yang-tseu les verts coraux océaniens tout, dans ce vent attentif à ne rien égarer ni perdre de son monde. Vous réalisez qu’il y a lieu de rapporter ces contes les uns aux autres, les contes des îles qui s’efforcent de faire archipel, et que ‚Là où se rencontrent les histoires des peuples, finit l’Histoire...‘ (Glissant 2003: 204). Les vents combinent les informations aquatiques et rocheuses amassées pendant leur traversée de la planète. Ils ne reconnectent pas avec les lieux du commencement du souffle et du discours, un rocher plat avec un toponyme diabolique qui est situé devant la Martinique, ou le point de vue panoramique dans le coin le plus oriental de la Guadeloupe. Ces lieux du discours sont reliés, grâce au souffle et aux vents, au monde océanique. Réminiscences diversifiées de l’hydrosphère - eau maritime, neige continentale, glace polaire, eau souterraine et eau du fleuve suprême de l’Asie - arrivent jusqu’aux sens de la chercheuse qui apparaît ou bien ignorante, ou bien savante et topophile. Dans tous les cas, la voix narrative dresse le vaste panorama d’une mondialisation microscopique et humide qui relie les trois éléments centraux de la nissopoïétique - eau, terre et homme - à travers les vents et l’atmosphère. Cette façon de globaliser l’archipel apparaît plus rapide et directe que la relation maritime. 56 Dossier 4. Conclusion: liens entre roman, champ littéraire et public mondial Le courant du souffle du narrateur crée des mondes fictionnels. Parallèlement, le souffle et le cri enfantent - avec l’aide du vent - des relations globales au niveau intraet extratextuel, lesquelles rattachent les îles de la Caraïbe - lieu d’énonciation (littéraire et spiritiste) - à l’île-continent de l’Australie - lieu de réception académique, mais aussi diasporique. Les troubles - atmosphériques ou sociaux - anthropomorphisés montent à la cime du morne puis s’envolent tel un cri du monde, emportés par le souffle des vents. Similairement, mais moins explicitement, les hommes, les bêtes, les artefacts, les fleuves marins et courants atmosphériques développent dans Ormerod un monde d’îles en relation. Le mélange des époques, c’est-à-dire les relations chaotiquement atemporelles dans le Tout-Monde donnent une visibilité aux mondes d’îles qui se répètent dans une Île-monde avec une surface prédominante aquatique dont les continents sont compris par l’archipélisation. 6 Il est ainsi possible de lire ce double niveau métafictionnel de l’archipelagopoïétique atmosphérique - sa provenance du souffle, sur le morne de l’île, et son point final sur le visage d’une chercheuse en littérature franco-caribéenne en Australie - comme geste explicite d’insertion dans divers champs littéraires. 7 Cette référence au capital symbolique du roman paru chez Gallimard en 2003 n’est d’ailleurs pas due au hasard. En se recentrant pour la majeure partie des pages sur l’archipel de la première phase glissantienne, la phase de l’Antillanité, les Petites Antilles (Biondi/ Pessini 2004: 111), enfin sur les guerres anti-impériales et révolutionnaires, on pourrait conclure que ce roman franco-antillais fait partie de la persistance de l’historicisme colonial critiqué par Beverley Ormerod dans son article „Magical Realism in Contemporary French Caribbean Literature: Ideology or Literary Diversion? “. Tout en sachant que le dernier roman d’Édouard Glissant est intitulé explicitement d’après la chercheuse australo-jamaïquaine, spécialiste en littérature francophone, on peut interroger la capacité du roman à surmonter complètement cette critique. Je propose de voir cette hypothèse comme l’indice d’une stratégie pluridirectionnelle. D’une part, la nostalgie coloniale forme, 8 en combinaison avec une esthétique du réalisme magique traditionnel, un cadre d’évasion qui rend les îles tropicales consommables par les centres de production. D’autre part, la constitution d’une historiographie transversale, d’une géographie en relation terrestre, maritime et atmosphérique et d’une vision du monde alternative soutenue par ses propres poétiques, théories et fictions précédentes et successives, déconstruisent la topologie hiérarchique coloniale et impériale à travers une biosphère mondiale inter-relationnelle dont la création, la relation et la réception explicites montrent des qualités métafictionnelles. La référence à la réception académique et personnelle du souffle du conteur caribéen devenu vent mobilise et rend accessible les relations du Tout-monde dans le contexte des nouvelles diasporas. La question (rhétorique) concernant le point commun entre le souffle, les bêtes, les hommes, le vent, et les moments historiques, citée plus haut, rend toute leur 57 Dossier visibilité à des relations entre différents événements narrés, comme le commencement de la rébellion et de la guerre asymétrique en Sainte-Lucie en 1793, la tragédie de l’invasion états-unienne de la Grenade sans mandat de l’Organisation des Nations Unies, les animaux et les plantes, les éléments… et prépare une narration alternative. Cet acte n’est ni absolument historique, ni nettement