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Guillaume Colletet. Cyminde ou les deux victimes (1642)

2022
978-3-8233-9559-1
Gunter Narr Verlag 
Bernard J. Bourque
10.24053/9783823395591

Composée à l'instigation de Richelieu, Cyminde ou les deux victimes (1642) est la seule pièce de théâtre à auteur unique de Guillaume Colletet, l'un des premiers membres de l'Académie francaise et l'un des << cinq auteurs >> choisis par le cardinal pour collaborer à la composition d'ouvrages dramatiques. Bien que l'oeuvre soit l'adaptation en vers d'une pièce en prose de l'abbé d'Aubignac, elle subit une transformation sous la plume de Colletet, le poète se donnant carte blanche pour la création du dialogue. Le travail est la première édition critique de la pièce. Ce livre a pour but de rendre cette oeuvre plus facilement accessible et d'offrir des explications et des commentaires afin de faciliter sa lecture. L'édition permettra une meilleure connaissance de Colletet, connu surtout pour ses poésies, dans sa brève carrière de dramaturge. L'édition comporte une introduction et près de 300 notes. Une analyse critique, en des Observations, tente à rendre à cette pièce sa valeur dramatique et historique.

BIBLIO 17 Guillaume Colletet Cyminde ou les deux victimes (1642) Seule pièce de théâtre à auteur unique du poète Éditée et commentée par Bernard J. Bourque Guillaume Colletet. Cyminde ou les deux victimes (1642) BIBLIO 17 Volume 228 ∙ 2022 Suppléments aux Papers on French Seventeenth Century Literature Collection fondée par Wolfgang Leiner Directeur: Rainer Zaiser Biblio 17 est une série évaluée par un comité de lecture. Biblio 17 is a peer-reviewed series. Guillaume Colletet Seule pièce de théâtre à auteur unique du poète Éditée et commentée par Bernard J. Bourque Cyminde ou les deux victimes (1642) Bibliografische Information der Deutschen Nationalbibliothek Die Deutsche Nationalbibliothek verzeichnet diese Publikation in der Deutschen Nationalbibliografie; detaillierte bibliografische Daten sind im Internet über http: / / dnb.dnb.de abrufbar. https: / / www.doi.org/ 10.24053/ 9783823395591 © 2022 · Narr Francke Attempto Verlag GmbH + Co. KG Dischingerweg 5 · D-72070 Tübingen Das Werk einschließlich aller seiner Teile ist urheberrechtlich geschützt. Jede Verwertung außerhalb der engen Grenzen des Urheberrechtsgesetzes ist ohne Zustimmung des Verlages unzulässig und strafbar. Das gilt insbesondere für Vervielfältigungen, Übersetzungen, Mikroverfilmungen und die Einspeicherung und Verarbeitung in elektronischen Systemen. Alle Informationen in diesem Buch wurden mit großer Sorgfalt erstellt. Fehler können dennoch nicht völlig ausgeschlossen werden. Weder Verlag noch Autor: innen oder Herausgeber: innen übernehmen deshalb eine Gewährleistung für die Korrektheit des Inhaltes und haften nicht für fehlerhafte Angaben und deren Folgen. Diese Publikation enthält gegebenenfalls Links zu externen Inhalten Dritter, auf die weder Verlag noch Autor: innen oder Herausgeber: innen Einfluss haben. Für die Inhalte der verlinkten Seiten sind stets die jeweiligen Anbieter oder Betreibenden der Seiten verantwortlich. Internet: www.narr.de eMail: info@narr.de CPI books GmbH, Leck ISSN 1434-6397 ISBN 978-3-8233-8559-2 (Print) ISBN 978-3-8233-9559-1 (ePDF) www.fsc.org MIX Papier aus verantwortungsvollen Quellen FSC ® C083411 ® TABLE DES MATIÈRES REMERCIEMENTS ...................................................................... vii INTRODUCTION .............................................................................1 PRINCIPES ÉDITORIAUX...........................................................15 I. Édition originale .........................................................................15 II. Édition postérieure ....................................................................15 III. Établissement du texte .............................................................16 CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES .........................................17 OBSERVATIONS SUR CYMINDE .............................................123 I. Colletet, dramaturge .................................................................123 II. Cyminde ou les deux victimes vue par les critiques ................128 III. Une Rose sous n’importe quel autre nom . . . ........................132 IV. Cyminde réhabilitée ? ............................................................135 BIBLIOGRAHIE...........................................................................137 I. Œuvres de Guillaume Colletet .................................................137 II. Ouvrages et articles sur Guillaume Colletet............................138 INDEX DES NOMS CITÉS..........................................................143 REMERCIEMENTS Merci aux bibliothécaires de la Bibliothèque nationale de France qui m’ont aidé dans mes recherches. Merci à Christopher Gossip, professeur émérite à l’Université de New England (Australie), de son encouragement. Merci à Sandra de son soutien constant. Ce livre est dédié à la mémoire de mes parents, Alphonsine Léger et Gérard Bourque. INTRODUCTION Guillaume Colletet est l’un de ces auteurs du dix-septième siècle qui sont connus sans vraiment l’être. L’un des premiers membres de l’Académie française, il jouit de la protection du cardinal de Richelieu et était d’une manière célébrité littéraire dans son temps. Il fit partie de la Société des cinq auteurs, groupe d’écriture collective créé par Richelieu. Réalisation remarquable, si l’on considère qu’à l’âge de vingt-quatre ans, il avait été temporairement banni de Paris pour sa participation dans Le Parnasse des poètes satyriques, recueil de textes licencieux dont la parution donna lieu à la condamnation du poète Théophile de Viau, auteur du premier sonnet de l’œuvre. Les recherches biographiques de Colletet sur les poètes français des siècles précédents furent sa préoccupation majeure pendant beaucoup d’années. Malheureusement, le fruit de ce long travail, à l’exception de quelques copies fragmentaires du manuscrit, disparut en mai 1871 dans l’incendie de la Bibliothèque du Louvre. Sa propre œuvre le range parmi les auteurs de second rang, sa poésie et ses pièces de théâtre ayant été éclipsés par la gloire des vedettes littéraires de l’époque. Théoricien, il publia des traités, réunis sous le titre d’Art poétique, sur l’épigramme, le sonnet, le poème bucolique, l’églogue, la pastorale, l’idylle et la poésie morale et sentencieuse. Nous avons aussi de lui des traductions du latin et du grec. Décrit par ses contemporains comme étant « ami de la vendage » 1 et « naturellement voluptueux » 2 , Colletet avait une réputation de gaspilleur d’argent. En octobre 1654, Jean Chapelain déclara que « notre pauvre Mr Colletet mourut, il y a un mois, et mourut véritablement pauvre, 1 Jean Chapelain, lettre à Daniel Heinsius du 9 octobre 1654, dans Soixantedix-sept lettres inédites à Daniel Heinsius (1649-1658), éd. Bernard Bray, La Haye, M. Nijhoff, 1966, p. 265. 2 Urbain Chevreau, cité par Gilles Banderier, « Note biographique sur Guillaume Colletet », Revue belge de Philologie et d’Histoire, 80 (2002) : 945- 958, p. 946. 2 INTRODUCTION ayant fallu quêter pour le faire enterrer » 3 . Cette introduction biographique doit beaucoup aux ouvrages de Pasquale A. Jannini 4 et de Valeria Pompejano Natoli 5 qui traitent de la vie et des œuvres de Colletet. D’autres travaux, notamment la thèse inédite de Josephine de Boer 6 sur notre auteur, l’ouvrage d’Antoine Adam 7 sur la littérature française du dix-septième siècle et la biographie de Colletet par Léon Feugère 8 , romancier et historien de la littérature, ont également servi de sources secondaires. Guillaume Colletet naquit à Paris le 12 mars 1598 du mariage de Gabriel Colletet, procureur et ensuite commissaire au Châtelet, et d’Anne Dohin, issue d’une famille noble. De ce mariage naquirent vingt enfants, dont notre auteur fut l’aîné. C’est à Paris que grandit et s’instruit Guillaume, recevant une éducation classique au Collège royal 9 fondé par François I er . Passionné pour la poésie, il composa des vers et reçut l’encouragement du poète Étienne Pasquier, à qui il avait adressé un sonnet, et de François de Malherbe 10 , à qui il avait présenté deux autres poèmes. Colletet fit ensuite des études de droit et se lança dans la carrière juridique, obtenant le titre d’avocat. Toutefois, cette carrière ne dura pas longtemps, le jeune homme décidant de se consacrer à plein temps aux lettres. 3 Jean Chapelain, lettre à Daniel Heinsius du 7 mars 1659, dans Lettres de Jean Chapelain de l’Académie française, 2 volumes, publiées par Philippe Tamizey de Larroque, Paris, Imprimerie nationale, 1880-1883, t. II, p. 23. 4 Pasquale A. Jannini, Verso il tempo della ragione. Studi e ricerche su Guillaume Colletet, Milan, Viscontea, 1965 ; réimpr. Fasano, Schena, 1989. 5 Valeria Pompejano Natoli, Verso una biographia di Guillaume Colletet, Fasano, Schena, 1989. 6 Josephine de Boer, The Life and Works of Guillaume Colletet (1596-1659), thèse de doctorat inédite, Johns Hopkins University, 1925. 7 Antoine Adam, Histoire de la littérature française au XVII e siècle (1948- 1956), 5 volumes, Paris, Éditions Mondiales, 1962, t. I , pp. 349-352. 8 Léon Feugère, Guillaume Colletet, Paris, P. Dupont, 1849. 9 Aujourd’hui, Collège de France. 10 Léon Feugère nous dit de Malherbe : « […] avec ceux qui lui soumettaient leurs essais, celui-ci se bornait d’ordinaire à les avertir “de lire ses ouvrages et d’y apprendre les règles de l’art.” Mais plus indulgent cette fois, il eut pour Colletet des paroles d’encouragement, et ne lui refusa pas quelques avis dont le jeune homme s’empressa de profiter » (Guillaume Colletet, p. 49). INTRODUCTION 3 À partir de 1620, Colletet fréquenta les cercles littéraires. Il fit partie de l’académie Piat Maucors 11 , groupe de jeunes poètes consacré aux préceptes de Malherbe : Les archaïsmes récusés par Malherbe sont repris : il faut retrouver le vrai sens des mots en traduisant des textes notamment latins 12 . Il fréquenta l’hôtel de Rambouillet et prit le parti des « barbares », groupe de jeunes artistes insoumis. Il s’entourait souvent de ses amis littéraires à la ville ou à la campagne. La première œuvre de Colletet, Désespoirs amoureux, fut publiée en 1622. Ce recueil comporte la traduction en prose de l’Alexiade, poème religieux du père François Rémond, ainsi que des lettres amoureuses et des poésies. En cette même année parut Le Parnasse des poètes satyriques, recueil de textes licencieux dont Colletet fut l’un des poètes. Cette publication déclencha un scandale et entraîna le bannissement de notre auteur de Paris pendant neuf ans, « à peine d’être pendu et étranglé » 13 . Josephine de Boer fait remarquer que Colletet se retira à Saint-Denis où il resta pendant environ un an. Là, il travailla sur sa première longue traduction, Les Aventures amoureuses d’Ismène et d’Isménie 14 d’Eustathius Macrembolites (XIIe siècle), revivaliste byzantin de la romance grecque : On peut imaginer Guillaume Colletet, sous l’influence de son oncle et de son cousin, conduit sur la voie de la discrétion, qu’il suit sans cesse à partir de ce 11 « L’académie porte le nom de Piat Maucors. C’est chez lui se réunissent Marbeuf, L. de Revol, Molière d’Essertines, d’Audiguier le jeune, Marcassus, Colletet, Croisilles, Marolles et Malleville » (Véronique Adam, Images fanées et matières vives : cinq études sur la poésie Louis XIII, Grenoble, Éditions littéraires et linguistiques de l’Université de Grenoble, 2003, p. 19n). 12 Ibid., p. 19. 13 Cité par Adam, Histoire de la littérature française au XVII e siècle, t. I, p. 350. Voir l’article de Hugh Roberts, « Obscenity and the Politics of Authorship in Early Seventeenth-Century France : Guillaume Colletet and the Parnasse des poètes satyriques (1622) », French Studies, 68 (2014) : 18-33. 14 Paris, Toussaint du Bray, 1625. 4 INTRODUCTION moment. (One can imagine Guillaume Colletet, under the influence of his uncle and cousin, led into the path of discretion, which he follows consistently from this point on) 15 . L’exil ne dura pas longtemps, Colletet se retrouvant bientôt à Paris. Vers 1625, il fit partie d’un cercle de jeunes poètes et d’érudits ronsardiens, connu aujourd’hui sous le nom des Illustres Bergers ou du cénacle des Illustres Bergers. Le groupe fut caractérisé par son goût de l’élégance, du purisme et de la poésie pastorale 16 . En 1627, Colletet publia son poème Le Trébuchement de l’ivrogne 17 . Cette publication fur suivie, en 1631, de la parution d’un recueil de poèmes intitulé Divertissements 18 , œuvre « qui mit le sceau à sa réputation » 19 . Pendant cette période, Colletet fut l’auteur de plusieurs compositions poétiques qui chantaient la gloire de Louis XIII et de son principal ministre le cardinal de Richelieu. Comme l’affirma Léon Feugère : Non content de courber ou d’abattre les plus hautes têtes de l’aristocratie, Richelieu voulait encore imposer un joug doré aux forces libres de l’intelligence : il attirait autour de lui les gens de lettres ; il les attachait à sa puissance par des caresses et par des libéralités. Grâce à cette politique habile, les lettres allaient oublier trop souvent leur indépendance. Colletet, comme la plupart de ses contemporains, se laissa aisément captivé à ces séductions ; il consacra beaucoup de vers à chanter la gloire du ministre 20 . Quand Richelieu fonda l’Académie française en 1634 21 , le fauteuil 15 Josephine de Boer, « Colletet’s Exile after his Condemnation in 1623 », Modern Language Notes, 47 (1932) : 159-162, p. 161. Notre traduction. 16 Chaque membre du groupe portait un pseudonyme romanesque ; Colletet prit le nom de Cérillas. 17 Paris, [s. n.], 1627. 18 Paris, Robert Étienne, 1631. 19 Feugère, Guillaume Colletet, p. 53. 20 Ibid., p. 52. Voir, par exemple, Le Triomphe des muses à Monseigneur le cardinal duc de Richelieu par Colletet (Paris, Camusat, 1633). 21 L’Académie française fut officialisée l’année suivante, en 1635. INTRODUCTION 5 23 fut attribué à Colletet 22 . C’est à cette époque que notre auteur entreprit l’histoire des poètes français, ouvrage qui resta sous forme de manuscrit tout au long de la vie de l’académicien. En 1635, Richelieu créa la Société des cinq auteurs, composée de Claude de L’Estoile, Jean de Rotrou, Pierre Corneille, François le Métel de Boisrobert et Colletet. Ces dramaturges furent engagés par le cardinal de rédiger collectivement des pièces de théâtre en vers fondées sur des intrigues qu’il imaginait. En conséquence, Colletet collabora à la composition de La Comédie des Tuileries 23 , de L’Aveugle de Smyrne 24 et de La Grande Pastorale 25 . Richelieu accorda une pension à chacun des cinq dramaturges. Outre cette pension ordinaire qu’il leur donnait, il faisait « quelques libéralités considérables, quand ils avaient réussi à son gré » 26 . Pour quelques vers qu’il admira du monologue des Tuileries qui fut composé par 22 « Il fut admis à l’Académie avant le 13 mars 1634 et prononça le dix-huitième discours : De l’imitation des anciens » (« Guillaume Colletet », site Web de l’Académie française : ˂https: / / www.academie-francaise.fr/ les-immortels/ guillaume-colletet? fauteuil=23&election=13-03-1634˃ [accédé le 2 octobre 2021]). 23 Comédie (Paris, Augustin Courbé, 1638). La pièce fut jouée à l’Arsenal le 4 mars 1635, en présence d’Anne d’Autriche, et ensuite à l’Hôtel de Richelieu le 16 avril en présence de Louis XIII. Selon Henry Carrington Lancaster, il est probable que Rotrou fut l’auteur du premier acte, l’Estoile du deuxième, Corneille du troisième, Boisrobert du quatrième et Colletet du cinquième, ainsi que du monologue qui précède le premier acte (A History of French Dramatic Literature in the Seventeenth Century, 9 parties en 5 volumes, Baltimore, Johns Hopkins Press, 1929-1942, t. II, vol. 1, p. 99). 24 Tragi-comédie (Paris, Augustin Courbé, 1638). La pièce fut jouée pour la première fois le 22 février 1637 à l’Hôtel de Richelieu en présence de Louis XIII. Selon Lancaster, il est probable que Corneille fut l’auteur du premier acte, Rotrou du deuxième, Boisrobert du troisième, Colletet du quatrième et l’Estoile du cinquième (A History of French Dramatic Literature in the Seventeenth Century, t. II, vol. 1, p. 206). 25 Cette pièce ne fut pas publiée. D’ailleurs, le manuscrit est perdu. Il est probable que la pièce fut jouée à l’Hôtel de Richelieu le 8 janvier 1637. Voir Lancaster, A History of French Dramatic Literature in the Seventeenth Century, t. II, vol. 1, pp. 204-205. 26 Paul Pellisson, Histoire de l’Académie française (1653), 2 volumes, éd. Charles-Louis Livet, Paris, Didier, 1858, t. I, p. 84. 6 INTRODUCTION Colletet, le cardinal donna à l’auteur soixante pistoles, ajoutant que « le Roi n’était pas assez riche pour payer tout le reste » 27 . Outre Richelieu, Colletet avait plusieurs patrons, y compris François Harlay de Champvallon, archevêque de Rouen, Charles Eusèbe de Lichtenstein, prince du royaume, Nicolas Fouquet, surintendant des finances de 1653 à 1661, Abel Servien, surintendant des finances avec Fouquet, et Pierre Séguier, chancelier de France à partir de 1635 28 . Après la mort de Richelieu en 1642, le cardinal Mazarin devint son protecteur, bien que celui-ci « donnait plus de bonnes paroles que d’argent » 29 . C’est en 1641, à l’instigation de Richelieu, que Colletet donna au théâtre Cyminde ou les deux victimes, adaptation en vers d’une pièce en prose de François Hédelin, abbé d’Aubignac. Dans sa Quatrième dissertation, d’Aubignac déclara qu’il avait donné trois ouvrages dramatiques en prose au cardinal de Richelieu « qui les fit mettre en vers » 30 , c’est-à-dire, La Pucelle d’Orléans, La Cyminde ou les deux victimes et une œuvre inconnue 31 . La Cyminde de Colletet fut jouée en 1641 au théâtre aménagé par Richelieu 27 Ibid., pp. 84-85. Il s’agit des vers suivants qui décrivent les ébats de la cane : « La cane s’humecter de la bourbe de l’eau,/ D’une voix enrouée et d’un battement d’aile,/ Animer le canard qui languit auprès d’elle » (La Comédie des Tuileries, le monologue qui précède le premier acte). 28 Voir Feugère, Guillaume Colletet, pp. 58-59. 29 Ibid., p. 59. 30 Abbé d’Aubignac, Quatrième dissertation concernant le poème dramatique, servant de réponse aux calomnies de M. Corneille, dans Dissertations contre Corneille, éd. Nicholas Hammond et Michael Hawcroft, Exeter, University of Exeter Press, 1995, p. 138. 31 Il est possible que cette troisième pièce soit L’Heureux prodige. Nous trouvons l’extrait suivant dans La Bibliothèque du théâtre français de La Vallière : « MS. In 8 0 . Ce manuscrit paraît de la main même de l’Auteur, qui est vraisemblablement l’Abbé Hédelin d’Aubignac : ce manuscrit vient de sa Bibliothèque » (Louis-César de la Baume Le Blanc, duc de La Vallière, La Bibliothèque du théâtre depuis son origine, Dresde, Michel Groell, 1768, p. 19). Cette pièce ne fut jamais publiée. Il se peut que le manuscrit soit l’adaptation en vers d’une pièce qui fut composée en prose par d’Aubignac. INTRODUCTION 7 dans son Palais Cardinal 32 . La pièce fut publiée l’année suivante chez Augustin Courbé et Antoine de Sommaville. Dans l’épître de l’œuvre, Colletet parle du « favorable accueil » 33 que reçut sa Cyminde de Richelieu. De toute évidence, cependant, la pièce ne remporta qu’un succès éphémère. Comme l’affirme Feugère, « on croira volontiers, en effet, que le public ne partagea pas beaucoup ce divertissement » 34 . Après Cyminde ou les deux victimes, Colletet « ne se hasarda plus à travailler pour le théâtre » 35 . En 1642, Colletet publia un recueil intitulé Autres poésies de Mr Colletet 36 qui comporte le monologue qui précède le premier acte de La Comédie des Tuileries. Quatre ans plus tard, il publia Le Banquet des poètes 37 , nouvelle version du Trébuchement de l’ivrogne et composé de 204 vers. En 1647, il fit paraître son ouvrage sur Raymond Lulle 38 , philosophe, poète, missionnaire et apologiste chrétien qui naquit en 1232 à Palma de Majorque et qui mourut en 1315. L’année 1651 fut difficile pour Colletet. À cause de sa situation financière, il dut mettre en gage l’Apollon d’argent qu’il avait reçu de l’archevêque de Rouen en récompense d’un chant royal que le poète avait composé 39 . Agent de Mazarin, son fils François 40 fut fait prisonnier en Espagne, où il resta pendant deux ans. Un recueil d’épigrammes de Colletet fut publié en 1653, ac- 32 Voir l’épître de Colletet de sa Cyminde ou les deux victimes (p. 18 de notre édition). 33 Page 18 de notre édition. 34 Feugère, Guillaume Colletet, p. 56. 35 Ibid. 36 Paris, Augustin Courbé, 1642. 37 Paris, N. Boisset, 1646. 38 Cette biographie parut à la suite d’une traduction donnée par Paul Jacob : La Clavicule, ou la Science de Raymond Lulle, avec toutes les figures de rhétorique par le sieur Jacob et la Vie du même Raymond Lulle, Paris, J. Rémy, 1647. 39 Voir Théophile Gautier, Les Grotesques (1844), Paris, Michel Lévy frères, 1856, p. 226. 40 Voir infra la note 46. 8 INTRODUCTION compagné d’un discours de l’épigramme 41 . En 1656, l’auteur donna un autre volume, Poésies diverses 42 . Son Art poétique 43 , ouvrage qui réunit une suite de traités sur les divers genres de poésie, fut publié en 1658. Comme l’affirme Antoine Adam, « Colletet avait toujours quelque chose à dire » 44 . Il mourut à Paris le 11 février 1659 à l’âge de soixante ans et il « fut enterré dans l’église de saint Sauveur sa paroisse, où l’on voit son tombeau » 45 . Consacrons maintenant quelques paragraphes sur la vie privée de notre auteur. Nous savons que Colletet épousa Marie Prunelle et que de ce mariage naquit un fils, François 46 . En 1652, onze ans après la mort 41 Épigrammes du sieur Colletet. Avec un discours de l’épigramme, Paris, Loyson, 1653. 42 Poésies diverses de Monsieur Colletet, contenant des sujets héroïques, des passions amoureuses et d'autres matières burlesques et enjouées, Paris, L. Chamhoudry, 1656. 43 L’Art poétique du S r Colletet, Paris, Sommaville et Chamhoudry, 1658. Cette publication comporte aussi un « Discours de l’Éloquence, et de l’Imitation des Anciens. Un autre Discours contre la Traduction. Et la nouvelle Morale du même Auteur ». Voir l’ouvrage de Pasquale A. Jannini, Verso il tempo della ragione. Studi e ricerche su Guillaume Colletet. 44 Adam, Histoire de la littérature française au XVII e siècle, t. I, p. 351. 45 Louis Moréri, Le Grand Dictionnaire historique ou le mélange curieux de l’histoire sacrée et profane, 10 volumes, Paris, Jacques Vincent, 1732, t. II, p. 940. 46 François Colletet (1628-vers 1680) devint poète, journaliste et éditeur. Parmi ses œuvres les plus connues figurent Noëls nouveaux (1650), Les Muses illustres, (1658), Le Tracas de Paris (1665) et La Muse coquette (1665). « Agent du cardinal Mazarin pendant la Fronde, à partir de 1651, il est prisonnier deux ans des Espagnols près de Luxembourg. De retour à Paris, il y travaille comme précepteur tout en publiant. Auteur et éditeur de nombreux écrits. Pratique le journalisme à partir de 1659 au service de deux libraires parisiens successivement, Jean-Baptiste Loyson (avec qui il est en procès en 1660) et Alexandre Lesselin. Monte un bureau d'adresse et lance ses propres périodiques qu'il édite lui-même, seul ou associé à un libraire, à partir de 1676 » (« François Colletet (1628-1680 ? ) », site Web de la Bibliothèque nationale de France : ˂https: / / data.bnf.fr/ en/ 12080130/ francois_colletet/ en.pdf˃ [accédé le 4 octobre 2021]). INTRODUCTION 9 de Marie 47 , Colletet épousa Claude Le Hain, dite Claudine, sa domestique. Elle avait trente-six ans de moins que Guillaume. Les frères Parfaict répètent l’assertion de Gilles Ménage selon laquelle notre auteur avait épousé ses trois servantes l’une après l’autre 48 . Nous sommes du même avis que Feugère qui soutient que « c’est trop de deux » 49 et que Colletet ne fut marié que deux fois. Selon Pierre Cadot, qui avait présenté une biographie de son ami Colletet en tête de la copie des Vies des poètes français, notre auteur « n’eut que deux femmes en sa vie et non pas trois, comme quelques-uns ont cru » 50 . Il est à noter qu’entre la mort de Marie Prunelle et le second mariage, « le bon Guillaume vécut martialement avec Michelle Soyer, sa servante, décédée en 1651, dont il eut une fille Charlotte » 51 . Urbain Chevreau nous dit que Colletet était « naturellement voluptueux » : Il était naturellement voluptueux ; et pour le tenter, il ne fallait être ni belle, ni jeune. Comme il ne voulait point être en scandale à son voisinage, et qu’il ne pouvait vivre sans quelque servante, il épousait celle qu’il avait prise, et qui n’était pas plutôt morte, qu’il en cherchait quelqu’autre dont il ne manquait pas de faire sa femme 52 . Gédéon Tallemant des Réaux crée une image semblable de notre auteur, déclarant qu’il était « enclin à l’amour » et qu’il « ne pou- 47 Marie Prunelle mourut le 11 décembre 1641. 48 « Guillaume Colletet a épousé trois servantes » (Gilles Ménage, Menagiana ou les bons mots, les pensées critiques, historiques, morales, et d’érudition de Monsieur Ménage, 4 volumes, Paris, Veuve Delaulne, 1729, t. II, p. 83). Voir les frères Parfaict, Histoire du théâtre français, depuis son origine jusqu’à présent, 15 volumes, Paris, Mercier et Saillant, 1746, t. VI, p. 198. 49 Feugère, Guillaume Colletet, p. 61. 