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L’appellativisation du prénom

2018
978-3-8233-9185-2
Gunter Narr Verlag 
Vincent Balnat

Cette étude est consacrée au passage du prénom au nom commun en allemand et en francais et aux mots qui en résultent, les << déonomastiques de prénoms >> tels que Metze 'prostituée', Hanswurst 'guignol', catin et jean-foutre. Couvrant la période du XIIe au XXIe siècle, ce travail repose sur une importante base de données, les items étant issus pour l'essentiel de dictionnaires historiques. Il fait d'abord le point sur l'état de la recherche relative aux déonomastiques en allemand et en francais, sur la notion de << prototype du déonomastique de prénom >> et sur les aspects sémantiques propres à ce type de mots. L'auteur dégage ensuite les principaux facteurs linguistiques et extralinguistiques qui ont pu favoriser l'émergence d'une signification lexicale, avant de classer les items collectés de manière à faire apparaître deux caractéristiques particulièrement nettes de ces déonomastiques, à savoir la forte polysémie et la tendance à la péjoration. En conclusion, le travail présente quelques réflexions à propos de l'évolution, passée et présente, de ce phénomène linguistique bien particulier qu'est l'appellativisation du prénom dans les deux langues.

www.narr.de TBL Tübinger Beiträge zur Linguistik Cette étude est consacrée au passage du prénom au nom commun en allemand et en français et aux mots qui en résultent, les « déonomastiques de prénoms » tels que Metze ‘prostituée’, Hanswurst ‘guignol’, catin et jean-foutre. Couvrant la période du XII e au XXI e siècle, ce travail repose sur une importante base de données, les items étant issus pour l’essentiel de dictionnaires historiques. Il fait d’abord le point sur l’état de la recherche relative aux déonomastiques en allemand et en français, sur la notion de « prototype du déonomastique de prénom » et sur les aspects sémantiques propres à ce type de mots. L’auteur dégage ensuite les principaux facteurs linguistiques et extralinguistiques qui ont pu favoriser l’émergence d’une signification lexicale, avant de classer les items collectés de manière à faire apparaître deux caractéristiques particulièrement nettes de ces déonomastiques, à savoir la forte polysémie et la tendance à la péjoration. En conclusion, le travail présente quelques réflexions à propos de l’évolution, passée et présente, de ce phénomène linguistique bien particulier qu’est l’appellativisation du prénom dans les deux langues. 565 Balnat L’appellativisation du prénom L’appellativisation du prénom Étude contrastive allemand-français Vincent Balnat L’appellativisation du prénom Tübinger Beiträge zur Linguistik herausgegeben von Gunter Narr 565 Vincent Balnat L’appellativisation du prénom Étude contrastive allemand-français Bibliografische Information der Deutschen Nationalbibliothek Die Deutsche Nationalbibliothek verzeichnet diese Publikation in der Deutschen Nationalbibliografie; detaillierte bibliografische Daten sind im Internet über http: / / dnb.dnb.de abrufbar. Publié avec le concours de l'Université de Strasbourg. © 2018 · Narr Francke Attempto Verlag GmbH + Co. KG Dischingerweg 5 · D-72070 Tübingen Das Werk einschließlich aller seiner Teile ist urheberrechtlich geschützt. Jede Verwertung außerhalb der engen Grenzen des Urheberrechtsgesetzes ist ohne Zustimmung des Verlages unzulässig und strafbar. Das gilt insbesondere für Vervielfältigungen, Übersetzungen, Mikroverfilmungen und die Einspeicherung und Verarbeitung in elektronischen Systemen. Internet: www.narr.de E-Mail: info@narr.de Satz: pagina GmbH, Tübingen Printed in Germany ISSN 0564-7959 ISBN 978-3-8233-9185-2 V Table des matières Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 1. État de la recherche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13 1.1. La recherche sur les déonomastiques jusqu’aux années 1930 . . . . . . . 14 1.1.1. L’émergence de l’onomastique en Allemagne et en France : des débuts décalés . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14 1.1.2. Présentation chronologique des travaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 16 1.2. Les nouvelles orientations à partir du milieu du XX e siècle . . . . . . . . . 38 1.2.1. Travaux à orientation syntaxique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 42 1.2.2. Travaux à orientation morphologique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 44 1.2.3. Travaux à orientation phraséologique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 48 1.3. Tour d’horizon des approches autres que linguistiques . . . . . . . . . . . . 54 1.4. Bilan et perspectives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57 2. Le déonomastique de prénom-: délimitation de l’objet d’étude . . . . . . . . . . . . . 63 2.1. Remarques liminaires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 63 2.2. Le prototype du « déonomastique de prénom » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 66 2.2.1. Le déonomastique de prénom est issu … d’un prénom ! . . . . . 67 2.2.2. Le prénom devient un nom commun . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79 2.2.3. Le nom commun est lexicalisé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 84 2.2.4. Pondération des critères définitoires . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88 2.3. Les types d’items moins prototypiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88 2.3.1. Les noms complexes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 88 2.3.2. Les locutions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 93 2.3.3. Les mots simples semi-lexicalisés : le type Adolf / adolf et Robinson / robinson . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98 2.3.4. Les types nach Adam Riese et Bernhardiner / saint-bernard : la place du prénom dans le processus de déonymisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99 2.3.5. Les personnifications et les allégories . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 102 2.3.6. Les emprunts . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 108 2.4. Les cas en marge de la catégorie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 108 2.4.1. Les déonomastiques antérieurs à l’époque considérée . . . . . . 109 VI Table des matières 2.4.2. Les items issus de noms ‘païens’ : le type Adonis / adonis et Krösus / Crésus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 109 2.4.3. Les items ne relevant pas de la classe des noms communs . . 110 2.4.4. Les expressions du type Danke, Anke! et Tu parles, Charles ! 111 3. Aspects sémantiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 112 3.1. Difficultés épistémologiques : de la nécessité de garde-fous . . . . . . . 112 3.1.1. La notion de (mono)causalité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113 3.1.2. Les limites de l’explication et les charmes de l’anecdote . . . . 115 3.1.3. Quel champ d’investigation reste-t-il au linguiste ? . . . . . . . . . 118 3.2. Les voies de l’appellativisation : un tour d’horizon . . . . . . . . . . . . . . . . 118 3.2.1. La référence à un porteur identifié . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119 3.2.2. La popularité du prénom . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 135 3.2.3. Les aspects formels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 148 3.2.4. Quand plusieurs chemins mènent au nom commun . . . . . . . . 154 3.3. Classification sémantique des déonomastiques issus de prénoms . 155 3.3.1. Les désignations de personnes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 156 3.3.2. Les désignations de parties du corps et de manifestations corporelles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 191 3.3.3. Les désignations d’animaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 195 3.3.4. Les désignations de végétaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 200 3.3.5. Les objets . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 205 4. L’évolution de l’appellativisation du prénom-: pistes de réflexion . . . . . . . . . . 220 4.1. Approche méthodologique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 220 4.2. Les grandes étapes de l’évolution du phénomène . . . . . . . . . . . . . . . . . 222 4.2.1. Du XII e siècle au XV e siècle : les débuts timides . . . . . . . . . . . . . 223 4.2.2. Du XVI e au XVIII e siècle : l’essor . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 225 4.2.3. Le XIX e et le XX e siècle : l’apogée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 229 4.3. Tendances actuelles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 231 4.3.1. Les items vieillis et désuets . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 231 4.3.2. Les items apparus dans les dernières décennies du XX e siècle et au XXI e siècle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 234 4.3.3. Tentatives d’interprétation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 237 Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 248 Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 253 Remerciements Le présent ouvrage étant issu de mon Habilitation à Diriger des Recherches, mes remerciements vont tout d’abord aux membres de mon jury de soutenance, Irmtraud Behr (Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3), Martine Dalmas (Université Paris-Sorbonne), Thierry Grass (Université de Strasbourg), Georges Kleiber (Université de Strasbourg), Björn Rothstein (Ruhr-Universität Bochum) et Odile Schneider-Mizony (Université de Strasbourg), dont les remarques et suggestions m’ont permis d’améliorer le texte. Je remercie ensuite la maison d’édition Narr d’avoir accepté de publier cet ouvrage dans la collection Tübinger Beiträge zur Linguistik , et plus particulièrement Tillmann Bub et Vanessa Weihgold pour leur disponibilité et leur efficacité. Mes remerciements vont également au conseil de publication de l’Université de Strasbourg et à l’unité de recherche Li LP a (Linguistique, Langues, Parole ; EA 1339) pour l’aide à la publication qu’ils m’ont accordée. Par ailleurs, je tiens à exprimer toute ma gratitude à Barbara Kaltz (Fribourgen-Brisgau) et Sonia Goldblum (Mulhouse) pour leur relecture critique du manuscrit, à Aurélien Deyres (Strasbourg) pour son indéfectible soutien informatique et surtout moral depuis plus de douze ans ainsi qu’à Arnaud Richard (Strasbourg) pour son aide précieuse lors de mes recherches documentaires à la Bibliothèque Nationale et Universitaire de Strasbourg. Enfin, j’adresse mes remerciements à toutes celles et tous ceux - collègues, amis et famille - qui, tant par leur contribution à la récolte d’items que par leurs questions et remarques ou simplement par leur présence et leur écoute, ont enrichi mes travaux et donné à mon activité de recherche une dimension collective. VIII Abréviations et signes afr. ancien français all. allemand all. sup. allemand supérieur angl. anglais, anglo-américain anon. anonyme bas-all. bas-allemand bot. botanique col. colonne esp. espagnol fr. français gr. grec it. italien lat. latin mha. moyen-haut-allemand n. note de bas de page orn. ornithologie s.d. sans date sq., sqq. sequiturque (et la suivante), sequunturque (et les suivantes) s.v. sub verbo (sous l’entrée) vha. vieux-haut-allemand vol. volume(s) yidd. yiddish Banques de données, corpus en ligne BHVF Base Historique du Vocabulaire Français (atilf.atilf.fr/ jykervei/ ddl.htm) DeReKo Deutsches Referenzkorpus (www.ids-mannheim.de/ cosmas2) DTA Deutsches Textarchiv (www.deutschestextarchiv.de) DWDS Digitales Wörterbuch der deutschen Sprache (www.dwds.de) F Frantext (www.frantext.fr) G Gallica (gallica.bnf.fr) GB Google Books (books.google.com) IA Internet Archive (archive.org) PG Projet Gutenberg (gutenberg.spiegel.de) W Wikisource (wikisource.org) WL Wortschatz Leipzig (wortschatz.uni-leipzig.de) Z Zeno (www.zeno.org) IX Dictionnaires et glossaires Les références complètes se trouvent en bibliographie. Les abréviations se terminant par les deux derniers chiffres de l’année de publication sont classées dans l’ordre chronologique : B74 précède donc B80 et B12. A04 Variantenwörterbuch des Deutschen (A mmon et al. 2004) A10 Parlez-vous québécois ? (A rmAnge 2010) A12 L’argot des prisons (A rmAnd 2012) AC Dictionnaire de l’Académie française (suivi de la date d’édition) AD Grammatisch-kritisches Wörterbuch der hochdeutschen Mundart (A delung 1811) B74 Sex im Volksmund. Der obszöne Wortschatz des Deutschen (B ornemAn 1974) B80 Dictionnaire de la langue québécoise (B ergeron 1980) B12 365 prénoms et expressions (B runet 2012) BB 09 L’argot au XX e siècle (B ruAnt & B ercy 2009) BR 08 Dictionnaire des expressions quotidiennes (B ernet & r ézeAu 2008) C85 Vocabulaire de l’homosexualité masculine (c ourouve 1985) C90 Dictionnaire thématique des noms communs venus de noms propres (c el lArd 1990) C05 Dictionnaire du français argotique et populaire (c ArAdec 2005) CML 10 Le dictionnaire de l’argot et du français populaire (c olin , m ével & l eclère 2010) CR 91 Dictionnaire du français non-conventionnel (c ellArd & r ey 1991) D18 L’argot des poilus (d échelette 1918) D07 Dictionnaire du français en liberté (d ontchev 2007) D08 Redewendungen: Wörterbuch der deutschen Idiomatik (d uden 2008) D10 Das Herkunftswörterbuch, Etymologie der deutschen Sprache (d uden 2010) D11 Dictionnaire érotique moderne (d elvAu 2011) D79 Dictionnaire des inconnus aux noms communs (d Ansel 1979) D99 Dictionnaire des canadianismes (d ulong 1999) DMF Dictionnaire du moyen français (m Artin 2012) DRW Deutsches Rechtswörterbuch online (drw-www.adw.uni-heidelberg.de) DU Duden. Deutsches Universalwörterbuch (d uden 2006) DU o Duden online (www.duden.de/ woerterbuch) DW Deutsches Wörterbuch (g rimm 1854-1961) E40 Die Sprichwörter und Sinnreden des deutschen Volkes (e iselein 1840) E83 Dictionnaire des injures (é douArd 1983) E92 Affengeil. Ein Lexikon der Jugendsprache (e hmAnn 1992) E01 Voll konkret. Das neueste Lexikon der Jugendsprache (e hmAnn 2001) X E15 Lehr- und Wörterbuch der Umgangssprache (e lfers 2015) Els WB Wörterbuch der elsässischen Mundarten (m Artin & l ienhArd 1899-1907) FEW Französisches Etymologisches Wörterbuch (W ArtBurg 1922-2002) FWB Frühneuhochdeutsches Wörterbuch (A nderson , g oeBel & r eichmAnn 1989 sqq.) G93 Du nom propre au nom commun. Dictionnaire des éponymes (g ermA 1993) G97 Dictionnaire du français contemporain des cités (g oudAillier 1997) G13 Le jean-foutre et la marie-salope (g illet 2013) G16 Le jean-foutre et la marie-salope : supplément (g illet 2016) H04 Neuer Wortschatz (h erBerg , K inne & s teffens 2004) H92 Dictionnaire des expressions nées de l’histoire (h enry 1992) K78 ABC -Komiker bis Zwitschergemüse. Das Bundessoldatendeutsch (K üpper 1978) K02 Etymologisches Wörterbuch der deutschen Sprache (K luge 2002) K03 Eigennamen im deutschen Wortschatz (K öster 2003) K04 Wörterbuch der deutschen Umgangssprache (K üpper 2004) KK 13 Lexikon der Vornamen (K ohlheim & K ohlheim 2013) KR Oekonomische Encyklopädie (K rünitz 1773-1858) L89 Nouveau supplément du Dictionnaire d’argot (l Archey 1889) L01 Lexikon der Knastsprache. Von Affenkotelett bis Zweidrittelgeier (l AuBen thAl 2001) L04 Les personnages devenus mots (l esAy 2004) L05 Du bruit dans le Landerneau. Les noms propres dans le parler commun (l ouis 2005) L11 2500 noms propres devenus communs (l eBouc 2011) L12 Hä? ? Jugendsprache unplugged (l Angenscheidt 2012) L13 Hä? ? Jugendsprache unplugged (l Angenscheidt 2013) L15 100 % Jugendsprache 2015: Deutsch - Englisch (l Angenscheidt 2015) L16 100 % Jugendsprache 2016: Deutsch - Englisch (l Angenscheidt 2016) LIT Dictionnaire de la langue française (l ittré 1863-1869) M64 Wer steckt dahinter? Namen, die Begriffe wurden (m üller 1964) M96 Le dico de l’argot fin de siècle (m erle 1996) M00 Der wahre E: ein Wörterbuch der DDR -Soldatensprache (m öller 2000) Ma00 Wörterbuch der deutschen Pflanzennamen (m Arzell 2000) M05 Dictionnaire des noms propres devenus noms communs (m Aillet 2005) M07 Nouveau dictionnaire de la langue verte (m erle 2007) M11 Curieuses histoires de noms propres devenus communs (m Asuy 2011) Meckl WB Mecklenburgisches Wörterbuch (W ossidlo & t euchert 1937-1998) OUD Curiositez françoises (o udin 1640) P93 Etymologisches Wörterbuch des Deutschen (p feifer 1993) P96 Das große Schimpfwörterbuch (p feiffer 1996) XI P08 Wörterbuch der Jugendsprache (p ons -r edAKtion 2008) PR Le nouveau Petit Robert (r oBert 2007) R92 Das große Lexikon der sprichwörtlichen Redensarten (r öhrich 1992) R12 Dictionnaire historique de la langue française (r ey 2012) R14 Dictionnaire ados - français (r iBeiro 2014) RO 14 Ich weiß nicht, was soll es bedeuten? (r oth 2014) S93 Deutsche Idiomatik. Die deutschen Redewendungen im Kontext (s chemAnn 1993) S99 Bezeichnungen für das Homosexuelle im Deutschen (s Kinner 1999) S03 Etymologisches Wörterbuch der Pflanzennamen (s Auerhoff 2003) S11 Wörterbuch der Alltagssprache Österreichs (s edlAczeK 2011) S15 Neuer Wortschatz (s teffens & Al -W Adi 2015) SC 74 Dictionnaire de l’argot moderne (s Andry & c Arrère 1974) SH ess WB Südhessisches Wörterbuch (m ulch 1965-2010) SI Schweizerisches Idiotikon (A ntiquArische g esellschAft 1881-2012) T08 Les expressions de nos grands-mères (t illier 2008) T09 Das neue Wörterbuch der Szenesprachen (t rendBüro 2009) TH 09 Dictionnaire des prénoms (t Anet & h ordé 2009) Thür WB Thüringisches Wörterbuch (s pAngenBerg 1966-2006) TLF i Trésor de la langue française informatisé (version issue du TLF de i mBs 1971-1994) W80 Sprechen Sie Wienerisch? Von Adaxl bis Zwutschkerl (W ehle 1980) WDG Wörterbuch der deutschen Gegenwartssprache (K lAppenBAch & m Alige - K lAppenBAch 1964-1977) Signes < est issu de > a donné lieu à Introduction 1 Introduction Cette étude contrastive porte sur le passage du prénom au nom commun. Couvrant la période du XII e au XXI e siècle, elle s’ouvre par un bouleversement majeur dans l’histoire de l’anthroponymie européenne, à savoir l’adoption progressive des noms de famille, processus extrêmement variable selon les régions et les couches sociales 1 . À partir du XII e siècle, le système germanique à nom unique cède en effet la place à un système à double composante, si bien qu’il est justifié de parler de « prénom » 2 ( Vorname ) pour l’ensemble de la période. Il s’agira pour nous de dégager les principaux facteurs qui ont pu favoriser le passage du prénom au nom commun dans les deux langues, d’analyser les noms communs et les expressions concernés du point de vue formel et sémantique et de retracer les principales évolutions dans ce domaine. Notre objet d’étude permet par ailleurs d’appréhender sous un angle privilégié deux aspects du changement linguistique : 1. Le premier a trait à la place centrale qu’occupe le prénom au sein de la catégorie des noms propres. d Armesteter le considère comme le « vrai nom » (1894 : 6, n. 1), voire le « nom propre par excellence » (1894 : 9). Pour m olino (1982 : 7), il constitue, avec le nom de famille, le « prototype du nom propre ». Ce statut privilégié s’explique d’une part par le fait que le prénom compte parmi les noms de personnes, que l’anthropocentrisme se plaît à élever au 1 Ce phénomène est apparu d’abord dans la noblesse avant de gagner les autres couches de la population. Pour plus d’informations sur l’histoire des noms de famille, nous renvoyons pour les pays de langue allemande à s chWArz (1949 : 58-74), B Ach (1953 : 59-126), f leischer (1968 : 85 sqq.), K unze (2002 : 59-64), g ottschAld (2006 : 45 sqq.), s eiBicKe (2008 : 178-203), d eBus (2012 : 108-127) et n üBling et al . (2012 : 144-155), pour la France à d AuzAt (1925 : 75-111, 1945 : 31-48), B Aylon & f ABre (1982 : 166-180, 183 sqq.), m ulon (1994) et au petit fascicule de g uigot (2000). 2 Ce terme fut introduit dans le droit français suite à la laïcisation de l’état civil (loi de l’an II ; 1794), remplaçant ainsi officiellement celui de « nom de baptême » ( Taufname ; cf. B runot 1922 : 41, c oulmont 2011 : 7). Auparavant, il était employé uniquement pour désigner la première partie des noms des Romains de l’Antiquité ( praenomen , nomen , cognomen ). À noter que la position initiale du prénom est souvent invalidée par les pratiques administratives : les formulaires d’inscription, les pièces d’identité, les listes électorales etc. font apparaître en règle générale le nom de famille avant le prénom. Par ailleurs, cet ordre est fréquent à l’oral dans les parlers du sud de l’espace germanophone, notamment en bavarois : Steinbauer-Sepp , Krüger-Lina (s eiBicKe 1993b : 131 sq.). 2 Introduction rang de ‘modèle du nom propre’ 3 (« Modell des Eigennamens » ; t rost 1938 : 220 4 ) ou de « Npr [nom propre ; VB ] le plus utilisé et le plus typique » (s iBlot 1997 : 10), et de l’autre par le fait que, de tous les types de noms propres, le prénom est, comme nous le verrons, celui qui présente le plus haut degré de distinctivité formelle par rapport à la catégorie des noms communs. Vues sous cet angle, certaines questions liées au passage du nom propre au nom commun se posent avec une acuité particulière dans le domaine du prénom. 2. L’étude de la créativité lexicale du prénom permet de mettre en lumière l’impact des facteurs extralinguistiques sur le changement linguistique en France et en Allemagne, le choix du prénom étant étroitement lié aux changements historiques et socioculturels. Le prénom se caractérise en effet par sa double nature, à la fois individuelle et collective : individuelle puisque du point de vue de la pratique sociale, il permet d’individualiser l’enfant au sein du cercle familial 5 et qu’il résulte, contrairement au nom de famille, d’un choix des parents 6 . Collective puisque ce choix est à son tour déterminé par les normes en usage d’une époque, d’un lieu et d’un groupe social donnés. Le passage d’un prénom à la catégorie des noms communs peut donc témoigner d’opinions et de valeurs collectives. Cette double nature du prénom permet d’éclairer deux dimensions du changement linguistique dont la première, objectivante, considère le changement comme un ensemble de conséquences de faits sociaux, la seconde privilégiant le sujet (pré)nommant et son rapport au monde. Grâce à notre démarche contrastive portant sur le lexique d’une langue germanique et d’une langue romane, nous serons en mesure de mieux faire la part entre les changements attribuables aux faits systémiques et ceux liés aux facteurs socioculturels. Il va de soi que notre analyse ne prétend aucunement à l’exhaustivité. 3 Par la suite, nous aurons recours, selon l’usage, aux guillemets simples pour indiquer 1) les passages traduits (sauf indication contraire, par nos soins) dans le corps du texte, 2) la signification d’items et 3) l’emploi d’un mot ou d’une expression dans un sens non littéral. 4 Cette expression est reprise par f leischer (1964 : 369, 1968 : 10). 5 Le prénom est donc le plus ‘propre’ des noms propres (« ureigener Individualname » ; d eBus 1987 : 52). 6 On ne saurait surestimer l’influence de ce choix sur la construction identitaire de l’enfant. Pour plus d’informations sur la dimension psychologique et psychanalytique du (pré)nom, nous renvoyons à K Atz (1964), K rien (1973 : 120-128), v AxelAire (2005 : 655-665), s eiBicKe (2008 : 79-85) et g uéguen (2008). Les problèmes identitaires causés par le choix du prénom sont thématisés avec humour dans le film Le prénom (2011, réalisé par Alexandre de La Patellière), dans lequel le protagoniste annonce à ses proches qu’il envisage d’appeler son fils Adolphe . Introduction 3 Alors que l’emploi du prénom comme nom commun suscitait un vif intérêt chez les linguistes européens à la fin du XIX e et au début du XX e siècle 7 , il est assez peu abordé dans la recherche actuelle. Très tôt, il devait attirer également l’attention des écrivains. Ainsi, dans son adaptation de Gargantua ( Geschichtklitterung ; 1575), Johann Baptist f ischArt (1546-1591) notait dans le style vigoureux qui était le sien : Les noms de baptême latins ne nous viennent-ils pas de païens ? Judas, le fils de Jacob, et Judas Maccabée devraient-ils être du domaine du mal parce que leur nom rappelle celui du traître Judas ? Le roi [à l’époque, Henri III (1551-1589) ; VB ] ne devrait-il pas faire pendre haut et court tous les âniers en France au seul motif qu’ils nomment leurs ânes Henri [8] , faire noyer tous les porchers allemands parce qu’ils appellent leurs cochons Heyntzlin [diminutif de Heinrich ; VB ], envoyer au diable les jardiniers parce qu’ils donnent à une herbe le nom de Bon-Henri [9] et infliger à ses médecins le supplice de la noyade parce qu’ils appellent le rectum Grand-Henri. He, ça foutrait bien à tous une sale chiasse de peur ! 10 7 On citera notamment - pour les langues scandinaves : les deux monographies de h jelmqvist sur le suédois, l’une consacrée à l’emploi secondaire des noms de personnages bibliques (1901), l’autre à celui des prénoms et noms de famille (1903), les relevés de prénoms employés comme noms communs de g igAs (1892-96) et l’étude de B ertelsen (1911), tous deux portant sur le danois ; - pour l’anglais : l’étude de A ronstein (1898) et les monographies de r einius (1903) et ö stBerg (1905) ; - pour les langues slaves : les remarques de c hristiAni (1913 : 323-328) ; - pour les langues romanes : les travaux plus tardifs de m igliorini (1927), centré sur l’italien et le français, et de f AriA (1943) sur le portugais. N’ayant pu consulter directement les ouvrages suédois et danois, faute de connaissance de ces langues, ni celui sur le portugais, auquel nous n’avons pas eu accès, nous avons pris connaissance des comptes rendus de K Ahle (1902, 1903) sur h jelmqvist (1901, 1903) et de g onzález m uelA (1944) et g uiter (1945) sur f AriA (1943). Nous remercions Peter Andersen (Strasbourg) d’avoir consulté l’ouvrage de B ertelsen (1911). Les études portant entièrement ou en partie sur l’allemand et / ou le français, dont celles de r einius (1903) et m igliorini (1927), sont présentées dans notre état de la recherche. 8 Emploi motivé, d’après g illet (2013 : 28), par des raisons phoniques, le prénom restituant approximativement le braiment ( Han ! , Hi ! , Han ! ). 9 Plus connu aujourd’hui sous le nom d’ épinard sauvage . 10 Traduit par nos soins, texte original : « Sind nicht die heutige Latinische Tauffnamen von Heyden? Solt Judas Jacobs Sohn, unnd Judas Machabe darumb des ärger sein, dieweil der Verräter Judas also heißt? Wolt darumb der König inn Franckreich all Eseltreiber hencken, weil sie den Eseln Herri ruffen, unnd die Teutsche Seuhirten all ertrencken, weil sie die Seu Heyntzlin heissen, und die Gärtner dem Teuffel schencken, weil sie das Kraut Guten Heynrich nennen, und seine Artzet alle versencken, weil sie dem grossen Arsdarm Lang Heri sagen? Ey das müßt eim doch gar ein heissen Scheiß einjagen. » (f ischArt 1891 4 Introduction À la même époque, Michel de m ontAigne (1533-1592) relevait dans ses Essais (1580) l’emploi de prénoms populaires pour désigner les sots : « Chasque nation a quelques noms qui se prennent, ie ne sçay comment, en mauvaise part : & a nous Iean, Guillaume, Benoist » (m ontAigne 1580 : 420). Estienne p Asquier (1529-1615) en avait parlé vingt ans plus tôt dans ses Recherches de la France : « Nous avons deux noms, desquels nous baptizons en commun propos ceux qu’estimons de peu d’effect, les nommans Ieans, ou Guillaumes. » (p Asquier 1621 [1560] : 784). Le phénomène n’était alors nouveau ni dans l’une ni dans l’autre langue : le sens de ‘traître’ associé à Judas est attesté en français dès le XII e , en allemand dès le XIII e siècle 11 et l’emploi de Guillaume et de Jean pour désigner un sot remonte au XV e siècle, celui du diminutif jehannot étant attesté dès la fin du XIV e siècle ( TLF i 12 ) . Le cas de Benoît , issu du lat. benedictus (‘béni’), est plus délicat, le sens péjoratif ayant pu être influencé par la formule biblique Heureux les simples d’esprit ( FEW , s.v. benedictus ) 13 . Aujourd’hui encore, certains mots et expressions témoignent de la présence du prénom dans le lexique des deux langues, comme le montrent les exemples contemporains Stoffel (‘rustre, mufle’), jeanfoutre , Liese (‘femme’) et catin (‘prostituée’), Veronika / véronique (‘plante à fleurs bleues’) ou encore, dans le domaine culinaire, strammer Max et madeleine 14 . Le passage du prénom au nom commun est traditionnellement abordé dans les études consacrées à l’emploi du nom propre en tant que nom commun. Ce phénomène a été étudié dans la tradition rhétorique qui le désignait par le terme d’« antonomase », une « espèce de synecdoque, par laquelle on met un nom comun pour un nom propre, ou bien un nom propre pour un nom comun » selon la définition de d umArsAis (1730 : 107). Dans le premier cas de figure, « la persone ou la chose dont on parle excèle sur toutes celles qui peuvent être comprises [1575] : 164 sq.). Nous remercions Odile Schneider-Mizony (Strasbourg) de nous avoir éclairé sur certains aspects linguistiques et culturels de cette époque. 11 En français, on le rencontre sous la plume du trouvère Benoît de Sainte-Maure (? - ? 1173) : « uns traïtre, uns Judas » ( Chronique des Ducs de Normandie , 1175 ; TLFi), en allemand sous celle d’ Ulrich von Liechtenstein (1200-1278) : « swelch man gên wîben alsô tuot, / der hât für wâr wol Jûdas muot, / sît er untriuwe an dem begât / der sich gar an sîn triuwe lât. » ( Der vrouwen buoch , 1257 ; DW). 12 Par la suite, les renvois aux dictionnaires et lexiques apparaissent sous forme abrégée. On se reportera à la table des abréviations en début d’ouvrage. 13 Cet emploi se trouve par ailleurs attesté en alsacien sous la forme Benz / Bënz , issue de Benedikt (FEW) ou de Bernhard (ElsWB). 14 Afin de distinguer plus clairement les exemples donnés pour les deux langues, ceux tirés du français seront orthographiés avec la minuscule initiale, à l’exception des items dont le statut proprial fait l’objet d’un large consensus de la part des locuteurs (cf. les exemples sous 2.3.2, 2.3.3 et 2.3.5). Les équivalents formels et sémantiques sont séparés par une barre oblique (ex. Judas / judas ). Introduction 5 sous le nom comun » (ex. le Philosophe , employé par les anciens pour désigner Aristote) ; dans le second, celui qui nous intéresse ici, « on fait entendre que celui dont on parle ressemble à ceux dont le nom propre est célèbre par quelque vice ou par quelque vertu » (ibid.). Ainsi, dans C’est un Sardanapale , le nom propre renvoie à tout prince vivant dans la volupté, à l’image du dernier roi des Assyriens (669-627 av. J.-C.). De même, le nom propre Néron dans C’est un Néron désigne tout dirigeant qui fait preuve d’une cruauté comparable à celle de l’empereur romain (d umArsAis 1730 : 111). L’orientation de notre travail étant lexicologique, nous ne retiendrons ni le terme d’« antonomase », propre à la tradition des approches discursivo-rhétoriques, ni celui de « catachrèse » qui désigne les « mots qui ont perdu leur première signification, & n’ont retenu que celle qu’ils ont eue par extension » (d umArsAis 1730 : 45 ; cf. également f ontAnier 1968 [1830] : 213 sqq.) et est lui aussi associé au domaine rhétorique. Pour ce qui est des termes plus récents visant à désigner le passage du nom propre au nom commun ou les mots qui en résultent, nous écarterons celui de « communisation » 15 , qui peut prêter à confusion en raison de la polysémie de l’adjectif commun , et celui d’« onomastisme » (B oulAnger & c ormier 2001 : 3), marginal dans la recherche. Nous nous en tiendrons à l’acception courante du terme « éponyme » (‘qui donne son nom à qqn ou qqch’ ; PR ), rejetant l’emploi qu’en fait K ocoureK (1982 : 74) qui désigne par là, sur le modèle de la recherche anglo-saxonne, tant le nom propre à la base de la dérivation que le mot qui en dérive 16 . Nous optons pour les termes de « déonymisation » ( Deonymisierung , Deproprialisierung ) et d’« appellativisation » ( Appellativierung ) qui, s’ils sont employés indistinctement dans certains ouvrages de référence (d eBus 2012 : 49, n üBling in : n üBling et al . 2012 : 61), ne sont pas pour autant équivalents : le premier met l’accent sur le détachement progressif de la catégorie du nom propre, le second sur le glissement vers le nom commun. Si le terme de « déonymisation » a trait à l’ensemble des unités lexicales issues du nom propre, à savoir, outre les noms communs, les verbes ( röntgen 17 ), les adjectifs ( napoléonien ) et les interjections ( Jesus! / Jésus, Marie, Joseph ! ), celui d’« appellativisation » désigne communément le passage du nom propre à la catégorie des appellatifs, c’est-à- 15 Ce terme, lancé par m ArouzeAu (1950 : 160), a été repris entre autres par d Amourette & p ichon (1968 : 526 sqq.), g Ary -p rieur (1991b : 17, 1996 : 69), m olino (1982 : 12), l Apierre (1989 : 588 sqq.) et l eroy (2001 : 225, 2004 : 21). 16 Cet emploi, qui se rencontre entre autres chez l Apierre (1989 : 588 sq.) et g Audin & g ues pin (2000 : 247), est critiqué par B üchi (1991 : 140, n. 6) et s chWeicKArd (1992 : 3 sq.). Ce dernier met en garde contre les confusions et quiproquos que peuvent engendrer de tels détournements terminologiques. 17 Du nom du physicien Wilhelm Conrad Röntgen (1845-1923), qui a découvert les rayons X. 6 Introduction dire des noms communs ( MLS 2010) 18 . Les deux termes sont ainsi complémentaires. Nous parlerons de « déonymisation » dans le cadre de nos réflexions sur l’éloignement progressif des items de leur catégorie initiale, celle du nom propre, alors que nous préférerons le terme d’« appellativisation » dès lors qu’il s’agira d’envisager le phénomène dans sa globalité. Quant aux items résultant de cette évolution, nous parlerons de « déonomastiques » 19 ( Deonomastikon , deonymische Bildung ), terme fréquemment utilisé en linguistique française pour désigner de manière générique les mots issus de noms propres. L’étude d’un phénomène lexical sur une période aussi longue impose le recours aux dictionnaires qui nous livrent une vue d’ensemble des mots et expressions en usage à une époque donnée et nous renseignent sur leur évolution 20 . Dans un premier temps, nous avons donc dépouillé un certain nombre de dictionnaires généraux. Ont été retenus, pour l’allemand, le Deutsches Rechtswörterbuch online (h eidelBerger A KAdemie der W issenschAften ) 21 , qui rend compte du vocabulaire juridique allemand et de la langue commune (en cas d’implications juridiques) du VI e siècle au début du XIX e siècle, le Frühneuhochdeutsches Wörterbuch (A nderson , g oeBel & r eichmAnn 1989 sqq.) 22 couvrant la période allant du milieu du XII e siècle au XVII e siècle, le Grammatisch-kritisches Wörterbuch der hochdeutschen Mundart (A delung 1811) 23 pour le XVIII e siècle, le Deutsches 18 Le terme « appellatif » est plus fréquent dans les travaux de linguistique allemande que dans ceux sur le français. m ArouzeAu (1961), l’un des rares auteurs de dictionnaires spécialisés à l’enregistrer, note à son sujet : « terme employé quelquefois par la grammaire traditionnelle pour désigner le nom commun par opposition au nom propre, d’après une dénomination ( nomen appellativum ) que les grammairiens latins avaient traduite du grec ( onoma prosêgorikon ). » d uBois et al . (2002) retiennent une autre acception en définissant les appellatifs comme « des termes de la langue utilisés dans la communication directe pour interpeller l’interlocuteur auquel on s’adresse en le dénommant ou en indiquant les relations sociales que le locuteur institue avec lui : Madame , êtes-vous prête ? Camarades , tous à la manifestation ! Paul , viens ici ». Dans cet emploi, les appellatifs rassemblent, outre les noms propres, des noms de parenté, des noms spécifiques ( Madame , camarade ) et des adjectifs ( eh, vilaine, viens ici ! ). Le terme est absent du dictionnaire de m ounin (2000). 19 À l’origine, ce terme désignait l’étude des dérivés de noms propres (l A s tellA 1982 ; la déonomastique). Il a ensuite été appliqué aux dérivés ainsi formés, puis à tout mot issu d’un nom propre ( le déonomastique). 20 Une étude basée uniquement sur des textes, qui dépasserait largement le cadre d’une recherche individuelle, recouperait - du moins en partie - le travail accompli par les lexicographes. 21 Projet en cours, l’aboutissement du dictionnaire étant prévu pour 2036. 22 Projet en cours, l’aboutissement du dictionnaire étant prévu pour 2027. 23 L’un des premiers dictionnaires généraux de l’allemand standard à orientation synchronique (cf. s chlAefer 2009 : 132). Johann Georg K rünitz (1728-1796) s’en inspira largement dans sa monumentale encyclopédie (1773-1858 ; 242 volumes ! ), qui contient également des déonomastiques de prénoms (cf. h Ass -z umKehr 2001 : 317). Introduction 7 Wörterbuch (g rimm 1854-1961), ‘merveille de persévérance, mine d’or et œuvre unique en son genre dans le paysage dictionnairique’ 24 qui retrace l’évolution du lexique depuis le milieu du XV e siècle, et pour l’époque contemporaine, le Wörterbuch der deutschen Gegenwartssprache (K lAppenBAch & m Alige -K lAppenBAch 1964-1977) 25 et le Deutsches Universalwörterbuch (d uden 2006) 26 . Pour le français, nous avons retenu le Französisches Etymologisches Wörterbuch (W ArtBurg 1922-2002), qui rend compte de l’évolution lexicale sur plus de dix siècles 27 , le Dictionnaire de l’Académie (1694 28 ) et le Dictionnaire de la langue française (l ittré 1863-1869), dont la dimension normative contraste avec les Curiositez françoises (o udin 1640), et enfin, pour l’époque moderne et contemporaine, le Trésor de la langue française informatisé et Le nouveau Petit Robert (r oBert 2007). La présence, dans ces ouvrages, de déonomastiques familiers et populaires nous a amené à dépouiller par ailleurs nombre de dictionnaires spécialisés, consacrés notamment à la langue familière et argotique 29 , à la langue des jeunes et des cités 30 , aux injures 31 , aux néologismes 32 , à l’argot des soldats et des prisonniers 33 et aux domaines du sexe et de l’érotisme 34 , sans oublier les lexiques et dictionnaires de variétés nationales 35 , d’expressions et de proverbes 36 et bien sûr de déonomastiques 37 . 24 Traduit par nos soins, texte original : « Wunder an Beharrlichkeit, […] Fundgrube und […] Unikum in der Wörterbuchlandschaft » (h Ass -z umKehr 2001 : 119). 25 Consultable en ligne via le DWDS. 26 Nous avons consulté, en guise de complément, la version en ligne régulièrement mise à jour qui intègre les néologismes les plus fréquents (www.duden.dewoerterbuch). 27 Le lexicographe Alain r ey note au sujet de cet ouvrage : « Le Französisches Etymologisches Wörterbuch de Walther von W ArtBurg est sans doute le plus important dictionnaire étymologique jamais mené à bien ; il offre aux spécialistes du français un instrument de travail réellement incomparable, le lexique d’aucune autre langue n’ayant fait l’objet d’une description historique de cette ampleur. » (1971 : 83). Quelques pages plus loin, il le qualifie même de « dictionnaire des dictionnaires » (1971 : 95) ! 28 Pour les autres éditions consultées, nous renvoyons à notre bibliographie. 29 Pour l’allemand, K üpper (2004), t rendBüro (2009) et e lfers (2015) ; pour le français, l Ar chey (1889), s Andry & c Arrère (1974), c ellArd & r ey (1991), m erle (1996, 2007), c AdArec (2005), d ontchev (2007), B ruAnt & B ercy (2009), c olin , m ével & l eclère (2010). 30 e hmAnn (1992, 2001, 2008), p ons (2008), l Angenscheidt (2012, 2013, 2015, 2016) ; g oudAil lier (1997), r iBeiro (2014). 31 p feiffer (1996) ; é douArd (1983). 32 h erBerg , K inne & s teffens (2004), s teffens & Al -W Adi (2015) ; d es i snArds (2014). 33 K üpper (1978), m öller (2000), l AuBenthAl (2001) ; d échelette (1918), A rmAnd (2012). 34 B ornemAn (1974), s Kinner (1999) ; c ourouve (1985), d elvAu (2011). 35 A mmon et al . (2004), s edlAczeK (2011) ; B ergeron (1980), d ulong (1999) et A rmAnge (2010). 36 r öhrich (1992), s chemAnn (1993), d uden (2008) ; h enry (1992), B ernet & r ézeAu (2008), t illier (2008), B runet (2012). 37 m üller (1964), K öster (2003), r oth (2014) ; d Ansel (1979), c ellArd (1990), g ermA (1993), l esAy (2004), l ouis (2005), m Aillet (2005), l eBouc (2011), m Asuy (2011) et l’imposant dic- 8 Introduction Deux types de dépouillement se sont imposés en fonction du format et du volume des ouvrages : - Pour les dictionnaires généraux, extrêmement volumineux 38 , et quelques dictionnaires spécialisés 39 , nous avons exploité les fonctionnalités proposées par les versions numériques et celles en ligne, et plus précisément le système de renvois vers des entrées apparentées 40 et la fonction « recherche » 41 . Grâce à cette dernière, nous avons pu par ailleurs retenir pour l’analyse un certain nombre d’items dont l’origine anthroponymique n’est plus reconnaissable : ainsi, en entrant « Vorn. » 42 dans le champ de recherche du Deutsches Universalwörterbuch (d uden 2006), on obtient les mots Rüpel et Mauschel (‘commerçant juif ’) derrière lesquels se ‘cachent’ les prénoms Ruprecht et Mošȩ̈ . De même, la recherche de « prénom » dans Le nouveau Petit Robert (2007) nous a conduit au mot perroquet , issu de Perrot (ancien diminutif de Pierre ), celle de « diminutif » a mené à marionnette , issu de Marion (diminutif de Marie ). Grâce aux portails du wörterbuchnetz ( Trier Center for Digital Humanities ; Université de Trèves) et du CNRTL ( Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales ; CNRS / ATILF ), qui permettent de rechercher des entrées dans plusieurs dictionnaires simultanément, nous avons pu obtenir des informations supplémentaires au sujet de tel ou tel déonomastique, notamment en ce qui concerne leur attestation dans plusieurs dictionnaires. - Les nombreux dictionnaires spécialisés non disponibles sous format numérique ont été dépouillés manuellement. Malgré toute l’attention portée au dépouillement, nous ne pouvons prétendre à un relevé exhaustif, non seulement en raison du traitement lexicographique des déonomastiques, souvent lacunaire et peu rigoureux (cf. f ontAnt 1998 : 12 sqq., B üchi 1993, 2002 : 256), mais aussi parce que dans le cas de la consultation de tionnaire de g illet (2013) et son supplément (2016). 38 Pas moins de trente-deux volumes pour le DW et seize pour le TLF. En comparaison, le dictionnaire des expressions et locutions de r öhrich (1992), dont les trois volumes rassemblent 1786 pages, et celui sur l’argot au XX e siècle de B ruAnt & B ercy (2009), avec ses 1500 pages, sont plutôt maigres ! 39 K üpper (2004) et d uden (2008). 40 Pour le DW et le WDG. Dans le DW, l’entrée Hans contient des renvois à Hänschen (dans l’expression Was Hänschen nicht lernt, lernt Hans nimmermehr ), Lachhans , Marterhans (‘lansquenet’), Mosthans (‘amateur de moût’), Plauderhans, Prahlhans , Tölpelhans , etc. La même recherche dans le WDG nous a conduit aux items Hansdampf , Hansguckindieluft , Hansnarr et Hanswurst. 41 Pour AD, DW, DU, PR et TLFi. 42 Outre « Vorn. », les meilleurs résultats ont été obtenus par « Vorname » et « prénom », « Name » et « nom », « Kosef[orm] » et « diminutif ». Introduction 9 dictionnaires papier, on court le risque de passer à côté des items qui ont subi des changements formels ou sont issus de prénoms désuets. Lors du dépouillement, nous avons été confronté de manière récurrente à deux questions. La première a trait à la fiabilité des sources écrites, problème qui s’est posé plus particulièrement dans le cas des dictionnaires et glossaires spécialisés (cf. h Ass -z umKehr 2001 : 364, l öffler 2005 : 122). Souhaitant écarter les hapax, qui ne présentent qu’un intérêt très limité dans le cadre de notre étude, et consigner le plus grand nombre possible de déonomastiques tombés en désuétude qui, eux, sont des témoins précieux de l’évolution linguistique, nous avons décidé de ne retenir que les entrées dont nous avons pu vérifier l’emploi, et de fixer le seuil de vérification en fonction des types de sources consultées. Pour les mots les plus anciens enregistrés dans les grands dictionnaires historiques, tels que Kunz (‘sot, niais’ ; DW ) ou robin (‘homme sans considération, prétentieux et sot’ ; AC [1762], LIT ), nous nous sommes contenté d’une seule attestation, provenant d’ailleurs souvent de ces mêmes dictionnaires. En revanche, pour les dictionnaires et glossaires modernes reposant sur une méthodologie douteuse, nous avons retenu un seuil de deux attestations univoques. Ainsi, ni grüne Konrads (‘sous-vêtement’ dans le jargon militaire ; K78) ni Knastliesl (‘poupée mise à disposition des détenues féminines dans la cellule’ dans l’argot pénitentiaire ; L01) n’ont été retenus pour notre étude, pas plus que Hüftharry (‘lourdaud, maladroit’ ; L15), puisqu’ils apparaissent dans une source peu fiable et que le seuil de vérification n’est pas atteint. Les items pour lesquels nous n’avons trouvé aucune occurrence, tels que traquenard saint Michel (‘diable’ ; OUD ), ont été, quelle que soit la source, écartés de l’analyse 43 . La seconde question, essentielle pour notre étude, concerne la place à accorder aux variétés dialectales, véritable mine d’or pour qui s’intéresse aux noms communs et expressions issus de prénoms 44 . Dans l’impossibilité de rendre compte, pour chaque mot ou expression, de l’ensemble des variantes dialectales existantes ou ayant existé et de vérifier l’emploi de nombreuses variantes, aujourd’hui désuètes, nous n’avons retenu pour l’analyse que la forme non marquée. En revanche, afin d’illustrer certaines tendances à fort ancrage local, telle que la désignation péjorative d’un individu par un prénom fréquent (cf. 43 Il en va de même de certaines expressions comme Als der Alte Fritz noch Gefreiter / noch Fahnenjunker war / noch [mit der Schippe] im Sand spielte (d08) dont l’emploi semble se limiter aux glossaires et dictionnaires de locutions idiomatiques. 44 Les déonomastiques dialectaux ont d’ailleurs fait l’objet d’un certain nombre d’études, présentées dans notre état de la recherche. 10 Introduction p. 161), nous avons également cité des déonomastiques tirés de dictionnaires dialectaux 45 . À l’issue de notre dépouillement d’ouvrages lexicographiques, nous avons établi des listes d’items que nous avons par la suite complétées grâce à d’autres sources, à commencer par les principales études consacrées aux déonomastiques, qui reposent en partie sur d’autres dictionnaires que ceux retenus dans le cadre de notre travail 46 . Viennent ensuite quelques études richement documentées sur certains sociolectes, notamment K luge (1901) et g ünther (1905, 1965 [1919]) sur le rotwelsch, s chWoB (1999 [1899]) sur l’argot français, h orn (1899) et i mme (1918) sur l’argot des soldats allemands, s AinéAn (1915) et d AuzAt (1918) sur celui des poilus. Enfin, plusieurs collègues et amis nous ont signalé des mots ou expressions employés en Suisse alémanique, en Autriche ou au Canada francophone ainsi que des néologismes issus de la langue des jeunes, contribuant ainsi à enrichir nos relevés. Nous avons opté pour une présentation des résultats de nos dépouillements sous forme de tableaux dont les principes d’organisation sont exposés en introduction aux annexes. Celles-ci sont téléchargeables sur le site de l’éditeur à l’adresse suivante : http: / / www.narr-shop.de/ l-appellativisation-du-prenom. html. À noter que dans l’analyse consacrée à tel ou tel item, nous n’avons pas toujours pu reprendre la totalité des informations figurant dans les tableaux. Ceux-ci, en donnant une vue d’ensemble des items retenus et de leur évolution sémantique, apportent un complément utile à notre étude et constituent un outil de consultation ponctuelle pour le lecteur. Nous espérons qu’ils puissent également servir de base à des études futures sur la question. Notre travail s’ouvre sur la présentation des travaux consacrés à l’emploi des noms propres et plus particulièrement des prénoms en tant que noms communs en allemand et en français. Après avoir retracé les débuts de la recherche onomastique, nous nous intéresserons à l’évolution des travaux depuis la fin du XIX e siècle, tant du point de vue quantitatif que qualitatif (domaines d’analyse et aspects méthodologiques, entre autres). Notre bilan de la recherche, qui se veut critique, dégagera par ailleurs plusieurs aspects du phénomène qui n’ont été que rarement étudiés jusqu’à présent. Enfin, il nous donne l’occasion de passer en revue nombre de formations et de présenter ainsi un aperçu de la richesse des mots et expressions en jeu. 45 Dont Schweizerisches Idiotikon (A ntiquArische g esellschAft 1881-2012), Wörterbuch der elsässischen Mundarten (m Artin & l ienhArd 1899-1907), Thüringisches Wörterbuch (s pAn genBerg 1966-2006), Mecklenburgisches Wörterbuch (W ossidlo & t euchert 1937-1998). 46 Ces études ainsi que les dictionnaires sur lesquels elles reposent sont présentés dans notre état de la recherche. Introduction 11 La deuxième partie du travail vise à circonscrire notre objet d’étude. Partant des résultats de nos dépouillements, nous montrerons tout d’abord à quel point les interactions entre prénom et lexique sont diverses et complexes. Nous nous attacherons ensuite à définir ce que nous entendons par « déonomastique de prénom », adoptant pour cela une approche qui s’inspire de la théorie du prototype (K leiBer 1990). Il s’agira de dégager les critères permettant de déterminer le « prototype » du déonomastique de prénom, entité abstraite combinant plusieurs propriétés caractéristiques de la catégorie. Nous présenterons ensuite les types de déonomastiques qui ne satisfont pas à la totalité de ces critères et d’autres items qui, bien qu’en lien avec le phénomène, n’entrent pas dans le cadre de notre étude. Au début de la troisième partie, consacrée aux aspects sémantiques des déonomastiques, nous ferons le point sur quelques difficultés épistémologiques propres à ce genre d’études. Nous nous concentrerons ensuite sur les items prototypiques en dégageant les principaux facteurs linguistiques et extralinguistiques qui ont pu provoquer ou favoriser l’émergence d’une signification lexicale. Nous présenterons enfin une classification sémantique des items, y compris de ceux qui sont moins prototypiques. Cette classification, qui repose largement sur les catégories retenues dans les études antérieures, met l’accent sur les catégories intermédiaires susceptibles d’éclairer certaines régularités ou trames sémantiques. Elle fait par ailleurs apparaître la forte polysémie des déonomastiques de prénoms et la tendance à la péjoration, particulièrement marquée dans le domaine des désignations de personnes. La quatrième partie présentera nos refléxions sur l’évolution, passée et présente, de l’appellativisation du prénom dans les deux langues. 13 1. État de la recherche Le présent état de la recherche retrace l’émergence et l’évolution des travaux sur l’appellativisation des prénoms en allemand et en français en les intégrant dans le contexte de la constitution de la linguistique moderne. Cette mise en perspective fait ressortir l’importance centrale de la dichotomie continuité / discontinuité 47 dans ce domaine, raison pour laquelle elle servira de fil conducteur à notre présentation. La première partie met l’accent sur la continuité : après avoir retracé les débuts de la recherche onomastique en Allemagne et en France, nous présenterons les premiers travaux consacrés à l’appellativisation des noms propres et aux déonomastiques qui en résultent jusque dans les années 1930. La présentation chronologique 48 et les indications des dates de naissance et de mort et de l’activité professionnelle des auteurs permettent de situer les travaux sur l’« axe de la continuité » et d’en faire apparaître l’ancrage dans la tradition philologique des deux aires considérées. Dans la deuxième partie, nous nous intéressons aux raisons de la raréfaction des travaux à partir des années 1940. Il s’agira, par la présentation de quelques études syntaxiques, morphologiques et phraséologiques sur le nom propre, de dégager les nouveaux intérêts de la recherche dans ce domaine afin de mieux apprécier la place dévolue à l’emploi appellatif du prénom. La troisième partie présente quelques études qui sont consacrées aux aspects historiques, sociologiques et anthropologiques du choix et de l’emploi du prénom et contribueront à enrichir la réflexion sur le phénomène. En conclusion, nous dégagerons certaines similarités et divergences des travaux consacrés à l’appellativisation des (pré)noms dans la recherche allemande et française. Cet état de la recherche ne prétend nullement à l’exhaustivité. 47 Sur l’importance de cette dichotomie dans l’historiographie linguistique (comme d’ailleurs dans d’autres domaines du savoir historique), nous renvoyons à B Ahner (1981 / 1983) et à h örner (1981) qui soulignent le rôle central du contexte socioéconomique et institutionnel dans l’évolution des théories linguistiques. 48 Les seules ‘entorses’ à la présentation strictement chronologique concernent les travaux parus dans un intervalle réduit et qui ont une perspective sur l’objet d’étude et / ou une approche méthodologique similaires. 14 1. État de la recherche 1.1. La recherche sur les déonomastiques jusqu’aux années 1930 1.1.1. L’émergence de l’onomastique en Allemagne et en France-: des débuts décalés Pour saisir les conditions de l’émergence de la recherche sur l’appellativisation des prénoms en Allemagne et en France, il convient de les envisager dans le cadre du processus de constitution de la recherche onomastique moderne, et dans celui, plus général encore, de la tradition philologique dans les deux pays. Dans les pays de langue allemande, et plus particulièrement en Prusse, la philologie s’institutionnalise et se professionnalise dès la fin du XVIII e siècle. À partir des années 1820-30, elle s’ouvre à l’étude des langues et littératures modernes (cf. h ültenschmidt 2000 : 80, 92), et c’est à cette époque également qu’une science onomastique voit le jour. Si Tileman Dothias W iArdA (1746-1826), dans son ouvrage à fort ancrage historique Ueber deutsche Vornamen und Geschlechtsnamen , s’était intéressé dès 1800 à l’étymologie et à la formation des noms des Germains (1800 : 40-59), c’est Jacob g rimm (1785-1863) qui posera les jalons de l’étude diachronique des noms de personnes dans un chapitre de sa Deutsche Grammatik consacré à la déclinaison des noms propres (« Anhang über die Declination der Eigennamen » ; 1819 : 266-278) 49 . g rimm en souligne l’importance pour l’histoire de la langue (« Eigennamen sind für die Geschichte der Sprache von hohem Werth » ; 1819 : 266) et appelle de ses vœux, dans la préface à la troisième édition de sa grammaire (1840), la constitution d’un recueil rassemblant tous les anthroponymes et toponymes du vieux-haut-allemand : Si je puis, à cette occasion, exprimer un vœu qui me tient beaucoup à cœur, c’est qu’un chercheur énergique parvienne bientôt à collecter la quantité innombrable de noms propres du vieux-haut-allemand, tant ceux de lieux que de personnes […], et à la présenter de manière mûrement réfléchie sous la forme d’un recueil ; l’élaboration de ce livre, qui représentera nécessairement un gain considérable pour notre langue et notre histoire, exige toutefois une assiduité hors du commun : le réservoir de ces noms est presque inépuisable. 