poétique, mais plutôt un compromis entre les deux qui s’appuie sur une „fameuse vision prophétique du passé“ (Glissant 2003: 151). Ce point est explicite de la page 149 à 151 du roman, où la narration des événements belliqueux passe des forêts de Sainte-Lucie à la Martinique et à une discussion entre prophétie, poésie et historiographie, c’est-à-dire entre le visionnaire Apocal, le poète Godby et l’historien Lavineret qui „s’étaient rencontrés par hasard ce matin d’août de l’an 2000, dans un haut-fond de Fort-de- France“ (ibid.: 149). Le poète paraît servir d’interprète entre les deux autres, et tout en leur donnant raison à chacun, ajoute qu’ils „abordent les trois au même impossible, qu’ils ne nomment pas“ (ibid.: 151). Bancel, Nicolas / Blanchard, Pascal / Lemaire, Sandrine, „Introduction. La fracture coloniale: une crise française“, in: Pascal Blanchard / Nicolas Bancel / Sandrine Lemaire (ed.), La fracture coloniale: La société française au prisme de l’héritage colonial, Paris, La Découverte, 2005, 9-31. Benítez Rojo, Antonio, La isla que se repite: El Caribe y la perspectiva posmoderna, Hanover, N. 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White, Kenneth, „La géopoétique“, www.kennethwhite.org/ geopoetique (publié en 2008, dernière consultation: 15 décembre 2017). 59 Dossier 1 Ceballos souligne que la transversalité du roman historique transversal (transversalhistorischer Roman) produit des relations qui peuvent être comprises comme réseau rhizomique (2005: 72). 2 Dans la tradition de la nissologie, „une science des îles en tant que telles et non définies comme des petites espaces continentaux“ (Levratto 2007: 22) et de la géopoétique (White 2008), l’analyse des relations entre différents éléments de la géosphère d’un texte (Italiano 2011) ou l’analyse de l’influence des forces et éléments sur la création des textes (Maximin 2006), je propose une réflexion nissopoïétique pour analyser la constitution des îles dans le texte (et une réflexion archipelagopoïétique pour analyser la constitution des archipels) (Graziadei 2011a, 2015, 2017: 32-41 ). 3 Juliane Tauchnitz montre que déjà dans le cas de „l’Antillanité, il s’agit effectivement d’une théorie qui est inséparablement liée au lieu. Et encore: ce lieu aboutit à la soi-disant Relation“ (Tauchnitz 2010: 486) qui est pluridimensionnelle, un système dont le concept est à proximité du terme de rhizome (ibid.: 487) avec une „analogie visible à première vue entre la Relation et son relaté“ (ibid.: 488). 4 Traduit de l’allemand par Claude Vigée (cf. Rilke 2005; cf. Vigée 2006). 5 La nomination explicite se trouve dans les remerciements situés après la „Datation“ et avant la table des matières: „Madame Beverley Ormerod ne s’est pas offusquée de l’usage fait de son nom et ne s’y opposa pas. Qu’ils [Federica Matta, Michael Dash, Laurent Valère et Beverley Ormerod] soient remerciés en amitié“ (363). Mais Beverley Ormerod apparaît aussi comme un personnage dans le roman (203-208). 6 Pour l’île qui se répète chaotiquement cf. Benítez Rojo (1989: xiii-xxii). Concernant les mondes d’îles en relation, „Inselwelten“, et la totalité planétaire d’une Île-Monde, ou „Insel- Welt“, cf. Ette (2005: 135-137). 7 Cf. Bourdieu pour le champ littéraire comme champ de force dans lequel l’œuvre d’art s’insère (Bourdieu 1992: 322). Pour une tentative d’application de la pluralité des champs littéraires qui s’entrecroisent dans la Caraïbe, cf. Graziadei 2011b. 8 Dans le sens d’une nostalgie de la grande époque du pouvoir colonial qui se projette comme désir de récupération du poids international passé, c’est-à-dire comme fantaisie néocoloniale et impériale. Toute œuvre qui se situe dans ce cadre historique est potentiellement victime de ce désir. De plus, et à cause de l’absence d’un projet de décolonisation déconstructive de l’historiographie et de la mémoire culturelle de la France, la nostalgie coloniale exerce une force unique dans le champ littéraire francophone: „[L]a situation de la France vis-à-vis de son passé colonial est singulière. En effet, toutes les autres métropoles coloniales européennes ont envisagé et mis en œuvre des programmes […] liés à cette histoire des Empires, dans une optique visant à dépasser le double simplisme de l’anticolonialisme et de l’hagiographie. D’autres ont décidé de développer l’enseignement de ces questions ou ont tout simplement ‚banalisé‘ la question coloniale en l’intégrant […] dans les registres de l’histoire nationale. La France, a contrario, est pratiquement le seul pays européen à s’être délibérément rangé du côté d’une ‚nostalgie coloniale‘ et de l’oubli institutionnalisé jusqu’aux années 1990, tentant de dissocier histoire coloniale et histoire nationale“ (Bancel/ Blanchard/ Lemaire 2005: 14). Plus récemment, en 2016, le trio des Premiers ministres francais, allemand et italien a, depuis le bateau de guerre Garibaldi - entre l’île de Ventotene et l’île de Santo Stefano dans la mer Tyrrhénienne - proposé une vision de l’Europe qui prône le renouveau d’une politique d’ingérence globale (Palazzo Chigi 2016).