50 Cité par Philippe Tamizey de Larroque, dans Vies des poètes gascons par Guillaume Colletet, éd. Philippe Tamizey de Larroque, Paris, Auguste Aubry, 1866, p. 16n. Sur le mythe des trois mariages, voir Valeria Pompejano Natoli, Verso una biographia di Guillaume Colletet, pp. 73-76, 206-208. 51 Frédéric Lachèvre, « Claudine Colletet après la mort de Guillaume Colletet. Son second mariage. Son œuvre poétique », Revue d’Histoire littéraire de la France, 27 (1920) : 427-433, p. 427. 52 Cité par Jannini, Verso il tempo della ragione, p. 2. 10 INTRODUCTION vait vivre sans femme » 53 . La seconde épouse de notre auteur, Claudine, fut chantée dans son temps par Colletet dans ses œuvres poétiques 54 . Elle aussi aurait eu le talent des vers, quelques poèmes ayant paru sous son nom. On soupçonna que son mari en était le véritable auteur, surtout lorsque la plume de Claudine devint muette après le décès de Guillaume. Écoutons Ménage à ce sujet : La servante que Colletet épousa en dernier lieu s’appelait Claudine, sous le nom de laquelle il faisait des vers. Il mourut avant elle : mais peu de temps avant sa mort, afin de couvrir la chose, il fit sept vers sous le nom de la même Claudine, qui sont très beaux, par lesquels elle protestait qu’après la mort de son Époux, elle renonçait à la Poésie 55 . Jean de La Fontaine composa les vers suivants à l’occasion de ce mutisme : Les oracles ont cessé, Colletet est trépassé, Dès qu’il est la bouche close, Sa femme ne dit plus rien ; Elle enterra vers et prose Avec le pauvre chrétien 56 . D’après l’opinion générale, Colletet était très sympathique. Chevreau parle de « l’admirable tempérament » du « complaisant M. Colletet » 57 . Il affirme qu’on ne le voyait jamais en colère et 53 Gédéon Tallemant des Réaux, Les Historiettes. Mémoires pour servir à l’histoire du XVII e siècle, 9 volumes, éd. M. Monmerqué, Paris, H.-L. Delloye, 1840, t. V, p. 179. 54 Voir la section intitulée « Amours de Claudine », dans les Poésies diverses de Colletet (1656), pp. 307-368. Claudine reçut aussi des hommages de plusieurs des confrères de Colletet, y compris Jean de La Fontaine. 55 Ménage, Menagiana, t. II, p.83. Voir aussi Le Journal des savants, juillet 1746 (Paris, G. F. Quillau, 1746, pp. 1221-1222). 56 Cité par Nicolas Ducimetière, « Un trait d’union entre les siècles : Guillaume Colletet, poète et historien », ˂https: / / mabiblio.hypotheses.org/ 1769˃ [accédé le 23 octobre 2021]. 57 Urbain Chevreau, Chevræana, Paris, Florentin et Pierre Delaulne, 1697, p. 29. INTRODUCTION 11 qu’en « quelque état qu’on le rencontrât, on eût jugé qu’il était content » 58 . D’ailleurs, selon Feugère, il « poussa jusqu’à l’excès cette insouciance de l’avenir qui passe pour caractériser les poètes » 59 . Colletet aimait s’entourer de ses amis littéraires et il les invitait souvent à manger chez lui, même en période de pauvreté, comme le témoigne Chevreau : Nous allions manger bien souvent chez lui, à condition que chacun y ferait porter son pain, son plat, avec deux bouteilles de vin de Champagne ou de Bourgogne ; et par ce moyen nous n’étions point à charge à notre Hôte. Il ne fournissait qu’une vieille table de pierre, sur laquelle Ronsard, Jodelle, Belleau, Baïf, Amadis Jamyn, etc., avaient fait en leurs temps d’assez bon repas : et comme le présent nous occupait seul, l’avenir et le passé n’y entraient jamais en ligne de compte. Claudine, avec quelques vers qu’elle chantait, y choquait le verre avec le premier qu’elle entreprenait, et son cher époux, M. Colletet, nous récitait dans les intermèdes du repas, ou quelque Sonnet de sa façon, ou quelques fragments de nos vieux Poètes […] 60 . Jean Chapelain crée l’image d’un homme qui avait toujours un verre de vin à la main : Je n’ai pas encore donné à M. Colletet celle [une lettre] qui était pour lui dans votre paquet précédent, les vendages l’ayant attiré à la campagne, et vous savez qu’il est ami de la vendage 61 . N’hésitant pas à dépenser son argent, Colletet était « ami de toutes les jouissances de la vie », réunissant « souvent, à la ville ou à la campagne, une société enjouée et spirituelle » 62 . Vers la fin de sa vie, il serait réduit à un état d’extrême pauvreté, situation que les frères Parfaict attribuent en grande partie aux « trois mariages » : 58 Ibid. 59 Feugère, Guillaume Colletet, p. 60. 60 Chevreau, Chevræana, p. 30. Sur le cercle littéraire qui se réunit chez Colletet entre 1632 et 1652, voir l’article de Josephine de Boer, « Men’s Literary Circles in Paris (1610-1660 », PMLA, 53 (1938) : 730-780, pp. 751-755. 61 Chapelain, lettre à Daniel Heinsius du 9 octobre 1654, dans Soixante-dix-sept lettres inédites à Daniel Heinsius (1649-1658), p. 277. 62 Feugère, Guillaume Colletet, p. 60. 12 INTRODUCTION Les trois mariages qu’il contracta, en les regardant d’un certain côté, devaient avoir contribué à son arrangement. Chaque femme qu’il épousa, lui apporta en dot ses services et ses gages, et peu de dépense pour son entretien 63 . Feugère fait remarquer que Colletet avait « employé d’assez fortes sommes à l’acquisition d’un certain nombre d’ouvrages bien choisis » et que s’il ne fut pas forcé de les vendre pour apaiser les créanciers qui le tourmentaient, il le dut uniquement à son fils « qui fit abandon en sa faveur des droits qu’il avait à la succession de sa mère Marie Prunelle » 64 . Il est probable que les troubles de la Fronde (1648-1653) contribuèrent aussi au dénuement où mourut notre auteur, comme le soutient Théophile Gautier, poète et critique littéraire : Lorsque Colletet mourut (11 février 1659), les guerres civiles et les troubles du temps l’avaient réduit à un état si voisin de la misère que ses amis furent obligés de se cotiser pour le faire enterrer convenablement. Ainsi il n’est pas fort étonnant que Colletet fils ait souvent attendu le succès d’un sonnet pour dîner, car ce qu’il dut trouver dans l’héritage de son père ne le pouvait mener fort loin 65 . Voilà donc les faits saillants de la vie de Guillaume Colletet. Fort estimé par Richelieu, il eut l’honneur d’être l’un des premiers membres de l’Académie française et d’être choisi comme l’un des « cinq auteurs ». Poète, dramaturge, historien, théoricien et traducteur, Colletet fut un écrivain prolifique. Passionné pour la poésie, il considérait Ronsard comme le prince des poètes. Ses propres poésies furent souvent louées par ses contemporains. Dans La Muse historique de Jean Loret du 16 novembre 1652, nous trouvons les vers suivants à l’occasion du prix accordé à Colletet par François de Harlay de Champvallon, archevêque de Rouen : Monsieur Colletet, homme rare, Dont l’esprit, en ce temps barbare, 63 Parfaict, Histoire du théâtre français, t. VI, p. 201. 64 Feugère, Guillaume Colletet, p. 60. 65 Gautier, Les Grotesques, p. 235. INTRODUCTION 13 Est un miraculeux trésor, Digne cent fois d’un siècle d’or, Durant la saison printanière (J’entends parler de la dernière) Ayant, d’un labeur sans égal, Fait un excellent chant royal, Contenant des vers cinq fois douze, Pour les Jeux floraux de Toulouse, Obtint, sur plusieurs grands esprits, Le triomphe, l’honneur, le prix 66 . Cette estime pour l’auteur ne fut pas partagée par tous ses contemporains. Tout en reconnaissant que Colletet avait du talent, Chapelain le considérait comme un versificateur, plutôt qu’un poète : Quant au seigneur Colletet, si je vous en puis parler ingénument, il est plutôt né versificateur que poète et il travaille plus pour le profit que pour l’honneur. Les grands mouvements lui sont inconnus, et il arrive rarement, lorsqu’il s’élève, que ses pensées soient justes et qu’il ne prenne l’enflure pour l’embonpoint. Sa diction partout est pure, mais seulement elle est mal proportionnée au sujet […] 67 . Au dix-neuvième siècle, Théophile Gautier l’appela « un génie plutôt didactique qu’inventif, plus descriptif que lyrique, un vrai talent d’académicien qui a du talent » 68 . Léon Feugère parla des « vers sérieux ou badins qui attestaient la fécondité de son génie » 69 . Au vingtième siècle, l’historien de la littérature Antoine Adam accentua chez Colletet « une vigueur souvent remarquable, une verve, une franchise de ton », citant comme exemple son Trébuchement de l’ivrogne, « une pièce de premier ordre […] sans grossièreté, mais dans une langue vigoureuse et saine » 70 . Plus récemment, les critiques littéraires, notamment Pasquale Jannini, 66 Jean Loret, La Muse historique ou recueils des lettres en vers contenant les nouvelles du temps, Paris, P. Jannet, 1857, p. 308. 67 Jean Chapelain, lettre à Guez de Balzac du 30 octobre 1638, dans Lettres de Jean Chapelain de l’Académie française, t. I, p. 309. 68 Gautier, Les Grotesques, p. 221. 69 Feugère, Guillaume Colletet, p. 53. 70 Adam, Histoire de la littérature française au XVII e siècle, t. I, p. 351. 14 INTRODUCTION Valeria Natoli et Gilles Banderier, proposent un portrait équilibré de Colletet. Banderier déclare qu’il « fut un poète estimable, et surtout un historien de la littérature doué d’une profonde sagacité et d’un réel don de sympathie ». Il ajoute que « les ouvrages de P. A. Jannini et V. Pompejano Natoli éclairent cette existence mêlée à tous les combats de son temps, non sans laisser subsister quelques taches d’ombre éparses » 71 . La mort de Richelieu en décembre 1642 mit fin à la carrière de dramaturge de Colletet. Cyminde ou les deux victimes et les trois pièces des « cinq auteurs » furent composées à l’instigation du cardinal. Seule œuvre théâtrale à auteur unique de Colletet, Cyminde ou les deux victimes devrait susciter l’intérêt des historiens de la littérature. Il est vrai que la pièce est une adaptation versifiée d’un ouvrage dramatique en prose de l’abbé d’Aubignac. Toutefois, à l’encontre de La Pucelle d’Orléans (1642) de l’abbé dont la pièce en vers fut très fidèle à l’original 72 , La Cyminde ou deux victimes subit une transformation sous la plume de Colletet, le poète se donnant carte blanche pour la création du dialogue. Notre travail est la première édition critique de Cyminde ou les deux victimes de Guillaume Colletet. Ce livre a pour but de rendre cette œuvre plus facilement accessible et d’offrir des explications et des commentaires afin de faciliter sa lecture. L’édition permettra une meilleure connaissance de Colletet, connu surtout pour ses œuvres poétiques, dans sa brève carrière de dramaturge. 71 Banderier, « Note biographique sur Guillaume Colletet », p. 946. 72 La pièce fut versifiée soit par Isaac de Benserade (1613-1691), soit par Hyppolyte-Jules Pilet de La Mesnardière (1610-1663). PRINCIPES ÉDITORIAUX I. Édition originale CYMINDE,/ OU LES DEUX/ VICTIMES,/ TRAGI- COMÉDIE./ Par Monsieur COLLETET./ À PARIS,/ Chez AUGUSTIN COURBÉ, Lib. & Impr. De Mons. Frère/ du Roi, dans la petite Salle, à la Palme./ ET/ ANTOINE DE SOMMAVILLE, à l’Escu de France/ en la même Salle./ au Palais./ M. DC. XXXXII./ AVEC PRIVILÈGE DU ROI. In-40 ; vi-124 pages. Exemplaires consultés : Paris, Bibliothèque nationale de France : RES-YF-212 et NUMM-71606. Les exemplaires sont identiques. II. Édition postérieure Paris, A. Courbé, 1650. In-80 ; iv-90 pages. Exemplaire consulté : Paris, Bibliothèque nationale de France : YF-6833. Cette édition fut publiée chez Augustin Courbé huit ans après la publication de l’édition originale. Le privilège manque. L’édition ne comporte pas d’erreurs de pagination. Le nom « Érymant » est épelé avec un « i », plutôt qu’un « y ». L’édition corrige deux des trois fautes d’impression qui sont identifiées après le privilège dans l’édition originale, le mot « Dont » (vers 300) n’ayant pas été remplacé par « Donc ». Toutefois, bien que le mot « tani » (vers 777) soit remplacé par « tant », le point d’exclamation (vers 1259) est remplacé par une virgule, plutôt qu’un deux-points. 16 PRINCIPES ÉDITORIAUX III. Établissement du texte La présente édition respecte le texte de l’édition originale. L’orthographe du texte a été modernisée, y compris les conjugaisons et l’utilisation des accents. Lorsque l’usage actuel ne l’a pas fixée, nous avons respecté l’orthographe des noms propres. L’emploi du mot « avecque », pour ajouter un pied au vers, a été respecté, ainsi que l’emploi des mots « jusques », « encor », « quelqu’autre », et « entr’eux ». Aucune modification n’a été apportée aux temps verbaux et à l’ordre syntaxique. L’usage des majuscules à certains noms communs a été respecté. Partout dans le texte, nous avons remplacé « & » par « et ». Nous avons remplacé « à » par « a », lorsqu’il s’agit du verbe, et « a » par « à » lorsqu’il s’agit de la préposition. De la même façon, nous avons remplacé « ou » par « où » lorsqu’il s’agit du pronom relatif ou de l’adverbe interrogatif. Les fautes d’impression qui ont été corrigées sont identifiées dans nos propres notes en bas de page. Nous avons respecté la ponctuation de l’édition originale afin de ne pas altérer l’intention de l’auteur. L’édition originale présente tous les vers de la pièce en italique, à l’exception de la réponse de l’oracle. Notre édition fait le contraire. Nous avons utilisé des crochets pour signaler la pagination de l’édition originale. Il y une erreur dans les paginations à partir de la page 33. Cette page est numérotée 41, et les erreurs persistent jusqu’à la fin de la pièce. Nous avons identifié ces erreurs en utilisant le signe d’égalité, par exemple : [p. 41=33]. Les pages non paginées de l’épître, du « Privilège du Roi » et de la liste des « Acteurs » ont été identifiées par des chiffres romains minuscules. Les sources et les références savantes, appelées par des chiffres, sont traitées dans nos propres notes en bas de page. Ces notes n’abordent que sommairement les questions dramaturgiques qui sont traitées dans la section « Observations ». CYMINDE, OU LES DEUX VICTIMES, TRAGI-COMÉDIE. Par Monsieur COLLETET. [fleuron] À PARIS, AUGUSTIN COURBÉ, Lib. & Impr. De Mons. Frère du Roi, dans la petite Salle, à la Palme . Chez ET ANTOINE DE SOMMAVILLE, à l’Escu de France en la même Salle. ____________________________________ M. DC. XXXXII. AVEC PRIVILÈGE DU ROI. au Palais. 18 CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES À MONSEIGNEUR L’ÉMINENTISME CARDINAL DUC DE RICHELIEU. MONSEIGNEUR, Il n’y avait rien qui fût capable de consoler Cyminde dans ses afflictions, que le favorable accueil qu’elle a reçu de VOTRE ÉMI- NENCE. Elle vou-[p.ii]lait mourir pour sauver son Amant ; mais elle veut vivre désormais pour publier votre Gloire, et pour se vanter que l’amour qu’un Prince eût pour sa Beauté, ne la touche pas tant, que l’estime que vous faites de sa vertu. Elle a monté sur le superbe Théâtre de votre Palais avec des larmes de tristesse ; mais elle en est descendue avec des larmes de joie, puisque vous n’avez pas dédaigné de donner des soupirs au récit de ses douleurs, et des applaudissements à l’heureux succès de ses aventures. Aussi MONSEIGNEUR, comme c’est pour le seul divertissement de Votre ÉMINENCE qu’elle a fait éclater ses ardentes et légitimes passions, le monde n’eût jamais connu son courage, si votre générosité n’eût fait naître la sienne. Les soins éternels que vous avez du Salut de la France, et de l’accroissement de sa Gloire ; cet aimable repos dont vous vous privez pour établir le sien ; ces nuits continuelles que vous lui donnez pour mettre ses triomphes au jour ; Enfin cette précieuse vie, dont vous sacrifiez tous les moments pour la rendre bienheureuse, sont les nobles éguillons qui ont sollicité cette fidèle Amante de signaler son courage, et qui l’ont obligé de faire par exemple, ce que vous faites par les principes de la raison même. Veuillent les Muses qui m’ont inspiré ces CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES 19 vers, où ma bonne fortune a voulu que vous ayez trouvé tant d’éclat et tant de force, passent jusqu’aux siècles futurs, et [p. iii] qu’ils en fassent la même estime que vous en faites ; afin que je sois à l’avenir une solide preuve de cette vérité, que le jugement que le grand Cardinal DE RICHELIEU fait de nos Ouvrages, doit être celui de toute la postérité. Pardonnez, MONSEIGNEUR, à ce ravissement d’esprit, et de joie. Il est bien difficile d’être dans la plus glorieuse approbation du monde, et de se tenir toujours ferme dans les bornes de la modestie. Aussi ces faveurs extraordinaires m’animent de telle sorte, que je n’ai plus de voix ni de plume, que pour publier éternellement, qu’entre tous ceux qui ont l’honneur d’être à vous, et de participer à vos bienfaits, il n’y en a point qui en ait plus de ressentiment que moi, ni qui soit plus que je suis, MONSEIGNEUR, De Votre Éminence, Le très humble, très obéissant, et très fidèle serviteur, GUILLAUME COLLETET. 20 CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES [p. iv] PRIVILÈGE DU ROI. LOUIS par la grâce de Dieu Roi de France et de Navarre, À nos amés et féaux Conseillers les Gens tenant nos Cours de Parlement, Maîtres des Requêtes ordinaires de notre Hôtel, Baillis, Prévôt, ou leurs Lieutenants, et tous autres Juges et Officiers qu'il appartiendra, Salut. Notre cher et bienaimé AUGUSTIN COURBÉ 1 , Marchand Libraire de notre bonne ville de Paris, nous a fait remontrer qu’il aurait recouvré un Livre intitulé, Cyminde, ou les deux Victimes, Tragicomédie du Sieur COLLETET, Avocat en notre Privé Conseil, et en notre Cour de Parlement, Lequel il désirait faire imprimer, Requérant humblement nos Lettres à ce nécessaires. À ces causes désirant traiter favorablement ledit Exposant, Nous lui avons permis et permettons par ces présentes, d’imprimer, ou faire imprimer ledit Livre, par tels Imprimeurs que bon lui semblera, et iceux vendre, et exposer en vente durant cinq ans. Pendant lesquels nous avons fait, et faisons très exprès inhibitions et défenses à tous autres Libraires et Imprimeurs, de les faire imprimer, vendre ni débiter, sur peine de confiscation des exemplaires, et de trois mil livres d’amende, applicable un tiers à nous, un tiers à l’Hôtel-Dieu de Paris, et l’autre tiers à l’Exposant, dépens, dommages et intérêts. Et afin qu’ils n’en prétendent cause d’ignorance, Nous voulons qu’en mettant à la fin des exemplaires, autant des présentes, elles soient tenues pour signifiées. À la charge toutefois de met-[p. v]tre deux Exemplaires dudit Livre dans notre Bibliothèque publique, et un autre en celle de notre très cher et féal le S r SÉGUIER, Chevalier 1 Augustin Courbé entra en apprentissage chez Jean Gesselin le 11 juin 1613 et fut reçu maître le 5 octobre 1623. Thomas Joly lui succéda en 1663. « Depuis le milieu des années 1630 jusqu’au lendemain de la Fronde, au début des années 1650, Augustin Courbé, Toussaint Quinet et Antoine de Sommaville seront les trois grands éditeurs du théâtre, ne laissant que quelques miettes à des libraires plus occasionnels » (Alain Riffaud, « L’Édition du théâtre français au dix-septième siècle : 1630-1690 », Irish Journal of French Studies, 16 (2016) : 5-21, pp. 13-14). CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES 21 et Chancelier de France, à peine de nullité des présentes. Car tel est notre plaisir : nonobstant Clameur de Haro, Chartre Normande, et Lettres à ce contraires. Donné à Paris le 8. jour du mois d’Avril 1642. Et de notre règne le trente-deuxième. Par le Roi en son Conseil, LE BRUN. Achevé d’imprimer le 8. de May 1642. Les exemplaires ont été fournis, suivant le Privilège. Ledit Courbé a cédé la moitié de son dit Privilège à Antoine de Sommaville 2 , suivant l’accord fait entre eux. ________________________________________________ Fautes d’impression 3 . En la Tragi-comédie. Page 21. dont, lisez donc. P. 60. tani, lis. tant. P. 94. Après ces mots, Noble et juste courroux, mettez cette ponctuation : Dans les autres Poésies. Page 9. une oblique, lisez un oblique. P. 11. Dodonnne, lis. Dodonne. P. 30. Shcomberg, lis. Schomberg. 2 Antoine de Sommaville (1597-1664) fut reçu maître le 14 août 1620. Sa veuve lui succéda et exerça jusqu’en 1666 au moins. Son association avec Augustin Courbé fut de courte durée. « Augustin Courbé et Antoine de Sommaville vont même à partir du début des années 1640 s’associer pour publier ensemble tous les manuscrits dont ils auront l’un ou l’autre obtenu l’exclusivité. L’association ne dure cependant que quelques années, les deux libraires renouant avec leur dispute commerciale » (Riffaud, « L’Édition du théâtre français au dix-septième siècle : 1630-1690 », p. 14). 3 Les fautes d’impression identifiées dans le deuxième et le troisième paragraphe ne se rapportent pas à la pièce Cyminde, ou les deux victimes. Elles appartiennent plutôt aux Autres poésies de Mr Colletet, publiées à la suite de sa Cyminde. 22 CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES P. 34. Le sang dont je naquis, lis. Celui dont je naquis. En la même page, La Nymphe dont les mains, lis. Celle de qui les mains. En la page 29. le Sonnet qui commence, Nymphe qui rends les noms, doit être mis immédiatement devant celui de la page 35 : qui commence, Toi qui dès cette Porte. CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES 23 [p. vi] ACTEURS. ARBANES. Roi de Sarmacie. LISIDAS. Premier Prince du sang de Sarmacie. CYMINDE. Demoiselle d’Albanie, depuis peu femme de Lisidas. OSTANE. Prince de Sarmacie. CALIONTE. Seigneur Sarmacien. HÉSIONE. Femme d’honneur de Cyminde. SCYLE. Fille d’honneur de Cyminde. LICASTE. Bourgeois d’Astur. ÉRYMANT. Bourgeois d’Astur. ZORASTE. Grand Prêtre. DERBIS. Ministre du Temple. UN PAGE. Deux troupes de Bourgeois. ________________________________________________ La Scène est dans Astur, ville de la Sarmacie Asiatique 4 , sur les bords de la mer Caspie. 4 Dans la tragédie en prose, d’Aubignac est plus spécifique dans sa description du lieu de la pièce : « La Scène est en la ville d’Astur, sur la place entre le Palais et le temple, et qui regarde la mer ». La Sarmatie orientale s’étendait du Tanaïs au-delà de la Caspienne. La ville d’Astur est une invention. CYMINDE, OU LES DEUX VICTIMES, TRAGI-COMÉDIE. ACTE I. SCÈNE PREMIÈRE. CYMINDE 1 . HÉSIONE 2 . SCYLE 3 . CYMINDE. Que ton discours me donne une sensible atteinte ! Et que d’impatience accompagne ma crainte ! Dis ce que tu voudras, je ne puis m’empêcher De regarder ce Temple, et de m’an approcher. [p.2] HÉSIONE. 5 Vous pouviez au Palais attendre ces nouvelles. CYMINDE. Non, pour les prévenir mon Amour a des ailes ; Plus il m’approchera de ces funestes lieux, Et plus tôt je saurai la volonté des Dieux. HÉSIONE. Que craignez-vous Madame ? 1 Demoiselle d’Albanie, depuis peu femme du prince Lisidas. 2 Femme d’honneur de Cyminde. Dans sa pièce en prose, d’Aubignac nomme ce personnage Eryone. 3 Fille d’honneur de Cyminde. 26 CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES CYMINDE. En ce malheur extrême 10 Je crains tout. HÉSIONE. Hé pour qui ? CYMINDE. Je crains pour ce que j’aime. HÉSIONE. Quoique ce trait fatal fasse trembler chacun, Il en menace mille, et n’en touchera qu’un. [p. 3] CYMINDE. Je le crains d’autant plus, s’il est vrai qu’il égale La plus pauvre cabane à la Maison Royale, 15 Et qu’il soumette un Prince à cette injuste Loi 4 . HÉSIONE. Pas un n’en est exempt. CYMINDE. Pas un ? HÉSIONE. Hormis le Roi. Mais tout exempt qu’il est du mortel sacrifice, Il doit laisser agir la divine justice ; Et comme s’il cessait de régner à ce jour, 20 La Loi fait désarmer le Palais, et la Cour. 4 Il s’agit d’un tirage au sort par lequel une victime est choisie pour être sacrifiée à Neptune, sans distinguer le peuple et les princes. CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES 27 CYMINDE. Hé, t’étonnes-tu donc dans ce désordre extrême, Si je dis en pleurant, je crains pour ce que j’aime ? Il me semble déjà qu’on m’en vient séparer, Que le peuple abattu commence à respirer, 25 Que dessus nos lauriers j’ouïs gronder le tonnerre ; Et qu’à mon Lisidas 5 il dénonce la guerre. [p. 4] HÉSIONE. Espérez mieux du Ciel, il est juste, il est doux. CYMINDE. Il perd ces qualités, si je perds mon Époux. HÉSIONE. Il aime sa vertu. CYMINDE. Bien moins qu’il ne l’envie ; 30 Et sa vertu peut-être est fatale à sa vie. J’en frissonne, j’en tremble, et je ne puis celer . . . . . HÉSIONE. Ha, Madame, l’Amour vous fait craindre, et parler. Mais de quelque malheur dont votre cœur soupire, Lisidas est utile au bien de cet Empire ; 35 Et les Dieux vainement en auraient pris le soin, Si l’Empire perdait Lisidas au besoin. 5 Premier prince du sang de Sarmacie. Dans la pièce en prose, d’Aubignac nomme ce personnage Arincidas. Comme le remarque Lancaster, le nom choisi par Colletet, Lisidas, est plus facile à employer dans un alexandrin (Henry Carrington Lancaster, A History of French Dramatic Literature in the Seventeenth Century, t. II, vol. 1, p. 368). 28 CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES CYMINDE. Que ma crainte procède ou d’une amour trop grande, Ou du vif sentiment d’un mal que j’appréhende, [p. 5] Je me trouve réduite en telle extrémité, 40 Que jamais un esprit ne fut plus agité. Hésione après tout, n’est-il pas bien horrible Dans la confusion du ce danger visible, De voir le sang Royal au vil peuple égalé ? Et même de le voir pour le peuple immolé ? HÉSIONE. 45 Le Ciel le veut ainsi pour expier un crime 6 . CYMINDE. Donc que le criminel n’en est-il la victime ? Mais quel crime ? HÉSIONE. Sachez que notre impiété Anima contre nous une Divinité. CYMINDE. Comment ! ce sacrifice est-il pas volontaire ? HÉSIONE. 