50 49 Deux autres études voyaient le jour à cette époque : celle du pédagogue Johann Christian d olz (1769-1843) consacrée aux noms de baptême ( Die Moden in den Taufnamen; mit Angaben der Wortbedeutung dieser Namen , 1825), et un bref essai de Wilhelm W AcKernAgel (1806-1869), professeur de langue et littérature allemandes anciennes à l’Université de Bâle ( Die germanischen Personennamen , 1837). 50 Traduit par nos soins, texte original : « Darf ich bei dieser gelegenheit einen wunsch laut lassen werden, der mir sehr am herzen liegt, so ist es der, daß die unbeschreibliche menge althochdeutscher eigennamen, sowol der örtlichen als persönlichen […], von einem rüstigen bearbeiter nach wolüberlegtem plan bald in eine eigne samlung gebracht wer- 1.1. La recherche sur les déonomastiques jusqu’aux années 1930 15 Sur son incitation, l’Académie de Berlin lança en 1846 un appel visant à la constitution d’un recueil complet des noms germaniques antérieurs à l’an 1100 (cf. s onderegger 1984 : 256 sqq., h AuBrichs 1995 : 63). Le bibliothécaire Ernst Wilhelm f örstemAnn (1822-1906) s’attela à cette tâche et publia en 1856 le premier volume de son Altdeutsches Namenbuch consacré aux noms de personnes 51 . Outre cet ouvrage de référence dans la recherche en anthroponymie à cette époque, citons également celui d’August Friedrich p ott (1802-1887) intitulé Die Personennamen (1853), consacré en particulier aux noms de famille 52 , et ceux, plus modestes, de Heinrich Friedrich Otto A Bel (1824-1854) sur l’évolution des noms germaniques et des noms de baptême (A Bel 1853) et d’August Friedrich Christian v ilmAr (1800-1868) sur l’apparition et la signification des noms de famille allemands (v ilmAr 1855). En France, il faudra attendre le dernier tiers du XIX e siècle pour voir, sous l’influence du modèle de la philologie allemande, la recherche philologique s’institutionnaliser et se diversifier à l’université (cf. n erlich 1993 : 11, c hevA lier 2000 : 121 sqq., t rAchsler 2013 : 13 sqq.). Contrairement à la toponymie, qui connut des avancées rapides, notamment sous l’impulsion d’Auguste Honoré l ongnon (1844-1911), l’anthroponymie, à quelques exceptions près 53 , fut longtemps délaissée par les chercheurs (cf. m orlet 1981 : 13 sq.). En 1925, la situation était telle qu’Albert d AuzAt (1877-1955), dialectologue et premier détenteur d’une chaire d’onomastique en France, alerta ses contemporains sur l’urgence de la situation, les exhortant, dans son essai Les noms de personnes , à combler le retard pris par rapport aux autres nations : Nous sommes déjà fortement handicapés par l’étranger [en gras dans l’original ; VB ]. Voilà plus d’un demi-siècle que l’Allemagne […] possède l’ouvrage classique de Förstemann, que ses successeurs ont amélioré et mis au point dans leurs travaux. […] den möge, ein buch, aus welchem unsrer sprache und geschichte unfehlbar bedeutender gewinn erwachsen muß, dessen ausführung aber ungemeinen fleiß erfordert: der vorrath ist fast unübersehlich. » (g rimm 1840 : XVI). 51 Le second tome, consacré aux toponymes, suivra en 1859. 52 L’ouvrage de p ott est dédié aux frères g rimm et à H. Conon von der g ABelentz (« in Liebe dargebracht, von einem ihrer wärmsten Verehrer »). 53 Dont Justin s ABAtier (1792-1870), auteur de l’ Encyclopédie des noms propres (s ABAtier 1865), Philippe-Louis B ourdonné (1805-1877), qui consacre un ouvrage à l’origine des noms propres (B ourdonné 1868), et Eugène r itter (1836-1928), professeur à l’Université de Genève, qui, dans la préface à son essai sur les noms de famille en France (r itter 1875), ne fait état que des travaux de ses prédécesseurs allemands, entre autres p ott (1853) et f örstemAnn (1856). C’est à la même époque que paraissent quelques dictionnaires d’anthroponymie régionale, dont celui du dialectologue Henri m oisy (1815-1886) sur les noms de famille normands (m oisy 1875). Pour plus d’informations sur les débuts de l’anthroponymie en France, nous renvoyons à B Aylon & f ABre (1982 : 28 sq., 36 sq.). 16 1. État de la recherche Il est pénible de constater que nous arrivons presque bons derniers, dans l’Europe occidentale, avec la Belgique, avant l’Espagne et le Portugal. Il n’est que temps de rattraper nos voisins, en mettant à profit leur expérience, pour tâcher, si possible, de faire mieux. (d AuzAt 1925 : 16 sq.) Cet appel restera lettre morte jusqu’à ce que d AuzAt ne publie lui-même, vingt ans plus tard, son Traité d’anthroponymie française (1945), consacré aux noms de famille. Ainsi, comme le note m ulon (1995 : 148), […] à la veille de la seconde guerre mondiale, le public cultivé a commencé de découvrir l’onomastique, quelques structures se sont mises en place ; mais la recherche reste le lot de quelques-uns, sans coordination ; les travaux sont ponctuels et épars ; l’anthroponymie demeure à l’état embryonnaire. 54 1.1.2. Présentation chronologique des travaux C’est dans ces contextes respectifs que paraissent, dans la deuxième partie du XIX e siècle, les premiers travaux sur les déonomastiques issus de prénoms en allemand et en français. L’un des premiers à s’intéresser au phénomène en allemand est Friedrich l Atendorf (1838-1898) qui, dans son article Ueber die sprichwörtliche Anwendung von Vornamen im Plattdeutschen (1856), s’intéresse aux unités phraséologiques contenant des éléments dépréciatifs telles que ful Greth (‘femme paresseuse’), Nölpeter (‘homme indolent’) et Quatschmichel (‘homme bavard’), expressions courantes dans le Mecklembourg, ainsi qu’à leur diffusion dans les contrées voisines du Holstein, de Brême et de la Basse-Saxe. L’auteur puise ses exemples du Bremisch-niedersächsisches Wörterbuch 55 qui reflète selon lui plus fidèlement les parlers locaux que la littérature régionale, celle-ci ne rendant compte que manière incomplète de la vie quotidienne du peuple (cf. l Atendorf 1856 : 6). Friedrich Leopold W oeste (1807-1878) complète la liste de l Atendorf en citant des exemples issus des parlers du Bergisches Land (Rhénanie-du-Nord-Westphalie) et de la Marche de Brandebourg, tels que dummer Klas (diminutif de Nikolaus ) et dumme Treine [sic] (diminutif de Katharina ) pour désigner un sot ou une sotte (cf. 1856 : 371-374). Trois ans plus tard, Wilhelm W AcKernAgel publie son étude Die deutschen Appellativnamen (1859 / 60) qui fera date dans la recherche en déonomastique. L’auteur définit le terme d’« Appellativname », repris dans quelques travaux 54 Pour plus d’informations sur l’évolution de l’onomastique française, nous renvoyons à la bibliographie des travaux publiés jusqu’en 1985 (m ulon 1977-87) et à celle, plus ciblée, rassemblant les études parues de 1938 à 1970 (m orlet 1981). 55 B remische deutsche g esellschAft (éd.), 1767-1769. Versuch eines bremisch-niedersächsischen Wörterbuchs . 6 vol. Brême : Georg Ludewig Förster. 1.1. La recherche sur les déonomastiques jusqu’aux années 1930 17 ultérieurs, comme ‘renvoyant à la fois à l’emploi de noms propres pour désigner des concepts et, suite à sa banalisation, à la transformation progressive de ces mêmes noms propres en noms communs’ 56 . Il y inclut ainsi des noms propres aux origines et emplois très divers : certains servent à personnifier des animaux ( Îsengrîn , le loup), des armes ( Balmunc , l’épée de Siegfried) ou encore des cloches ( Theodolus , cloche de la cathédrale de Bâle ; 1859 : 129 sqq., 1860 : 290 sqq.), d’autres à caractériser des êtres humains ( Hans Nimmersatt ‘homme insatiable, glouton’, Murrgret ‘fille ou femme peu aimable, acariâtre’) ou à désigner des objets ( Heuheinz ‘construction en bois utilisée pour le séchage du foin’, Stiefelhänsel / -heinz ‘tire-botte’ ; 1860 : 316 sqq.). L’étude de W AcKernAgel repose sur une somme considérable d’exemples, issus de sources sur le moyen-hautallemand, de dictionnaires de dialectes du sud 57 et d’ouvrages littéraires de la période du haut-allemand précoce, notamment les écrits satiriques de Sébastian Brant, Johann Fischart et Hans Sachs, qui avaient volontiers recours aux prénoms comme noms communs pour railler et dénoncer les travers de leurs contemporains. Paul Joseph m ünz (1832-1899), curé à Oberhöchstadt, examine dans son étude Taufnamen als Gattungsnamen in sprichwörtlichen Redensarten Nassaus (1870) l’émergence et la diffusion des noms chrétiens, en particulier dans l’espace germanophone, avant de présenter quelques noms de baptême chrétiens courants ( Johannes , Margaretha , Heinrich , Konrad , etc.) employés, sous leur forme pleine ou sous une forme diminutive, dans des expressions et des locutions proverbiales de la vallée de la Lahn ( Hänschen im Keller ‘enfant à naître’, schlampige Gretel , Ich will Kunz heißen, wenn …). Il est intéressant de constater que m ünz n’emploie nulle part le terme d’« Appellativname » alors que certaines notes attestent qu’il connaissait l’étude de W AcKernAgel . Dans sa thèse de doctorat intitulée De la création actuelle des mots dans la langue française et des lois qui la régissent (1877), Arsène d Armesteter (1846-1888), professeur de langue et littérature médiévales à la Sorbonne, traite dans la partie consacrée à la « dérivation impropre » le cas des « noms communs tirés de noms propres » (1877 : 42 sqq.). Ce phénomène est, selon lui, attesté « à toutes les époques » (1877 : 42) : renard est apparu comme nom 56 Traduit par nos soins, texte original : « Ausdruck, der zugleich auf die Verwendung der Nomina propria für Appellativbegriffe und auf deren Verflachung in Appellativworte gienge ». (W AcKernAgel 1859 : 133). 57 Dont s chmeller , J. Andreas, 1827-1837. Bayerisches Wörterbuch . 4 vol. Stuttgart, Tübingen : Cotta. - s chmid , Johann Christoph, 1831. Schwäbisches Wörterbuch, mit etymologischen und historischen Anmerkungen . Stuttgart : Schweizerbart. - s tAlder , Franz Joseph, 1806 / 1812. Versuch eines schweizerischen Idiotikons , mit etymologischen Bemerkungen untermischt. 2 vol. Bâle, Aarau : Samuel Flickisch. 18 1. État de la recherche commun au Moyen Âge, guillemet , probablement le diminutif de Guillaume , nom ou prénom de l’inventeur présumé de ce signe, au XVII e siècle, napoléon (‘pièce de monnaie’) au début et victoria (‘ancien type de voiture hippomobile’) au milieu du XIX e siècle. Selon l’auteur, c’est précisément au cours du XIX e siècle qu’on assiste à une forte augmentation du nombre de déonomastiques issus de noms de personnes, conséquence de l’industrialisation et de l’émergence de nombreuses inventions portant le nom de leurs inventeurs : breguet / bréguet 58 (‘montre de précision’), fusil Chassepot ou chassepot 59 (‘fusil de guerre muni d’un sabre’), godillot 60 (‘chaussure militaire’), etc. Dans un ouvrage ultérieur, La vie des mots étudiée dans leurs significations (1887), d Armesteter distingue dans la partie consacrée aux « changements de sens, ou tropes » l’emploi de noms communs comme noms propres ( l’Empereur pour Napoléon I er ) et de noms propres comme noms communs ( agnès ‘femme innocente, ingénue’, tartuffe ‘hypocrite’), phénomènes ayant « reçu le nom barbare d’ antonomase » (1887 : 48). Le cas particulier des déonomastiques issus de prénoms fait l’objet d’un traitement à part dans la partie consacrée aux « modifications psychologiques », comprises comme des « changements port[a]nt sur l’expression variable, souvent mobile, d’idées et de faits qui se retrouvent en tout temps, en tous lieux : objets usuels, animaux domestiques, végétaux communs ; faits sociaux les plus simples […] » (1887 : 99). Ainsi, la pie et l’ours recevaient respectivement les prénoms Margot et Martin et le peuple désignait les hommes sots au moyen de prénoms comme Jean , Pierrot , Claude et Nicaise (1887 : 109) 61 . Quelques années plus tard, dans la partie sur la formation des mots de son Cours de grammaire historique de la langue française (1895), d Armesteter distinguera sept procédés par lesquels les noms propres peuvent devenir des noms communs 62 : 58 Du nom de l’horloger suisse Abraham-Louis Breguet (1787-1823). 59 Du nom de l’armurier français Antoine Alphonse Chassepot (1833-1905). 60 Du nom du fabricant de brodequins militaires français Alexis Godillot (1816-1893), créateur de ce type de chaussures. 61 Dans son étude Zum Bedeutungswandel im Französischen , Karl m orgenroth (1900 : 44 sq.) a recours aux mêmes exemples pour illustrer le passage du nom propre au nom commun, qui repose selon lui sur le phénomène fréquent consistant à désigner par un mot une idée secondaire lui étant associée. 62 Nous nous contentons ici de citer quelques exemples de l’auteur, en retenant en priorité les prénoms. 1.1. La recherche sur les déonomastiques jusqu’aux années 1930 19 1. « noms d’auteurs ou d’inventeurs qui passent à leurs livres, à leurs inventions » ( barème 63 , louis ‘pièce de monnaie’) ; 2. « noms de personnages célèbres de l’histoire, de la littérature qui désignent des caractères, des vices ou qui dénomment certains objets » ( agnès , espiègle 64 ) ; 3. « prénoms devenus noms communs avec une signification défavorable » ( jeanjean ‘sot’, péronnelle 65 ) ; 4. « noms de personnes ou de lieux que le caprice de la mode a donnés à certains objets » ( silhouette 66 , victoria ) ; 5. « noms de lieux qui ont passé aux objets que ces lieux produisent, qui y sont fabriqués » ( cachemire , gruyère ) ; 6. « noms ethniques pris dans un sens général, le plus souvent défavorable » ( arabe , gascon ) ; 7. « noms propres de personne donnés par plaisanterie à des animaux » ( bernard-l’hermite , martinet ). (d Armesteter 1895 : 53 sq.). Insistant sur le caractère archaïque de nombreux mots et expressions renvoyant à des aspects révolus de la vie quotidienne du peuple, Karl A lBrecht (1823-1904) publie en 1881 un court article consacré à l’emploi nominal des noms de personnes dans le Reallexikon der deutschen Altertümer . Bien qu’il renvoie à plusieurs reprises à l’étude de W AcKernAgel et qu’il prenne explicitement pour modèle sa présentation alphabétique des exemples, il ne fait jamais appel au terme d’« Appellativname ». La même année, A lBrecht consacre quelques pages de son ouvrage Die Leipziger Mundart. Grammatik und Wörterbuch der Leipziger Volkssprache aux prénoms employés comme noms communs (chap. « Wörterbildung » ; 1881b : 36-40) ; les exemples cités ne sont pas tous limités à un emploi dialectal ( Hans Narr ‘sot’, Johann ‘valet, serviteur’, Stoffel ‘lourdaud’, Drecksuse ‘femme malpropre’, Grete ‘femme quelconque’). 63 Du nom du mathématicien français François Barrême (1638-1703), considéré comme l’un des fondateurs de la comptabilité. 64 Émile l ittré (1880) note au sujet de ce mot : « Il y a en allemand un vieux livre intitulé Till Ulespiegle , qui décrit la vie d’un homme ingénieux en petites fourberies. Remarquons que Ulespiegel signifie miroir de chouette. Laissant de côté ce qui pouvait se rencontrer de peu convenable dans les faits et gestes du personnage, notre langue en a tiré le joli mot espiègle , qui ne porte à l’esprit que des idées de vivacité, de grâce et de malice sans méchanceté. C’est vraiment, qu’on me passe le jeu de mot, une espièglerie de bon aloi, que d’avoir ainsi transfiguré le vieil et rude Ulespiegle . » 65 Prénom très répandu à partir du XIII e siècle (TH09). 66 Du nom du contrôleur général des finances de Louis XV Étienne de Silhouette (1709-1767), dont les projets de réformes échouèrent, laissant le souvenir d’actions mal conduites et incomplètes. 20 1. État de la recherche Pour Johannes l eopold (1845-1900), qui s’intéresse à l’emploi de noms propres dans les locutions et les proverbes (1883), le passage du nom propre au nom commun est un phénomène ‘tellement naturel qu’on le rencontre dans presque toutes les langues’ 67 . L’auteur passe en revue une dizaine de prénoms populaires employés dans de nombreuses expressions en allemand (dont Hans , Kunz , Heinz / Hinz , Peter et Michel ) avant de présenter quelques locutions contenant des noms de famille ( zu Tante Meier gehen ‘aller aux toilettes’). Dans son article Der typische Gebrauch der Vornamen im meklenburger 68 Platt (1884), Richard W ossidlo (1859-1939), spécialiste de la culture régionale du Mecklembourg, regrette que son prédécesseur l Atendorf (1856) se soit contenté de glaner une vingtaine d’exemples, livrant ainsi une vision faussée du phénomène (« ein schiefes [Bild] » ; cf. 1884 : 81) 69 . Il lui oppose une liste d’environ 600 formations, précisant que l’usage recèle un nombre bien plus important de mots de ce type (cf. 1884 : 81). W ossidlo distingue trois catégories, la première rassemblant des proverbes et des locutions proverbiales ( Hans Smāl sett allens bi sick dāl ‘Un homme maigre mange beaucoup’, lütt Hans möt unner liggen ‘Les petits ont toujours le dessous’) 70 , la deuxième des noms d’animaux, de plantes, d’habits, etc. ( Grotjochen ‘troglodyte’ [orn.], ful Lis ‘mouron’ [bot.], 67 Traduit par nos soins, texte original : « Der Übergang der Eigennamen zu den Appellativen ist ein so natürlicher, dasz man demselben in schier allen Sprachen begegnet. » (l eopold 1883 : 218). 68 À propos de la graphie Meklenburg , nous renvoyons à l isch (1836 : 174). 69 La réaction de l Atendorf ne se fit pas attendre. Dès l’année suivante, il clarifie son projet initial en ces termes : ‘Pour l’imposante et intéressante collecte publiée dans ces feuillets, notre collègue Wossidlo mérite la reconnaissance générale. Toutefois, il n’est nullement besoin, pour estimer ses mérites à leur juste valeur, d’éclipser les travaux de ses prédécesseurs. Je n’ai pas voulu établir de glossaire ; mon but était uniquement de donner une idée du phénomène et, dans une certaine mesure, d’éveiller la curiosité, non d’aller plus loin. Ce que j’ai livré était largement en deçà de ce que je pouvais livrer. Ce qui m’importait, et m’importe aujourd’hui encore dans les études sur la langue, ce sont davantage les régularités psychologiques et historiques prises dans un sens général que l’exemple isolé.’ (Traduit par nos soins, texte original : « Die inhalt- und umfangreiche Sammlung, die unser Mitglied Wossidlo in diesen Blättern veröffentlicht hat, verdient allgemeinen Dank. Es brauchen aber um seiner Verdienste willen die Leistungen seiner Vorgänger nicht in den Schatten zu rücken. Ich habe […] keine ‘Sammlung’ beabsichtigt; ich wollte nur andeuten und in gewissem Sinne anregen, nicht ausführen; was ich bot, war weit weniger, als ich bieten konnte. Mir galt, und gilt noch heute in sprachlichen Studien, das allgemeine psychologische oder historische Gesetz mehr, als das einzelne Beispiel. » ; l Atendorf 1885 : 3). L’auteur cite encore quelques exemples de prénoms en emploi phrasémique en usage dans le grand-duché de Mecklembourg-Strelitz, entre autres Brölljochen et Paumichel (‘pleurnichard’ ; bas-all. pauen ‘geindre’) et Smêrlieschen (‘femme portant des habits sales’ ; bas-all. smêren ‘graisser’). 70 Définitions d’après le MecklWb (s.v. small et Hans ) ; littéralement ‘Hans Schmal setzt / senkt alles bei sich hinab’ et ‘Kleiner Hans muss immer unterliegen’. On trouve 1.1. La recherche sur les déonomastiques jusqu’aux années 1930 21 snelle Kathrin ‘diarrhée’ [classé dans la catégorie « nourriture » ! ]). La troisième réunit des constructions désignant des défauts humains, des traits de caractères, etc., classées dans pas moins de 46 sous-catégories sémantiques, dont le rire ( Lachelgret ), les pleurs ( Plinsmichel ; bas-all. plinsen ‘pleurer’), la mauvaise odeur ( Glösmichel ; bas-all. glösen ‘être incandescent’), le fait de fumer ( Smökpeter ), la nourriture ( Johann Unrim ; Unrim ‘goinfre’, du bas-all. unrimsch ‘fou’), la lâcheté ( Hans Bangbüx ; Bangbüx ‘personne peureuse’, de Büx ‘pantalon’) et la saleté ( Smutzfiken ) 71 . Cette classification est problématique en ce qu’elle repose simultanément sur différents types de critères : la catégorie des proverbes et locutions proverbiales contenant un prénom est définie formellement alors que les autres catégories le sont sémantiquement. Il s’ensuit que de nombreux exemples classés dans la dernière catégorie sont formellement semblables à ceux de la première. Si l’auteur ne souhaite pas s’exprimer sur la provenance des exemples 72 , il ressort des gloses que certains sont sans doute empruntés à l Atendorf et que d’autres sont issus de collectes personnelles (« Von einem Schäfer hörte ich », « In etwas anderer Fassung klagte mir eine alte Frau », etc. ; 1884 : 82). Quelques travaux de la fin du XIX e siècle abordent brièvement le passage du nom propre au nom commun : Heimbert l ehmAnn (1860-? ), qui consacre sa thèse de doctorat au changement sémantique en français (1884), classe les noms communs issus de prénoms tels que catin (‘prostituée’ ; de Catherine ) et louis (‘pièce de monnaie’) parmi les ‘mots historiques’ (« historische Wörter » ; 1884 : 113), dont la signification a été influencée par les changements historiques, culturels ou sociétaux. Ferdinand B runot (1860-1938), l’un des historiens de la langue française les plus connus, souligne dans son Précis de grammaire historique de la langue française (1887) la productivité et la pérennité du phénomène : « Ces substantifs sont très nombreux. La langue en a créé à toutes les époques » (1887 : 146), phénomène qu’il illustre par les exemples napoléon 73 et victoria , empruntés sans doute à d Armesteter (1877). Le romaniste français Charles B onnier (1863-1926), dans sa brève thèse consacrée aux noms propres français (1888), rédigée en allemand et soutenue à l’Université de Halle, constate dans cette catégorie également des constructions comme Johann Klapperben (personnification de la mort) et Johann Hagel (‘populace’) dont le statut proverbial est discutable. 71 Fiken est un diminutif bas-allemand de Ludowika , Sophie et Viktoria. 72 ‘Il ne sera pas question ici des moyens qui m’ont permis de mettre au jour une partie non négligeable de l’extrême richesse lexicale à laquelle nous n’avions pas accès.’ (Traduit par nos soins, texte original : « Durch welche Mittel es mir gelang, aus der überreichen Fülle verborgen ruhenden Sprachgutes vollere Massen ans Licht zu ziehen, ist hier nicht zu erörtern. » ; W ossidlo 1884 : 81). 73 Dans son ouvrage La pensée et la langue (1922), B runot a recours au déonomastique homonyme les Napoléon ainsi qu’à un gavroche et une Diane pour illustrer la catégorie des « noms propres devenus des types » (1922 : 75). 22 1. État de la recherche que l’appellativisation est un phénomène inverse à celui consistant à former des noms propres à partir de substantifs. Il cite quelques expressions contenant le prénom Marie ( Marie l’étourdie , Marie l’avale tout , Marie la fureur , Marie braiyoire 74 ‘pleurnicheuse’, Marie plaidoire ‘femme bavarde’) et des sobriquets désignant des nations, tels que John Bull pour l’Angleterre, der deutsche Michel pour l’Allemagne et Jonathan pour les États-Unis. Pour Wilhelm m eyer -l üBKe (1861-1936), un nom propre est employé comme nom commun ou comme adjectif quand son porteur se distingue par une caractéristique au point qu’il en devient le type (cf. m eyer -l üBKe 1894 : 436). Parmi les rares exemples qu’il cite, seules les désignations d’animaux renard , afr. marcou (de Marc ou afr. Markolf ) et arnaut (‘matou’) ainsi que afr. ladre (1. ‘pestiféré’, 2. ‘avare’ 75 ; de Lazarus ) sont issus de prénoms. Enfin, Max n itzsche (1872-? ), dans sa thèse intitulée Qualitätsverschlechterung französischer Wörter und Redensarten (1898), montre au moyen de Jean et Margot que la bourgeoisie et l’aristocratie ont employé certains prénoms fréquents dans les couches populaires pour désigner péjorativement les sots et les traits de caractère associés à la vie rurale (chap. « sozialer Gegensatz » ; 1898 : 17) 76 . Gustav K rueger (1859-? ) est l’un des premiers auteurs à consacrer une étude contrastive aux noms communs issus de noms propres (1891). Dans ce travail, qui repose sur le dépouillement d’une dizaine de dictionnaires de l’allemand, du français et de l’anglais, l’auteur ne procède pas comme ses prédécesseurs à une présentation alphabétique des items retenus. Dans sa classification, il fait intervenir le domaine initialement associé au porteur du nom, distinguant ainsi les mots ou expressions issus du nom de personnages antiques ( Xanthippe 77 , mégère 78 ), bibliques ( Jeremiade / jérémiades 79 ) ou littéraires ( Don Juan , Münchhauseniaden ). Sous la rubrique « divers » (« Vermischtes »), il rassemble les mots 74 Du verbe braire , employé dans le nord de la France dans le sens de ‘pleurer’. 75 Pour ce qui est de l’émergence de la deuxième signification, nous renvoyons à l ittré (1880) : « À ce point, ayant de la sorte une double maladie physique qui diminue notablement la sensibilité de la peau de l’individu, homme ou bête, on est passé […] à un sens moral, attribuant à ladre l’acception d’avare, de celui qui lésine, qui n’a égard ni à ses besoins ni à ceux des autres. » 76 Dans son étude Pejorative Bedeutungsentwicklung im Französischen (1901 / 03 / 05), Karl j ABerg (1877-1958) fournit des explications détaillées sur le processus de péjoration lexicale provoqué par des associations d’idées (cf. 1903 : 61 sqq.). Ce phénomène affecterait particulièrement les mots dont la signification renvoie à une dépendance sociale et auxquels est associée l’idée de dépravation morale (cf. 1903 : 44) ainsi que ceux qui relèvent d’un registre populaire et que les locuteurs des classes supérieures considèrent comme vulgaires (cf. 1905 : 58 sq.). Nous reviendrons sur le processus de péjoration sous 3.3.1.8. 77 Du nom de la femme de Socrate, présentée comme acariâtre et méchante. 78 Du nom de l’une des trois furies, Megæra. 79 Du nom de Jeremias / Jérémie (650-580 av. J.-C.), prophète célèbre pour ses lamentations. 1.1. La recherche sur les déonomastiques jusqu’aux années 1930 23 et expressions issus de noms d’inventeurs ( Mansarde / mansarde 80 , Makadam / macadam 81 ), de lieux ( Champagner / champagne , Taler 82 ) et de prénoms répandus ( Schmalhans ; jean-foutre ) 83 . Cette classification n’est pas exempte d’aspérités dues notamment au chevauchement de certaines catégories comme celles de la mythologie antique et de la littérature ( amphitryon ‘hôte qui offre à dîner’, du nom du personnage mythologique dans la comédie de Molière [1668]). À la fin de son article, K rueger (1891 : 19) exprime le souhait que son étude ouvre la voie à des travaux plus approfondis et mieux documentés sur la question. C’est précisément ce à quoi s’emploie Oscar s chultz (1860-1942) qui, quelques années plus tard, consacre une étude au passage des noms de personnes aux noms communs en provençal et en ancien français (1894). L’auteur met l’accent sur des prénoms courants à l’époque tels que Jean , Pierrot , Alphonse et Marion , dont l’emploi nominal est plus délicat à expliquer que pour les formations issues du nom de personnages historiques ou littéraires. Les exemples retenus sont tirés d’œuvres littéraires ainsi que de dictionnaires de l’ancien et du moyen français 84 . Richard n eedon (1861-1931), spécialiste d’histoire culturelle régionale, s’intéresse à l’emploi nominal de prénoms en allemand (1896). L’auteur, qui a emprunté ses exemples en partie à W AcKernAgel (1859 / 60) et à A lBrecht (1881a) et en a rassemblé d’autres dans son environnement linguistique saxon (cf. 1896 : 199, n. 1), les classe dans les catégories 1. êtres humAins , 2. AnimAux , 3. démons et 4. inAnimés (y compris les plantes) 85 . L’auteur montre l’évolution sémantique de certaines formations comme marionnette , qui désignait initialement des petites figurines représentant la Vierge Marie (cf. 1896 : 208). Dans son ouvrage intitulé Völkerpsychologie (1900), Wilhelm W undt (1832-1920) s’intéresse aux processus psychologiques à l’œuvre lors des transferts de dénomination, notamment ceux qui s’inscrivent dans des conditions spatio-temporelles particulières ou individuelles (« singuläre Namenübertragungen » ; 1900 : 541 sq., 546). Parmi ces transferts, il relève ceux qui consistent 80 Du nom de l’architecte François Mansart (1598-1666). 81 Du nom de l’ingénieur écossais John Loudon Mac Adam (1756-1836). 82 De St. Joachimstal, ville de Bohême (aujourd’hui Jáchymov ) qui fournissait l’argent servant à frapper ces pièces de monnaie. 83 Oluf t homsen (? -? ) propose une classification similaire dans son étude, rédigée en danois, sur l’emploi des noms propres comme bases de dérivation en français (1895). 84 Il s’agit essentiellement du dictionnaire de g odefroy , Frédéric, 1881-1902. Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes du IX e au XV e siècle . 10 vol. Paris : F. Vieweg. 85 Alfred B ähnisch (1856-? ) reprend cette classification, à l’exception de la catégorie des inanimés, dans son ouvrage Die deutschen Personennamen (chap. « Vornamen in appellativem und verächtlichem Sinne » ; 1910 : 130 sq.). 24 1. État de la recherche à employer le nom d’une entité unique pour désigner un ensemble d’entités semblables, comme dans le cas de Hanswurst et Tartüff (cf. 1900 : 550), l’élément déterminant étant l’association avec une personne ou un personnage aux traits saillants et suscitant une forte émotion. Dans son étude Bedeutungsentwicklung unseres Wortschatzes (1901), Albert W AAg (1863-1929) rapproche le processus de péjoration affectant des mots désignant des qualités au demeurant neutres ( gemein ‘commun, ordinaire’ > ‘vulgaire’, ‘méchant’) et l’émergence de noms communs à partir de prénoms (chap. « Aufeinanderfolge verschiedener Arten des Bedeutungswandels » ; 1901 : 134 sqq.). Dans les deux cas de figure, un élément de signification initialement accidentel et contextuel prend une importance telle qu’il finit par se substituer à la signification initiale (cf. 1901 : 134) 86 . Il ajoute : Du point de vue psychologique, on peut définir le processus en ces termes : une représentation secondaire devient la représentation principale ; on peut également le concevoir, en reprenant les catégories précédentes, comme la succession d’un rétrécissement sémantique et d’un élargissement total, à l’inverse de la métaphore que l’on peut interpréter comme le résultat d’un élargissement suivi d’un rétrécissement. 87 W AAg (1901 : 158-163) fait appel aux mêmes catégories que n eedon (1896) : êtres humAins ( Johann ‘valet’, Saufhans ‘soûlard’), AnimAux ( Matz ‘petit oiseau’ ; de Matthias ) 88 et inAnimés ( Dieterich ‘passe-partout’). Oskar W eise (1851-1933), enseignant à Eisenberg (Thuringe), s’intéresse à trois types d’emplois de prénoms dans les dialectes du haut-allemand, qu’il présente comme des caractéristiques du langage populaire (cf. 1903 : 353) : 1. la désignation péjorative et particulièrement fréquente de personnes présentant une particularité d’ordre physique ou moral ( Hans ‘lourdaud’, Sauflotte ‘soûlarde’), 2. la désignation d’objets, plus rare ( blauer Heinrich ‘soupe à la farine’, sanfter Heinrich ‘liqueur de menthe’), 3. l’emploi comme élément de comparaison dans des locutions proverbiales ( frech wie Oskar , Hier geht es zu wie bei Matzens Hochzeit ), dont l’origine est, selon l’auteur, souvent difficile à retracer. 86 m orgenroth (1893 : 21) décrit le même phénomène pour le français sans toutefois mentionner le cas des prénoms. 87 Traduit par nos soins, texte original : « In psychologischer Ausdrucksweise lässt sich der Vorgang auch dahin bestimmen, dass eine Nebenvorstellung zur Hauptvorstellung wird; andererseits kann er auch nach unsern bisherigen Kategorien in gewissem Sinne als eine Aufeinanderfolge von Verengung und fundamentaler Erweiterung aufgefasst werden, wie umgekehrt die Metapher sich als Erweiterung mit nachheriger Verengung deuten lässt. » (W AAg 1901 : 134 sq.). 88 L’auteur cite également Mieze comme dénomination affective du chat, issue selon lui d’un diminutif de Marie . L’origine onomatopéique mi mi ou miez miez (pour appeler un chat) semble toutefois plus probable (DW, D10). 1.1. La recherche sur les déonomastiques jusqu’aux années 1930 25 Josef r einius (1871-1937) a rédigé en anglais une thèse volumineuse pour l’époque (1903 ; 296 pages) consacrée aux mots et expressions issus de noms propres en anglais et en allemand 89 , poursuivant ainsi l’approche contrastive de K rueger (1891). L’auteur distingue les noms historiques et littéraires (« historical and literary names »), qui renvoient à un individu ou à un personnage identifiable ( croesus ‘homme très riche’, Methusalem ‘vieillard’) 90 , des noms courants ou formant type 91 (« current or class-names »), pour lesquels ce n’est pas le cas ( jack ‘homme’, Hans ‘sot’ ; 1903 : 12) 92 . Ces deux groupes ont des caractéristiques sémantiques distinctes : Les noms formant type dénotent des êtres humains de manière générale ou des personnes d’une certaine classe, profession, origine, puis des personnes présentant des caractéristiques associées à cette classe, profession, etc., la dénotation étant rarement avantageuse pour les personnes concernées. Une connotation dépréciative, dans le meilleur des cas humoristique, s’attache également aux significations neutres citées plus haut, alors que les noms historiques et littéraires sont souvent élogieux. Une autre différence entre ces groupes réside bien entendu dans le fait que les noms historiques et littéraires, étant donné leurs associations plus précises, ont souvent un contenu plus particulier, un sens plus spécial [93] . Un adjectif qualificatif ou un élément de composition peut servir à renforcer ou à spécifier le sens dépréciatif d’un nom formant type dans le but de dénoter, pour ce qui est des qualités extérieures, un comportement maladroit, une démarche lourde, la saleté, etc., puis des qualités intérieures comme la stupidité, la paresse, la couardise, l’arrogance, la malhonnêteté, la lubricité, la mauvaise humeur, la volubilité, l’avarice, etc. Ces qualités étant exprimées par l’élément qualifiant, les noms propres jouent le rôle de préfixes ou suffixes dépréciatifs désignant des personnes . 94 89 L’auteur mentionne également en marge le cas du suédois et du français. 90 Par la suite, les exemples anglais, orthographiés sans majuscule, précéderont les exemples allemands, avec majuscule. 91 Nous empruntons l’expression « noms formant type » à l eroy (2001 : 222, n. 22 ; cf. p. 44). 92 Hermann p Aul (1846-1921) reprend la classification de r einius dans ses Prinzipien der Sprachgeschichte (chap. « Wandel der Wortbedeutung » ; 1975 [1880] : 93 sq.). 93 Otto B ehAghel (1854-1936) souligne la richesse conceptuelle véhiculée par certains mots comme Don Juan (‘coureur de jupons’) qui trouvent leur origine dans les œuvres artistiques (cf. B ehAghel 1903 : col. 37). 94 Traduit par nos soins, texte original : « Class-names […] denote human beings generally, or people of some certain class, trade, origin, and then people of characteristics thought peculiar to that class, trade etc., and generally unfavourable. A depreciative tone lingers also on the more neutral senses above, at least as a humourous touch, whereas historical or literary names are often laudatory. Another difference between these groups is, of course, that historical and literary names, as of more definite associations, have often richer, more particular contents, a more special sense. By a qualifying adjective or compound element , the general obnoxious sense of class-names is reinforced or specialized to denote, as to the exterior, awkward manners, shuffling gait, dirtiness etc., and then 26 1. État de la recherche r einius (1903 : 124 sqq.) propose ensuite une classification sémantique des noms anglais et allemands formant type : les prénoms masculins sont employés pour désigner des hommes en général ( jack , Heinz ) ou ceux jouissant d’une bonne réputation ( dandy , de Andrew ; großer Hans ‘homme riche et respecté’). D’autres renvoient 1. aux relations humaines au sens large ( bob ‘ami’, Giftmichel ‘supérieur’ dans le jargon militaire 95 ), 2. aux professions ( jockey / Jockey ) ou à la classe sociale ( jack / Hans Mist ‘paysan’), 3. à l’origine ( paddy / Paddy ‘Irlandais’) ou à la confession ( Mauschel ‘Juif ’) et 4. à certaines particularités physiques ( jack-nastyface / Dreckmichel ‘homme sale’) et traits de caractère ( lazy-lawrence / fauler Peter ‘homme paresseux’). Les déonomastiques issus de prénoms de femmes, plus rares selon l’auteur (1903 : 134), sont classés de manière similaire : ils désignent des femmes au sens général ( madge , Grete ) ou dans celui de ‘compagne, copine’ ( dolly , Käthe ), renvoient à la classe sociale ( molly / Grete ‘paysanne’) et à des particularités d’ordre physique ( amy florence / Schlabberliese ‘souillon’) ou mental ( gilly / dumme Trine ‘idiote’ ; 1903 : 130 sqq.). Les prénoms, qu’ils soient masculins ou féminins, sont rarement employés pour désigner l’autre sexe. C’est le cas entre autres de johnny (‘chérie’), rechter Hannes (‘femme à l’allure masculine’, diminutif de Johann ) et mary-ann / Trine (‘homme efféminé’, ‘homosexuel’). Dans un chapitre « digression », consacré aux mots et expressions désignant des animaux, des plantes et des objets, r einius (1903 : 143 sqq.) recourt de nouveau à sa distinction entre noms historiques ( Lampe ‘lapin’, Hinz ‘chat’ ; d’après les personnages du récit Reinke de vos ) et noms formant type ( gill / Nickel 96 ‘cheval’) 97 . Des indications sur l’origine et l’emploi des mots et expressions ainsi que de nombreux exemples tirés d’œuvres littéraires sont donnés dans de loninterior qualities such as stupidity, laziness, cowardice, arrogance, deceitfulness, lasciviousness, bad temper, loquacity, niggardliness etc. These qualities being expressed by the qualifier, the names adopt the character of depreciative personal suffixes or prefixes . » (r einius 1903 : 15 sq.). 95 Exemple emprunté à h orn (1899 : 53). Dans les dialectes alsaciens, Giftmichel désigne un homme colérique et irascible (ElsWB). 96 Diminutifs respectifs de Giles , Gillian , Julian , William et de Nikolaus . 97 Dans la suite de son ouvrage, r einius (1903 : 158 sqq.) traite les emplois figurés des noms de nationalité, de parenté et de profession. 1.1. La recherche sur les déonomastiques jusqu’aux années 1930 27 gues listes d’items, obtenues par le dépouillement de dictionnaires généraux 98 et dialectaux 99 ainsi que d’ouvrages consacrés au slang et à divers sociolectes 100 . Othmar m eisinger (1872-1950), enseignant au lycée de Lörrach et spécialiste du badois, publie en 1904 et 1905 deux listes de déonomastiques sous le titre Die Appellativnamen in den hochdeutschen Mundarten, la première rassemblant des formations issues de noms masculins, la seconde de noms féminins. Le but de l’auteur est de poursuivre le travail de W AcKernAgel (1859 / 60) en exploitant la littérature dialectale, en plein essor (« mächtige Dialektlitteratur » ; 1904 : 4), ainsi que les premiers volumes de l’imposant Schweizerisches Idiotikon 101 . En 1910, il publie un supplément contenant, entre autres, des mots et expressions argotiques utilisés par les soldats et les escrocs 102 . Dans la première partie de son article Über Eigennamen als Gattungsnamen im Französischen und Verwandtes (1905), Julius B Audisch (1859-? ), enseignant à Vienne, propose une classification des déonomastiques qui, comme celle de K rueger (1891), repose sur le domaine initialement associé au porteur du nom. Les prénoms constituent une catégorie à part ( agnès ‘jeune fille innocente ou ingénue’), à côté des noms de famille ( bottin 103 ), des noms bibliques ( adam ‘pécheur’), des noms renvoyant à l’Antiquité classique et à la mythologie ( apollon ‘homme d’une grande beauté’) et des noms de villes, de pays, de peuples, etc. ( havane ‘cigare’, écossais ‘tissu écossais’). La seconde partie (1906) contient d’autres formations déonomastiques et quelques dérivés de mots recensés dans la première liste (« zu Adam . adamique ‘rein, unschuldig’ »). Des noms d’armes ( Durandal , l’épée de Roland) ainsi que des dérivés, aujourd’hui inusités, formés à partir de noms de mois ( maïalisme ‘refroidissement qui survient souvent au 98 Dont m urrAy , James Augustus Henry (éd.), 1884-1888. A new English dictionary on historical principles . 13 vol. Oxford : Clarendon Press. - s Anders , Daniel, 1860-1865. Wörterbuch der deutschen Sprache . Leipzig : Wigand. 99 Dont W right , Joseph (éd.), 1898-1905. The English Dialect Dictionary being the complete vocabulary of all dialect words still in use, or known to have been in use during the last two hundred years . 6 vol. Londres : Frowde. - B erghAus , Heinrich, 1880-1883. Der Sprachschatz der Sassen: Ein Wörterbuch der plattdeutschen Sprache in den hauptsächlichsten ihrer Mundarten. 2 vol. Brandebourg : Müller ; s chmeller (cf. n. 57). 100 Dont g rose , Francis, 1823. Classical Dictionary of the Vulgar Tongue . Londres : Marchant. - g enthe , Arnold, 1892. Deutsches [sic] Slang: eine Sammlung familiärer Ausdrücke und Redensarten . Strasbourg : Trübner. - K luge , Friedrich, 1895. Deutsche Studentensprache . Strasbourg : Trübner. - h orn (1899). 101 s tAuB , Friedrich & Ludwig t oBler , 1881 sqq. Schweizerisches Idiotikon: Wörterbuch der schweizerdeutschen Sprache . Frauenfeld : Huber. 102 m eisinger (1910 : 3) parle successivement de « Gauner- » et de « Kundensprache », termes employés de manière synonyme (DW, DU). À l’origine, le mot « Kunde » désignait les artisans vagabonds (cf. g ünther 1965 [1919] : 178, h onnen 1998 : 17). 103 Du nom de Sébastien Bottin (1764-1853), éditeur d’un annuaire du commerce et de l’industrie en 1797. 28 1. État de la recherche mois de mai’) et de jours de la semaine ( lundiste ‘celui ou celle qui, tous les lundis, publie un article dans le journal quotidien’) sont rassemblés sous la catégorie « Vereinzeltes ». Sa classification est problématique à plus d’un titre : non seulement les formations comme Joseph et Rébecca sont rangées uniquement parmi les expressions renvoyant à la Bible, et non sous la catégorie des prénoms comme on aurait pu aussi s’y attendre, mais ces listes renferment également une quantité non négligeable de dérivés non-nominaux : adjectivaux ( carthaginois ‘perfide’, louis-quatorzien ‘majestueux’), verbaux ( se césariser ‘imiter les Césars, prendre des allures despotiques’, méduser 104 ), voire propriaux ( Sorbonne 105 ). Dans son ouvrage Das Rotwelsch des deutschen Gauners (1905), Ludwig g ün ther (1859-1943), professeur à l’Université de Gießen, souligne la grande productivité de l’appellativisation des noms de personnes dans l’argot des malfaiteurs. L’auteur explique ce phénomène par le désir du peuple de s’exprimer au moyen de mots renvoyant à la réalité concrète (cf. 1905 : 79 sq.). Il cite de nombreuses formations issues de prénoms courants désignant des types de malfaiteurs ( Achelpeter ‘compagnon trop vieux pour voler et qui se contente de manger’ [rotwelsch acheln ]), des professions ( Stechhans ‘tailleur’), en particulier celles représentant un danger ( Lattenseppel ‘policier, gendarme’, de Latte ‘fusil’), ainsi que des objets ( Blankmichel ‘épée du bourreau’ ; 1905 : 81-85). Les noms historiques (« historische Namen ») sont moins fréquents ( Rebbemausche ‘pince-monseigneur’, déformation ironique du nom de Rabbi Moses, premier législateur du peuple d’Israël ; 1905 : 86). Dans son ouvrage Die französische und provenzalische Sprache und ihre Mundarten (1906), Hermann s uchier (1848-1914), professeur de romanistique à l’Université de Halle, considère le passage des noms propres à l’état de noms communs comme une source d’enrichissement du vocabulaire (cf. 1906 : 833). Il estime que les noms littéraires (« Namen der Dichtung ») sont plus fréquemment à l’origine de noms communs ( Agnès de L’École des femmes > agnès ‘femme ingénue’, Renard de la fable > renard ) que les noms historiques (« historische Namen » ; Cicéron > cicérone ‘guide touristique’) et souligne le rôle de l’ellipse 106 dans le processus d’antonomase ( liqueur de Cognac > cognac ). Dans sa thèse de doctorat présentée la même année et consacrée aux noms propres employés comme noms communs en français, Alfred K ölBel (1884-? ) note d’emblée que le sujet n’a pas encore été traité de manière satisfaisante pour le français : 104 De Méduse , nom de l’une des trois Gorgones, à la tête hérissée de serpents et dont le regard pétrifiait ceux qui la fixaient. 105 Du nom du théologien français Robert de Sorbon (1201-1274), fondateur de la Sorbonne. 106 Qu’il nomme également « Brachylogie » (1906 : 801). 1.1. La recherche sur les déonomastiques jusqu’aux années 1930 29 Il suffit de jeter un rapide coup d’œil sur les travaux dans ce domaine pour voir que la recherche en onomastique vient à peine de dépasser le stade des balbutiements. Car à l’exception de quelques études isolées fort méritoires, auxquelles viennent s’ajouter des travaux portant sur quelques dialectes, menés certes avec un zèle qui mérite d’être souligné, mais qui, en raison d’insuffisances méthodologiques et de l’absence de distance critique, restent peu fiables et d’un intérêt limité, on peut, sans exagérer, affirmer sans peine qu’en France, le phénomène n’a jusqu’à présent fait l’objet d’aucune étude globale un tant soit peu détaillée qui satisferait aux exigences de la science. 107 L’auteur souhaite contribuer à combler ce retard en livrant une collecte de données qui puisse servir à des études ultérieures sur le sujet (cf. 1907 : 8). Il ne retient pour l’analyse que les noms de personnes intégrés durablement dans la langue populaire et familière et qui sont également employés par les couches plus instruites de la population (cf. 1907 : 11) et en exclut les expressions socioet idiolectales. Les items sont issus de prénoms ( adolphe ‘souteneur’), de noms de famille ( chauvin 108 ) et de noms de personnages historiques ou fictifs ( médicis ‘femme maligne et perfide’, cendrillon ‘jeune fille qui doit assurer les travaux pénibles du foyer’) et classés comme chez K rueger (1891) selon le domaine initialement associé au porteur du nom. La distinction entre les noms d’origine biblique (« Namen biblischer Herkunft »), ceux issus de l’Antiquité (« Namen aus dem klassischen Altertum ») et ceux liés à l’histoire du Moyen Âge et de l’époque moderne, y compris les noms de personnages de théâtre et de romans ainsi que les prénoms (« Namen aus der Geschichte des Mittelalters [109] und der neueren Zeit. Theatertypen. Romanfiguren. Vornamen »), n’est pas sans poser quelques problèmes : la dernière catégorie soulève ainsi la question du classement de gille(s) (‘clown de foire’) et de ( maître ) jacques (‘valet’, de la pièce de 107 Traduit par nos soins, texte original : « Wie schon ein flüchtiger Blick über die in Betracht kommende Literatur erkennen läßt, hat die wissenschaftliche Namenforschung das Stadium der ersten Anfänge noch nicht erheblich überschritten. Denn trotz einzelner, sehr verdienstvoller Abhandlungen, neben denen die zwar mit anerkennenswertem Eifer ausgeführten, aber infolge der unzulänglichen Methode und mangelnden Kritik wenig zuverlässigen Vorarbeiten für einzelne Dialekte nicht allzu schwer ins Gewicht fallen, kann man, ohne sich einer Übertreibung schuldig zu machen, wohl getrost behaupten, daß dieser Gegenstand auf französischem Boden zurzeit noch keine zusammenfassende, auch nur annähernd erschöpfende und wissenschaftlichen Ansprüchen genügende Darstellung gefunden hat. » (K ölBel 1907 : 7). 108 De Nicolas Chauvin, nom d’un soldat français imaginaire incarnant le patriotisme outrancier pendant la période de l’Empire. 109 Mentionnons à ce sujet l’étude d’Albert c ounson (1880-1933) qui contient une liste de quelque 25 « noms épiques » devenus noms communs, tous issus de la poésie narrative française du Moyen Âge ( Fierabras > fier-à-bras , Renart > renard , Roland > ‘homme brave’ dans l’expression désuète faire le roland ; c ounson 1907 : 401-413). 30 1. État de la recherche Molière L’avare ), prénoms désignant des personnages de théâtre. De même, elle ne fait pas apparaître le statut de prénom pour les déonomastiques benjamin et ève (‘femme’), rangés dans la catégorie des noms d’origine biblique, ainsi que pour auguste (‘protecteur des arts et des sciences’) et hélène (‘femme très courtisée’), figurant dans la catégorie des noms de l’Antiquité. Les listes contiennent entre autres des informations sur le porteur initial, des phrases d’exemples tirées de la littérature et quelques dérivés ( catinisme ‘mœurs, habitudes de catin’). Elles reposent sur le dépouillement de nombreux dictionnaires généraux anciens et modernes 110 , de dictionnaires de l’argot 111 ainsi que d’œuvres littéraires classiques (Boileau, Molière, La Fontaine, Racine). Philipp K eiper (1855-1927) et Theodor z inK (1871-1934), souhaitant compléter la collection de m eisinger (1904 / 05), consacrent en 1910 un article aux noms communs issus de noms de personnes dans la région du Palatinat. Les auteurs rangent leurs exemples dans trois groupes : 1. mots issus de prénoms fréquents ( Staches ‘lourdaud, rustre’ ; diminutif de Eustachius ), 2. mots formés à partir de (pré)noms hébraïques attestés dans l’Ancien Testament ( Judas ‘traître’), 3. mots renvoyant à l’Antiquité et à l’époque moderne ( Herkules ‘homme d’une force physique exceptionnelle’, Napoleon ‘petit garçon courageux’). Quant à la collecte des données, z inK se borne à indiquer qu’il a profité de sa qualité d’enseignant pour recueillir un certain nombre de mots en écoutant ses élèves de Kaiserslautern (cf. 1910 : 126). Dans la partie sémantique de sa Grammaire historique de la langue française (1913), Kristoffer n yrop (1858-1931), professeur de langue et littérature françaises à Copenhague, étudie de manière approfondie le processus de transformation de noms propres en noms communs 112 . À la différence de r einius (1903) qui combine les critères sémantique et génétique pour analyser les seuls noms formant type (« class-names »), n yrop propose de classer l’ensemble des déonomastiques selon ces deux critères. Il donne la priorité au critère sémantique 110 Dont n icot , Jean, 1606 2 . Thresor de la langue françoyse . Paris : David Douceur. - r ichelet , César-Pierre, 1680. Dictionnaire françois . Genève : J. H. Widerhold. - f uretière (1690). - d Armesteter , Arsène, Adolphe h Atzfeld & Antoine t homAs , 1890-1900. Dictionnaire général de la langue française du commencement du XVIIe siècle jusqu’à nos jours . 2 vol. Paris : Delagrave. 111 Dont d elesAlle , Georges, 1896. Dictionnaire argot-français & français-argot . Paris : Ollendorff. - d elvAu , Alfred, 1867 2 . Dictionnaire de la langue verte . Paris : E. Dentu. 112 Dans son ouvrage antérieur Das Leben der Wörter , n yrop (1903 : 103) aborde très brièvement la « Vertauschung von Eigen- und Gattungsnamen », le passage du nom propre au nom commun dont résultent des mots tels que judas (‘traître’) et tartuffe (‘hypocrite’). Conformément à la tradition rhétorique, il considère ce phénomène comme relevant de la synecdoque qui consiste à modifier l’extension d’un mot (ici, par la désignation du genre par l’espèce). 1.1. La recherche sur les déonomastiques jusqu’aux années 1930 31 en distinguant les mots et expressions désignant des êtres vivants (humains, animaux) de ceux désignant des objets, ces deux groupes se trouvant subdivisés ensuite selon le critère génétique (cf. 1913 : 363 sqq.). Les formations du premier groupe ont pour origine des « noms littéraires » ( harpagon ‘avare’), des « noms historiques » ( ganelon ‘traître’), des « noms classiques » ( apollon ), des « noms bibliques » ( joseph ‘homme niais, timide en amour’) et des « prénoms » ( alphonse ‘souteneur’, jean ‘cocu’ ; martin ‘âne’, margot ‘pie’). Les déonomastiques issus de prénoms du deuxième groupe figurent dans les sous-catégories « inventions et produits » ( eustache ‘couteau de poche’), « monnaies » ( carolus 113 , louis ) et « cas divers » ( judas , moïse ‘petite corbeille capitonnée servant de berceau’). La classification de n yrop n’est pas exempte non plus de chevauchements et le traitement taxinomique de certains noms est discutable : ainsi, Alphonse est rangé dans la sous-catégorie des « prénoms » et non dans celle des « noms littéraires », et ce alors que n yrop (1913 : 371) lui-même indique que « le type a été défini par A[lexandre] Dumas fils, dans une pièce de théâtre ». Dans son article posthume Niederdeutsche, besonders westfälische Vornamen in besonderer Anwendung (1916 / 17), Gottfried K uhlmAnn (1885-1915) explique, à l’instar de g ünther (1905), que l’emploi fréquent de prénoms comme noms communs est spécifique au mode de vie des paysans, qui recourent selon lui à des images et comparaisons du quotidien pour exprimer de manière concrète des idées abstraites (cf. 1916 / 17 : 87). Les prénoms en question peuvent être ceux d’individus présentant une caractéristique qui les prédestine à en devenir le type, d’autres peuvent, par leur sonorité, rappeler un mot ou être associés à une image ( den Olrik anbeen 114 ‘vomir’, Olr rappelant le son émis lors du vomissement). Il cite enfin quelques prénoms très fréquents au nord de l’Allemagne, dont Jan , que l’on retrouve dans de nombreux mots complexes et expressions ( Janhagel ‘populace’, Jan Niggetid ‘celui qui s’enthousiasme pour tout ce qui est moderne’ [du dialecte de Westphalie niggetid ‘homme curieux’], Jan vull Muul ‘vantard’ [de l’expression das Maul zu voll nehmen ], etc.). La thèse de Karl s Ang (1890-1972) intitulée Die appellative Verwendung von Eigennamen bei Luther (1921) est à notre connaissance la première étude sur l’emploi nominal de noms propres en allemand qui ne repose pas sur le dépouillement de dictionnaires et de glossaires, mais analyse le phénomène dans l’œuvre d’un auteur. Les écrits de Luther datant d’une époque où l’emploi nominal de prénoms était courant dans la langue populaire, ils constituent une source particulièrement riche pour notre objet d’analyse. s Ang (1921 : VI ) souligne par 113 Du nom de Charles VIII (1470-1498), premier souverain à avoir fait frapper cette monnaie. 114 Variante régionale de l’expression (den) (heiligen) Ulrich (an)rufen (cf. p. 150). 32 1. État de la recherche ailleurs que l’intérêt de ce genre d’études n’est pas limité au domaine de l’histoire de la langue, mais qu’elles éclairent également certains aspects de l’histoire culturelle. Parmi les formations relevées, l’auteur distingue les noms parfaitement intégrés dans l’usage ( Meister Hans ‘exécuteur des hautes œuvres, bourreau’) de ceux dont l’emploi, plus occasionnel, revêt une fonction stylistique ( Antichrist ‘le pape’ ; cf. 1921 : VIII ). Les listes alphabétiques contiennent, outre des noms propres employés comme noms communs ( Babylon ‘ville pécheresse, prison’, Loth ‘homme pieux parmi les non-croyants’), aussi quelques adjectifs ( ägyptisch ‘obstiné, buté’, böhmisch ‘hussitique’ 115 ). Certains mots ou expressions sont issus du nom de personnages bibliques, tels que Cain (‘pécheur’), Judas (‘traître’) et Lazarus (‘homme pauvre’), d’autres de prénoms fréquents - pour certains jusqu’à aujourd’hui - servant à désigner des hommes ( Claus , Conrad , Georg , Kunz , Hans et Peter ) et des femmes quelconques ( Grete ) ainsi que des êtres démoniaques comme le diable ( Heinz ). Ce qui retient l’attention, c’est moins l’emploi nominal de noms propres que le fait que Luther ait eu recours à des prénoms pour critiquer et / ou railler certains de ses contemporains, en premier lieu ses détracteurs 116 : Judas et Heinz zu Rom désignent le Pape, Hans Worst (dans le pamphlet Wider Hans Worst ; 1541) et Heinz Teufel le duc Heinrich von Braunschweig (1921 : 59 sqq.). La question de savoir dans quelle mesure cet emploi référentiel peut être considéré comme appellatif reste toutefois en suspens. Othmar m eisinger publie en 1924 son ouvrage Hinz und Kunz. Deutsche Vornamen in erweiterter Bedeutung , issu de ses relevés de 1904 / 05 et 1910, complétés par des formations du bas-allemand. Son glossaire rassemble, sur près de cent pages, des entrées consacrées à 199 prénoms masculins et 64 prénoms féminins, numérotées et classées par ordre alphabétique, et fournit des informations sur l’origine et l’emploi des déonomastiques correspondants ainsi que des phrases d’exemples ou des renvois à des œuvres littéraires dans lesquels ces formations sont attestées 117 . Il constitue à notre connaissance la plus importante collection de déonomastiques allemands issus de prénoms à ce jour. 115 Le réformateur Jan Hus (vers 1369-1415) était originaire de Bohème. 116 Nous renvoyons à ce sujet au compte rendu d’Alfred g ötze (1876-1946) : ‘Les prédécesseurs de Luther, les didacticiens de l’époque du mha. jusqu’à Brant, employaient ce genre de métaphores essentiellement dans le but d’instruire alors que ce qui est déterminant chez Luther, le premier à en faire un usage aussi important, c’est le désir de s’exprimer de manière vivante, forte et expressive.’ (Traduit par nos soins, texte original : « Luthers vorgänger, die mhd. didaktiker bis auf Brant, [wollten] mit dieser art metaphern wesentlich belehren, während bei Luther, der als erster würklich ausgedehnten gebrauch davon macht, der drang zu belebtem, starkem, gefühlsbetonten ausdruck bestimmend würkt. » ; g ötze 1924 : 145). 117 m eisinger se contente de lister les exemples de manière alphabétique, ce qui est vivement critiqué par Edward s chröder (1858-1942) : ‘La plus grande faiblesse de cet opuscule 1.1. La recherche sur les déonomastiques jusqu’aux années 1930 33 Karl m eisen (1891-1973), spécialiste d’histoire culturelle allemande, traite de l’emploi folklorique de noms de personnes en Rhénanie (1925). L’auteur centre sa présentation sur les expressions populaires employées par un cercle restreint de locuteurs originaires d’une région bien précise. À l’exception de (deutscher) Michel , dont l’emploi n’est d’ailleurs aucunement limité à la Rhénanie, il cite essentiellement des mots désignant des hommes cruels ou des vauriens, formés à partir des sobriquets de brigands ayant sévi dans la région rhénane (dont Schinderhannes pour Johannes Bückler [vers 1779-1803]). Considérant que les parlers de la région de Waldeck (Hesse) sont insuffisamment représentés dans le recueil de m eisinger (1924), Bernard m Artin (1889-1983) publie un article Vornamen in erweiterter Bedeutung in den waldeckischen Mundarten (1926) visant à pallier cette absence. Sa liste de déonomastiques, issue du dépouillement du Waldeckisches Wörterbuch 118 et de collectes personnelles, contient toutefois quelques formations comme Faselhans , Stoffel et Struwwelpeter dont l’emploi ne se limite pas à cette région. Dans une étude ultérieure, il s’intéresse aux noms communs issus de Johannes dans les dialectes de la Hesse (m Artin 1950) 119 . Par son article dédié aux emplois nominaux des prénoms et des noms de famille (1926), Robert t rögel (? -? ) souhaite compléter les travaux existants en présentant des déonomastiques allemands et, plus sporadiquement, français qui sont en voie de disparition ou, au contraire, non encore attestés à l’écrit 120 . L’auteur propose une classification largement identique à celle de n eedon (1896), reposant sur les catégories êtres humAins ( dummer August ), AnimAux et plAntes ( Hans ‘cheval’, fleißiges Liesel ‘impatiente’ [bot.]) et inAnimés ( Birkenhänsel ‘fouet, martinet pour enfants’, martin ‘bâton pour faire avancer les ânes’). Dans son ouvrage de référence Dal nome proprio al nome comune (1927), Bruno m igliorini (1896-1975), spécialiste d’italien à l’Université La Sapienza de Rome et président de l’Accademia della Crusca de 1949 à 1963, étudie le passage du nom propre au nom commun dans les langues romanes, en particulier l’itaest l’absence de toute explication sur l’émergence et les aspects morphologiques de ce type de dénominations.’ (Traduit par nos soins, texte original : « Der schwerste mangel des büchleins ist das fehlen jeder auseinandersetzung über die genesis und morphologie dieser bezeichnungsweise […] » ; s chröder 1924 : 158). 118 B Auer , Karl & Hermann c ollitz , 1902. Waldeckisches Wörterbuch: nebst Dialektproben . Norden, Leipzig : Soltau. 119 Georg s teinhAusen (1866-1933) consacre une brève étude à l’histoire, à la diffusion et à l’emploi nominal de ce prénom (1893 : 621-626). 120 La plupart des exemples cités figurant dans d’autres listes, notamment celles de m eisinger (1904 / 05, 1910, 1924), on est en droit de se demander quelles sont les sources non encore exploitées que t rögel a bien pu utiliser. 34 1. État de la recherche lien et le français 121 . Dès le début, m igliorini (1927 : 2) précise que son objectif n’est pas de définir de manière tranchée les catégories de « nom propre » et de « nom commun », mais d’en dégager les propriétés les plus saillantes. Il propose ensuite une classification des déonomastiques selon le domaine initialement associé au porteur du nom, distinguant ainsi « il mondo cristiano » (it. moyses ‘législateur’, Gesù / jésus ‘bel enfant’), « il mondo classico » ( penelope / pénélope ‘épouse fidèle’) et « il mondo profano » ( gargantuà / gargantua ‘gros mangeur’). Enfin, il analyse les glissements sémantiques (« spostamenti di significato » ; 1927 : 310-329) qu’il définit comme des ‘changements de sens allant de pair avec un changement du concept (ou de l’objet)’ 122 , citant comme exemples les dérivés marivauder et turlupiner formés à partir de Marivaud et de Turpulin (1927 : 327). Dans sa thèse Vornamen als appellative Personenbezeichnungen (1929), soutenue à l’Université d’Helsinki, Ewald m üller (1885-1950) étudie de manière approfondie l’un des aspects centraux de l’emploi nominal des prénoms en allemand. Partant du constat que le phénomène a été traité essentiellement par le biais de présentations analysant isolément chaque nom ou déonomastique, l’auteur se fixe pour objectif d’appréhender le phénomène de manière globale et systématique (cf. 1929 : 4). Il place au centre de son étude les noms communs issus de prénoms populaires tels que Appel (‘femme naïve ou sale’ ; diminutif de Apollonia ) et faule Trine , résultant d’un transfert moins conscient que dans le cas des noms renvoyant à des personnages historiques ou littéraires comme Adam et Benjamin (cf. 1929 : 5 sq.). m üller opte pour une classification sémantique en distinguant 1. les formations désignant l’appartenance sociale, la profession ou l’origine géographique et 2. celles renvoyant à des propriétés individuelles (physiques ou mentales). Dans chacune de ces catégories, il classe les formations selon la présence ou l’absence d’un élément caractérisant (« Name mit charakterisierendem Zusatz » vs « Name als alleiniger Bedeutungsträger »), se concentrant sur les composés et les expressions figées dans lesquels les prénoms adopteraient plus aisément un statut de nom commun qu’en emploi autonome. Les exemples proviennent essentiellement de dictionnaires dialectaux du hautallemand 123 ainsi que de quelques dictionnaires du bas-allemand 124 . 121 L’allemand est également représenté par de nombreux exemples. 122 Traduit par nos soins, texte original : « ‘spostamenti di significato’, cioè quei mutamenti semantici che vanno correlativi ad un mutamento di concetti (o d’oggetti). » (1927 : 310). 123 Dont l exer , Matthias, 1862. Kärntisches Wörterbuch . Leipzig : Hirzel. - s chmeller (cf. n. 57). - s chöpf , Johann Baptist, 1866. Tirolisches Idiotikon . Innsbruck : Wagner. - v ilmAr , August Friedrich Christian, 1868. Idiotikon von Kurhessen . Marbourg, Leipzig : M. Sändig. - elsWB. - m üller , Josef, 1923 sqq. Rheinisches Wörterbuch . Bonn, Leipzig : Schroeder. 124 Dont m ensing , Otto, 1927 sqq. Schleswig-Holsteinisches Wörterbuch . 5 vol. Neumünster : Wachholtz. - W oeste , Friedrich, 1882. Wörterbuch der westfälischen Mundart . Norden, Leipzig : Soltau. 1.1. La recherche sur les déonomastiques jusqu’aux années 1930 35 La même année, Georges d outrepont (1868-1941), professeur de littérature française à l’Université de Louvain, présente son étude sur les prénoms français à sens péjoratif (1929). Ce travail met l’accent sur les mots et expressions « ayant une acception dénigrante d’une portée abstraite ou individuelle » (1929 : 6), laissant de côté les noms d’objets comme jules (‘pot de chambre’), d’emploi argotique. Il s’ouvre par un relevé de déonomastiques qui contient des indications sur l’origine, l’emploi et la signification de ces mots ou expressions, les mots complexes auxquels ils ont donné lieu ainsi que des phrases d’exemple tirées de la littérature (1929 : 6-51). L’auteur examine ensuite les causes sociales, historiques, phonétiques, étymologiques et littéraires de la péjoration de ces expressions (1929 : 53-112). Il rassemble enfin en annexe quelques noms d’animaux issus de prénoms ( bernard-l’hermite , martinet [diminutif de Martin ], etc.) ainsi que des mots ou expressions wallons désignant des personnes ( wihot [diminutif de Wilhelm ] ‘cocu’, zâbê [diminutif d’ Isabeau ] ‘femme de rien, gourgandine’ ; 1929 : 113-121). L’étude de d outrepont repose sur le dépouillement de dictionnaires généraux et historiques 125 du français, d’ouvrages consacrés aux argots 126 et au wallon 127 ainsi que d’œuvres classiques de la littérature française (La Fontaine, Molière, Rabelais). L’auteur passe sous silence les travaux, pourtant importants, de s chultz (1894) et de K ölBel (1907) sur la question. Axel p eterson (1898-? ), dans sa thèse richement documentée Le passage populaire des noms de personne à l’état de noms communs dans les langues romanes et particulièrement en français (1929), s’intéresse aux déonomastiques de la langue populaire « dont le sens n’est pas déterminé par une allusion à une certaine personne » (1929 : III ). Pour l’auteur, ce phénomène montre clairement que le nom propre est plus qu’une simple étiquette dénuée de sens, faute de quoi son emploi comme nom commun « devient quelque chose d’inexplicable, et on se demande quel est le souffle qui ranime le mort pour le faire entrer de nouveau dans la langue vivante » (1929 : 2). Souhaitant appréhender les noms propres à partir de leur fonction de communication et « dans leur relation à la pensée » 125 Dont l e r oux , Philibert-Joseph, 1787 [1718 1 ]. Dictionnaire comique, satyrique, critique, burlesque, libre et proverbial . 2 vol. Amsterdam. - l ittré (1863-1869). - d Armesteter , Arsène, Adolphe h Atzfeld & Antoine t homAs , 1890-1900. Dictionnaire général de la langue française du commencement du XVII e siècle jusqu’à nos jours . 2 vol. Paris : Delagrave. - g odefroy (1881-1902), cf. n. 84. 126 Dont d elesAlle , Georges, 1896. Dictionnaire argot-français & français-argot . Paris : Ollendorff. - s AinéAn , Lazare, 1920. Le langage parisien au XIXe siècle . Paris : E. de Boccard. - d AuzAt (1929). 127 Dont g rAndgAgnAge , Charles Marie Joseph, 1845-1880. Dictionnaire étymologique de la langue wallonne . 2 vol. Liège : Oudart. - B ody , Albin, 1868. « Vocabulaire des Poissardes du pays wallon (Liège, Verviers, Spa, Malmédy) ». In : Bulletin de la Société liégeoise de littérature wallonne , 187-242. 36 1. État de la recherche (1929 : 3), il accorde une attention toute particulière aux associations qui les unissent à leurs porteurs. Dans le cas des déonomastiques issus de prénoms pour lesquels on ne peut établir d’origine individuelle, ces associations, reposant sur une multitude de référents possibles, varient plus fortement selon les locuteurs et l’environnement culturel que dans le cas de noms renvoyant à un individu identifiable : Faute d’élément intellectuel, les idées associées au nom propre non attribué se réduisent aux idées accessoires qui sont le résidu inconscient des attributions antérieures ou qui s’associent au nom à cause de sa forme par exemple lorsque celle-ci rappelle un mot significatif. C’est donc l’élément émotionnel qui a le dessus. Aussi l’emploi générique d’un tel nom a-t-il un caractère plus affectif, spontané et populaire, tandis que l’emploi générique d’un nom attribué est d’un caractère intellectuel, raisonné et, souvent, littéraire. (p eterson 1929 : 18) L’auteur analyse les mots et expressions désignant des humains, animaux et objets issus de noms de personnes. Les noms masculins (1929 : 19-106) renvoient à des hommes moyens, quelconques ( guillaume ), à la nationalité ( michel ‘Allemand’), à la profession ( charlot ‘exécuteur des hautes œuvres, bourreau’), à l’appartenance sociale ( jacques ‘paysan’) ou à des particularités d’ordre physique ou moral ( jean-bout-d’homme ‘homme de petite taille’, jean ‘sot’). Les noms féminins (1929 : 107-137) servent quant à eux à désigner essentiellement des femmes quelconques ( marie ), des filles ou femmes faciles et des prostituées ( catin , margot [diminutif de Marguerite ]) ainsi que leurs caractéristiques physiques et morales, en partie différentes de celles attribuées aux hommes ( margot ‘femme bavarde’, marie graillon ‘souillon’). Le cas des noms féminins appliqués aux hommes ( cathelaine ‘femmelette’ [wallon] ; diminutif de Catherine ) et celui des noms d’hommes appliqués aux femmes ( louis ‘prostituée’), plus rare selon l’auteur, sont traités dans un chapitre à part (cf. 1929 : 138-147). p eterson (1929 : 148-173) analyse ensuite en détail le passage du prénom au nom générique attribué à tel ou tel animal et distingue deux principaux types de transferts visant à le personnifier : le premier fait intervenir un nom propre d’animal ( margot aurait d’abord été donné comme nom individuel à une vache avant de désigner toutes les vaches), le second une désignation de personne ( margot pour la pie, en lien avec l’acception ‘femme bavarde’). L’auteur (1929 : 174-201) s’attache par ailleurs à montrer l’évolution sémantique de certains prénoms désignant des objets ou des idées abstraites, notamment des parties du corps ( jacques ‘mollets’) et des objets représentant l’humain ( catin ‘poupée’ ; Canada), qui dans certains cas peuvent avoir une fonction euphémique ( bernard ‘derrière’) ou cryptique ( jacques ‘passe-partout’ dans l’argot des malfaiteurs). En conclusion, l’auteur revient sur le rôle central de la fréquence, « cause essentielle qui, développant 1.1. La recherche sur les déonomastiques jusqu’aux années 1930 37 la généralité du nom propre, amène celui-ci à l’état de nom commun » (1929 : 202) 128 . Si l’étude de p eterson repose pour l’essentiel sur les mêmes sources que K ölBel (1907) et d outrepont (1929) 129 , elle s’en distingue par le nombre plus important de dictionnaires et lexiques dialectaux et régionaux consultés 130 s’imposant par son approche comparative. La thèse de doctorat de Friedrich c rAmer (1898-? ) intitulée Die Bedeutungsentwicklung von „Jean“ im Französischen (1931) paraît deux ans plus tard. Il s’agit à notre connaissance de la première étude consacrée à un seul prénom, en l’occurrence au prénom masculin le plus fréquent en français 131 . c rAmer s’intéresse tout d’abord à certains aspects étymologiques et sociolinguistiques tels que l’origine du prénom, sa répartition géographique en France, sa fréquence au sein des différentes couches sociales et ses connotations péjoratives (1931 : 7-18). Les mots et expressions issues de Jean et de ses nombreuses variantes dialectales sont ensuite classés dans les catégories suivantes : 1. noms de personnes ( jean , jan ‘sot, niais’ en provençal, janin en picard, jeanneton ‘fille débauchée’ à Paris), 2. noms d ’ AnimAux et de plAntes ( jean des bois ‘loup’ en Anjou ; saint-jean ‘lierre’ dans le nord et en Languedoc, ‘giroflée jaune’ en Anjou) 132 et 3. noms d ’ inAnimés ( dian rosset ‘soleil’ dans le canton de Vaud et dans la région de Genève, jean du houx ‘bâton’ ; 1931 : 18-75). Le chapitre suivant (1931 : 75-89) est consacré à 128 Dans son compte rendu, m ichAëlsson (1929 : 113) émet quelques réserves à ce sujet : « Avec le système de l’auteur, on a quelquefois le soupçon que son raisonnement est établi de la façon suivante : X se rencontre comme nom commun, donc X doit être fréquent comme nom propre. Je me hâte d’ajouter que la plupart du temps, l’auteur doit se trouver dans le vrai, mais encore … ». - Notons également que m ichAëlsson met en lien les résultats de ce travail avec ceux obtenus par m üller : « Il est curieux d’observer les analogies entre ces deux thèses sur bien des points. » (1929 : 110, n. 2). 129 Apparemment, p eterson (1929) et d outrepont (1929) ignoraient tout de leurs travaux respectifs. 130 Dont B oissier de s AuvAges , Pierre Augustin, 1820-1821. Dictionnaire languedocien-français . 2 vol. Alais : J. Martin. - f Avre , Léopold, 1867. Glossaire du Poitou, de la Saintonge et de l’Aunis . Niort : Robin et L. Favre. - j ônAin , Pierre Abraham, 1869. Dictionnaire du patois saintongeais . Royan : l’auteur. - m istrAl , Frédéric, 1878-1886. Lou tresor dóu Felibrige ou Dictionnaire provençal-français embrassant les divers dialectes de la langue d’oc moderne . 2 vol. Aix-en-Provence : J. Remondet-Aubin. - p uitspelu , Nizier du, 1887-1890. Dictionnaire étymologique du patois lyonnais . Lyon : Henri Georg. - l espy , Vastin & Paul r Aymond , 1887. Dictionnaire béarnais ancien et moderne . 2 vol. Montpellier : Hamelin. - l ApAire , Hugues, 1903. Le patois berrichon . Moulins : Crépin-Leblond. - v errier , Anatole-Joseph & René o nillon , 1908. Glossaire étymologique et historique des patois et des parlers de l’Anjou . 2 vol. Angers : Germain et G. Grassin. - p ierrehumBert , William, 1926. Dictionnaire historique du parler neuchâtelois et suisse romand . Neuchâtel : Attinger. 131 Nous renvoyons à la liste qu’Eugène r ollAnd (1846-1909) dédie au prénom Jean dans le folklore et la lexicographie, parue dans l’ Almanach des traditions populaires (1884). 132 L’auteur publie l’année suivante une étude intitulée Der Heilige Johannes im Spiegel der französischen Pflanzen- und Tierbezeichnungen (1932). 38 1. État de la recherche divers domaines d’utilisation des formations avec Jean , allant de la langue quotidienne où elles sont employées entre autres comme sobriquets ( Jean d’épée pour Napoléon) ou désignent les parties du corps ( saint-jean-le-rond ‘fesses’), aux enseignes de magasins ou de restaurants ( À la petite Jeannette ) et aux maladies ( mal de Saint-Jean ‘épilepsie’) en passant par la poésie et les chansons populaires. c rAmer (1931 : 89-98) conclut par une analyse des causes religieuses, historiques et linguistiques (étymologie populaire, recherche d’expressivité 133 , jeu) de la profusion de ce type de formations. L’auteur a consulté des ouvrages linguistiques de référence sur le français et les langues romanes 134 , mais aussi sur l’allemand 135 , ainsi que des œuvres classiques et folkloriques 136 . Trois ans plus tard, le même auteur analyse les causes de la péjoration affectant les désignations des sots issues de prénoms gallo-romans (c rAmer 1934). Dans sa thèse de doctorat consacrée à l’influence du culte de saint Nicolas sur les noms propres en France, Gertrude f rAnKe (1906-? ) présente les emplois appellatifs du prénom Nicolas et de ses diminutifs et en analyse les multiples causes de péjoration (1934 : 91-121) 137 . 1.2. Les nouvelles orientations à partir du milieu du XX e siècle Dans les années 1940, on observe une baisse du nombre de travaux consacrés aux aspects sémantiques de l’appellativisation du prénom en allemand et en français qui peut s’expliquer par la parution, durant les deux décennies précédentes, de plusieurs monographies sur le sujet (m üller 1929, d outrepont 1929, p eterson 1929, c rAmer 1931, 1932) et par l’avènement du structuralisme (cf. n erlich 1993 : 7). À en croire l’extrait suivant du Cours de linguistique générale (1916 ; chap. consacré à l’analogie), Ferdinand de s Aussure (1857-1913) considérait que les noms propres ne se prêtent pas à l’analyse synchronique : 133 Cette notion est définie à la p. 148. 134 Dont d Armesteter (1887), K ölBel (1907), n yrop (1913), m igliorini (1927) et de nombreux dictionnaires généraux et dialectaux dont certains ont déjà été mentionnés. 135 Dont W AcKernAgel (1859 / 60), s chultz (1894), n eedon (1896) et m eisinger (1924). 136 Dont n AdAud , Gustave, 1852 2 . Recueil de Chansons . Paris : Vieillot. - B lAdé , Jean-François (éd.), 1882. Poésies populaires de la Gascogne . 3 vol. Paris : Maisonneuve. - l AmBert , Louis, 1906. Chants et chansons populaires du Languedoc . 2 vol. Paris, Leipzig : Welter. 137 Citons encore deux brefs articles sur l’allemand, l’un de o strop (1937), l’autre de u rBAch (1938), qui ne traitent toutefois pas des prénoms. Le premier est consacré aux noms propres à l’origine de nouveaux termes spécialisés dans la langue du sport, le second donne un aperçu de l’appellativisation de plusieurs types de noms propres. 1.2. Les nouvelles orientations à partir du milieu du XXe siècle 39 Les seules formes sur lesquelles l’analogie n’ait aucune prise sont naturellement les mots isolés, tels que les noms propres, spécialement les noms de lieux (cf. Paris , Genève , Agen , etc.), qui ne permettent aucune analyse et par conséquent aucune interprétation de leurs éléments ; aucune création concurrente ne surgit à côté d’eux. (s Aussure 1981 [1916] : 237) Par la suite, les cercles structuralistes devaient largement délaisser l’étude des noms propres en général et des noms de personnes en particulier. Comme le note g Ary -p rieur (1994 : 3), [l]’histoire de la linguistique explique bien pourquoi le nom propre apparaît comme objet marginal : les démarches structuralistes issues notamment de Saussure conduisent logiquement à une telle conclusion. En effet, sur le plan sémantique, le nom propre dévie doublement du modèle saussurien du signe : d’une part, son signifié ne correspond pas à un concept, ou « image mentale » stable dans la langue et d’autre part, on ne peut pas définir sa valeur dans un système de signes. Une sémantique structurale ne peut donc pas l’aborder avec les outils et les méthodes dont elle dispose. 138 La recherche sur l’appellativisation des prénoms a plus particulièrement pâti de la dissociation entre linguistique et histoire culturelle opérée par les tenants du structuralisme. Pourtant, comme l’a expliqué m AAs (1986) dans un article consacré au rôle et à la place de la dimension culturelle dans la recherche en linguistique, [l]a différenciation des disciplines se fait par le passage d’une conception préscientifique à une conception théorique de l’objet par l’intermédiaire d’un canon méthodologique spécifique. Dans le domaine de la linguistique conçue comme ensemble divisé en sous-disciplines, il s’agit de méthodes d’analyse qui présupposent l’autonomie de la forme linguistique, crédo inébranlable des linguistes depuis les premières heures du structuralisme. Or, c’est une chose de traiter le matériau linguistique comme s ’il était autonome quand on veut le soumettre à des tests ; c’en est une autre de le déclarer théoriquement autonome et indépendant des pratiques culturelles. En faisant cela, on prive la linguistique et l’histoire culturelle des domaines de recherches qu’elles ont en commun […] 139 138 Pour plus d’informations sur le statut du nom propre au sein de la théorie saussurienne du signe linguistique, nous renvoyons entre autres à W ilmet (1988), g Ary -p rieur (1991b : 12 sq.) et t estenoire (2008 : 1005 sqq.). 139 Traduit par nos soins, texte original : « Die Differenzierung der Disziplinen erfolgt beim Übergang vom vortheoretischen zum theoretischen Gegenstandsverständnis, vermittelt über einen spezifischen Methodenkanon. Bei der arbeitsteilig ausdifferenzierten Sprachwissenschaft sind das Untersuchungsverfahren, die die Autonomie der sprachlichen Form voraussetzen, die seit den strukturalistischen Gründerjahren zum sprachwissenschaftlichen Glaubensbekenntnis gehört. Nun ist es aber eine Sache, die sprachliche 40 1. État de la recherche Il y eut néanmoins quelques chercheurs qui continuèrent de s’intéresser aux aspects sémantico-culturels des déonomastiques issus de prénoms. C’est le cas d’Adolf B Ach (1890-1972), l’un des chefs de file de l’onomastique allemande qui, dès la fin des années 1930, souligne dans son ouvrage Handbuch der Volkskunde (1938) la nécessité de prendre en considération les dimensions historique, sociologique et psychologique pour l’étude des noms propres. Son approche, qui relève de ce qu’on pourrait qualifier avec h AuBrichs de ‘programme ethno-sémantique de grande envergure’ (« weitperspektiviertes ‘ethnosemantisches’ Programm » ; 1995 : 77), vise à ‘appréhender le rapport du peuple aux noms propres et, par là même, à dégager ce qui le caractérise spirituellement’ 140 . Dans son ouvrage de référence ultérieur Die deutschen Personennamen , B Ach étudie de plus près le cas des déonomastiques (chap. « Bedeutungsentwicklung im deutschen Personennamenschatz » ; 1943 : 305 sqq.) 141 . Il distingue les mots formés à partir de noms fréquents ( Hans , Peter ) de ceux qui renvoient à un porteur jouissant d’une certaine notoriété, qu’il s’agisse de personnages historiques ( Caesar ), littéraires ( Don Juan ) ou d’inventeurs ( Zeppelin 142 ), ainsi que d’individus dont le nom est passé bien involontairement à la postérité ( Boykott 143 ). Les noms communs issus de prénoms, qui figurent uniquement dans le premier groupe 144 , sont classés tout d’abord selon le critère morphologique de la présence ou non d’un élément caractérisant ( Johann ‘valet’ vs dummer August ; 1943 : 309), puis selon le critère sémantique dans les catégories des noms de personnes ( Louis ‘souteneur’), d’animaux ( Tratschkatel ‘pie’ en Styrie ; de Katel , diminutif de Katharina ), de plantes, d’objets ( Dietrich ) et de maladies ( flotter Gustav ‘diarrhée’ en Rhénanie). L’emploi suffixal de prénoms dans la formation de mots péjoratifs, tels que Jan et Peter Form im Hinblick auf die operationalen Verfahren so zu behandeln, als ob sie autonom sei; eine andere Sache ist es, die sprachlichen Form theoretisch als autonom gegenüber der kulturellen Praxis zu deklarieren. Mit dem zweiten Schritt ist einer gemeinsamen Forschung von Sprachwissenschaft und Volkskunde der Boden entzogen […] » (m AAs 1986 : 33 sq.). 140 Traduit par nos soins, texte original : « Das Verhältnis des Volkes zum Namen und seine daraus zu erschließende Geistigkeit kennenzulernen[, hat daher unser wesentlichstes Ziel darzustellen] » (B Ach 1938 : 322). Pour l eroy (2004 : 125), ce lien particulier du nom propre à la réalité extralinguistique fait du nom propre un « signe linguistique à ‘valeur ajoutée’ ». 141 B Ach reprend cette présentation quasiment à l’identique dans sa Deutsche Namenkunde (1952 : 323 sqq., 1953 : 191 sqq.). 142 Du nom du comte Ferdinand Adolf August Heinrich von Zeppelin (1838-1917), fondateur de la société Zeppelin et inventeur de ce type de ballons dirigeables. 143 Du nom du riche propriétaire terrien irlandais Charles Cunningham Boycott (1832-1897) qui subit un blocus de la part des fermiers travaillant pour lui, provoquant sa ruine. 144 Alors que des substantifs comme Thusnelda (‘épouse, amante, copine’), louis et napoléon (noms de pièces de monnaie) relèvent bien du deuxième groupe. 1.2. Les nouvelles orientations à partir du milieu du XXe siècle 41 dans Dummerjan et Quasselpeter , est également mentionné (cf. 1943 : 310). B Ach (1943 : 520-556, 1953 : 191-225) aborde par ailleurs les aspects socioculturels des noms de personnes en s’intéressant aux principales caractéristiques des noms fréquemment employés dans différentes classes sociales. À partir de la deuxième moitié du XX e siècle, quelques travaux à orientation sémantique voient le jour, notamment ceux de B erger (1950) qui souligne la productivité de l’appellativisation, surtout celle des noms de famille, dans les langues de spécialité et les jargons professionnels, W illBerg (1965) qui s’intéresse au processus de péjoration affectant certains prénoms tels que Augustus (lat. ‘personnage illustre’) > August (‘clown’), r össler (1967) qui examine sous une perspective didactique les déonomastiques résultant de l’emploi secondaire de prénoms ( Fritz ‘Allemand’), de noms de famille ( Makadam ), de personnages fictifs ( Krösus ) et de toponymes ( Calvados ) 145 , et s cheuermAnn (1979) qui consacre un article aux emplois appellatifs du prénom Heinrich et de son diminutif basallemand Hinnerk . Pour le français, nous renvoyons plus particulièrement à m A rouzeAu (1950 : 159-180) qui souligne « l’extraordinaire abondance des noms » issus de la « communisation » des noms propres en passant en revue de nombreux exemples regroupés dans les catégories aussi diverses que la mythologie ( cerbère ‘agent de police’), la religion ( moïse ‘nacelle’), l’histoire ( louis ‘pièce de monnaie’), la littérature ( sadisme ) ou les arts et techniques ( eustache ) 146 et à h öfler (1968) qui montre au moyen de la formation fanchonnette (‘sorte de pâtisserie qui sert d’entremets’ ; de Fanchon , diminutif de Françoise ) combien il est difficile de retracer le passage du nom de personne au nom commun. g uérAud (1990) cite quant à lui quelques déonomastiques représentatifs du phénomène qu’il rattache à quatre domaines spécifiques : 1. « personnes à l’origine de noms botaniques » ( magnolia ; en hommage au botaniste Pierre Magnol) ; 2. « personnages de la mythologie et de la littérature » ( adonis , mentor ) ; 3. « noms de lieux » ( coulommiers ) ; 4. « personnalités diverses » ( saxophone ; inventé par Adolphe Sax). Citons encore les brèves contributions de t Alon (1959), s eKvent (1966) et c ou let du g Ard (1979) pour le français et de r osenKrAnz (1982) pour l’allemand, plus précisément le dialecte de Thuringe. Suivent quelques travaux contrastifs, 145 Il inclut également quelques verbes ( bezirzen ; du nom de la magicienne Circé) et adjectifs ( lukullisch ; du nom du général romain Lucullus (115-57 av. J.-C.)). L’auteur incite les enseignants d’histoire, mais aussi de sciences et techniques, à exploiter ce type de formations pour enrichir leur enseignement. 146 On trouvera dans une publication ultérieure de l’auteur (m ArouzeAu 1955 : 120-143) la liste alphabétique de tous les exemples cités par l’auteur dans cette étude de 1950. 42 1. État de la recherche notamment ceux de s ornig (1975) qui étudie les noms propres employés comme noms communs en anglais et en allemand, et de g eorge (1986) qui se consacre aux noms communs issus de prénoms en anglais et en français 147 . s ornig distingue les catégories suivantes 148 : 1. personnes ou groupes de personnes ( bob ‘homme’, Liese ‘femme’) 2. pArties du corps ( little davy / Kaspar ‘pénis’) 3. AnimAux et plAntes ( jack-daw ‘choucas’ [orn.], feine Grete ‘fenugrec’ [bot.]) 4. puissAnces démoniAques et mAlAdies ( old-billy ‘diable’, Ziegenpeter ) 5. oBjets ( jenny ‘métier à tisser mécanique’) g eorge (1986) a recours au trait [+/ - Animé ] et distingue, parmi les animés, les êtres humains ( charlie / jules ‘homme, gars’), les animaux ( jackdow ‘choucas’, gaspard ‘rat’) et les plantes ( jack-in-the-bush ‘herbe à ail’, reine-claude ), parmi les inanimés entre autres les armes ( jack-knife ‘couteau pliant’, rosalie ‘baïonnette’), les jeux ( blackjack , catin ‘poupée’), les véhicules ( jack ‘grue roulante’, marie-salope ‘bateau’) et les vêtements ( long johns ‘caleçon long’, charlotte 1. ‘coiffure de femme’, 2. ‘bonnet pour protéger les cheveux’). Ces deux études font apparaître une similarité frappante des catégories sémantiques dans les langues analysées. Nous présenterons par la suite quelques travaux plus récents qui traitent moins de la dimension sémantico-culturelle des noms communs issus de prénoms que des aspects morphosyntaxiques et textuels des noms propres en général. 1.2.1. Travaux à orientation syntaxique Suite au tournant pragmatique des années 1970, la recherche en onomastique s’oriente davantage vers l’emploi des noms propres dans les textes et les énoncés 149 , mettant l’accent sur les caractéristiques syntaxiques et sémantico-référentielles des noms propres dans leurs emplois « modifiés » 150 : 147 g eorge (2002) consacre également un court article au traitement lexicographique des prénoms français dans les dictionnaires d’argot. 148 Sa classification est largement identique à celle de r einius (1903), qui n’est toutefois pas mentionnée. 149 Nous renvoyons entre autres à K AlverKämper (1978 : 326 sqq.), l eys (1989b), K noBloch (1992 : 453, 456 sq.), K olde (1995 : 403 sqq.), l ötscher (1995 : 455), t hurmAir (2002a, 2002b : 90 sqq.) et W einrich (2003 : 425) pour l’allemand, à d Amourette & p ichon (1968 : 524 sqq.), n oAilly -l e B ihAn (1983), K leiBer (1981, 1992, 1995), g Ary -p rieur (1994, 1996), j onAsson (1991, 1994 : 171 sqq.), s iBlot (1997 : 11 sqq.), l eroy (2001 : 91 sqq., 141 sqq.), r iegel , p ellAt & r ioul (1994 : 176 sqq.), v AxelAire (2005 : 250 sqq.) ainsi qu’aux contributions dans g Ary p rieur (1991a) et l eroy (2005) pour le français. 150 Grâce à K leiBer (1981), ce terme emprunté au philosophe B urge (1973 : 429) s’est implanté durablement dans la recherche onomastique française. 1.2. Les nouvelles orientations à partir du milieu du XXe siècle 43 La perspective syntaxique permet de mettre en lumière des constructions du nom propre jusqu’alors ignorées ou considérées comme marginales, qu’on regroupe sous l’appellation de « noms propres modifiés » […]. C’est d’ailleurs autour de ces noms propres modifiés, dans des perspectives tant sémantiques que référentielles et syntaxiques, que se sont concentrées nombre des recherches en linguistique du nom propre, au point de parfois prendre le pas sur l’étude de ses emplois référentiels ou syntaxiquement prototypiques. (l eroy 2001 : 86 sq.) Un nom propre est dit « modifié » quand, pour reprendre les mots de K leiBer (1981 : 332), il « se présente accompagné de déterminants qui lui font perdre le caractère « unique » ou « singulier » fréquemment assimilé à la marque spécifique qui l’oppose aux noms communs ». Parmi les types de modification, on rencontre l’emploi métaphorique du nom propre, que f lAux (2000), s iBlot & l eroy (2000) et v AxelAire (2005 : 269 sqq.) nomment, conformément à la tradition rhétorique esquissée en introduction, « antonomase » 151 : 1. Ein echter Mozart liebt nicht die Trompetenmusik (K AlverKämper 1978 : 330) 2. Alfred Biolek, der Reich-Ranicki der Küche (t hurmAir 2002a : 1) 3. Paul est un vrai Napoléon (K leiBer 1981 : 410) 4. Des Raphaël et des Cézanne, il n’y en a plus guère (l eroy 2004 : 71) 152 Selon j onAsson (1994 : 219), les noms propres en emploi métaphorique signalent « d’abord un rôle, ensuite éventuellement une valeur (un référent) ». Ce rôle est défini par « les propriétés caractéristiques, ou le rôle social, d’un porteur connu dans la communauté linguistique » (ibid.). Comme le montrent les exemples précédents, ces travaux s’intéressent prioritairement aux métaphores peu ou pas lexicalisées (« antonomases discursives » ; d Anjou -f lAux 1991 : 40), les « antonomases lexicalisées » comme Krösus / crésus et Mäzen / mécène n’étant souvent considérées comme métaphores que dans une perspective diachronique 153 . K Al - 151 Pour plus d’informations sur la distribution des termes « antonomase » et « métaphore » dans la recherche onomastique française, nous renvoyons à l eroy (2001 : 105 sqq.). 152 Outre l’emploi métaphorique, j onAsson (1994 : 171 sqq.) relève les types « dénominatif » ( Il y a trois Alfred dans le village ; 1994 : 182), « manifestation » ( Ce qui est sûr, en tout cas, c’est que le Céline antisémite est un Céline souriant ; 1994 : 171) et « exemplaire » ( Pourquoi un Le Pen est-il capable de réunir sous son nom plus d’un Français sur sept ? ; 1994 : 229). La classification et la terminologie de ces emplois secondaires diffèrent quelque peu chez l eys (1989b), g Ary -p rieur (1991c, 1994) et W immer (2001 : 275 sqq.). m eyer & B AlAyn (1981) distinguent pas moins de dix emplois du nom propre. Pour un aperçu de ces différentes approches, cf. l eroy (2004 : 69 sqq.) et v AxelAire (2005 : 104 sqq.). Notons que certains de ces emplois sont déjà esquissés chez g Ardiner (2010 [1954] : 48 sqq.). 153 Notons que l’emploi du terme « antonomase » varie selon les auteurs : si g Ary -p rieur (1996 : 80) le restreint aux seuls noms lexicalisés, analysant les antonomases dites « vi- 44 1. État de la recherche verKämper (1978 : 349) parle dans ce cas d’« Exmetaphern » 154 ayant atteint un degré de lexicalisation tel qu’elles ne sont plus perçues comme métaphores. Le fait que les travaux sur l’emploi textuel des noms propres délaissent ce type de métaphores s’explique par la fixité et la stabilité de leur signification, qui se prêtent peu à l’analyse du sens en (con)texte. Ces travaux, lorsqu’ils abordent les métaphores lexicalisées (cf. entre autres K AlverKämper 1978 : 348 sqq. et l eroy 2001 : 220 sqq.), font généralement peu de cas des prénoms. Cela tient d’une part au fait que les dénominations d’êtres humains sont issues plus fréquemment de noms de famille que de prénoms, phénomène que f lAux (2000) explicite en ces termes : La figure de l’antonomase, lorsqu’il s’agit d’une antonomase lexicale, se maintient aussi longtemps que persiste le lien mémoriel avec le référent initial. Pour qu’un Np [nom propre ; VB] fonctionne comme un Npa [nom propre en antonomase ; VB] il faut, mais il ne suffit pas, que le porteur initial jouisse d’une certaine notoriété [p. 123]. […] les patronymes ont plus de chance, en général, de convoquer des connaissances partagées par un grand nombre de sujets parlants que les prénoms, sauf cas particuliers [p. 140]. D’autre part, la plupart des travaux sur l’emploi métaphorique des noms propres reposent sur l’analyse du lien entre le nom propre et le référent initial auquel il est associé : c’est le cas de l eroy (2001 : 222, n. 22) qui, dans sa thèse consacrée à l’antonomase du nom propre en français, exclut de l’analyse les « prénoms formant type ( jacques et jeanjean ) », choix résultant d’une définition étroite du terme « antonomase » qui pose la présence d’un « référent (personne, lieu …) qui bénéficie d’une certaine notoriété » (2001 : 361) 155 . 1.2.2. Travaux à orientation morphologique Les travaux à orientation morphologique n’accordent qu’une place marginale aux déonomastiques issus de prénoms. Pendant longtemps, l’emploi de noms propres comme noms communs n’a guère suscité l’intérêt des spécialistes de la formation des mots, qui s’intéressent en priorité aux procédés de formation des ves » comme des métaphores, m eyer & B AlAyn (1981 : 196 sq.) considèrent que l’antonomase lexicalisée n’est plus une antonomase. 154 n yrop (1903 : 124) attribue la paternité de ce terme au linguistique danois Jens Otto Harry j espersen (1860-1943). 155 La même prémisse se trouve chez d Anjou -f lAux (1991 : 41) : « Dans le cas de l’antonomase - même lexicalisée -, le référent du comparant est un individu unique, parfaitement identifié, porteur de l’ensemble des propriétés qui le distinguent de tous les autres ; tant que le lien entre le Npr et le référent d’origine n’est pas rompu, il est toujours possible de renvoyer par l’intermédiaire de ce N à l’ensemble infini des prédications qui lui sont imputables. » 1.2. Les nouvelles orientations à partir du milieu du XXe siècle 45 lexèmes complexes. Ainsi, pour n yrop (1908 / 1913), la conversion ne relève pas à proprement parler de la formation des mots : « Comme la dérivation impropre ne change pas la forme des mots et qu’elle repose exclusivement sur la nouvelle fonction attribuée à un mot déjà existant, elle ressort peut-être plutôt de la sémantique » (n yrop 1908 : 314). h enzen (1965) prend très clairement position contre l’étude des noms propres employés comme noms communs dans le cadre de la formation des mots, exhortant les linguistes à ‘tracer une frontière entre formation des mots et sémantique , faute de quoi tous les mots ayant déjà subi un changement sémantique - et quels seraient ceux qui n’en auraient pas subi ! - devraient ressortir à la formation des mots, y compris Esel en tant qu’insulte’ 156 . e rBen (1975 : 27), pour qui la formation des mots n’entre en compte que s’il y a changement de classe de mots ( Röntgen > röntg-en , Morse > mors(e)-en ), partage cet avis. t hiele (1987) considère pour sa part que les « unités lexicales monomorphématiques (/ table/ , / poisson/ , etc.) ne sont pas […] à traiter dans la formation des mots » (1987 : 9), les noms de personnes figurant uniquement dans les parties consacrées à la composition ( colonne Morris , prix Nobel ; 1987 : 96) et à la dérivation adjectivale en - esque ( dantesque ), - ien ( baudelairien ) et - iste ( gaulliste ; 1987 : 116). h ArWeg (1997 : 68 sqq.) avance lui aussi le fait que les noms communs ‘dépropriaux’ (« depropriale Gemeinnamen » ; 1997 : 49) ne sont pas - ou pas exclusivement - constitués de mots ou morphèmes déjà existants vu que l’élément onomastique n’est analysable comme mot ou morphème qu’au moment de son passage au nom commun. Il s’efforce néanmoins de clarifier le statut lexical des déonomastiques en en faisant un type de créations lexicales à part, qu’il qualifie de ‘secondaires’ (« sekundäre Urschöpfungen » ; 1997 : 70) car davantage soumises au code linguistique que les créations issues du ‘néant ou du presque-néant’ (« aus dem Nichts oder dem Beinahe-Nichts »), dites ‘primaires’ (« primäre Urschöpfungen » ; ibid.). Dans leur ouvrage intitulé Wortbildungslehre des modernen Französisch , h Aensch & l AllemAnd -r ietKötter (1972) font figure d’exception dans la mesure où ils traitent l’ensemble des procédés d’enrichissement lexical, y compris les phénomènes de glissement sémantique et le passage du nom propre au nom commun (cf. 1972 : 97-100), distinguant dès lors trois catégories de déonomastiques : 1. les noms sans modification 156 Traduit par nos soins, texte original : « [Bereits wird etwa schon der Übergang […] von Eigennamen zu Gemeinnamen ( Kaiser , Kupfer , Pfirsich , Sandwich , Krösus , Havanna , Kalauer , Bordeaux , Zeiß , Zeppelin , Brockhaus , Volt ) als ein die Wortbildungslehre berührender Vorgang angesprochen, weil es sich hier tatsächlich um neue Wörter handle. […] Vor solchen Anschauungen muß man doch den Mut haben,] die Grenze zwischen Wortbildungs- und Bedeutungslehre zu ziehen; sonst gehörten alle Wörter, die je einen Bedeutungswandel durchgemacht haben - und welche hätten keinen durchgemacht! - um dessentwillen schon in die Wortbildungslehre, also z. B. auch Esel als Schimpfname. » (h enzen 1965 : 30). 46 1. État de la recherche morphologique ( amphitryon ), 2. ceux formés par dérivation ( micheline ‘voiture automotrice sur rails’ 157 ) et 3. ceux à ‘fonction adjectivale’ (« der Eigenname erhält adjektivische Funktion » ; 1972 : 99), formés par composition ( cocktail Molotov 158 ). Le statut lexical des prénoms dans des constructions telles que Heulsuse et Prahlhans fait l’objet de discussions parmi les morphologues de l’allemand : à l’instar de B Ach (1943 : 130) mentionné plus haut, e rBen (1975 : 90) les analyse comme des éléments à fonction suffixale et range les mots complexes parmi les dérivés nominaux. f leischer (1969 : 100 sq.), tout en considérant ces formations comme un type à part de composés déterminatifs (« Sonderformen von Determinativkomposita »), octroie le statut d’affixe au prénom. En raison de l’emploi autonome ( Suse ‘femme maladroite et de faible caractère’) et de la commutabilité fréquente de certains prénoms ( Heulfritze , Heulpeter ; Heulsuse , Heulliese ), f leischer & B Arz (2012) retiennent une analyse différente, considérant que ces formations relèvent de la ‘composition déonymique’ (« deonymische Komposition » ; 2012 : 179, 184). C’est également l’approche de d eBus (2009) qui distingue les déonomastiques issus de noms simples ( Krösus , Trine ‘femme maladroite’), des dérivés ( Metze , Rüpel ) et composés ( Hansnarr , Heulsuse ; cf. aussi d eBus 2012 : 49 sqq.). D’autres études sont consacrées exclusivement à ce type de formation : A ndrjuschichinA (1993 [1967]) donne un aperçu des caractéristiques morphologiques et sémantiques de ce ‘modèle de formation productif de l’allemand contemporain’ (« ein produktives Wortbildungsmodell der deutschen Gegenwartssprache »), B ergmAnn (1993 [1971]) dégage les conditions syntaxico-sémantiques qu’un verbe doit remplir pour entrer en composition avec un prénom, W ellmAnn (1975 : 364, 391) distingue les composés à déterminant verbal ( Meckerfritze , Nörgelpeter ) qui, contrairement aux dérivés correspondants ( Nörgler , Meckerer ), ont une connotation affective, des composés à déterminant nominal ( Möbel -, Schuh -, Zigarrenfritze dans le sens ‘vendeur, marchand de X’ ; modèle particulièrement productif). La catégorie des suffixoïdes, contestée par certains spécialistes 159 , a aussi été convoquée pour l’analyse de ce type de formations : si s ánchez h ernández (2009 : 74) ne reconnaît pas de statut suffixoïdal au nom propre, affirmant que dans ces formations celui-ci ne diffère en rien de son emploi nominal autonome, ce n’est pas le cas de l euschner & W Ante (2009 : 71) qui, dans leur article Personale Suffixoide 160 im Deutschen und Niederländischen , 157 Du nom de la firme Michelin. 158 Du nom de Viatcheslav Mikhaïlovitch Skriabine, dit Molotov (1890-1986), vice-président du comité de défense nationale de son pays pendant la Seconde Guerre mondiale. 159 Cf. à ce sujet s tepAnoWA & f leischer (1985 : 143 sqq.). 160 Les auteurs désignent par ce terme non seulement les éléments issus de noms propres ( Fritze dans Versicherungsfritze ), mais aussi les noms de dignité ( Papst dans Literatur- 1.2. Les nouvelles orientations à partir du milieu du XXe siècle 47 font remarquer que la signification de déonomastiques employés de manière autonome tels que Suse (‘femme maladroite et de peu de caractère’) est plus restreinte que celle des mêmes prénoms employés dans des composés comme Heulsuse ( Suse dans le sens de ‘femme’). D’après les auteurs, cet élargissement sémantique justifie pleinement l’analyse comme suffixoïde. Cet avis est partagé par s chmitt (2009 : 17 sq.) qui parle indistinctement de constituants s’apparentant aux affixes ou aux affixoïdes (« affix(oid)nahe Konstituenten »). La déonomastique traditionnelle étudie essentiellement la dérivation de noms propres et ses résultats et s’intéresse peu au cas des prénoms. s ugAreWA (1974 : 202) note qu’en allemand, les prénoms ne se prêtent pas bien à la dérivation adjectivale, des constructions comme Anne - * die Annesche Idee et Emil - * die Emilschen Briefe étant tout à fait inhabituelles (cf. f leischer 1989 : 258). C’est également l’impression qui prévaut dans les études sur la dérivation nominale : ni B AesKoW (2002) qui étudie les dérivés désignant des personnes en allemand et en anglais, ni g rAss (2008) qui traite de la traduction en français des dérivés allemands formés à partir de noms propres, ni W engeler (2000, 2010) dans ses études des dérivés formés à partir des noms de personnages publics ne s’intéressent de près aux prénoms. Même constat pour les travaux sur le français : ainsi, la liste de gentilés et de noms de personnes formés par dérivation en français contemporain (p lAttner 1889) ne renferme que de rares noms communs issus de prénoms, et les études sur les dérivés de noms propres de c hAntAl (1961), g ier (1985) et s chWeicKArd (1992) 161 se limitent à quelques dénominations historiques désignant des partisans de personnalités ( ludovicien ‘partisan du prince Louis Bonaparte’, victorien ‘partisan du prince Victor Bonaparte’). On comprendra mieux que la productivité de la dérivation déonymique soit restreinte dans le domaine des prénoms si l’on considère que dans les deux langues la dérivation anthroponymique concerne essentiellement les noms de famille (cf. s chWeicKArd 1992 : 132). j onAsson (1994 : 34) semble elle aussi exclure la possibilité de dérivation déonymique dans le cas des prénoms : ces possibilités ne semblent pas se présenter pour tous les types de Npr, notamment les prénoms n’y ont pas accès […]. Pour la plupart des Npr « ordinaires », tels que Paul , Pierre , Jean-Jacques , Mireille , Dubo[i]s , Martin , Lejeune , etc., qui ne sont associés ni à des personnages politiques importants, ni à des écrivains ou des artistes célèbres, papst ), les dénominations de liens de parenté ( Bruder dans Weinbruder ), de parties du corps ( Kopf dans Glatzkopf ) et d’animaux ( Fink dans Schmutzfink ). Une classification similaire est proposée par W ellmAnn (1975 : 362 sqq.). 161 Avant de publier son habilitation, s chWeicKArd (1989) avait examiné le traitement des déonomastiques dans la lexicographie française. Cf. également à ce sujet f ontAnt (1998). 48 1. État de la recherche ni à des personnages mythologiques ou littéraires exemplifiant un type d’humain, on ne trouve pas de dérivations […] Cette affirmation doit être nuancée : si la dérivation de prénoms est effectivement possible dans le cas de personnages connus ( Napoléon - das napoleonische Frankreich ; s ugAreWA 1974 : 202), elle ne l’est pas moins pour d’autres types de prénoms. l eroy (2008) montre par l’analyse de dérivés verbaux et nominaux non lexicalisés comme dans Tu te totoïfies (‘Tu ressembles de plus en plus à Toto’) et C’est une suzannerie (‘C’est une remarque / action typique de Suzanne’) 162 que les prénoms fonctionnant comme base de dérivation ne sont pas nécessairement ceux de personnalités : le caractère incarné ou désincarné d’un nom propre ne correspond pas à un statut intrinsèque mais à un point de vue : dès lors qu’un nom propre désincarné est incarné pour les locuteurs, il est susceptible d’être le lieu d’une dérivation identique à celle d’un nom commun. (2008 : 50) Par ailleurs, certains prénoms devenus noms communs fonctionnent comme base de dérivation comme dans le cas du nom janotisme (1. ‘esprit borné, bêtise’, 2. ‘défaut de style consistant à rompre la logique syntaxique’), issu de jeannot / janot (‘sot’), ou des verbes kaspern (‘faire l’imbécile’) et uzen (‘taquiner’), formés à partir de Kasper (‘imbécile’, ‘clown’) et U(t)z (‘idiot’ ; diminutif de Ulrich ; cf. B ruderer 1976 : 352, 355) 163 . 1.2.3. Travaux à orientation phraséologique Le cas des prénoms est traité dans quelques études consacrées aux phrasèmes contenant un nom propre. Pour l’allemand, signalons en particulier les travaux de f leischer (1976 / 1982), K udinA & s tArKe (1978), n AsArov (1978), f öldes (1984 / 85, 1987, 1989, 1990), d Aniels (1994), h äcKi B uhofer (1995), n AsArov & B AchriddinovA (2002), g Anzer (2008) et f ilAtKinA & m oulin (sous presse), pour le français ceux de p AlouKovA (1982 / 83), B ernet (1989) et A lBA r einA & m orA m illAn (1995). La 162 À noter que ces types de dérivation n’existent pas en allemand, où l’on aurait sans doute recours à des formulations du genre Du wirst immer mehr wie X et Typisch Y! 163 Pour une présentation des dérivés verbaux formés à partir de noms de famille, particulièrement courants dans la langue de la presse et dans la publicité, nous renvoyons pour l’allemand à W engeler (2000 : 294 sq., 2010 : 85 sqq.), l udWig (2001 : 399 sqq.), t hurmAir (2002b : 89 sq.), d onAlies (2004 : 41 sqq., 2016), g ottschAld (2006 : 73 sq.), s eiBicKe (2008 : 57 sq.), p érennec (2009) et à la grammaire d uden (2009 : 705 sq.), pour le français à n yrop (1908 : 201), c hAntAl (1961 : 181), v AxelAire (2005 : 228 sqq.), s chmitt (2007) et l eroy (2008 : 44). Pour des exemples allemands plus anciens issus du rotwelsch, cf. g ünther (1905 : 88 sq.). 1.2. Les nouvelles orientations à partir du milieu du XXe siècle 49 question de la fréquence des phrasèmes à composante onymique est contestée : alors que f öldes (1990 : 337, 1996 : 137) leur accorde une place importante dans le système phraséologique de l’allemand, tant du point de vue quantitatif qu’au niveau de leur diversité formelle, h äcKi B uhofer (1995 : 495) fait remarquer à juste titre que de nombreux phrasèmes qui figurent dans les dictionnaires ne sont plus employés 164 . S’ajoute à cela le fait que ce type de phrasèmes peut être défini de manière restreinte et s’appliquer aux seules unités contenant un nom propre au sens étroit ( Ich will Emil / Matz / Meier heißen, wenn …), ou de manière plus large, incluant les dérivés ( Das kommt mir spanisch vor ). Selon f leischer (1976 : 3), l’emploi phrasémique des noms propres concerne avant tout les noms de personnes, et parmi eux les prénoms plus fréquemment que les noms de famille. Il s’agit de prénoms, presque exclusivement masculins selon l’auteur, qui jouissent ou jouissaient d’une certaine popularité (cf. f leischer 1976 : 5 sq. ; cf. également f öldes 1984 / 85 : 177 et K oss 1990 : 64). L’auteur (1976 : 4) soulève une question de fond concernant le statut onymique du nom de personne en emploi phrasémique. Pour lui, seuls les noms propres faisant partie d’une structure comparative ( wie in Abrahams Schoß ‘en toute sécurité’) et ceux fonctionnant comme noms de personnes ( Da will ich Matz heißen, wenn … ) conservent un caractère onymique 165 . Pour K udinA & s tArKe (1978 : 190) en revanche, les noms propres en emploi phrasémique ne sauraient être considérés comme des noms propres à part entière dans la mesure où ils ne remplissent pas leur fonction primaire de référence immédiate à un individu et ne conservent qu’un lien étymologique avec leur porteur initial. f öldes , qui partage l’avis de f leischer au sujet du statut (dé)onymique des noms propres (1984 / 85 : 177, 1989 : 133), s’intéresse essentiellement aux aspects génétiques et sémantico-stylistiques des phrasèmes à composante onymique. Partant de l’idée que l’origine de la locution peut être élucidée par un examen étymologique approfondi du nom propre en présence (cf. 1984 / 85 : 175), il propose de classer les phrasèmes selon l’origine du nom propre. Sa classification n’apporte toutefois pas grand-chose de nouveau : les prénoms figurent dans des locutions renvoyant à des personnages historiques ( für den alten Fritzen sein ) et à des contes et légendes populaires ( den schwarzen Peter in der Tasche haben ). 