50 Non, non, l’ire des Dieux l’a rendu nécessaire. Et nos crimes ont mis nos malheurs à ce point, Que tous cruels qu’ils sont, ils ne finiront point. [p. 6] 6 Sur le rite expiatoire dans le contexte du sacrifice humain, voir l’ouvrage de R. Money-Kyrle, The Meaning of Sacrifice, New York, Johnson, 1965. CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES 29 CYMINDE. Les Scythes 7 , et comme eux nos peuples d’Albanie 8 S’immolent à l’Autel de leur propre génie ; 55 Et rien ne les oblige à s’immoler ainsi. HÉSIONE. C’est un Zèle chez eux, mais un devoir ici. CYMINDE. Je n’avais rien encore appris de ce mystère ; Si tu ne m’eusses dit . . . HÉSIONE. Ce que je devais taire 9 . CYMINDE. Que les Princes étaient en danger du trépas, 60 Loin de m’en tourmenter je n’y songerais pas. Mais puisque cette terre est ta terre natale, Que tu sais de ces lieux la coutume fatale, Instruis une Étrangère aux Lois de ton pays ; Dis-moi tout, Hésione, ou bien tu me trahis. HÉSIONE. 65 Vous ai-je pas d’abord de nos maux avertie ? [p. 7] CYMINDE. Oui, mais dis m’en la suite. 7 Ensemble de peuples nomades de l’Antiquité, d’origine iranienne. La Scythie fut située dans les steppes au nord de la mer Noire. 8 L’Albanie fut située dans la péninsule balkanique et fut peuplée par les Grecs à partir du septième siècle avant notre ère. Elle appartint aux royaumes d’Épire et de Macédoine et ensuite à l’Empire romain. 9 C’est le premier des six apartés de la pièce. Voir les vers 67, 403, 590, 1376 et 1401. Bas. 30 CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES HÉSIONE. Il est vrai qu’en Scythie Bas. Et qu’en votre pays. Mais lui dois-je conter Ce qui peut de l’horreur à sa crainte ajouter ? CYMINDE. Élève un peu ta voix, et fais que ta parole 70 Comme elle a fait mon mal, le flatte, et me console. HÉSIONE. Il est vrai que le Scythe ainsi que l’Albanie, Que le Coracien 10 , que tous les peuples froids Versent le sang humain dedans leurs sacrifices, Et que ce même sang fait part de leurs délices. 75 Nous l’épandons aussi, mais bien diversement. Ceux-là n’y sont portés, que d’un pur mouvement De rendre grâce au Ciel de leur bonne fortune, Et nous pour apaiser le courroux de Neptune 11 , Qui venge encor 12 sur nous le blasphème odieux, 80 Que dans un désespoir commirent nos aïeux. Mais que sert le récit d’une telle disgrâce, Qu’à redoubler un mal dont la suite nous lasse ? [p. 8] CYMINDE. Le mal est adouci quand il est découvert. Et le Temple aussi bien n’est pas encore ouvert. HÉSIONE. 85 Attendant que l’on l’ouvre, oyez donc une Histoire, Et fâcheuse à conter, et difficile à croire. Un jour, mais jour fatal, jour trois fois malheureux 10 L’île de Coracie est une invention. 11 Dieu romain des mers et du règne aquatique. 12 Nous avons gardé la forme ancienne de l’adverbe, « encor », en raison de versification. CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES 31 Que pour le bien de tous chacun faisait des vœux, Qu’on ne pensait à rien qu’à célébrer la fête 90 Du Dieu qui donne aux eaux le calme, ou la tempête 13 ; Je ne sais quel Démon, roulant dessus la mer Irrite tout à coup les vagues contre l’air ; Un tourbillon de vent perce le sein de l’onde, Sous ce puissant effort elle s’enfle, elle gronde ; 95 Et pourtant jusqu’au Ciel les flots impétueux, Met un seul Élément en la place de deux. Soi-même elle se choque, et dans sa rage extrême Comme pour se venger du vent contre elle-même, Elle fuit le tribut que toute onde lui rend, 100 Ou ne le reçoit plus, sinon en murmurant. Puis opposant ses flots à la rapide course Du Volge 14 qui pour elle abandonne sa source, Ce liquide rempart tient ce fleuve arrêté, Lui dont les eaux couraient d’un pas précipité. [p. 9] CYMINDE. 105 Tu me dis, Hésione, un étrange spectacle. Mais encore en quel temps arriva ce miracle ? 15 HÉSIONE. Madame, un siècle entier s’est écoulé depuis ; Mais ce siècle a produit mille siècles d’ennuis. Car ce Fleuve s’enflant, et passant les limites 110 Qu’à son vaste canal la Nature a 16 prescrites, 13 À l’époque d’Auguste, la fête de Neptune fut célébrée le 23 juillet. 14 Nous avons décidé de ne pas remplacer « Du Volge » par « De la Volga » en raison de la versification. 15 Colletet coupe la narration d’Hésione en y introduisant quelques paroles de la part de Cyminde. D’Aubignac utilise la même technique dans sa pièce en prose, lui permettant de respecter sa règle concernant la longueur des narrations. Voir La Pratique du théâtre, éd. Hélène Baby, Paris, Champion, 2001 ; réimpr. 2011, p. 416. 16 Nous avons remplacé « à » par « a ». 32 CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES Las d’avoir retenu ses flots emprisonnés Lâche bientôt la bride à ses flots mutinés ; Et ravageant par eux la campagne, et la ville, Ne fait plus qu’un étang de ce qui fut une Île. CYMINDE. 115 Hélas ! comme ces eaux mon cœur est agité. Mais que devient le peuple en cette extrémité ? HÉSIONE. Lui pour se garantir de ce nouveau déluge Sur les Monts les plus hauts, va chercher son refuge ; Et pour fuir la mort, il se sauve en des lieux 120 Où souvent la fait voir la colère des Dieux. Sur ces affreux sommets tout ce qu’il considère N’est qu’un tableau vivant d’horreur et de misère. [p. 10] Il voit flotter sur l’eau pêle-mêle assemblés Des coteaux vagabonds de pampres et de blés ; 125 Il voit le laboureur suivre à perte d’haleine Le trésor fugitif de sa moisson prochaine ; Il voit le vigneron sur des tertres 17 voisins Perdre avec désespoir sa peine et ses raisins ; Et les voyant tomber dans ce commun naufrage, 130 Il voit périr ensemble et l’ouvrier, et l’ouvrage. Mais Dieux ! c’est là qu’il voit avec étonnement Cent cabanes voguer sur ce vaste Élément ; Le souffle impérieux dont chacune est régie D’abord les eut fait croire un effet de Magie, 135 Si leurs combles brisés, et leurs flancs entr’ouverts, N’eussent chargé ces flots de mille corps divers. C’était pitié de voir des familles pleurantes Choir avec le débris de ces masses errantes, Trouver dans leurs maisons un mobile tombeau, 140 Ou pour fuir la mort, la rencontrer dans l’eau. 17 Petites élévations de terre à sommet plat. CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES 33 CYMINDE. En effet ce malheur était bien déplorable. HÉSIONE. La suite vous dira qu’il fut incomparable. C’était horreur de voir dans ces gouffres cruels De ces corps périssant les devoirs mutuels ; [p. 11] 145 Le père veut sauver son Enfant qui s’engage, L’Enfant veut garantir son père du naufrage, La Mère veut sauver sa fille ou son Époux ; Mais en vain, car un flot les enveloppe tous ; Et quoique chacun face en ce danger extrême, 150 Loin d’en tirer un autre, il y tombe lui-même. Ceux qui les contemplaient de ces rochers affreux Semblaient être changés en des rochers comme eux. CYMINDE. Leur cœur à ces objets était-il insensible ? HÉSIONE. Non, parmi tant de maux il serait impossible. 155 C’est que l’horreur de voir tant de monde périr, Sans lui pouvoir parler et sans le secourir, D’une telle pâleur avait peint leur visage, Qu’ils semblaient la mort même, ou du moins son image. Ils n’osaient respirer au fort de ces malheurs, 160 Exhaler des soupirs, ni répandre des pleurs ; Tant ils appréhendaient de passer pour complices Des sévères Auteurs de ces cruels supplices ; Las ! comme si leurs pleurs, et leurs soupirs mouvants, Eussent accru l’effort des ondes et des vents. [p. 12] CYMINDE. 165 Vit-on jamais d’objet si triste, et si funeste ? 34 CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES HÉSIONE. Que ne direz-vous point quand vous saurez le reste ? CYMINDE. Je me prépare à tout, poursuivez seulement 18 . HÉSIONE. On voit durer trois jours ce fier débordement ; Puis Neptune s’apaise, et ses vagues débites 170 Rentrent avecque 19 lui dans leurs premiers limites ; Notre fleuve retourne en son lit de repos, Par le même chemin qu’avaient marqué ses flots. L’œil découvre aussitôt la terre au lieu de l’onde, Et ce nouvel objet lui semble un nouveau monde ; 175 Mais un monde souillé des traces du Démon Qui lui couvre le sein de vase 20 et de limon 21 . Une gluante humeur du Soleil échauffée Épand une vapeur tellement étouffée, Que la terre, et le Ciel perdant leur pureté 180 Perdent leur abondance, et leur sérénité. De mille corps noyés l’horrible pouriture De ses traits pestilents infecte la Nature, [p. 13] Et rend l’air si funeste, et si contagieux Qu’il ajoute à nos maux des maux prodigieux, 185 Puisqu’il persécuta douze Lunes entières Et le peuple, et les Grands en diverses manières. Chacun d’eux en murmure, et chacun se résout ; Cruel aveuglement ! à vouloir perdre tout. Car au lieu de chômer la fête de Neptune, 18 Voir supra la note 15. 19 Ce mot a trois syllabes en poésie. « Il n’est plus en usage qu’en Poésie, où même il vieillit » (Le Dictionnaire de l’Académie française, 4 e édition, 2 volumes, Paris, Brunet, 1762, t. I). 20 Bourbe qui est au fond de la mer, des fleuves et des eaux stagnantes. 21 Terre ou fines particules, entraînées par les eaux et déposées sur le lit et les rives des fleuves. CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES 35 190 D’implorer ses faveurs dedans leur infortune, D’en divertir le cours par prières, par vœux, Ils nommèrent ce jour, et ce Dieu malheureux, Brisèrent les Autels des Déités suprêmes, Et changèrent leur zèle, et leur culte en blasphèmes. CYMINDE. 195 Ah quelle impiété ! HÉSIONE. Qui leur coûta bien cher. Hélas ! ce fut un trait qui tua son archer. CYMINDE. Que je prévois de maux ! SCYLE. Madame, il faut bien croire, Que les Dieux dans le Ciel sont jaloux de leur gloire. [p. 14] HÉSIONE. Ce mépris général des Dieux, et des Autels, 200 Épuisa dessus nous l’ire des Immortels ; La Peste qui cessait, s’allume davantage. Il semble qu’au courroux elle ajoute la rage. Elle n’était d’abord qu’un naturel effet, Mais alors elle venge un insigne forfait. 205 Tout remède défaut à ce malheur funeste, Il n’est rien qui ne donne, ou ne prenne la peste. La Terre qui gémit sous ces aspres chaleurs, L’inspire dedans l’air, la communique aux fleurs ; Toute plante est ciguë 22 , et la rose nouvelle 210 Fait de son doux parfum une poison mortelle. Les fontaines d’eau vive, et les petits ruisseaux 22 Plante des chemins et des décombres, très toxique. 36 CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES Font un lac empesté de leurs plus saines eaux. Ainsi, tout Animal qui maintient notre vie, Dès qu’il mange ou qu’il boit, Sent la sienne ravie ; 215 Ou du moins il reçoit d’un insensible effort Un air qui le corrompt pour nous donner la mort. Enfin tout se détruit. CYMINDE. Ô déplorable perte ! [p. 15] HÉSIONE. Des corps morts, ou mourants, la campagne est couverte ; Et tant d’infection s’exhale de leur chair, 220 Que cette odeur fait pis que la flamme et le fer ; Ils lancent du trépas les traits inévitables, Lorsque de les sentir ils ne sont plus capables. Et parmi tant de maux que l’Art ne peut guérir, On voit ou que tout meurt, ou que tout fait mourir. 225 Cet air passe bientôt des champs jusqu’à la ville ; Astur en fait au Ciel une plainte inutile ; Les peuples vont au Temple où le plus sain d’entr’eux Voit la fin de ses jours au milieu de ses vœux ; Le Sacrificateur sous le mal qui l’opprime 230 Sent le coup de la mort, plutôt que la victime. CYMINDE. Que devient donc Astur ? HÉSIONE. Un lieu triste et désert ; Perdant ses habitants tout son lustre se perd. Ceux qui restent pourtant, dedans cette infortune S’efforcent d’adoucir le courroux 23 de Neptune ; 235 Consultent leur devoir, et son oracle aussi. 23 Nous avons remplacé « couroux » par « courroux ». CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES 37 [p. 16] CYMINDE. Que répondit l’Oracle ? HÉSIONE. Il répondit ainsi. Pour apaiser les maux qui troublent ces Provinces 24 , Je veux qu’également un du Peuple, ou des Princes, S’abandonne pour tous, ou par zèle, ou par Sort ; 240 Qu’une fois, en trois ans, on m’offre une Victime, Pour expier un crime, Qui mérite la mort. Et cette ordonnance équitable Doit être irrévocable, 245 Si le crime, et le zèle un jour, Ne me font refuser deux victimes d’Amour 25 . CYMINDE. Les Dieux ont peu de soin de l’Empire où nous sommes, S’ils font si peu d’état de la perte des hommes. HÉSIONE. Encor que cet Arrêt ne soit pas des plus doux, 250 Madame, avec plaisir il est reçu de tous. Chacun connaît alors d’où le malheur procède ; Et comme on sent le mal, on en sait le remède. [p. 17] C’est à qui pour l’État s’immolera d’abord ; Orcas 26 est le premier qui s’expose à la mort, 255 C’est le premier aussi dont le nom s’éternise ; Le grand Prêtre l’embrasse, exalte sa franchise, 24 L’édition originale présente tous les vers de la pièces en italique, à l’exception de la réponse de l’oracle. Notre édition fait le contraire. 25 Les mots « deux victimes d’Amour », qui sont en italique dans l’édition originale, sont donc en caractères romains dans notre édition. 26 Il ne s’agit pas d’un personnage historique. D’Aubignac l’appelle Dorcas dans sa pièce en prose. 38 CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES Le couronne de fleurs dont il parfume l’air, Le conduit par la main sur le bord de la mer, Le met dans un vaisseau, seul, sans voile, sans rame, 260 Et l’abandonne au Dieu que le peuple réclame. Soudain la mer s’émeut, puis un abîme d’eau Ensevelit ensemble Orcas et le vaisseau. CYMINDE. Sacrifice cruel ! HÉSIONE. Mais plutôt salutaire, Puisqu’il fléchit un Dieu qui nous était contraire. 265 La peste cesse à coup ; et malgré ce poison La terre doit au ciel l’heur 27 de sa guérison. Tout l’air se purifie, et le peuple en envoie Jusques 28 au firmament des Cantiques de joie. Pendant que ces malheurs sont encore cuisants, 270 Cent hommes au lieu d’un s’offrent tous les trois ans. Mais comme enfin le temps efface la mémoire De la honte passée, ainsi que de la gloire, Chacun se refroidit, nul ne s’offre à la mort, [p. 18] CYMINDE. Et le tribut ! HÉSIONE. Pour lui l’on a recours au sort ; 275 Et l’on fait aujourd’hui cette cérémonie. CYMINDE. Qui mérite plutôt le nom de tyrannie. 27 Bonne fortune. 28 Autrefois, on écrivait « jusques » avec un « s » devant une voyelle. En vers, la graphie donne une syllabe de plus. CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES 39 HÉSIONE. Le peuple est assemblé sur ce fait important ; Et l’esquif sur la mer, une victime attend. Ainsi . . . CYMINDE. Mais las ! dis-moi, cet effroyable abîme 280 N’a-t-il jamais encore épargné de victime ? HÉSIONE. Non Madame, et combien que les flots Caspiens 29 Soient ceints de toutes parts de ports, de Citoyens, On n’a ni vu, ni su, que pas une victime Ait trouvé son salut dans ce mortel abîme. [p. 19] 285 Il est bien vrai que ceux, dont la haute valeur, Et dont le sang illustre . . . . . ⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸ SCÈNE II. LICASTE 30 . CYMINDE. HÉSIONE. SCYLE. LICASTE. Ô disgrâce ! Ô malheur ! HÉSIONE. Mais quelqu’un sort du Temple. CYMINDE. Et ce triste visage Est encor de mes maux un sinistre présage. 29 La Caspienne est la plus vaste mer fermée du monde, ses côtes touchant l’Iran et quelques pays de l’ex-Unions soviétique. 30 Bourgeois d’Astur. 40 CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES LICASTE. Riche, et pompeuse Astur, ton Empire est à bas, 290 Puisque ton Protecteur va souffrir le trépas. [p. 20] CYMINDE. Mon Ami, quel transport vous trouble, et vous agite ? Ah je tremble ! LICASTE. Madame ! CYMINDE. Hé bien ? LICASTE. Las ! CYMINDE. Parlez vite. LICASTE. Dirai-je ? CYMINDE. Dites tout. LICASTE. Dirai-je devant vous, Qu’il faut que Lisidas soit immolé pour nous ? [p. 21] CYMINDE. 295 Lisidas ! LICASTE. Lisidas. CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES 41 Le Roi sortant du Temple. CYMINDE. Ô fatale tempête ! LICASTE. Le sort, de race en race est tombé sur sa tête. CYMINDE. Dieux ! qu’est-ce que j’entends ? Ah Scyle que ma peur N’était pas de mes maux un augure trompeur ! Donc le salut public ma ruine conspire ! 300 Donc 31 je perdrai celui par qui seul je respire ! Terre ouvre-moi ton sein, devant que la douleur Invente pour me perdre un plus sanglant malheur. Mais las ! Scyle, je perds la force et la parole ; Soutiens ce faible corps de qui l’esprit s’envole. HÉSIONE. 305 Rappelez cet esprit. [p. 22] SCYLE. Dissipez cet effroi. Contraignez-vous, Madame, au moins devant le Roi. ⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸ SCÈNE III. LE ROI 32 . LISIDAS. CYMINDE. SCYLE. HÉSIONE. LICASTE. LE ROI. Non, suivez-nous. 31 Nous avons remplacé « Dont » par « Donc ». Cette coquille est signalée dans la section « Fautes d’impression » de l’édition originale. Voir la page 21 de notre édition. 32 Arbanes, roi de Sarmacie. 42 CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES Le Roi parle à ses gardes. LISIDAS. s Quitterai-je l’Autel quand il faut que je meure ? LE ROI. Amenez-le . . . . [p. 23] LISIDAS. Bons Dieux ! LE ROI. Je veux voir à ce jour 310 Jusqu’où peuvent aller la Douleur, et l’Amour. Voici déjà Cyminde. SCYLE. Oui, le Roi sort du Temple. Il vient, et Lisidas le suit et vous contemple. CYMINDE. Amour, ouvre mes yeux, ressuscite ma voix ; Fais-moi voir et parler pour la dernière fois. 315 Sire . . . . LE ROI. Parlez Madame ; en l’état où vous êtes On trahit ses douleurs quand on les tient secrètes. LISIDAS. Cyminde . . . CYMINDE. Hé bien ! faut-il me séparer de vous, Et rompre un nouveau nœud qu’Hymen rendait si doux ? [p. 24] Cette haute vertu qui vous comble de gloire, CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES 43 320 Ne vivra-t-elle plus que dans notre mémoire ? Ce beau feu qui pour moi ne devait point finir, N’éclatera-t-il plus que dans mon souvenir ? Et pour tuer ce Dieu qui ne fait que de naître, Prince, mon cher Époux, cesserez-vous de l’être ? 325 Mais qui réclamerai-je en l’état où je suis ? Grand Roy, n’êtes-vous point touché de mes ennuis ? Que ne dispensiez-vous de cette loi cruelle Un Prince si vaillant, un Prince si fidèle ? Et que m’exemptiez-vous du destin de l’État, 330 Un qui de l’État même a relevé l’éclat, Mais las ! contre le Ciel votre puissance est vaine. C’est de vous, ô grands Dieux, que procède ma peine ; Immortels ennemis du repos des mortels, Ayez plus de bonté vous aurez plus d’Autels ; 335 Invisibles Auteurs de ces maux effroyables, Pouvez-vous être Dieux sans être pitoyables ? Ô sacrifice impie ! ô déplorable mort ! Faut-il que la vertu soit l’esclave du sort ? LISIDAS. Pour ne point ressentir la douleur qui la touche, 340 Que ne suis-je un rocher ? que ne suis-je une souche ? Dieux, qui voyez ses maux, ou venez les guérir, Ou redoublez les miens pour me faire mourir. [p. 25] CYMINDE. Que me sert maintenant le titre de Princesse, Qu’à faire d’autant plus éclater ma tristesse ? 345 Ah ! que ne suis-je encore en l’état où j’étois 33 , Devant que votre amour m’eut approché des Rois ! Mon rang il est bien vrai paraîtrait moins illustre, 33 Nous avons décidé de garder la forme vieillie, « j’étois », en raison de la rime. 44 CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES Mais aussi mes malheurs n’auraient pas tant de lustre 34 . LE ROI. C’est un arrêt du sort. CYMINDE. N’y consentez-vous pas, 350 Grand Roi, si vous souffrez qu’on m’ôte Lisidas ? Mais commandez plutôt qu’on m’ôte la lumière, Que cette heure qui court soit mon heure dernière, Qu’on me perce le sein de flèches et de dars, Qu’on m’arrache le cœur, qu’on le coupe en deux parts, 355 Ces outrages sanglants, et ces cruels supplices, Au prix de mes douleurs me seront des délices. Oui, Sire, Lisidas m’est plus cher que mon cœur ; Par lui je vis contente, ou je meurs en langueur ; Et l’agréable nœud de notre amour extrême 360 M’attache plus à lui, que mon cœur à moi-même. [p. 26] L’Amour qu’il eut pour moi fit naître mon amour, Sa grâce et sa vertu l’augmentent à leur tour ; Et devant que la mer en éteigne la flamme, Astur verra ce corps séparé de son Âme. ⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸ SCÈNE IV. OSTANE 35 . CYMINDE. LE ROI. LISIDAS. HÉSIONE. SCYLE. LICASTE. OSTANE. 365 Sire, tous vos sujets s’échapperont bientôt ; 34 Cyminde vient d’une famille de noblesse mineure. Elle est maintenant princesse de Carymbe où elle et son mari sont souverains, titre qui leur fut accordé par le roi. 35 Prince de Sarmacie. CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES 45 Ils se plaignent de vous, et murmurent tout haut De quoi vous emmenez cette noble victime Dont Neptune a fait choix pour expier un crime. CYMINDE. Traître ! 36 OSTANE. Le souvenir des antiques malheurs, 370 Le salut de l’État, vos intérêts, les leurs, [p. 27] M’excusent envers vous si je vous importune De leur abandonner le tribut de Neptune. LE ROI. Je sais ce qu’il leur faut, et je connais mieux qu’eux. CYMINDE. N’était-ce point assez, ennemi de mes vœux 37 , 375 De m’avoir découvert jusques dans l’Albanie Ton ardeur insolente, ou plutôt ta manie ? D’avoir fait différer notre Hymen bienheureux, Sans t’efforcer encor d’en dissoudre les nœuds ? Si louant Lisidas et sa race Royale, 380 Tu méprisais la mienne à la sienne inégale 38 ; Pourquoi, Prince cruel, pourquoi violes-tu Ce beau Temple vivant d’Amour, et de Vertu ? Et ne perdras-tu point cette fureur extrême, Qu’après avoir perdu ce que j’aime, et qui m’aime ? 36 Cyminde semble soupçonner Ostane d’un acte criminel à cause de la jalousie de ce dernier envers Lisidas. 37 Cyminde s’adresse à Ostane, et non pas au roi. 38 Nous apprenons plus tard dans la pièce qu’Ostane voulait épouser Cyminde, mais qu’il ne le fit pas parce qu’elle n’était pas princesse. 46 CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES LE ROI. 385 L’ardeur que vous feignez pour le bien de l’État, Ne serait donc ainsi qu’un visible attentat ? 39 OSTANE. Le peuple . . . . [p. 28] LE ROI. Hé bien, le peuple ! il m’émeut, il me presse, Mais que ne peuvent point les pleurs d’une Princesse ? Véritables enfants de ses chastes Amours, 390 Ô pleurs ! si je n’ai pas arrêté votre cours, C’était pour faire voir à ce cœur magnanime Les tendres sentiments d’une amour légitime. Mais cessez de couler, car je veux aujourd’hui Voir mon peuple en repos, et Cyminde hors d’ennui. 395 N’en doutez point, Madame. CYMINDE. Ô Monarque propice ! OSTANE. Sire, il faut, que l’État, ou ce Prince périsse. CYMINDE. Tigre ! LISIDAS. Hé sauvez l’État 40 . 39 Le roi s’adresse à Ostane, et non pas à Cyminde. 40 Pour des raisons d’honneur, Lisidas veut mourir. Ironiquement, il se retrouve allié à Ostane à cet égard. CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES 47 LE ROI. Je vous sauve tous deux. Quoique l’Arrêt du sort semble si rigoureux, [p. 29] Pourtant une victime, et franche, et volontaire, 400 Peut racheter ce Prince, et les Dieux satisfaire 41 . Vous le savez Ostane ; et je sais bien aussi Qu’on ne manquera pas de victimes ici. CYMINDE. Mon cœur s’enfle d’espoir. OSTANE. Le mien tremble de crainte. LISIDAS. Sire, le sort m’appelle, et je m’offre sans feinte ; 405 Souffrez ce que les Dieux ont ordonné de moi. CYMINDE. Vous résistez aux Dieux, en résistant au Roi. LE ROI. Si pour sauver les Grands de ces dangers extrêmes, Des esclaves Zélés, des hommes libres mêmes, Ont fait gloire autrefois de courir au trépas, 410 Pour vous en garantir que ne fera-t-on pas ? Si vos soins ont sauvé l’honneur de mon Empire, Si par votre valeur tout mon peuple respire, Quelqu’un de mes sujets se tiendra bienheureux, De faire autant pour vous, que vous fîtes pour eux 42 . 41 Dans le monde antique, ces « volontaires » étaient souvent des esclaves. À Athènes, des esclaves furent maintenus aux frais de l’État pour être sacrifiés quand un malheur arrivait à la ville. Voir l’ouvrage d’Edwin Oliver James, Sacrifice and Sacrament, New York, Barnes and Noble, 1962, p. 98. 42 Le roi veut sauver Lisidas puisque celui-ci fit preuve de nombreux actes de courage dans le passé pour protéger le royaume. Il parle à Lisidas. Bas. Il se tourne vers Ostane. 48 CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES [p. 30] 415 Ostane, dites-leur ma volonté suprême, Qu’ils gardent le respect, et gardez-le vous-même. CYMINDE. Mais, Sire, n’est-ce point pour flatter ma douleur ? LE ROI. Non, c’est pour la détruire, et sauver la valeur. Vous en verrez l’effet ; consolez-vous, Madame. LISIDAS. 420 Dans ces extrémités que fera donc mon Âme ? Ô soins prodigieux des bontés de mon Roi ! Ô nobles sentiments que Cyminde a 43 pour moi ! Ô murmure du peuple ! ô courroux de Neptune ! Partagez entre vous ma vie et ma fortune. 425 Dures nécessités de l’Amour, et du sort, Je serai satisfait si vous êtes d’accord. LE ROI. C’est assez, suivez-moi, vous et cette Princesse. OSTANE. Que ma flamme est aveugle ! et que j’ai peu d’adresse ! 44 J’aime cette Beauté ; cependant à ses yeux 430 Je parle d’immoler ce qu’elle aime le mieux. [p. 31] Qu’Amour est un Enfant sans raison sans conduite ! Et qu’il change en enfants les hommes de sa suite ! Enfin que m’ont servi mes peines et mes pas, Si les grands peuvent être affranchis du trépas, 43 Nous avons remplacé « à » par « a ». 44 Ce discours de la part d’Ostane constitue un monologue, les autres personnages ayant quitté la scène. Colletet néglige d’utiliser la didascalie « seul » pour indiquer qu’il s’agit d’un discours d’un seul personnage. Le premier acte de la pièce en prose de d’Aubignac se termine aussi par un monologue de la part d’Ostane. CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES 49 435 Quand le moindre mortel par zèle ou par caprice, S’abandonne pour eux aux lois du sacrifice ? Lisidas, c’est ainsi que tu crois éviter Le gouffre où je tâchais de te précipiter. Mais ne demeurons point en des routes si belles. 440 Esprit, qui m’inspiras tant de ruses mortelles ; Vengeance, jalousie, ardentes passions, Faites sentir l’effet de vos impressions. Empêchons par présents, d’effet, ou de parole, Qu’au lieu de Lisidas quelqu’autre ne s’immole 45 ; 445 Et montrons que pour perdre un puissant ennemi, On ne doit rien tenter, ni rien faire à demi 46 . Fin du premier Acte. 45 Ostane fera tout pour assurer la mort de Lisidas, y compris la corruption et les menaces, afin de convaincre les gens de ne pas se porter volontaires pour être la victime sacrificielle. 46 C’est le premier des trois monologues prononcés par Ostane dans lesquels le personnage révèle son rôle dans le complot pour supprimer Lisidas. Le deuxième monologue se trouve à la fin du deuxième acte, et le troisième au commencement du cinquième acte. 50 CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES [p. 32] ACTE II. SCÈNE PREMIÈRE. LE ROI. LISIDAS en habit déguisé 47 . LE ROI. Quoique vous me disiez, je ne souffrirai pas Que ce zèle obstiné vous conduise au trépas. LISIDAS. Grand Roi, mourir ainsi, c’est marque de courage. LE ROI. 450 Oui, mais pour des ingrats, c’est un effet de rage. [p. 41=33] Et bien que vous ayez votre vie à mépris, Je la veux conserver puisque j’en sais le prix. Peuple dénaturé, de qui l’ingratitude Ne met dans le désordre et dans l’inquiétude, 455 Que ton soin répond mal aux désirs de ton Roi ! Et que tu parais froid à qui brûle pour toi ! Donques 48 le cri public épandu par la ville, Dans le Temple, au Palais, par tous les coins de l’Île, Le désir d’obtenir les titres éclatants 460 De Père du pays, et de Héros du temps, D’avoir une Statue au Temple de la gloire, De vivre après la mort dedans notre mémoire, N’obligera pas un de s’offrir aujourd’hui Pour un Prince que j’aime, et qui fut ton appui ! 465 Ô peuple ! si c’est trop pour un Prince que j’aime, Offre-toi pour l’État, offre-toi pour toi-même ; 47 Dans la pièce en prose de d’Aubignac, Arincidas n’est pas déguisé. 48 Nous avons remplacé « doncques » par « donques ». Le Dictionnaire de l’Académie française (2 volumes, Paris, Coignard, 1694) nous dit : « DONC, ou Donques, particule qui sert à marquer la conclusion d' un raisonnement » (t. I). CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES 51 Je n’y saurais penser que je n’entre en fureur, Et mes propres sujets, me sont sujets d’horreur. LISIDAS. Sire, excusez ce peuple, il ne fait point de crime, 470 Ou s’il en fait quelqu’un, que j’en sois la victime. LE ROI. C’est avoir trop d’Amour pour ceux qui n’en ont point. Ha que le sort des grands est injuste en ce point ! [p. 42=34] Ils protègent le Peuple, et pendant qu’il sommeille Aussi bien que leurs yeux, leur esprit toujours veille ; 475 Pour donner du repos à ce bas Élément Ils imitent des Cieux l’éternel mouvement ; Et comme ces flambeaux que les hommes allument Pour éclairer le monde, eux-mêmes se consument, Ils prodiguent leur sang pour épargner le sien, 480 Ils embrassent le mal qui lui cause du bien ; Et pour dire en un mot, toujours, en toutes choses, Les Grands n’ont que l’épine, et le peuple a les roses. Après tous ces travaux ont-ils besoin de lui, Il dédaigne, l’ingrat, d’appuyer son appui. 485 Leur solide vertu, leurs peines véritables Ne lui paraissent plus que Romans, et que Fables ; Il croit, comme pour lui, leur cœur doit tout tenter, Qu’il n’est rien que leur bras ne doive exécuter, Et qu’un vain compliment, ou qu’un léger hommage 490 Ne paie encor que trop leur peine et leur courage. Que vous sert donc d’avoir tant de Princes soumis ? D’avoir fait des vassaux de nos vieux ennemis ? D’avoir, comme un Héros que la valeur excite, Repoussé de nos murs le Tartare, et le Scythe ? 49 495 D’avoir tourné contre eux leurs funestes projets, 49 « Tartare » est un terme regroupant les peuples turco-mongols. Sur les Scythes, voir supra la note 7. 52 CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES Et dessus ces Tyrans fait régner mes sujets ? Bref d’avoir mille fois sollicité mes grâces Pour des cœurs si rampants, et des âmes si basses ? [p. 43=35] Si de tant de mortels qui respirent par vous 500 Je n’en vois point qui s’offre, ou pour vous, ou pour nous ? Qui destinant sa vie à racheter la vôtre Hasarde son repos pour assurer le nôtre ? Refuser à 50 celui qui nous a conservés Un homme seulement pour tant d’hommes sauvés ! 505 Refuser une femme, ô barbares infâmes ! À celui qui sauva l’honneur de tant de femmes ! Refuser un enfant à ce cœur généreux Qui sauva tant d’Enfants, et prévint tant de vœux ! Peuple, enfin refuser un esclave à ton Maître ! 510 Un esclave à celui qui t’empêche de l’être ! Ah ! c’est un crime digne et des feux, et des fers Que pour venger les Dieux ont forgé les Enfers. LISIDAS. Sire, c’est trop pour moi ; votre bonté suprême Étonne votre peuple, et m’étonne moi-même. 515 Ah ! que mes plus grands soins, et mes travaux passés D’un si noble courroux sont bien récompensés ! De vos ressentiments mon âme est plus ravie, Que si tous vos sujets m’abandonnaient leur vie ; Votre peuple . . . . . LE ROI. Ah l’ingrat ! [p. 44=36] LISIDAS. Tout ingrat qu’il paraît, 520 Son procédé m’oblige, et son refus me plaît ; Puisqu’en vous opposant à son humeur ingrate, 50 Nous avons remplacé « a » par « à ». CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES 53 Votre amitié pour moi publiquement éclate. Destins, j’ai trop vécu, puisqu’un tel potentat Égale mon salut au bien de son État. LE ROI. 525 Mais pour mieux exprimer ce que je ne puis taire, Dites qu’à mon État 51 Lisidas je préfère. Aussi, loin de souffrir que je vous perde ainsi, Je souffrirai plutôt que tout se perde ici. Oui, que le Volge 52 s’enfle, et suspende sa course, 530 Que pour nous abîmer il retourne à sa source, Que la mer dans Astur fasse un dernier effort, Que l’horreur y revienne, et la peste, et la mort, Que pour tout foudroyer les Dieux prennent les armes, Je verrai tout périr sans répandre des larmes ; 535 Et loin de les blâmer d’un excès de courroux, Je leur reprocherai de nous être trop doux 53 . Enfin pour dissiper l’ennui qui m’importune, Je veux une victime, aussi bien que Neptune. [p. 45=37] LISIDAS. Ha, Sire, la voilà. LE ROI. Non, brave Lisidas ; 540 J’en veux une du peuple, ou bien je n’en veux pas. LISIDAS. S’il ne se peut résoudre à la mort volontaire, C’est faiblesse, et non pas désir de vous déplaire ; Il ne sait pas le prix d’un trépas glorieux, 51 Nous avons mis la première lettre du mot « état » en majuscule. 52 Voir supra la note 14. 53 Le roi fait preuve d’un amour absolu pour Lisidas, préférant perdre son royaume plutôt que de permettre la mort du prince. 54 CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES La vie est le seul bien qu’il croit tenir des Dieux ; 545 C’est l’unique trésor dont il se passionne, Et c’est bien malgré lui s’il faut qu’il l’abandonne 54 . LE ROI. Mais qu’elle soit ou non, un précieux trésor, Theon l’abandonna pour son maître Alcidor 55 ; La jeune Alsinoé la perdit pour Acate 56 , 550 Qui sauva son honneur des efforts d’un Pirate ; Leurs images aussi décorent nos Autels ; L’Histoire parle encor de leurs faits immortels ; La Mort eut-elle alors un front plus agréable ? Et mon peuple est-il moins à vos soins redevable ? [p. 46=38] LISIDAS. 555 Si ce cœur, et ce bras ont agi pour son bien, Ils ont fait leur devoir. LE ROI. Que ne fait-il le sien ? Vous l’avez secouru, qu’il vous soit secourable. LISIDAS. Souffrez qu’encore un coup il me soit redevable ; Et qu’ayant diverti des hommes furieux, 560 Je divertisse encor la colère des Dieux. LE ROI. Quoi ? vous cherchez la mort ! 54 Lisidas fait preuve de plus d’empathie que le roi envers le peuple. Arbanes parle de ses sujets avec mépris, les qualifiant d’ingrats et d’égoïstes. 55 Il est nommé Andronyme dans la pièce en prose de d’Aubignac. 56 Dans sa pièce, d’Aubignac les nomme Barcyne et Clymonte. Il ne s’agit pas de personnages historiques. CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES 55 LISIDAS. Je l’ai cent fois cherchée Au sein des bataillons où je la 57 crus cachée ; Vous-même en m’exposant au péril des combats, M’avez-vous pas cent fois fait chercher le trépas ? LE ROI. 565 Lorsque dans ces dangers, Prince, je vous engage, C’est que j’espère tout de votre grand courage ; [p. 47=39] Mais que sert en ceci d’avoir de la vertu, Puisque vaillant, ou lâche, il faut être abattu ? Puis-je ne prétends pas vous sauvant pour cette Île 570 Que vous trainiez au monde une vie inutile ; Mes États ont besoin d’un homme belliqueux ; Pour eux qu’un autre meure, et vous vivez pour eux. LISIDAS. Vous opposerez-vous au cours des destinées, Qui veulent pour ma gloire accourcir mes années ? 575 Choquerez-vous les Dieux, dont les justes projets Veulent être suivis des Rois, et des sujets ? Sire, craignez Neptune, enfin cette tempête Qui toujours de nos Rois a respecté la tête, Pour punir ma froideur éclaterait sur vous ; 580 Quant à moi je la crains plus pour vous, que pour nous. Souffrez donc que je m’offre, et souffrez que j’expire Pour ce peuple, ou plutôt pour vous, pour votre empire. LE ROI. À ces raisons d’États, à cette piété, J’oppose l’Amour même, et la même Beauté. 585 Que deviendrait Cyminde après cette nouvelle ? 57 Nous avons remplacé « l’a » par « la ». 56 CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES LISIDAS. J’espère que les Dieux, et vous, auriez soin d’elle. [p. 48=40] LE ROI. Elle aime votre vie. LISIDAS. Oui, mais plus mon honneur. LE ROI. Lisidas, il est temps de vous ouvrir mon cœur. Je veux que vous alliez d’ici chez Calionte 58 , 590 Qu’avec ce même habit vous passiez . . . LISIDAS. Bas. Quelle honte ! LE ROI. Dans l’Île de Carymbe 59 , où par un ordre exprès J’obligerai Cyminde à vous suivre de près ; De crainte que ce peuple et brutal et sauvage, Pour se venger de vous ne la retint pour gage. LISIDAS. 595 Avoir pris de vos mains cet habit emprunté, Et me réduire encore à cette extrémité ! Quoi donc, me dérober au bien de votre Empire ! Aux volontés du Ciel ! à l’honneur où j’aspire ! [p. 49=41] Le puis-je, et dois-je faire ? où m’irai-je cacher 600 Que la foudre des Dieux ne m’y vienne chercher ? LE ROI. S’ils demandent un cœur, quoi ! n’ont-ils pas le vôtre ? 58 Seigneur de Sarmacie. 59 Île fictive. CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES 57 Votre corps qu’il anime est au pouvoir d’un autre. Ils veulent votre mort, vous la voulez aussi, Le Ciel, l’Honneur, l’État vous l’ordonnent ainsi ; 605 Mais puisque je travaille à vous sauver la vie, Le Ciel, l’Honneur, l’État secondent mon envie. Pensez, cher Lisidas, aux services rendus, Pensez qu’en vous perdant nous serions tous perdus ; Que vous avez un bras qui soutient ma couronne, 610 Que si j’ai du repos c’est lui qui me le donne, Et si nos ennemis se reculent de nous, Qu’ils ne me craignent pas, mais qu’ils ont peur de vous. Qu’Ostane 60 contre moi pourrait tout entreprendre Pour s’emparer d’un Sceptre où vous devez prétendre ; 615 Puisque ce Sceptre enfin, dont vous êtes l’appui, Par la loi de l’État vous est dû devant lui 61 . Bref, pensez qu’avec vous j’acquiers tout, tout me cède, Et que sans vous je perds tout ce que je possède. LISIDAS. N’avez-vous pas, grand Roi, tant d’hommes courageux, 620 Dont le cœur et le bras surpasseront vos vœux ? [p. 50=42] Mais que dis-je ? en valeur, en sagesse suprême, Vous n’avez eu jamais besoin que de vous-même ; Et si dans les combats j’ai fait quelques efforts, Sire, vous étiez l’Âme et le chef de ce corps. LE ROI. 625 Au secours, au secours, ma puissance Royale, Secondez à ce coup mon amitié loyale ; 60 Sur la liste des personnages, Ostane est identifié comme prince de Sarmacie bien que ses liens de parenté avec le roi Arbanes et Lisidas ne soient pas précisés dans la pièce. Dans la tragédie en prose de d’Aubignac, Arbane (écrit sans « s » final ) est roi de Coracie et Ostane est prince de ce même royaume. Arincidas est prince de Carimbe (écrit avec un « i » plutôt qu’un « y »). 61 Lisidas est prince du sang de Sarmacie, indiquant qu’il est l’héritier légitime du trône en cas d’extinction de la famille royale 58 CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES S’il faut forcer un Prince aussi bien qu’une Loi, Faites tout ce que peut l’autorité d’un Roi. Prince, votre devoir, Prince votre naissance, 630 Vous oblige au respect comme à l’obéissance. LISIDAS. Mais . . . . . LE ROI. Ah ! sans répliquer contentez mon esprit. Allez, faites enfin ce qui vous est prescrit. LISIDAS. J’obéis. Dieux, sauvez mon Prince, et sa Couronne, Bornez votre vengeance en ma seule personne. [p. 51=43] LE ROI seul 62 . 635 Depuis que j’ai d’Astur l’Empire Souverain, Une Couronne au front, un Sceptre dans la main, Je n’avais point connu les droits d’une couronne, Ni l’absolu pouvoir que le Sceptre nous donne. Comme Roi j’ai forcé cet homme généreux, 640 Ce Prince qui peut tout, fait tout ce que je veux. Un autre Ami plus tiède, et moins grand qu’un Monarque, N’aurait su malgré lui le soustraire à la Parque 63 . Mais j’aperçois Ostane, Ostane assurément Sera peu satisfait de cet évènement. 62 Ce monologue constitue une scène séparée dans la tragédie en prose de d’Aubignac. Voir la scène II, 2 de la pièce. 63 « Selon les anciens Païens, les Parques étaient des Déesses qui présidaient à la vie des hommes. Selon l’opinion des anciens il y avait trois Parques; les anciens confondaient souvent les Parques & les Destinées. On dit poétiquement, La Parque noire. les ciseaux de la Parque. sa Parque qui filait la trame de sa vie. la Parque a tranché le fil de ses jours » (Le Dictionnaire de l’Académie française, 1694, t. II). CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES 59 ⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸ SCÈNE II. LE ROI. OSTANE. OSTANE. 645 Sire, plus que jamais votre peuple s’anime, Et voyant que pas un ne s’offre pour victime, Il veut . . . . . [p. 52=44] LE ROI. Quoi ? OSTANE. Lisidas. LE ROI. Il veut ! OSTANE. Et pour l’avoir Il s’arme, et va sortir des termes du devoir. LE ROI. Il veut donc Lisidas ! Quoi ce nom plein de gloire, 650 Ne réveille-t-il pas encore en sa mémoire Ce que fit cet Alcide 64 au fort de nos douleurs, Quand son bras étouffa l’Hydre 65 de nos malheurs ? Et s’il s’en ressouvient, que ne perd-il l’envie De voir mourir celui qui lui sauva la vie ? 64 Il s’agit d’Héraclès, d’abord prénommé Alcide, fils du dieu Zeus et d’Alcmède. 65 Dans la mythologie grecque, Alcide (Héraclès) dut accomplir douze travaux, dont le deuxième fut de tuer l’Hydre de Lerne, créature à corps de serpent et à plusieurs têtes. Héraclès réussit à vaincre le monstre avec l’aide de son neveu Iolaos. 60 CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES OSTANE. 655 Il n’est pas un d’entre eux qui ne meure d’ennui De voir que ce désastre est tombé dessus lui. Mais ils craignent enfin . . . . . [p. 53=45] LE ROI. Que craignent-ils les traîtres ? OSTANE. De choir 66 dans les malheurs où churent 67 leurs ancêtres. Il leur semble déjà que la peste, et que l’eau, 660 Ne font plus de leurs champs qu’un tragique tombeau, Que tout fuit, ou tout meurt. LE ROI. Contre cette misère Qu’ils offrent à Neptune un tribut volontaire. Qu’entre eux le plus timide, ou le plus courageux, S’immole pour ce Prince, ou s’immole pour eux. OSTANE. 665 Votre Empire est trop juste, et vous trop magnanime Pour ordonner qu’on meure ou sans Zèle, ou sans crime. LE ROI. Ah ! s’ils n’ont point de zèle ils sont tous criminels, Et tous ont mérité les foudres éternels ; Quoi ! ce Prince innocent mourir pour ces coupables ! [p. 54=46] OSTANE. 670 Ce sont les lois du sort. 66 Tomber. 67 Passé simple, troisième personne du pluriel, du verbe choir. CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES 61 LE ROI. Dures ! OSTANE. Mais équitables. LE ROI. Ostane, pensez-vous d’un langage trompeur Cacher les noirs desseins de ce perfide cœur ? Non, non, vous haïssez ce grand Prince que j’aime, Pource qu’il 68 vous éloigne un peu du Diadème. 675 Sa vertu vous fait ombre et vous rend envieux, Votre intérêt agit plus que celui des Dieux ; Et vous accuseriez son Destin ou le vôtre, Si ce foudre mortel fût 69 tombé sur un autre. OSTANE. Si contre Lisidas j’eus quelque différend ; 680 Si je me souhaitai plus heureux et plus grand, Ma juste ambition n’a rien qui me convie D’accroître ma fortune aux dépens de sa vie. [p. 55=47] Qu’il ait de la vertu, je n’en suis point jaloux ; Je parle contre lui, Sire, mais c’est pour vous, 685 Puisque le peuple ému, bruit, tempête, menace, Et jure d’enlever ce Prince. 68 « Cette conjonction, déjà vieillie au XVII e siècle, est tombée en désuétude. C’est dommage. On la remplace par parce que ; mais parce que n’est pas l’équivalent de pource que ; il indique le moyen, et pource que indique le but » (Émile Littré, Dictionnaire de la langue française, 4 volumes, Paris, Hachette, 1873, t. III). 69 Au dix-septième siècle, l’imparfait du subjonctif remplaçait souvent le présent ou le passé du subjonctif pour exprimer le caractère hypothétique d’un énoncé. Voir A. Haase, Syntaxe française du XVII e siècle, 7 e édition, traduit par M. Obert, Paris, Delagrave, 1969, § 67, B, p. 163. 62 CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES LE ROI. Ah, quelle audace ! OSTANE. Le peuple est violent, quand la Religion Jette les fondements de la sédition. LE ROI. [bouches 70 Que cette Hydre à cent chefs, que ce monstre à cent 690 Fasse éclater partout ses mouvements farouches ; Qu’il conspire avec vous la mort de Lisidas, J’atteste tous les Dieux qu’il ne périra pas ; Et je veux devant vous que Cyminde l’apprenne, Pour affliger votre Âme, et soulager la sienne. [p. 56=48] ⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸ SCÈNE III. CYMINDE. LE ROI. OSTANE. SCYLE. CYMINDE. 695 Sire, mes petits soins ne sont pas malheureux, Puisque les Dieux enfin ont exaucé mes vœux. LE ROI. Comment ? CYMINDE. Par un bonheur que leur grâce m’octroie, Une victime s’offre, et s’offre avecque joie. 70 Allusion à l’Hydre de Lerne. Voir supra la note 65. Dans cette comparaison, l’Hydre représente le peuple. Le roi de la pièce de Colletet est plus impétueux que le personnage homologue de la tragédie en prose de d’Aubignac. CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES 63 LE ROI. Ô nouvelle agréable ! ah Madame ! on voit bien 700 Que le Ciel avec vous veille pour notre bien : Quelle est cette victime et fervente et propice Qui sauve Lisidas, et s’offre en sacrifice ? [p. 57=49] CYMINDE. Ha ! c’est une personne et qui veut, et qui croit, En s’immolant pour lui faire ce qu’elle doit. OSTANE. Dieux ! LE ROI. 705 Dites-moi son nom, je connais son courage. CYMINDE. C’est celle qui vous parle, et qui rend hommage. Cyminde 71 . LE ROI. Vous Madame ! CYMINDE. Oui, Sire, enfin c’est moi, Qui veux par mon trépas éterniser ma foi. LE ROI. Vous mourir ! [p. 58=50] 71 Le thème de l’héroïsme féminin dans le contexte d’un sacrifice humain constitue une matière emprunté, semble-t-il, de l’Alceste d’Euripide. Voir Bernard J. Bourque, « La Légende d’Alceste : les thèmes de l’héroïsme féminin et du sacrifice chez La Calprenède et d’Aubignac », Papers on French Seventeenth Century Literature, 45 (2018) : 61-72. 64 CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES CYMINDE. Oui, mourir pour sauver ce que j’aime. LE ROI. 710 Ah, ce serait tuer la moitié de lui-même ! Comme il ne mourra pas pour mon peuple aujourd’hui, Non, vous ne mourrez point, ni pour nous, ni pour lui. CYMINDE. Grand Roi, prenez pitié d’un peuple qui soupire, Sauvez en me perdant ce Prince et votre Empire ; 715 Car si je ne meurs point, il faut que mon Époux Périsse avec l’État, et l’État avec vous ; Puisqu’il faut des grands Dieux apaiser la colère, Ou retomber encor dans l’antique misère. Ô si vous aviez vu ce que je viens de 72 voir ! 720 Vos propres intérêts vous pourraient émouvoir, J’ai vu d’un Peuple ému le visage farouche, Les larmes dans les yeux, les soupirs à la bouche, Murmurer dans le Temple au fort de ses douleurs, Et vous nommer tout haut l’auteur de ses malheurs. 725 Sire, je l’ai vu prêt 73 dans ces tristes alarmes D’abandonner la plainte et de courir aux armes, De venir investir ce Palais glorieux, Pour ravir à son Roi la victime des Dieux. [p. 59=51] Il disait qu’un effort lui semblait nécessaire, 730 Pour contenter le Ciel qu’on pouvait vous déplaire, Et que choquer les droits de votre autorité, N’était pas un forfait, mais une piété. Dedans ces mouvements, et de sang et de flamme, Jugez, jugez de ceux que je sentais dans l’âme ; 72 Nous avons remplacé « le » par « de ». 73 Colletet utilise la construction « prêt de », usage qui tend à disparaître après le dix-huitième siècle. Aujourd’hui, « prêt » se construit avec la préposition « à ». CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES 65 735 Par ces divers transports, Sire, jugez du mien, Puisqu’ils ne s’accordaient qu’à vous ravir mon bien. Aussi ces bruits confus, ces paroles cruelles, M’étaient autant de traits et de pointes mortelles ; Tous les préparatifs de ce peuple insolent 740 N’étaient plus à mes yeux qu’un Théâtre sanglant ; Et parler devant moi d’immoler ce que j’aime, N’était-ce pas me dire ; Immole-toi toi-même ? Dès que je l’ai pensé, mon esprit la voulu, L’Amour et le devoir avec moi l’ont conclu ; 745 J’ai même écrit mon nom dans ce funeste livre Où vit le nom de ceux qui cessèrent de vivre, Lorsque pour obliger un Ami généreux, Ils moururent pour lui, comme il fut mort pour eux. Aussitôt que le Peuple a connu mon courage, 750 Il a changé de front ainsi que de langage, Et louant de mon cœur la résolution, Le sien a dissipé son appréhension. Mille voix ont changé leurs ardentes menaces En cantiques de joie, en actions de grâces ; [p. 60=52] Chacun d’eux m’a nommée un gage précieux De la bonté d’Hymen, et de celle des Dieux, Le vrai remède aux maux qui nous ont fait la guerre, Et le nœud qui rejoint le Ciel avec la terre. Mais si de quelque joie ils ont flatté leurs sens, 760 Elle n’est rien au prix de celle que je sens, Quand je viens à penser que mon amour pudique Rétablit dans Astur l’allégresse publique, Et quand je pense encore à l’honneur éclatant, Que le Ciel me promet, et que mon cœur attend, 765 Quand je vivrais un siècle, ou quand les Destinées Étendraient au-delà le fil de mes années, Que ferais-je pour vous, Monarque sans pareil ? Agirais-je en la guerre ? agirais-je au Conseil ? Mon sexe est-il admis dans l’emploi des affaires ? 770 Mon sexe est-il au rang des choses nécessaires ? 66 CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES Non, Sire, on nous condamne aux ombres de la nuit, Moins on connaît la femme et plus elle a de bruit. Notre vertu languit dès que nous sommes nées, Et lorsque nous mourons nous sommes couronnées 74 , 775 Si la mort est ma gloire, hélas ! souffrirez-vous Qu’on me prive d’un bien si propice, et si doux ? LE ROI. Quoi ! vous aurais-je faite avecque tant 75 de peine Princesse de Carymbe, et Dame Souveraine ? [p. 61=53] Aurais-je consenti qu’un Hymen bienheureux, 780 Vous donnant Lisidas, n’eût fait qu’un de vous deux ? Pour perdre l’un ou l’autre, ou tous les deux ensemble, Et séparer ainsi ce que l’Amour assemble ? CYMINDE. Sire, ce même Amour me rendra désormais Digne de tant d’honneurs, et de tant de bienfaits, 785 Puisque dans ce beau feu dont je suis allumée Je cherche le bonheur d’en être consumée ; Et si j’eus un Époux si parfait et si grand, Je le mériterai pour le moins en mourant 76 . Les Enfants qu’il aura d’un Hymen plus prospère 790 Me devront leur salut aussi bien que leur père, Et quand ils serviront leur pays et leur Roi, Eux, le Prince, et l’État se souviendront de moi. 74 C’est un commentaire sur la condition des femmes non seulement dans l’Antiquité, mais aussi en France au dix-septième siècle. Voir Bernard J. Bourque, All the Abbé’s Women. Power and Misogyny in Seventeenth-Century France, through the Writings of Abbé d’Aubignac, Tübingen, Narr Verlag, 2015. 75 Nous avons remplacé « tani » par « tant ». Cette coquille est signalée dans la section « Fautes d’impression » de l’édition originale. Voir la page 21 de notre édition. 76 Cyminde veut éprouver une mort glorieuse qui sera commémorée pour toujours à travers le royaume. Son désir d’être digne de l’amour de Lisidas la conduit à s’offrir à la place de son mari. CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES 67 Ces Princes me croiront la cause de leur être, Quoiqu’une autre que moi doive les faire naître 77 . 795 Mais qui ne m’aimera, quand le grand Lisidas, Vous fera triompher où 78 vous ne régnez pas ? Qu’à ce fameux Empire il joindra des Provinces ? Qu’il mettra dans vos fers des peuples, et des Princes ? Ne publiera-t-on 79 pas alors en m’honorant, 800 Que j’ai fait aujourd’hui ces actes en mourant ? Oui, Sire, si j’obtiens la fin que je désire, Je sauve Lisidas, j’affermis votre Empire, [p. 62=54] Je vous gagne des cœurs, je vous fait redouter, Je vous fais par un homme, un monde surmonter ; 805 Car bien que vous puissiez en faire la conquête, Il est le bras d’un corps dont vous êtes la tête 80 . LE ROI. Cyminde, je l’avoue ; aussi ne puis-je pas Consentir que le chef laisse périr son bras. Oui, je le veux sauver de ce péril extrême, 810 Et le sauver entier en vous sauvant vous-même ; Car vous perdre, et vouloir conserver ce vainqueur, C’est vouloir qu’un corps vive, et sans âme et sans cœur. CYMINDE. Ô zèle merveilleux dont votre amour éclate ! Mais ô le vain espoir dont ce discours me flatte ! 