164 Il s’agit là des résultats de son enquête menée auprès de 25 étudiants de différentes universités : sur 125 phrasèmes, dont 95 issus du Großes Wörterbuch der deutschen Sprache , un tiers n’avait jamais été employé par les personnes interrogées (cf. 1995 : 496 sq.). 165 Parmi les noms propres analysés comme noms communs, f leischer distingue les locutions nominales avec adjectif dans lesquelles l’adjectif participe à la signification ( falscher Wilhelm ‘perruque’) de celles devenues tellement stables que la signification générale peut être exprimée par le seul nom ( dummer August > August ). Il reprend ces remarques, légèrement retouchées du point de vue stylistique, dans son ouvrage Phraseologie der deutschen Gegenwartssprache (f leischer 1982 : 100 sqq.). 50 1. État de la recherche Elle s’avère même problématique en ce qu’elle repose indistinctement sur le critère du domaine d’utilisation de l’expression (histoire, littérature, etc.) et sur celui du type de nom propre (toponymes, prénoms, noms fictifs tels que Dummsdorf dans aus / von Dummsdorf sein ; 1984 / 85 : 177). Dans un article ultérieur sur les phrasèmes allemands à composante anthroponymique, f öldes (1987 : 5 sq.) s’expose aux mêmes difficultés taxinomiques en retenant comme critères de classification à la fois l’origine du nom de personne ( den dicken Wilhelm spielen figure parmi les phrasèmes avec des ‘noms nationaux allemands’, seit Adams Zeiten parmi ceux contenant le nom d’un personnage biblique), l’origine géographique de l’expression (Autriche et Suisse pour dar isch en Joggel ‘c’est un idiot’ ; Angleterre pour John Bull ) et le domaine d’utilisation initialement associé au nom propre (l’histoire dans le cas de Potemkische Dörfer ). L’auteur (1987 : 11 sqq.) distingue ensuite deux voies de constitution du sens phraséologique (« Wege der Umdeutung »), la métaphore ( David und Goliath ‘le grand et le petit’) et la métonymie ( blauer Anton ‘bleu de travail’), et identifie trois facteurs influençant le choix du nom propre : la fréquence du nom de personne ( Hans ), la phonétique ( den (heiligen) Ulrich (an)rufen ‘vomir’ 166 ) et le jeu de mots ( ein Baron von Habenichts ‘sans-le-sou adoptant des allures visant à cacher sa condition’) 167 . f öldes a consacré une autre étude aux différents types de modifications et aux fonctions des phrasèmes à composante onymique dans leur emploi textuel (1996 : 160 sqq.). d Aniels (1994 : 27) propose une classification morphologique détaillée des phrasèmes, distinguant les noms simples ( Frau Raffke ), les ensembles ‘prénom +nom’ ( Lieschen Müller ), les paires ( Hinz und Kunz ), les ensembles ‘adjectif +nom’ ( dummer August ), les locutions ( Arche Noah ), les comparaisons ( frech wie Oskar ), les syntagmes ( den heiligen Ulrich anrufen ), les proverbes ( Was Hänschen nicht lernt, lernt Hans nimmermehr ). Dans sa thèse intitulée Deutsche Phraseologismen mit Personennamen (2008), g Anzer analyse 926 phrasèmes contenant un prénom ou un nom de famille issus essentiellement d’ouvrages de référence 168 . Sur la base de l’existence ou non d’un individu identifiable associé au nom de personne, l’auteure (2008 : 52 sqq.) distingue les phrasèmes déterminés (« determinierte Phraseologismen », ex. seit Adams Zeiten ) des indéterminés (« undeterminierte Phraseologismen », ex. jn 166 Nous reviendrons sur cette expression à la p. 150. 167 la dimension ludique de l’emploi phrasémique des noms propres est analysée dans plusieurs travaux de f öldes (1989 : 131 sq., 1990, 1995 : 591 sq., 1996 : 153 sqq.). 168 Dont DW, Wörterbuch der deutschen Umgangssprache (K üpper 1993) et différents dictionnaires de proverbes et de citations tels que r öhrich (1992), s chemAnn (1993) et ceux de la série d uden . 1.2. Les nouvelles orientations à partir du milieu du XXe siècle 51 zur Minna machen ) 169 avant de les classer dans les catégories êtres humAins , oBjets et idées ABstrAites . Sur la base de son analyse lexicographique des phrasèmes, g Anzer (2008 : 81 sqq.) étudie enfin leur fréquence, selon elle limitée, et leur emploi textuel dans un corpus de presse, mettant en évidence leur intégration syntaxique et sémantique dans le contexte (remotivation expressive : Lafontaine ist frech wie Oskar , modification : Otto Normalverbraucher ‘l’Allemand moyen’ > Iwan Normalverbraucher ‘le Russe moyen’ ; 2008 : 113, 126). f ilAtKinA & m oulin (sous presse) consacrent une étude aux spécificités pragmatiques de l’emploi de noms de famille dans les phrasèmes de l’allemand et du luxembourgeois. Elles soulignent notamment le fait que les noms de famille de personnalités historiques et de personnages de fiction, peu présents dans le stock phrasémique de l’allemand standard ( rangehen wie Blücher ‘ne pas avoir froid aux yeux, y aller énergiquement’, Götz von Berlichingen! , injonction de laisser tranquille le locuteur), le sont encore moins en luxembourgeois. Les phrasèmes contenant des noms de famille fréquents sont quant à eux bien représentés dans les deux cas ( Mensch Meier! , expression de l’étonnement, beim Webesch Camille goen ‘aller aux toilettes’). Elles s’intéressent enfin aux procédés de formation de noms de famille fictifs, tels que ceux employés dans les expressions Der Wennich und der Hättich sind zwei arme Brüder et Raschmann kommt leicht zu Beulen , qui témoignent de la créativité lexicale dans le domaine de la phraséologie. La phraséologie (dé)onymique en français a été relativement peu étudiée jusqu’à présent. p AlouKovA (1982 / 83 : 35 sq.) s’intéresse aux « locutions phraséologiques onomastiques » qu’elle définit comme l’« expression succincte d’un énoncé se référant à une situation (réelle ou imaginaire) dont elle devient le signe linguistique simple ». Elle fait le point tout d’abord sur les procédés de formation sémantiques 170 : - la métaphore ( faire son joseph ‘faire le pudibond, affecter la vertu’ 171 ) ; - la métonymie ( couleur isabelle ‘jaune pâle’ 172 ) ; 169 f öldes (1989 : 127 sq.), qui a recours à une distinction similaire entre « determinierte » et « indeterminierte Einheiten », renvoie à ce sujet à la thèse de m AnusKinA (1973, Frazeologičeskie edinicy s komponentom - « imja sobstvennoe » v sovremennom anglijskom jazyke , Moscou). 170 Parmi les exemples de l’auteure, nous retenons, dans la mesure du possible, ceux illustrant l’appellativisation du prénom. 171 Du nom du personnage biblique Joseph , fils de Jacob et Rachel, qui refusa de répondre aux avances de la femme de Putiphar (TLFi). 172 Du nom de l’infante d’Espagne Isabelle (1566-1633), fille de Philippe II, qui jura, selon la légende, de ne retirer sa chemise que lorsque son mari serait de retour du siège d’Ostende (1601-04). À son retour, la chemise avait pris cette couleur gris-jaune (K03, L11). La même anecdote est rapportée au sujet d’Isabelle la Catholique (1451-1504) et du siège de Grenade (TLFi, D79). 52 1. État de la recherche - l’euphémisme ( faire jean ‘tromper [son mari]’) ; stylistiques : - la périphrase ( la perfide Albion ‘l’Angleterre’) ; - le calembour ( aller à Dormillon ‘dormir’) ; - l’antiphrase ( secret de Polichinelle ) ; - l’antithèse ( servir Dieu et Mammon ) ; et phonétiques : - le rythme ( Il faut vivre à Rome comme à Rome 173 ) ; - la rime ( rester Gros-Jean comme devant ). avant d’examiner ce qu’elle nomme les « sources de formation », à savoir le domaine auquel renvoie le phrasème : l’histoire ( au temps que la reine Berthe filait ), la Bible ( pleurer comme une Madeleine ), la mythologie ( la toile de Pénélope ), la littérature ( fier comme Artaban ), les mœurs et croyances populaires ( faire sa joséphine ). Elle termine par un classement des phrasèmes selon leur provenance linguistique en distinguant ceux d’origine française de ceux incluant un nom d’origine étrangère (gr. riche comme Crésus , lat. Toi aussi, Brutus ! , arabe Sésame, ouvre-toi ! ). B ernet (1989 : 520), dans sa « typologie rapidement esquissée » des emplois du nom propre (y compris dans les phrasèmes), retient le seul critère morphologique. Ainsi, les phrasèmes ne figurent que sous les « emplois sans changements morphologiques », tout comme les « noms communs obtenus par ‘dérivation impropre’ » ( un geyser , un guignol ). Dans leur classification des proverbes et locutions à composante onymique, A lBA r einA & m orA m illAn (1995) font appel au critère de la fonction référentielle et distinguent les noms propres « authentiques », qui renvoient à un référent individuel ( Il faut rendre à César ce qui appartient à César ), les « pseudoauthentiques », pour lesquels il ne semble pas y avoir de référent existant ( faire le gilles , faire le jacques ), et les « lexicaux », dénués de tout référent réel et contenant plusieurs éléments signifiants ( jean-bête , marie-couche-toi-là ). Dans le cas des noms propres authentiques et pseudoauthentiques, elles parlent d’un « processus de communisation », lié à la perte référentielle du nom propre, dans celui des noms propres lexicaux, d’un « processus de proprisation » (1995 : 273 sq.), la compréhension étant assurée dans ce cas-là par les éléments non propriaux. Enfin, l’emploi phrasémique des noms propres est traité également dans le cadre d’études contrastives. Pour l’allemand et l’anglais, on retiendra, outre r einius (1903), les travaux de s trAuBinger (1961) et de n AsArov (1978). Ce dernier 173 Sans doute variante de À Rome, on fait comme les Romains . 1.2. Les nouvelles orientations à partir du milieu du XXe siècle 53 note, à l’instar de K udinA & s tArKe (1978), que l’emploi phrasémique de noms de personnes provoque la perte de leur fonction primaire de référence immédiate à un individu (cf. n AsArov 1978 : 34), la dimension métaphorique des phrasèmes à structure comparative tels que wie in Abrahams Schoß sitzen étant dès lors incompatible avec le caractère onymique que leur reconnaît f leischer (1976 ; cf. p. 49). Pour le français et l’anglais, nous renvoyons à vAn h oof 174 (1998) qui étudie l’emploi des prénoms « dans la langue imagée ». L’auteur s’intéresse d’abord à la « nature des prénoms », distinguant les prénoms bibliques ( le benjamin / the benjamin ), mythologiques ( le talon d’achille / the heel of Achilles ), usuels ( faire son joseph / to play joseph ), étrangers ( allons-y, Alonzo ! , to be on the fritz ‘être en panne, mal fonctionner’) ainsi que les « prénoms fictifs » ( faire cléopâtre ‘faire une fellation’, d’après faire une clé au pâtre ; Amy-John ‘lesbienne’, d’après amazon ) dont « l’emploi est suggéré par une quelconque attraction paronymique, analogie de sens ou de son, [ces prénoms étant] obtenus par une déformation délibérée ou inconsciente » (1998 : 3). Son approche est essentiellement traductionnelle, en témoignent les indications relatives à l’équivalence, totale ( baiser de judas / Judas kiss ), partielle ( ne connaître ni d’Eve ni d’Adam / not to know from Adam ) ou absente ( pleurer comme une Madeleine / to cry one’s eyes out ). v An h oof (1998 : 4 sqq.) traite ensuite les aspects formels, distinguant les prénoms en emploi autonome, les membres de composés et les composantes de phrasèmes. Il termine par une présentation des principales fonctions des prénoms en emploi phrasémique (cf. 1998 : 8 sqq.), à savoir la personnification ( Charles le chauve / little davy ‘pénis’), la caractérisation ( jean / silly Billy ‘sot’), la formation de doublets populaires pour des termes savants ( jean doré 175 / john dory pour plusieurs sortes de poissons) et la fonction dite « explétive » ( à la tienne, Étienne ! , as happy as Larry ). Le glossaire en annexe (1998 : 273-311) est constitué d’une liste de prénoms en emploi figuré pour chaque langue. Les entrées renseignent sur la date d’apparition et la période d’emploi approximatives et contiennent les définitions dans les deux langues. Signalons également l’ouvrage de B AllArd (2001) qui, dans un chapitre consacré aux changements de catégorie (cf. 186-201), distingue ce qu’il nomme la « métonymie anthroponymique » ( jules ‘pot de chambre’, Black Maria ‘panier à salade’), la « symbolique 174 v An h oof , dans un court article (1994), compare quelques déonomastiques de prénoms en allemand, français et anglais. Il est également l’auteur du Dictionnaire des éponymes médicaux français-anglais (1993), dans lequel les nombreux noms de famille côtoient quelques prénoms ( pomme d’Adam / Adam’s apple , complexe de Caïn / Cain complex ). Un ouvrage semblable pour l’allemand est celui de l eiBer & o lBert (1968). 175 Aussi appelé saint-pierre , ce poisson portant sur les côtés une tache ronde rappelant la marque laissée par les doigts de Saint Pierre quand, sur l’ordre du Christ, il retira de la bouche du poisson le statère du cens (PR). 54 1. État de la recherche onomastique » ( l’oncle Sam / Uncle Sam ), l’« intégration dans une expression idiomatique » ( pauvre comme Job , not on your Nelly ‘jamais de la vie’) et le « détournement fonctionnel » ( Jesus Christ ! ). Pour la paire allemand-français, les études linguistiques sur le sujet sont rares. Une exception notable est le travail de g Anzer qui discute certains aspects des déonomastiques de manière contrastive (2008 : 219 sqq., 425 sqq.). Les autres travaux contrastifs sur les deux langues abordent cette question essentiellement dans une perspective « pratique », didactique ou traductionnelle. Ainsi, l’étude didactique de h uBer (1981) présente aux enseignants et aux apprenants du français certains aspects de l’appellativisation des noms de personnes en français et en allemand 176 . L’approche traductionnelle prévaut dans les travaux de g rAss sur les noms propres (2000, 2002 : 33 sq., 147) et leurs dérivés (2008) ainsi que chez s chmitt (2009), qui étudie les possibilités de transposition en français des constructions allemandes en ‘nom ou verbe +prénom ou nom de famille’ ( Filmfritze , Drückeberger ). D’autres études contrastives sur les phrasèmes à composante onymique, plus marginales, sont celles de Z aręba (1993) sur le français et le polonais, de f öldes (1996 : 137 sqq.), essentiellement sur l’allemand et le hongrois, et de m iglA (2010) sur l’allemand, le russe et le letton. 1.3. Tour d’horizon des approches autres que linguistiques Le nom propre en général et le prénom en particulier ne constituent pas la chasse gardée des linguistes. C’est ce que souligne d’emblée l’une des spécialistes du nom propre en français dans sa préface à un recueil d’études sur la question : De tous les objets de langage, les noms propres sont à coup sûr ceux qui ont inspiré le plus d’intérêt dans des domaines variés à l’extérieur de la linguistique : philosophie, logique, anthropologie, onomastique, sémiotique, psychanalyse, … ont pris pour objet le nom propre. (g Ary -p rieur 1991b : 4) L’ancrage interdisciplinaire, primordial pour retracer l’évolution des noms propres 177 , s’impose également pour l’étude de l’appellativisation du prénom dans la mesure où la productivité du phénomène et les raisons du choix du 176 Son glossaire (1981 : 27-35) contient des expressions courantes classées selon le domaine associé au porteur initial du nom propre et présentées selon les critères de convergence et divergence entre les deux langues. 177 K AlverKämper (2006), qui plaide en faveur d’une approche interdisciplinaire de l’onomastique, définit le nom propre comme « Name-in-Texten-in-Kommunikationssituationenin-Kulturbedingungen » (2006 : 127). Cf. également s onderegger (2004 : 3447). Pour un 1.3. Tour d’horizon des approches autres que linguistiques 55 prénom sont souvent liées à des facteurs historiques et culturels affectant sa popularité et / ou sa perception : L’attribution d’un nom propre est […] un processus socialement déterminé, tout comme l’usage qui en est fait, marqué à la fois par le porteur, socialisé d’une certaine manière, et par la communauté linguistique de la couche sociale dont il est membre. Ainsi, des caractéristiques particulières pourront venir se greffer sur les noms en question et les affubler d’un ‘masque’ à connotation positive ou négative (physionomie du nom), ce qui à son tour aura bien entendu une incidence sur le choix individuel du nom. 178 Pour ces raisons, nous avons consulté, outre les travaux précurseurs de B Ach (1938, 1943, 1952 / 53) sur la répartition sociale des noms propres 179 , des études historiques et sociologiques au sens large (englobant l’histoire des mentalités) consacrées aux pratiques d’attribution des prénoms. Étant donné la quantité de travaux portant sur les époques et régions les plus diverses 180 , nous signapanorama des principales approches du nom propre dans les sciences sociales, nous renvoyons à v AxelAire (2005 : 604-666). 178 Traduit par nos soins, texte original : « Namengebung ist […] ein sozial determinierter Vorgang, aber auch die Namenverwendung ist durch den in bestimmter Weise sekundär sozial verankerten / sozialisierten Namenträger und die Kommunikationsgemeinschaft schichtenspezifisch geprägt, so daß betroffenen Namen besondere Merkmale zuwachsen können und diesen somit ein gleichsam positiv oder negativ konnotiertes ‘Gesicht’ verliehen wird (Namenphysiognomie) - was natürlich wiederum rückwirkend die individuelle Namengebung beeinflusst » (d eBus 1996 : 1731). 179 Cf. à ce sujet également les études de d eBus et al . (1973), d eBus (1974, 1976a / b, 1977b, 1985, 1987, 1995, 1996), s chönfeld (1985) et K ohlheim (1993, 1996, 2001), consacrées aux divers aspects sociaux et historiques du choix et de l’usage des noms de personnes, les présentations sur l’histoire des prénoms en allemand de f leischer (1968 : 16-75) et de s eiBicKe (1996b, 2002 : 119 sqq., 1999, 2004, 2008 : 119-159) ainsi que l’étude récente de u tech (2011) sur la répartition sociale des prénoms en Allemagne au début du XXI e siècle. 180 Citons, parmi les études sur l’allemand, h einrichs (1908) pour Francfort et les communes avoisinantes de Rüsselsheim et Flörsheim du XVI e au XX e siècle, W Agner (1913) pour Cologne au XII e siècle, t iefenBAch (1996) pour la même ville de l’Antiquité au XX e siècle, n AumAnn (1973) pour plusieurs villes des régions de l’est du début des années 1920 à la fin des années 1960, A ndersen (1977) pour la Frise septentrionale du XVIII e au XX e siècle, f rAnK (1977) pour le district et la ville de Segeberg (Schleswig-Holstein), s imon (1989) pour la région de Westphalie du XVII e au XX e siècle, m Asser (1992) pour le Tyrol du Sud à partir de la fin du XIX e siècle et g erhArds & h AcKenBroch (1997) pour la ville de Gerolstein (Eifel) de 1894 à 1994 ; parmi les études sur le français, v Allentin d u c heylArd (1889) pour le Dauphiné au début du XV e siècle, v Allet (1961) pour l’ancienne province du Forez du XII e au XIV e siècle, p erouAs et al . (1984) pour le Limousin depuis le VI e siècle, W ilsdorf (1992) pour Châtillon-sur-Seine dans le premier tiers du XIV e siècle, d enis (1999) pour l’Alsace aux XVIII e et XIX e siècles, n oWAc (2003) pour la région de Poitou-Charentes- Vendée du XII e au XXI e siècle, h eider (2012) et r ohmer (2012) pour Thann (Alsace) de 1540 56 1. État de la recherche lons uniquement quelques titres particulièrement pertinents pour notre objet d’étude. Pour l’allemand, nous retenons - parmi les ouvrages historiques, celui de n ied Heiligenverehrung und Namengebung (1924) ; ceux, richement documentés, de m itterAuer , spécialiste autrichien d’histoire sociale, consacrés aux liens multiples et complexes entre attribution des prénoms, religion, modèles familiaux et liens de parenté à plusieurs époques et dans plusieurs cultures : Ahnen und Heilige . Namengebung in der europäischen Geschichte (1993) et Traditionen der Namengebung. Namenkunde als interdisziplinäres Forschungsgebiet (2011) ; l’ouvrage de W olffsohn & B rechenmAcher Die Deutschen und ihre Vornamen (1999) qui étudie les tendances politiques de groupes sociaux aux XIX e et XX e siècles sur la base des préférences en matière de prénoms ; - parmi les ouvrages sociologiques, le recueil Name und Gesellschaft . Soziale und historische Aspekte der Namengebung und Namenentwicklung (e ichhoff , s eiBicKe & W olffsohn 2001) contenant les contributions de m üller (2001), K ohlheim (2001) et W olffsohn (2001) sur les liens entre attribution du prénom et changements sociétaux, et l’étude de g erhArds (2010) sur l’influence des procédés de sécularisation, de la politique et des liens de parenté sur le choix du prénom durant les 100 dernières années. Le site www.beliebte-vornamen. de offre de précieuses données statistiques sur la popularité des prénoms les plus fréquents en Allemagne de 1890 à nos jours, celui de la Gesellschaft für deutsche Sprache (gfds.de / vornamen / beliebteste-vornamen) sur les prénoms populaires en Allemagne depuis 1977. Pour le français, nous citons - parmi les travaux historiques 181 , ceux de l’historien de la famille B urguière (1980, 1984) consacrés aux aspects historiques et sociétaux du choix du nom de baptême dans la France de l’Ancien Régime ; deux ouvrages auxquels a collaboré d upâquier , spécialiste de l’histoire des populations en France : Le prénom. Mode et histoire (d upâquier , B ideAu & d ucreux 1984) et Le temps des Jules. Les prénoms en France au XIX e siècle (d upâquier , p élissier & r éBAudo 1986) ; - parmi les travaux de démographes, ceux de d esplAnques (1986) sur les prénoms en France au XX e siècle et son désormais classique La cote des prénoms à 1620 puis de 1624 à 1946. On trouvera un relevé des travaux d’anthroponomie régionale parus jusqu’en 1970 chez m orlet (1981 : 167-179). 181 Parmi les études linguistiques à fort ancrage historique, citons celles du romaniste suédois m ichAëlsson , l’une consacrée aux noms de personnes à Paris à la fin du XIII e et au début du XIV e siècle d’après les rôles de taille de l’époque (1927), l’autre au prénom Agnès (1931). 1.4. Bilan et perspectives 57 (B esnArd & d esplAnques 1986) 182 , contenant tous les deux de précieuses statistiques sur la fréquence de certains prénoms 183 ; - parmi les travaux anthropologiques, l’étude fondamentale de l évi -s trAuss La pensée sauvage (1962) qui traite entre autres les fonctions de classification et de signification des anthroponymes et les raisons de leur attribution aux animaux et aux plantes, celles de z onABend (1980) sur l’anthroponymie dans le domaine européen, de B romBerger (1982), qui plaide pour une analyse anthropologique des noms de personnes, de m échin (2012), qui étudie le processus de nomination sur la base d’une centaine d’entretiens menés auprès de parents, ainsi que le recueil Nomination et organisation sociale (c hAve -d Artoen , l eguy & m onnerie 2012), dans lequel les articles théoriques côtoient les études de cas ; - parmi les travaux sociologiques, ceux de B esnArd (1979), B ozon (1987) et B es nArd & g rAnge (1993) sur la diffusion des goûts en matière de prénomination et celui de c oulmont (2011) qui fait le point sur la recherche des 30 dernières années sur les implications sociales du choix et de l’usage des prénoms. 1.4. Bilan et perspectives Nous insisterons, en guise de bilan, sur trois aspects de la recherche allemande et française dans le domaine de l’appellativisation du prénom en dégageant un certain nombre de points communs et de divergences. 1. La recherche sur le passage du prénom au nom commun est issue de la tradition historico philologique telle qu’elle s’est établie en Allemagne et, plus tard, en France. Comme nous l’avons vu, les premiers travaux sur l’emploi nominal d’anthroponymes en Allemagne (l Atendorf 1856, et surtout W Ac - KernAgel 1859 / 60) ont vu le jour deux décennies avant l’apparition timide de remarques sur le phénomène en français (d Armesteter 1877, l ehmAnn 1884). Parmi les études de la fin du XIX e et du début du XX e siècle, on peut distinguer deux groupes qui diffèrent tant par l’approche que par la place faite aux déonomastiques : 1. les travaux sur le changement sémantique contenant des remarques sur les processus psychologiques à l’œuvre dans le passage du nom propre au nom commun (dont W undt 1900, W AAg 1901 pour l’allemand et d Armesteter 1877 / 1887, l ehmAnn 1884 et n itzsche 1898 pour le français) et 2. les travaux plus ou moins épars visant uniquement les déonomastiques et 182 Ouvrage mis à jour à de nombreuses reprises. 183 Nous renvoyons à ce sujet également au site dataaddict.fr / prenoms qui présente, statistiques et graphiques à l’appui, l’évolution des prénoms les plus fréquents en France de 1950 à 2010. 58 1. État de la recherche dont l’objectif principal est la classification des données (dont W ossidlo 1884, K rueger 1891, m eisinger 1904 / 1905 pour l’allemand et B Audisch 1905 / 06, K öl - Bel 1907 pour le français). La parution de deux ouvrages consacrés à l’appellativisation du prénom en allemand (m eisinger 1924, m üller 1929) et en français (d outrepont 1929, p eterson 1929) témoigne d’un intérêt tout particulier pour la question dans les années 1920. Le tournant structuraliste entraîna une certaine désaffection pour les thèmes de recherche à orientation diachronique et historico-culturelle, ce qui explique la baisse du nombre de publications à partir du milieu du XX e siècle. À l’exception de rares travaux sémantiques (B Ach 1943, 1952 / 53, s ornig 1975) et phraséologiques (p AlouKovA 1982 / 83, g Anzer 2008) qui témoignent d’une certaine continuité dans la discontinuité, les déonomastiques issus de noms de personnes ne suscitent plus guère l’intérêt des linguistes, alors que la production de dictionnaires de déonomastiques, souvent l’œuvre de nonspécialistes, est florissante (« florierende Amateurlexikographie » ; B üchi 2002 : 249) 184 . Parmi les auteurs qui se sont intéressés aux déonomastiques de prénoms, certains comme W AcKernAgel , d Armesteter , n yrop et m iglio rini restent connus jusqu’à nos jours, d’autres comme d outrepont , K ölBel , K rueger , m üller , m eisinger et p eterson sont toujours mentionnés dans les travaux récents (par ex. s chmitt 2009) ou dans les ouvrages de référence sur l’onomastique (d eBus 2012, n üBling et al . 2012, v AxelAire 2005), d’autres enfin sont aujourd’hui tombés dans l’oubli. 2. Les recherches sur l’allemand et le français accordent une importance inégale à la variation dialectale. Pour l’allemand, le nombre de publications portant explicitement sur les dialectes (l Atendorf 1856, m ünz 1870, W ossidlo 1884, W eise 1903, K eiper & z inK 1910, K uhlmAnn 1916 / 17, m eisen 1925, m Artin 1926) est bien plus élevé que pour le français (s chultz 1894), ce qui s’explique par le recul des dialectes dans l’usage quotidien en France, du moins depuis la Première Guerre mondiale 185 . L’intérêt pour les déonomastiques issus de pré- 184 Cf. la liste donnée plus haut (n. 37). À propos du « dictionnaire d’éponymes », nous renvoyons à B ernet (1990). 185 g ötze (1926), dans sa recension de m eisinger (1924), rend compte de cette situation lorsqu’il compare la fréquence des noms communs issus de noms de personnes dans les dialectes allemands et en français : ‘L’emploi appellatif des noms de personnes, inconnu des langues classiques et des états les plus anciens de la langue allemande, fait son apparition entre le vieux et le moyen-haut-allemand avant de prendre une ampleur, notamment dans l’usage dialectal, qu’on ne lui connaît qu’en français.’ (Traduit par nos soins, texte original : « Die Verwendung von Personennamen in appellativem Sinn, den klassischen Sprachen und dem ältesten Deutsch fremd, setzt an der Grenze des Ahd. und Mhd. ein und hat namentlich in lebender Mundart einen Umfang angenommen, wie sonst nur im Französischen. » ; g ötze 1926 : 275). 1.4. Bilan et perspectives 59 noms est ainsi directement lié, au moins jusqu’au milieu du XX e siècle pour l’allemand, à l’étude de la langue contemporaine de l’époque considérée. En Allemagne, il a été favorisé par ailleurs par le maintien d’une tradition philologique qui faisait la part belle à la dialectologie et l’onomastique 186 : Comme l’orientation de la recherche en linguistique allemande, sous l’influence des néogrammairiens, était, jusque dans les années 1960, essentiellement diachronique et que les futurs enseignants, archivistes et bibliothécaires optaient très souvent pour la combinaison allemand-histoire-géographie, un nombre relativement important d’enseignants et d’archivistes a pu s’intéresser à l’onomastique et constituer ainsi, à côté des rares professeurs d’université, un groupe important et qualifié de collectionneurs et de chercheurs. 187 Par ailleurs, la part dévolue aux variétés dialectales dans les travaux sur l’allemand et le français diffère quant au type de sources dictionnairiques utilisées. La plupart des études consacrées à l’allemand reposent sur le dépouillement de dictionnaires dialectaux, en particulier du haut-allemand (W AcKernAgel 1859 / 60, m ünz 1870, A lBrecht 1881a / b, m eisinger 1904, 1905, 1910, 1924, etc.). Les dictionnaires modernes du bas-allemand sont en revanche peu représentés, d’une part en raison du moindre intérêt pour cette aire dialectale dans les enseignements universitaires durant la première moitié du XX e siècle, de l’autre en raison de difficultés de financement auxquelles les spécialistes non universitaires d’histoire culturelle durent faire face dans le cadre des nombreux projets dictionnairiques qu’ils initièrent 188 : 186 Sur l’imbrication de l’onomastique et de la dialectologie, nous renvoyons entre autres à d AuzAt (1945 : 18 sq., 296-326) et K leiBer (1983 : 1613, 1616 sq.). 187 Traduit par nos soins, texte original : « Da die germanistische Sprachwissenschaft in Deutschland prinzipiell bis in die 60er Jahre des 20. Jahrhunderts sprachhistorisch-junggrammatisch orientiert war und von zukünftigen Lehrern, Archivaren und Bibliothekaren eine Fächerverbindung Deutsch - Geschichte - Geographie sehr häufig gewählt wurde, konnten relativ viele Gymnasiallehrer und Archivare für die Namenforschung interessiert werden und stellten - neben den wenigen Hochschullehrern - eine wichtige und qualitätvolle Zahl von Sammlern und Forschern dar […] » (s teger & l öffler 1995 : 90 sq.). Cet attrait des enseignants pour la collecte de données linguistiques s’explique sans doute également par leur désir de faire appel à l’intérêt naturel des élèves pour les phénomènes de changement linguistique (cf. n erlich 1992 : 161 sqq., 1993 : 14). 188 Nous remercions Hermann Niebaum (Osnabrück) de nous avoir éclairé sur les raisons de ce retard. Pour de plus amples informations sur l’histoire des dictionnaires dialectaux et régionaux, nous renvoyons à f rieBertshäuser (1986 : 10 sqq.) et à n ieBAum & m AchA (2014 : 57-63) et pour l’histoire de la lexicographie du bas-allemand à n ieBAum (2004 : 174 sqq.). On trouvera un aperçu des principaux dictionnaires régionaux modernes avec les dates de première impression chez n ieBAum & m AchA (2014 : 40 sqq.). 60 1. État de la recherche Pour les régions du moyen-allemand et de l’allemand supérieur, j’ai pu exploiter le riche matériau disponible dans les dictionnaires dialectaux bien connus. Pour ce qui est du nord de l’Allemagne, les sources se font plus rares. Je n’ai pu exploiter hélas que les premières livraisons du dictionnaire du Schleswig-Holstein de Mensing à paraître et du dictionnaire rhénan de Müller [189] . C’est la raison pour laquelle mon étude sur les noms communs issus de prénoms ne donne qu’une image incomplète du phénomène dans les dialectes de l’ouest et du nord de l’Allemagne. 190 Pour le français, rares sont les travaux reposant essentiellement sur le dépouillement de dictionnaires dialectaux (p eterson 1929, c rAmer 1931). Enfin, dans quelques travaux allemands de la fin du XIX e et du début du XX e siècle, l’intérêt porté aux dialectes est manifestement lié à des considérations idéologiques. Il s’agit pour ces auteurs de ranimer l’‘âme du peuple’ (« Volksseele »), dont certains aspects auraient été pour ainsi dire ‘conservés’ grâce au processus d’appellativisation. Ainsi, pour m eisen (1925), l’étude des noms communs issus d’anthroponymes est un devoir sacré vis-à-vis de la mère-patrie. L’auteur adopte par moments des accents nationalistes : Car l’objet traité ici est lui aussi important dans le cadre global de la mission civilisationnelle et culturelle puisqu’il s’agit là de caractéristiques profondes du peuple dans lesquelles se révèle son âme, sa manière de penser et de ressentir, son aversion pour l’abstrait, son désir de concret, de ce que l’on peut saisir et concevoir par les sens. Une « mémoire » étonnamment fidèle que la tradition nous a conservée se manifeste à travers les noms dont il sera question ici. […] Toutefois, seul pourra accomplir cette tâche avec profit celui qui ne fait qu’un avec le peuple, qui pense et ressent comme lui, qui, avec son cœur et sa raison, tente de saisir les affections les plus profondes de son âme. L’étranger n’en sera jamais capable ; l’âme populaire lui refuse l’accès à ce qui constitue son essence propre. 191 189 Les références de ces dictionnaires sont données plus haut (n. 123 et 124). 190 Traduit par nos soins, texte original : « Für das süd- und mitteldeutsche Sprachgebiet habe ich das reiche Material verwerten können, das in den bekannten Mundartenwörterbüchern vorliegt. Für Norddeutschland fliessen die Quellen spärlicher. Das im Erscheinen begriffene Schleswig-Holsteinische Wörterbuch von Mensing habe ich, ebenso wie das Rheinische Wörterbuch von Müller, leider nur für die ersten Lieferungen verwerten können. Was die west- und norddeutschen Mundarten betrifft, muss darum das Bild, das meine Untersuchung über die Appellativnamen gibt, unvollständig sein. » (m üller 1929 : s.p.). 191 Traduit par nos soins, texte original : « Denn auch das hier behandelte Teilgebiet ist für die Lösung der landes- und volkskundlichen Gesamtaufgabe von Bedeutung. Handelt es sich hier doch um echt volksmäßige Züge, in denen sich die Seele des Volkes offenbart, ihr Denken und Fühlen, des Volkes Abneigung gegen Abstraktes, das Verlangen nach Konkretem, nach sinnlich Vorstellbarem und Greifbarem. Ein erstaunenswert treues „Gedächtnis“, das uns in der Form der Volksüberlieferung entgegentritt, verrät sich in 1.4. Bilan et perspectives 61 3. Cet état de la recherche a enfin montré que l’étude des déonomastiques a privilégié des objectifs classificatoires, suivant en cela la longue tradition historico-philologique des études anthroponymiques (cf. B romBerger 1982 : 103). Dans un premier temps, les chercheurs-collectionneurs se sont intéressés aux différents types de déonomastiques non modifiés formellement sans traiter systématiquement les prénoms comme une catégorie à part. Les premières tentatives de classification font appel au critère sémantique (W Ac - KernAgel 1859 / 60, W ossidlo 1884, n eedon 1896) ou génétique (K rueger 1891, B Audisch 1905, K ölBel 1907). Viennent s’ajouter au début du XX e siècle des classifications qui reposent sur les deux aspects (r einius 1903, n yrop 1913). Pour l’allemand, le critère morphologique ne fait son apparition qu’avec les premières études s’intéressant aux mots complexes (m üller 1929, B Ach 1943 / 1952) ; il est en revanche absent des travaux sur le français. Comme nous l’avons constaté à plusieurs reprises, la distinction entre les catégories est souvent insuffisante, ce qui entraîne des difficultés de classement de certains exemples (W ossidlo 1884, B Audisch 1905, K ölBel 1907, n yrop 1913). Il convient par ailleurs de relever deux caractéristiques propres à la plupart des travaux anciens sur l’allemand et le français, liées selon nous à la perspective essentiellement diachronique de l’époque. Il apparaît d’une part que la réflexion au sujet de la délimitation entre nom propre et nom commun est souvent absente, ce qui explique le manque de précision terminologique, notamment au sujet de « Appellativname », terme ‘flou et ambigu qui n’a pas su s’imposer dans la recherche’ 192 . D’autre part, ces études retiennent pour l’essentiel des exemples de déonomastiques provenant d’œuvres de la littérature classique et de dictionnaires, qui ne reflètent que partiellement les spécificités de leur emploi dans l’usage, notamment dans la langue parlée. Pour finir, nous noterons que si les noms propres font depuis longtemps l’objet de recherches en linguistique et dans d’autres disciplines, en particulier en logique, histoire, sociologie et anthropologie, le recours à l’approche interden Namen, von denen hier die Rede sein soll. […] Nun kann aber volkskundlich nur der ertragreich arbeiten, der mit dem Volke verwachsen ist, der mit ihm denkt und fühlt, den geheimsten Regungen aller Aeusserung seiner Seele mit Liebe und Verständnis nachspürt. Der Fremde kann das nie und nimmer; ihm verschließt sich die Volksseele in ihrem eigentlichen Wesen. » (m eisen 1925 : 305). 192 Traduit par nos soins, texte original : « [Zu ergänzen bleibt der Terminus Appellativname ], der sich allerdings wegen seiner Unschärfe und Missverständlichkeit nicht durchgesetzt hat. » (d eBus 2009 : 38). L’absence de ce terme dans les travaux anciens (dont m ünz 1870 et A lBrecht 1881a) s’explique sans doute aussi par la restriction du champ d’investigation aux seuls noms de personnes. Dans la recherche actuelle, le terme semble porter uniquement sur les noms communs issus de noms propres sans modification formelle (cf. W itKoWsKi 1964, r is 2002 : 231, s onderegger 2004 : 3436). 62 1. État de la recherche disciplinaire dans la recherche sur les déonomastiques issus de prénoms a été pratiqué jusqu’à présent dans le seul but d’expliquer de manière ponctuelle certaines formations ou types de formations. Le chercheur qui vise à appréhender l’évolution du phénomène devra prendre en considération la dimension interdisciplinaire de manière bien plus systématique. 2. Le déonomastique de prénom-: délimitation de l’objet d’étude 2.1. Remarques liminaires L’objet de ce chapitre est de présenter ce que nous entendons par « déonomastique de prénom ». Une clarification terminologique s’impose doublement : d’un côté, parce qu’il convient de préciser les fondements théoriques de notre étude, de l’autre parce que nous pourrons ainsi mieux délimiter notre champ d’observation pour la suite de l’analyse (chap. 3 et 4). Comme le montrent les résultats de nos dépouillements dictionnairiques, les interactions entre prénom et lexique sont nombreuses et diverses. Nous donnerons un aperçu de cette diversité en nous limitant aux items issus de prénoms qui ont pour initiale la lettre A 193 . Du point de vue morphologique, on relève - des mots simples : Adam / adam (‘homme’), Adolf / adolf (‘homme au comportement dictatorial et / ou raciste’), agnès (‘jeune fille innocente et ingénue ou qui affecte de l’être’), Alfons / alphonse et arthur (‘proxénète’), Anastasie (‘censure’), arnoul(d) (‘cornard, mari trompé’), Axel / axel (‘figure de patinage artistique’), nana (1. ‘prostituée’, 2. ‘maîtresse, concubine’, 3. ‘jeune fille, femme’), Tünnes (‘pitre, idiot sympathique, homme maladroit’). Le prénom est parfois précédé d’un titre ou d’un nom de parenté, facultatif ([ dame / tante ] Anastasie ) ou obligatoire ( prince Albert ‘piercing du gland’). - des dérivés : Alexandriner / alexandrin (‘vers français de douze pieds’) 194 , augustin 195 (‘religieux qui suit les préceptes de saint Augustin’) ; - des composés, le prénom étant employé • comme membre déterminant dans Adamsapfel / pomme d’Adam (autrefois morceau d’Adam ), Adamssohn (‘homme’), Adamstochter (1. ‘femme’, 2. ‘lesbienne à l’allure masculine’), Antoniusfeuer / feu de Saint-Antoine , mal Saint- Antoine (‘gangrène consécutive aux intoxications par le seigle ergoté’), Toniwagen (‘véhicule de police’), les ciseaux d’Anastasie (‘censure’) ; 193 Y compris les diminutifs Nana , Toni / Tünnes et Gugusse puisqu’ils sont issus respectivement des prénoms Anna , Antonius et Auguste . 194 Du nom d’Alexandre le Grand (356-323 av. J.-C.). 195 Malgré l’absence de marque explicite de dérivation, nous analysons augustin comme un dérivé ayant subi une haplologie (* augustinin ) et s’inscrivant dans la série des noms de religieux obtenus par dérivation du nom du fondateur à l’aide des suffixes - in / -ain / -(i)en : bénédictin , dominicain , franciscain , grégorien , ursulin , etc. 64 2. Le déonomastique de prénom-: délimitation de l’objet d’étude • comme membre déterminé dans Grüßaugust (‘chef de réception dans un hôtel ou un restaurant’), Pflaumenaugust (‘sot, incompétent’). D’autres items font partie de locutions - nominales 196 , de structure ‘A+N’ : der alte Adam (‘le péché, les faiblesses humaines’), blauer Anton (‘bleu de travail’), flotter Anton (‘courante, diarrhée’), dummer August (1. ‘clown de cirque’, 2. ‘pitre’), grüner August (‘panier à salade, fourgon cellulaire’) ; - prépositionnelles : (wie) in Abrahams Schoß (‘en toute sécurité, à l’abri’), im Adamskostüm / en costume (habit) d’Adam (‘nu’), seit Adams Zeiten (‘depuis la nuit des temps’). Le prénom peut être accompagné d’un nom de famille ( nach Adam Riese 197 ‘si j’ai bien compté’). - verbales : in Abrahams Schoß eingehen (‘rendre son âme à Dieu, mourir’), noch in Abrahams Wurstkessel sein (‘être encore dans le ventre de sa mère’), bei Adam und Eva anfangen / beginnen (‘recommencer du début’), den alten Adam ablegen, abstreifen, austreiben, ausziehen / dépouiller, répudier, faire mourir le vieil Adam (‘combattre ou renier ses faiblesses, ses mauvaises habitudes’), n’avoir pas péché en Adam (‘être extrêmement vertueux’), se croire (sorti) de la côte d’Adam (‘s’imaginer être de haute naissance, être quelqu’un d’exceptionnel’), se faire appeler arthur (‘se faire vertement réprimander’), den dummen August spielen / faire le gugus(se) (‘faire l’imbécile’). Notons que plusieurs items fonctionnent à la fois de manière autonome et comme membres de locutions ( Adolf / adolf vs den Adolf machen / faire son adolf ‘jouer au petit chef ’, agnès vs faire l’agnès ‘faire l’ingénue, la prude’, gugus(se) vs faire le gugus(se) , Anastasie vs les ciseaux d’Anastasie ). On note par ailleurs la coexistence de locutions nominales ( der alte Adam / le vieil Adam ) et verbales ( den alten Adam ablegen , abstreifen , austreiben / dépouiller, répudier, faire mourir le vieil Adam ) . En l’absence de données fiables concernant l’apparition du déonomastique et / ou de la locution, il est impossible de reconstituer avec certitude l’ordre dans lequel ces unités sont apparues 198 . 196 Nous mentionnons ici uniquement des exemples allemands, ce type de locutions se confondant en français avec les composés nominaux (cf. t hiele 1987 : 92 sq., n iKlAs -s Alminen 1997 : 72). 197 Du nom du mathématicien allemand Adam Ries(e) (1492-1559), auteur de l’un des premiers manuels de comptabilité à visée pédagogique (D08). 198 Si l’ordre le plus intuitif est celui qui part de l’unité autonome employée postérieurement dans une locution, l’ordre inverse est tout à fait envisageable, une partie d’une locution pouvant fort bien devenir autonome. f leischer (1982 : 194 sq.) nomme ce processus « Autonomisierung » et l’illustre par l’expression stilles Wasser (‘personne réservée’), issue de la locution Stille Wasser sind tief . 2.1. Remarques liminaires 65 La diversité s’observe ensuite du point de vue de l’origine linguistique. Si l’origine allemande de blauer Anton et nach Adam Riese et française de gugusse et se faire appeler arthur ne font guère de doute, celle d’autres mots et expressions, notamment bibliques ( Adamsapfel / pomme d’Adam ), est plus délicate à définir. Un certain nombre d’items sont empruntés à d’autres langues, notamment à l’anglo-américain ( Adam / adam 199 ‘drogue de type « ecstasy »’, Ana / ana 200 ‘anorexie’). Du point de vue sémantique, les items peuvent désigner une entité concrète ( Adamsapfel , pomme d’Adam ) ou abstraite ( der alte Adam / le vieil Adam , Antoniusfeuer / feu de saint-Antoine , flotter Anton 201 ). Certains ont un sens générique ( Adam ‘homme’). Dans les expressions telles que Danke , Anke! , Keinen Ton , nicht mal Anton! , Tout juste , Auguste ! , Allons-y, Alonzo ! en revanche, le prénom est dépourvu de signification. Sur le plan syntaxique, les items relevés ont des comportements très divers. Si la plupart acceptent la pluralisation et la détermination ( der / ein Alfons 202 , l’ / un alphonse , des alphonses ), d’autres fonctionnent comme des noms propres. C’est le cas d’ Anastasie (* l’Anastasie vs la censure , * une Anastasie sévère vs une censure sévère ) et des nombreux mots et locutions qui conservent la référence à un personnage identifié : in Abrahams Schoß (‘en toute sécurité, à l’abri’), noch in Abrahams Wurstkessel sein (‘être encore dans le ventre de sa mère’), von Adam und Eva abstammen , etc. La diversité concerne enfin l’identification et le mode d’existence du porteur initial. Parmi les porteurs initiaux clairement identifiés, on relève des personnages 199 Allusion à Adam et au jardin d’Éden reposant sur une sorte de verlanisation de MDA , sigle de l’anglais Methyl Diamphetamin , avec insertion d’un a : « C’est à cette époque [au début des années 1980 ; VB] qu’on atteste de l’apparition de plusieurs appellations […] : d’abord « love drug », puis « ecstasy » ou « empathy » ou encore « adam » en référence au jardin d’Eden et au retour possible à l’innocence. » (Rosenzweig, Drogues et civilisations. Une alliance ancestrale : De la guerre à la pacification , 2008 ; GB). 200 Le mouvement « pro-ana », qui prône l’anorexie comme mode de vie, défraya la chronique dans les années 2000. Le manifeste de ce mouvement, la première lettre d’Ana , commence ainsi : « Laisse moi me présenter ; je m’appelle Ana, mais les médecins m’appellent anorexie mentale. Dans ton passé tu as déjà dû entendre dire de toi par tes profs et tes parents que tu es quelqu’un de très mature et très intelligente … j’aimerais te poser une question, où as tu appris à être comme cela ? NULLE PART ; tu n’es pas parfaite et tu peux mieux faire. » (ana-bella-addict.over-blog.com/ lettre-d-ana-1.html ; 19. 3. 2015). 201 À condition d’analyser comme tels les noms de maladies, ce que font entre autres e WAld (1992 : 277) et la grammaire d uden (2009 : 146). 202 Cf. l’exemple suivant : « Bin ich eine Hur’, gut, dann bist du der Zuhälter, der Alfons! Ein Alfons, ein Louis von einem Sechserl aufwärts! Das glaub’ ich dir, daß du mir lieber hundert Ohrfeigen gibst statt einer Krone. » (Weiss, Gesammelte Werke , 1982 ; GB). 66 2. Le déonomastique de prénom-: délimitation de l’objet d’étude - bibliques, tel que Adam, vu comme le premier homme ( seit Adams Zeiten ) ou comme l’incarnation du péché ( den alten Adam ablegen ) ; - historiques, comme Alexandre le Grand dont le nom fut donné à l’alexandrin (n. 194), le prince Albert, mari de la reine Victoria, qui, selon la légende, aurait utilisé le piercing du même nom pour satisfaire son épouse, ou encore le patineur norvégien Axel Paulsen (1855-1938), inventeur du saut appelé Axel / axel ; - de fiction, tels que Tünnes, personnage légendaire du Hänneschen-Theater à Cologne dont le nom est souvent flanqué de celui de son acolyte Schäl, et Agnès, une jouvencelle dans L’École des femmes de Molière (1662) 203 . On ne saurait en revanche parler de « porteur initial » pour les items issus d’un prénom populaire 204 ni pour ceux qui reposent uniquement sur la forme du prénom : dans la locution blauer Anton , le prénom vient de la déformation de Anzug , sans doute via la forme bas-allemande Antog (K04). Enfin, il ne faut pas oublier que les zones d’ombre demeurent pour quantité d’items tels que flotter Anton , alphonse , putain d’Adèle et nana , les sources étant souvent insuffisantes pour déterminer avec certitude les raisons du passage du prénom au nom commun. Face à cette extrême diversité, il convient d’adopter une approche inspirée de la théorie du prototype (K leiBer 1990), ce qui nous permettra de classer les items relevés lors de nos dépouillements sur la base de trois grands critères définitoires. Nous dégagerons d’abord ce que nous considérons comme le noyau prototypique de la catégorie (2.2), puis nous présenterons les types de déonomastiques moins prototypiques (2.3) pour terminer par ceux qui, bien qu’en lien avec un prénom, ne rentrent pas dans le cadre de notre étude (2.4). 2.2. Le prototype du «-déonomastique de prénom-» Le prototype, conçu comme « le meilleur exemplaire ou représentant d’une catégorie » (K leiBer 1990 : 59), désigne une entité abstraite combinant plusieurs propriétés typiques de ladite catégorie. Dans le domaine de la description linguistique, le choix de ces propriétés doit permettre de définir de manière pertinente les éléments métalinguistiques (« déonomastique » et « prénom », sans oublier le type de relation impliqué par « de ») et de créer les conditions d’une 203 Pour ce dernier exemple, il n’est pas exclu que la fréquence du prénom ait joué un rôle lors du passage au nom commun, de même que pour arnoul(d) désignant un mari trompé. 204 Citons, à défaut d’exemples probants commençant par A, Hans et Jean (‘homme’). 2.2. Le prototype du «-déonomastique de prénom-» 67 appartenance graduelle à la catégorie. Nous considérons ainsi que le déonomastique de prénom prototypique doit réunir les trois propriétés suivantes. 2.2.1. Le déonomastique de prénom est issu-… d’un prénom-! La notion de « prénom » fait rarement l’objet d’une réflexion terminologique. Les linguistes s’en tiennent à l’acception courante qui met, comme le montrent les définitions suivantes, exclusivement l’accent sur la fonction à la fois intégrative et distinctive du prénom dans le cercle familial : (a) Nom choisi par les parents [et inscrit au registre de l’état civil] qui marque l’individualité d’une personne 205 ( DU ) (b) Nom propre que la personne reçoit après la naissance et qui vient s’ajouter au nom de famille 206 ( WDG ) (c) Nom particulier joint au nom patronymique et servant à distinguer les différentes personnes d’une même famille ( PR ) (d) Nom particulier de chacun des membres d’une famille qui, dans l’usage courant, précède le nom patronymique ( TLF i) Ces définitions s’avèrent toutefois problématiques dans le cadre de notre étude : en effet, si l’on considère comme prénom tout anthroponyme permettant l’identification et l’individualisation au sein du cercle familial, elles font du prénom une classe ouverte qui accueille potentiellement tous les éléments assumant ou ayant assumé cette fonction, ce qui la rend peu opérante pour notre étude 207 . Par 205 Traduit par nos soins, texte original : « von den Eltern bestimmter [u. amtlich eingetragener] Name, der die Individualität einer Person kennzeichnet ». 206 Traduit par nos soins, texte original : « zum Familiennamen hinzutretender Eigenname einer Person, der ihr nach der Geburt gegeben wird ». La formulation de la première partie de la définition peut prêter à confusion : si, du point de vue de la pratique sociale, le prénom complète effectivement le nom de famille hérité des parents (ce dernier pouvant d’ailleurs jouer un rôle lors du choix du prénom), c’est l’inverse qui se produit du point de vue historique, les prénoms ou plus précisément, les noms de baptême, étant antérieurs à l’apparition des noms de famille (cf. p. 1). 207 Signalons que les instances officielles font preuve aujourd’hui d’une tolérance plus grande que par le passé face aux prénoms originaux (cf. s eiBicKe 2009 : 19-31, K ohlheim & K ohlheim 2009 : 52 sqq., c oulmont 2011 : 30 sq., m échin 2012 : 111 sqq.). S’il y a quelques années encore, la législation allemande interdisait l’octroi de prénoms tel que Judas ou Jesus , jugés « inconvenants » (« anstößig ») car susceptibles de heurter la sensibilité religieuse (cf. d iederichsen 1987 : 81), ils sont désormais acceptés par les officiers de l’état civil (communication de la mairie de Kehl, Bade-Wurtemberg). On trouvera une présentation des aspects juridiques concernant l’attribution des prénoms en France chez l évy (1922), l efeBvre -t eillArd (1990) et c oulmont (2011 : 29 sqq.). 68 2. Le déonomastique de prénom-: délimitation de l’objet d’étude ailleurs, elles se limitent au seul aspect de la pratique sociale de dénomination, occultant ainsi d’autres dimensions (référentielle, linguistique, etc.). 2.2.1.1. Le prénom comme sous-catégorie du nom propre Commençons par une évidence : le prénom fait partie de la catégorie du nom propre. Plutôt que de retracer ici, ne serait-ce que dans les grandes lignes, l’évolution de la réflexion sur le nom propre, nous renvoyons à la monumentale étude de v AxelAire (2005). Nous rappellerons simplement la distinction traditionnelle entre nom propre et nom commun, que Jost t rier (1894-1970), dans une lettre adressée à B Ach , formulait de manière claire et concise : Le nom propre saisit directement, c’est-à-dire sans recourir au concept, le particulier ; le nom commun, lui, ne désigne que par l’intermédiaire du concept. Ou, pour le dire autrement : le nom propre désigne par lui-même alors que le nom commun désigne exclusivement par sa capacité à signifier. 208 Cette définition du nom propre, basée sur le mode de référence, s’applique également au prénom, couramment employé pour désigner, sans l’intermédiaire d’éléments descriptifs, son ou ses porteurs : dans l’énoncé Hans ist krank , Hans a pour référent la ou l’une des personnes connues des partenaires de la communication sous ce prénom 209 . Réduire le prénom à sa fonction référentielle reviendrait toutefois à occulter trois types d’emploi fréquents : l’emploi contactif, qui consiste à interpeller quelqu’un ( Hans, komm her! ), l’emploi présentatif ( Ich heiße Hans ) et l’emploi métalinguistique (« Hans » est le diminutif de « Johannes » ), omniprésent dans les dictionnaires de prénoms et, bien sûr, dans le cadre de cette étude 210 . Ils montrent que le prénom a bel et bien une existence linguistique en dehors de tout acte communicatif visant à désigner une personne (cf. l eroy 2004 : 22). 208 Traduit par nos soins, texte original : « Der Eigenname ergreift ohne das Dazwischentreten des Begriffes unmittelbar das Einzelne; der Gattungsname bezeichnet nur auf dem Weg über den Begriff, oder anders gesagt: der Eigenname bezeichnet nur, der Gattungsname bezeichnet, indem und nur indem er bedeutet. » (cité in : B Ach 1952 : 3). 209 Cf. K leiBer (1981 : 325-349) qui analyse le nom propre comme « l’abréviation d’un prédicat de dénomination être appelé / N / ». 210 B üKy (1976 : 363 sq.), qui reprend la définition de la fonction métalinguistique du langage donnée par j AKoBson (‘le code lui-même devient objet du message’), range sous le terme de « Metaname » également les prénoms employés dans les énoncés correctifs du type « Ich heiße nicht Fritz », en réponse à un interlocuteur qui se serait trompé de prénom. Cf. à ce sujet également l eys (1989a : 159 sqq.). 