815 Puisque le Ciel s’oppose à votre autorité ; 77 Ce discours indique que Lisidas et Cyminde n’ont pas d’enfants. La mort de la princesse sera donc un acte de générosité qui permettra au prince de se remarier afin de laisser une nombreuse lignée. 78 Nous avons remplacé « ou » par « où ». 79 Nous avons remplacé « publira » par « publiera », le « e » muet n’ayant aucun effet sur la versification. 80 Cyminde essaie de convaincre le roi de la laisser remplacer Lisidas en accentuant la valeur supérieure du prince pour le royaume. L’héroïne fait un effort suprême pour imposer sa volonté. 68 CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES Grand Roi, cédez aux lois de la nécessité. Ni force de raison, ni force de parole, N’empêcheront jamais que ce cœur ne s’immole. Je m’en vais voir la Reine 81 , et lui conter mon sort, 820 Puis prendre congé d’elle, et courir à la mort. [p. 63=55] ⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸ SCÈNE IV. LE ROI. SCYLE. OSTANE. HÉSIONE. SCYLE. Sire, pour prévenir un dessein si funeste, Que votre autorité fasse ce qui lui reste. Ne laissez point périr des cœurs 82 si généreux. LE ROI. Ce sceptre que je tiens périra plutôt qu’eux. 825 Suivez-la seulement au logis de la Reine. SCYLE. Mais s’il faut qu’à l’Autel . . . LE ROI. N’en soyez point en peine ; Puisque dans le Palais elle a porté ses pas, Gardes, veillez si bien qu’elle n’en sorte pas. [p. 64=56] Et vous, la voix du peuple, Ostane, allez lui dire 830 Et ce que vous voyez, et ce que je désire ; Et s’il veut que Neptune apaise son courroux, Qu’il cherche une victime autre part que chez nous. 81 La reine ne paraît pas sur scène. 82 Nous avons ajouté un « s » au mot « cœur ». CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES 69 OSTANE seul 83 . J’obéis. Ô Cyminde ! ô courage fidèle ! Ô divine Princesse, aussi sage que belle ! 835 Hélas ! que vos discours ont mon cœur affligé ! Et qu’en vous résistant le Roi ma soulagé ! Vous souhaitez la mort, et malgré votre envie On n’épargnera rien pour vous sauver la vie. Mais sa fureur m’étonne ; et j’appréhende ainsi 840 Qu’en perdant Lisidas, je ne la perde aussi. Sa douleur . . . Toutefois, la douleur d’une femme Agité plus souvent sa bouche que son Âme. Ou si parfois l’ennui n’éclate qu’un moment. Le désir de garder le titre de Princesse, 845 Le temps qui sait charmer la plus noire tristesse, Lui faisant oublier cet objet de ses vœux, Lui feront quelque jour vouloir ce que je veux. Espère donc, Ostane, et dans cette pensée Achève de tramer l’affaire commencée, 850 Fais, fais valoir le zèle, et la Religion, Encourage le peuple à la Rébellion ; [p. 65=57] Soutiens que Lisidas doit payer en personne Ce que le Roi refuse, et que le sort ordonne ; Qu’il faut malgré le Roi l’enlever du Palais, 855 Le traîner dans le Temple, et l’immoler après ; Et que changer enfin d’offrande, et de victime, C’est plutôt un refus, qu’un devoir légitime. Fin du second Acte. 83 Ce monologue constitue une scène séparée dans la tragédie en prose de d’Aubignac. Le ton du monologue de la pièce en vers est plus passionné que celui du soliloque de la pièce de l’abbé. 70 CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES [p. 66=58] ACTE III. SCÈNE PREMIÈRE. LICASTE. Allons, et forçons tout ; en cette occasion C’est une piété que la sédition. ⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸ SCÈNE II. ÉRYMANT 84 . 860 S’ils ont pris du Palais la route moins connue, Allons les seconder par cette autre avenue ; [p. 67=59] Et montrons pour servir une Divinité Que l’effet doit de près suivre la volonté. ⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸ SCÈNE III. OSTANE. DERBIS 85 . OSTANE. Vous m’avez obligé, je vous suis redevable. DERBIS. 865 Je voudrais bien vous rendre un service notable. 84 Bourgeois d’Astur. Ces deux premières scènes du troisième acte sont semblables à celles qui se trouvent dans la tragédie en prose de d’Aubignac (III, 1 et III, 2). Nous pouvons nous interroger sur leur utilité, puisqu’elles n’ajoutent rien à l’intrigue. 85 Ministre du temple. CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES 71 OSTANE. Mon père, avoir 86 fait choir le sort sur Lisidas 87 , Ce service est plus grand que vous ne croyez pas. Avoir rempli le peuple et de Zèle et d’audace, Avoir mis en sa bouche et prière et menace, 870 Avoir jusqu’au Palais accompagné ses pas, Ce service est plus grand que vous ne croyez pas. [p. 68=60] DERBIS. Prince, c’est peu pour vous, je vous dois davantage ; Si par votre faveur et par votre courage J’obtins la qualité de Ministre d’un Dieu, 875 Si dans son Temple Saint je tiens le second lieu ; Si les plus orgueilleux devant moi s’humilient, Si le Peuple m’adore, et les Rois me supplient, Si pour me respecter on observe mes pas, Ce bienfait est plus grand que vous ne croyez pas 88 . 880 Qu’est-il après cela que pour vous je ne fisse ? OSTANE. Ha ! vous pouvez encor me rendre un bon office. DERBIS. Commandez. OSTANE. Lisidas au mépris de la Loi 89 Est sorti du Palais par les ordres du Roi. 86 Nous avons remplacé « avoit » par « avoir ». 87 La participation de Derbis et d’Ostane dans le complot pour éliminer Lisidas est révélée. Le résultat du « tirage au sort » fut falsifié. 88 Derbis est redevable à Ostane d’avoir obtenu le poste de second ministre du temple. Il est donc prêt à lui accorder toutes les faveurs nécessaires pour éliminer Lisidas. 89 Déclaration ironique étant donné que le processus de sélection avait été truqué. 72 CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES Il a laissé Cyminde ; et la pauvre Princesse 885 Est seule entre les mains du peuple qui la presse De se sacrifier au lieu de son Époux. [p. 69=61] DERBIS. En agissant contre elle, ils agissent pour vous. Prince, laissez-les faire ; à la première Fête Lisidas périra d’une même tempête. OSTANE. 890 Laisser périr Cyminde, et ne la pas aider ! Tout ce que j’entreprends, c’est pour la posséder. DERBIS. Hé comment ! l’aimez-vous ? OSTANE. Demander si je l’aime ! Oui, bien plus que mes yeux, et bien plus que moi-même. DERBIS. Mais depuis quand ? OSTANE. Trois ans se sont précipités 895 Depuis que ses beaux yeux ont les miens enchantés. Mon voyage fatal au pays d’Albanie Vit naître dans mon cœur cette douce manie. [p. 70=62] Là je brûlai pour elle, et ne pus m’empêcher De lui montrer un feu que je devais cacher. 900 Mon père, si dehors elle eût été Princesse, Elle eût été ma femme ainsi que ma Maîtresse ; Car bien que je l’aimasse avecque passion, Si j’eus beaucoup d’Amour, j’eus plus d’ambition. Mais après que le Roi l’eut faite Souveraine, 905 Pour lui faire épouser cet objet de ma haine, CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES 73 Je redoublai ma flamme, et détestai ce jour Où mon ambition surmonta mon amour 90 . Voir qu’en dépit de moi Lisidas la possède ! Qu’en grandeur, qu’en Amour cet homme me précède ! 910 Qu’en m’éloignant d’un trône où j’ai mis mon espoir, Il m’ouvre un précipice, et qu’il m’y fasse choir ! Quoi, le voir triomphant, et Cyminde abattue ! Voir que le sort le flatte, et que le sort la tue ! Si je puis l’empêcher, le pourrais-je souffrir ? DERBIS. 915 Non, puisque vous aimez, plutôt cent fois mourir. OSTANE. Si dans les mouvements que la grandeur m’inspire D’approcher d’un degré le trône de l’Empire, J’ai fait ce que j’ai pu pour perdre Lisidas, Si j’ai perdu ma peine aussi bien que mes pas ; [p. 71=63] Si j’ai tout entrepris pour posséder sa femme, Et si je n’ai rien fait que d’augmenter ma flamme ; Appui de ma grandeur, comme de mes Amours, Derbis, c’est de vous seul que j’attends du secours ; Secondez de vos soins mon Amour, et ma haine ; 925 Surtout sauvons Cyminde, ou mourons en la peine. DERBIS. J’y pense ; . . . . et je ne vois qu’un acte violent Capable d’empêcher ce désastre sanglant. OSTANE. Que ne ferais-je point ? Mais quelle violence ? 90 Ostane annonce qu’il tomba amoureux de Cyminde trois ans plus tôt, lors d’un voyage en Albanie, mais qu’il refusa d’épouser la jeune fille parce qu’elle n’était pas princesse. Cela explique en partie le dédain que ressent Cyminde envers ce prince. 74 CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES DERBIS. Sachez que par nos lois 91 . . . . OSTANE. D’où vient votre silence ? DERBIS. 930 Du Roi, qui me l’impose en s’approchant de nous. OSTANE, Que n’est-il ? . . . [p. 72=64] DERBIS. En un mot, Prince, souvenez-vous Pour mettre en liberté celle qui vous engage, De joindre la fureur avecque le courage ; Pour l’enlever du Temple, assemblez vos Amis. 935 Forcez tout. OSTANE. Il suffit. ⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸ SCÈNE IV. LE ROI. CALIONTE. LE ROI. Peuple, t’est-il permis D’étouffer un respect que la raison fait naître ? Ingrat, t’est-il permis de te prendre à ton Maître ? De convertir ton zèle en funestes projets ? Et de quitter le nom de fidèles sujets ? 91 Comme dans la tragédie en prose de d’Aubignac, ce discours interrompu est complété à la scène IV, 1 par Calionte, puis à la scène IV, 2 par Zoraste. CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES 75 [p. 73=64] Qu’un peuple furieux peut exciter d’alarmes Quand la Religion lui fait prendre les armes ! Il n’est point de desseins dont il ne vienne à bout, Il pense tout pouvoir alors qu’il ôte tout. Comme son seul objet, soi-même il se regarde ; 945 Jusques dans mon Palais il a forcé ma garde, Il a ravi Cyminde, en ma chambre, à mes yeux, Encore en m’outrageant 92 , il dit, je sers les Dieux. Mes officiers dont l’Âme est molle, ou déloyale, Ont même abandonné ma personne Royale, 950 Et comme s’ils étaient les complices du sort, Le plus faible parti s’est rendu le plus fort. Généreux Lisidas 93 , que mon Âme regrette D’avoir précipité tes pas et ta retraite : Invincible Héros, mon unique recours, 955 Que ne vois-tu mon mal pour me donner secours ? Tu vengerais l’affront que l’on fait à qui t’aime, Tu vengerais ton Roi, ton Épouse, et toi-même, Ton bras eut pu lui seul ces mutins arrêter, Et comme il t’eût fait craindre, il m’eût fait respecter. 960 Mais vois-je pas le chef de ce peuple rebelle ? [p. 74=65] ⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸ SCÈNE V. LISIDAS. ÉRYMANT avec une troupe de Bourgeois d’Astur. LE ROI. DERBIS. CALIONTE. ÉRYMANT. Allons, et nous vengeons de cet homme infidèle ; 92 Nous avons remplacé « moutrageant » par « m’outrageant ». 93 Lorsqu’il s’adresse à Lisidas, le roi parle comme dans un véritable monologue, bien qu’il ne soit pas seul sur la scène. Ce monologue déguisé en dialogue se distingue d’un aparté puisque le roi n’essaie pas de dissimuler ses paroles. 76 CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES Il faut qu’à la justice on l’immole à l’instant Que Neptune aura pris le tribut qu’il attend. LE ROI. C’est Lisidas ! ces gens l’ont pris sans le connaître, 965 Mutins, où 94 courez-vous ? ÉRYMANT 95 . Emprisonner un traître, Ou plutôt un Démon que l’Enfer irrité Pour nous persécuter nous avait suscité. LE ROI. Comment ? [p. 75=66] ÉRYMANT. Il est sorti . . . . LE ROI. D’où ? ÉRYMANT 96 . De chez Calionte. De là comme un Lion que la rage surmonte, 970 Le coutelas en main, la flamme dans les yeux, Il a fait un parti contre celui des Dieux, Et s’est jeté sur ceux qui cherchaient la victime. LE ROI. Misérable vertu, passeras-tu pour crime ? 94 Nous avons remplacé « ou » par « où ». 95 Nous avons remplacé « ÉRIMANT » par « ÉRYMANT ». 96 Nous avons remplacé « ÉRIMANT » par « ÉRYMANT ». CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES 77 ÉRYMANT. Dans votre Palais même il nous a terrassés, 975 Et cent de vos sujets y sont morts ou blessés. LE ROI. Que n’a-t-il tout détruit ? [p. 76=67] ÉRYMANT. Et sa maudite rage Eût à notre malheur éclaté davantage, Si le grand nombre enfin ne l’eût réduit au point De céder à la force, et ne résister point ; 980 Ainsi nous l’avons pris pour en faire justice . . . . LE ROI. Cœur digne d’un laurier, et non pas d’un supplice ! ÉRYMANT. On dit qu’un vaisseau prêt l’attendait sur le port, Mais sachant qu’au Palais on faisait quelque effort Il s’est venu mêler parmi la populace, 985 Où du sang des Zélés, il a rougi la place. LE ROI. Si pour me délivrer d’un peuple révolté, À la merci d’un peuple il s’est précipité, Laisserais-je périr ce Prince magnanime ? Non, non, sauvons en lui la Vertu qu’on opprime. 990 Mettez-le en liberté ; Peuple, c’est Lisidas. ÉRYMANT. La Justice et la Loi ne le permettent pas. [p. 77=68] LE ROI. Dieux qui me désarmez . . . . 78 CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES Ils sortent du Palais où était allée Cyminde. ⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸ SCÈNE VI. LE ROI. LISIDAS. CYMINDE. SCYLE. DERBIS. CALIONTE. ÉRYMANT 97 avec une troupe de Bourgeois qui conduisent LISIDAS. LICASTE avec une troupe de Bourgeois qui conduisent CYMINDE. LYCASTE. Allons belle Princesse. LISIDAS. Traiter la beauté même avec tant de mollesse ! 98 Cruels, que faites-vous ? [p. 78=69] LE ROI. Roi faible, ou malheureux ! 995 J’en mets deux 99 en péril, voulant en sauver deux. LISIDAS. Cyminde ! CYMINDE. Lisidas ! LISIDAS. Pourquoi, Peuple barbare, Abusez-vous ainsi d’une chose si rare ? 97 Nous avons remplacé « ÉRIMANT » par « ÉRYMANT ». 98 « MOLLESSE, se dit aussi figurément en Morale, de la faiblesse du corps et de l’esprit, d’une vie délicate et voluptueuse » (Antoine Furetière, Dictionnaire universelle, 3 volumes, La Haye, Arnout et Reinier Leers, 1690, t. II). 99 Nous avons remplacé « d’eux » par « deux ». CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES 79 CYMINDE. Mais pourquoi vois-je encore, ô Tyrans inhumains ! Ma vie et mon trésor périr entre vos mains ? LISIDAS 100 . 1000 Cyminde prisonnière et par des gens infâmes, Elle dont la vertu triomphe de nos Âmes ! CYMINDE. Lisidas prisonnier par un lâche attentat, Lui qui fit tant de fois triompher cet État ! [p. 79=70] ÉRYMANT 101 . Allons, ces vains discours ni ces vaines reproches 1005 Ne doivent point fléchir nos cœurs. LE ROI. Ô cœurs de roches ! Ne laisserez-vous pas la plainte aux malheureux. ÉRYMANT. Puisque vous le voulez . . . . LE ROI. C’est le moins que je veux. LISIDAS. Délivrez par ma mort cette belle captive. CYMINDE. Délivrez ce captif, qu’il vous serve, et qu’il vive. 100 Nous avons remplacé « CYMINDE » par « LISIDAS ». 101 Nous avons remplacé « ÉRIMANT » par « ÉRYMANT ». 80 CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES ÉRYMANT. 1010 Sire, pensez aux Dieux en cette occasion. LE ROI. Je n’y pense que trop à ma confusion. Si les forces d’Astur laissaient agir les miennes, Je tenterais . . . . [p. 80=71] LISIDAS. Grand Roi, laissez agir le sort ; Il m’ôtera ces fers, en me donnant la mort. CYMINDE. 1015 Apprenez que le Ciel veut une autre victime, Puisqu’une autre a 102 promis de satisfaire au crime. LISIDAS. Le pourrais-je souffrir ? le pourrais-je vouloir, À moins que de trahir le sort et mon devoir ? Mais qui m’offre après tout cette faveur extrême ? 1020 Cyminde, à 103 qui la dois-je ? CYMINDE. À votre vertu même ; À celle qui vous doit l’éclat de son bonheur, À qui vous doit ensemble et la vie et l’honneur. LISIDAS. Quelle crainte à ces mots me surprend, et me touche ? LE ROI. Tu mourras, si ce nom s’échappe de sa bouche. [p. 81=72] 102 Nous avons remplacé « à » par « a ». 103 Nous avons remplacé « a » par « à ». CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES 81 LISIDAS. 1025 Répondez-moi, Cyminde, autrement que des yeux. À qui suis-je obligé d’un bien si précieux ? LICASTE. Ne le jugez-vous pas ? à Cyminde elle-même. CYMINDE. Oui, je m’offre à mourir pour sauver ce que j’aime. ÉRYMANT 104 . Vantez-vous donc d’avoir l’honneur de l’Univers. LISIDAS. 1030 Quoi ? me vanter d’un bien alors que je le perds ! Ha ! Madame, vos soins me combleraient de honte, Si ma flamme cédait au feu qui vous surmonte ; Mais on ne dira pas si l’on parle de nous, [vous 105 . Que j’eus moins de courage, et moins d’Amour que CYMINDE. 1035 Lisidas, mon désir sera toujours le vôtre ; Mais quoi que je vous cède et dans l’un et dans l’autre, [p. 82=73] Le moins que je vous dois ; c’est, ô mon cher Époux, De vous être fidèle, et de m’offrir pour vous. Si par votre bonté, ma grandeur non commune 1040 Voit au-dessous de moi la plus haute fortune, Si n’étant pas Princesse et de race et de sang, Votre ardente amitié m’en a donné le rang ; Si ce titre d’honneur relève ma noblesse, Permettez que je fasse un acte de Princesse ; 1045 Et puisque je n’eus pas un illustre berceau, 104 Nous avons remplacé « ÉRIMANT » par « ÉRYMANT ». 105 La gloire de Cyminde en se sacrifiant deviendra la honte de Lisidas. 82 CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES Souffrez que je mérite un illustre tombeau 106 . Pensez-y Lisidas, sachez qu’il vous importe Que votre Épouse meure, et meure de la sorte ; Car en mourant pour vous dans mes chastes liens, 1050 Je justifie ensemble et vos feux et les miens. On dira qu’en m’aimant vous m’avez fait justice, Que ce fut par raison et non point par caprice ; Et si je vous aimai, que dans ma sainte ardeur J’aimai votre vertu plus que votre grandeur, 1055 Puisqu’en quittant pour vous l’espoir d’une Couronne, J’aurai suivi l’Amour et fait ce qu’il ordonne. Une autre égale à vous de race et de splendeur, Eut eu plus de mérite avec plus de froideur, Et croyant peu devoir à vos flammes si saintes, 1060 Vous eût donné des pleurs, vous eût conné des plaintes ; Puis témoignant pour vous un esprit abattu, Eut laissé la fortune opprimer la vertu. [p. 83=74] Mais moi qui vous dois tout, mon devoir me convie De vous donner mon sang, de vous donner ma vie ; 1065 Et sans vous témoigner un esprit abattu, D’oublier la fortune, et sauver la vertu ; Et je fais tous les deux dans l’ardeur qui m’anime, Si j’apaise Neptune, et lui serve de victime. Aussi bien, Lisidas, que ferais-je sans vous ? 1070 Je trouverais amers les plaisirs les plus doux ; Ma disgrâce présente, et ma gloire passée S’offriraient tous les jours aux yeux de ma pensée, Viendraient solliciter ce cœur à tout moment D’aller chercher sa vie au fond du monument 107 ; 1075 Et parmi ces excès d’Amour et de misère, 106 La générosité de Cyminde comporte un élément d’égoïsme, son désir d’être digne de l’amour de Lisidas la conduisant à vouloir éprouver une mort glorieuse qui sera commémorée pour toujours à travers le royaume. 107 La mort de Lisidas rendra inutile la vie de Cyminde. Le vers 1074 fait allusion au suicide. CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES 83 Mon désespoir ferait ce qu’ils n’auraient pu faire. Oui, ce bras . . . . LISIDAS. Est-ce là ce cœur si généreux ! CYMINDE. Est-ce manquer de cœur que d’en avoir pour deux ? 108 LISIDAS. Le courage paraît à se vaincre soi-même, CYMINDE. 1080 Le courage paraît à sauver ce qu’on aime ; [p. 84=75] Car qui ne prévient pas les traits de ce malheur, Montre qu’il n’eut jamais ni d’amour, ni de cœur. Je veux rendre des deux une puissante preuve, En mourant votre Épouse ; et non pas votre veuve ; 1085 Et vous laissant ce cœur, ce cœur qui vous est dû, Me perdre auparavant que l’on vous ait perdu. Après tout, Lisidas, votre Amante fidèle, Votre Cyminde meurt moins pour vous que pour elle, Je meurs pour satisfaire à mon affection, 1090 Je meurs pour satisfaire à mon ambition, Pour acquérir un bruit d’éternelle durée, Pour être après ma mort des siècles révérée 109 ; Enfin pour éviter les funestes transports Qui me dégageraient moi-même de ce corps. [p. 84=76] LE ROI. 1095 Effet prodigieux d’une 110 amour véritable ! Sentiment de son cœur que tu m’es agréable ! 108 Nous avons remplacé « d’eux » par « deux ». 109 Voir supra la note 106. 110 Au dix-septième siècle, le mot « amour » était employé souvent au féminin. 84 CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES LISIDAS. Mais dessein qu’elle fait que tu m’es rigoureux ! Et qu’enfin trop d’Amour est contraire à mes vœux ! Cyminde, modérez l’ardeur qui vous transporte, 1100 Que toujours la raison soit en vous la plus forte, [p. 85=77] Vous aimer, et souffrir que vous perdiez le jour, Serait-ce mériter l’honneur de votre amour ? Si le plaisir des sens mon Âme sollicite De conserver en vous la grâce et le mérite ; 1105 S’il n’est point de grandeur, de rang, de dignité, Que vous ne supassiez en générosité ; Si vous êtes de bouche et de cœur implorée, Comme une Déité digne d’être adorée, Vivez dans cet éclat, et ne m’obligez pas 1110 Moi-même à prévenir l’heure de mon trépas ; Conservez la douceur où vous êtes nourrie, Ne convertissez point mon Amour en furie. CYMINDE. Montrez-vous furieux, ou montrez-vous Amant, Pourvu que je vous sauve, il n’importe comment. LISIDAS. 1115 Me sauver à ma honte ! Ah Cyminde, il faut croire Que de ce que je suis vous perdez la mémoire ! Quoi ! vous cherchez la mort et je l’éviterais ! Quoi ! je vous verrais perdre et j’y consentirais ! Dans cette occasion je ferais bien paraître 1120 Que votre Époux enfin n’est pas digne de l’être. Non, de quelque bonheur dont vous flattiez mon sort, Je ne puis être heureux qu’à l’heure de ma mort. [p. 86=78] Mais pourquoi contester devant ce grand Monarque ? Il sait qui de nous deux doit contenter la Parque. 1125 Neptune a 111 contre moi fulminé cet arrêt, 111 Nous avons remplacé « à » par « a ». CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES 85 Il a conclu ma perte, et ma perte me plaît. Vous opposer à lui, c’est une irrévérence Qu’il ne saurait traiter avec indifférence ; Ne lui ravissez pas ce qu’il voulut choisir, 1130 Et ne lui donnez rien qui choque son désir. Ma mort est un effet de mon obéissance, Et la vôtre un effet de votre résistance ; Ma mort est de devoir et de nécessité, La vôtre un mouvement d’un esprit agité. 1135 Ha, Sire, pour sauver un Prince misérable Que vos rares bontés m’allaient rendre coupable, Si le Ciel dont les soins s’étendent ici-bas Ne m’eût fait au Palais revenir sur mes pas ! J’aurais suivi Cyminde, à ma honte éternelle, 1140 Puisque ce corps mourant ne fut mort qu’après elle. Mais, grâce aux Immortels, me voici de retour, Pour satisfaire au Sort, ainsi qu’à mon Amour. Malheureux seulement de ne pouvoir vous rendre Ce que de mes devoirs vos soins doivent attendre, 1145 Et de n’avoir un cœur qui pût mourir deux fois Pour l’honneur de l’État, et pour l’honneur des Rois. Mais puisqu’ils faut mourir pour votre seul Empire, Recevez pour l’effet tout ce que je désire 112 . [p. 87=79] LE ROI. Dans l’ennui que je sens qui me peut secourir ? 1150 Me pourrais-je résoudre à vous laisser mourir ? Non, non, je ne veux pas me rendre le complice De la rigueur du Sort, et de son injustice. CYMINDE. Et moi . . . . 112 Ce long entretien entre Lisidas et Cyminde constituent un concours de générosité. Toutefois, chaque personnage est aussi motivé par le désir d’éviter la culpabilité et la honte d’avoir survécu à l’autre personne. 86 CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES LISIDAS. Vivez, Madame, autant que l’œil des Cieux Voudra de ses rayons favoriser vos yeux ; 1155 Et puisque pour l’État il faut que je m’immole, Souffrez qu’au lieu de moi la Vertu vous console. CYMINDE. Comment me consoler, cruel et cher Époux, Si la même Vertu doit mourir avec vous ? Dieux, Destins, que ferai-je en ces dures alarmes ? 1160 Où puis-je recourir qu’à vous mes tristes larmes ? Coulez 113 donc par amour, ou plutôt par devoir, Et plus que mes raisons tâchez de l’émouvoir. [p. 88=80] LISIDAS. Croire que je me rende à des larmes si vaines ! Proposez-moi des feux, proposez-moi des gênes ; 1165 Affligez mon esprit, persécutez mon corps, Plutôt je souffrirai ces funestes efforts. CYMINDE. Mais pensez-vous aussi que je me puisse rendre ? Que je me sois donnée afin de me reprendre ? Que quand je me consacre à la Divinité 1170 Ce ne soit qu’une feinte, ou qu’une vanité ? Les Dieux m’ont demandée, et je leur fus acquise Dès qu’à leur volonté la mienne fut soumise ; Si bien que la raison doit par un noble effort L’emporter aujourd’hui sur le hasard du sort. LISIDAS. 1175 Appelez-vous hasard un mystère adorable, Que les Dieux ont rendu nécessaire et durable ? Appelez-vous hasard le salut de l’État ? 113 Cyminde parle de ses larmes. CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES 87 Ma mort est un devoir, la vôtre un attentat. Mais pourquoi différer ce juste Sacrifice ? 1180 Ô Peuple, contentez la divine Justice, Et puisqu’elle a pour moi ses abîmes ouverts, Guidez-moi dans la barque, et relâchez ses fers. [p. 89=81] Que votre piété m’anime et me seconde ; Ou ma douleur fera ce que doit faire l’onde 114 . ÉRYMANT 115 . 1185 Allons au temple ; allons, ne perdons point de temps, Zoraste 116 y règlera ces tristes différends. DERBIS. Allons, je prends sur moi le soin de leur conduite. LE ROI. Triste commencement quelle sera ta suite ? LYCASTE. Je n’attends du repos qu’après ce jugement. LE ROI. 1190 Et je n’en attends rien qu’un triste évènement. Cependant, Calionte, embrassez cette affaire ; Faites pour leur salut tout ce que l’on peut faire. CALIONTE. Pour ne rien négliger . . . . . LE ROI. Ne les éloignez pas. 114 Allusion au suicide. 115 Nous avons remplacé « ÉRIMANT » par « ÉRYMANT ». 116 Grand prêtre. 88 CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES [p. 90=82] ⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸ SCÈNE VII. LE ROI seul. Ô Valeur ! ô Beauté que vous avez d’appas ! 1195 Noble contention et d’Amour et de Gloire, Où la mort est le prix qui suivra la victoire, Si je pouvais quitter ce vain titre de Roi, Qu’en ce digne combat on parlerait de moi ! Vous verriez bien alors, généreuse Princesse, 1200 Je j’aime Lisidas avec tant de tendresse, Que l’on aurait sujet de douter quelque jour, Si j’eus plus d’amitié que vous n’avez d’Amour. Fin du troisième Acte. CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES 89 [p. 91=83] ACTE IV. SCÈNE PREMIÈRE. LE ROI. CALIONTE. CALIONTE. Oui, Sire, il est sauvé ; tout s’accorde à nos vœux. LE ROI. Nouvelle bienheureuse, et qui me rend heureux ! 1205 Mais la dois-je nommer nouvelle bienheureuse, Hélas ! si j’en prévois la suite dangereuse ? CALIONTE. Comment ! Cyminde enfin pour lui s’immolera. [p. 92=84] LE ROI. Mais si Cyminde meurt, Lisidas la suivra. Il aime sa beauté d’une ardeur si fidèle, 1210 Que ce Prince amoureux ne peut vivre sans elle ; Et me dire aujourd’hui, Cyminde va périr, C’est me dire en un mot, Lisidas va mourir. CALIONTE. Vous ne craigniez pour lui que la mer, et l’orage. LE ROI. Mais je crains maintenant les troubles de sa rage, 1215 Et que dans ses transports il n’attire sur lui L’orage dont la loi le préserve aujourd’hui. Mais tu ne m’as pas dit, d’où vient qu’elle préfère Aux victimes du sort, l’offrande volontaire. CALIONTE. L’aise que j’eus de voir votre esprit si content, 90 CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES 1220 M’avait fait oublier ce mystère important. Dans ce noble combat que l’Amour a fait naître, Voici ce qu’a 117 tout haut prononcé le grand Prêtre. Celui qui se dérobe aux Autels du grand Dieu, Et qui peut un moment voir un autre en son lieu, [p. 93=85] Montre un cœur qui résiste aux volontés suprêmes , Ce que ne font pas ceux qui s’immolent d’eux-mêmes 118 . Or, Sire, vous savez que les Dieux immortels Préfèrent qui les cherche, à qui fuit leurs Autels ; Et pour obtenir d’eux une grâce propice, 1230 Qu’enfin l’obéissance est un grand sacrifice. LE ROI. Oui ; mais cela résiste au dessein que j’avais. Dure nécessité d’un si funeste choix ! Ô grandeurs de l’État ! 119 Ô repos de mon Âme ! Vous préférez déjà ce Héros à sa femme. 1235 Mais sachant comme il l’aime, et l’aime avec chaleur, Oui, je crains qu’agité d’Amour, et de douleur, Dès que les flots auront son Épouse ravie, Dans les flots de son sang il n’éteigne sa vie. Noble jouet du sort, Monarque malheureux, 1240 Hélas ! à quoi te sert un titre si pompeux ? Si ton Sceptre impuissant, si ta volonté même Ne peut sauver celui qui te sert et qui t’aime ? Dieux qui m’avez fait Roi, pour confirmer ce don, Laissez m’en le pouvoir ; ou m’en ôtez le nom. CALIONTE. 1245 Sire, implorer ainsi la puissance éternelle, C’est la prier d’agir plus pour vous que pour elle. 117 Nous avons remplacé « à » par « a ». 118 Sur notre emploi de l’italique, voir supra la note 24. 119 Nous avons mis la première lettre du mot « état » en majuscule. CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES 91 [p. 94=86] Le Ciel veut une offrande. LE ROI. Il veut ce que je veux ; Qu’il se contente d’une, et n’en prenne pas deux. Et s’il faut qu’avec nous, l’une ou l’autre demeure, 1250 Qu’ils sauvent Lisidas, et que Cyminde meure. CALIONTE. Grâce au Ciel . . . . LE ROI. Mais après ces troubles éclatants, Quand je posséderai le repos que j’attends, Ostane ce perfide aura pour son salaire Ce que m’inspirera mon ardente colère. 1255 Il a pu faire un jour que je ne sois pas Roi ; Mais un jour me rendra ce que m’ôte la Loi ; Lisidas fut l’objet de sa rage inhumaine, Mais Ostane à son tour le sera de ma haine 120 . CALIONTE. Noble et juste courroux : 121 mais ô Roi généreux ! 1260 Dans ces ressentiments favorisez nos vœux ; Puisque le bien public vous demande une offrande, Accordez à l’État, ce que l’État demande ; [p. 95=87] Et selon ses désirs venez au Temple. LE ROI. Moi ? 120 Le roi est certain de la culpabilité d’Ostane ; il parle comme s’il connaissait déjà les détails du complot contre Lisidas. 121 Nous avons remplacé un point d’exclamation par un deux-points. Cette coquille est signalée dans la section « Fautes d’impression » de l’édition originale. Voir la page 21 de notre édition. 92 CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES Ce mystère a 122 besoin d’un Prêtre 123 , et non d’un Roi. 1265 Loin ce funeste objet. CALIONTE. Déjà l’on sort du Temple, Tout sera bientôt prêt. LE ROI. Qu’est-ce que je contemple ? Deux victimes pour une ! est-il juste, grands Dieux ? Démons que faites-vous ? êtes-vous furieux ? Lisidas sur l’Autel ! CALIONTE. Ce n’est pas pour lui nuire, 1270 C’est que Zoraste a dit qu’il le fallait conduire Sur le bord de Neptune, afin qu’il ne crût pas Qu’on voulût malgré lui conserver Lisidas ; Qu’il le fallait prier de transporter lui-même Le sort de Lisidas sur Cyminde qui l’aime, 1275 Et d’agréer un change 124 où la même Beauté Fait voir un Zèle égal à sa fidélité. [p. 96=88] LE ROI. Bien donc, mais Calionte, après ce sacrifice Veillez sur Lisidas, gardez qu’il ne périsse ; Car en perdant Cyminde, et cessant de la voir, 1280 Je crains que son Amour ne cède au désespoir. 122 Nous avons remplacé « à » par « a ». 123 Dans l’Antiquité, le grand prêtre commandait le reste du clergé et était responsable des sacrifices, des prières et des cérémonies. Voir l’ouvrage de Walter Burkert, Homo Necans. The Anthology of Ancient Greek Sacrificial Ritual and Myth, traduit par Peter Bing, Berkeley, University of California Press, 1983. 124 Action de changer, de troquer une chose contre une autre (vieilli). 3 ou 4 per- sonnes sortent du Temple et précèdent les victimes. Lisidas et Cyminde paraissent sur l’Autel. CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES 93 ⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸ SCÈNE II. CALIONTE. LISIDAS. CYMINDE, SCYLE. ZORASTE. DERBIS 2 Troupes de Bourgeois armés. LISIDAS sur l’Autel 125 . Quoi Cyminde, mourir ! faut-il que je le croie ? 126 Mais pour comble de maux faut-il que je le voie ? Et que ces fers m’ôtant l’usage de ma main Je ne prévienne pas ce spectacle inhumain ? 1285 Peuple qui me traitez comme votre adversaire, Hélas ! que faites-vous ? ou que voulez-vous faire ? Pensez-vous sans ces fers que je fuirais la mort ? Ou bien que contre vous ce bras fît quelque effort ? [p. 97=89] Non, non, dedans l’excès de mon malheur extrême, 1290 Je n’en veux point à vous, je n’en veux qu’à moi-même ; Et loin de vous ravir ce que vous possédez, Je vous veux plus donner que vous ne demandez. Dans les chauds mouvements d’un zèle légitime, Je suis prêt d’ajouter victime sur victime. 1295 Oui, je m’offre à 127 ce Dieu dont vous suivez l’erreur. Que dis-je un Dieu ? plutôt un Démon de fureur, Qui n’a pour ses Autels que des tombeaux sinistres, Que de noirs assassins pour ses sacrés Ministres, Qui du sang le plus pur fait son plus doux encens, 1300 Et qui protège tout, hormis les innocents. 125 Il s’agit d’un autel mobil. Dans sa tragédie en prose, d’Aubignac l’appelle « un autel roulant » (IV, 2). 126 C’est le commencement d’un long entretien entre Lisidas et Cyminde concernant le choix approprié de la victime du sacrifice. C’est un exemple de ce que Jacques Scherer appelle la « tyrannie de la tirade », caractéristique du théâtre français du dix-septième siècle. Voir Jacques Scherer, La Dramaturgie classique en France, Paris, Nizet, 1950 ; réimpr. 1964, p. 225. 127 Nous avons remplacé « a » par « à ». Calionte va accompagner les victimes. Lisidas et Cyminde sont sur un Autel mobil, qui roule imperceptiblement sur le bord de la mer. 94 CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES CYMINDE. Épargnez, Lisidas, les puissances suprêmes ; Il leur faut des respects et non pas des blasphèmes ; Si leurs soins ont rendu vos bras victorieux, À qui vous fit vaillant, soyez dévotieux ; 1305 Et pour n’augmenter point les crimes que j’expie, Contentez-vous d’aimer, sans vous montrer impie, N’irritez point le Ciel. LISIDAS. Que ne l’est-il si bien, Que votre dernier jour fût devancé du mien ! [p. 98=90] CYMINDE. Contraignez-vous un peu. LISIDAS. Mais pourquoi me contraindre ? 1310 Je n’espère plus rien, je n’ai plus rien à craindre, Me ravir mon trésor ! m’ôter d’entre les bras Ma Déesse visible, et ne m’en plaindre pas ! Exercer sur mon cœur autant de barbaries, Que dessus les damnés exercent les Furies 128 , 1315 Et puis bénir l’Auteur des peines que je sens ! Ha, c’est trop peu d’amour, ou c’est trop peu de sens, Cyminde, quelque mal que Neptune me fasse, Ce m’est une faveur d’encourir sa disgrâce ; Car s’il perce mon sein de ses traits acérés, 1320 Il m’épargne les maux que vous me préparez. Sa persécution fait ma bonne fortune, Je mourrais mille fois, et je n’en mourrai qu’une ; 128 Divinités romaines persécutrices, correspondant aux Érinyes chez les Grecs. Les Furies sont trois vierges aux ailes rapides. Déesses de la vengeance, elles tourmentent ceux qui font du mal, poursuivant les coupables en les rendant fous. CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES 95 Oui, grand Dieu, je t’adore en m’outrageant ainsi ; Oui, je t’aime bien mieux irrité qu’adouci. CYMINDE. 1325 Puissant Dieu de la mer à qui je m’abandonne, Conservez Lisidas pour qui seul je me donne. [p. 99=91] Sacré dispensateur et des maux et des biens, Soyez sourd à ses cris pour écouter les miens ; Ou si vous écoutez sa bouche qui blasphème, 1330 Vengez-vous sur moi seule, et non pas sur lui-même. Puisque je satisfais aux offenses de tous, Dois-je pas expier celles de mon Époux ? LISIDAS. Généreuse vertu qui redoubles ma peine, Hélas en m’obligeant que tu m’es inhumaine ? 1335 Plus votre esprit éclate au milieu de vos fers, Plus je connais le prix du trésor que je perds. Mais puis-je perdre un bien que je veux toujours suivre ? Non, non je m’offre à tout, hormis à vous survivre. Cyminde, j’aime mieux en ce jour solennel 1340 Un tourment passager, qu’un regret éternel. CYMINDE. Funeste passion dont son âme est blessée, Ne cesseras-tu point de troubler sa pensée ? Si vos chastes brasiers ont causé mon bonheur ; Si vous avez aimé ma vie et mon honneur ; 1345 Généreux Lisidas, ne portez point d’envie À l’honneur que m’acquiert la perte de ma vie. [p. 100=92] Je ne suis que Princesse ; et pour un peu de sang Je tiendrai dans le Ciel un plus superbe rang ; De mon sexe ici-bas je n’ai que les faiblesses 129 ; 1350 Là j’aurai les vertus qui parent les Déesses ; 129 Voir supra la note 74. 96 CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES Et pour ce frêle éclat dont brille ma grandeur, Je couvrirai mon front d’éternelle splendeur. En dépit de la Parque et des maux où nous sommes, Je vivrai glorieuse en la bouche des hommes, 1355 Aimez donc ce que j’aime et qui ne peut finir ; Étendez votre amour aux siècles advenir 130 ; Ne soyez point jaloux si je suis immortelle, Et pour être divine en serai-je moins belle ? Toujours quoiqu’il arrive, adorable vainqueur, 1360 Je serai morte au monde, et vive en votre cœur ; Vous portez dans le sein la moitié de ma flamme, Vous portez dans le sein la moitié de mon Âme. Vivez donc pour ma gloire ; et souffrez, cher Époux, Que même après ma mort je vive encore en vous. LISIDAS. 1365 Raison qui m’animez, faites que je réponde, Et ne permettez pas que l’erreur me confonde 131 , Est-ce là donc l’amour que vous me promettez ? Cet honneur qui vous flatte et dont vous me flattez Ne serait plus pour moi qu’un déshonneur infâme, 1370 Puisque je ferais voir moins de cœur qu’une femme. [p. 101=93] Voilà, dirait le Peuple, en se moquant de moi, Ce malheureux Époux, ce cœur lâche et sans foi, Que sa Femme sauva d’un funeste naufrage. Elle mourut pour lui, pouvant s’en dispenser ; 1375 Et l’ingrat n’eût pas le courage De la suivre au cercueil, ou de la devancer. 130 Temps qui n’est pas encore présent. 131 Arincidas exprime cette même pensée dans la tragédie en prose de d’Aubignac (IV, 2). Selon Scherer, c’est un exemple de la « primauté de la rhétorique sur la passion » (La Dramaturgie classique en France, p. 226). Le désespoir du héros est remplacé par un esprit logique qui lui permet de s’exprimer clairement. CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES 97 CYMINDE. On dirait bien plutôt, voilà cette belle Âme Qui se faisant des lois des désirs de sa Femme, Dans un gouffre de maux se laissa secourir ; 1380 Elle mourut pour lui, mais en vivant pour elle, Il fit paraître plus de zèle, Car vivre malgré soi, c’est pis que de mourir. LISIDAS. Oui, pis que de mourir, s’il faut que je vous quitte. Mais avant ce malheur qui n’a point de limite, 1385 Arrachez de mon cœur le souvenir si doux Des grâces, des vertus qui m’attachent à vous. Que le ressentiment de ma gloire passée Ne soit plus dans mon sein qu’une image effacée. Que j’oublie aujourd’hui l’amour que je vous dois ; 1390 Et tout ce que la vôtre exécute pour moi. Mais hélas ! quel moyen d’éteindre en ma mémoire Et mes premiers plaisirs, et ma première gloire ? [p. 102=94] Puissants charmes d’Amour, divines qualités, Soyez toujours l’objet de mes félicités ; 1395 Justes ressentiments de l’heur que je possède, Loin de vous étouffer je réclame votre aide. Beautés, grâces, douceurs, que j’aime et que je sers, Ne soyez pas au rang des choses que je perds, Et redoublant ma flamme ainsi que mon courage 1400 Souffrez ce que m’inspire ou l’amour ou la rage. Je vous suivrai partout, cher objet de mon bien, Quand vous ne serez plus je ne serai plus rien, Et comme l’eau rendra votre mort prompte, ou lente, La mienne sera douce, ou sera violente. CYMINDE. 1405 Lisidas . . . 98 CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES ZORASTE. C’est assez déferrer à l’Amour 132 . Enfin, Neptune veut qu’on le serve à son tour. Puisque pour le venger des offenses du monde, Nous sommes arrivés sur les bords de son onde, Rendons à sa bonté ce que nous lui devons ; 1410 Commençons le mystère, ou plutôt l’achevons. Grand, et puissant Démon de ce flottant abîme, Saint et sacré vengeur de l’offense et du crime, [p. 103=95] Comme le doux parfum de ces globes d’encens Corrige les vapeurs qui nous blessent les sens, 1415 Purge l’air qui causa nos disgrâces premières, Et conserve aux Enfers la terre de leurs Pères. Puisque pour expier leur noire impiété, Nous devons une offrande à ta Divinité. Accepte de ma main cette offrande suprême, 1420 Qui s’offre pour un autre ; et s’offre d’elle-même. Approuve cet échange, et sur elle reçoit Le Destin de celui qui fut choisi pour toi. LISIDAS. Contre ma volonté m’ôter ma destinée ! Enfin ne suis-je pas la victime ordonnée ? 1425 Voir Cyminde en ma place ! ô Peuple ! ô Prêtre ! hé quoi ! Pouvez-vous faire ainsi ce change malgré moi ? Non, je reprends mon sort, et je veux que ma tête Soit le but éternel des traits de la tempête, Je retiens tous le mal que l’on me veut ôter, 1430 Et je rends tout le bien dont on me veut flatter. Ce bien m’est outrageux, et ce mal m’est propre. 132 Bien que l’entretien entre Lisidas et Cyminde joue sur la corde sensible, il risque de devenir répétitif. Le spectateur ou le lecteur serait probablement du même avis que le grand prêtre. CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES 99 ZORASTE. L’autorité des Lois, l’ordre du Sacrifice Opposent la raison à votre empêchement, Et ne demandent pas votre consentement. [p. 104=96] LISIDAS. 1435 Ô bras, jusques à quand te verrai-je inutile ? ZORASTE. Vous donc qui vous offrez d’une âme si tranquille, Descendez de l’Autel, j’ai rompu vos liens. LISIDAS. Et votre cruauté me laisse encor les miens ! CYMINDE. Puisqu’enfin je suis libre . . . . ZORASTE. Avancez sans rien dire. LISIDAS. 1440 En faveur de ce sang versé pour cet Empire, Approchez Calionte, et dégagez ce bras Qui mit pour l’élever tant d’ennemis à bas. CALIONTE. Dieux, modérez l’ennui de son âme agité. [p. 105=97] LISIDAS. Dieux rendez-moi la mort que vous m’avez ôtée. 1445 Puisque je ne suis point la victime du sort Souffrez que je la sois de mon juste transport 133 . Dans l’état où je suis, je ne suis plus moi-même, 133 Lisidas veut qu’on le mette en liberté afin qu’il puisse se donner la mort. Zoraste rompt la chaîne de Cyminde et lui présente la main. Zoraste mène Cyminde dans la Barque. 100 CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES La raison m’abandonne à la fureur extrême. De la terre et du Ciel je n’ai plus de souci, 1450 Je haïs ce qui m’oblige, et je me haïs aussi. ZORASTE. Entrez belle Princesse. CYMINDE dans la barque, Adieu, mais . . . . LISIDAS. Calionte, Que la gloire des Dieux me procure de honte ! Puis-je l’abandonner en ce funeste état ? Puis-je mourir ailleurs avec plus d’éclat ? 1455 Lisidas sur l’Autel ; et Cyminde en la barque. Ô vaisseau de Neptune, ou plutôt de la Parque ! Partirez-vous sans moi ? ne me retenez point. Voulez-vous séparer ce que le Ciel a joint ? [p. 106=98] Transports qui m’agitez en ce moment funeste, 1460 J’ai perdu ma moitié, perdez ce qui me reste. ZORASTE. Allez, sainte victime, où pour notre repos Vous appelle aujourd’hui le Monarque 134 des flots, Vous seule consommez toute notre misère, Et recevez pour tous les traits de sa colère. 1465 Ainsi, pour accomplir vos désirs et nos vœux, Passiez-vous de cette Île aux champs des bienheureux ! 135 Que là votre vertu trouve la récompense Que la terre promet, et que le Ciel dispense. 134 Il s’agit de Neptune. 135 Dans la tragédie en prose de d’Aubignac, Zoraste parle des « champs Élysées » (IV, 2). Dans la mythologie grecque et latine, c’est la partie des Enfers où séjournent les âme vertueuses après le trépas. La Barque quitte lentement le rivage. Il parle à ses gardes. CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES 101 Mais en partant d’ici, surtout souvenez-vous 1470 D’en partir avec joie. CYMINDE. Ô que si mon Époux Ne faisait à nos Lois non plus de résistance ! . . . LISIDAS. Oui, pour les observer j’ai la même constance, Puisqu’un secret génie oblige mon esprit À faire comme vous ce qu’un Dieu me prescrit. 1475 Oui, pour vous contenter, Cyminde, je veux vivre. [p. 107=99] CYMINDE. Vivez donc . . . . LISIDAS. Je vivrai ; seulement pour la suivre. CYMINDE. Enfin je meurs contente, et quoiqu’en vous laissant La perte que je fais me soit un mal pressant, Mon cœur est consolé de la vertu du vôtre. CALIONTE. [l’autre ! 1480 Couple heureux, dont le cœur vit et meurt l’un pour CYMINDE. Souvenez-vous au moins de Cyminde et des Dieux, Et montrez-vous ensemble et fidèle et pieux. Ô larmes de mes yeux dont j’arrêtais la source, Pour ne point de ses pleurs faire croître la course ; 1485 Soupirs, tristes enfants de mon cœur affligé, Donnez-moi du repos, je vous donne congé ; Puisqu’il est si constant dans les maux qu’il endure, Suivez les mouvements qu’inspire la nature ; Il dit bas ces derniers mots. 102 CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES Consolez Lisidas, et faites à ce jour 1490 Tout ce que la douleur peut faire pour l’Amour. [p. 108=100] Mais las ! qui peut répondre à ce triste langage ? Je suis loin de la terre, et proche du naufrage, Ma voix se perd en l’air, mes cris sont superflus, Et si ce n’est le Ciel, pas un ne m’entend plus. LISIDAS. 1495 Que ce cruel vaisseau fuit avecque vitesse ; Il m’a tout emporté, si ce n’est la tristesse, Où courez-vous, Cyminde ? allez-vous au trépas ? Mon cœur vole après elle, et ne la quitte pas. Ne vous verrai-je plus, Déesse que j’adore ; 1500 Dieux ! j’ai perdu mon âme, et je respire encore ! Bas. Mais cachons ce transport. ZORASTE. Ô Prince généreux ! Il est temps à la fin que je rompe vos nœuds. La victime est reçue, et la fête est finie, Neptune est satisfait de la cérémonie. 1505 Soyez libre et content, vivez avecque nous, Pour les Dieux et le Roi, pour l’État et pour vous. LISIDAS. Oui, je vivrai mon père, et serai dans le monde Jusqu’à tant que mon sort m’ait abîmé dans l’onde. [p. 109=101] CALIONTE. Où courez-vous ainsi ? LISIDAS. Mais pourquoi m’arrêter ? 136 136 Lisidas ne réussit pas à s’échapper. Il rompt la chaîne de Lisidas. Il va pour se jeter dans la mer. CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES 103 CALIONTE. 1510 Quelle fureur vous porte à vous précipiter ? ZORASTE. Lisidas ! est-ce là ce courage invincible ? LISIDAS. Que n’ai-je mon épée ? ZORASTE. Ô Dieux est-il possible ! LISIDAS. Ni devoirs ni respects ne sont plus de saison. ZORASTE. Oubliez-vous les Dieux ? perdez-vous la raison ? [p. 110=102] LISIDAS. 1515 Est-ce les oublier ces Monarques suprêmes, Que de chercher la mort qu’ils m’ordonnent eux-mêmes ? ZORASTE. Empêchez, empêchez le cours de son erreur, Emmenez-le au Palais, prévenez sa fureur, Calionte, et voyez à quels soins vous obligent 1520 Nos propres intérêts, et les maux qui l’affligent. ⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸ SCÈNE III. DERBIS seul. Que Lisidas se perde, Ostane en sera mieux ; Mais qu’Ostane ait perdu le flambeau de ses yeux ! Que Cyminde soit morte ! ô perte déplorable ! 104 CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES Qui fait un triste Amant, d’un Prince misérable. 1525 Que ne dira-t-il point ? que ne fera-t-il pas ? La peut-il voir périr sans marcher sur ses pas ? [p. 111=103] Je crains, comme il est prompt et sensible à l’outrage, Qu’aux fureurs de l’Amour il n’ajoute la rage ; Enfin qu’en le perdant, je ne perde avec lui 1530 Tout ce que ma fortune attend de son appui, Contentements d’Ostane, il est vrai je vous aime, Mais j’aime encore plus ma fortune, et moi-même 137 . Fin du quatrième Acte. 137 Le ministre du temple essaie de jouer sur les deux tableaux. Il ne manifeste aucun remords pour son rôle dans le complot d’éliminer Lisidas. Paradoxalement, c’est la mort du héros que craint maintenant Derbis. CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES 105 [p. 112=104] ACTE V. SCÈNE PREMIÈRE. OSTANE seul 138 . Qu’aux caprices du sort les hommes sont sujets ! Et qu’ils forment souvent d’inutiles projets ! 1535 J’ai voulu perdre un Prince, et le Ciel au contraire S’est rendu malgré moi son Démon tutélaire, J’ai voulu de la mort Cyminde garantir, Et l’onde malgré moi, s’ouvre pour l’engloutir. Désirs ambitieux, espérance interdite, 1540 Ridicules amours, quittez ce qui vous quitte. Ô que de mes amis la trop lente froideur N’a-t-elle secondé ma violente ardeur ? [p. 113=105] Qu’au lieu de consulter si longtemps cette affaire, N’ai-je vu leur prudence un peu plus téméraire ? 1545 Que n’ont-ils eu moins d’âme et plus d’affection ? Ce cœur serait sans crainte, ou sans affliction. Mais pour trop balancer leur devoir et ma flamme, Ils sauvent leur honneur, et je demeure infâme. Ah ! dès qu’ils ont prévu ce triste évènement, 1550 Pour garantir Cyminde, et périr noblement, Pour étouffer le crime, et sauver l’innocence, Que ne venais-je ici déclarer mon offense ? Mon sacrilège horrible ou l’Enfer même à part ? Dont je rougis de honte, et me repens trop tard, 1555 Puisque malgré mes soins Cyminde est condamnée, Et qu’aux Monstres des eaux elle est abandonnée. Mais, ô divin objet, et d’Amour et de foi, 138 Nous retrouvons la même scène dans la tragédie en prose de d’Aubignac (V, 1). Rongé par le remords, Ostane se décide à se suicider. Ce genre de monologue sert à faire avancer l’action d’une pièce, constituant « un élément de l’intrigue au même titre qu’une scène d’action dialoguée » (Scherer, La Dramaturgie classique en France, p. 247). 106 CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES Je sauverai mon crime en m’immolant pour toi. Soit qu’en quittant cette Île, et ces rives fameuses 1560 Tu fasses ton entrée aux Îles bienheureuses 139 ; Sois que pour reculer ton aimable repos, Le Styx 140 te fasse encore errer dessus ses flots, Tu sauras que ma main par un acte tragique Aura vengé ta mort, et la cause publique. 1565 Mais serait-elle morte ? hélas ! ce bruit confus Et des vents et des flots m’apprend qu’elle n’est plus, Si ce n’est dans le fonds de ce mortel abîme, Où Neptune est ravi de l’avoir pour victime. [p. 141=106] Légitimes remords, honte de mes forfaits, 1570 Faites-moi réparer tous les maux que j’ai faits. Vérité toute nue, ôte ces voiles sombres, Montre ce que devraient ensevelir les ombres. Dis, dis que j’ai trahi Cyminde, et Lisidas, Les puissances d’en haut, et celles d’ici-bas ; 1575 Et découvrant au roi cette noire malice, Fais-moi faire en mourant un acte de Justice. Hâte-toi donc perfide, ou la foudre des Dieux Préviendra malgré toi tes crimes odieux ; L’air s’évanouira pour t’empêcher de vivre, 1580 Et ces flots sortiront de leur lit pour te suivre ; Lors tu mourras de voir que le feu, l’air, et l’eau, Seront au lieu de toi ton juge et ton bourreau. Toi-même venge donc l’innocence périe, L’ennui de Lisidas, sa douleur, sa furie ; 1585 Venge l’impiété dont tu noircis le jour, Venge l’État, le Roi, la Justice, et l’Amour. 139 Voir supra la note 135. 140 Dans la mythologie grecque, le Styx est le principal fleuve des Enfers. Le mot signifie « haïssable », exprimant l’horreur de la mort. CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES 107 [p. 151=107] ⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸ SCÈNE II. DERBIS. Mais que veut dire Ostane ? enfin que veut-il faire ? 