2.2. Le prototype du «-déonomastique de prénom-» 69 2.2.1.2. Aspects linguistiques Comme bien des réflexions au sujet du nom propre, celles relatives à ses aspects formels s’inscrivent initialement dans le giron logico-référentiel. Quelques auteurs soulignent l’originalité ou la distinctivité formelle des noms propres en général et des prénoms en particulier, censée faciliter l’univocité référentielle. Pour n oreen (1923), la distinctivité est une caractéristique essentielle de ce qu’il appelle le ‘nom propre idéal’ (« das ideale Proprium ») : En outre, le nom propre idéal doit être de nature purement conventionnelle. Ainsi, dans l’idéal, le nom propre n’est ni donné ni porté pour caractériser son objet de quelque manière que ce soit, mais plus son étymologie est floue et plus il est isolé [du reste du lexique ; VB ], plus il tend vers la perfection car sa fonction est de désigner l’objet en le présentant comme une entité particulière et non par le biais d’une quelconque allusion à un sens étymologique. 211 g Ardiner (2010 [1954]) met l’accent sur le lien entre son distinctif et capacité à désigner de manière immédiate : Manifestement, le nom propre est un mot dont le pouvoir d’identification, et donc distinctif, de la sonorité, est montré sous la forme la plus pure et la plus convaincante [p. 84]. […] Les plus purs noms propres sont ceux pour lesquels le son nous apparaît entièrement arbitraire, mais néanmoins parfaitement distinctif, et pour lesquels nous ne devrions déceler, si nous n’avons aucune connaissance du porteur, aucune trace de sens ou de signification [p. 86 sq.]. Si g Ardiner ne cite pas de prénoms 212 , j onAsson , qui s’inspire de sa terminologie, a recours à Paul , Céline et Huguette pour illustrer la catégorie des « Npr [noms propres] ‘purs’ » 213 , rassemblant les « formes nominales spécialisées dans le rôle de Npr [nom propre] » (1994 : 35). Cette spécialisation est le résultat de l’opacification de la motivation du nom propre, phénomène que h öfler qualifie de ‘loi 211 Traduit par nos soins, texte original : « Überdies soll das ideale Proprium im höchsten Grade konventionell sein. Im idealen Falle soll also der Name nicht gegeben und getragen werden, um seinen Gegenstand von irgendeinem Gesichtspunkte aus zu charakterisieren, sondern je weniger durchsichtig seine Etymologie und je mehr isoliert er ist, desto vollkommener ist er auch, denn er hat die Aufgabe, den Gegenstand in seiner Gänze als ein bestimmtes Etwas zu bezeichnen, nicht von einer bestimmten, durch den etymologischen Zusammenhang angedeuteten Seite aus. » (n oreen 1923 : 383 sq.). 212 Les deux exemples qu’il donne, Vercingétorix et Popocatépetl , sont critiqués un peu sévèrement par v AxelAire (2007 : 6) qui fait remarquer que cette « [c]ette pureté ne cache en fait que des étymologies obscures », ce que g Ardiner ne nie pas. 213 Ce que g Ardiner n’aurait certainement pas fait de manière aussi franche vu qu’il analyse les prénoms John , Mary et Heinrich comme des « noms propres moins purs que les plus purs, du fait de l’aide qu’ils peuvent apporter […] en suggérant le sexe, la nationalité ou le pays » (g Ardiner 2010 [1954] : 90). 70 2. Le déonomastique de prénom-: délimitation de l’objet d’étude de dissociation onomastique’ (« onomatologisches Dissoziationsgesetz » ; 1954 : 28), l eys de ‘fossilisation formelle’ (« Versteinerung der proprialen Form » ; 1977 : 34). l eroy (2004 : 103) explique que « lorsque le terme d’origine devient nom propre, […] il passe le ‘seuil du nom’ ; son évolution est alors automatiquement ralentie, ce qui le conduit peu à peu à perdre le lien avec le terme d’origine, à devenir de moins en moins lisible, de plus en plus opaque sémantiquement ». La raison de ce ralentissement est, comme l’indique p ulgrAm (1954), d’ordre fonctionnel : Les noms propres sont en règle générale plus conservateurs [que les noms communs ; VB ] parce qu’à partir du moment où un lien se crée entre un nom propre et une entité individuelle, en particulier une personne ou une famille entière, tout changement irait à l’encontre de la finalité fonctionnelle qui consiste à identifier le porteur sans que subsiste la moindre ambiguïté. 214 Dans le domaine des prénoms, cette évolution est loin d’être récente : dès l’époque carolingienne, la signification des noms bipartites des Germains commence à s’opacifier, soit parce que certains éléments constitutifs tombent en désuétude, soit parce qu’ils adoptent une nouvelle signification brouillant le rapport sémantique avec l’autre élément 215 . Ainsi que le rappelle m üller (1929 : 9), nombre de mots du vieux-haut-allemand sont conservés dans les noms germaniques : c’est le cas de berht, beraht (‘brillant, somptueux’) dans Albrecht , Albert , Ruprecht , Robert , Berthold et Berta , de hiltja, hilta (‘combat, bataille’) dans Mathilde , de hruod (‘gloire’) dans Rudolf et Ruprecht ainsi que de wîg (‘combat, dispute’) dans Ludwig et Hedwig . S’ajoute à cela l’introduction massive, à partir du XII e siècle, de noms de saints dont le sens étymologique (issu de l’hébreu, du grec ou du latin) était incompréhensible à une majorité de locuteurs (cf. p ogArell 2013 : 5, d AuzAt 1925 : 57). L’originalité formelle est également propre aux formes diminutives. g Ardiner fait observer que la distorsion formelle entre les diminutifs et les prénoms de base rend ces derniers parfois « presque méconnaissables » (2010 [1954] : 87). C’est le cas, dans nos relevés, de Jan (< Johannes ), Metze (< Mechthild ), Rüpel (< Ruprecht ) et Wickerl / Wiggerl (< Ludwig ) pour l’allemand, de Colin (< Nicolas ), Fanchon (< Françoise ), Got(h)on (< Marguerite ) et Gugusse ( < Auguste ) pour le français, de Bob(by) (< Robert ) pour l’anglais et de Lolita (< Dolores ) pour l’espa- 214 Traduit par nos soins, texte original : « Names are as a rule more conservative, because once a proper name has become attached to an individual entity, especially to a person or to a whole family, a change would run counter to the aim of its function, which is unambiguous identification. » (p ulgrAm 1954 : 172). Cf. également B lAnár (1973 : 33 sqq.). 215 Cf. à ce sujet entre autres n AumAnn et al . (1977 : 28), s eiBicKe (2004 : 3541), K ohlheim (2001 : 96), d eBus (2012 : 83) et d AuzAt (1945 : 63 sq.). 2.2. Le prototype du «-déonomastique de prénom-» 71 gnol. Les diminutifs se distinguent ensuite par une forte variation graphique ( Nickel , Nig(e)l < Nikolaus , U(t)z < Ulrich ; cat(h)au , cateau < Catherine , Got(h)on < Marguerite , Popaul / Popol < Paul ) ainsi que par la présence de suffixes spécifiques, dont -(t)z 216 pour l’allemand ( Fritz < Friedrich , Götz < Gottfried , Heinz < Heinrich , Kunz / Cunz < Konrad , Metze < Mechthild , U(t)z < Ulrich ; n AumAnn 1996 : 1758, K unze 2002 : 22), et -on pour le français, ce dernier, contrairement au lexique standard, ne se rencontrant quasiment que dans des diminutifs féminins ( Fanchon < Françoise , Margoton / Got(h)on < Marguerite , Jeanneton < Jeanne , Madelon < Madeleine , Manon / Marion < Marie ). Les suffixes - in et - ot , entrant dans la formation de noms masculins dans le lexique courant ( diablotin , plaisantin , îlot ), apparaissent quant à eux aussi bien dans les diminutifs féminins ( Catin < Catherine , Margot < Marguerite ) que masculins ( Colin < Nicolas , Robin < Robert , Jeannot < Jean , Pierrot < Pierre ) 217 . Le critère de la distinctivité continue à jouer un rôle important dans le choix du prénom. Sur la base des 40 prénoms les plus populaires en Allemagne en 2010, n üBling relève certaines particularités phonologiques et prosodiques, notamment la longueur 218 et la place non initiale de l’accent ( Mar’ia , Lu’isa , E’lias ), la structure syllabique CV . CV ( La.ra , Lu.ca ) et la présence de voyelles finales pleines en position non accentuée (notamment [a] et [i] ; n üBling et al. 2012 : 110) 219 . Selon elle, ces différences typologiques participent d’une « stratégie de distinction radicale » (« radikale Auszeichnungsstrategie ») visant à rendre reconnaissables, et visiblement attractifs, ces types de prénoms. Ces particularités formelles ne suffisent toutefois pas à définir une fois pour toutes la notion de prénom. Le critère de l’originalité, outre le fait de ne pas être limité à ce type de noms propres ( Berlin et Paris sont eux aussi des noms propres « purs »), ne s’applique pas à tous les prénoms. Plusieurs se confondent avec des unités lexicales, la similarité formelle s’expliquant soit par l’existence d’un étymon commun (le premier élément de Petersilie est issu, comme le prénom Peter , du gr. petros ‘pierre’), soit par des homonymies totales. Parmi celles-ci, citons le nom de la plante Erika (du gr. ereíkē ) et la forme féminine du prénom d’origine 216 Repris pour former certains mots désignant des animaux : Ratz (de Ratte ), Spatz (du mha. spare ), Wanze (du mha. wantlūs ; littéralement ‘Wandlaus’ ; f leischer 1964 : 374). 217 À propos de la présence de suffixes masculins dans les prénoms féminins en français, notamment le - on , nous renvoyons aux remarques de d AuzAt (1925 : 64 sq.) et de f rAnKe (1934 : 63 sq.) ainsi qu’à l’étude détaillée de s pitzer (1946). 218 Selon les estimations de s eiBicKe (2008 : 103), près de 80 % des prénoms allemands sont biou trisyllabiques, les monosyllabiques ne représentant que 17 % des prénoms masculins et 1 % des prénoms féminins. 219 Ces particularités sont largement identiques à celles relevées par u tech (2011 : 157-248, 252 sqq.) qui analyse les aspects formels des prénoms donnés au début du XXI e siècle dans différentes couches sociales. 72 2. Le déonomastique de prénom-: délimitation de l’objet d’étude scandinave Erik / Erich , le nom du gâteau amandine , dérivé de amande (du lat. amygdala ), et la forme féminine de Amandin , diminutif de Amand , ou encore heidi dans heidi gehen / sein , issu d’une interjection exprimant un départ rapide, et le diminutif d’ Adelheid . Quant à l’homonymie entre le diminutif de Ignaz(ius) , courant en Bavière, et l’abréviation Nazi (< Nationalsozialismus ), certains n’excluent pas qu’elle ait pu favoriser l’implantation du parti dans cette région (cf. m Ajut 1958 : 295 sqq.). L’homonymie peut résulter de toutes sortes d’altérations et de réinterprétations de mots et d’expressions populaires (cf. f öldes 1987 : 3) : ainsi, flo , employé au Québec pour désigner un garçon, ne vient pas du diminutif des prénoms masculins Florent ou Florian , mais de l’anglais fellow (‘gars, type’ ; D99). Dans l’expression wissen, wo Barthel den Most holt , Barthel n’est pas issu du prénom Bartholomäus , mais de la déformation du rotwelsch Barsel (de l’hébreu barsel ‘fer’ dans le sens de ‘pince-monseigneur’), et Most résulte lui aussi d’une déformation euphémique (du rotwelsch Moos ‘argent’). Le sens initial renvoie donc non pas à un dénommé Barthel en quête de moût, mais à la connaissance qu’ont les voleurs de l’emplacement des cachettes d’objets précieux (d08) 220 . Un autre cas de similarité formelle entre prénoms et unités lexicales s’explique par la coutume (ancienne) consistant à orner les jeunes filles de noms de fleurs ( Camelia / camélia , Iris / iris , Jasmin / jasmin , Rose / rose ) ou de pierres précieuses ( Amber / ambre , Jade / jade , Perle / perle ; g rimm 1852 : 201-215) 221 . S’agissant des caractéristiques phono-morphologiques, on note qu’aucune n’est propre à l’ensemble des prénoms en allemand ou en français. Si Fritz et Manon contiennent des suffixes spécifiques, ce n’est le cas ni de Klaus ni de Jacques . De même, les préférences phonologiques et prosodiques dont fait état n üBling , certes pertinentes pour les prénoms actuellement à la mode en Allemagne, le sont beaucoup moins pour les prénoms traditionnels tels que Friedrich , Hans(el) , Wilhelm , Liese ou Grete . Enfin, la variation graphique n’est pas une caractéristique intrinsèque des diminutifs, elle s’explique par le manque de codification dans ce domaine. 220 g ünther (1905 : 80 sq.) cite d’autres cas d’homonymie impliquant des mots du rotwelsch : Hannickel (‘bœuf ’) ne serait pas issu du diminutif de Hans-Nikolaus , mais d’une déformation du rotwelsch Hornnickel (‘vache, bœuf ’). Il en va de même pour roter Fritze (‘maquillage’), formé non à partir de Friedrich , mais de Fritte (it. fritta < friggere ‘griller’), nom d’un mélange de matériaux et de colorants dans le jargon des souffleurs de verre. Quant à Johann(es) et Jochen , qui désignent le vin dans les formations Fünkeljohann , Finkeljochen (‘eau de vie’ ; de fünkeln , finkeln ‘frémir, bouillir’), ils résulteraient d’une germanisation de l’hébreu jajin (‘vin’). 221 s eiBicKe (1996b : 1211 sq.) parle de ‘noms ornatifs’ (« Schmucknamen »), K ohlheim (2001 : 97) de ‘noms auguratifs’ (« Augurativ- » ou « Wunschnamen »). Cf. également sur cette question K ohlheim & K ohlheim (2009 : 20 sqq.). 2.2. Le prototype du «-déonomastique de prénom-» 73 On retiendra ainsi qu’il n’existe pas de critère permettant de circonscrire la classe des prénoms d’un point de vue strictement linguistique, pas plus qu’il n’en existe, comme le montrent toutes les études sérieuses 222 , pour la classe du nom propre en général. 2.2.1.3. Aspects historiques et socioculturels Nous avons vu que ni la fonction de désignation immédiate ni les critères linguistiques ne permettent de définir le prénom de manière satisfaisante. Il paraît en effet difficile de ranger sous cette catégorie les noms propres « purs » Waldi ou Médor , associés au chien, ou les matricules des détenus ou des agents spéciaux (007), qui atteignent pourtant le degré maximal d’identification d’un particulier. Qu’est-ce qui permet alors à un élément d’accéder au statut de prénom ? « Sans conteste », notent B outier & p erouAs (1984 : 71), « les prénoms sont d’abord l’expression des comportements culturels d’une communauté », le vocable « culture » rassemblant des « phénomènes complexes, tant sociaux que familiaux ou religieux ». Cette dimension, évidente pour qui s’intéresse aux prénoms, est soulignée également par n AumAnn (1973) qui considère le prénom comme ‘une catégorie autant sociétale que linguistique’ 223 . Un premier constat s’impose donc : pour qu’un élément puisse faire partie du stock des prénoms d’une langue, il doit être perçu comme tel par la communauté linguistique, c’est-à-dire faire l’objet d’un consensus, de la part des locuteurs, sur son statut de prénom. Ce consensus est le résultat d’une évolution historique influencée par toutes sortes de facteurs socioculturels, le plus important et le plus durable ayant sans doute été, pour l’allemand comme pour le français, la vénération des saints (cf. entre autres n ied 1924 et K ohlheim 1996). Ce lien indissociable entre histoire des prénoms et histoire culturelle est souligné par s eiBicKe (1999 : 59) dans la formule vigoureuse : « Vornamengeschichte ist Kulturgeschichte! » (‘L’histoire des prénoms, c’est l’histoire culturelle ! ’). Le consensus sur le statut de prénom ne dépend pas uniquement de la fréquence d’attribution, mais également de la capacité, en tant que « bien symbolique » (B ozon 1987 : 83), à situer le ‘propriétaire’ à la fois biologiquement et socialement. Biologiquement car le prénom renseigne, en règle générale, sur le sexe du porteur et, dans certains cas, également sur son âge : Ida , Wilhelm et Otto se rencontrent plutôt chez les Allemands d’un certain âge alors qu’en Allemagne comme en France, Kevin est porté par les adolescents ou les jeunes adultes (cf. t hurmAir 2002b : 96 sq., r udolph et al . 2007 : 19). Socialement car, 222 Dont K leiBer (1981 : 295 sqq.), j onAsson (1994 : 22), g Ary -p rieur (1994 : 247), l eroy (2004 : 7-24) et v AxelAire (2005 : 63-151). 223 Traduit par nos soins, texte original : « Der Rufname ist […] gleichermaßen eine gesellschaftliche wie eine linguistische Kategorie » (n AumAnn 1973 : 190). 74 2. Le déonomastique de prénom-: délimitation de l’objet d’étude comme l’ont montré anthropologues, historiens et sociologues 224 , le prénom a une fonction d’identificateur social puisqu’il peut renseigner sur l’appartenance socioéconomique, ethnique ou religieuse, sur l’origine géographique ou encore l’engagement idéologique des parents : Les historiens nous rappellent qu’à l’époque révolutionnaire Giroflée, Jasmin, Prune, Olive étaient signes d’un engagement républicain tout comme aujourd’hui Guilhem ou Maguelonne le sont d’un engagement occitan. Il y a quelques années Marie-Chantal était tenu pour l’indice d’une prétention petite-bourgeoise [225] et France-Marie indique le souci d’une distinction à l’égard du plus commun Marie-France. (s iBlot 1987 : 107) En inscrivant le donneur et le porteur dans de multiples réseaux identitaires, le prénom revêt, outre ses fonctions désignative et contactive, une fonction classifiante de premier plan (cf. l eroy 2006 : 27 sq.). Un dernier aspect lié à l’ancrage social du prénom concerne les associations, les sentiments et les jugements esthétiques qu’il peut susciter, résultant pour partie de l’unicité référentielle qui associe le prénom de manière stable à un porteur ou à un groupe de porteurs. Pour A mmAnn (1920), ces relations interpersonnelles sont à l’origine de ce qu’il nomme le ‘potentiel signifiant’ (« Bedeutsamkeit ») du nom propre : Il nous faut établir une distinction nette entre l ’ individu alité qu alitative de l’objet désigné par le nom propre et l ’ id e ntité d e la relation entre l’objet et notre moi, relation qui est à l’origine du potentiel signifiant particulier que l’objet a pour ce moi. […] Le nom propre, outre sa fonction première de désignation du porteur […], incarne ainsi la représentation individuelle dudit porteur, celle-ci n’étant ni réductible à la somme de ses propriétés, ni construite à partir d’elles. 226 224 Dont l évi -s trAuss (1962 : 206 sq., 223 sqq.), B esnArd (1979 : 347 sqq.), z onABend (1980 : 12 sqq.), l ieBerson (1984, 2000 : 23 sqq.), B esnArd & d esplAnques (1986 : 57-69), B ozon (1987 : 93 sq.), B esnArd & g rAnge (1993), g erhArds & h AcKenBroch (1997 : 423), h érAn (2004 : 178), g erhArds (2010 : 11 sqq.), c oulmont (2011 : 60-108), m échin (2012 : 120 sqq.) et m onnerie (2012 : 20, 46 sqq.). 225 Le déonomastique correspondant sera présenté plus loin (p. 243). 226 Traduit par nos soins, texte original : « Wir haben […] genau zu scheiden zwischen der qualitativen Individualität des durch den Eigennamen bezeichneten Gegenstandes einerseits, der Identität der Beziehung des Gegenstandes zu unserem Ich, die die besondere Bedeutsamkeit des Gegenstandes für dieses Ich begründet, andererseits. […] So erhält der Eigenname neben der ihm primär zukommenden Funktion, den Träger […] zu kennzeichnen, die weitere, das individuelle, nicht in eine Summe von Eigenschaften aufzulösende und nicht aus ihnen aufgebaute Bild dieses Trägers lebendig werden zu lassen. » (A mmAnn 1920 : 5 sq.). Le terme de « Bedeutsamkeit », utilisé par g rimm (1834 : ccxxix) dans une étude sur les noms donnés aux animaux, a été repris entre autres par f leischer (1968 : 64), d eBus (1977a : 14), s onderegger (1984 : 261, 1997 : 85, 87), K oss (1995 : 459) et K unze (2002 : 11). Comme l’ont révélé de nombreux travaux de psychologie sociale 2.2. Le prototype du «-déonomastique de prénom-» 75 Ces deux aspects, individuel et supra-individuel, participent de la « signifiance » du nom propre, que les tenants de la praxématique définissent comme une « somme de potentialités signifiantes, elles-mêmes constituées à partir de pratiques signifiantes (sociales, politiques, idéologiques) » (d étrie et al. 2001 : 315 ; cf. également s iBlot 1987). La dimension sociale est doublement utile pour notre étude : non seulement elle permet de circonscrire la classe des prénoms sur la base d’un consensus social, mais elle est également susceptible d’expliquer, grâce aux potentialités signifiantes des prénoms, le choix de tel ou tel prénom dans le cadre de la déonymisation. 2.2.1.4. Délimitation de la classe des prénoms Les différents aspects du prénom, fonctionnels, linguistiques, historiques et socioculturels, montrent à quel point il est difficile d’appréhender la notion. Nous inspirant de l’approche cognitive du nom propre proposée par j onAsson (1994 : 19), nous posons que la classe des prénoms est constituée de sous-ensembles (ou « stocks ») d’anthroponymes qui se caractérisent par un lien dénominatif direct et stable avec un porteur ou un groupe de porteurs. Ce lien est établi sur la base d’une convention sociale, celle-ci étant le produit d’une évolution historique qui confère au prénom une fonction classifiante. Deux remarques s’imposent. La première concerne le terme de « stabilité » du lien dénominatif, que nous préférons à celui de « rigidité », le porteur du prénom pouvant être affublé de toutes sortes de diminutifs ou sobriquets selon les locuteurs et les situations. Cette stabilité est par ailleurs la condition mémorielle des fonctions référentielle, contactive et classifiante du prénom. La seconde concerne l’absence de toute mention du nom de famille dans notre définition, qui peut paraître surprenante au vu de l’acception courante du terme (cf. p. 67). Elle s’explique autant par le souci de ne pas répéter nos remarques introductives au sujet de l’interdépendance historique des notions de « nom de famille » et « prénom » (cf. p. 1) que par le constat de l’autonomie de la classe puisque le nom de famille n’intervient pas directement dans le consensus sur le statut de prénom de tel ou tel élément. (cf. g uéguen , d ufourcq -B rAnA & p AscuAl 2005 : 37 sqq.), le potentiel signifiant du prénom exerce une influence sur l’interaction avec autrui. 76 2. Le déonomastique de prénom-: délimitation de l’objet d’étude En conséquence, nous rangeons dans la classe des prénoms 227 : - le stock classique, constitué des prénoms « de base » issus pour la plupart de noms de personnages bibliques et / ou de saints. Ces prénoms, d’origine latine, germanique, grecque ou hébraïque, sont largement similaires en allemand et en français : Anton(ius )/ Antoine , Benjamin / Benjamin , Bernhard / Bernard , Franz(iskus) / François , Friedrich / Frédéric , Georg / Georges , Heinrich / Henri , Jakob / Jacques , Johannes / Jean , Josef / Joseph , Katharina / Catherine , Kaspar / Gaspard , Ludwig / Louis , Margarete / Marguerite , Marie / Marie , Nikolaus / Nicolas , Paul / Paul , Peter / Pierre , Veronika / Véronique , etc. Parmi les rares prénoms germaniques n’ayant pas d’équivalent en français, nous relevons Eckart , Otto , T(h)usnelda et Ulrich . - le stock des diminutifs, qui résultent d’un abrègement ( Johannes > Hans , Heinrich > Hein , Nikolaus > Klaus ; Nicolas > Colas ), de la dérivation ( Peter > Peterchen / Peterken , Jean > Jeannot / Jeannin ) ou des deux simultanément ( Heinrich > Hein-i , T(h)usnelda > Tuss-i ; Marguerite > Marg-ot , Robert > Robin ) et, plus rarement, d’une réduplication partielle ( Charlotte > Lolotte , Émile > Mimile , Anna > Nana ) 228 ou d’une déformation liée à une prononciation particulière ( Jean > Schani ). Le fait que les deux langues recourent à des morphèmes spécifiques explique la forte variation formelle des diminutifs issus du même prénom de base en allemand et en français : Margarete / Marguerite > Grete , Gret(e)l vs Margot(on) , Got(h)on ; Johannes / Jean > Hans(el) , Schani vs Jeannot , Janin ; Jakob / Jacques > Jockel , Köbes vs Jacquot , Jacquet ; Katharina / Catherine > Kath(a)rinchen , Kathi , Käthe , Trine vs Cateau , Catiche , Catin . Comme les prénoms de base dont ils sont issus, les diminutifs assurent les fonctions référentielle 229 , contactive et classifiante. Certains, comme Hans , Grete et Liese , ne sont d’ailleurs plus perçus comme diminutifs, en témoigne la formation des diminutifs de ‘second degré’ Hansel / Hänslein / Hänschen , Gretchen et Lieschen . - le stock des prénoms désuets : si les parents ne prénomment plus leurs enfants Hinz , Kunz , Metze , Fiacre , Jenin et Péronnelle , ces noms n’en restent pas moins des prénoms. Ils font partie intégrante de l’inventaire historique 227 Les exemples qui suivent figurent dans nos tableaux de déonomastiques. 228 Nous n’avons pas relevé, lors de nos dépouillements, de déonomastiques allemands issus de diminutifs formés par réduplication. 229 C’est d’ailleurs la fonction référentielle qui explique leur émergence, les diminutifs étant apparus entre autres dans le but de diversifier un stock de prénoms devenu trop restreint (cf. W AcKernAgel 1860 : 325, s eiBicKe 1996b : 1209, d AuzAt 1925 : 62, 1945 : 111, l efeBvre t eillArd 1990 : 26 sqq.). 2.2. Le prototype du «-déonomastique de prénom-» 77 des prénoms de l’allemand et du français et ont donc, au même titre que les traditionnels Hans et Jean , toute leur place dans notre étude. - le stock des prénoms étrangers courants tels que Juan , John , Iwan (correspondant aux prénoms Jean et Johannes ), Fatma , Mohamed et Kevin . Stockés comme prénoms dans la mémoire collective des germanophones et des francophones, ils seront donc, eux aussi, traités comme tels. 2.2.1.5. Le statut du prénom à l’époque du porteur initial La référence à un porteur initial est fréquemment invoquée dans les travaux consacrés au passage du prénom au nom commun. Il est dès lors légitime de se demander si certains éléments, tout en ayant aujourd’hui le statut de prénom, sont susceptibles de poser problème dans le cadre d’une conception du prénom basée sur le consensus social. Nous distinguons deux cas de figure selon l’époque à laquelle est associé le porteur initial. Le premier cas n’est pas problématique, le nom ayant bien eu, à l’époque du porteur, le statut de prénom : parmi les items concernés, nous relevons madeleine , manon (‘amoureuse infidèle, indigne et dépourvue de moralité’) et Romeo / roméo (‘archétype de l’amoureux transi’), issus des prénoms respectifs de Madeleine Pau(l)mier, la cuisinière à qui est attribuée la recette, de Manon Lescaut et Roméo Montaigu, personnages de fiction. Ces exemples montrent que la déonymisation concerne le prénom non pas uniquement en tant qu’élément faisant partie d’un stock historiquement constitué, mais également en tant que marqueur identitaire : il est en effet probable que le statut social du porteur (une cuisinière, une femme volage, un jeune amoureux) ait joué un rôle dans le choix du prénom plutôt que celui du nom de famille 230 . Le second cas de figure, plus délicat, concerne les éléments qui n’avaient pas le statut de prénom à l’époque du porteur initial, antérieure à l’apparition des noms de famille. Il s’agit en particulier - de personnages bibliques : outre Abraham, Adam et Eva / Ève (p. 64), on citera entre autres Jésus (dont le nom est employé dans le sens de 1. ‘enfant mignon’ ; 2. ‘homosexuel efféminé et homosexuel’), Joseph (‘homme niais, timide en amour ; nigaud qui laisse échapper les bonnes occasions’ ; n. 171), Moïse 231 (‘petite corbeille capitonnée qui sert de berceau’), Moses (1. ‘le plus jeune 230 La madeleine aurait pu en effet s’appeler pau(l)mière , une amoureuse infidèle une lescaut (ou lescaute ) et un amoureux transi un montaigu. 231 Il fut déposé à sa naissance dans une corbeille sur les eaux du Nil (TLFi). 78 2. Le déonomastique de prénom-: délimitation de l’objet d’étude d’un équipage ; apprenti marin, mousse, moussaillon’ ; 2. ‘canot d’un yacht’) et Suzanne 232 ( keusche Susanne / chaste Suzanne ‘femme chaste et vertueuse’) ; - de saints : saint Antoine 233 ( Antoniusfeuer / feu de saint-Antoine , mal de Saint- Antoine ), sainte Catherine 234 ( catherinette ‘ouvrière ou employée encore célibataire à 25 ans’), saint Florian 235 ( Floriansjünger ‘pompier’), saint Mathurin 236 ( mathurin ‘matelot’), saint Pierre 237 ( saint-pierre ‘poisson de mer’) ; - de certains personnages historiques : Philippe 238 ( philippe ‘pièce d’or en circulation dans l’Antiquité’), T(h)usnelda 239 (‘amante, femme’), Berthe 240 (1. ‘large col arrondi ou petite pèlerine de femme’, 2. ‘type de coiffure’). Il est possible d’analyser ces items de deux manières, en fonction du repère temporel auquel on donne la priorité : soit on considère qu’ils ne sont pas issus d’un prénom au sens strict, mais d’un nom de personne qui, pour diverses raisons - notamment l’influence culturelle du porteur initial -, a acquis a posteriori le statut de prénom ; soit on pose que les items sont issus d’un prénom puisque la base onymique avait bel et bien ce statut au moment du passage vers le nom commun. Nous retenons cette dernière analyse, considérant que l’étude de l’appellativisation du prénom devrait privilégier les facteurs ayant favorisé la diffusion de l’item, dont le statut de prénom de la base onymique, en reléguant au second plan les connaissances historiques au sujet de son statut plusieurs siècles auparavant. 232 Observée alors qu’elle prenait son bain, elle refusa les propositions malhonnêtes de deux vieillards (g13). 233 Selon la légende, il ne craignait pas le feu (K03). 234 Patronne des jeunes filles et en particulier des ouvrières de la mode qui mourut vierge et martyre vers 307 (TLFi). 235 Saint patron des pompiers (? -304) qui, selon la légende, aurait éteint un incendie à l’aide d’un seul seau d’eau. 236 Saint auquel était dédiée la maison des religieux Trinitaires qui, au cours de leurs voyages en mer, participaient à la vie des marins (TLFi). 237 Apôtre qui, sur l’ordre du Christ, tira de la bouche du poisson le statère du cens (TLFi). 238 Philippe II (382-336 av. J-C), roi de Macédoine qui fit frapper cette monnaie d’or (G93). 239 Femme du chef de guerre Arminius (K03). 240 Mère de Charlemagne, rendue célèbre par la chanson de geste Berte aus grans piés (XIII e siècle) (TLFi). 2.2. Le prototype du «-déonomastique de prénom-» 79 2.2.2. Le prénom devient un nom commun Les grammairiens s’appliquent à donner une définition différentielle du nom propre et du nom commun la langue se fait un jeu de défaire leur ouvrage. (m ArouzeAu 1950 : 159) L’observation de m ArouzeAu , particulièrement pertinente dans le cas du passage du prénom au nom commun, nous invite à préciser la distinction entre nom propre et nom commun esquissée en introduction (p. 4). Tout locuteur germanophone ou francophone ayant été scolarisé a une intuition relativement claire de la différence entre ces deux notions. En effet, bien des grammaires présentent cette différence comme une évidence en faisant appel au mode de fonctionnement référentiel (cf. p. 68) 241 . Si cette distinction entre « nom propre » et « nom commun » est convaincante dans le domaine de la logique, elle est considérée depuis longtemps comme « fragile et conventionnelle » (B ru not 1922 : 39), voire comme « artificielle aux yeux du linguiste » (d AuzAt 1925 : 1). Les noms propres étant souvent issus de noms communs et les noms communs pouvant fonctionner comme noms propres 242 , il est en effet impossible de définir le nom propre sur la base de conditions nécessaires et suffisantes qui seraient de nature strictement linguistique et non-référentielle. Il suffit, pour s’en convaincre, de puiser dans le vaste « catalogue des idées reçues » sur le nom propre (v AxelAire 2005 : 63) cinq lieux communs parmi les plus tenaces et de les mettre à mal par des contre-exemples (en italique) : 1. le nom propre n’a pas de contenu descriptif 243 => les États-Unis d’Amérique ; 2. le nom propre ne se traduit pas 244 => die Vereinigten Staaten , les États-Unis ; 3. le nom propre est inapte à la pluralisation => Die Müllers sind da , les Müller sont arrivés ; 241 Le traitement grammaticographique des noms propres est analysé entre autres par g Ary p rieur (1991b : 5 sqq.) et v AxelAire (2005 : 23-41). 242 On peut en effet baptiser son canari « Caniche » et son caniche « Canari » ! 243 Pour une présentation détaillée des théories et débats sur le sens des noms propres, nous renvoyons à W immer (1973 : 70-121), K leiBer (1981 : 351-417), W olf (1985) et v AxelAire (2005 : 399-845). 244 On consultera à ce sujet g läser (1976), K AlverKämper (1996), B AllArd (2001), g rAss (2002), v AxelAire (2005 : 99 sqq.) et n üBling (in : n üBling et al . 2012 : 42 sqq.). 80 2. Le déonomastique de prénom-: délimitation de l’objet d’étude 4. le nom propre s’emploie sans déterminant 245 => ein Hans hat angerufen, un Jean a appelé ; 5. le nom propre prend une majuscule => [ chère ] Madame (majuscule dite de ‘déférence’ portée par certains noms communs), un Français 246 . Face à la difficulté de distinguer nettement les deux notions, il nous semble judicieux de considérer, à l’instar de B réAl 247 , qu’« entre les noms propres et les noms communs il n’y a qu’une différence de degré » (1897 : 197), et de poser un continuum allant du pôle de la « propritude » à celui de la « communitude » (v AxelAire 2007 : 8). Le pôle de la communitude La propriété principale du nom commun réside dans sa signification lexicale ( lexikalische Bedeutung ; Begriff chez t rier [n. 208]), ‘le noyau stable de la signification susceptible d’être décrit dans le dictionnaire’ 248 . Pourvus de cette signification, les prénoms perdent leur fonction propriale de référence directe à un porteur pour renvoyer à des « réalités notionnelles (des concepts) » (r iegel , p ellAt & r ioul 1994 : 321 sq.) : je peux ainsi insulter un individu prénommé Horst en le traitant de Stoffel (‘rustre, mufle’) ou, inversement, insulter Stoffel en le traitant de Horst (‘niais, idiot’) 249 . La précision « susceptible d’être décrit dans le dictionnaire » rappelle qu’indépendamment de son existence lexicographique, le nom commun et avec lui le prototype du déonomastique de prénom, relevant du vocabulaire courant ou du substandard, font partie intégrante du lexique d’une langue. Nous ne distinguons pas les items en fonction de leur richesse sémique, c’està-dire du nombre de sèmes constituant le noyau de signification, la seule chose 245 Le comportement des noms propres à l’égard des déterminants est décrit entre autres par W immer (1973 : 125-129), l eys (1989b), K olde (1995 : 403 sqq.), W einrich (2003 : 423 sqq.), s eiBicKe (2008 : 60 sqq.) et n üBling et al . (2012 : 79 sqq.) pour l’allemand, c lArinvAl (1967 : 39 sqq.), K leiBer (1981 : 297-307), g Ary -p rieur (1994 : 65-166) et v AxelAire (2005 : 104-119) pour le français. 246 À l’instar de r iegel , p ellAt & r ioul (1994 : 338), l eroy (2004 : 9) et v AxelAire (2005 : 74), nous considérons les noms de nationalité comme des noms communs. Pour un survol historique des positionnements théoriques sur le statut de ces noms, nous renvoyons à B erger (1969). 247 Et de nombreux auteurs après lui, dont d AuzAt (1925 : 3), g erhArdt (1949 / 50 : 8 sqq.), p ul grAm (1954 : 189), M ańcZak (1968 : 207), B lAnár (1973 : 38 sq.), B erger (1976 : 375), d eBus (1985 : 316, 2009 : 38), B Auer (1996), s iBlot (1997 : 15), r is (2002 : 225 sqq.) et v AxelAire (2007 : 7 sq.). 248 Traduit par nos soins, texte original : « der invariante, im Wörterbuch beschreibbare Bedeutungskern » (MLS 2010). 249 Il est d’ailleurs souhaitable d’éviter de désigner une personne par un déonomastique issu de son prénom : insulter Horst de Horst ou remercier Anke en recourant à l’expression Danke, Anke , c’est au mieux susciter l’hilarité, au pire risquer l’incompréhension. 2.2. Le prototype du «-déonomastique de prénom-» 81 qui importe étant la présence d’une signification lexicale : ainsi, Hans, jean et Grete pris dans le sens générique d’‘homme’ et de ‘femme’ satisfont tout autant à ce critère sémantique que les items de moindre extension que sont Heini et yvette , le premier désignant un homme sot ou niais, le second une femme au foyer, restant dans l’ombre de son mari. La seule signification lexicale n’est toutefois pas suffisante pour définir le pôle du nom commun, les adjectifs, les verbes, etc., en étant également pourvus. Il faut donc faire intervenir un second critère, d’ordre grammatical cette fois-ci, celui de la détermination : contrairement aux noms propres, autodéterminés ( MLS 2010), les noms communs ont généralement besoin d’un article pour actualiser leur référent en discours 250 . Nous considérons ainsi comme prototypiques des items tels que ein / der Dietrich (‘rossignol, passe-partout’), ein / der Stoffel (‘rustre, mufle’), un / le fritz (‘soldat allemand, Allemand’) et une / la madeleine (‘petit gâteau sucré de forme ovale’) pour lesquels le locuteur peut employer aussi bien l’article défini que l’indéfini. La majorité des items relevés remplissent les deux critères de la signification lexicale et de la détermination libre. Ceux désignant des êtres humains sont, sans surprise, les plus nombreux 251 : ein / der Bernd ‘bon à rien’ une / l’agnès ‘jeune fille innocente et ingénue ou qui affecte de l’être’ ein / der Detlev, Detlef ‘homosexuel’ un / l’alphonse, arthur ‘proxénète’ ein / der Fritze ‘homme, exerçant souvent une activité’ une / la catin ‘fille, femme de mauvaise vie ; prostituée’ eine / die Grete ‘femme’ un / le fritz ‘soldat allemand, Allemand’ ein / der Hans, Heini, Heino ‘sot, niais’ un / le jacky ‘macho ringard’ ein / der Kasper ‘niais, homme puéril ; guignol, pitre’ un / le jésus ‘enfant mignon’ ein / der Louis, Ludwig, Lude ‘proxénète’ un / le joseph ‘homme niais, timide en amour ; nigaud qui laisse échapper les bonnes occasions’ 250 Pour les cas particuliers, nous renvoyons à la grammaire d uden (2005 : 297 sqq., 331 sq.) pour l’allemand et, pour le français, à r iegel , p ellAt & r ioul (1994 : 308 sqq.). 251 Nous retenons comme exemples uniquement des mots simples. Le cas des dérivés et des composés sera discuté plus bas (2.3.1). 82 2. Le déonomastique de prénom-: délimitation de l’objet d’étude eine / die Metze ‘fille aux mœurs légères, prostituée’ une / la lolita ‘nymphette, jeune fille plutôt mignonne’ eine / die Minna ‘servante, domestique’ une / la lolotte ‘fille de joie’, ‘copine, chérie’ ein / der Moses ‘le plus jeune d’un équipage ; apprenti marin, mousse, moussaillon’ une / la marie-chantal ‘grande bourgeoise, snob, coupée des réalités sociales, économiques et culturelles’ ein / der Schani ‘serveur, serviteur’ une / la nana ‘maîtresse, concubine’ ein / der Schorsch, Schurl ‘sot, niais’ une / la péronnelle ‘jeune femme sotte et bavarde’ ein / der Sepp, Sepp(e)l ‘homme dont on reconnaît l’origine bavaroise’ un / le séraphin ‘usurier ; grippe-sou, avare’ ein / der Stoffel ‘rustre, mufle’ une / l’yvette ‘femme qui exerce le rôle traditionnel de femme au foyer et reste dans l’ombre de son mari’ eine / die Trine ‘femme lente, maladroite, plutôt laide, lourdaude’ Les autres items prototypiques peuvent être rangés grossièrement dans trois classes sémantiques : 1. les pArties du corps ou les mAnifestAtions corporelles : ein / der Johannes, Willy ‘pénis’ 252 un / le jésus, popaul / popol ‘pénis’ une / la louise, marie-louise ‘pet’ des / les jacquots / jacques ‘mollets’ 252 Les items désignant le pénis sont, en règle générale, précédés d’un adjectif possessif. 2.2. Le prototype du «-déonomastique de prénom-» 83 2. les Animés non humAins , plAntes et AnimAux : ein / der Matz ‘petit oiseau’ une / la julienne ‘poisson comestible’ eine / die Isabell ‘cheval à robe isabelle’ un / le martinet ‘oiseau à longues ailes, au vol rapide’ eine / die Veronika ‘plante aux fleurs bleues à quatre pétales en croix’ une / la véronique (idem) 3. divers ArtefActs , y compris les prépArAtions culinAires : ein / der Dietrich, Klaus ‘rossignol, passe-partout’ une / la berthe ‘large col arrondi ou petite pèlerine de femme’ eine / die Elise ‘sorte de pain d’épices de Nuremberg’ une / la catin ‘poupée’, ‘doigtier qui recouvre un pansement’ ein / der Hugo ‘(mégot de) cigarette’ un / le jules, thomas ‘tinette de nuit, pot de chambre’ ein / der Lukas ‘tête de Turc’ 253 une / la julienne ‘préparation de légumes, souvent pour potages’ ein / der Moses ‘canot d’un yacht’ un / le louis ‘ancienne monnaie d’or’ ein / der Nicki ‘pullover en coton peluché’ une / la madeleine ‘petit gâteau sucré à pâte molle, de forme ovale’ Nous écarterons deux critères du nom commun figurant en creux dans le catalogue des idées reçues de v AxelAire : 1. l’absence de la majuscule initiale, dont on voit aisément les limites pour notre étude : inopérant en l’allemand, ce critère est, en français, peu fiable pour qui s’intéresse à l’évolution de l’appellativisation sur le long terme. En effet, l’attribution de la majuscule au nom propre étant relativement tardive 254 , 253 Dynamomètre sur lequel on s’exerçait dans les foires en frappant sur une partie représentant une tête coiffée d’un turban. 254 En français, cet emploi s’établit progressivement avec le développement de l’imprimerie : « Dans les textes antérieurs aux XVI ème et même XVII ème siècles, l’usage est encore flottant 84 2. Le déonomastique de prénom-: délimitation de l’objet d’étude son absence ne saurait renseigner sur le statut des items les plus anciens. On constate par ailleurs que l’emploi de la majuscule ou de la minuscule est fonction du degré de lexicalisation du nom commun (cf. 2.2.3) 255 . 2. le critère de la pluralisation est lui aussi peu pertinent, l’opposition singulierpluriel ne s’appliquant pas à plusieurs sous-types de noms communs qui sont bien représentés dans nos relevés, tels que les noms abstraits ( Antoniusfeuer / feu de saint-Antoine , flotter Anton / Fritz / Heinrich , schnelle Kathrin ‘courante, diarrhée’, Veitstanz / danse de saint Guy , mal saint Lazare / Ladre ‘lèpre’, etc.), les noms à sens collectif ( Itzig ‘Juif ’, Kleinhans / klein Hans / klein Nickel ‘bas peuple, petites gens’ ; Jacques Bonhomme ‘paysan français’, jaquette ‘hommes homosexuels, homosexualité masculine’, la vache à Colas ‘huguenots, protestantisme’, etc.) ou générique ( Adam ‘homme’ ; Eva ‘femme’) et les pluralia tantum ( Hansel ‘nombre relativement restreint de personnes quelconques’ ; jacquots / jacques ‘mollets’, jos / djos / djeaux et roberts ‘seins’). 2.2.3. Le nom commun est lexicalisé Le processus de lexicalisation, véritable « serpent de mer » des études sur l’antonomase (l eroy 2001 : 120), pose la question de la perception par les locuteurs du degré de stabilisation, de figement du mot ou de l’expression dans le lexique. Nous pourrions évacuer cette question en considérant que la grande majorité des items relevés sont, de fait, lexicalisés puisqu’issus de dépouillements dictionnairiques. Ce serait d’une part surévaluer le critère de la lexicographisation qui, comme le montre la place très variable faite aux items dans les dictionnaires consultés, n’est pas dénué d’arbitraire (cf. d Anjou -f lAux 1991 : 40), et de l’autre, ne pas suffisamment tenir compte des spécificités du phénomène étudié. Dans le domaine de la déonomastique, il faut comprendre par « lexicalisation » des items, au-delà de leur présence dans le dictionnaire, la perte (partielle ou totale) du lien mémoriel avec le ou les porteurs initiaux, celui-ci étant, pour reprendre la formule de v AxelAire (2005 : 279), « oublié ou mis sous l’éteignoir ». Nous considérons comme pleinement lexicalisés ceux pour lesquels le lien entre signifiant et signifié s’opère directement, sans que soit activée la « mémoire du référent [i.e. du porteur initial ; VB ] » (d Anjou -f lAux 1991 ; cf. également g erus -t ArnAWecKA 1981 : 428 sq.). Cette éviction est la conséquence d’un emploi fréquent de l’item, qui a pour effet de le détacher progressivement de l’univers culturel associé au(x) porteur(s) : ainsi, l’emploi de benjamin pour désigner le et le critère de la majuscule d’une fiabilité toute relative. » (l eroy 2004 : 8). 255 D’autres objections au sujet de la pertinence de ce critère graphique sont formulées par m olino (1982 : 8), l eroy (2004 : 8 sqq.) et v AxelAire (2005 : 73 sqq.). 2.2. Le prototype du «-déonomastique de prénom-» 85 plus jeune d’une fratrie ou d’un groupe ne fait plus intervenir la référence au plus jeune fils de Jacob ; de même, le lien mémoriel entre la femme du guerrier Arminius et le mot T(h)usnelda (‘amante, femme, petite amie’) s’est fortement estompé depuis son apparition au début du XIX e siècle 256 . La lexicalisation est un phénomène évolutif, relevant du « continuum » pour d Anjou -f lAux (1991 : 40), d’une « différence de degré » pour j onAsson (1994 : 221). Les critères fréquemment invoqués pour mesurer le degré de lexicalisation des items sont, outre leur présence dans les dictionnaires, • dans le cas du français, l’emploi de la minuscule initiale, particulièrement fréquente pour des référents non humains ( axel ‘saut en patinage’, eustache ‘couteau de poche’, madeleine ), l’absence du trait + humAin accélérant la perte du lien mémoriel avec le porteur initial ; • la présence de marques : nous passons rapidement sur le - s de pluriel, régulier en français ( charlots , madeleines , etc.) et en allemand pour les mots se terminant par une voyelle pleine ( Heinis , Lolitas , etc . ). Pour l’allemand, nous relevons également les marques - e , avec ou sans l’inflexion (1, 2), et -( e ) n , fréquente pour les items en - e (3-5) : (1) Ein kleiner Pool ist voller kreischender Hosenmätze; ganz unempfindliche Jungs spielen in der Sonnenglut Beachvolleyball. ( Nürnberger Nachrichten 2010 ; DeReKo) 257 (2) Da die meisten Schlüssel sich noch bis vor wenigen Jahrzehnten recht ähnlich sahen, benutzten Einbrecher „Dietriche“. ( Braunschweiger Zeitung 2012 ; DeReKo) (3) Reicht es nicht, wenn wir die Laberfritzen überall finden, gerade auch in der Politik, muß es jetzt auch noch im Freitag sein? (www.freitag.de 2011 ; WL ) (4) Man wollte die beiden „Schwätzliesen“ nicht in einer Klasse haben. ( Mannheimer Morgen 2010 ; DeReKo) (5) Saufen, raufen und ficken: Darauf stehen schwule Skinheads. Die Glatzenschwestern schicken sich an, die Nachfolge der supervirilen Ledertrinen anzutreten. Handtäschchen werden verachtet, Fascho-Skins dagegen toleriert. Der Traum vom richtigen Mann? ( die tageszeitung 2000 ; DeReKo) [surlignements dans ces exemples et les suivants : VB ] 256 Sauf peut-être pour les lecteurs assidus de Kleist, qui en fait l’un des personnages principaux de son drame Die Hermannsschlacht (1808). Comme le soulignent fort justement d Aniels (1994 : 29 sq.) et r is (2002 : 227), le lien mémoriel avec le porteur initial varie en fonction des connaissances des locuteurs. 257 Le Duden (2006) indique également la forme de pluriel sans inflexion Matze , dont nous n’avons pu toutefois attester l’emploi. 86 2. Le déonomastique de prénom-: délimitation de l’objet d’étude La marque de déclinaison faible constitue également un critère de lexicalisation permettant de distinguer le déonomastique de l’emploi comme prénom. L’unique exemple de nos relevés est Fritze : (6) »Übrigens: wen hat sie geheiratet? « »Deine Helga? Weiß nicht genau. Irgend so ‘nen Fritzen aus der Bankbranche. (Böcking, Aufgalopp , 2010 ; GB) (7) Dann kaufte er noch beim Schlächter Godenschweger eine Sardellenleberwurst für die Schwiegermutter oder beim Zigarrenfritzen zehn Brasil für den alten Harder oder ein Blechspielzeug für den Jungen (Fallada, Wer einmal aus dem Blechnapf frißt , 1934 ; DWDS ) Nous ne considérons pas comme l’indice d’un degré de lexicalisation avancé la marque - en portée par les items désuets issus de Hans 258 (8-11), par Fritz dans für den Alten Fritzen (‘en vain, inutile’ ; 12) et par Kunz et Görg / Jörg dans les locutions désuètes mit jm den Kunzen spielen (‘se payer la tête de qqn, se moquer de qqn’ ; 13) et jm den Görgen / Jörgen singen (‘critiquer vivement qqn’ ; 14-15) pour la simple raison que les noms et prénoms, masculins et féminins, suivaient couramment la déclinaison faible jusqu’au XVIII e siècle (p Aul 259 1917 : 154-157, p olenz 1994 : 257) : (8) Wann nun aus guten Gründen der Gebrauch der Stercke soll abgeschafft werden / und die Abschaffung ihre Krafft haben / so mues Großhans / dem Kleinhansen / mit gutem Exempel vorgehen (Zeiller, Centuria IV . Variarum Quæstionum , 1660 ; DWDS ) (9) Der kalten Hansen sind so vil / die uns gern woltend spalten (Nikolaus Manuel, 1557 [éd. par Bächtold] ; FWB ) (10) da geriehten seine Pickler, Karsthansen, Schantzgräber unnd Scheuffler auff eynen Kupfferen boden: dessen breite noch lenge sie ein gantz Jar nicht erbickelen [sic] mochten (Fischart, Geschichtklitterung , 1575 ; Z) (11) [man findet] leichtfertige under den Frantzosen, […] schnarchhansen under den Teutschen. (Fischart, aller practick groszmutter , 1572 ; DW ) (12) Fenster öffnen kam nicht in Frage. „Wir heizen doch nicht für den Alten Fritzen“, war die Rede unseres Vaters. (Schurig, Großväterstorys , 2008 ; GB) (13) […] und wie ich in erstgedachter bursche höhnischen angesichtern lesen konte, bedunkte mich, sie würden sich endlich underfangen, mir den hut 258 Cf. également la forme de pluriel Hänse , relevée par le DW : « vorzeiten wahrt ihr Hänse / benahmet mit der that, / jetzt, sagt man, seyt ihr gänse / von schlechter that und rath. » (Domann, lied von der teutschen hanse , XVII e siècle). La rime Hänse - Gänse a pu jouer un rôle. 259 Si p Aul (1917 : 159) signale la déclinaison faible de Hans employé comme nom commun, il ne la met pas en relation avec les marques casuelles portées par le prénom. 2.2. Le prototype du «-déonomastique de prénom-» 87 zuträhen und den Kunzen mit mir zuspielen. (Grimmelshausen, Der seltsame Springinsfeld , 1670 ; DW ) (14) Hätte nichts schaden mögen, wenn Sie ihm auch über sein Fragment von den Poeten, das, weiß Gott, im Ganzen eine fast unleidliche incartade ist, ein wenig den Görgen gesungen hätten. (Lettre de Wieland à Merck, juillet 1777 ; GB ) (15) ach, lieber landsknecht, schweig nur still! / zeuch darfür an den Rhein / und wart fein, bis der monsieur Till / dir wider klopfet ein / und thut dir den herrn jörgen singen, / dasz die bleikugeln durch dich dringen (1624, in : Opel-Cohn, Der dreiszigjährige krieg, eine sammlung von historischen gedichten und prosadarstellungen , 1862 ; DW ) • l’activité dérivationnelle : parmi les nombreux dérivés formés à partir de déonomastiques, citons pour l’allemand rüpelhaft , obtenu à partir de Rüpel , sich auftussen (‘se pomponner, se préparer [pour une fille]’) de Tussi et uzen (‘taquiner qqn, se payer la tête de qqn’) de U(t)z (‘sot, niais’), pour le français joséphiéresque (‘qui a le comportement d’un joseph’), formé à partir de joseph (‘homme niais, timide en amour ; nigaud qui laisse passer les bonnes occasions’) et michetonner (‘se livrer occasionnellement à la prostitution’), de micheton (‘client d’un(e) prostitué(e)’). Aucun de ces trois critères n’est d’une fiabilité absolue. Nous ne reviendrons pas sur les limites du critère de la minuscule pour notre étude, indiquées plus haut (p. 83). L’absence de marque peut s’expliquer par des caractéristiques formelles : en allemand, les suffixes diminutifs - chen , - ken , - lein et -(e)l ( Gretchen , Hänschen , Peterchen / Peterken , Hänslein , Hans(e)l , Hiesel , Jockel , Nickel , Nigel , Seppel ) et la présence d’une sifflante en finale ( Köbes , Moses , Tünnes ) ; en français, la finale graphique - s ou - z ( Agnès , Fritz , Gilles , Jacques , Jésus , Jules , etc.) ou la composition, source intarissable de difficultés liées au marquage du pluriel (cf. g uérAud 1990 : 18). Quant au critère de l’activité dérivationnelle, il est certes utile pour mesurer l’intégration d’un item dans le lexique, mais insuffisant pour expliquer pourquoi Heini (‘sot, niais’), charlot ou madeleine , pourtant pleinement lexicalisés, n’ont pas donné lieu à des dérivés. La capacité de l’item à désigner des individus dont le sexe diffère de celui du porteur initial constitue un critère de lexicalisation spécifique à notre objet d’étude, cette discordance favorisant l’effacement du lien mémoriel avec ledit porteur. Dans le cas de marie-louise 260 (‘jeune recrue de 1814, appelée à servir 260 En référence à l’impératrice qui fit lever par anticipation les conscrits des classes 1814 et 1815 qui luttèrent héroïquement contre les Alliés. Le mot fut repris en 1914 lors de l’incorporation des appelés de la classe de 1915 par anticipation (TLFi). 88 2. Le déonomastique de prénom-: délimitation de l’objet d’étude par anticipation’), le genre grammatical s’aligne non pas sur le sexe biologique du porteur initial, mais sur celui du groupe désigné : (16) Il a dix-huit ans. C’est un Marie-Louise, charmant blondin en casaque noire, gilet rouge et baudrier. (Saint-Paulien, Goya : son temps, ses personnages , 1965 ; GB ) 2.2.4. Pondération des critères définitoires Les critères que nous venons de présenter ne sont pas tous d’une importance égale pour mesurer le degré de prototypicalité d’un item, c’est-à-dire son degré d’appartenance à la catégorie. En fonction du poids que nous leur accordons, nous leur attribuons le signe (++) ou (+) : (++) Déonomastique issu d’un prénom Nom commun impliquant la présence d’une signification lexicale (+) Nom commun acceptant la libre détermination Nom commun lexicalisé en ce sens que le lien mémoriel avec le porteur initial du prénom a largement disparu À la différence des critères constitutifs de la catégorie regroupés sous (++), les critères de la libre détermination et de la lexicalisation, tous deux à caractère graduel, ne sauraient entraîner l’exclusion définitive d’un item de la catégorie. 2.3. Les types d’items moins prototypiques Nous rangeons dans la catégorie des déonomastiques au sens large un certain nombre d’items dont l’analyse est indispensable dans le cadre de notre étude même s’ils ne remplissent pas l’ensemble de nos critères définitoires. Nous distinguons six types, non exclusifs les uns des autres, un item pouvant relever de plusieurs types à la fois. 2.3.1. Les noms complexes Ces noms ne résultent pas d’une déonymisation mais de procédés de formation réguliers faisant intervenir un prénom. Si nous les rangeons malgré tout dans la catégorie des déonomastiques au sens large, c’est parce que le prénom, en contribuant à la formation d’un nom commun, fonctionne comme un élément 2.3. Les types d’items moins prototypiques 89 de formation lexicale. Il convient de distinguer deux types de noms complexes, selon que le prénom est employé ou non comme déonomastique. 