141 Prétend-il révéler un crime qu’il doit taire ? Ses discours m’ont surpris. Ha ! s’il découvre au Roi, 1590 Ce que j’ai fait pour lui, ce qu’il a fait pour moi, Il se perd, il me perd. Derbis, préviens l’orage, Cherche Ostane, et l’oblige à changer de langage. ⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸ SCÈNE III. LISIDAS 142 . Douleur qui m’agitez, importune langueur, Ou consumez ma vie, ou sortez de mon cœur. [p. 116=108] Ou s’il faut qu’un effort vous tue, et me seconde, Exposons-nous ensemble à la merci de l’onde. Attendez-moi Cyminde, et qu’en mourant au moins, Neptune soit mon Juge, et vos yeux mes témoins, Pour peu que vous erriez sur les flots de la Parque, 1600 Pour passerons tous deux dans une même barque. 141 Le discours d’Ostane a été entendu par Derbis. Ce deuxième personnage prononce lui aussi un monologue tout de suite après pour faire savoir qu’il a entendu tout le discours de la première scène et qu’il a l’intention d’essayer d’empêcher le suicide du prince. Colletet néglige d’utiliser la didascalie « seul » pour indiquer qu’il n’y a que Derbis sur la scène. Nous retrouvons ce même dialogue surpris dans la tragédie en prose de d’Aubignac (V, 1 et V, 2). Ce procédé théâtral ajoute une autre réalité à la convention du monologue. En plus de représenter la pensée silencieuse, les paroles d’un seul personnage peuvent aussi représenter la pensée devenue discours. 142 C’est le troisième monologue consécutif de cet acte. De nouveau, Colletet n’utilise pas la didascalie « seul ». 108 CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES Si je n’ai su plutôt accompagner vos pas, C’est un crime innocent, ne m’en accusez pas ; On retenait mon corps, cependant que mon âme Vous suivait dans les eaux sur des ailes de flamme ; 1605 Et si j’ai le premier ressenti votre Amour, Ne me devancez pas dans l’éternel séjour. Malgré ce qui nous choque et qui nous désassemble, Souffrez que nous vivions, ou nous mourrions ensemble ; Et que dessus ces flots éternisant ma foi, 1610 Je fasse un acte digne, et de vous et de moi. [p. 117=109] ⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸ SCÈNE IV. CYMINDE dans la barque. LISIDAS 143 . CYMINDE. Suis-je encore vivante ? ô Dieux ! quelle aventure ! Qui trouble ainsi pour moi l’ordre de la nature ? Cet abîme de flots qui vient de se crever, Au lieu de m’engloutir a-t-il dû me sauver ? 1615 Et comme si la mer refusait son hostie, Me faut-il retourner d’où ma barque est partie ? 144 Grand Dieu de ces gouffres affreux, Pourquoi dédaignes-tu mes vœux ? Si je suis ta sainte victime, 1620 Tes eaux me doivent retenir ; Si je ne la suis pas, perds-moi dans cet abîme ; J’ai profané tes flots, ils me doivent punir. Mais toujours je m’avance, et l’air d’un doux Zéphyr 145 Me fait vivre dans l’Onde, où le Soleil expire. 143 Colletet annonce les deux personnages au début de la scène, tandis que d’Aubignac n’indique pas la présence d’Arincidas. 144 L’unité de lieu est respectée puisque Cyminde se retrouve près du rivage. 145 Dans la mythologie grecque, la personnification du vent d’ouest. Colletet l’épelle « Zéphire ». Il se jette dans la mer. La Barque sort de derrière un grand rocher. CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES 109 1625 Démons du calme, éteignez-vous, Vous causez mon inquiétude ; [p. 118=110] Faut-il qu’un mouvement si doux Caresse un Élément si rude ? La tempête convient à mes émotions, 1630 Je cherche des écueils 146 , non pas des Alcyons 147 . Dieux ! je vois le séjour de mon bonheur extrême. Ô Terre, où j’ai laissé la moitié de moi-même, Si mon cœur te désire et craint de t’approcher ; S’il redoute pour toi la divine colère, 1635 Conserve Lisidas qui t’est si nécessaire, Et que je fuis pour toi, quoiqu’il me soit si cher. Mais que vois-je flotter sur cette onde traîtresse, Qui suit ses mouvements, qui s’enfle, et qui s’abaisse ? C’est d’un homme noyé le misérable corps. 1640 Grands Dieux, que vos secrets ont d’étranges ressorts ! Vous conservez ce corps que la Parque vous livre, Et vous tuez peut-être un corps qui voulait vivre. Mais, ô mes tristes yeux, ne m’abusez-vous pas ? Qu’est-ce que j’aperçois ? serait-ce Lisidas ? 1645 Voilà son même habit, et voilà son visage, Où le fier désespoir a tracé son image. Ces Rochers dont le front passe au-delà des airs, Et dont le pied s’enfonce au-delà des Enfers, M’ont sans doute cachée à sa fureur extrême 148 , 1650 Et me croyant perdue il s’est perdu lui-même. Cruels flots, cruels vents, complices de mon sort ; N’avez-vous différé le terme de ma mort, [p. 119=111] Que pour me faire voir cette noire infortune ? Et me faire mourir mille fois au lieu d’une ? 146 Rochers contre lesquels un navire risque de se briser. 147 Oiseaux mythiques d’heureux présage en mer. 148 Cyminde explique pourquoi Lisidas n’a pas pu voir qu’elle était toujours vivante. Soucieux des vraisemblances, d’Aubignac fournit la même explication dans sa tragédie en prose. 110 CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES 1655 Dieu des eaux, que mes soins deviennent superflus ! J’étais votre victime et je ne la suis plus, Puisque pour prévenir mon Zèle et mon courage, Lisidas m’a ravi ce funeste avantage. Mais s’il est un trésor dont vous sauvez le prix, 1660 Si me l’ayant rendu vous me l’avez repris ; Souffrez qu’en l’imitant, ma douleur éternelle Achève ce que l’onde exigeait de mon zèle, Et qu’en suivant ses pas je témoigne à ce jour Que je fais par devoir, ce qu’il fit par Amour. [tremble ! 1665 Qu’attends-tu donc Cyminde ? il s’approche, ha je Dieux, sans vous offenser pouvons-nous être ensemble ? Est-ce enfin qu’il attend le terme de mes jours ? Ou si sa voix mourante implore mon secours ? Mais comment secourir celui qui me réclame, 1670 Si cette nef 149 sans mats, sans voiles, et sans rame, Est si faible et si lente à seconder mes vœux ! Amour qui donnes l’âme à tout ce que tu veux ; Anime un peu cette onde, excite un peu d’orage, Le salut d’un Amant doit être ton ouvrage. 1675 Pour rejoindre deux cœurs que séparent les flots, Donne à mes bras la force et l’art des Matelots ; Fais de mes chauds soupirs un vent qui le caresse, Des rames de mes mains, des voiles de ma tresse. [p. 120=112] Mes vœux sont exaucés ; déjà l’Onde s’émeut, 1680 En dépit de Neptune, Amour fait ce qu’il veut. Approchez Lisidas, Cyminde vous appelle, Venez, vivant ou mort demeurez avec elle. Ô vague qui coulez d’un mouvement trop doux, Soyez un peu plus forte, et j’aurai mon Époux. 1685 Je ne veux rien ôter au Dieu qui vous commande, Qu’aux dépens de mon sang cette main ne vous rende. Flots, Amour, un peu d’aide ; ha ! je le puis toucher. Ô Toi que je fuyais et qui me viens chercher, 149 Vieux mot qui signifiait « navire ». CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES 111 Puisque je te rencontre, et que je te possède, 1690 Cyminde a fait ton mal, qu’elle soit ton remède. Respect qu’on doit aux Dieux, dans ce mortel ennui Serait-ce vous quitter que d’avoir soin de lui ? Quand j’aurai satisfait à l’Amour qui m’anime, Je m’abandonne à vous, je suis votre victime. 1695 Sus donc 150 , pour le sauver redoublons notre effort. Le voilà ; Mais hélas ! dans les bras de la mort. Lisidas ne vit plus. Toutefois . . . . il soupire, Mais ne serait-ce point à ce coup qu’il expire 151 ; Cruel Dieu de la mer, viens, viens reprendre l’eau, 1700 Qui d’une illustre vie éteint le clair flambeau. Sortez funestes flots, sortez poison liquide, Quoi ! grondez-vous encore après votre homicide ? N’êtes-vous pas contents ? Mais courage, bons Dieux ! Grâce au Ciel, il respire, il entrouvre les yeux. [p. 121=113] L’Onde cède à leur feu, son cœur s’émeut, il semble Qu’il veuille rendre grâce au Dieu qui nous assemble. Il revient ; Lisidas . . . LISIDAS. Où suis-je ? CYMINDE. Oyez ma voix. Lisidas, parlez-moi pour la dernière fois. 150 « Sus donc » est une exclamation utilisée pour exciter quelqu’un à prendre courage. 151 La représentation de cette partie de la scène fut critiquée dans « Le Libraire au lecteur » de la tragédie en prose de d’Aubignac. La comédienne qui jouait le rôle de Cyminde « était debout, ne pouvant ou ne voulant pas se baisser comme il était nécessaire en ce rencontre où la douleur la doit rendre languissante […]. Aussi lors les spectateurs se fâchaient contre l’Actrice qui faisait si mal son personnage, et perdaient cependant le contentement qu’ils devaient recevoir de ses plaintes » (« Le Libraire au lecteur », La Cyminde ou les deux victimes, dans Abbé d’Aubignac. Pièces en prose, éd. Bernard J. Bourque, Tübingen, Narr Verlag, 2012, pp. 141-142). Elle le prend par un bras et le conduit sur le bord. Elle sort de la Barque. Elle le tire sur le Rivage. 112 CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES Mais que vois-je bons Dieux ? sa bouche s’est fermée, 1710 Et ses yeux ont éteint leur flamme rallumée. Si vous fuyez de voir la lumière des Cieux, Voyez ce qui vous fut beaucoup plus précieux. Si quelque onde vous flatte, ou vous est importune, Ce sont pleurs de Cyminde, et non flots de Neptune. 1715 Vous êtes dans mon sein, non dans le sein des flots, Non dans le mouvement, mais bien dans le repos. Cyminde . . . . . LISIDAS. Vous Cyminde ! CYMINDE. Oui Cyminde sans doute ; C’est elle qui vous parle, elle qui vous écoute. [p. 122=114] LISIDAS. Ô toi qui réunis l’Épouse avec l’Époux, 1720 Mort, tu n’as point de traits qui ne me semblent doux. CYMINDE. Puisqu’il plaît à l’Amour . . . . LISIDAS. Ou plutôt à la Parque, Traversons l’Achéron 152 dans même barque. Que mon cœur est content ! que je bénis le sort, Qui nous fait triompher sur les eaux de la mort ! CYMINDE. 1725 Quel assoupissement ! loin cette erreur profonde ; Nous sommes, Lisidas, vous et moi dans le monde. 152 Dans la mythologie grecque, branche de la rivière souterraine du Styx, sur laquelle les âmes des défunts furent transportées en barque vers les Enfers. CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES 113 Voici la mer d’Astur, et non l’eau d’Achéron, La barque de Cyminde, et non pas de Charon 153 . LISIDAS. Puissants Dieux de la mer, du Ciel, et du Cocyte 154 , 1730 Quelle fatalité veut que je ressuscite ? CYMINDE. Vous plaignez-vous du bien que vous recevez d’eux ? Et des soins qu’ils ont eu de nous joindre tous deux ? [p. 123=115] Vous plaignez-vous de voir que ma mort différée Rende malgré ces flots votre vie assurée ? LISIDAS. 1735 Ô que vous êtes douce en me persécutant ! Aimez-moi davantage, ou ne m’aimez pas tant. Non, non, puisque deux fois vous me sauvez la vie, Mourir deux fois pour vous est toute mon envie. CYMINDE. Vous mourir, et moi vivre ! ha ne l’espérez pas. LISIDAS. 1740 Prétendez-vous aussi d’aller seule au trépas ? Un seul cœur nous anime, un seul nœud nous assemble, Ensemble nous vivrons, ou nous mourrons ensemble. CYMINDE. Mais en courant ainsi tous deux au monument ; 153 Pilote de la barque des Enfers dans la mythologie grecque, ce vieillard, vêtu d’une cagoule, faisait traverser le Styx aux âmes des morts ayant reçu une sépulture. Il fallait payer une obole au nocher pour ce voyage. 154 Affluent de l’Alchéron, le Cocyte fut alimenté par les larmes de ceux qui étaient dans l’hybris et de ceux qui s’étaient mal conduits en général. Les âmes qui ne pouvaient payer une obole au nocher devaient errer sur les rives du Cocyte pendant cent ans. 114 CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES C’est trop, un de nous deux meurt inutilement. 1745 Une offrande suffit à la Parque obstinée, Les lois vous ont absous, et je suis condamnée. LISIDAS. Les lois ! ha par les lois c’est moi qui dois mourir. [p. 124=116] CYMINDE. Ne l’aurais-je sauvé que pour le voir périr ? LISIDAS. Partout où vous irez, je fous suivrai, mon Âme. CYMINDE. 1750 Vous que mon cœur adore, et que ma voix réclame ; Monarques éternels de la terre, et des flots, Dois-je aller par ce trouble au séjour du repos ? Violence d’Amour qui le porte à me suivre, Dans cette extrémité dois-je mourir, ou vivre ? 1755 Mais que vois-je ? LISIDAS. Est-ce encor ce Peuple furieux ? [p. 125=117] ⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸ SCÈNE V. LE ROI. CALIONTE. Troupe de Bourgeois. CYMINDE. LISIDAS. UN PAGE. LE ROI. Ô de la conscience effet prodigieux ! Après ce coup funeste autant que légitime, Dont Ostane à mes yeux vient d’expier son crime ; Il se veut jeter dans la mer. CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES 115 Après qu’il s’est rendu son Juge, et son bourreau 155 , 1760 Quel spectacle a-t-on vu plus triste et plus nouveau ? Je suis encor souillé de ce sang détestable, Qui venge l’innocent, et punit le coupable. Mais ce n’est pas ce sang qui me tourmente ici, Lisidas échappé me donne du souci, 1765 Je crains son désespoir, quoique vous puissiez dire. CALIONTE. Ce tragique sujet, ce coup funeste, Sire, A tellement troublé la Cour et vos Soldats, Qu’un seul moment a fait négliger Lisidas ; [p. 126=118] Et ce moment fatal a procuré sa fuite. LE ROI. 1770 Qu’on le cherche, et qu’on veille après cette poursuite Sans doute il est allé sur le bord de la mer, Ou pour suivre Cyminde, ou pour la réclamer. Mais que vois-je sur l’eau ? CALIONTE. C’est la barque mortelle. Sire, voilà Cyminde, et quelqu’autre avec elle. LE ROI. 1775 Cyminde ! CALIONTE. Et Lisidas. LE ROI. Eux-mêmes je les vois ; Lumière de mes yeux vous dois-je ajouter foi ? Jamais nef sans périr ne vogua tant sur l’onde, 155 Le suicide d’Ostane n’est pas présenté devant les spectateurs. 116 CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES Jamais victime, ô Dieux ! ne véquit 156 tant au monde. En sauvant celle-ci, vous témoignez au moins 1780 Que la vertu suprême est digne de vos soins. [p. 127=119] Mais, comment ! Lisidas et Cyminde ! ô spectacle, Qui n’est pas sans mystère ou plutôt sans miracle ! Faites venir Zoraste, et qu’il hâte ses pas. CYMINDE. Espérance à ce coup ne m’abandonne pas. LE ROI. 1785 Il est temps . . . . CYMINDE. Le Roi vient seconder mon courage. Voyons à quoi l’Amour ou l’honneur vous engage. Vous pourrez bien ailleurs terminer votre sort ; La Terre a cent chemins qui mènent à la mort. LISIDAS. Différer ce devoir si saint, si charitable, 1790 C’est une lâcheté . . . . LE ROI. J’en veux être coupable. LISIDAS. Dure nécessité qui me rend tout confus ! [p. 128=120] CYMINDE. Vous réparerez tout quand je n’y serai plus. LE ROI. Avant que Lisidas m’apprenne ce mystère, 156 Forme vieillie du passé simple de « vivre ». Il parle à un page qui va quérir Zoraste. Le Roi parle à Calionte. CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES 117 Je vous rends grâce, ô Dieux, d’un succès si prospère ; 1795 Et voyant pour son bien mon désir exaucé, Je suis prêt d’achever son salut commencé. Calionte, approchez de cette onde fatale ; Amenez Lisidas. Que son visage est pâle ! Qu’il est faible ! appuyez et conduisez ses pas. 1800 Mais respecter Cyminde, et ne la touchez pas ; Depuis qu’elle est du Ciel l’Innocente victime, Zoraste seulement la peut toucher sans crime. Elle n’est plus du monde, un commerce plus saint L’unit avec les Dieux qu’elle aime, et qu’elle 157 craint. 1805 Donc attendant qu’ici le grand Prêtre se rende, Venez Prince, CALIONTE. Venez, le Roi vous le commande. LISIDAS. Ô Roi toujours propice et toujours triomphant, Me commanderez-vous ce qu’Amour me défend ? [p. 129=121] Voulez-vous ruiner ma gloire et ma fortune, 1810 Et m’être plus cruel que les flots de Neptune ? Ils m’ont rendu Cyminde en dépit de mon sort, Ne l’eus-je en pleine mer que pour la perdre au port ? Non, non, quoique de moi l’onde, ou la terre ordonne, Il ne sera point dit que je vous abandonne ; 1815 Je vous touche, et mon cœur ne peut s’imaginer Que mes attouchements vous puissent profaner. On vous a jointe aux Dieux, mais notre âme est unie Avant que l’on eût fait cette cérémonie. LE ROI. Ah ! ne résistez plus. 157 Nous avons remplacé « quelle » par « qu’elle ». 118 CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES CYMINDE. Allez cœur généreux 1820 Où le Roi vous appelle, aussi bien que mes vœux. LISIDAS. Être où vous n’êtes point ! ce corps quitter son âme ! Plutôt cette onde éteigne et ma vie, et ma flamme. [p. 130=122] ⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸⸸ SCÈNE VI. LE PAGE. ZORASTE. LE ROI. CALIONTE. LISIDAS. CYMINDE. LE PAGE 158 . Sire, Zoraste vient, et vient à plus grands pas Que son âge caduc 159 ne le lui permet pas. LE ROI. 1825 Lui qui sait des grands Dieux les mystères comprendre M’apprendra de ceux-ci ce que j’en dois attendre. ZORASTE. Grand Roi, je vous annonce un miracle parfait Que les Dieux ont prévu, comme les Dieux l’ont fait. Je sais comme Derbis trahissant son office 1830 A contre Lisidas épuisé sa malice ; Que nous ayant trompés en abusant du sort, Vous avez prononcé sa Sentence de mort ; Qu’Ostane infâme auteur de ce forfait infâme, 158 Le page n’est pas un personnage de la tragédie en prose de d’Aubignac. 159 Vieux, qui n’a plus cours (littéraire). CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES 119 À vos yeux, à vos pieds s’est percé de sa lame 160 ; 1835 Et que de cette Mer le favorable bras Nous vient de rendre vifs Cyminde, et Lisidas. De nos livres sacrés j’ignore l’écriture, Où l’Oracle s’accorde avec cette aventure, [p. 131=123] Puisque Neptune enfin nous montre l’heureux jour ; 1840 Qu’il refuse, et qu’il rend Deux Victimes d’Amour 161 . Le Ciel est apaisé ; cette Île est hors de crainte De voir renouveler le sujet de sa plainte ; Et pour comble de joie, et pour signe de paix, Ce cruel sacrifice est éteint pour jamais. 1845 D’Ostane, et de Derbis l’horrible sacrilège Les a précipités eux-mêmes dans leur piège ; Et les Dieux qui sont bons, comme ils sont tout-puissants, Et ont voulu tirer ces deux cœurs innocents ; Pour montrer aux mortels qu’un traître peut combattre 1850 L’Amour, et la vertu, mais non point les abattre 162 . LISIDAS. Je me trompe, ou voici la fin de nos tourments. ZORASTE. Oui, Ministres sacrés de nos contentements. LE ROI. Approchez donc . . . . 160 Dans la pièce, tous les personnages sont récompensés selon leur vertu ou leur vice : Ostane s’est suicidé, Derbis sera mis à mort et les deux « victimes » sont sauvés. Colletet respecte intégralement le dénouement de la tragédie en prose de d’Aubignac. 161 Sur notre emploi de l’italique, voir supra la note 24. 162 C’est la morale de cette histoire. Dans la tragédie en prose de d’Aubignac, Zoraste ne l’exprime pas directement : « […] c’est ce que nous voyons ; le crime d’Ostane et de Derbis a fait horreur au Ciel ; et l’innocence de ces deux chastes Amants a mérité leur conservation ; Neptune a rendu ces deux Victimes d’Amour, parce que l’impiété de ces deux autres coupables les lui avait données » (La Cyminde ou les deux victimes, V, 6). Il parle à Cyminde. 120 CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES ZORASTE. Venez que le Roi vous embrasse. LISIDAS. Allons. CYMINDE. Mais . . . . LISIDAS. Tout le veut, [p. 132=124] ZORASTE. Et tout vous en rend grâce. LE ROI. 1855 Généreux Lisidas, et vous son doux espoir, Que mon cœur est ravi du bien de vous revoir ! LISIDAS. Ô faveurs de mon Roi que vous m’êtes propices ! CYMINDE. Ô Sire, qu’à nos maux succèdent de délices ! LISIDAS. Que nous devons aux Dieux ! que nous devons au Roi ! 1860 Et que je dois aux soins que vous eûtes pour moi ! CYMINDE. Je n’ai rien fait pour vous, que ce que j’ai dû faire. CALIONTE. Ô vertu qui mérite un succès si prospère ! Lisidas et Cyminde lèvent, et s’approche du Roi. CYMINDE OU LES DEUX VICTIMES 121 LE ROI. Si vous avez enfin ce que vous désirez, Jouissez du repos que vous nous acquérez. 1865 Peuple 163 , qui fis aux Dieux tant de vœux légitimes, Souviens-toi que leurs soins ont sauvé Deux Victimes ; Et qu’en les obligeant d’un traitement si doux, Ils conservent l’État, et nous conservent tous. Fin du cinquième Acte. 163 Dans la tragédie en prose de d’Aubignac, le roi ne s’adresse pas directement au peuple. OBSERVATIONS SUR CYMINDE I. Colletet, dramaturge Avouant qu’il n’avait que feuilleter l’œuvre dramatique de Colletet, Théophile Gautier, poète et critique littéraire du dix-huitième siècle, n’hésite pas néanmoins à déclarer que rien au monde n’était « plus mortellement ennuyeux que cette pièce » 1 . Ce jugement sévère de la Cyminde n’avait pas été partagé par le cardinal de Richelieu qui, selon l’épître liminaire, donna « des soupirs au récit de ses douleurs, et des applaudissements à l’heureux succès de ses aventures » 2 . Grâce à Richelieu, la pièce fut jouée en 1641 au théâtre qu’il avait aménagé dans son Palais Cardinal. François Targa, éditeur de La Pucelle d’Orléans (1642) et de La Cyminde ou les deux victimes (1642) de d’Aubignac, soutint que les adaptations en vers eurent un « favorable succès » au théâtre 3 . De toute évidence, la pièce unique de Colletet reçut l’approbation générale du public. La qualité des productions théâtrales étaient cependant une autre affaire, selon Targa. Outre les fautes du récit, les changements de paroles et les omissions de plusieurs vers importants, les acteurs auraient représenté la pièce avec négligence. L’éditeur cite comme exemple l’interprétation de l’actrice dans le rôle de Cyminde : […] le discours le plus pathétique de Cyminde, est celui qu’elle fait auprès du corps de son mari, quand elle le tient demi-mort sur le rivage, et néanmoins il fut faible, et sans grâce dans la représentation, parce que l’Actrice était debout, ne pouvant ou ne voulant pas se baisser comme il était nécessaire 1 Gautier, Les Grotesques, p. 218. 2 Voir la page 18 de notre édition. 3 Il est probable que les deux pièces en prose de d’Aubignac ne furent jamais représentées. La Pucelle d’Orléans en vers fur apparemment jouée â l’Hôtel de Bourgogne ou au Théâtre du Marais en 1641. Voir Lancaster, A History of French Dramatic Literature in the Seventeenth Century, t. II, vol. 1, pp. 357, 359, 361 et 367. 124 OBSERVATIONS en ce rencontre où la douleur la doit rendre languissante […] ; Aussi lors les spectateurs se fâchaient contre l’Actrice qui faisait si mal son personnage, et perdaient cependant le contentement qu’ils devaient recevoir de ses plaintes 4 . Dans sa Quatrième dissertation, d’Aubignac révèle sa rancœur contre le prestige des vers au théâtre. Il déclare que les poètes qui avaient versifié La Pucelle et La Cyminde changèrent tellement les œuvres originales qu’elles n’étaient plus reconnaissables 5 . À l’égard de la première pièce, cette déclaration est très exagérée. À l’exception de quelques différences entre les deux versions dans huit scènes 6 , la pièce en vers respecte l’ordre et le contenu des répliques de La Pucelle de d’Aubignac. En revanche, la déclaration de l’abbé se vérifie en effet pour La Cyminde. Il est important que nous parlions de ces différences en détail puisqu’elles mettent en valeur les talents de dramaturge de Colletet, démontrant que notre auteur était beaucoup plus qu’un versificateur. Il convient de noter tout d’abord que les titres ne sont pas identiques, celui de la pièce de Colletet ayant abandonné l’article défini « la ». Les modifications sur la liste des personnages sont les suivantes : dans l’œuvre de Colletet, le changement du nom d’Arincidas à Lisidas, le changement du nom d’Eryone à Hésione, l’identification des deux bourgeois Licaste et Érymant, l’élimination du personnage de Dorcas et l’addition d’un page qui paraît aux scènes V, 5 et V, 6. Colletet change le nom du royaume de Coracie à Sarmacie. Lisidas est décrit comme le premier prince du sang de Sarmacie, dans la pièce en vers, plutôt que prince de Carimbe. La troupe de citoyens d’Astur de la pièce en prose devient deux troupes de bourgeois dans l’adaptation versifiée. Bien que l’intrigue de la pièce en vers soit identique à celle de l’œuvre originale, Colletet se donne carte blanche pour la création 4 « Le Libraire au lecteur », La Cyminde ou les deux victimes, pp. 141-142. 5 Abbé d’Aubignac, Quatrième dissertation contre le poème dramatique, servant de réponses aux calomnies de M. Corneille, dans Dissertations contre Corneille, p. 138. 