2.3.1.1. La déonymisation morphologique Le procédé de la déonymisation morphologique fait intervenir un prénom non attesté comme déonomastique ( Alexandriner / alexandrin , Antoniusfeuer / feu de Saint-Antoine ). Si nous sommes d’accord avec K AlverKämper (2006 : 129) pour dire que la fonction de désignation immédiate du nom propre est incompatible avec son emploi comme base de dérivation ou comme membre de composition, nous ne considérons pas pour autant le prénom, dénué de signification lexicale dans ces formations, comme un nom commun. Nous nous concentrons sur la composition et la dérivation, les autres procédés de formation déonymiques n’étant pas représentés dans nos relevés. La dérivation déonymique Contrairement à ce qu’on peut lire dans certains travaux (cf. p. 47), la dérivation déonymique (« deonymische Derivation » ; f leischer 1989) concerne bel et bien le domaine des prénoms. Nous avons relevé une quinzaine de dérivés de ce type, tous obtenus par suffixation 261 : Alexandriner / alexandrin du prénom Alexandre , Clémentine de Clément , Jeremiade / jérémiade de Jeremias / Jérémie , Jesuit / jésuite de Jesus / Jésus , Augustiner / augustin de Augustin , Benediktiner / bénédictin de Benedikt / Bénédicte , Dominikaner / dominicain de Dominik / Dominique et Franziskaner / franciscain de Franziskus / François . Les diminutifs tels que Hänslein et Jeannot , obtenus par ce qu’on pourrait appeler une dérivation « onymique », ne font pas partie de cette catégorie. La distinction entre diminutifs et dérivés déonymiques est parfois délicate, comme le montre catherinette (‘ouvrière ou employée qui, à 25 ans, est encore célibataire’), que l’on peut analyser comme dérivé de Catherine ou comme déonomastique issu de Catherinette . Partant du principe que l’item résulte du nom du porteur initial (ici, sainte Catherine), nous l’analysons comme un dérivé. En cas d’absence de porteur initial, c’est l’analyse en tant que déonomastique de diminutif qui s’impose. Les différentes acceptions de jeannette illustrent parfaitement les deux cas de figure : pris dans le sens de ‘fillette membre du scoutisme catholique’, jeannette fait référence à Jeanne d’Arc et sera donc analysé comme dérivé 262 , 261 Ungustl (‘rustre, homme peu soigné, désagréable’), formé par préfixation de Gustl , luimême diminutif de Gustav , est un cas particulier dans la mesure où il n’est pas issu du nom d’un porteur initial mais repose sur la proximité avec l’adjectif autrichien ungustiös (‘peu appétissant, malpropre’). 262 Cette analyse nous semble préférable à l’explication, peu claire, qui figure dans le TLFi : « Emploi comme nom commun de Jeannette , lui-même de Jeanne [d’Arc], patronne de ce 90 2. Le déonomastique de prénom-: délimitation de l’objet d’étude alors que pour les trois autres acceptions, ‘narcisse des poètes (fleur)’, ‘croix suspendue à une chaîne ou un ruban que les femmes portaient autour du cou’ et ‘planchette de bois utilisée pour repasser les manches des vêtements’, l’item sera considéré, à l’instar du TLF i, comme un déonomastique issu du diminutif. Nous distinguons deux types de dérivés déonymiques que nous situons à des niveaux différents sur l’échelle de prototypicalité : Le premier, proche du prototype, rassemble des items ayant un degré de lexicalisation avancé, tels que Alexandriner / alexandrin (‘vers français de douze syllabes’), catherinaire (‘tabac’), clémentine , Jeremiade / jérémiades et cyrillique . Le lien mémoriel avec le porteur initial, respectivement Alexandre le Grand, Catherine de Médicis, frère Clément, le prophète Jérémie et saint Cyrille de Salonique, ne présente plus qu’un intérêt étymologique. Dans plusieurs exemples, l’oubli du porteur a été favorisé par l’ellipse de la base nominale, le dérivé passant dès lors de la catégorie adjectivale à la catégorie nominale : le vers alexandrin > l’alexandrin , l’herbe catherinaire > la catherinaire , l’alphabet cyrillique > le cyrillique . Dans le second type, plus éloigné du centre prototypique, les items conservent la référence au porteur initial, qui peut être une personnalité politique (Marine Le Pen > mariniste ‘partisan de Marine Le Pen’ 263 ), un personnage biblique (Marie > Mariologie / mariologie ‘partie de la théologie catholique concernant la Vierge Marie’, marianisme ‘tendance à exalter le culte de Marie’) ou le fondateur d’un ordre religieux, la référence à ce dernier étant plus ou moins explicite dans la définition selon que l’ordre a conservé ou non le nom du fondateur (Benoît de Nursie > Benediktiner / bénédictin ‘religieux, religieuse de l’ordre de Saint-Benoît’, saint Dominique > Dominikaner / dominicain ‘religieux membre des Frères prêcheurs’, saint François d’Assise > Franziskaner / franciscain ‘religieux, religieuse membre de l’ordre des Frères mineurs’, etc.). La composition déonymique Les composés déonymiques (« deonymische Komposita » ; d eBus 2009 : 41) sont bien représentés dans nos relevés. On relève entre autres Antoniusfeuer / feu de Saint-Antoine , Floriansjünger , Gretchenfrage , Gretchenfrisur , Jakobsleiter (‘échelle de corde sur les bateaux’), fesse-mathieu (‘usurier, avare’), Tituskopf / coiffure à la Titus (‘coiffure avec de nombreuses petites mèches aplaties sur la mouvement ». 263 Si, contrairement aux dénominations chiraquien , mitterrandien , sarkozyste ou hollandiste , c’est ici le prénom et non le nom de famille qui sert de base de dérivation, c’est parce que Le Pen est déjà employé dans lepéniste (‘partisan de Jean-Marie Le Pen’). Les enjeux politiques de ce changement de nom sont décryptés dans un article du Nouvel Observateur intitulé « Marinistes » : comment les médias aident Marine Le Pen à banaliser le FN (leplus.nouvelobs.com ; article du 15. 6. 2012 consulté le 1. 8. 2015). 2.3. Les types d’items moins prototypiques 91 tête’) et Veitstanz / danse de saint Guy , auxquels nous ajoutons les nombreuses désignations de plantes et d’animaux issues de noms de saints ou de personnages bibliques tels que Barbarazweig (‘branche d’un arbre fruitier coupée à la Sainte-Barbe’), Johannisbeere , Johannisfeuer / feu de la saint-Jean , Johannisbrot (‘caroube’), Johannisfünkchen / käfer / wurm / -würmchen (‘sorte de ver-luisant’), Johanniskraut / herbe de Saint-Jean (aussi appelé millepertuis ), Johannistrieb 264 (‘pousse tardive sur certains arbres’), Marienblümchen (‘pâquerette’), Marienkäfer (‘coccinelle’), Martinsgans (‘oie que l’on mange à la Saint-Martin’ ; en Autriche : Martinigans , -gansl ) et Petersfisch (‘saint-pierre’). Dans ces composés, le prénom fonctionne comme membre déterminant, l’univers culturel véhiculé par le porteur initial permettant d’identifier l’objet unique (par ex. l’échelle que le patriarche Jacob voit en rêve) ou le type d’objets référés (cf. K noBloch 1992 : 458). Les composés reposent sur une motivation de type métaphorique ( Jakobsleiter , Gretchenfrage , Gretchenfrisur ) ou métonymique ( Marienkäfer 265 , Marienblümchen 266 , Petersfisch 267 ). Dans le cas de Barbarazweig , Johannisbeere , Johannisfeuer , Johanniskraut / herbe de Saint-Jean et de Johannistrieb , le prénom renvoie au jour du calendrier liturgique auquel se produit l’évènement qui caractérise le type de référents, à savoir la coupe des branches, l’arrivée à maturation des fruits, l’organisation du feu, la récolte des plantes ou la pousse tardive. Comme pour les dérivés déonymiques, le degré de prototypicalité de ces constructions dépend de la force du lien mémoriel avec le porteur initial. Plus ce lien s’estompe, plus le composé perd en motivation, et plus il se rapproche du centre prototypique. 2.3.1.2. La formation de mots à partir d’un déonomastique Les noms formés à partir de déonomastiques, très nombreux dans nos relevés, nous fournissent de précieux renseignements sur l’activité du déonomastique ainsi que sur son évolution sémantique. Celui-ci fonctionne comme base de dérivation ou comme membre de composition. Il peut également subir un procédé d’abrègement. Nous ne nous attarderons pas sur le cas des dérivés, tous formés par suffixation 268 : Matz (‘sot niais’) > Mätzchen (‘bêtises, simagrées’), Prahlhans (‘van- 264 Désigne également le regain d’ardeur sexuelle pour les hommes à un âge avancé (aussi Johannestrieb ). 265 Les sept points noirs rappellent ceux représentés sur le manteau de Marie, que l’on voit sur les peintures médiévales et représentant les 7 joies et les 7 peines de la Vierge (K02). 266 Selon la légende, Marie aurait provoqué l’apparition de pâquerettes en pleurant (K03). 267 Cf. n. 237. 268 Les listes qui suivent ne sont pas exhaustives. 92 2. Le déonomastique de prénom-: délimitation de l’objet d’étude tard’) > Prahlhanserei (‘vantardise’) ; catin > catinisme (‘mœurs, habitudes de catin’), robin (‘mouton’) > robinet 269 , jeannot / janot (‘sot, niais’) > jeannotisme / janotisme (1. ‘bêtise, esprit borné, simplicité excessive’, 2. ‘construction maladroite de la phrase donnant lieu à des équivoques’), etc. Bien plus nombreux et plus intéressants pour notre étude, les composés résultent pour la plupart de formations en série faisant intervenir la désignation d’un individu lambda ( Hans , Peter , Michel , Liese , jean ou marie ). Voici, en guise d’aperçu, quelques composés désignant des humains, formés à partir de Liese et Marie 270 : Bummelliese ‘traînarde, fille, femme qui prend son temps’ Dreck- , Schmutzliese ‘souillon, fille, femme malpropre’ Flenn- , Heulliese ‘pleurnicheuse’ Klatsch- , Plapper- , Quatsch- , Schnatter- , Schwatz- , Schwätz- , Tratschliese ‘commère, pie’ Kleckerliese ‘fille, femme qui mange salement, qui se tache en mangeant’ Meckerliese ‘râleuse, rouspéteuse’ Nörgelliese ‘râleuse, ergoteuse’ marie-bonbec / bon-Bec ‘femme bavarde, commère’ marie-berdasse / bredasse ‘femme volubile, commère brouillonne qui parle à tort et à travers’ marie-couche-toi-là ‘femme facile, débauchée’ marie-dort-en-chiant ‘femme paresseuse, indolente’ marie-graillon ‘souillon, femme malpropre et dégoûtante’ marie-jacasse ‘femme bavarde, commère’ marie-jambes-en-l’air ‘femme de mauvaises mœurs’ Enfin, les items obtenus par abrègement, peu nombreux, résultent en majorité de l’ellipse d’une base nominale : Isabellpferd ou isabellfarbenes Pferd / cheval isabelle > Isabell / isabelle , chien du (mont) Saint-Bernard > saint-bernard , prune de la reine Claude > reine-claude , croix à la jeannette > jeannette , Jonathan-Apfel / pomme 269 Les premiers robinets avaient souvent la forme d’une petite tête de mouton (TLFi). 270 Des listes plus fournies figurent plus loin (p. 158 sqq.). 2.3. Les types d’items moins prototypiques 93 Jonathan > Jonathan / jonathan , poire, pomme, pêche madeleine > madeleine 271 . Dans Friedrich Wilhelm (‘signature’), réduit en Wilhelm , l’ellipse concerne le premier élément onymique. Le seul sigle présent dans nos relevés, issu du déonomastique Sam désignant un soldat bon à tout faire, se trouve dans l’expression Habe ich (vielleicht) ein S auf dem Rücken? , employée par les soldats et les policiers pour signifier leur refus d’accomplir une tâche jugée dégradante (m00). 2.3.1.3. Difficultés de délimitation Pour les dérivés comme pour les composés, la délimitation entre les formations déonymiques et celles à membre déonomastique pose problème lorsque les sources ne suffisent pas à déterminer s’il y a eu antérieurement un emploi déonomastique d’un membre de composition ou d’une base de dérivation. C’est le cas entre autres de Dösbart(h)el (‘sot, niais’), Dreck -, Sau -, Schmutzbart(h)el (‘saligaud, homme sale’) et Schussbart(h)el (‘homme distrait, non réfléchi’) et de Funkenmariechen / Tanzmariechen (‘danseuse lors du carnaval rhénan’). Elisenlebkuchen (‘sorte de pain d’épices’) et Roland(s)säule (‘statue d’un guerrier en armure’) seront analysés comme composés déonymiques, le prénom renvoyant respectivement à la fille aînée de l’inventeur de cette sorte de pain d’épices et au plus connu des 12 paladins entourant Charlemagne selon la légende. Les analyser comme composés contenant les déonomastiques Elise et Roland reviendrait à les considérer comme tautologiques : Elisenlebkuchen > ‘type de pain d’épices’ +‘pain d’épices’, Roland ( s ) säule > ‘type de statue / colonne’ +‘statue / colonne’ 272 . 2.3.2. Les locutions Comme pour les noms complexes, il convient de distinguer deux types de locutions selon que le prénom fonctionne comme déonomastique (1) ou non (2). Les problèmes de délimitation sont de même nature que ceux évoqués précédemment : faute de sources, on ne peut exclure que Gaspard et Jean-Pierre dans avaler / bouffer (le) gaspard (‘communier’) ou bite à Jean-Pierre (‘matraque’) aient été initialement employés de manière autonome, par exemple pour désigner l’hostie et le maton ou le policier. 271 Margherita < (pizza) Margherita / margherita , emprunté à l’italien, résulte du même procédé. Le nom de cette pizza est issu de celui de la reine Marguerite d’Italie (1851-1926), les ingrédients, basilic frais, mozzarella et tomates, rappelant les couleurs du drapeau italien : vert, blanc et rouge. 272 Notons toutefois qu’il existe en allemand des composés de ce type, dits ‘explicatifs’ (par ex. Farnkraut , Kieselstein ). Si nous écartons cette analyse, c’est parce que contrairement à ce qui vaut pour ce type de composés explicatifs (cf. f leischer & B Arz 2012 : 146), le passage du mot simple au mot composé ne résulte pas d’une longue évolution au cours de laquelle les mots de départ auraient été explicités par le recours aux hyperonymes. 94 2. Le déonomastique de prénom-: délimitation de l’objet d’étude (1) Dans les locutions du premier type, le prénom revêt, en tant que déonomastique, une signification lexicale, celle-ci participant à la signification de la locution. Nous relevons, entre autres, pour l’allemand : den dummen August spielen ‘faire le clown’ < dummer August ‘type de clown de cirque au maquillage violent et caricatural’ den Kunzen spielen ‘se payer la tête de qqn, se moquer de qqn’ < Kunz ‘sot, niais’ sich zum Heinz machen ‘se ridiculiser’ < Heinz ‘sot, niais’ von Hinz zu Kunz rennen ‘courir de gauche à droite’ < Hinz und Kunz ‘n’importe qui, tout un chacun’ sich / jn zum Kasper machen ‘se ridiculiser, ridiculiser qqn’ < Kasper ‘niais, homme puéril ; guignol, pitre’ jn zur Minna machen ‘réprimander sévèrement qqn’ < Minna ‘servante, domestique’ jn zum Otto machen ‘critiquer vivement qqn’ < Otto ‘sot, niais’ Pour le français : se faire appeler arthur ‘se faire vertement réprimander, mériter une série de vifs reproches’ < arthur ‘proxénète’ jouer / parler comme un fiacre ‘jouer, parler, chanter fort mal’ < fiacre ‘cocher de fiacre’ faire le gugusse , jouer les gugusses ‘faire l’idiot, passer pour un imbécile’ < gugusse ‘personne bizarre, qu’on ne peut prendre au sérieux’ bascule à charlot ‘guillotine’ < charlot ‘exécuteur des hautes œuvres, bourreau’ Je ne suis pas ta conchita ‘je ne suis pas ta boniche’ < conchita ‘domestique, boniche’ 2.3. Les types d’items moins prototypiques 95 faire / battre le jacques ‘faire l’idiot’ < jacques ‘sot, niais’ faire son kevin / kévin ‘avoir un comportement puéril’ < kevin / kévin ‘adolescent puéril ; élève désinvolte’ Notons la fréquence des constructions (sich) zum / zur x machen / den x spielen et faire le / son x , dans lesquelles x est un déonomastique désignant un comportement (pitrerie, bizarrerie), une activité (domestique, proxénète, fiacre) ou un trait de caractère (sottise). (2) Dans les locutions du second type, le prénom conserve une dimension propriale. Citons quelques exemples pour l’allemand : (wie) in Abraham s Schoß ‘en toute sécurité, à l’abri’ noch in Abraham s Wurstkessel sein ‘être encore dans le ventre de sa mère’ < patriarche des trois religions monothéistes bei Adam und Eva anfangen / beginnen ‘recommencer du début’ < premier homme et première femme selon la Genèse feuriger Elias ‘locomotive à vapeur’ < prophète d’Israël ( IX e siècle avant J.-C.), enlevé au ciel sur un char de feu (2 Rois 2,11) Ich will Emil heißen, wenn … [exprime qu’on considère qqch comme parfaitement exclu] < référent non identifié für den Alten Fritzen sein ‘être vain, inutile’ < Frédéric Guillaume de Prusse, puis son fils Frédéric II blauer Heinrich ‘soupe pour les pauvres’ < responsable du bureau de charité sous le règne de Frédéric Guillaume (1713-1740) jm den Görgen / Jörgen singen ‘critiquer vivement qqn’ < Georg von Truchsesz (1488-1531), surnommé Bauernjörg en raison du rôle qu’il joua pendant la Guerre des Paysans (1524-1526) 273 L’explication consistant à voir dans Oskar une déformation du yidd. ossoker (‘personne insolente’ ; de ossik ‘insolent, endurci’) est moins probable, l’expression devenant tautologique (D08). L’expression familière stolz wie Oskar sein (‘être très fier’) est sans doute issue de cette locution. 96 2. Le déonomastique de prénom-: délimitation de l’objet d’étude keusch wie ein Joseph / Josef ‘homme chaste’ < fils de Jacob et de Rachel, qui refusa selon la Bible les avances de la femme de Putiphar, un haut fonctionnaire égyptien frech wie Oskar sein ‘avoir un sacré toupet, être très insolent’ < Oskar Blumenthal, critique redouté, ou Oskar Seifert, marchand de foire de Leipzig, connu pour sa verve insolente 273 Petrus meint es gut mit uns ‘il fait beau’ Wenn Petrus mitspielt ‘si le temps est de la fête, s’il fait beau’ Petrus schifft ‘il pleut à verse’ < saint Pierre, vu comme responsable de phénomènes météorologiques bei Petrus anklopfen ‘mourir’ < saint Pierre, vu comme gardien du Paradis Schurl mit der Blechhauben ‘policier, pompier en uniforme’ < saint Georges, représenté comme un chevalier portant un casque ungläubiger Thomas ‘sceptique invétéré’ < apôtre qui voulait voir les marques de crucifixion pour se convaincre de la résurrection de Jésus Pour le français : ne connaître qqn ni d’ Ève ni d’ Adam ‘n’avoir aucun lien avec qqn’ fourchette du père Adam , mouchoir d’ Adam ‘les doigts’ se croire (sorti) de la côte d’ Adam ‘s’imaginer être de haute naissance, être quelqu’un d’exceptionnel’ < premier homme et première femme selon la Genèse au temps où (la reine) Berthe filait ‘au temps jadis, il y a fort longtemps’ < mère de Charlemagne coiffer sainte Catherine ‘atteindre la vingt-cinquième année sans s’être mariée’ < patronne des jeunes filles et en particulier des ouvrières de la mode qui mourut vierge et martyre faire fanny / baiser le cul de Fanny ‘s’humilier, après avoir perdu une partie sans avoir marqué de point’ < serveuse qui faisait la bise aux perdants qui n’avaient pas réussi à marquer un seul point au jeu de boules 2.3. Les types d’items moins prototypiques 97 coup du père François ‘agression où l’un des attaquants serre une courroie autour du cou de la victime tandis que son complice la détrousse’ < soit François Arpin, célèbre lutteur de foire, soit en référence à un bandit légendaire pauvre comme Job ‘excessivement pauvre’ < personnage biblique être comme saint Thomas ‘être incrédule, ne croire que ce qu’on voit, ce qu’on peut constater par soimême’ < apôtre qui voulait voir les marques de crucifixion pour se convaincre de la résurrection de Jésus La dimension propriale du prénom se manifeste par l’absence de signification lexicale et, dans la plupart des locutions, de déterminant ainsi que par la présence d’éléments lexicaux indiquant l’emploi dénominatif du prénom ( Ich will Emil heißen, wenn … ; le père Adam / François, au temps où la reine Berthe filait ). Ces aspects sont réunis dans les expressions populaires désignant des phénomènes naturels dont la responsabilité est attribuée à saint Pierre ( Petrus meint es gut , Wenn Petrus mitspielt , Petrus schifft ). La locution Ich will Emil heißen, wenn … montre d’ailleurs que la dimension propriale n’implique pas nécessairement la connaissance du porteur initial. Le prénom, lui-même dénué de signification lexicale, n’en est pas moins, dans ces locutions, « créateur de sens » (B oulAnger & c ormier 2001 : 95) dans la mesure où son « contenu », c’est-à-dire l’« ensemble de propriétés du référent initial […] qui interviennent dans l’interprétation de certains énoncés [ici de l’expression ; VB ] » (g Ary -p rieur 1994 : 46), fournit le cadre sémantique et interprétatif de la locution. Ainsi, les significations de (wie) in Abrahams Schoß (‘en toute sécurité, à l’abri’) et noch in Abrahams Wurstkessel sein (‘être encore dans le ventre de sa mère’) s’expliquent par le caractère paternel et protecteur associé à la figure du patriarche des trois religions monothéistes. Comme pour les dérivés et les composés déonymiques, le degré de prototypicalité des locutions contenant un prénom dépend en dernier ressort du critère de la lexicalisation. Les expressions frech wie Oskar et faire fanny / baiser le cul de Fanny , dans lesquelles le lien mémoriel avec le porteur initial du prénom est, sinon absent, du moins très affaibli, sont donc considérées comme plus prototypiques que seit Adams Zeiten et être comme saint Thomas . 98 2. Le déonomastique de prénom-: délimitation de l’objet d’étude 2.3.3. Les mots simples semi-lexicalisés-: le type Adolf / adolf et Robinson / robinson Les remarques précédentes ont montré à quel point le critère de la lexicalisation est central pour évaluer le degré de prototypicalité des mots complexes et des locutions. Ce critère concerne également plusieurs noms simples entrés dans l’usage tout en conservant la mémoire du porteur initial. La persistance du lien mémoriel s’observe particulièrement pour les items issus du nom de personnages historiques et de fiction, tels que Adolf / adolf (‘homme au comportement dictatorial et / ou raciste’), Don Juan / don juan (‘collectionneur de conquêtes féminines, séducteur sans scrupules’), Merlin / merlin (‘magicien ; homme versé dans l’ésotérisme’), Robinson / robinson (‘homme vivant loin de la civilisation, dans la nature’) ou Romeo / roméo (‘amoureux transi’), le ou les traits de caractère qu’ils incarnent - la folie dictatoriale et raciste pour Adolf Hitler, le désir de séduction effréné pour Don Juan, l’esprit solitaire et aventurier pour Robinson, etc. - étant réactivés régulièrement dans la mémoire collective, notamment au moyen de productions artistiques (films, livres, images, chansons, etc.). Regardons de plus près le cas de Adolf / adolf et celui de Robinson / robinson. L’emploi en allemand du prénom Adolf pour dénoncer un comportement dictatorial et raciste défraya la chronique en 2005, lorsque le journaliste Henryk M. Broder, dans un essai au titre provocateur « Wie zwei Juden für die Leipziger den Adolf machen » (2005), accusa d’antisémitisme un auteur juif et sa maison d’édition 274 . Cet emploi, attesté dans un dictionnaire récent de la langue des jeunes (L13), semble toutefois plus fréquent en français : (17) Dans pas mal de jeux sur la 2e GM [Guerre mondiale ; VB ], le svastika est amputé pour n’être qu’une simple croix noire […]. Généralement des fans modifient ça immédiatement. Après tout, ça n’est pas une croix gammée dans un JV [jeu vidéo ; VB ] qui va nous transformer en petits adolfs. (vidu.pk/ …/ ; 3. 3. 2013) (18) Nous sommes bien endoctrinés ! Vous l’êtes aussi ? / Êtes-vous de bons petits Nazis ? / Êtes-vous de bons petits Adolf ? (www.cswap.com/ …/ ; 20. 8. 2015) (19) Je me croirai en Allemagne là, on est en démocratie alors stop faire [sic] ton Adolf (forum.leetgamerz.net/ …/ ; 21. 8. 2015) (20) Ce type est un vrai adolf, il aime faire du mal, humilié [sic] ces employés et intérim, il doit vraiment avoir un grain (www.jeuxvideo.com/ …/ ; 21. 8. 2015) 274 Pour plus d’informations sur cette affaire, nous renvoyons à l’article du Tagesspiegel intitulé Den Adolf gemacht (www.tagesspiegel.de ; article du 9. 11. 2007 consulté le 3. 3. 2015). 2.3. Les types d’items moins prototypiques 99 Robinson / robinson 275 , employé plaisamment pour désigner un homme vivant loin de la civilisation, évoque le personnage principal du roman Robinson Crusoé (1719), échoué sur une île déserte : (21) Ein völlig freies, aus allen Bindungen gelöstes Individuum, ein Robinson, ist kaum lebensfähig. (Hopf, Soziale Zeit und Körperkultur , 1981 ; GB ) (22) Ils auraient voulu, comme deux Robinsons, vivre perpétuellement dans ce petit endroit, qui leur semblait, en leur béatitude, le plus magnifique de la terre (Flaubert, Madame Bovary , 1857 ; TLF i) (23) Mais je crois que la réalité est bien différente du rêve. Vous ne songez qu’à ces Robinsons imaginaires soigneusement jetés dans une île bien choisie, et que la nature traite en enfants gâtés ! (Verne, Les Enfants du Capitaine Grant , 1868 ; F) Dans ces exemples, le contexte narratif fortement ancré dans l’univers du porteur initial indique une lexicalisation incomplète : Adolf / adolf est associé aux mots Allemagne , croix gammée et nazis , Robinson / robinson à île , nature , petit endroit , béatitude et völlig freies , aus allen Bindungen gelöstes Individuum 276 . Nous rangeons également dans la catégorie des déonomastiques semi-lexicalisés les items plus récents du type Hakan et moham(m)ed ainsi que tatie Danielle (‘vieille peau-de-vache, pleine de mépris pour les bons sentiments’) et tanguy (‘célibataire prolongé qui vit toujours chez ses parents’), issus du nom de deux anti-héros de films à succès 277 . 2.3.4. Les types nach Adam Riese et Bernhardiner / saintbernard-: la place du prénom dans le processus de déonymisation La déonymisation peut affecter non seulement le prénom seul, mais aussi des ensembles contenant un prénom (1) ainsi que d’autres noms propres (patronymes, toponymes ou noms de marques) issus d’un prénom (2). (1) Le type nach Adam Riese rassemble les items dans lesquels le prénom ne constitue qu’une partie du nom propre, le prénom étant associé à un nom 275 Attesté dans le DU et le TLFi, mais pas dans le WDG, le PR ni dans le Littré. 276 D’autres critères discursifs permettent de mesurer le degré de lexicalisation des antonomases en contexte (cf. l eroy 2001 : 225-233, 2002). Notre travail s’inscrivant avant tout dans le domaine du lexique, nous n’approfondirons pas ces aspects, dont l’analyse nécessiterait par ailleurs de recourir à un grand nombre d’exemples pour chaque item. 277 Tous deux réalisés par Étienne Chatiliez ( Tatie Danielle en 1990, Tanguy en 2001). Le fait que le film porte le nom du personnage principal a sans aucun doute contribué à la diffusion du déonomastique. 100 2. Le déonomastique de prénom-: délimitation de l’objet d’étude de famille ou à un sobriquet : nach Adam Riese 278 (‘si j’ai bien compté’), Alexander Lucas / Alexandre Lucas 279 (‘variété de poire’), Hans Guck-in-die- Luft 280 (‘tête en l’air, étourdi’), Charles le Chauve 281 (‘pénis’), jean-de-nivelle 282 (‘sot, niais, lâche’), jean-ridoux 283 (‘badin, niais ; homme inspirant le mépris, sournois, taciturne’). Rentrent dans cette catégorie également les noms des nombreuses variétés de fleurs baptisées en hommage à des célébrités, telles que la tulipe Bettina Wulff , la rose Heidi Klum ou le lys Lily Allen . (2) Les items relevant du type Bernhardiner / saint-bernard résultent de la déonymisation de noms propres issus d’un prénom, tels que • les noms de famille 284 : il s’agit essentiellement de noms d’inventeurs désignant, par métonymie, l’invention ou la découverte. Pour l’allemand, nous renvoyons à Ottomotor , un moteur à essence nommé ainsi en hommage à son inventeur Nikolaus August Otto (1832-1891), pour le français à jacquard , nom du premier métier à tisser semi-automatique mis au point par Joseph-Marie Jacquard (1752-1834) et qui désigne également le tissu fabriqué sur ce métier et le tricot à dessins géométriques obtenu par le même procédé. Un exemple commun aux deux langues est Pascal / pascal , l’unité de pression nommée d’après le physicien et philosophe Blaise Pascal (1623-1662) 285 . Le nom de famille a été suffixé dans charlière , désignant un ballon à gaz inventé par Jacques Charles (1746-1823), concurrent des frères Montgolfier, et louison / louisette (‘guillotine’), en référence au docteur Antoine Louis (1723-1792), concepteur de ce qui sera appelé plus tard guillotine et dont la paternité reviendra à son rival, le docteur Guillotin 286 (cf. n yrop 1913 : 380). 278 À propos de cette locution, nous renvoyons aux explications données plus haut (n. 197). 279 Du nom du Français Alexandre Lucas qui découvrit cette variété vers 1870 (K03). 280 Du nom d’un personnage dans le Struwwelpeter de Hoffmann (1845). 281 Du surnom de Charles II (823-877), le qualificatif chauve faisant allusion au gland décalotté (CR91). 282 Du nom de Jean de Nivelle (1422-1477), connu pour avoir refusé de combattre aux côtés du roi Louis XI (K ölBel 1907 : 94). 283 Du nom de Jean Ridoux, marguillier de Saint-Cloud (LIT). 284 Sur les noms de famille issus de prénoms ou de noms de baptême, nous renvoyons pour l’allemand à s chWArz (1949 : 74-91), K unze (2002 : 73-83), à g ottschAld (2006 : 47 sq.), à la monographie de d räger (2013) sur les noms de famille issus du prénom Nikolaus et au 6 e volume du Deutscher Familiennamenatlas (K unze & n üBling 2017), pour le français à d AuzAt (1925 : 81-85, 1945 : 60-129) et m ulon (1994 : 40 sq.). 285 Son nom, en français, a désigné également le billet de 500 francs à son effigie. 286 Nom de famille issu de guillot , diminutif désuet du prénom Guillaume (c90). 2.3. Les types d’items moins prototypiques 101 • les toponymes issus de noms de saints : on relèvera l’oronyme col du Grand- Saint-Bernard ( Der Große Sankt Bernhard ), du nom de Bernard de Menton, fondateur d’hospices en montagne, qui a donné lieu au dérivé allemand Bernhardiner et à saint-bernard , désignant une race de chiens dressés initialement sur place pour porter assistance aux gens en montagne, ainsi que les nombreux toponymes à l’origine des noms de spécialités culinaires, au rang desquelles les fromages occupent une place de choix 287 ( saint-benoît [Loiret], saint-félicien [Dauphiné et Ardèche 288 ], saint-florentin [Bourgogne], saint-marcellin 289 [Isère], saint-paulin [nord ; initialement Québec]), devançant largement les vins ( saint-émilion 290 ), les pâtisseries ( saint-honoré 291 ) et les crustacés ( Jakobsmuschel / coquille Saint-Jacques 292 ). • les noms de marques ou d’entreprises 293 : parmi ceux formés directement à partir d’un prénom, nous relevons Mercedes , du surnom de la fille d’Emil Jellinek (1853-1918), fondateur de la marque automobile allemande en 1902, et marcel (‘maillot de corps masculin, débardeur’), qui doit son nom aux Établissements Marcel fondés au XIX e siècle par un certain Marcel Eisenberg. Pour les autres, le chemin qui mène du prénom au nom commun comprend une étape supplémentaire, celle du nom de famille : prénom > nom de famille > nom de marque et / ou d’entreprise > déonomastique. Nous relevons les exemples suivants : Martin-Horn / Martinshorn (‘sirène des véhicules de police et des pompiers’), du nom de l’entreprise Deutsche Signal-Instrumenten-Fabrik Max B. Martin KG , elle-même baptisée d’après son fondateur Max B. Martin, micheline (‘voiture automotrice ferroviaire’), 287 Pour plus d’informations sur les noms de fromage, nous renvoyons à un dictionnaire spécialisé consultable en ligne à l’adresse suivante : www.fromag.com/ dicos.html. 288 Le saint-félicien dauphinois tient son nom de la place sur laquelle était installé le fromager à l’origine de sa fabrication, le saint-félicien ardéchois du nom d’un village (Wikipédia). 289 Du nom d’un bourg baptisé par saint Marcellin, premier évêque d’Embrun (www.saintmarcellin.fr ; 30. 6. 2015). 290 Le nom du vignoble est celui de la commune voisine, baptisée d’après un moine breton du VIII e siècle (www.vignobledebordeaux.fr ; 26. 12. 2015). 291 Le nom de ce gâteau garni de crème Chantilly et de petits choux glacés au sucre serait issu de l’hodonyme rue Saint-Honoré à Paris où se trouvait la pâtisserie où la recette fut inventée au milieu du XIX e siècle (PR). Il est toutefois également possible que ce nom lui vienne directement de saint Honoré, patron des boulangers (TLFi). 292 En référence aux coquillages portés par les pèlerins de St-Jacques-de-Compostelle (TLFi). 293 Parmi les exemples qui suivent, certains fonctionnent aussi bien comme noms communs, désignant une sous-catégorie d’objets (ex. ein Mercedes / une Mercédès ), que comme noms (propres) de marque ou d’entreprise. On trouvera plus d’informations sur l’emploi de prénoms dans les noms de marques chez K oss (1976 : 412 sqq.) et r onneBerger -s iBold & W Ahl (à par.). 102 2. Le déonomastique de prénom-: délimitation de l’objet d’étude suffixé à partir du nom de la firme du constructeur André Michelin 294 (1853-1931), et roberts (‘seins’ ; familier), du nom de famille d’Édouard Robert qui commercialisa à la fin du XIX e siècle les « biberons Robert », les premiers pourvus d’une tétine en plastique dont la forme était fortement suggestive. Les items issus du nom de quelques jours de fête constituent un cas à part. S’ils sont bien issus d’un nom propre (l’hagionyme), le statut onymique de ces noms de jours de fête est controversé (cf. n üBling 2004 : 835 sqq.). Cela rend délicate la question de savoir si la déonymisation a concerné l’hagionyme ou le nom du jour du calendrier liturgique qui lui est consacré. Outre les composés du type Johannisbeere (cf. p. 91), cette catégorie comprend le dérivé Kath(a)rinchen , désignant une sorte de pain d’épices qu’on commence à préparer à la Sainte- Catherine (25 novembre), et valentin pour un homme choisi comme amoureux par une jeune fille lors de la Saint-Valentin (14 février). 2.3.5. Les personnifications et les allégories Les types de personnification dont il est question ici dépassent l’humanisation inhérente à l’emploi du prénom pour désigner un animé non humain ou un artefact ( Heinz ‘tire-bottes’, matz ‘moineau’, martin 1. ‘âne, baudet’, 2. ‘lourde plaque de pierre’). De nombreux items sont issus de ce qu’on pourrait appeler des noms fictifs, constitués d’un prénom populaire qui renvoie à un groupe de personnes indéfinies ( Lieschen , Jan , Hans , etc.) et d’un élément faisant office de sobriquet ou de nom de famille. Ces expressions souvent plaisantes (« Scherznamen » ; f leischer 1982 : 104) désignent 295 : • des individus lambda, « Monsieur et Madame Tout-le-monde » : Otto Normalverbraucher , Lieschen Müller ; • des groupes sociaux : Jan Hagel 296 (‘bas peuple, plèbe’), Jacques Bonhomme et jean guêtré (‘paysan’) ; • des professions : Jan Maat et jean-(le-)gouin (‘matelot, marin’), jean-raisin (‘vigneron’), jean-cadavre (‘exécuteur des hautes œuvres, bourreau’) ; 294 Nom de famille issu du diminutif de Michel (g93). 295 Les variantes graphiques sont ici nombreuses. Elles sont dues essentiellement, pour l’allemand, à la fusion graphique des éléments pour les items étant ou ayant été fréquemment employés ( Hans Narr > Hansnarr , Jan Maat > Janmaat , Jan Hagel > Janhagel , Hans Wurst > Hanswurst , avec flottement de l’accentuation pour Hans ‘ Narr > ‘ Hansnarr ou Hans ‘ narr ), pour le français au flottement dans l’emploi de la majuscule et du trait d’union entre les deux éléments, voire au sein du second élément lorsque celui-ci est complexe ( marie-bonbec / bon-Bec ). 296 L’emploi du mot Hagel dans cette expression est expliqué plus loin (p. 173). 2.3. Les types d’items moins prototypiques 103 • des types de personnes se distinguant par un trait de caractère particulier : Hans Dampf (in allen Gassen) (‘touche-à-tout’), Hans Hasenfuß (‘poltron, lâche’), Hans Liederlich (‘homme débauché, bohémien’), Hans Narr (‘bouffon, pitre’), Hans Nimmersatt (‘goinfre’), Hans Ohnesorg(e) (‘homme sans souci’), Hans Taps (‘homme maladroit’), Hans Unvernunft / Unverstand (‘homme déraisonnable’), Hans Wurst (‘personne qu’on ne peut pas prendre au sérieux ou qui fait le pitre’) ; Jacques Deslosge(s) / Déloge dans les expressions désuètes faire Jacques Desloges et prendre Jacques Déloge pour (son) procureur (‘s’enfuir d’un logement, s’évader, déménager’), Roger-Bontemps (‘bon vivant, homme jovial et peu enclin aux conflits’), marie-berdasse (‘femme volubile, commère brouillonne qui parle à tort et à travers’), marie-bonbec (‘femme bavarde ; cancanière, commère’), marie-graillon / souillon / torchon (‘femme sale, à l’allure négligée’), marie-jambes-en-l’air (‘femme de mauvaises mœurs’), etc. Le sobriquet ou pseudo-nom de famille précise le type de référents à l’aide d’éléments caractérisants : Bonhomme renvoie à l’idée de simplicité, Bontemps à celle de jouissance, Desloge(s) / Déloge à celle du déménagement, etc. 297 . Dans le cas de Lieschen Müller , le nom de famille répandu Müller vient renforcer le trait ‘moyen, lambda’ véhiculé par le prénom 298 . On constate que plusieurs éléments caractérisants, dont Taps , Maat , Hasenfuß , berdasse , bonbec et souillon , désignent à eux seuls le type d’individus et sont antérieurs au nom fictif, le prénom servant dans ce cas à personnifier la qualité désignée. La seule présence d’éléments caractérisants, similaires du point de vue fonctionnel aux membres déterminants de composés (du type Heulliese , Nörgelpeter ) et aux adjectifs épithètes dans les locutions ( dummer August , faule Trine ), nous amène à considérer ces dénominations comme non prototypiques. En revanche, il existe toute une série de formations se situant à un degré inférieur sur l’échelle de prototypicalité en raison de leur statut ambivalent. Bien que pourvues, comme les noms communs, d’une signification lexicale, elles s’apparentent aux noms propres par l’absence fréquente de déterminant 299 et de marques flexionnelles et, dans le cas du français, par la présence de la majuscule initiale. C’est le cas des items précédents Lieschen Müller (24) et Otto Normalverbraucher (25), 297 Ces noms sont en cela comparables à ceux dont traite l’onomastique littéraire, exploités pour les associations qu’ils véhiculent (cf. B Audelle 2005, l eroy 2004 : 100 sqq.). 298 Le personnage incarné par Sonja Ziemann dans le film Der Traum von Lieschen Müller (1961) a sans doute contribué à diffuser cet emploi. 299 Quelques emplois particularisants sont toutefois attestés : « Erna ist (so) ein typisches Lieschen Müller » (h ArWeg 1998 : 582). - « Ich bin ein deutscher Michel und sage alles gerade heraus, wie ich es meine! » ( Nürnberger Zeitung 2012 ; DeReKo). - « Von der Bundesregierung sind zum Teil Gesetze und Regeln entworfen worden, wo ein Otto Normalverbraucher kaum durchblickt. » ( Rhein-Zeitung 2014 ; DeReKo). 104 2. Le déonomastique de prénom-: délimitation de l’objet d’étude Jan Hagel (26), Kleinhans (27) et Jacques Bonhomme (28), qui renvoient tous à des types ou, plus justement, à des stéréotypes de personnes : (24) Jeder Liebesbriefschreiber sollte sich selber treu bleiben und nicht versuchen, grosse Autoren zu imitieren. Wenn Lieschen Müller ihrem geliebten Hans plötzlich Liebesbriefe wie Goethe schreibt, kann es peinlich werden. ( St. Galler Tagblatt 1999 ; DeReKo) (25) Gedankenlos entsorgt Otto Normalverbraucher seinen Abfall in die Tonne, stellt diese vor die Tür, sie wird geleert. ( Braunschweiger Zeitung 2006 ; DeReKo) (26) Der geringste Wink ist für Jan Hagel oft genug; sie schleppten den Advokaten zum Trog, und ehe er zwey Worte zu sagen vermochte, schlug schon das Wasser über ihn [sic] zusammen. ( Morgenblatt für gebildete Stände , 1821) (27) der thurm, sprach wir, ist unser schilt, / den wirstu nicht umbstoszen, / lauf gleich mit aller macht daran, / mit klein hans und dem groszen. (Soltau, landsknechtlied von der belagerung der Stadt Leipzig 1547 , 1856 ; DW ) (28) Cessez, cessez, gendarmes et piétons, / De pilloter et manger le bon homme / Qui de longtemps Jacqu’ Bon-Homme se nomme, / Duquel blés, vins, et vivres achetons. (de Collerye, Cessez, cessez, gendarmes et piétons , XV e - XVI e siècle ; poesie.webnet.fr) Ajoutons à cette liste Baptiste / Baptisse (‘Canadien francophone ; contribuable canadien’ ; 29) ainsi que les locutions Hinz und Kunz (30) et Pierre, Paul, Jacques (au Canada francophone Pierre, Jean, Jacques ; 31-32), un peu à part dans la mesure où leur signification très vague (‘n’importe qui, tout un chacun’) ne permet pas l’activation mentale d’un type précis. Leur comportement syntaxique est néanmoins similaire à celui des noms propres 300 : (29) Le gouvernement vient d’augmenter les taxes : paye, Baptisse ! ( Canada 1930 ; TLF i) (30) Bei Wikipedia, wo man sonst auch schon einmal Informationen über Hinz und Kunz finden kann, gibt es bislang keinen Eintrag über den 39-Jährigen, dessen Nachname „Wrabeck“ ausgesprochen wird. ( Hamburger Morgenpost 2013 ; DeReKo) (31) [Il a] salué des gens à sa descente du train, y compris les employés de la gare de Rochefort, discuté avec Pierre, Paul, Jacques pour bien marquer qu’il revenait de Paname. (San-Antonio, Les huîtres me font bâiller , 1995 ; GB ) 300 s chnedecKer (2011 : 38, 51 sqq.) fait remarquer que ces locutions sont, du point de vue sémantique et syntaxique, identiques à des pronoms de type n’importe qui. 2.3. Les types d’items moins prototypiques 105 (32) Mon réalisateur, Pierre Charrette, se chargeait de lire les lettres et d’appeler Pierre, Jean, Jacques pour essayer de trouver un terrain d’entente entre notre correspondant et le commerce dont il se disait la victime. (Duval, De Gilbert Bécaud à Enzo Ferrari , 2007 ; GB ) L’ambivalence s’observe enfin dans le cas de l’allégorie sous forme iconographique, celle-ci leur conférant le degré maximal de personnification. On parle de représentation allégorique au sens étroit lorsqu’un désigné abstrait prend les traits d’un personnage auquel on associe des attributs symboliques : Freund / Bruder / Gevatter Hein (ou Hain), symbolisant la mort, est représenté par un squelette muni d’une faux (33), Anastasie, pour la censure, prend quant à elle les traits d’une vieille femme, portant une chouette et munie d’une paire de ciseaux gigantesques aux allures de tenailles (34) 301 : (33) Freund / Bruder Hein (Hain) (in : Der Wandsbecker Bothe 1775) On peut ranger également dans cette catégorie les items qui renvoient à des personnages symbolisant des nations, tels que der deutsche Michel , élevé au XIX e siècle au rang d’allégorie nationale (« nationale Allegorie im 19. Jahrhundert » ; r ihA 1999 : 146) et représenté sous les traits d’un paysan affublé d’un bonnet de nuit (35), ou Marianne , incarnant la République française et reconnaissable à son bonnet phrygien (36) : 301 Ces images, entrées dans le domaine public, sont extraites de la Toile. Il va de soi que les représentations varient en fonction de l’époque, de l’artiste et du message véhiculé par le dessin ou la caricature. (34) (tante / dame) Anastasie (dessin de André Gill, 1874) 106 2. Le déonomastique de prénom-: délimitation de l’objet d’étude (35) der deutsche Michel Citons également le cas de Bruder / frère Jonathan (37) et John Bull (38), symboles de l’Angleterre, ainsi que Onkel / oncle Sam (39), désignant le gouvernement, et par extension, le peuple américain : (37) Bruder / frère Jonathan (38) John Bull (36) Marianne 2.3. Les types d’items moins prototypiques 107 (39) Onkel / oncle Sam De la même manière que les exemples (24) à (32), les items que nous venons de voir se comportent comme des noms propres sur le plan syntaxique, du moins tant que subsiste le lien mémoriel avec le porteur ou, plus exactement, avec sa représentation : (33’) Die Suche ist noch tagelang weiter gegangen und schließlich eingestellt worden. Niemand zweifelte mehr an ihrem Tod. Aber in dieser Zeit, in der „Bruder Hein“ fast in jedem Haus Einzug hielt, kümmerte man sich nicht allzu lange um den Tod eines Mädchens von 16 Jahren und ging zur Tagesordnung über, die immer trüber wurde, je länger der Krieg dauerte (Charlott, Ein altes Foto , 2011 ; GB ) (34’) Dame « Anastasie » sévit terriblement au Japon. ( L’opinion 1909 ; GB ) En dehors de ces opérations de raccourcissement, il arrive que certains articles aient encore à subir quelques menus arrangements de détail afin d’être présentables à tante Anastasie. (Bellanger & Debouzy, La presse des barbelés , 1951 ; GB ) Anastasie sévit en Suisse (edito-online.ch/ …/ ; 19. 3. 2015) (35’) Bettet man Perversion in einen verwaltungstechnischen Akt, gewinnt er beim deutschen Michel automatisch und rasant an Akzeptanz. (Burger, Doggennetz.de-Satiren 1 , 2014 ; GB ) (36’) Marianne n’a pas de race, pas de couleur et aujourd’hui, Madame la députée, Marianne, vous l’avez incarnée (Manuels Valls devant l’Assemblée Nationale, 30. 9. 2015) 108 2. Le déonomastique de prénom-: délimitation de l’objet d’étude (37’) Unter den Papieren Huskissons fand sich von seiner Hand geschrieben (38’) folgendes Zwiegespräch zwischen John Bull und seinem Bruder Jonathan ( Das Ausland, ein Tagblatt für Kunde des geistigen und sittlichen Lebens der Völker mit besonderer Rücksicht auf verwandte Erscheinungen in Deutschland , 1831 ; GB ) Donc un groing pour l’Angleterre ! Si je n’admire pas John Bull, j’admirerai donc frère Jonathan ? Je goûte peu ce frère à esclaves. (Hugo, Les Misérables , 1862 ; F) (39’) Sechs lange Monate hat es gedauert, bis es dem guten Bernie endlich gedämmert hat, dass er für Onkel Sam arbeitet und nicht für die Sowjets. (Carré, Absolute Freunde , 2013 ; GB ) « Vous savez ce que c’est, le Benelux ? ça n’est pas exactement trois fantoches tenus en laisse par l’Oncle Sam, non ? » (Thorez, Les enfants modèles , 1982 ; F) 2.3.6. Les emprunts Les exemples (37) à (39) relèvent également du dernier type de déonomastiques non prototypiques, celui des emprunts. Il s’agit là d’une catégorie à part, la déonymisation s’étant produite dans la langue donneuse, l’anglais pour Bobby / bobby (‘policier anglais, surtout londonien’), l’italien pour ( Pizza / pizza ) Margherita , l’espagnol pour véronique (‘passe exécutée par le toréro’), ou dans une langue tierce, comme dans le cas du fr. nickel (‘métal blanc’), emprunt à l’allemand d’origine suédoise. 2.4. Les cas en marge de la catégorie Nous écartons de notre étude un certain nombre d’items qui, bien qu’étant pertinents pour l’étude du phénomène de déonymisation en général, ne sont pas issus d’un prénom (2.4.1, 2.4.2) ou ne fonctionnent pas comme nom commun (2.4.3, 2.4.4). Ils ne satisfont donc pas à l’une ou l’autre des deux conditions nécessaires pour appartenir à la classe des déonomastiques de prénoms. 2.4. Les cas en marge de la catégorie 109 2.4.1. Les déonomastiques antérieurs à l’époque considérée Ces items, résultant de l’appellativisation de noms du vieux-haut-allemand, sont attestés avant l’implantation des noms de famille et n’entrent pas, de ce fait, dans le cadre temporel de notre étude 302 . Il s’agit essentiellement de noms de plantes en vieux-haut-allemand tels que bertram (‘pyrèthre d’Afrique’), gundram (‘lierre terrestre’), maldeger (‘gentiane croisette’) et ysenhard (‘verveine’ ; cf. h ornBruch 1996 : 106 sqq.). 2.4.2. Les items issus de noms ‘païens’-: le type Adonis / adonis et Krösus / Crésus En raison de la tradition chrétienne qui veillait à ce que le nouveau-né reçoive le nom d’un saint (cf. n ied 1924 : 24), ces anthroponymes n’ont eu que peu d’impact sur le stock des prénoms de l’allemand et du français. Il s’agit notamment - de noms de personnages mythologiques : Adonis / adonis et Apollo / apollon (‘homme d’une grande beauté’), Argus / argus (‘surveillant vigilant’ ; aussi dans mit Argusaugen beobachten ; en fr. également dans le sens de ‘publication qui fournit des renseignements spécialisés’), Herkules / hercule (‘homme d’une force physique exceptionnelle’), Narziss / narcisse (‘homme qui s’admire’), Venus / vénus (‘femme d’une grande beauté’), Achilles / achille 303 dans Achillesferse / talon d’Achille , Damokles dans ein Damoklesschwert über sich hängen haben / avoir une épée de Damoclès au-dessus de la tête et Kassandra / Cassandre dans Kassandraruf et jouer les Cassandre ; - de noms de personnages bibliques ou de l’histoire antique : Judas / judas (‘traître’ ; en fr. également dans le sens de ‘petite ouverture pour épier sans être vu’), ein Krösus sein / être riche comme Crésus , alt wie Methusalem / être vieux comme Mathusalem , Xanthippe / Megäre et mégère (‘femme acariâtre et méchante’) ; - de noms de personnages de fiction : Aschenputtel / cendrillon (‘jeune fille qui doit assurer les travaux pénibles du foyer’), Figaro / figaro (‘coiffeur’), Tartüff / tartuf(f)e (‘homme hypocrite’), gargantua (‘gros mangeur’) et harpagon (‘avare’). 302 Nous n’avons pas trouvé d’exemples convaincants pour l’ancien français. Nous renvoyons à ce sujet à s chultz (1894). 303 Achilles connut un certain succès comme prénom dans les cercles humanistes allemands à la Renaissance (cf. s eiBicKe 2008 : 135 sq., h ArtWeg & W egerA 2005 : 111). 110 2. Le déonomastique de prénom-: délimitation de l’objet d’étude 2.4.3. Les items ne relevant pas de la classe des noms communs Nous relevons tout d’abord les déonomastiques adjectivaux ( isabellfarben / isabelle ‘gris-jaune’ 304 , marianisch / marial ‘relatif à la Vierge Marie’, viktorianisch / victorien 1. ‘relatif à la reine Victoria, à son règne’, 2. ‘réserve excessive, puritanisme allant jusqu’à la pudibonderie’, etc.) et ceux fonctionnant comme interjections ([ ach ] du liebes Lieschen! , [Jesus,] Maria und Josef! , Jesses Maria! , Herrje! , Herrjemine! , Oje(mine)! 305 ; putain d’Adèle , doux Jésus ! , Jésus Marie [Joseph] ! , etc.) 306 . S’ajoutent à cette liste les nombreux noms propres issus d’un prénom : noms de lieux et de sites naturels ( Alex , sobriquet de Alexanderplatz , Lange Anna , rocher à Helgoland, Blanker Hans , nom poétique de la Mer du Nord dans la tempête, sans doute en raison de la couleur de l’écume), de tours et bâtiments ( Langer Eugen , bâtiment hébergeant plusieurs organisations des Nations Unies à Bonn, Dorotheum , prestigieuse salle des ventes de Vienne que les habitants appellent également Tante Dorothee ), de cloches ( Dicke Susanne de la cathédrale de Magdebourg), de statues ( Goldelse , sobriquet populaire de la Victoire sur la colonne du même nom à Berlin) ou encore de lois ou d’ordonnances ; ainsi, l’ordonnance de Villers-Cotterêts (1539) s’est longtemps appelée Guillemine ou Guilelmine , du nom de son auteur, le chancelier Guillaume Poyet (1473-1548). Nous rangeons dans cette catégorie les noms de marques et d’entreprises à l’origine des items cités plus haut (p. 101). Les suffixes issus du second membre de noms germaniques tels que - bald / -bold ( Grimbald , Winibold ) et - hart / -ert ( Bernhart , Gerhart ) et qui entrent dans la formation de noms désignant des personnes ( Raufbold , Witzbold ; Bankert ) constituent un cas à part 307 . En effet, nous ne sommes pas en présence d’un prénom passant à la catégorie du nom commun mais d’un élément onomastique non autonome qui a accédé au statut de morphème. 304 L’emploi du prénom est expliqué plus haut, n. 172. 305 Les formes en je , rendant le nom de Jésus moins reconnaissable, sont initialement euphémiques (K02). 306 Il convient de distinguer ces items des adjectifs ou des verbes formés à partir de déonomastiques nominaux et qui renseignent sur le degré d’intégration de l’item dans le lexique (cf. 2.2.3). 307 Cf. à ce sujet r einius (1903 : 136 sqq.), B Ach (1952 : 326 sq.), h enzen (1965 : 169), g reule (1996 : 1186), h ornBruch (1996 : 90 sqq.) et f leischer & B Arz (2012 : 253). Notons également que certains noms de famille fonctionnent comme suffixes dans des mots désignant des personnes de sexe masculin : Berger > Drückeberger , Schlauberger ; Huber > Grantlhuber (‘homme grognon’), Gschaftlhuber (‘homme qui fait l’important’ ; A04) ; Meier > Kraftmeier , Schlaumeier , Schwindelmeier. 2.4. Les cas en marge de la catégorie 111 2.4.4. Les expressions du type Danke, Anke! et Tu parles, Charles-! Dans les actes de langage figés tels que Danke, Anke ; Bitte, Brigitte / Gitte ; Is gut, Knut ; Bis später, Peter ; Sei still, Till ; Allons-y, Alonzo ; À l’aise, Blaise ; Tu parles, Charles 308 ; À la tienne, Étienne ; Dans le cul, Lulu ; Relax, Max ; Cool, Raoul ; C’est la fin, Séraphin 309 , le prénom est dénué de signification lexicale, ce qui l’exclut de la catégorie des noms communs. Qui plus est, il n’a pas de rôle sémantique dans l’expression, à la différence des locutions du type ne connaître qqn ni d’Ève ni d’Adam , son unique fonction étant de créer une « assonance récréative » (g illet 2013 : 6) et de prolonger une brève séquence qui peut fonctionner de manière autonome. Les expressions telles que Pas de ça, Lisette , Chauffe, Marcel et En voiture, Simone 310 , bien que dénuées d’effet sonore, n’en atteignent pas moins le même objectif communicatif que les précédentes : Ces formules en apparence anodines, sinon gratuites, jaillissent, mine de rien, au hasard de la conversation et sollicitent sans détour l’attention d’autrui, avec cette sorte d’impertinence respectueuse que seul l’humour autorise. (t reps 1994 : 14) 311 308 Cf. l’entrée consacrée à Tu parles ! dans le petit dictionnaire permanent des actes de langage stéréotypés (m étrich 2012). 309 150 expressions françaises de ce type sont réunies dans le petit fascicule de t reps (1994), 50 dans celui de B runet (2012). Ce type de tournures n’est pas récent, en témoigne l’expression attestée chez o udin (1640) Tu dis vray Jacquet , visant à se moquer de ce qu’un autre dit. 310 Comme le fait remarquer g eorge (2002 : 42), ces expressions n’ont souvent pas d’explications satisfaisantes. Dans la dernière tournure, la Simone en question est Simone-Louise de Pinet de Borde (1910-2004), célèbre pour avoir participé à de nombreux rallyes automobiles, un univers très masculin. Elle fut aussi l’une des premières femmes à ouvrir une auto-école dans les années 1950 (T08). La suite de l’expression c’est moi qui conduis, c’est toi qui klaxonnes ! aurait été ajoutée pour les besoins de la rime (B12). 311 Nous rangeons sous cette catégorie les expressions humoristiques issues de citations de films, de slogans publicitaires ou de répliques diverses : Lauf, Forrest, Lauf / Cours , Forrest (incitation à s’enfuir ; film Forrest Gump , 1994), O du lieber Augustin (réaction à la perte de qqch d’important ; chanson viennoise de la fin du XVII e siècle), C’est le jeu, ma pauv’ Lucette ! (exhorte à la résignation ; publicité pour le loto), Tout à fait, Thierry ! (approbation ; allusion au tic verbal du commentateur sportif Jean-Michel Larqué s’adressant à Thierry Roland), etc. 112 3. Aspects sémantiques 3. Aspects sémantiques Cette partie porte sur trois aspects de la signification des déonomastiques de prénoms. Après avoir retracé les principaux chemins qui mènent du prénom au nom commun (3.2), nous proposerons une classification sémantique des items qui mettra en évidence les principaux domaines concernés par l’appellativisation du prénom et les évolutions sémantiques les plus fréquemment observées (3.3). Pour l’analyse de ces aspects, nous n’avons pas retenu exactement les mêmes données. L’examen des facteurs d’appellativisation tiendra compte uniquement des items que nous avons considérés comme prototypiques. En revanche, les items moins prototypiques que sont les mots complexes et locutions seront pris en considération dans la présentation des classes sémantiques. Cet élargissement du champ d’investigation nous permettra de mettre en lumière l’activité morphologique particulière de certains items prototypiques et de nourrir ainsi nos réflexions sur l’évolution du phénomène (chap. 4). Avant d’aborder ces points, nous tenons à rappeler quelques difficultés épistémologiques propres aux travaux consacrés aux changements sémantiques. Dans le cadre de nos réflexions, nous considérons tant le passage du prénom au nom commun que l’évolution sémantique des déonomastiques comme relevant au sens large du « changement sémantique ». 3.1. Difficultés épistémologiques-: de la nécessité de garde-fous L’histoire de l’évolution du nom de personne vers le nom commun reste pour l’essentiel, et malgré une série d’études précieuses sur le sujet, un livre rempli d’énigmes et de légendes étymologiques. 312 (h öfler 1968 : 89) Toute tentative de reconstituer les chemins menant du prénom au nom commun ou, pour reprendre la jolie formule de l eroy , « de retracer les destins éponymiques » (2004 : 102), soulève inévitablement la question des limites de notre 312 Traduit par nos soins, texte original : « Die Geschichte der Entwicklung vom Personennamen zum Appellativum ist trotz einer Reihe wertvoller Arbeiten noch heute weitgehend ein Buch der Rätsel und etymologischen Legenden. » 3.1. Difficultés épistémologiques-: de la nécessité de garde-fous 113 savoir. Plutôt que de revenir sur les difficultés liées au manque de fiabilité de certaines sources et aux lacunes inhérentes aux données dictionnairiques (cf. p. 9), nous nous concentrerons sur quelques a priori épistémologiques qui doivent inciter à la prudence. 3.1.1. La notion de (mono)causalité Il convient tout d’abord de s’interroger sur la valeur heuristique de la question lancinante qui se pose dès lors qu’on s’intéresse à l’appellativisation du prénom, celle du (ou des) pourquoi : pourquoi tel prénom a-t-il donné lieu à telle signification ? Pourquoi le passage du prénom au nom commun s’est-il produit à telle époque plutôt qu’à une autre ? Pourquoi un phénomène similaire est-il observable dans l’autre langue et, dans le cas contraire, … pourquoi ne l’est-il pas ? Nous sommes réticent à l’idée de recourir à la notion de causalité pour expliquer les changements sémantiques, cette notion suggérant l’existence de « lois sémantiques » en vertu desquelles des phénomènes (les causes) produiraient, dans les mêmes conditions ou circonstances, les mêmes effets. Si de nombreux chercheurs de la fin du XIX e et du début du XX e siècle ont pu adhérer à cette conception, c’est qu’ils souhaitaient « étudier la logique des changements sémantiques en elle-même et pour elle-même » (n erlich 1993 : 8), faisant ainsi peu de cas du sujet parlant 313 . Celui-ci sera progressivement mis au centre des études de sémantique historique suite aux réflexions de p Aul (1975 [1880]), qui distingue signification ‘usuelle’ et ‘occasionnelle’, et de W ittgenstein (1977 [1953]), qui corrèle la signification à l’usage et donc aux locuteurs 314 , et surtout 313 Ainsi, pour le psychologue W undt , le changement sémantique doit se concevoir, ‘tout comme le changement phonétique, comme soumis à une loi stricte bien qu’elle soit, dans bien des cas, difficile à découvrir en raison de l’existence simultanée de causes diverses et d’origines différentes.’ (Traduit par nos soins, texte original : « [Vielmehr ist principiell von […] der Forderung [auszugehen], dass der Bedeutungswandel], ebenso wie der Lautwandel, überall einer strengen Gesetzmäßigkeit unterworfen sei, deren Erkenntnis nur in vielen Fällen durch die Concurrenz mannigfacher Ursachen verschiedenen Ursprungs erschwert ist. » ; W undt 1900 : 437). B réAl , bien qu’il critique la stricte analogie entre lois phonétiques et sémantiques (1897 : 6), pose lui aussi l’existence de lois qu’il conçoit comme « un rapport constant qui se laisse découvrir dans une série de phénomènes » (1897 : 11 ; soulignement VB). 314 ‘La possibilité, nous devons même dire la nécessité du changement sémantique s’explique par le fait que la signification d’un mot dans chacun de ses emplois ne recouvre pas nécessairement celle qui lui est attribuée en tant que telle par l’usage. Comme il est souhaitable d’avoir des termes pour désigner cet écart, nous opterons pour les expressions ‘signification usuelle’ et ‘occasionnelle’.’ (Traduit par nos soins, texte original : « Die Möglichkeit, wir müssen auch sagen die Notwendigkeit des Bedeutungswandels hat ihren Grund darin, dass die Bedeutung, welche ein Wort bei der jedesmaligen Anwendung hat, sich mit derjenigen nicht zu decken braucht, die ihm an und für sich dem 114 3. Aspects sémantiques au tournant pragmatique et à la prise de conscience de son apport essentiel à la compréhension du changement sémantique (cf. notamment f ritz 1974, B usse 1986 : 53, B urKhArdt 1991 : 9 sqq.). Dans un article au titre déroutant Le changement linguistique n’existe pas , c oseriu (1992) notait fort justement que c’est « l’homme en tant que sujet créateur » qui est l’unique cause du changement. K eller (2003) va plus loin en montrant que la langue n’est ni un organisme vivant ni un artefact mais un phénomène de troisième type, qu’il définit comme la ‘conséquence causale d’une multitude d’actions intentionnelles de la part d’individus qui poursuivent des objectifs au moins en partie similaires’ 315 . Les changements linguistiques n’obéissent pas à des principes organiques ou physiques, ils résultent de l’adoption par les locuteurs d’une innovation répondant à certains besoins communicatifs (cf. f ritz 1998 : 869, K eller 2003 : 30 sq., 125). Or, ces besoins peuvent varier selon les individus et les époques : […] le changement linguistique est innovation et adoption ; et un changement linguistique dans la langue d’une communauté est une série de très nombreux actes individuels d’adoption, c’est-à-dire que le changement est repris, effectué à nouveau, par chaque individu qui adopte une innovation. Or, on ne peut pas supposer que la motivation de l’innovation et de l’adoption soit nécessairement la même, ni qu’une motivation identique reste valable pour toutes les adoptions au cours de la propagation d’un changement. (c oseriu 1992 : 17) Ces remarques infirment l’hypothèse de l’existence d’une cause unique des changements sémantiques. Pour reprendre un exemple bien connu dans le domaine des déonomastiques de prénoms : la madeleine ne porte pas son nom parce que la cuisinière à qui on en attribue la recette portait ce prénom, mais parce que les locuteurs ont massivement adopté cette désignation. Pourquoi l’ont-ils fait ? Sans doute parce qu’elle correspondait à certaines normes langagières, comme l’emploi du nom de l’inventeur pour désigner son invention et le fait de nommer les gens de maison par leur prénom plutôt que par leur nom de famille (cf. l öffler 1996 : 1299), peut-être aussi en raison d’associations véhiculées par le prénom telle que la douceur ou la rondeur. Usus nach zukommt. Da es wünschenswert ist für diese Diskrepanz bestimmte Bezeichnungen zu haben, so wollen wir uns der Ausdrücke usuelle und okkasionelle Bedeutung bedienen. » ; p Aul 1975 [1880] : 75). - ‘La signification d’un mot est son emploi dans le langage’ (Traduit par d Astur et al. 2004, texte original : « Die Bedeutung eines Wortes ist sein Gebrauch in der Sprache » ; W ittgenstein 1977 [1953] : § 43). 315 Traduit par nos soins, texte original : « Ein Phänomen der dritten Art ist die kausale Konsequenz einer Vielzahl individueller intentionaler Handlungen, die mindestens partiell ähnlichen Intentionen dienen. » (K eller 2003 : 93). 3.1. Difficultés épistémologiques-: de la nécessité de garde-fous 115 3.1.2. Les limites de l’explication et les charmes de l’anecdote Les motivations à l’origine des innovations lexicales et de leur diffusion étant souvent inaccessibles à l’observateur contemporain, la recherche des causes ultimes du changement sémantique reste une entreprise bien vaine. Comme le notait K ölBel dès le début du XX e siècle au sujet des déonomastiques : On ne peut rendre compte que de manière imparfaite de la quantité de causes psychologiques et des circonstances plus ou moins propices qui ont été à l’œuvre dans les changements sémantiques de ce type. C’est bien souvent au prix d’efforts considérables qu’on parvient à mettre au jour le réseau infiniment complexe de faits sousjacents et à exposer avec suffisamment de vraisemblance les raisons et les implications qui ont joué un rôle crucial dans l’emploi des noms propres comme noms communs. 316 Si l’on peut ainsi invoquer sans trop d’hésitation la popularité de certains prénoms pour expliquer l’émergence de telle ou telle signification, on est bien en peine de préciser ce qui a motivé, dans un cas précis, le choix d’un prénom plutôt que d’un autre. K lAges (1948) constate pour l’allemand : Personne ne saurait donner d’explication plausible au fait que […] c’est Fritz et non par exemple Franz qui a donné Bummelfritze et Trödelfritze, Peter et non Heinrich dans le cas de Miesepeter, ou pourquoi on dit faule Liese, dicke Bertha et dumme Grete et pas faule Dora, dicke Frieda, dumme Else (qui apparaît dans les contes et ailleurs plutôt comme la ‘kluge Else’, dénomination toutefois employée la plupart du temps de manière ironique). 317 De la même manière, n yrop notait au sujet des désignations des maris trompés en français : Si un mari trompé s’appelle un George Dandin [318] , l’origine de cet emploi est à chercher dans une célèbre comédie de Molière, dont le personnage principal, constamment 316 Traduit par nos soins, texte original : « Über die unübersehbare Fülle der psychologischen Ursachen und der mehr oder minder begünstigenden Umstände, die bei diesem Bedeutungswandel wirksam gewesen sind, kann man sich freilich nur unvollkommen Rechenschaft geben. Es bedarf öfter großer Mühe, um die unendlich verwickelten, nicht offenkundig zutage liegenden Zusammenhänge aufzuhellen und die Gründe und Rücksichten mit zureichender Wahrscheinlichkeit klar zu legen, die für die appellativische Verwendung der Namen entscheidend waren. » (K ölBel 1907 : 10). 317 Traduit par nos soins, texte original : « Niemand könnte es plausibel machen, warum […] Fritz und nicht z. B. Franz zum Bummelfritze und Trödelfritze, Peter und nicht Heinrich zum Miesepeter wurde oder weshalb es faule Liese, dicke Bertha, dumme Grete heisst und nicht etwa faule Dora, dicke Frieda, dumme Else (die im Märchen und auch sonst vielmehr als ‘kluge Else’, freilich meist ironisch gemeint, auftritt). » (K lAges 1948 : 112). 318 Les attestations de cette expression que nous avons trouvées semblent toutes relever d’un emploi non lexicalisé, raison pour laquelle nous ne l’avons pas retenue dans nos tableaux. 116 3. Aspects sémantiques trompé par sa femme, s’appelle George Dandin ; mais si d’autres appellent ou appelaient le pauvre cornard, si impitoyablement ridiculisé, un Jean ou un Jeannin , ni l’histoire ni la littérature ne nous donnent l’explication de ce sens particulier attaché à un prénom innocent. C’est le pur hasard qui semble avoir régné ici ; le mari trompé aurait pu s’appeler Pierre [319] aussi bien que Jean. On a choisi dans le tas, et on a pris un prénom très commun et très répandu, comme pour faire comprendre que la qualité à désigner était aussi répandue que le nom. (n yrop 1913 : 370) Sans aller jusqu’à parler de « pur hasard », nous sommes obligé d’admettre que les motivations qui ont pu guider le choix du prénom nous échappent en grande partie. On peut bien sûr supposer une motivation individuelle derrière chaque item et imaginer, à l’instar de s chultz (1894), qu’ un individu portant tel ou tel prénom se distinguait par telle ou telle caractéristique, qu’il a fait ou vécu telle ou telle chose, incitant dans un premier temps le cercle restreint de ses proches à former une expression avec son nom ou à l’employer comme nom commun, emploi qui, dans un second temps, a gagné des cercles plus larges. 320 Une illustration de ce type d’explication anecdotique se trouve dans le dictionnaire de l’homosexualité de s Kinner (1999) qui reproduit la note d’un lecteur révélant l’origine de l’emploi du prénom féminin Else pour désigner un homosexuel 321 : Un ami homosexuel a l’habitude d’appeler les homosexuels les « Else ». Une expression qui peut s’interpréter de plusieurs manières. Pour lui, Cologne était, ce weekend-là, « Elsencity ». […] c’est moi qui, il y a une quarantaine d’années, avais créé cette expression. J’étais parti du nom de la célèbre écrivaine Else Lasker-Schüler. À l’époque, j’habitais avec mon ami à proximité d’un grand lycée. Quand, à la sortie des cours, nous croisions un élève particulièrement mignon et que je voulais le montrer à mon ami, je ne disais pas « Regarde un peu celui-là », ça aurait fait mauvaise impression à l’époque, je disais « Regarde la Else » ou seulement « Else », ce qui passait complètement inaperçu (jeu de mot à partir de Schüler ‘élève’ et du nom de l’écrivaine Else Lasker- Schüler ). Cette désignation pour les beaux garçons, que nous employions d’ailleurs aussi pour les hétéros, s’est imposée petit à petit dans notre cercle d’amis, ce 319 Prénom très répandu depuis le XI e siècle (TH09). 320 Traduit par nos soins, texte original : « […] ein so und so Benannter diese oder jene Eigentümlichkeit zeigte, dies oder das that oder erlebte, was zunächst im engen Kreise seiner Bekannten die Bildung einer Redensart mit seinem Namen, oder eine Verwendung desselben als Gattungsnamen nach sich zog, die dann immer allgemeiner wurde. » (s chultz 1894 : 130). 321 N’ayant trouvé aucune autre attestation de cet item, nous ne l’avons pas retenu dans nos relevés. 3.1. Difficultés épistémologiques-: de la nécessité de garde-fous 117 qui m’a valu les noms de « père des Else » ou de « chasseur d’Else ». J’étais toutefois loin de penser qu’elle s’établirait un jour dans tout le pays. 322 Quel que soit le crédit que l’on donne à ces anecdotes, leur prolifération dans les ouvrages d’étymologistes amateurs doit inciter à la prudence. Souvent invérifiables, elles ont pu être inventées pour dénigrer quelqu’un et / ou valoriser leur auteur ou colporteur(s) 323 . Dans son ouvrage sur les argots, d AuzAt notait à ce sujet : « Il faut se méfier surtout des étymologies anecdotiques, dont la plupart sont fausses et forgées de toutes pièces, mais qui s’accréditent volontiers parce que plus imagées, plus parlantes. » (1929 : 132). Parmi les explications farfelues, citons celle, largement relayée par l’encyclopédie libre Wikipédia, qui rattache l’expression se faire appeler arthur (‘se faire vertement réprimander’) à l’énoncé injonctif acht Uhr! : Une première hypothèse est que cela viendrait de l’allemand acht Uhr signifiant « huit heures » ; pendant la Seconde Guerre mondiale, en France occupée, le couvre-feu était à huit heures du soir. Les patrouilles allemandes avaient donc pour habitude de prévenir les retardataires en leur indiquant leur montre et en leur disant « acht Uhr ! » ; la sagesse populaire française aurait fait le reste. (fr.wiktionary.org ; consulté le 9. 9. 2015) Cette explication est pour le moins anachronique quand on sait que l’expression appeler qqn arthur est attestée dès le XIX e siècle 324 , époque à laquelle le prénom Arthur était employé en argot pour désigner péjorativement un proxénète 322 Traduit par nos soins, texte original : « Ein schwuler Freund nennt Schwule im allgemeinen „Elsen“. Ein Ausdruck, der viele Deutungen zuläßt. Für ihn war Köln an diesem Wochenende „Elsencity“. […] ich war es, der diese Bezeichnung vor ca. 40 Jahren geprägt hat. Ich habe den Namen von der bekannten Schriftstellerin Else Laske-Schüler [sic] abgeleitet. Damals wohnte ich mit meinem Freund in der Nähe einer großen Schule, wenn wir dann nach Schulschluß auf der Straße einem besonders hübschen Schüler begegneten und ich wollte meinen Freund darauf aufmerksam machen, so sagte ich nicht „Guck den Schüler“, das wäre in der damaligen Zeit unangenehm aufgefallen, ich sagte „Guck die Else“ oder eben nur „Else“, was nicht weiter auffiel (ELSE Lasker-SCHÜLER). Diese Bezeichnung für hübsche Knaben - übrigens auch für Heten - hat sich im Laufe der Jahre in unserem Bekanntenkreis immer mehr durchgesetzt und hat mir den Namen „Vater der Elsen“ bzw. „Elsenjäger“ eingebracht. Ich hätte mir allerdings nicht träumen lassen, daß er sich eines Tages bundesweit durchsetzen würde. » (in : S99 ; publié initialement dans le magazine Box , numéro 26, p. 23). 323 Il est d’ailleurs fort possible que ce type d’explications joue un rôle dans la diffusion des innovations lexicales. 324 e ncKell (1991) relève un exemple datant du milieu du XIX e siècle : « g oBchester . Oh ! god ! mais ce était [sic] un petit enragé. Le gAmin , regardant Gobchester . Ah ! c’t’ hure ! … g oBchester . Il m’appelle Arthur ! » (Dumanoir, Clairville & Labiche, Exposition des produits de la République , 1849). Bien que le contexte ne permette pas de déterminer précisément le sens de l’expression, il indique clairement la connotation insultante qui y est attachée. 118 3. Aspects sémantiques (CR91). C’est en comparant les significations associées à des prénoms présentant des caractéristiques ou des emplois similaires qu’on est mieux à même d’évaluer la validité de telles explications anecdotiques. Ainsi, l’origine argotique de l’expression se faire appeler arthur se trouve confirmée par l’évolution comparable du prénom jules (‘proxénète’) et de l’expression argotique se faire appeler jules . Il en va de même des prénoms populaires : Lorsque le sens représenté par le nom est isolé, il y a lieu de soupçonner que ce sens a pu être déterminé par une idée individuelle. Si au contraire, le sens est représenté par d’autres noms populaires, il est moins vraisemblable que des idées individuelles aient déterminé le sens. (p eterson 1929 : 17) 3.1.3. Quel champ d’investigation reste-t-il au linguiste-? Ces remarques montrent que les changements sémantiques sont des phénomènes complexes que le linguiste ne peut appréhender par la recherche de « causes » ultimes, comme le ferait par exemple le météorologue face à une crue. Il peut tout au plus relever les principaux facteurs ou, pour reprendre l’expression de K eller , les ‘conditions écologiques’ (« die ökologischen Bedingungen [des Handelns] » ; 2003 : 117) qui ne provoquent pas les changements mais les rendent possibles . Si la recherche de ces facteurs pour l’ensemble des déonomastiques appartenant à un champ d’investigation aussi vaste que le nôtre ne saurait aboutir qu’à des résultats partiels, ces derniers peuvent néanmoins nourrir une réflexion plus large sur les procédés à l’œuvre lors de l’appellativisation du prénom et sur les principales évolutions dans ce domaine. 3.2. Les voies de l’appellativisation-: un tour d’horizon Comme nous venons de le dire, il ne s’agira pas ici d’étudier dans le détail l’ensemble des facteurs susceptibles d’avoir motivé le choix du prénom, mais de retracer, à partir des données recueillies, les principaux chemins menant du prénom au nom commun et de donner un aperçu des époques auxquelles les locuteurs y ont eu fréquemment recours. Nous nous limitons aux items prototypiques, qu’ils soient employés de manière autonome ou non, et pour lesquels nous avons suffisamment d’indications étymologiques sérieuses. Seront écartées les acceptions secondaires, qui ne résultent pas de l’appellativisation. Nous distinguerons trois grandes voies d’appellativisation du prénom, la première reposant sur un porteur identifié (3.2.1), la deuxième sur la popularité du 3.2. Les voies de l’appellativisation-: un tour d’horizon 119 prénom (3.2.2) et la troisième sur des aspects formels (3.2.3) 325 . Chacune fait appel à un type d’explication différent, d’ordre logique pour la première, sociohistorique pour la deuxième et formel pour la dernière. Nous verrons pour finir que dans bien des cas, ces facteurs ont pu agir successivement ou simultanément (3.2.4). 3.2.1. La référence à un porteur identifié L’appellativisation peut reposer sur le prénom d’un porteur identifié (cf. l’indication « du nom de / du » dans la 3 e colonne de nos tableaux), les procédés à l’œuvre étant dans ce cas la métaphore et la métonymie. Dans les deux cas, un type de personnes ou une classe d’objets a été créé à partir d’une ou plusieurs caractéristiques du porteur, sur la base d’une similarité avec le désigné pour la métaphore, d’une contiguïté référentielle pour la métonymie ( MLS 2010, l e g uern 1973 : 11-17). Des éléments de savoir extralinguistique, liés au potentiel signifiant du nom propre (cf. 2.2.1.3), sont ainsi devenus des éléments de signification lexicale. Comme l’explique p ulgrAm (1954), [l]e fait que certains noms propres soient devenus des noms communs, ou qu’ils soient en train de le devenir ou le deviendront, indique […] que les noms propres, bien que fonctionnant essentiellement de manière dénotative [pris ici dans le sens de ‘référentielle’ ; VB ], doivent être également porteurs de potentialités connotatives [ou ‘signifiantes’ ; VB ]. Celles-ci, en vertu de la renommée ou de la notoriété des porteurs, peuvent alors l’emporter sur les facteurs dénotatifs à un point tel que les noms viennent à être employés comme noms communs pour désigner des personnes et choses autres que celles portant le nom propre initial. C’est en effet cette richesse ou densité connotative qui permet cette généralisation et abstraction des noms propres. 326 Le prénom étant dépourvu de signification lexicale, nous ne parlerons pas ici de transfert métaphorique ou métonymique, terme plus approprié à la description des significations secondaires, mais d’ emploi métaphorique ou métonymique du prénom. Nous nous concentrerons sur le cas des items en emploi autonome, 325 D’autres classifications sont bien sûr possibles, comme celle regroupant l’emploi métaphorique (3.2.1.1) et la popularité (3.2.2) sous ce qu’on pourrait appeler les « procédés de typisation » du prénom. 326 Traduit par nos soins, texte original : « The fact that many proper names have become nouns, or are or will be in the process of becoming such indicates […] that proper names, though functionally mainly denotative, must also hold connotative potentials. The latter, by virtue of the renown or notoriety of the bearers of the names, may then prevail over the denotative factors to such an extent that the names come to be used with reference to persons and things other than the originally proper-named, with the function of common nouns. It is indeed their very wealth or intensity of connotations which permits this generalization and abstraction of proper names. » (p ulgrAm 1954 : 167). 120 3. Aspects sémantiques la métaphore et la métonymie présentes dans les composés déonymiques ( Gretchenfrage ) et dans certains phrasèmes ( feuriger Elias ) ne concernant pas le seul prénom mais l’unité lexicale dans son ensemble 327 . 3.2.1.1. L’emploi métaphorique Largement analysé dans les études sur l’antonomase (cf. 1.2.1), l’emploi métaphorique du nom propre repose sur une ou plusieurs caractéristiques associées à un porteur qui est considéré ou présenté, dans un contexte culturel donné, comme leur « représentant privilégié » 328 (l eroy 2001 : 27). Les référents appartiennent par conséquent à la même classe ontologique que le porteur du prénom, à savoir celle de l’humain. Nous relevons pour l’allemand : Déonomastiques Porteurs Dates ou périodes de première attestation Adam ‘homme, vu comme incarnant le péché’ Du nom du premier homme selon la Genèse ( DU ) XVI e siècle (K02) Don Juan ‘collectionneur de conquêtes féminines, séducteur sans scrupules’ Du nom d’un personnage de théâtre d’origine espagnole, don Juan Tenorio, héros de la pièce El burlador de Sevilla (Tirso de Molina, 1630), introduit dans le théâtre français par Dorimond ( Le Festin de pierre ou le fils criminel , 1659) et popularisé par Molière ( Dom Juan ou le festin de pierre , 1665) ( TLF i) 327 Notons à ce sujet que dans certains composés et phrasèmes, les caractéristiques du porteur ayant motivé l’appellativisation sont désignées explicitement par des éléments nominaux ou adjectivaux : (ge)treuer Eckart (‘homme expérimenté, fidèle, toujours prêt à aider, qui met en garde contre les dangers et les mauvais comportements’), keuscher Joseph / Josef (‘homme chaste’), langer Laban (‘grande asperge, homme de grande taille’), Schurl mit der Blechhauben (‘policier, pompier en uniforme’), Struwwelpeter (‘enfant aux cheveux hirsutes’, plus généralement ‘enfant à l’apparence peu soignée’), keusche Susanne / Susanna (‘femme chaste et vertueuse’), ungläubiger Thomas (‘sceptique invétéré’), Zappelphilipp (‘garçon qui ne tient pas en place’), etc. n AsArov & B AchriddinovA (2002 : 219) rangent ce type d’items dans ce qu’ils appellent les ‘phrasèmes déonymiques partiellement idiomatiques’ (« deonymische Phraseologismen mit teilweiser Umdeutung des Komponentenbestandes »). 328 Cette expression n’est pas sans rappeler la définition du prototype comme « meilleur représentant d’une catégorie » (cf. p. 66). Sur les apports de la théorie du prototype pour la sémantique historique, nous renvoyons à K och (1995). 3.2. Les voies de l’appellativisation-: un tour d’horizon 121 Déonomastiques Porteurs Dates ou périodes de première attestation Eva ‘fille, femme’ Du nom de la première femme selon la Genèse ( DU ) Kasper , Kasperl(e) ‘niais, homme puéril ; guignol, pitre’ Du nom du roi mage (Kaspar) qui, dans les représentations médiévales, évolua vers un personnage espiègle, parfois un souffre-douleur un peu lourdaud (D10) Lolita ‘nymphette, jeune fille plutôt mignonne’ Du nom de la protagoniste dans le roman éponyme de Nabokov (1889-1977) ( DU ) 2 e moitié du XX e siècle Louis , Lui (ainsi que les pendants germanisés Ludwig , Lude , Wickerl , Wiggerl ) ‘proxénète’ Du nom de plusieurs rois de France aux XVII e et XVIII e siècles, connus pour avoir eu de nombreuses maîtresses (D10) Début du XIX e siècle (K04) Merlin ‘magicien ; homme versé dans l’ésotérisme’ Du nom du devin et magicien dans la légende d’Arthur (K03) Moses ‘le plus jeune d’un équipage ; apprenti marin, mousse, moussaillon’ Du nom du personnage biblique qui, enfant, fut retrouvé dans un panier à la dérive sur le Nil ( DU ) 1900 (K04) Robinson ‘homme vivant loin de la civilisation, dans la nature’ Du nom du personnage principal du roman Robinson Crusoé (1719) de Defoe ( DU ) Romeo ‘amoureux transi’ Du nom d’un personnage de la tragédie Roméo et Juliette (1597) de Shakespeare ( DU ) Sibylle ‘(dans l’Antiquité) devineresse, femme inspirée qui prédisait l’avenir’ Du nom de la célèbre prophétesse ( TLF i) Stoffel ‘sot, niais, lourdaud’ Du nom de saint Christophe, l’un des 14 saints auxiliateurs, représenté comme un géant un peu lourdaud ( DW , DU ) XVI e siècle (K02) 122 3. Aspects sémantiques Déonomastiques Porteurs Dates ou périodes de première attestation T(h)usnelda ‘amante, femme’ Du nom de la femme du chef de guerre de la tribu des Chérusques, Arminius (Hermann) (K03) 1840 (K04) Thaddädl ‘sot, niais’ Du nom d’un personnage comique du théâtre populaire viennois à la fin du XVIII e siècle (K03) 1800 (K04) Tünnes ‘pitre, idiot sympathique, homme maladroit’ Du nom de l’un des deux personnages légendaires (Tünnes und Schäl) du Hänneschen-Theater à Cologne (K04) XIX e siècle (K04) Pour le français : Déonomastiques Porteurs Dates ou périodes de première attestation agnès ‘jeune fille innocente et ingénue ou qui affecte de l’être’ Du nom d’une jouvencelle dans L’École des femmes de Molière (1662) ( TLF i) 1680 ( TLF i) benjamin ‘enfant préféré des parents’ ‘le ou la plus jeune d’une famille, d’un groupe’ Du nom du plus jeune fils de Jacob et son préféré ( FEW , TLF i) ‘enfant préféré’ : début du XVIII e siècle ( TLF i) ‘le / la plus jeune d’une famille’ : 1808 ( TLF i) charlot ‘homme peu sérieux, peu compétent’ Du nom du personnage comique créé par Charlie Chaplin ( PR ) 1978 ( PR ) don juan Cf. tableau précédent 1822 ( TLF i) ève ‘fille, femme’ Du nom de la première femme selon la Genèse ( TLF i) 1651 ( TLF i) gilles (aussi gille ) ‘sot, niais’ Du nom du farceur français Gilles le niais qui vécut au XVII e siècle ( TLF i) 1752 ( TLF i) 3.2. Les voies de l’appellativisation-: un tour d’horizon 123 Déonomastiques Porteurs Dates ou périodes de première attestation jésus ‘enfant mignon’ ‘adolescent efféminé et homosexuel ; prostitué homosexuel (qu’on utilise souvent pour monter un chantage)’ Du nom du personnage biblique, fils de Marie La seconde signification est une allusion, répandue dans les milieux athées dès la fin du XVIII e siècle, à l’homosexualité prétendue de Jésus ( CR 91, R12) ‘enfant mignon’ : 1840 (R12) ‘adolescent efféminé et homosexuel’ : 1835 (R12) job(e) ‘sot, niais, homme crédule’ Du nom du personnage biblique célèbre pour ses malheurs et les railleries qu’il dut subir de la part de ses amis ( TLF i) 1547 ( TLF i) joseph ‘homme niais, timide en amour ; nigaud qui laisse échapper les bonnes occasions’ Du nom du personnage biblique Joseph, fils de Jacob et Rachel, qui refusa de répondre aux avances de la femme de Putiphar ( TLF i) 1756 ( TLF i) lolita Cf. tableau précédent 1983 ( PR ) lucrèce ‘femme vertueuse, prude’ Du nom de la fille de Tricipinus, renommée pour sa vertu. Violée par Sextus Tarquin, elle se donna la mort pour ne pas avoir à survivre à son déshonneur ( LIT ) XVII e siècle ( LIT ) madeleine ‘femme qui se repent de sa vie criminelle ou immorale et revient à la vertu’ Du nom de Marie Madeleine, pécheresse repentante de l’Évangile ( TLF i) 1223 ( TLF i) manon ‘amoureuse infidèle, indigne, dépourvue de moralité’ Du nom du personnage principal dans le roman de l’abbé Prévost, Manon Lescaut (1731) (K ölBel 1907 : 107) XVIII e siècle marie-chantal ‘femme au comportement de grande bourgeoise, de snob, cruelle et inconsciente, coupée des réalités sociales, économiques et culturelles du pays dans lequel elle vit’ Du nom d’un personnage ridicule, la Marie-Chantal, inventé en 1956 par le danseur Jacques Chazot (G13) Fin des années 1950 ou début des années 1960 124 3. Aspects sémantiques Déonomastiques Porteurs Dates ou périodes de première attestation merlin Cf. tableau précédent 1721 ( FEW ) nicodème ‘sot, niais’ Du nom d’un pharisien qui posa des questions naïves au Christ et est représenté dans le Mystère de la Passion (Gréban, 1458) comme un personnage borné ( TLF i) 1662 ( TLF i) pierrot ‘sot, niais’ Du nom d’un personnage de théâtre et de pantomime naïf et rêveur apparu au XVII e siècle, vêtu de blanc et au visage enfariné, inspiré d’un personnage de la Commedia dell’arte ( TLF i) 1862 ( TLF i) robinson Cf. tableau précédent 1857 ( TLF i) roland ‘homme impétueux, exalté’ Du nom du chevalier Roland (736-778), connu pour sa bravoure lors de la bataille de Roncevaux lors de laquelle il fut tué (G13) roméo Cf. tableau précédent séraphin ‘usurier ; grippe-sou, avare’ Du prénom de Séraphin Poudrier, nom du personnage principal du roman Un homme et son péché (Grignon, 1933), adapté à la radio, à la télévision et au théâtre (R12) 1941 ( PR ) sibylle Cf. tableau précédent 1113-1140 ( TLF i) yvette ‘femme qui exerce le rôle traditionnel de femme au foyer et reste dans l’ombre de son mari’ Du prénom d’un personnage de manuel scolaire québécois, une fillette docile à qui on inculque le rôle traditionnel de la bonne ménagère. Ce texte fut à l’origine de l’affaire des Yvettes qui éclata en 1980, suite à une déclaration de Lise Payette, ministre de la condition féminine du Québec, qui avait mis en lien le personnage et les femmes au foyer (G13) À partir des années 1980 3.2. Les voies de l’appellativisation-: un tour d’horizon 125 Nous distinguons plusieurs classes d’éponymes : • les personnages bibliques et les saints, classe très bien représentée en raison de la tradition chrétienne commune aux deux aires linguistiques (cf. B rAun 1997 : 63). Adam et Ève y côtoient Joseph et Benjamin, deux fils de Jacob, ainsi que Job et Moïse, sans oublier Jésus et la pécheresse Marie Madeleine ou encore saint Christophe et Nicodème. Sans surprise, c’est dans cette classe que figurent les items les plus anciens : madeleine , sous la forme [faire la] madelainne ( TLF i), est attesté dès le XIII e siècle, Adam , Stoffel et job(e) remontent au XVI e siècle. Quant à ève , il est employé en français dès le XVII e siècle. • les personnages de fiction au sens large. Tout aussi riche que la précédente, cette classe d’éponymes rassemble pour l’essentiel des personnages comiques issus du théâtre populaire ou de films, leur nom servant à désigner des sots ou niais (Gilles, Kasper(le), Pierrot, Thaddädl), des gens peu sérieux, ridicules ou des pitres (Charlot, Tünnes, Marie-Chantal), et des protagonistes d’œuvres littéraires (Agnès, Don Juan, Lolita, Manon [Lescaut], Merlin, Robinson, Roméo, Séraphin). Le succès international de certaines œuvres explique la présence des déonomastiques correspondants dans les deux langues. Le nombre d’éponymes issus de la fiction s’accroît considérablement si on ajoute les personnages aux noms complexes : Hans im Glück et son pendant féminin Pechmarie dans les contes des frères Grimm, Hans Guck-in-die-Luft , Struwwelpeter , Suppenkasper / -kaspar et Zappelphilipp dans le célèbre livre pour enfants de Hoffmann Der Struwwelpeter , etc. Quelles sont les raisons d’une telle prolifération ? Si personne ne met en doute la force typisante de la littérature (cf. c ounson 1907 : 401), il apparaît que l’origine littéraire des items n’est pas toujours facile à déterminer, ceux-ci ayant fort bien pu avoir un emploi antérieur dans la langue populaire. Ainsi, dans certains cas, la littérature ne constitue pas un ‘terreau’ déonomastique mais contribue à la diffusion d’items employés jusqu’alors dans des cercles restreints. Pour K ölBel (1907), la littérature est un moyen de raviver et de diffuser le sens des déonomastiques : Il n’est pas rare de constater que certains noms employés comme noms communs, comme les pièces de monnaie dont la netteté originelle s’est estompée à force de passer de main en main, ont perdu une bonne partie de ce qui faisait au départ leur fraîcheur et leur expressivité […] jusqu’à ce qu’ils retrouvent, sous la plume d’un écrivain qui les emploie de manière originale, un contenu significatif nouveau et expressif […] et qu’ils puissent, forts de cette vigueur retrouvée, pénétrer et se diffuser rapidement dans des cercles plus larges. 329 329 Traduit par nos soins, texte original : « Nicht allzu selten freilich lässt sich auch bemerken, daß manchen appellativisch gebrauchten Namen, den Münzen gleich, die im Laufe 126 3. Aspects sémantiques C’est également l’avis de d outrepont (1929 : 110) qui notait à ce sujet : Toutefois, quand bien même le sens défavorable qui s’est attaché aux […] prénoms aurait commencé dans le parler populaire et général, c’est-à-dire dans la vie, on est en droit de supposer, sinon d’affirmer que les livres, les ouvrages littéraires, qui sont ensuite intervenus, ont contribué à renforcer ce sens. Ils auraient joué alors, comme dans beaucoup d’autres circonstances similaires, le rôle de « pouvoir exécutif » qui parachève le geste commencé par la foule. Parmi les items illustrant ce phénomène, nous relevons Zappelphilipp (‘garçon agité, qui ne tient pas en place’) que Hoffmann a pu emprunter à la langue populaire (cf. r osenKrAnz 1982 : 304), l’emploi de cet item étant attesté dans les dialectes de Hesse et de Thuringe à côté des variantes Zappelfried , - fritz et - hans ( SH ess WB , Thür WB ) 330 . Dans le cas de Struwwelpeter , l’écrivain s’est inspiré de la forme dialectale Strub(b)elpeter (de Strobel ‘tignasse ébouriffée’), employée dès le XVIII e siècle en Hesse et qui aurait même servi de sobriquet au jeune Goethe ( DW , s.v. Struwwelpeter ; cf. également FAZ 23. 6. 2002, R7). En français, alphonse (‘proxénète’) est souvent rattaché au personnage de la pièce éponyme Monsieur Alphonse (Dumas [fils], 1873), proxénète de son état. Dumas, qui avait prévu de nommer son héros Jules (cf. K ölBel 1907 : 51), se ravisa, probablement influencé par l’emploi du prénom Alphonse dans la langue populaire pour désigner un proxénète : « L’an dernier, elle avait un Alphonse pour lequel elle travaillait du matin au soir et souvent du soir au matin. » (Robert, Petits mystères du quartier latin , 1860). Il est intéressant de constater que Dumas lui-même, qui dans ses Notes inédites (1885) médite sur les raisons qui ont pu motiver le choix de ce prénom, ne fait nulle part mention de cet emploi : Il y a là certainement des faveurs et des discrédits illogiques, des tyrannies du goût, des affinités mystérieuses, inexplicables et incontestables entre certaines idées et certains sens qui n’ont cependant aucun rapport direct avec elles. Balzac avait raison : il y a des noms prédestinés. Toujours est-il qu’après avoir fait comparaître les Jules , les Adolphe , les Auguste , les Eugène , les Alfred , les Théodore , les Arthur , der Zeit bei ihrer Wanderung durch vieler Leute Hände ihre ursprüngliche Deutlichkeit eingebüßt haben, ein gut Teil ihrer anfänglichen Frische und sinnlich-anschaulichen Wirkung verloren gegangen ist […], bis sie durch die eigenartige, bewußte Anwendung eines Schriftstellers wieder einen neuen, wirkungsvollen Bedeutungsinhalt empfangen […] und infolge der dadurch erlangten Schlagkraft schnell in weiteren Kreisen Eingang und Verbreitung finden. » (K ölBel 1907 : 11 sq.). 330 À moins que ce choix n’ait été influencé par des proches, hypothèse émise par z eKorn von B eBenBurg (2011) qui rappelle que Hoffmann fut le médecin de famille de son collègue et ami Friedrich-Wilhelm Fabricius dont le fils se prénommait Philipp Julius. 3.2. Les voies de l’appellativisation-: un tour d’horizon 127 les Anatole , tous les noms de baptême qui, à tort ou à raison, sentent l’estaminet fumeux, le bal de chemin de ronde, l’arrière-boutique des revendeuses, la maison à ruelle obscure et à persiennes cadenassées, quand Alphonse s’est présenté, il m’est apparu tout de suite comme le plus digne du déshonneur que je préméditais. Ce nom devenait tout à coup pour moi une personne. Je lui voyais, quand il serait poussé à l’extrême, comme cela devait lui arriver nécessairement, une casquette de côté, des cheveux épais, noirs, brillants, souples, avec une mèche revenant perpétuellement sur le front ; une moustache fine, des lèvres rouges à pipe adhérente, crachant de côté et loin en découvrant des petites dents très blanches […], concentrant presque tout ce qu’il a à dire, soit aux femmes, soit aux hommes, entre un clignement des paupières et une contraction de la bouche ; le tout baignant dans une atmosphère de sensualité experte et toujours prête, répugnante ou irrésistible selon la nature de celles ou de ceux qui passent à portée de ses convoitises ou de ses calculs. Pourquoi ce nom a-t-il contenu tout de suite tout cela pour moi, et pourquoi maintenant va-t-il si bien au personnage qu’il désigne, j’allais dire qu’il numérote ? On ne l’expliquera jamais. (d umAs 1898 [1885] : 366 sqq.) 331 • les personnages historiques, moins nombreux. Nous relevons pour l’allemand Thusnelda, figure devenue littéraire grâce à la notoriété que lui a conférée l’œuvre de Kleist, lecture obligatoire pour des générations d’écoliers, et Louis, dont les noms désignent péjorativement une amante et un proxénète, pour le français Lucrèce et Roland, incarnant respectivement la vertu et l’impétuosité guerrière. Sibylle, prophétesse de l’Antiquité, fonctionne comme éponyme dans les deux langues. 3.2.1.2. L’emploi métonymique Le recours à la métonymie dans le cas du prénom permet de désigner une classe d’objets ou un type de personnes sur la base d’une contiguïté référentielle avec une ou plusieurs caractéristiques associées au porteur. Contrairement à ce qui se passe dans le cas de la métaphore, l’emploi métonymique du prénom va souvent de pair avec un changement du statut ontologique, le référent désignant presque toujours un non-animé. Comparons 331 d outrepont (1929 : 80 sqq.) note au sujet de la réflexion de d umAs : « Cet exposé nous semble mériter de retenir l’attention pour ce qu’il renferme à la fois d’observations justes et d’idées préconçues, de finesse et d’ignorance ou d’irréflexion. C’est le raisonnement d’un littérateur qui a de l’esprit et qui parfois même en a trop, mais qui veut être historien, sans tenir compte suffisamment des variations de goût dans le choix des noms. » Pour plus d’informations sur les connotations sociales des prénoms dans l’univers romanesque, nous renvoyons à l’étude de B Audelle (2005). 128 3. Aspects sémantiques pour l’allemand : Déonomastiques Porteurs Dates ou périodes de première attestation Axel ‘figure de patinage artistique au cours de laquelle le patineur tourne une fois et demie sur luimême’ Du nom du Norvégien Axel Paulsen (1855-1938) qui inventa ce saut en 1882 (G93) Elise ‘sorte de pain d’épices de Nuremberg’ Du prénom de la fille de l’inventeur de cette sorte de pain d’épices, Heinrich Haeberlein de Nuremberg (K03) 2 e moitié du XIX e siècle (K03) Moses ‘canot d’un yacht’ Du nom du personnage biblique qui, enfant, fut retrouvé dans un panier à la dérive sur le Nil ( DU ) Roland ‘statue d’un guerrier en armure’ Du nom de Roland, le plus connu des 12 paladins entourant Charlemagne dans la légende (K03) Veronika ‘plante aux fleurs bleues à quatre pétales en croix, appliquée autrefois sur les plaies des lépreux’ Du nom de la sainte qui aurait recueilli un linge portant les traits du Christ. C’est ce linge qui aurait guéri l’empereur Tibère de la lèpre ( FEW ) Pour le français : Déonomastiques Porteurs Dates ou périodes de première attestation prince Albert 332 ‘piercing du gland’ Du nom du mari de la reine Victoria qui, selon la légende, aurait utilisé ce piercing pour satisfaire son épouse (« Petite histoire des pénis customisés », Libération , 14. 8. 2008) axel Cf. tableau précédent 1961 ( PR ) 332 Rappelons que nous considérons les items contenant un titre comme des mots simples (cf. p. 63). 3.2. Les voies de l’appellativisation-: un tour d’horizon 129 Déonomastiques Porteurs Dates ou périodes de première attestation balthazar ‘festin, banquet’ Du nom d’un roi de Babylone ( VI e siècle av. J.-C.) qui organisa un somptueux festin lors duquel une main mystérieuse écrivit sur le mur les mots annonçant la chute de Babylone ( TLF i) 1851 ( TLF i) berthe ‘large col arrondi ou petite pèlerine de femme’ Du nom de la mère de Charlemagne, rendue célèbre par la chanson de geste Berte aus grans piés ( XIII e siècle) ( TLF i) 1847 ( TLF i) carolus ‘ancienne monnaie utilisée jusqu’au XVIII e siècle’ Du nom latin de plusieurs souverains, à commencer par Charles VIII (1470-1498) XV e siècle ( TLF i) charlotte ‘coiffure de femme à bord froncé, garnie de rubans et de dentelles’ Du prénom de Charlotte Corday (1768-1793), la meurtrière de Marat, qui portait ce genre de chapeau ( PR ) 1908 ( TLF i) eustache ‘couteau de poche à virole et à manche de bois, servant d’arme’ Du prénom d’Eustache Dubois, coutelier ( PR ) 1782 ( PR ) jésus ‘image, statuette de l’enfant Jésus’ De Jésus, fils de Marie ( TLF i) 1840 ( TLF i) louis ‘ancienne monnaie d’or’ Du nom des rois de France (de Louis XIII à Louis XVI ) à l’effigie desquels furent frappées ces pièces ( TLF i) 1640 ( TLF i) madeleine ‘petit gâteau sucré à pâte molle, de forme ovale, au dessus arrondi’ Du prénom de Madeleine Pau(l) mier, pensionnaire et ancienne cuisinière de Madame Perrotin de Barmond, à qui est attribuée la recette ( PR ) 1807 ( TLF i) 130 3. Aspects sémantiques Déonomastiques Porteurs Dates ou périodes de première attestation marie-louise ‘jeune recrue de 1814, appelée à servir par anticipation’ Du nom de l’impératrice Marie- Louise qui en 1813 fit lever par anticipation les conscrits des classes 1814 et 1815 qui luttèrent héroïquement contre les Alliés ( TLF i) 1890 ( TLF i) mathurin ‘matelot’ Du nom du saint auquel était dédiée la maison des religieux Trinitaires. Ceux-ci, au cours de leurs voyages en mer, participaient à la vie des marins ( TLF i) 1847 ( TLF i) moïse ‘petite corbeille capitonnée qui sert de berceau’ Du nom du personnage biblique déposé à sa naissance dans une corbeille sur les eaux du Nil ( TLF i) 1889 ( TLF i) napoléon ‘pièce d’or de vingt francs’ Du nom des empereurs Napoléon Ier (1769-1821) et Napoléon III (1808-1873), à l’effigie desquels furent frappées ces pièces d’or ( TLF i) 1807 ( TLF i) pascal ‘unité de pression’ ‘billet de 500 francs’ Du nom du physicien et philosophe Blaise Pascal (1623-1662) ( TLF i) ‘unité de pression’ : 1935 ( PR ), 1953 ( TLF i) ‘billet’ : 2 e moitié du XX e siècle philippe ‘pièce d’or en circulation dans l’Antiquité’ Du nom de Philippe II de Macédoine (382-336 av. J.-C.) qui fit frapper cette monnaie d’or (G93) reine-claude ‘prune sphérique, verte, à chair fondante et parfumée’ Du nom de l’épouse de François Ier (1499-1524) ( TLF i) 1690 ( TLF i) robinson ‘grand parapluie’ Du nom de Robinson Crusoé En usage depuis la représentation en 1805 d’une pièce de Guilbert de Pixerécourt, Robinson Crusoé , dans laquelle Robinson apparaissait avec son grand parasol ( TLF i) 1845 ( TLF i) 3.2. Les voies de l’appellativisation-: un tour d’horizon 131 Déonomastiques Porteurs Dates ou périodes de première attestation saint-pierre ‘poisson de mer à chair estimée’ Du nom de saint Pierre, ce poisson portant sur les côtés une tache ronde, qui serait la marque laissée par les doigts de l’apôtre quand, sur l’ordre du Christ, il tira de la bouche du poisson le statère du cens ( TLF i) 1793 ( TLF i) véronique Cf. Veronika dans le tableau précédent 1550 ( TLF i) Nos relevés semblent indiquer une fréquence plus importante en français des items issus d’un emploi métonymique. La présence moins marquée de ce type de déonomastiques dans nos listes pour l’allemand s’explique par la fréquence des composés métonymiques, que nous ne considérons pas comme prototypiques : comparons à titre d’exemple les noms de pièces de monnaie Friedrichsdor , Louisdor , Maria-Theresien-Taler et carolus , louis , napoléon , philippe ou encore le nom du poisson Petersfisch et saint-pierre . Parmi les classes d’éponymes relevées, nous retrouvons celles présentées dans le cadre des déonomastiques issus d’une métaphore, dans des proportions toutefois fort différentes. Les personnages bibliques et les saints, fortement représentés parmi les items de type métaphorique, sont peu nombreux parmi ceux de type métonymique. Nous en dénombrons uniquement quatre : Moïse (1 item pour chaque langue) et Jésus, qui figurent également dans nos tableaux d’items métaphoriques (cf. 3.2.1.1), saint Pierre et sainte Véronique. Quant aux personnages de fiction, eux aussi bien représentés parmi les items de type métaphorique, nous ne relevons que Robinson. La part du lion revient aux personnages historiques, peu représentés dans le type d’items précédent : prince Albert, Balthazar, Berthe, Charlotte [Corday], la reine Claude, Louis, Marie-Louise, Napoléon, Philippe et Roland, ce dernier ayant acquis le statut de symbole de la force guerrière grâce à sa stylisation dans des récits épiques tels que La Chanson de Roland. Souhaitant à présent comprendre pourquoi, dans les trois classes d’éponymes relevées, le nombre d’items de type métonymique diffère à ce point de celui des items de type métaphorique, nous passons en revue les types de relations métonymiques entre le porteur et l’objet désigné (au sens large, incluant les types de personnes et les prouesses sportives). Cette approche nous permettra par ailleurs d’intégrer dans l’analyse les éponymes ‘résiduels’ qui n’entrent 132 3. Aspects sémantiques dans aucune de ces trois classes d’éponymes. Nous distinguons cinq types de relations métonymiques : 1. L’objet représente le porteur, soit sous forme d’image ou de statue ( Roland , jésus ) soit par une pièce de monnaie frappée à l’effigie d’un souverain ( louis , napoléon , philippe ) 333 . Font partie de ce type la plupart des items issus du nom d’un personnage historique, la représentation des porteurs puissants servant des buts éminemment politiques (et / ou religieux ; cf. jésus ). 2. L’objet est associé au porteur, soit physiquement (le piercing du prince Albert, le col de Berthe, le bonnet de Charlotte Corday, le parasol de Robinson), soit parce qu’il a influencé son destin (le festin organisé par Balthazar, le panier abritant Moïse). Ce type d’associations est véhiculé par la tradition littéraire et / ou iconographique, comme le montrent les représentations suivantes de Berthe, de Charlotte Corday et de Robinson Crusoé faisant apparaître les attributs vestimentaires ou accessoires qui leur sont associés : Berthe et son large col arrondi (gravure, anon.) 333 Ce phénomène relève de la règle de dérivation sémantique qui stipule « qu’un mot qui désigne tel ou tel objet puisse aussi servir pour désigner la représentation de cet objet (photo, statue, etc.) » (K leiBer 1999 : 75 sq.). Charlotte Corday et son bonnet (portrait de Chappel, 1873) 3.2. Les voies de l’appellativisation-: un tour d’horizon 133 Robinson et son parasol (gravure de Dumoulin, vers 1810 ; d umoulin 1962 : 56) 3. L’objet a été inventé par le porteur (le couteau d’Eustache Dubois, la madeleine de Madeleine Pau(l)mier, le saut d’Axel Paulsen) 334 . 4. L’objet est dédié au porteur pour lui rendre hommage (une variété de prune pour la reine Claude, la véronique, plante à usage médicinal, pour la sainte à laquelle on attribue une guérison miraculeuse) et / ou pour lui témoigner de l’affection (le pain d’épice auquel l’inventeur donna le prénom de sa fille qui mourut à l’âge de 17 ans seulement). 5. Le porteur est un personnage influent censé protéger un groupe de personnes (saint Mathurin, patron des marins en Bretagne) ou qui est à l’origine de leur statut (l’impératrice Marie-Louise qui envoya les jeunes soldats au front en 1813). Comme le montrent les exemples de Napoléon et Madeleine Pau(l)mier, tous les éponymes ne jouissent pas du même degré de célébrité. Si la notoriété du porteur est la condition préalable d’un emploi métaphorique du prénom, ce n’est pas nécessairement le cas des items de type métonymique. C’est d’ailleurs parfois le contraire qui se produit : si les illustres inconnues Madeleine Pau(l)mier et Elisabeth (Elise) Georgine Julia Haeberlein sont passées à la postérité (lexicale), c’est précisément en raison de l’appellativisation de leur prénom, rendue possible par le succès de l’objet ainsi désigné. Il en va de même pour la reine Claude (1499-1524), dont le souvenir aurait sans doute disparu de la mémoire collective si son nom n’avait été associé à la variété de prunes dont elle raffolait (cf. g ünther 1965 [1919] : 193). 334 Citons également, parmi les items non-prototypiques les plus courants, les dérivés clémentine (invention du frère Clément) et guillemet (de Guillaume, prénom ou nom de l’inventeur présumé de ce signe). 134 3. Aspects sémantiques 3.2.1.3. Les limites de l’approche tropologique Le recours aux tropes pour l’étude du passage du prénom au nom commun soulève deux difficultés, dont la première consiste à déterminer dans certains cas si l’item est issu d’un emploi métaphorique ou métonymique : le lien entre Charles , prénom porté par plusieurs membres de la famille Sanson qui se succédèrent dans la charge de bourreau à Paris, et le déonomastique charlot désignant un bourreau relève-t-il d’une métonymie ou d’une métaphore ? Dans le premier cas, il y aurait eu transfert de l’activité sur le prénom de la ou des personnes qui l’ont exercée, dans le second, les membres de cette famille auraient été perçus comme les meilleurs représentants de ce ‘corps de métier’. g ünther (1965 [1919] : 181) mentionne d’ailleurs un phénomène identique en allemand : aux XVIII e et XIX e siècles, le bourreau était désigné à Ulm par le nom de famille Hartmann , les membres de cette famille ayant exercé cette charge de père en fils. D’une certaine manière, l’appellativisation a été favorisée par l’ostracisme qui frappe cette profession et qui a entraîné l’apparition de véritables ‘dynasties’ de bourreaux. De même, l’emploi du nom du roi Louis XV pour désigner des maîtresses élégantes et prostituées repose-t-il sur une métaphore qui associe l’ardeur sexuelle du roi au travail des prostituées, ou sur une métonymie, qui fait des maîtresses les ‘objets’ de ce roi, maîtresses qui ont également influencé son destin 335 ? À moins que la métonymie, comme l’indique le FEW , ne repose sur la référence au style vestimentaire à la mode sous Louis XV … La seconde difficulté touche aux limites explicatives des tropes, le passage du prénom au nom commun, comme tout phénomène collectif, étant nécessairement influencé par des facteurs historiques et socioculturels (cf. n ycKees 1998 : 138 sq.). Ainsi, le fait d’attribuer fréquemment le nom de l’inventeur à son invention n’explique pas pourquoi c’est le prénom et non le nom de famille qui a été retenu. La question de la norme est ici d’une importance cruciale : comme nous l’avons vu, le nom de famille s’emploie pour désigner l’invention d’un savant (Nikolaus August Otto > Ottomotor , Blaise Pascal > Pascal / pascal ; p. 100) alors que dans le cas de personnes de petite condition (Madeleine Pau(l)mier), c’est le prénom qui s’impose (cf. 2.2.1.5). La popularité d’un prénom à une époque donnée a pu également jouer un rôle dans certains choix dénominatifs ; c’est du moins ce que suggère la popularité du prénom Berthe au XIX e siècle en France (cf. d upâquier , p élissier & r éBAudo 1986 : 118 sq.), époque à laquelle les locuteurs, pour désigner un large col arrondi ou une petite pèlerine de femme, ont choisi précisément le nom de la mère de Charlemagne, considérée comme un « modèle de sagesse et de modestie » ( TLF i). 335 Ce type de relation métonymique a été présenté plus haut (p. 132). 3.2. Les voies de l’appellativisation-: un tour d’horizon 135 3.2.2. La popularité du prénom La distinction entre le type d’appellativisation précédent et celui qui repose sur la popularité du prénom ne recoupe pas entièrement celle que propose g Ardiner (2010 [1954] : 42 sqq.), fréquemment évoquée dans les travaux sur les emplois modifiés du nom propre, entre « noms incarnés » (« embodied names »), qui sont associés de manière stable à un référent particulier ( Napoléon , Socrate ), et « noms désincarnés » (« disembodied names »), qui sont eux envisagés sous leur aspect formel. À l’instar de j onAsson (1994), nous considérons le caractère incarné ou désincarné non comme une caractéristique intrinsèque de deux catégories de noms irréductibles l’une à l’autre, mais comme « deux points de vue sur les Npr qui mettent chacun l’accent sur des emplois différents des éléments de la catégorie du Npr ». Elle poursuit : « Ou bien on les considère en tant qu’attribut inséparable du particulier qu’il désigne (Npr incarné), ou bien on les considère en tant que forme de la langue (Npr désincarné) » (j onAsson 1994 : 72). Comme le montre le cas de Peter , un prénom peut devenir un nom commun en référence à un porteur identifié ( Petersfisch ; du nom de saint Pierre) ou en raison de la popularité du prénom ( dummer Peter ). 3.2.2.1. Qu’est-ce qu’un «-prénom populaire-»-? Nous qualifions de « populaires » les prénoms caractérisés par une fréquence d’attribution élevée à une époque donnée 336 . Dès le milieu du XIX e siècle, W Ac - KernAgel (1859) observait que des noms propres qui sont fréquemment utilisés et qui, en raison de leur fréquence particulièrement élevée, s’apparentent désormais aux appellatifs […] deviennent des noms communs, pouvant désigner des personnes ou encore des choses. Ainsi, Michel désigne à présent non seulement quelqu’un qui se prénomme vraiment Michel , mais encore tout individu qui se caractérise par son esprit simple, bonhomme ou sot, son obstination indolente ou entêtée ou encore par sa lourdeur de corps ou d’esprit. 