6 Il s’agit des scènes suivantes : I, 2 ; I, 3 ; I, 5 ; II, 2 ; IV, 2 ; V, 3 ; V, 5 et V, 7. OBSERVATIONS 125 des répliques, ne respectant pas toujours l’ordre et le contenu du dialogue de la pièce en prose. D’ailleurs, le roi de Colletet est plus impétueux que le personnage homologue de d’Aubignac. À la scène II, 3 de la pièce originale, le roi affirme que ses sujets sont « tous criminels » d’avoir consenti qu’Arincidas soit sacrifié. Dans la pièce en vers, le roi appelle le peuple « cette Hydre à cent chefs » et « ce monstre à cent bouche » : Que cette Hydre à cent chefs, que ce monstre à cent bouches Fasse éclater partout ses mouvements farouches. (v. 689-690) De même, l’Ostane de Colletet est plus passionné que le personnage du même nom de l’abbé. À la scène II, 6 de la pièce en prose, le prince parle de la conversation qu’il a entendue entre Cyminde et le roi : Que cet entretien m’a fait souffrir, et tant que le Roi m’a soulagé de s’être opiniâtré contre elle : sa fureur m’étonne, et me fait craindre qu’en perdant Arincidas, il me soit difficile de la posséder. Dans l’adaptation en vers, le ton du monologue est rempli de passion : J’obéis. Ô Cyminde ! ô courage fidèle ! Ô divine Princesse, aussi sage que belle ! Hélas ! que vos discours ont mon cœur affligé ! Et qu’en vous résistant le Roi ma soulagé ! Vous souhaitez la mort, et malgré votre envie On n’épargnera rien pour vous sauver la vie. (v. 833-838) En général, nous trouvons dans l’œuvre de Colletet un plus large développement des idées par rapport à l’ouvrage dramatique en prose. À la scène IV, 2 de la pièce originale, par exemple, le grand prêtre Zoraste supplie Neptune d’accepter la victime du sacrifice : À toi donc Divinité Puissante des flots, et qui dans le partage du monde reçu l’Empire de la mer, accepte pour nous cette Victime qui s’offre volon- 126 OBSERVATIONS tairement à ta Grandeur, approuve l’échange qu’elle nous oblige de faire, et reçois en sa personne le sort et la destinée de celui pour qui maintenant elle se donne. Dans l’adaptation en vers de la pièce, la supplication de Zoraste est plus vive et plus élaborée : Grand, et puissant Démon de ce flottant abîme, Saint et sacré vengeur de l’offense et du crime, Comme le doux parfum de ces globes d’encens Corrige les vapeurs qui nous blessent les sens, Purge l’air qui causa nos disgrâces premières, Et conserve aux Enfers la terre de leurs Pères. Puisque pour expier leur noire impiété, Nous devons une offrande à ta Divinité. Accepte de ma main cette offrande suprême, Qui s’offre pour un autre ; et s’offre d’elle-même. Approuve cet échange, et sur elle reçoit Le Destin de celui qui fut choisi pour toi. (v. 1411-1422) De la même façon, le monologue que prononce le héros avant de se jeter dans la mer est beaucoup moins développé et moins passionné chez d’Aubignac par rapport à celui que l’on trouve dans la pièce de Colletet : Attendez-moi, Cyminde, et ne me laissez pas longtemps le regret et la honte de vous survivre. Il ne faut pas que votre amour vous fasse marcher devant moi, puisque c’est moi qui commençai de vous aimer. Pardonnez à la violence qui m’a retenu, ce que je fais pour vous suivre est digne de ce que vous avez fait pour me devancer. (V, 3) Douleur qui m’agitez, importune langueur, Ou consumez ma vie, ou sortez de mon cœur. Ou s’il faut qu’un effort vous tue, et me seconde, Exposons-nous ensemble à la merci de l’onde. Attendez-moi Cyminde, et qu’en mourant au moins, Neptune soit mon Juge, et vos yeux mes témoins, Pour peu que vous erriez sur les flots de la Parque, Pour passerons tous deux dans une même barque. Si je n’ai su plutôt accompagner vos pas, C’est un crime innocent, ne m’en accusez pas ; OBSERVATIONS 127 On retenait mon corps, cependant que mon âme Vous suivait dans les eaux sur des ailes de flamme ; Et si j’ai le premier ressenti votre Amour, Ne me devancez pas dans l’éternel séjour. Malgré ce qui nous choque et qui nous désassemble, Souffrez que nous vivions, ou nous mourrions ensemble ; Et que dessus ces flots éternisant ma foi, Je fasse un acte digne, et de vous et de moi. (v. 1593-1610) Bien que les deux pièces se terminent par une réplique du roi, le personnage de d’Aubignac ne prononce qu’une seule phrase. S’adressant à Arincidas et à Cyminde, il déclare : Allons, et vivez désormais dans la félicité que vous procurez aux autres. (V, 6) Dans l’œuvre de Colletet, le roi s’adresse non seulement au jeune couple, mais aussi au peuple : Si vous avez enfin ce que vous désirez, Jouissez du repos que vous nous acquérez. Peuple, qui fis aux Dieux tant de vœux légitimes, Souviens-toi que leurs soins ont sauvé Deux Victimes ; Et qu’en les obligeant d’un traitement si doux, Ils conservent l’État, et nous conservent tous. (v. 1863-1868) Les exemples que nous venons de citer démontrent que Colletet ne fut pas esclave de l’édition originale de l’œuvre. Les changements majeurs qu’il apporta à la pièce ne peuvent s’expliquer uniquement par les exigences de la versification 7 . Avec sa Cyminde ou les deux victimes, les talents de dramaturge de notre auteur se mettent clairement en valeur. 7 Il est vrai que ces exigences conduisent parfois à une répétition des pensées des personnages chez Colletet, ainsi que des changements de noms à cause du besoin de créer des distiques. À la scène II, 1, par exemple, Colletet change le nom de Clymonte à Acate pour faire rimer avec le mot « pirate » : « La jeune Alsinoé la perdit pour Acate,/ Qui sauva son honneur des efforts d’un Pirate » (v. 549-550). 128 OBSERVATIONS II. Cyminde ou les deux victimes vue par les critiques Retournons au jugement porté par Théophile Gautier sur l’œuvre de Colletet. Se moquant de l’approbation de la pièce manifestée par le cardinal de Richelieu, il déclare : Il faut, en vérité, que ce Richelieu fût d’une sensibilité bien primitive pour pleurer à une pareille pièce. Cela est beau à un faucheur de têtes et à un vieux politique comme l’était le cardinal d’être ainsi, ému par des niaiseries qui feraient éclater de rire le peuple lilliputien de M. Comte 8 . Continuant son ton sarcastique, le critique fait mention du concours de générosité entre Cyminde et Lisidas : Il y a des combats de générosité à dormir debout, et des scènes d’amour vertueux et conjugal qui valent l’opium le plus fort 9 . De toute évidence, Gautier n’était pas épris du théâtre du dix-septième siècle. Même Pierre Corneille, Jean Racine et Molière n’échappent pas à ses critiques mordantes : Que dites-vous de Lisidas, premier prince du sang de Sarmacie, et de Licaste et d’Érymant, bourgeois d’Astur ? Cela ne fait-il pas le plus drôle d’effet du monde, et se peut-il voir quelque chose de plus bouffon ? Calionte, seigneur sarmacien, est aussi bien agréable ! On voit là le mauvais goût des grands romans et toute la préciosité qui distingue les productions de l’époque : le galant soleil de la Divine Astrée jette un fade rayon sur toute la littérature de Louis XIII à Louis XIV ; Corneille, tout robuste qu’il soit, ne résiste pas toujours à cet entraînement ; on se souvient de son adorable furie, des stances du Cid et d’autres passages analogues ; Racine a besoin d’avoir Boileau d’un côté et Euripide de l’autre pour n’y pas retomber à toutes les minutes ; et Molière lui-même, quoiqu’il ait fait les Précieuses ridicules, quoique ce soit le génie du monde le moins entaché d’affectation, offre beaucoup d’endroits d’un maniérisme qui nous semblerait fort étrange, et il ne s’est pas autant dérobé à l’influence d’Honoré d’Urfé qu’on pourrait bien le croire 10 . 8 Gautier, Les Grotesques, p. 218. 9 Ibid., pp. 218-219. 10 Ibid., pp. 219-220. OBSERVATIONS 129 Nous hésitons donc à prendre ses critiques de la Cyminde au pied de la lettre. Historien de la littérature et contemporain de Gautier, Léon Feugère se fie au jugement porté sur l’œuvre par les frères Parfaict. Dans leur Histoire du théâtre français, les frères avaient été tout aussi dédaigneux que Gautier de la Cyminde en vers. Après avoir présenté un résumé de l’intrigue, ils soutiennent que la pièce était « faible » et que « l’auteur n’entendait rien à la Poésie Dramatique » 11 , sans préciser les raisons de leur jugement. Dans son Abrégé de l’histoire du théâtre français, Charles de Fieux de Mouhy avait lui aussi exprimé une opinion négative et méprisante de l’œuvre et en prose et en vers : Cyminde, ou les deux Victimes, Tragédie, par Colletet, donnée en 1642, imprimée dans la même année, in-4 0 : très froide et sans intérêt. L’Abbé d’Aubignac en est le premier Auteur, en prose ; Colletet l’a mise en vers, et ne l’a pas rendue meilleure 12 . Dans son article sur Colletet pour la Nouvelle Biographie générale (1852-1866), Victor Fournel déclare que Cyminde ou les deux victimes avait été composée « dans ce genre faussement sentimental et romanesque qu’avait mis en vogue le succès récent de la divine Astrée » et que ni d’Aubignac ni Colletet n’avait « rien à gagner à la paternité de cette œuvre » 13 . Malheureusement, ces jugements, bien qu’intéressants, ne sont pas étayés sur des arguments solides. Écrivant au même siècle que Gautier, Feugère et Fournel, Charles Arnaud fait une courte analyse de la Cyminde dans son ouvrage Les Théories dramatiques au XVII e siècle (1888). Comme le suggère le sous-titre du livre, Arnaud ne parle que de la tragédie en prose de l’abbé d’Aubignac, l’appelant « ce roman héroïque et 11 Parfaict, Histoire du théâtre français, t. VI, p. 193. 12 Charles de Fieux de Mouhy, Abrégé de l’histoire du théâtre français, depuis son origine jusqu’au premier juin de l’année 1780, 3 volumes, Paris, L. Jorry et J.-G. Mérigot, 1780, t. I, p. 122. 13 Victor Fournel, « Colletet », dans Nouvelle Biographie générale depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours, éd. Jean-Chrétien-Ferdinand Hœfer, 46 volumes, Paris, Firmin Didot Frères, 1855, t. XI : 163-169, p. 164. 130 OBSERVATIONS sentimental » 14 . Il conclut que les grands étaient « bien malheureux en Coracie… et bien naïfs ». Au vingtième siècle, les critiques et les historiens de la littérature manifestent un regain d’intérêt pour Colletet. La thèse de doctorat inédite de Josephine de Boer (1925) porte sur la vie et les œuvres de notre auteur. Ni cet ouvrage ni les articles qu’elle publie au sujet de Colletet examinent en détail la pièce en vers 15 . Henry Carrington Lancaster fait l’analyse de Cyminde ou les deux victimes dans son ouvrage monumental (1929-1942) sur le théâtre du dix-septième siècle. Puisque la pièce est l’adaptation en vers de La Cyminde de d’Aubignac, Lancaster concentre sa discussion sur l’édition originale en prose, affirmant que, dans l’ensemble, les deux œuvres sont identiques : […] la pièce de Colletet est si étroitement calquée sur celle de d’Aubignac que ce dernier mérite le plus grand crédit pour sa composition. ([…] Colletet’s play is so closely modeled on d’Aubignac’s that the latter deserves most of the credit for its composition) 16 . Citant la déclaration de l’abbé selon laquelle la pièce est fondée sur « un Spectacle extraordinaire » 17 , Lancaster conclut que l’œuvre n’est pas psychologique : Dans La Cyminde, il n’a pas grand-chose d’autre à offrir, car ses personnages sont si désespérément bons ou mauvais qu’ils n’ont pas de problèmes intérieurs à résoudre. (In Cyminde he has little else to offer, for his characters are so hopelessly good or bad that they have no inner problems to solve […]) 18 . 14 Charles Arnaud, Les Théories dramatiques au XVIIe siècle : étude sur la vie et les œuvres de l’abbé d’Aubignac, Paris, Alphonse Picard, 1888 ; réimpr. Genève, Slatkine, 1970, p. 277. 15 Voir supra les notes 6, 15 et 60 de notre introduction. 16 Lancaster, A History of French Dramatic Literature in the Seventeenth Century, t. II, vol. I, p. 367. 17 Abbé d’Aubignac, La Pratique du théâtre, pp. 111-112. 18 Lancaster, A History of French Dramatic Literature in the Seventeenth Century, t. II, vol. I, p. 368. OBSERVATIONS 131 Cette interprétation de la pièce est inexacte : Arincidas/ Lisidas est tiraillé entre son sentiment du devoir envers son roi et son sentiment de l’honneur ; Cyminde veut s’offrir comme victime remplaçante pour sauver son mari, mais sa générosité comporte un élément d’égoïsme puisqu’elle veut éprouver une mort glorieuse qui sera commémorée pour toujours à travers le royaume ; Ostane, le méchant de la pièce, est motivé par son amour pour Cyminde et, à la fin de l’œuvre, il envisage de confesser son crime afin de sauver l’héroïne. Ces personnages ne sont pas des caricatures du bien ou du mal, comme Lancaster voudrait nous le faire croire. Il est regrettable que l’auteur choisisse de traiter la pièce de d’Aubignac et celle de Colletet essentiellement comme une seule œuvre. Une analyse détaillée de l’adaptation en vers par cet éminent érudit américain aurait sans doute été très éclairante. Pasquale A. Jannini et Valeria Pompejano Natoli, chercheurs italiens, consacrent deux études à Colletet dans la seconde moitié du vingtième siècle. Le livre de Jannini, Verso il tempo della ragione. Studi e ricerche su Guillaume Colletet (Vers le temps de la raison. Études et recherches sur Guillaume Colletet) 19 , ouvrage important sur la poétique de notre auteur, fut publié en 1965. Celui de Natoli, Verso una biographia di Guillaume Colletet (Vers une biographie de Guillaume Colletet) 20 , travail bio-bibliographique savant et détaillé, fut publié en 1989. Études perspicaces sur Colletet, ces deux ouvrages ne traitent pas néanmoins les notions dramaturgiques mises en œuvre dans Cyminde ou les deux victimes et qui nous intéressent particulièrement dans ce présent travail. De la même façon, d’autres travaux sur Colletet publiés au vingtième siècle, y compris un article par Frédéric Lachèvre 21 (1920) et un article par Donald Stone 22 (1976), ne se rapportent pas à la pièce. 19 Notre traduction. 20 Notre traduction. 21 Voir supra la note 51 de notre introduction. 22 Donald Stone, « A Guillaume Colletet Manuscript in Houghton Library », Harvard Library Bulletin, 24 (1976) : 194-196. 132 OBSERVATIONS Plus récemment, Hélène Baby (2001) cite plusieurs fois la Cyminde de Colletet dans son ouvrage La Tragi-comédie de Corneille à Quinault 23 . Cet excellent travail examine la poétique de la tragicomédie, ainsi que les principes dramaturgiques du genre. L’auteur maintient un ton respectueux par rapport à l’œuvre de Colletet, citant plusieurs vers de la pièce dans ses analyses. Gilles Banderier 24 (2002) et Hugh Roberts 25 (2014) se concentrent sur des sujets liés à Colletet, mais ne traitent pas de son ouvrage dramatique. Enfin, Nicolas Ducimetière 26 (2018) fait mention de la pièce dans son article sur notre auteur, sans fournir d’analyse de l’œuvre. III. Une Rose sous n’importe quel autre nom . . . Il convient de noter que Colletet appelle sa Cyminde une tragicomédie à cause du dénouement heureux de la pièce : Lisidas et Cyminde sont sauvés, l’offrande refusée par Neptune met fin au besoin du sacrifice cyclique, et le royaume est débarrassé d’Ostane, qui se suicide, et de Derbis, qui sera mis à mort. Colletet respecte intégralement le dénouement de l’œuvre en prose de d’Aubignac. Pourtant, celui-ci appelle sa pièce une tragédie. D’Aubignac traite du nom composé de tragi-comédie dans le chapitre X du deuxième livre de sa Pratique du théâtre. Il est contre l’utilisation de « ce nouveau terme » 27 . S’inspirant des tragédies d’Euripide, il soutient qu’une pièce de théâtre dont les personnages sont héroïques peut être désignée sous le terme de tragédie quel que soit le dénouement. Le nom de tragi-comédie est donc superflu : 23 Hélène Baby, La Tragi-comédie de Corneille à Quinault, Paris, Klincksieck, 2001. 24 Voir supra les notes 2 et 71 de notre introduction. 25 Voir supra la note 13 de notre introduction. 26 Voir supra la note 56 de notre introduction. 27 D’Aubignac, La Pratique du théâtre, p. 209. Le terme de tragi-comédie provient de Plaute, poète comique latin né vers 254 avant l’ère chrétienne. Voir l’ouvrage d’Hélène Baby, La Tragi-comédie de Corneille à Quinault, p. 15. OBSERVATIONS 133 Or je ne veux pas absolument combattre ce nom, mais je prétends qu’il est inutile, puisque celui de Tragédie ne signifie pas moins les Poèmes qui finissent par la joie, quand on y décrit les fortunes des personnes illustres 28 . D’ailleurs, le terme révèle instantanément au spectateur le dénouement de la pièce, ce qui détruit, selon l’abbé, toutes les beautés de l’œuvre : […] car il est d’autant plus agréable que de plusieurs apparences funestes, le retour et l’issue en est heureuse et contre l’attente des Spectateurs : mais dès lors qu’on a dit Tragi-comédie, on découvre quelle en sera la Catastrophe ; si bien que tous les Incidents, qui troublent l’espérance et les desseins des principaux Personnages, ne touchent point le Spectateur, prévenu de la connaissance qu’il a du succès contraire à leur crainte et à leur douleur […] 29 . De son côté, Colletet souscrit à l’idée qu’une pièce qui a une fin heureuse et qui n’est pas à proprement parler une comédie ou une pastorale est une tragi-comédie. Comme l’affirme Lancaster, « le fait qu’il appela sa production une tragi-comédie démontre à quel point ce genre ressemblait maintenant à la tragédie » 30 . Dans son Art poétique, Colletet cite l’idylle Moïse sauvé 31 de Marc-Antoine Girard de Saint-Amant comme exemple de mélange des genres, poème pastoral qui « représente les beaux faits des Héros » 32 . Il affirme que ceux qui inventèrent la tragi-comédie avaient « marié des choses aussi éloignées » : Après tout, ceux qui ont inventé la Tragicomédie, l’Héroïcomique, et même la Tragédie Pastorale, n’ont-ils pas marié des choses aussi éloignées, la fureur avec la raillerie, le sérieux avec le burlesque, la houlette avec le Sceptre, et 28 Ibid., pp. 218-219. 29 Ibid., p. 219. 30 Notre traduction. « The fact that he called his production a tragi-comedy shows how closely this genre now resembled tragedy » (Lancaster, A History of French Dramatic Literature in the Seventeenth Century, t. II, vol. 1, p. 368). 31 L’auteur avait appelé son poème une idylle héroïque (Paris, Augustin Courbé, 1653). 32 Colletet, Art poétique, p. 40. 134 OBSERVATIONS pour demeurer dans les termes de l’Art, le soc, ou le bas escarpin, avec le haut Cothurne ? 33 Baby rappelle que la tragi-comédie avait été authentifiée en 1628 avec Tyr et Sidon 34 , pièce de Jean de Schelandre qui fut publiée sous le nom de tragédie en 1608 et remaniée vingt ans plus tard avec le nom de tragi-comédie 35 . Le cardinal de Richelieu privilégia le genre tragi-comique « dont l’âge d’or correspond précisément à celui de la puissance cardinalice » 36 . Ce fut le nouveau baptême du Cid de Corneille, créé en 1637 sous le nom de tragi-comédie et désigné en 1648 sous le nom de tragédie, qui annonça le déclin du genre 37 . Les caractéristiques de cette forme dramatique, élaborées par Baby, correspondent à la pièce de Colletet : […] la tragi-comédie est une forme dramatique (mimétique) découpée en actes et en scènes, versifiée en alexandrins, dont l’intrigue fictionnelle, susceptible de se dérouler sur plusieurs années et dans plusieurs pays, et constituée par les obstacles que doit traverser un couple de jeunes gens issus de la haute noblesse, se termine par leur heureuse union 38 . En choisissant le nom de tragi-comédie pour sa pièce en vers, Colletet affirme non seulement son indépendance vis-à-vis de l’abbé Aubignac, mais aussi son approbation d’une forme dramatique privilégiée par Richelieu, son protecteur. Toutefois, en fondant son œuvre sur la pièce en prose de d’Aubignac, Colletet choisit de 33 Ibid. 34 Tyr et Sidon ou les funestes amours de Belcar et Miliane, Paris, Jean Micard, 1608 ; Paris, Robert Étienne, 1628. 35 Hélène Baby, « De la légitimation paradoxale : la tragi-comédie au temps de Richelieu », Littératures classiques, 51 (2004) : 287-303, p. 288. 36 Ibid., p. 295. 37 Le Cid, Paris, François Targa, 1637 ; Œuvres de Corneille, Paris, Sommaville et Courbé, 1644 (volume I) ; Paris, Toussaint Quinet, 1648 (volume II) ; Paris, Augustin Courbé, 1652 (volume III). 38 Baby, « De la légitimation paradoxale : la tragi-comédie au temps de Richelieu », p. 289. OBSERVATIONS 135 respecter les unités de temps et de lieu, notions dramaturgiques préconisées par l’abbé et souvent négligées par le genre. IV. Cyminde réhabilitée ? Les jugements négatifs ou dédaigneux sur Cyminde ou les deux victimes, surtout au dix-huitième et au dix-neuvième siècle, pourraient nous amener à penser que la pièce ne mérite pas l’édition critique que présente notre ouvrage. Sans prétendre que Cyminde est un chef-d’œuvre, nous maintenons qu’elle fournit des informations précieuses sur une éminente figure de l’histoire littéraire du dix-septième siècle. Admirée par Richelieu, l’œuvre reçut un accueil favorable quand elle fut jouée en 1641. Malheureusement, certains historiens de la littérature traitent la pièce de Colletet et celle de d’Aubignac essentiellement comme une seule œuvre. Cette approche n’est certainement pas celle à laquelle nous souscrivons. Il est à noter que Colletet ne parla jamais de d’Aubignac dans le contexte de la pièce. Il lui fallut consulter l’œuvre en prose de l’abbé afin d’en emprunter l’intrigue. Et pourtant, il ne reconnut jamais ce fait. Peut-être voulait-il toute la gloire, bien qu’éphémère. Mais peut-être aussi voyait-il dans cette pièce un ouvrage dramatique de sa propre création. Étant la seule œuvre théâtrale à auteur unique de Colletet, Cyminde ou les deux victimes devrait susciter l’intérêt des historiens de la littérature. Reconnu surtout pour ses œuvres poétiques, notre auteur fut encouragé fortement par Richelieu à plonger dans le monde du théâtre en tant que dramaturge. Il convient de noter que pour chacune de ses productions dramatiques, Colletet eut besoin, semble-t-il, d’une collaboration, d’abord dans le cadre des « cinq auteurs » et ensuite sous forme de la recette en prose créée par d’Aubignac. Sa carrière de dramaturge fut brève, ce qui rend sa pièce d’autant plus importante en raison de sa valeur historique. BIBLIOGRAHIE I. Œuvres de Guillaume Colletet L’Art poétique du S r Colletet, Paris, Sommaville et Chamhoudry, 1658. Autres poésies de Mr Colletet, Paris, Augustin Courbé, 1642. 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INDEX DES NOMS CITÉS Cet index comprend seulement les noms de l’Antiquité jusqu’à la fin du dix-huitième siècle. Alcmède (mère d’Héraclès), 59 Aubignac, François Hédelin, abbé d’, 6, 14, 23, 25, 27, 31, 37, 48, 50, 54, 57, 58, 62, 63, 66, 69, 70, 74, 93, 96, 100, 105, 107, 108, 109, 111, 118, 119, 120, 123, 124, 125, 126, 127, 129, 130, 131, 132, 134, 135, 138, 139 Audiguier, Vital d’, 3 Baïf, Jean-Antoine de, 11 Belleau, Rémy, 11 Benserade, Isaac de, 14 Boileau-Despréaux, Nicolas, 128 Boisrobert, François le Métel de, 5 Boisset, Nicolas, 7, 137 Bray, Toussaint du, 3, 137 Cadot, Pierre, 9 Camusat, Jean, 4, 137 Chamhoudry, Louis, 8, 137 Chapelain, Jean, 1, 2, 11, 13, 139 Charles Eusèbe de Lichtenstein, 6 Charon (nocher), 113 Chevreau, Urbain, 1, 9, 10, 11, 139 Coignard, Jean-Baptiste, 139 Colletet, Charlotte, 9 Colletet, François, 7, 8, 12 Colletet, Gabriel, 2 Corneille, Pierre, 5, 6, 124, 128, 132, 134, 138, 139 Courbé, Augustin, 5, 7, 15, 17, 20, 21, 133, 134, 137, 139, 141 Croisilles, Jean-Baptiste de, 3 Delaulne, Pierre, 10, 139 Delaulne, veuve, 140 Dohin, Anne, 2 Essertines, Molière d’, 3 Étienne, Robert, 4, 134, 137, 141 Euripide, 63, 128, 133 Fouquet, Nicolas, 6 François I er , 2 Furetière, Antoine, 78, 140 144 INDEX Furies (divinités romaines), 94 Groell, Michel, 140 Harlay de Champvallon, François de, 6, 7, 12 Heinsius, Daniel, 1, 2, 11, 139 Héraclès (héros), 59 Jamyn, Amadis, 11 Jodelle, Étienne, 11 L’Estoile, Claude de, 5 La Calprenède, Gauthier de Costes, sieur de, 63, 139 La Fontaine, Jean de, 10 La Mesnardière, Hyppolyte- Jules Piket de, 14 La Vallière, Louis César de la Baume Le Blanc, duc de, 6, 140 Le Hain, Claudine, 8, 9, 10, 11, 140 Le Mercier, Pierre Gilles, 9, 141 Leers, Arnout et Reinier, 140 Lesselin, Alexandre, 8 Loret, Jean, 12, 13 Louis XIII, 3, 4, 5, 20, 128, 138 Louis XIV, 128 Loyson, Jean-Baptiste, 8, 137 Lulle, Raymond, 7, 140 Macrembolites, Eustathius, 3, 137 Malherbe, François de, 2, 3 Malleville, Claude, 3 Marbeuf, Pierre de, 3 Marcassus, Pierre de, 3 Marolles, Michel de, 3 Maucors, Piat, 3 Mazarin, cardinal, 6, 7, 8 Ménage, Gilles, 9, 10, 140 Micard, Jean, 134, 141 Molière, 128 Moréri, Louis, 8, 141 Mouhy, Charles de Fieux de, 129, 141 Neptune (dieu), 26, 30, 31, 34, 36, 45, 48, 53, 55, 60, 68, 76, 82, 84, 92, 94, 98, 100, 102, 106, 107, 110, 112, 117, 119, 125, 126, 132 Parfaict, François et Claude, 9, 11, 12, 129, 141 Pasquier, Étienne, 2 Pellisson, Paul, 5, 141 Plaute, 132 Prunelle, Marie, 8, 9, 12 Quinault, Philippe, 132, 138 Quinet, Toussaint, 134, 139 Racine. Jean, 128 Rémond, François, 3 Rémy, Jean, 7, 140 Revol, L. de, 3 INDEX 145 Richelieu, cardinal de, 1, 4, 5, 6, 7, 12, 14, 18, 19, 123, 128, 134, 135, 137, 138 Ronsard, Pierre de, 11, 12 Rotrou, Jean de, 5 Saillant, Charles, 9, 141 Saint-Amant, Marc-Antoine Girard de, 133, 141 Schelandre, Jean de, 134, 141 Séguier, Pierre, 6, 20 Servien, Abel, 6 Sommaville, Antoine de, 7, 8, 15, 17, 20, 21, 134, 137, 139 Soyer, Michelle, 9 Tallemant des Réaux, Gédéon, 9, 141 Targa, François, 123, 134, 139 Urfé, Honoré d’, 128 Viau, Théophile de, 1 Vincent, Jacques, 8, 141 Zeus (dieu), 59 Composée à l’instigation de Richelieu, Cyminde ou les deux victimes (1642) est la seule pièce de théâtre à auteur unique de Guillaume Colletet, l’un des premiers membres de l’Académie française et l’un des « cinq auteurs » choisis par le cardinal pour collaborer à la composition d’ouvrages dramatiques. Bien que l’œuvre soit l’adaptation en vers d’une pièce en prose de l’abbé d’Aubignac, elle subit une transformation sous la plume de Colletet, le poète se donnant carte blanche pour la création du dialogue. Le présent travail est la première édition critique de la pièce. Ce livre a pour but de rendre cette œuvre plus facilement accessible et d’offrir des explications et des commentaires afin de faciliter sa lecture. L’édition permettra une meilleure connaissance de Colletet, connu surtout pour ses poésies, dans sa brève carrière de dramaturge. L’édition comporte une introduction et près de 300 notes. Une analyse critique, en des Observations, tente à rendre à cette pièce sa valeur dramatique et historique. BIBLIO 17 Suppléments aux Papers on French Seventeenth Century Literature Directeur de la publication: Rainer Zaiser www.narr.de ISBN 978-3-8233-8559-2