337 Comme le montre l’exemple, le qualificatif populaire renvoie non seulement à « ce qui plaît au peuple » mais aussi à « ce qui [lui] est propre, caractéristique » ( PR ). Le terme de « peuple » ne désigne pas nécessairement l’ensemble de la communauté linguistique : il n’est en effet pas rare qu’un prénom soit populaire 336 m üller (1929 : 32) parle de ‘noms passe-partout’ (« Allerweltsnamen »). 337 Traduit par nos soins, texte original : « Eigennamen, welche schon vorhanden und üblich und durch besonders häufige Üblichkeit schon halb appellativ geworden sind, […] werden zu appellativen Gattungsworten, für Menschen und auch für Dinge. Michel ist nicht bloß einer, der wirklich Michael [sic] heißt, sondern nun auch jeder gut oder dumm einfältige, mit Traegheit oder Eigensinn irgend worauf versessene, geistig oder leiblich unbeholfene Mensch. » (W AcKernAgel 1859 : 131). 136 3. Aspects sémantiques au sein d’un milieu socioculturel donné (par ex. Michel chez les petites gens au XIX e siècle) ni qu’un prénom populaire dans une communauté devienne nom commun au sein d’une autre communauté qui le perçoit comme « typique » (par ex. Mauschel , Schmu(e)l et Iwan / yvan pour désigner respectivement les Juifs et les soldats russes). En un sens - et si le jeu de mots n’était pas si facile -, on pourrait dire que le nom propre devenu trop commun, en désignant des objets ou personnes qui présentent une ou plusieurs caractéristiques communes, fonctionne comme nom commun au sens propre. La fréquence élevée de certains prénoms est due, au moins jusqu’au XIX e siècle, à plusieurs pratiques séculaires, parfois convergentes, d’attribution des prénoms. Dans les pays de langue allemande comme en France, il était ainsi courant d’attribuer aux nouveau-nés • le nom de saints, pratique fréquente à partir du XII e siècle puis imposée par le Catéchisme du concile de Trente en 1566. Les saints jouaient alors le rôle de protecteurs ici-bas et intercesseurs influents auprès de Dieu qui décide du salut de l’âme dans l’au-delà. À quelques exceptions près (par ex. Jean ), la ferveur populaire pour tel ou tel saint varie selon les époques et les régions en raison d’un attachement plus ou moins grand à tel ou tel culte (cf. entre autres s teinhAusen 1893 : 619, n ied 1924 : 23, d eBus 1987 : 67 sqq., g erhArds & h AcKenBroch 1997 : 417, g erhArds 2010 : 64). • le prénom des parents ou grands-parents, pratique permettant de clarifier des liens de parenté et de garantir par là même la transmission du patrimoine. À partir du XVI e siècle, on attribuait fréquemment au nouveau-né le nom du parrain ou de la marraine (« Patennamensystem ») afin de souligner la paternité spirituelle assurée vis-à-vis de l’enfant. s imon (1989 : 140) estime ainsi à plus de 80 % le pourcentage d’enfants nés à Münster en 1616 / 17 ayant reçu le prénom d’un parrain ou d’une marraine. B outier & p erouAs (1984 : 74) constatent quant à eux qu’« [a]u milieu du XVI e siècle à Ayen (Corrèze), dans le plus ancien registre paroissial limousin, plus de 90 % des nouveau-nés portent déjà le prénom de leur parrain / marraine ; au milieu du XVIII e siècle, ce pourcentage frôle les 100 % » (cf. également d AuzAt 1925 : 56, B urguière 1980 : 30 sqq., 1984 : 29 sqq., B ozon 1987 : 86, s eiBicKe 1996b : 1209). • le nom d’un prince ou souverain (« Fürstennachbenennung »), pratique qui exerça dès le haut Moyen Âge une influence déterminante sur l’évolution du stock de noms en France et dans les pays de langue allemande (cf. m itterAuer 1993 : 293, K unze 2002 : 31, d eBus 1987 : 67). Dans les contrées germaniques, Heinrich et Konrad , noms de nombreux souverains, étaient tellement prisés par le peuple - notamment sous la forme des diminutifs Hinz et Kunz - qu’on désigna à partir du XV e siècle tout un chacun par la formule Hinz und Kunz . 3.2. Les voies de l’appellativisation-: un tour d’horizon 137 Il en va de même de Raymond dont la popularité dans le sud de la France aux XII e et XIII e siècles s’explique sans doute par le fait que la plupart des comtes de Toulouse portaient ce nom du IX e jusqu’au milieu du XIII e siècle (cf. d AuzAt 1925 : 63, m itterAuer 1993 : 257 sq.). Si l’influence du nom des puissants fut moins importante à partir du XII e siècle, l’attrait du nom de certains souverains sur le choix du prénom devait perdurer jusqu’à la fin du XIX e siècle, comme le montre la popularité de Friedrich et de Wilhelm en Prusse, noms des grandes figures que furent Frédéric-Guillaume, Frédéric le Grand ainsi que les empereurs Guillaume I et II (cf. B ähnisch 1910 : 128, d eBus 1987 : 63, m itterAuer 1993 : 275, 296) 338 . La fréquence d’attribution du prénom ne suffit pas toujours à expliquer le processus d’appellativisation. Plusieurs emplois non référentiels ont pu accompagner le passage du prénom vers le nom commun, tels que l’emploi comme ‘nom joker’ ou ‘substitut onymique’ (« Ersatzname » ; m üller 1929 : 27) pour désigner ou interpeller une personne dont on ignore ou ne se remémore pas le nom 339 , et le fait de mentionner un nom fréquent sur un acte juridique ou assimilé (« formular names » ; r einius 1903 : 17), procédé attesté dès le XII e siècle dans un jugement rendu dans une affaire opposant Ruodolf et Cuonrad , ‘ou quel que soit le nom que tu portes’ (« Cuonrad , oder svi so du heizzest » ; W AcKernAgel 1860 : 329). Ces deux emplois se sont maintenus chez les juristes sous la forme de mises en application de principes juridiques 340 et les grammairiens qui mettent volontiers en scène Peter / Pierre ou Paul dans des exemples construits. 338 Le phénomène s’observe encore de nos jours, en témoigne l’engouement pour le prénom George en Angleterre suite à la naissance du bébé royal en 2013 (www.telegraph.co.uk/ news/ uknews/ prince-george/ 11036424/ Royal-birth-propels-George-into-the-top-10baby-names.html ; page consultée le 5. 1. 2016). 339 Cet emploi, à en croire A lBrecht (1881b), s’appliquait autrefois couramment aux enfants : ‘On utilise les prénoms les plus fréquents comme petits noms, surtout en présence d’enfants, lorsqu’on ignore leur véritable nom ; ‘mon Fritze, Steffen, petit Peter, Hänschen, - ma Lotte, ma Lieschen’ sont des formules d’adresse génériques au même titre que fiston ou fifille , comme quand on désigne tout un chacun par Hinz und Kunz, qu’on appelle un chien Ami, Bello ou Karo, un chat Miez et un oiseau Matz, Mätzchen.’ (Traduit par nos soins, texte original : « Die allergewöhnlichsten Rufnamen wendet man als Kosenamen bes. Kindern gegenüber an, wenn man den wirklichen Namen nicht weiss; ‚mei [sic] Fritze, Steffen, kleiner Peter, Hänschen, - meine Lotte, mei Lieschen’ sind allgemeine Anrede [sic] wie: mein Söhnchen oder Töchterchen, wie Hinz und Kunz […] für Jedermann stehen, oder wie man etwa einen beliebigen Hund als Ami, Bello, Karo anspricht und jede Katze Miez ruft, jeden Vogel Matz, Mätzchen. » ; A lBrecht 1881b : 36). Cf. également B üKy (1976 : 372). 340 L’extrait suivant, tiré d’un manuel de droit civil, vise à illustrer la notion d’acception de contrat : « Hans kauft bei dem Installateur Kunz eine Badezimmereinrichtung. In dem von Kunz ausgefüllten, von Hans unterschriebenen Bestellschein ist als Preis angesetzt: 138 3. Aspects sémantiques Un autre emploi du prénom populaire, et non des moindres, a facilité le passage du prénom au nom commun : dans les spectacles de la fin du Moyen Âge, les personnages incarnant des paysans étaient fréquemment affublés des prénoms populaires Cunrat , Heinrich et de leurs diminutifs Kunze , Cünzlein ou Heinz (cf. m üller 1929 : 31) 341 . D’autres diminutifs de ces prénoms apparaissent dans des œuvres littéraires : un poème de Lessing s’intitule Hinz und Kunz (1771) et, dans le conte Rumpelstilzchen des frères Grimm, la reine, faisant mine de chercher le nom du nain, propose les prénoms Cunz et Heinz avant de donner la bonne réponse : « […] als bald das Männlein kam und sprach: ‘nun, Frau Königin, wie heiß ich? ’ da fragte sie erst: ‘heißest du Cunz? ’ ‘Nein.’ ‘Heißest du Heinz? ’ ‘Nein.’ ‘Heißt du etwa Rumpelstilzchen? ’ » ( PG ; éd. de 1819) 342 . Ressort bien connu au théâtre, la création de types, situés « à mi-chemin entre l’individu d’un côté et l’espèce de l’autre » (f ontAnt 1998 : 14), était même considérée par B ergson comme le propre de la comédie : La comédie peint des caractères que nous avons rencontrés, que nous rencontrerons encore sur notre chemin. Elle note des ressemblances. Elle vise à mettre sous nos yeux des types. Elle créera même, au besoin, des types nouveaux. Par là, elle tranche sur les autres arts. Le titre même des grandes comédies est déjà significatif. Le Misanthrope, l’Avare, le Joueur, le Distrait, etc., voilà des noms de genres […]. Beaucoup de comédies ont pour titre un nom au pluriel ou un terme collectif. « Les femmes savantes », « Les Précieuses ridicules », « Le monde où l’on s’ennuie », etc., autant de rendez-vous pris sur la scène par des personnes diverses reproduisant un même type fondamental. (B ergson 1967 [1900] : 125 sq.) Observons maintenant de plus près le cas de Hans , le ‘prénom le plus fréquent de tous au Moyen Âge’ (« der allerhäufigste Rufname des Mittelalters » ; n ee don 1896 : 200), et de Grete , très répandu dans le monde rural. La popularité du premier ainsi que de ses nombreuses variantes s’explique notamment par le rôle central de Jean le Baptiste (all. Johannes der Täufer) dans la tradition chrétienne, personnage dont Jésus aurait dit que « parmi les hommes, il n’en a pas existé „1500,- €“. Bei der Lieferung verlangt Kunz von Hans die Zahlung des vereinbarten Kaufpreises von 1500,- € und dazu noch 19 % Mehrwertsteuer, insgesamt also 1785,- €. Er beruft sich darauf, der vereinbarte Preis sei ein Nettopreis ohne Mehrwertsteuer, diese müsse demnach noch extra bezahlt werden. - Hier kommt es darauf an, wie die zwischen Hans und Kunz getroffene Preisvereinbarung auszulegen ist. » (Bähr, Grundzüge des Bürgerlichen Rechts , 2013 ; GB). 341 Au XIV e siècle, près de la moitié des hommes habitant le Vogtland s’appelaient Heinz ou Kunz (cf. r osenKrAnz 1982 : 301). Cf. également à ce sujet la citation de n eedon (1896) à la p. 238. 342 Ces diminutifs ont remplacé les formes Conrad et Heinrich figurant dans la première édition (1812 ; W). 3.2. Les voies de l’appellativisation-: un tour d’horizon 139 de plus grand » (Matt. 11,11) 343 . Quant à sainte Marguerite (all. Hl. Margarethe ), patronne des paysans et protectrice des femmes enceintes, les pauvres l’invoquaient pour obtenir des faveurs du ciel, les femmes lors des accouchements (cf. m itterAuer 1993 : 347). La fréquence des deux prénoms fut telle que Luther, dont les parents se nommaient d’ailleurs Hans et Margarethe , imposa dans son Traubüchlein für die einfältigen Pfarrherren (1529) le recours à la formule suivante lors de la cérémonie du mariage : Hans, wilt du Greten zum ehelichen Gemahl haben? Er sage: Ja. Greta, wilt du Hansen zum ehelichen Gemahl haben? Sie sage: Ja. ( Der kleine Katechismus ; in : K oethe 1830 : 268). La popularité de Hans et Grete s’observe également dans la littérature populaire, plus précisément dans les contes où le recours aux prénoms populaires facilite l’identification et la mémorisation (cf. K ApfhAmmer 1995 : 573). Il suffit pour s’en convaincre de jeter un coup d’œil à la liste des contes des frères Grimm : Hänsel und Gretel , Hans Dumm , Der Eisenhans , Hans im Glück , Hans heiratet , Der gescheite Hans , Der starke Hans , Die kluge Gretel , etc. (cf. f uncKe 1973 : 23 sq., 30, K unze 2002 : 193). La popularité de Jean et Marie en France est comparable à celle de Hans et Grete . Dès le XIV e siècle, Jean devient le « prénom masculin le plus populaire » (B urguière 1980 : 29), prééminence qu’il conservera jusqu’à la fin du XIX e siècle (cf. B esnArd & d esplAnques 1986 : 129). Marie prendra son essor à partir du XVI e siècle, devenant même, au XIX e siècle, le 19 e prénom masculin le plus porté en France (cf. d upâquier , p élissier & r éBAudo 1986 : 40 sq.) 344 ! 343 La vénération de Jean le Baptiste a donné lieu à toutes sortes de superstitions qui ont sans doute contribué à renforcer la diffusion du prénom. Si le type de superstition que rapporte K örte (1837) est plausible, sa conclusion au sujet de l’émergence de composés est parfaitement farfelue : ‘Selon une superstition ancestrale, la foudre ne frappe pas les demeures abritant un Johannes. C’est ainsi que chaque père de famille voulut avoir un Hans chez soi, certains en ayant même trois : Großhans , Mittelhans , Kleinhans . Mais comme il arrivait parfois que la foudre vienne s’abattre aussi sur les demeures abritant trois Hans, Hans perdit son crédit et devint l’objet de railleries ; on dit dès lors : Saufhans , Prahlhans , etc.’ (Traduit par nos soins, texte original : « Es war uralter Aberglaube, daß, wo ein Johannes im Hause sey, da schlage der Blitz nicht ein. Also wollte jeder Hausvater einen Hans im Hause haben, ja mancher hatte drei Hänse im Hause: Großhans , Mittelhans , Kleinhans . Da es nun aber doch wol zuweilen auch in ein dreihänsiges Haus einschlug, so verlor der Hans den Credit und ward zum Gespött; da hieß es nun fortan: Saufhans , Prahlhans u.s.w. » ; K örte 1837 : 192). Cf. également W illBerg (1965 : 333). 344 Marie / Maria a connu une évolution comparable en Allemagne : ‘Le prénom commence à gagner lentement du terrain à partir du XII e siècle, apparemment par l’intermédiaire des couches supérieures des pays romans où il est attesté auparavant. Au XIV e siècle, il continue de compter parmi les noms rares chez nous. Il amorce sa fulgurante progression à partir du XVI e siècle, jusqu’à être porté par chaque laitière et servant même de parure, surtout au cours du XVIII e siècle, à un nombre important d’hommes.’ (Traduit par nos soins, texte original : « Vom 12. Jhd. an gewinnt er, anscheinend durch Vermittlung der 140 3. Aspects sémantiques 3.2.2.2. Les items issus de prénoms populaires-: difficultés de délimitation En raison de la dimension historique et socioculturelle de l’appellativisation des prénoms populaires, l’identification des items est infiniment plus délicate que celle d’items renvoyant à un porteur identifié. m üller (1929) estime que ‘la marque d’un transfert conscient est moins évidente dans le cas des noms communs issus de noms de baptême populaires’ 345 que ceux issus du nom d’un porteur identifié. p eterson notait la même année au sujet du « passage populaire des noms de personne à l’état de noms communs » en français : Nous avons appelé cet emploi populaire , non pas que nous voulions contester l’existence, dans la langue populaire, de beaucoup de noms du premier type [issus du nom d’un porteur identifié ; VB ], mais parce que les noms exempts d’idées individuelles s’emploient comme noms communs d’une manière plus spontanée et moins raisonnée que ceux-là et que cet emploi a son origine, le plus souvent, dans le langage populaire. (p eterson 1929 : 14) Les données concernant le langage populaire étant incomplètes, on ne peut affirmer avec certitude que chaque item relevé est bien le résultat de l’appellativisation du prénom et non une désignation secondaire issue d’un emploi aujourd’hui disparu. S’ajoute à cela qu’il est souvent difficile de déterminer le statut proprial ou appellatif des acceptions les plus anciennes (cf. p. 137). De ces incertitudes découlent certaines difficultés d’analyse : • le prénom est attesté uniquement comme membre de composé, cas de figure présenté plus haut (cf. 2.3.1.3). Il est difficile dans ce cas de trancher entre l’analyse du prénom comme déonomastique issu d’un prénom populaire et celle comme élément proprial renvoyant à un porteur identifié tombé dans l’oubli. C’est le cas de Bene et Beni , diminutifs de Benedikt , employés dans les composés Kletzenbene / -beni (‘sot, homme ennuyeux, mauviette’ ; du bavarois Kletzen , prononcé [ɡlɛ: tsn], qui désigne initialement des fruits secs, puis, par métaphore, un homme ennuyeux, une mauviette) et Lätschenbene (‘homme mou, fade, ennuyeux’ ; du bavarois Lätschen ‘triste mine’). höheren Stände von Welschland her, wo er schon vorher anzutreffen ist, zunächst ganz langsam an Boden. Noch im 14. Jhd. gehört er bei uns zu den seltenen N[amen]. Vom 16. Jhd. an beginnt sein Siegeslauf, bis schließlich jedes Milchmädchen Marie heisst und besonders während des 18. Jhd. sogar eine ganze Anzahl Männer damit geschmückt wird. » ; n ied 1924 : 37). 345 Traduit par nos soins, texte original : « […] die aus volkstümlichen Taufnamen hervorgegangenen Appellativa zeigen nicht in gleich hohem Grade das Gepräge bewusster Übertragung. » (m üller 1929 : 6). 3.2. Les voies de l’appellativisation-: un tour d’horizon 141 • le prénom est attesté, avec un sens différent, à la fois comme nom commun autonome et comme élément de composition. C’est le cas de Heini (‘sot, niais’) et - heini (‘homme’), attestés dans la première moitié du XX e siècle. Deux hypothèses concurrentes sont dès lors envisageables : i) l’existence d’un emploi générique ancien ( Heini ‘homme’) qui aurait été réactivé uniquement comme membre de composition et ii) l’effacement du sème sottise , niAiserie dans des composés dont le membre déterminant constitue le noyau sémantique du mot complexe. La présence de connotations péjoratives dans ce type de composés rend cette dernière hypothèse plus plausible à nos yeux. 3.2.2.3. Relevés et analyse Notre analyse se limite aux seuls items prototypiques, attestés en emploi autonome ou non, pour lesquels la popularité du prénom semble avoir été le facteur d’appellativisation déterminant. Nous ne tenons pas compte de leurs emplois secondaires ou susceptibles de l’être. Pour l’allemand, la liste est la suivante : Déonomastiques Remarques et sources concernant la popularité du prénom Dates ou périodes de première attestation Bebbi ‘homme originaire de Bâle ou vivant à Bâle’ Popularité du prénom Joseph , Josef ( KK 13) Detlev , Detlef ‘homosexuel’ Popularité du prénom dans les blagues et parodies mettant en scène des homosexuels (K78, K04) 1965 (K04) Fritz ‘Allemand ; soldat allemand’ Popularité du prénom Friedrich , notamment au XIX e et au début du XX e siècle ( KK 13, s imon 1989 : 168 sq., W olffsohn & B rechenmA cher 1999 : 207, B eier 2012 : 16 sq.) 1870 (K04) Fritze ‘homme, souvent exerçant une activité’ Début du XIX e siècle (K04) Grete , Gret(e)l ‘femme’ Popularité du prénom Margarete (K unze 2002 : 44 sq.) Fin du XV e siècle (W AcKernAgel 1860 : 329) Hannickel (en alsacien) ‘habitant, personne originaire de Lorraine’ Popularité du prénom Johann Nikolaus (Els WB ) Hans ‘homme’ Popularité du prénom Johannes (K unze 2002 : 44 sq., 183, KK 13) fin du XV e siècle (W AcKernAgel 1860 : 329) 142 3. Aspects sémantiques Déonomastiques Remarques et sources concernant la popularité du prénom Dates ou périodes de première attestation -hans ‘homme’ Sans doute XVI e siècle Hans(e)l ‘sot, niais’ ‘nombre relativement restreint de personnes quelconques’ ‘nombre restreint de personnes’ : 1950 (K04) -hans(e)l ‘homme’ jan ‘homme’ Heini ‘sot, niais’ Popularité du prénom Heinrich (K unze 2002 : 44 sq., KK 13) 1930-35 (K04) -heini ‘homme’ Heinz ‘sot, niais’ Hinz ‘personne’ (dans l’expression Hinz und Kunz ) XV e siècle (K02) Hiesel , Hiasl ‘sot, niais ; rustre, grossier’ Popularité du prénom Matthias ( KK 13) XVIII e siècle (K04) Itzig ‘Juif ’ Popularité du prénom chez les Juifs, perçu comme étranger à la « germanitude » (B ering 1987 : 223 sqq.) XIX e siècle (K04) Iwan ‘soldat russe ; Russe’ Popularité du prénom dans les pays slaves ( TH 09) 1 e Guerre mondiale (K04) Jockel ‘homme débonnaire’ Popularité du prénom Jakob , due entre autres au culte de l’apôtre ( KK 13) Konrad , Cunrat , Kunz , Cunz ‘paysan, pauvre hère’ Popularité du prénom (K unze 2002 : 44 sq., KK 13) XVI e siècle ( DW ) 3.2. Les voies de l’appellativisation-: un tour d’horizon 143 Déonomastiques Remarques et sources concernant la popularité du prénom Dates ou périodes de première attestation Liese , Lieschen ‘fille, femme’ Popularité du prénom Elisabeth (K unze 2002 : 44 sq., 183) Matz ‘homme’ dans la locution dummer Matz Popularité du prénom Matthäus ( DW ) Mauschel ‘Juif, commerçant juif ’ Popularité du prénom chez les Juifs (A lthAus 2002 : 273 sqq.) XVII e siècle (K02) Max(e) ‘homme, souvent fort’ Popularité du prénom au XIX e siècle (K03, KK 13) Metze ‘fille aux mœurs légères, prostituée’ Popularité du prénom Mechthild depuis le XIII e siècle (K unze 2002 : 45, KK 13) XV e siècle (K02) Michel ‘homme, souvent débonnaire et un peu lourdaud’ Popularité du prénom depuis le Moyen Âge ( KK 13) deutscher Michel : XVI e siècle (1541 sous la forme der teutsch Michel ; DW ) -michel ‘homme’ Minna ‘servante, domestique’ Popularité du prénom au XIX e siècle (D08) 1870 (K04) Nazi ‘sot, niais, ridicule ; rustre’ Popularité du prénom Ignatius dans les régions du sud ( KK 13) 1 e moitié du XIX e siècle (K04) Nickel , Nig(e)l ‘bas peuple, petites gens ; petit homme, vaurien’ ‘enfant, homme, souvent indocile, insoumis’ Popularité du prénom Nikolaus (K unze 2002 : 44 sq., d räger 2013 : 26-31) XVI e siècle (P93) -nickel , -nig(e)l ‘enfant, homme’ Peter ‘homme, garçon’ Popularité du prénom depuis le Moyen Âge (K unze 2002 : 44 sq., KK 13) Rüpel ‘homme rustre, malotru, mufle’ Popularité du prénom Ruprecht ( KK 13) XVI e siècle (D10) 144 3. Aspects sémantiques Déonomastiques Remarques et sources concernant la popularité du prénom Dates ou périodes de première attestation Schmul , Schmuel ‘Juif ’ Cf. Itzig Sepp, Sepp(e)l ‘homme dont on reconnaît l’origine bavaroise’ Popularité du prénom Joseph / Josef dans les régions du sud ( KK 13) Fin du XIX e siècle (K04) -sepp ‘homme’ Trine ‘fille, femme’ Popularité du prénom Katharina (K unze 2002 : 44 sq.) XVIII e siècle (K02) trine ‘personne’ Pour le français : Déonomastiques Remarques et sources concernant la popularité du prénom Dates ou périodes de première attestation bernard ‘sot, niais’ Popularité du prénom ( FEW ) XIII e siècle ( FEW ) catherine ‘fille pubère’ Popularité du prénom Catherine depuis le Moyen Âge ( TH 09) cat(h)au , cateau ‘servante de ferme ou d’auberge’ catiche ‘fille aux mœurs légères’ 1881 ( CML 10) catin ‘jeune campagnarde’ XVI e siècle ( TLF i) conchita ‘domestique, boniche’ Popularité du prénom en espagnol. À partir des années 1960, la bourgeoisie parisienne appréciait les domestiques originaires d’Espagne qui venaient en France pour chercher du travail (G13) Années 1960 3.2. Les voies de l’appellativisation-: un tour d’horizon 145 Déonomastiques Remarques et sources concernant la popularité du prénom Dates ou périodes de première attestation fatma ‘femme arabe, domestique dans les pays du Maghreb, au temps de la colonisation’ Popularité du prénom chez les Musulmanes, due entre autres au personnage de Fatima (616-633), fille du prophète Mahomet ( TLF i) 1900 ( TLF i) fritz (aussi frisé , altération de Fritz ) ‘soldat allemand ; Allemand’ Popularité du prénom Friedrich au XIX e et au début du XX e siècle ( KK 13, s imon 1989 : 168 sq., W olff sohn & B rechenmAcher 1999 : 207) 1914 (R12) guillaume ‘sot, niais’ Popularité du prénom depuis le Moyen Âge ( TH 09, m ichAëlsson 1927 : 60 sqq.) 1460 ( FEW ) jacques ‘paysan français’ Popularité du prénom depuis le XIII e siècle ( TH 09, m ichAëlsson 1927 : 60 sqq.) 1359 ( TLF i) jean ‘homme’ Popularité du prénom durant des siècles ( TH 09, m ichAëlsson 1927 : 60 sqq.) Les diminutifs Jeannin , Janin et Jenin sont par ailleurs fréquemment portés par les serviteurs lourdauds et maladroits dans les farces au XVI e siècle (K ölBel 1907 : 92) Les plus anciens composés de nos relevés formés avec jean datent du XVI e siècle ( gros-jean ) jeannin, janin, jenin, jeannot, janot ‘sot, niais’ jenin : 1450 ( TLF i) jeanneton ‘fille, servante d’auberge, de mœurs peu farouches ou de moyenne vertu’ Popularité du prénom Jeanne (d outrepont 1929 : 44) 1689 ( TLF i) jules , julot ‘proxénète’ Popularité du prénom au XIX e siècle (R12, d upâquier et al. 1986 : 2, 41, 47) jules : 1953 ( TLF i) julot : 1910 ( TLF i) julie ‘gonzesse, nana’ Popularité du prénom au XIX e siècle ( TH 09) 1953 (R12) louise ‘femme, copine’ Popularité du prénom au XIX e siècle (d upâquier et al. 1986 : 50) marie (attesté uniquement dans les composés) ‘femme’ Popularité du prénom à partir du XII e siècle ( TH 09, m ichAëlsson 1927 : 60 sqq.) 146 3. Aspects sémantiques Déonomastiques Remarques et sources concernant la popularité du prénom Dates ou périodes de première attestation mimile ‘homme d’aspect populaire, ouvrier, prolétaire à l’ancienne’ Popularité du prénom Émile au XIX e siècle ( TH 09, d upâquier et al . 1986 : 41, 46) Sans doute fin du XIX e siècle natacha ‘prostituée des pays de l’est’ Popularité du prénom dans les pays de langue slave Fin du XX e siècle nicolas , colas ‘sot, niais’ Popularité du prénom depuis le Moyen Âge ( TH 09, m ichAëlsson 1927 : 60 sqq., f rAnKe 1934) nicolas : 1714 ( FEW ) colas : 1792 ( TLF i) péronnelle ‘jeune femme sotte et bavarde’ Popularité du prénom au Moyen Âge ( TH 09, m ichAëlsson 1927 : 60 sqq.) 1651 ( TLF i) raymond ‘homme’ Popularité du prénom dans le sud de la France, due notamment au fait que plusieurs comtes de Toulouse portaient ce nom aux XII e et XIII e siècles ( TH 09, d AuzAt 1925 : 63) robin ‘palefrenier’ Popularité du prénom Robert depuis le Moyen Âge ( TH 09) 1310 ( TLF i) yvan ‘soldat russe ; Russe’ Popularité du prénom dans les pays slaves ( TH 09) Ce relevé appelle plusieurs remarques. Tout d’abord, le nombre élevé d’items, issus pour la plupart de diminutifs, courants dans la langue populaire, témoigne de la forte productivité de ce type d’appellativisation dans les deux langues. Les correspondances formelles et, du moins en partie, sémantiques entre Hans et Jean , Jockel et Jacques , Nickel / Nig(e)l et Nicolas / Colas ou encore Peter et Pierre montrent une fois de plus la popularité de l’emploi déonomastique de certains prénoms issus de la tradition chrétienne. Nous constatons ensuite qu’un nombre non négligeable d’items sont antérieurs au XVII e siècle : jacques et robin sont attestés dès le XIV e , Hans , Hinz , Metze , guillaume , jean / jenin dès le XV e siècle, Konrad / Conrat / Kunz / Cunz , - hans , Michel , Nickel / Nig(e)l , Rüpel , catin , jean remontent quant à eux sans doute au XVI e siècle. En comparant ces dates avec celles des relevés précédents, il apparaît clairement que les déonomastiques issus d’un prénom populaire sont géné- 3.2. Les voies de l’appellativisation-: un tour d’horizon 147 ralement plus anciens que ceux qui renvoient à un porteur identifié, probablement en raison de leur origine populaire. Enfin, le nombre plus élevé de prénoms masculins que féminins dans nos relevés s’explique à la fois par le statut prédominant de l’homme dans les sociétés occidentales et par son corollaire linguistique, l’emploi du masculin dans un sens générique et collectif (cf. les expressions Hinz und Kunz , Iwan / Yvan , Fritz / fritz , Jacques , etc.). Les items relevés désignent tous des humains, les autres types de désignations reposant sur la popularité d’un prénom étant susceptibles d’être des emplois seconds. Nous pouvons les classer sous quatre catégories : 1. hommes , femmes ou personnes (avec des spécifications plus ou moins marquées) : Fritze , Grete / Gret(e)l , Hans , Hans(e)l , -hans(e)l , -heini , Jockel , Liese / Lieschen , Matz , Max(e) , Michel , -michel , Nickel , Nig(e)l , Peter , -sepp , Trine , -trine ; catherine , jean , julie , louise , marie , raymond . Dans le cas de l’allemand, nous constatons par ailleurs que la signification des items autonomes est souvent plus spécifique que celle de leurs pendants non autonomes, raison pour laquelle ces derniers sont parfois analysés comme suffixoïdes (cf. p. 46). 2. sots , niAis , rustres , lourdAuds : Hans(e)l , Heini , Heinz , Hiesel / Hiasl , Nazi , Rüpel ; bernard , guillaume , jeannin / janin / jenin , jeannot / janot , nicolas / colas , péronnelle , robin . 3. personnes cArActérisées pAr leur AppArtenAnce géogrAphique , ethnique ou reli gieuse : Bebbi , Fritz , Hannickel , Iwan , Sepp , Sepp(e)l ; fatma , fritz , yvan . 4. personnes cArActérisées pAr leur AppArtenAnce à une couche sociAle ou à un milieu socioprofessionnel : Konrad / cunrat / Kunz / Cunz , Minna ; cat(h)au / cateau , catin , conchita , jacques , jeanneton , jules , julot , mimile , natacha . Detlev / Detlef (‘homosexuel’) constitue un cas à part en ce que la popularité du prénom n’est pas liée à une pratique d’attribution réelle (le prénom n’est bien évidemment pas plus fréquent chez les homosexuels que chez les hétérosexuels), mais participe de la constitution d’un type de texte, ici les blagues et parodies mettant en scène des homosexuels 346 . Cette mise en scène peut être renforcée à l’oral par un allongement excessif des voyelles et une prononciation affectée ( Deedleew ), censés imiter la prononciation attribuée aux homosexuels (K78, K04). 346 Voici, en guise d’exemple, une blague racontée par l’humoriste Hape Kerkeling dans un de ses sketchs les plus connus : « Treffen sich zwei Schwule. Sagt der eine zum anderen: Du, hör’ mal, stell dir mal vor, mir ist gestern Nacht ein Kondom geplatzt. - Im Ernst? Nein, im Detlev! » (Hape Kerkeling, Café Korten ). 148 3. Aspects sémantiques 3.2.3. Les aspects formels Les déonomastiques étant issus en majorité de la langue populaire, on comprendra aisément que l’appellativisation reposant sur la forme du prénom concerne essentiellement la phonie et non la graphie. Nous distinguons quatre procédés : la paronymie, la recherche d’effets sonores, les procédés graphiques et l’étymologie populaire. Les trois premiers procédés ont pour objectif essentiellement l’expressivité, par laquelle les locuteurs expriment - souvent de manière imagée - des émotions ou sentiments 347 , et / ou l’euphémisme. 3.2.3.1. La paronymie L’appellativisation peut résulter de la ressemblance du prénom avec un mot ou une partie de mot 348 . La signification attribuée au prénom est alors identique à celle de son paronyme ou en lien avec les associations qu’il véhicule. Ce type de ‘remotivation à visée humoristique’ (« Neumotivierung in humoristischer Absicht » ; W iesinger 1995 : 470) passe par les procédés les plus divers : déformation, réinterprétation, calembour 349 , etc. Nous relevons pour l’allemand : Déonomastiques Procédés paronymiques Dates ou périodes de première attestation (ganz) im Ernesto ‘(très) sérieusement’ Jeu de mot reposant sur la proximité avec Ernst XX e siècle (Tante) Klara ‘soleil’ Proximité de klar et Klarheit (K04) Au plus tard vers 1900 (K04) 347 « Expressiv i.w.S. nennt man Texte oder Textelemente, die aufgrund ihrer stilistischen Gestaltung in besonderem Maße Emotionen und Einstellungen des Sprechers ausdrücken oder auch nur als besonders ‘lebendig oder auf andere Weise wirksam’ ( J. Lyons) empfunden werden. » (MLS 2010). 348 Nous retenons ici une acception large de la paronymie : « On appelle paronymes des mots ou des suites de mots de sens différent, mais de forme relativement voisine. » (d uBois et al . 2002). 349 Le calembour toponymique a été particulièrement apprécié dans le langage populaire et argotique. n yrop (1903 : 210) relève pour l’allemand nach Bethlehem gehen ( ins Bett gehen ‘aller se coucher’), Borneo ist sein Vaterland ( borniert sein ‘être borné’), aus Eilau sein ( es eilig haben ‘être pressé’), aus Habsburg sein ( habgierig sein ‘être avide’), nach Laufenburg appellieren ( davonlaufen ‘fuir’), nach Speier appellieren ( speien ‘cracher’). Pour le français, g uirAud (1973 : 96 sq.) cite de nombreux tours contenant le verbe aller : aller à Cachan (‘se cacher’), aller à Dormillon (‘dormir’), aller à Crevant (‘crever’), aller à Argenton (‘toucher de l’argent’), aller à Cracovie (‘raconter des craques’), aller à Montretout (‘passer une visite médicale’). 3.2. Les voies de l’appellativisation-: un tour d’horizon 149 Déonomastiques Procédés paronymiques Dates ou périodes de première attestation schnelle Katharina / Kathrin(e) / Kathi 350 ‘courante, diarrhée’ Proximité de (Darm-)Katarrh (D08) Début du XVII e siècle (K04) Ohnemichel / Ohne-Michel ‘citoyen sans grand intérêt pour la politique’ ‘objecteur de conscience’ Jeu de mot avec ohne mich (P96) ‘citoyen sans grand intérêt pour la politique’ : 1950 (K04) ‘objecteur de conscience’ : 1965 (K04) Ungustl ‘homme peu soigné, désagréable’ Allusion à l’autrichien ungustiös (‘peu appétissant, malpropre’) et en lien avec la forme diminutive du prénom Gustav (P96) Pour le français : Déonomastiques Procédés paronymiques Dates ou périodes de première attestation cornélius ‘cornard, mari trompé’ Association avec le mot corne (p e terson 1929 : 88) 1630 (moliere.parissorbonne.fr/ …/ ; 19. 6. 2016) gaspard ‘rat’ Selon la légende, nom donné à un rat apprivoisé en prison vers 1830. Peut-être issu d’un calembour sur le gars qui part , le rat pouvant s’échapper à sa guise de la geôle ( CR 91) 1831 (R12) miché , michet , micheton ‘client d’un(e) prostitué(e)’ Allusion à la miche (de pain), qui demande à être mangée ( CR 91), ou à son emploi argotique pour désigner les fesses ( BB 09) ou les seins ( FEW , s.v. mica ) 1764 ( TLF i) popaul ‘pénis’ Peut-être dû à la proximité du mot plus ancien polard / paulard (‘pénis’), d’origine incertaine ( CR 91) 1960 ( CML 10) 350 Les expressions synonymes flotter Anton / Fritz / Otto / Heinrich ne résultent pas d’une paronymie. 150 3. Aspects sémantiques Déonomastiques Procédés paronymiques Dates ou périodes de première attestation roméo ‘boisson à base de rhum et d’eau’ Calembour thomas ‘tinette de nuit, pot de chambre’ Peut-être lié à la formule de Rabelais descharger son thomas (‘estomac’ ; p eterson 1929 : 186 sq.) et / ou au calembour vide Thomas, vide latus (‘regarde Thomas, regarde mon flanc’), qui aurait été lu videz Thomas, vidé l’as-tu ? ( FEW ) 351 1836 ( TLF i) L’expression euphémique (den) (heiligen) Ulrich (an)rufen (‘vomir’), attestée dès le XVI e siècle, et ses pendants modernes (den / nach [dem]) Ulf rufen et den Jörg (an)rufen constituent un cas à part en ce que les prénoms sont associés à une onomatopée. En prenant l’exemple de Raoul , g illet (2013) décrit avec précision les raisons du choix d’un prénom 352 : le prénom a été choisi pour sa dimension démonstrative, ses capacités sonores : prononcé lentement, avec mimique adéquate de la bouche et du visage, il ressemble en effet à une onomatopée, celle d’un estomac qui se soulève puis se libère. (G13, s.v. Raoul ) Notons enfin qu’il n’est pas toujours aisé de distinguer ce type d’items, issus de l’appellativisation du prénom, de certaines formations créant une homophonie avec un prénom, telles que Ramona (prénom espagnol) dans chanter Ramona (‘gronder, réprimander’) et Rébecca dans faire du rébecca (‘se rebeller, protester vivement’). Ces dernières sont issues respectivement des verbes ramoner (‘gronder, réprimander’ ; argot) et (se) rebéquer (‘se rebeller, protester’ ; désuet). Citons encore le cas de l’anglicisme Ana / ana , formé à partir de anorexia. 351 Cette dernière hypothèse est jugée fragile par le TLFi, qui met en avant la banalité du prénom (cf. également s AinéAn 1930 : 414). 352 L’auteur mentionne les expressions hurler à (son copain) Raoul, rencontrer son ami Raoul, faire appel à tonton Raoul (‘vomir’), toutes tirées de l’édifiant Dico du vomi , accessible uniquement en ligne (han.pagesperso-orange.fr/ vomi.html ; page consultée le 29. 12. 2015). Signalons encore l’expression désuète appeler Huet , que o udin (1640) a commentée en ces termes : « La voix de celuy qui rend gorge approche du mot ». 3.2. Les voies de l’appellativisation-: un tour d’horizon 151 3.2.3.2. La recherche d’effets sonores L’appellativisation d’un prénom peut être motivée par la sonorité particulière qu’il produit dans une expression donnée. Les procédés attestés dans nos relevés sont l’allitération et surtout la rime, « élément motivateur par excellence dans les expressions populaires » (g eorge 2002 : 42). Nous citerons pour l’allemand : Expressions contenant des déonomastiques Procédés phoniques Dates ou périodes de première attestation flotte Lotte ‘moulinette (instrument de cuisine)’ rime schwule Jule ‘lesbienne’ rime 1920 (K04) wilde Hilde ‘dessert crémeux à base de fruits rouges’ rime An der Nase eines Mannes erkennt man seinen Johannes / Wie die Nase eines Mannes, so (ist auch) sein Johannes allusion humoristique à la taille du pénis rime den Jürgen würgen ‘se masturber’ rime Pour le français : Expressions contenant des déonomastiques Procédés phoniques Dates ou périodes de première attestation être gros-jean comme devant 353 ‘avoir conçu de grandes espérances et se retrouver dans la même situation qu’auparavant’ rime 1678 ( TLF i) Qui croit guiller Guillot, Guillot le guille / Tel croit guiller Guillot que Guillot guille ‘tel est pris qui croyait prendre’ allitération Qui aime Martin aime son chien ‘celui qui aime l’humain aime les animaux’ rime La rime et l’allitération sont parfois porteuses de sens. Comme le notait W AcKer nAgel (1860) au sujet de l’expression alémanique Etwas ist Hans wie Heiri (‘qqch 353 Ancien emploi de devant à valeur temporelle (‘avant cela’ ; R12). 152 3. Aspects sémantiques importe peu’), ‘l’allitération qui unit les deux noms présente les personnes en question comme équivalentes et le choix entre elles comme indifférent’ 354 . Cela vaut également pour l’expression partiellement allitérative Pierre, Paul, Jacques (‘n’importe qui, tout un chacun’) et pour déshabiller (saint) Pierre pour (saint) habiller Paul / prendre à Pierre pour donner à Paul (‘résoudre un problème en en créant un nouveau’) . Le même effet est produit par la rime dans Hans und Franz (‘n’importe qui, tout un chacun’) et par la répétition des consonnes finales dans l’expression synonyme Hinz ( Heinz ) und Kunz , répétition qui inspira à l’écrivain Robert g ernhArdt (1937-2006) les vers suivants : Es sprach der Hinz zum Kunz / gewähr mir deine Gunz. / Da sprach der Kunz zum Hinz / mein lieber Hinz, du spinnz (cit. in : g lücK 2002). 3.2.3.3. Les procédés graphiques La graphie du prénom n’a joué un rôle que pour trois items figurant dans nos relevés. Les deux premiers, Tante Frieda (‘services de commandement’) et Veronika ( Dankeschön ) (‘copine d’un soldat américain ; prostituée proposant ses services aux soldats américains’), expressions désuètes issues de l’argot des soldats 355 , reposent sur la réinterprétation ludique d’abréviations : T. F . ( Truppenführung ) pour la première, VD ( venereal disease ) pour la seconde. Ce dernier sigle ainsi que l’inscription ambiguë use cover (1. ‘utilisez la surface pour gratter l’allumette’ ; 2. ‘mettez un préservatif ’) figuraient sur les boîtes d’allumettes de l’armée américaine à côté de l’image d’une femme blonde, visant à endiguer la propagation de maladies sexuelles dans l’armée à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ce prénom fut retenu parce que le nom du personnage principal d’un magazine de soldats, Veronika Dankeschön , était lui aussi abrégé en V. D. (K04). Le dernier item, luc (‘cul’), employé initialement dans les expressions Saint Luc ou Messire Luc , aujourd’hui désuètes, repose quant à lui sur une anagramme. 3.2.3.4. L’étymologie populaire L’appellativisation peut enfin résulter de la réinterprétation du prénom à partir de certaines ressemblances formelles. Le prénom est alors associé à une unité avec laquelle il n’a aucun lien de parenté, la condition préalable étant l’oubli de son sens étymologique (cf. p. 69) 356 . Comme l’étymologie populaire peut se 354 Traduit par nos soins, texte original : « Die allitterierende Verbindung der zwei Namen bezeichnet die Personen selbst als gleichgeltend und die Wahl unter beiden als gleichgiltig. » (W AcKernAgel 1860 : 330, n. 3). 355 L’expression Tante Frieda date de la 1 e moitié du XX e siècle, Veronika ( Dankeschön ) de la fin de la Deuxième Guerre mondiale (K04). 356 Cf. à ce sujet p Aul (1975 [1880] : 219) : ‘Si les noms propres sont, de tous les mots, ceux qui opposent le moins de résistance à être rattachés de la sorte à un autre mot sur la 3.2. Les voies de l’appellativisation-: un tour d’horizon 153 produire de manière consciente ou inconsciente, la frontière avec les jeux de mots (3.2.3.1) est parfois floue. Le phénomène a été particulièrement productif dans le cas des mots d’emprunt, comme le montrent les items relevés par g ünther (1965 [1919]) 357 : Les transformations de ce type portant sur toutes sortes de noms de personnes prolifèrent entre autres dans le domaine des mots d’origine gréco-latine désignant nos plantes et nos végétaux. Une fois qu’on a formé par exemple à partir de Pyretrum le mot B ertram, de (Allium) ascalonium d’abord S chalotte [échalotte ; VB ], pour en faire ensuite une Cha (r)lotte, ou encore de Foenum graecum une ‘fein e Grete’ [élégante Grete ; VB ], on ne s’étonnera plus guère de ce que le langage populaire ait transformé Petersilie [persil ; VB ] en P eterli (-le, -lein), Rosmarin [romarin ; VB ] en R o s amarie et Baldrian [valériane ; VB ] en Bullerjahn, par ailleurs réintroduit en allemand standard sous la jolie expression ‘P olterjohann ’. 358 Outre feine Grete , seuls deux items de nos tableaux semblent relever clairement de l’étymologie populaire : boniface (‘homme excessivement crédule’), interprété comme issu de bonum et facere 359 - d’où l’idée de qqn de doux, d’inoffensif -, seule base de leur sonorité, c’est parce qu’il n’y a pas d’équivalence de sens, mais pas davantage d’incompatibilité sémantique.’ (Traduit par nos soins, texte original : « Eigennamen widerstreben einer solchen lediglich an den Laut sich haltenden sekundären Beziehung am wenigsten, weil bei ihnen zwar keine Übereinstimmung, aber auch kein Widerspruch der Bedeutungen möglich ist. »). Signalons que l’étymologie populaire a pu influencer l’attribution de certains patronages : Valentin serait ainsi devenu le patron des épileptiques en raison de la proximité de fallen ( Fall sucht) (cf. B Ach 1938 : 339, K unze 2002 : 41). n yrop (1903 : 225 sqq., 1913 : 332) cite, pour le français, le cas de saint Ouen , devenu le patron des sourds en raison de la proximité du verbe ouïr , et de sainte Claire , patronne des aveugles (ceux qui ne voient pas ‘clair’) et des lavandières. 357 N’ayant pu attester l’emploi de la plupart de ces items, nous ne les avons pas retenus dans nos relevés. Quant à Bertram , nous l’avons explicitement écarté de notre analyse (cf. 2.4.1). 358 Traduit par nos soins, texte original : « Einen wahren Tummelplatz für derartige Umgestaltungen zu allerlei Personennamen bieten unter anderem die griechisch-lateinischen Sachbenennungen unserer Pflanzen und Gewächse dar. Wenn man z. B. aus Pyretrum einen Bertram, aus (Allium) ascalonium zunächst Schalotte und daraus wieder eine Cha(r)lotte oder aus Foenum graecum gar eine ‘feine Grete’ gebildet hat, so kann es kaum wundernehmen, daß im Volksmunde auch die Petersilie einfach zu Peterli (-le, -lein), der Rosmarin zu Rosamarie und der Baldrian (Valeriana) in Mecklenburg zu Bullerjahn - und dann wieder hübsch ins Hochdeutsche übertragen - zu ‘Polterjohann’ geworden ist. » (g ünther 1965 [1919] : 192). On trouvera davantage d’exemples dans le cas de l’homonymie entre prénoms et mots issus du rotwelsch mentionnées par le même auteur (cf. n. 220). 359 En réalité, le prénom est dérivé du lat. bonifatus (‘qui a un bon destin’, de fatum ‘sort, destin’ ; TH09). 154 3. Aspects sémantiques et marie-jeanne , francisation de mariguana / marihuana , mot hispano-américain du Mexique d’origine inconnue ( TLF i). 3.2.4. Quand plusieurs chemins mènent au nom commun Le passage du prénom au nom commun est souvent motivé par plusieurs facteurs qui agissent successivement ou simultanément. Cette dimension plurifactorielle est notamment caractéristique de trois cas de figure 360 : 1. L’appellativisation repose sur un porteur identifié (I), caractérisé par la popularité de son prénom ( II ). C’est le cas de Otto dans Otto Normalverbraucher , nom du personnage principal du film Berliner Ballade (Stemmle, 1948), choisi sans doute en raison de la popularité du prénom (R92), et de Colas , dont la popularité au Moyen Âge a sans doute incité Molière à nommer ainsi plusieurs personnages subalternes de son théâtre, ce qui a favorisé l’émergence, à partir du XVIII e siècle, de son emploi comme nom commun pour désigner des sots ou des niais ( TH 09). 2. L’appellativisation repose sur un prénom devenu populaire ( II ) en raison de l’influence d’un porteur identifié (I). Ainsi, la popularité de Jockel , diminutif de Jakob employé pour désigner un homme débonnaire, est due à celle de l’apôtre ( KK 13). Il en va de même de baptiste / baptisse (p. 104), que l’on peut rattacher à la popularité des prénoms Baptiste et Jean-Baptiste et / ou à saint Jean-Baptiste, patron de ces mêmes Canadiens francophones (D99). 3. L’appellativisation d’un prénom populaire ( II ) a été favorisée par sa ressemblance avec un autre mot ( III ). L’emploi en alsacien de Hannickel , diminutif populaire de Johann Nikolaus , pour désigner un habitant ou une personne originaire de Lorraine, aurait ainsi été favorisé par la proximité de Karnickel , une désignation pour les sots, les niais (P96). En français, le recours aux prénoms Nicaise , Nicodème , Nicolas et Guillaume pour désigner des sots ou des niais a sans doute été influencé par nigaud et niais pour les trois premiers et par l’analogie avec le verbe guiller (‘tromper’) pour le dernier (n yrop 1913 : 329 sq., FEW ). Il en va de même de Claude et de Péronnelle , prénoms populaires ayant pris respectivement le sens de ‘sot, niais’ et de ‘jeune femme sotte et bavarde’, le premier par association à glaude (‘niais’), prononcé parfois avec un [k] ( TLF i), le second par la proximité de péroner (‘bavarder, pérorer’) et pironnelle (‘toupie’, par métaphore ‘jeune fille écervelée’ ; R12). Johannes , sous sa forme diminutive Jan , et Jean , les prénoms 360 Par la suite, les chiffres romains renvoient aux voies d’appellativisation présentées précédemment : (I) la référence du prénom à un porteur identifié, (II) sa popularité et (III) ses aspects formels. 3.3. Classification sémantique des déonomastiques issus de prénoms 155 masculins les plus populaires de tous, n’ont pas non plus été épargnés par l’action simultanée de ( II ) et de ( III ) : l’emploi de - jan comme membre déterminé de plusieurs composés ( Dummerjan / Dummrian ‘sot, niais’, Liederjan / Lied(e)rian / Luderjan ‘homme débauché, bohémien’, Lotterjan ‘oisif, traînesavates’, Polterjan / Poltrian ‘homme qui fait du tapage ; maladroit’, Schluderjan / Schludrian ‘homme négligent’) a pu être favorisé par le suffixe d’origine lat. - ian présent dans Grobian (‘rustre’) et Schlendrian (‘homme négligent et indolent’) (K02). Quant à Jean , l’homophonie avec le substantif gens a sans doute joué un rôle dans la formation ou la diffusion des composés formés à partir du prénom ( TLF i, c rAmer 1931 : 92) 361 . Enfin, les trois facteurs peuvent être impliqués à des degrés divers lors du processus d’appellativisation. C’est le cas de Fritz / fritz , dont l’emploi pour désigner un soldat allemand s’explique certes principalement par la popularité du prénom en Allemagne au XIX e et au début du XX e siècle ( II ), laquelle résulte en partie du prestige des souverains portant ce prénom (I). Quant à l’emploi de l’item en français, la présence de sons inhabituels pour les francophones ( III ) a elle aussi contribué à sa diffusion 362 . 3.3. Classification sémantique des déonomastiques issus de prénoms Cette partie présente les principales classes sémantiques concernées par l’appellativisation du prénom. Nous avons retenu, outre les items prototypiques, les mots complexes et les locutions afin de souligner la diversité d’emploi des déonomastiques. Par ailleurs, le recours ponctuel à des déonomastiques qui ne figurent pas dans nos tableaux a pour objectif de mieux illustrer la productivité de certains types de formation ainsi que la fréquence de l’appellativisation dans telle ou telle classe sémantique. Les catégories qui se dégagent de nos relevés recoupent largement celles que l’on trouve dans les études antérieures (cf. 1.1.2). Souhaitant mettre en avant cette continuité, nous avons retenu les mêmes grandes classes sémantiques que celles décrites dans la littérature. Nous aborderons ainsi d’abord les désignations de personnes et de parties du corps puis les classes associées aux animaux et 361 C’est cette homophonie qu’exploite Brassens dans sa chanson Le vent (1953) : « Les jeanfoutre et les gens probes / Médisent du vent furibond / Qui rebrousse les bois, / Détrousse les toits, / Retrousse les robes. » 362 Dans d’autres langues également, telles que l’anglais ( fritz ) et le russe ( fritsy ). 156 3. Aspects sémantiques aux végétaux et enfin, la classe associée aux artefacts 363 . Notre présentation des items au sein de chaque classe tient compte en priorité de leurs caractéristiques morphologiques et de l’époque de première attestation. En raison de la quantité et du type des données disponibles, variables d’une classe à l’autre, elle ne saurait toutefois suivre un schéma figé. Nous passerons en revue la grande majorité des déonomastiques relevés. Pour le reste 364 , le lecteur se reportera aux tableaux en annexe qui lui fourniront par ailleurs des informations complémentaires au sujet de tel ou tel item. 3.3.1. Les désignations de personnes Sans grande surprise, nous constatons que cette classe renferme la majorité des items figurant dans nos tableaux. Nous débuterons par les déonomastiques ayant l’extension la plus large, à savoir ceux désignant des hommes, femmes et personnes quelconques, dont certains sont entrés dans la formation de mots complexes relevant d’autres classes sémantiques (par ex. Hans > Plauder- , Polter- , Streithans ; 3.3.1.7) 365 . Après avoir passé en revue les six autres classes retenues, nous nous intéresserons aux raisons de la forte tendance à la péjoration dans ce domaine. 3.3.1.1. Les hommes, femmes et personnes quelconques Nous nous concentrerons ici sur les items issus de prénoms populaires, infiniment plus nombreux que ceux renvoyant à des porteurs identifiés ( Adam / adam et Eva / ève , T(h)usnelda ; p. 120 sqq.). Les spécifications sémantiques sont indiquées entre parenthèses. En allemand, un homme quelconque est généralement désigné par les prénoms Hans , Hans(e)l , Fritze (‘homme, exerçant souvent une activité’), Jockel 363 Cet ordre de présentation, s’il correspond à l’évolution sémantique la plus fréquente dans notre domaine (de l’animé à l’inanimé), ne doit pas masquer le fait que quelques noms d’objets ou d’animaux sont employés métaphoriquement pour désigner des humains : marionnette ‘petite figurine’ > ‘personne que l’on manipule à son gré’ ; saint-bernard ‘chien de montagne’ > ‘personne toujours prête à se dévouer, à porter secours aux autres’. 364 Pour ce qui est des déonomastiques qui n’entrent dans aucune des classes que nous avons retenues, nous avons déjà mentionné Alexandriner / alexandrin (p. 63), Axel / axel (‘figure de patinage artistique’ ; p. 63), guillemet (p. 18) et pascal (‘unité de pression’ ; p. 100). Citons également, pour l’allemand, Nelson , terme employé en lutte pour désigner une prise au niveau de la nuque, et pour le français, l’expression désuète coup du père François qui renvoyait à une agression lors de laquelle l’un des attaquants serrait une courroie autour du cou de la victime (p. 96) ainsi que l’emprunt à l’espagnol véronique qui désigne une passe exécutée par le toréro. 365 Comme le notait m eisinger (1924), les formations issues du prénom Hans sont particulièrement nombreuses : ‘ Hans et ses familles pourraient remplir un livre à eux seuls’ (« Hans [möchte] allein mit seinen Gesippen ein Buch füllen » ; 1924 : 29). 3.3. Classification sémantique des déonomastiques issus de prénoms 157 (‘homme débonnaire’), Michel (‘homme, souvent débonnaire et un peu lourdaud’) ou encore Wastl (employé dans le sud de l’Allemagne et en Autriche), en français par Gus , Gugusse ou Raymond et, en argot, Matz . Ces items peuvent être accompagnés des déterminatifs indéfinis irgendein et jeder en allemand ainsi que de l’adjectif quelconque en français qui marque l’indétermination absolue : (40) »Übrigens: wen hat sie geheiratet? « »Deine Helga? Weiß nicht genau. Irgend so ’nen Fritzen aus der Bankbranche. (Böcking, Aufgalopp , 2010 ; GB ) (41) Das sind richtige probleme, und nicht, ob irgendein wastl bei einer burschenschaft ist oder nicht. (derstandard.at/ …/ ; 6. 4. 2015) (42) Jeder Hans kann Makler werden: gemäß dem Motto „Faulheit minus Qualifikation plus Geldgier“ (www.focus.de/ …/ ; 18. 12. 2012) (43) Mon ambition secrète, c’est pas les bicornes, les prix Duchenock et les merdailles, mais qu’au moment où je cannerai, si c’est pas trop furtif, un gus quelconque se penche sur mon cercueil-studio et dise quelque chose dans le genre de : « T’as bien bagarré contre la connerie, San-A. […] » (San-Antonio, L’archipel des malotrus , 1967 ; GB ) Parmi ces items, Hans(e)l et Jockel fonctionnent également comme des désignations génériques de personnes : (44) Der öffentliche Dienst habe bereits „enorme Vorleistungen“ erbracht, sagte Dohr. Er bekenne sich zu Reformschritten, aber: „Wir müssen nicht immer der Jockel sein, der vorangeht.“ ( Salzburger Nachrichten 1997 ; DeReKo) (45) Und im Winter: willste in der Küche den Wald verheizen oder die Möbel oder wie so ein armer Hansel erfrieren? (Kreisler, Knochenmühle: Thriller , 2014 ; GB ) Les désignations de Madame Tout-le-monde issues exclusivement d’un prénom féminin populaire sont rares. D’après p eterson (1929 : 108), cela tiendrait à ce que « le besoin de faire valoir le sexe féminin n’est pas trop impérieux, quand il s’agit de désigner un tel individu ». Nous relevons pour l’allemand Grete , Jule et Käthe , ce dernier étant issu de l’argot des soldats en RDA , et pour le français, nana , jacqueline et louise . Comme nous le verrons plus bas (p. 170), la plupart de ces items sont également employés dans le sens plus spécifique de ‘épouse, copine, amante’. Les prénoms de ce type fonctionnent souvent, en raison de leur sous-détermination sémantique, comme membres déterminés de composés ou éléments de dénominations complexes. Citons pour l’allemand : 158 3. Aspects sémantiques -fritze Bummelfritze ‘traînard, garçon, homme qui prend son temps’, Bürofritze ‘employé de bureau, bureaucrate’, Fernsehfritze ‘homme qui travaille à la télévision’, Filmfritze ‘homme qui travaille dans l’industrie du cinéma’, Heulfritze ‘pleurnicheur’, Immobilienfritze ‘employé d’une agence immobilière’, Kleckerfritze ‘saligaud, homme sale’, Laberfritze ‘homme bavard’, Leckerfritze ‘gourmand’ , Mäkel- , Meckerfritze ‘râleur, rouspéteur’, Möbelfritze ‘vendeur de meubles’, Modefritze ‘homme travaillant dans la mode’, Nörgelfritze ‘râleur, ergoteur’, Plapper- , Quasselfritze ‘homme bavard’, Quengelfritze ‘garçon, homme ronchon, pleurnicheur’, Trödelfritze ‘traînard, garçon, homme qui prend son temps’, Versicherungsfritze ‘employé d’une compagnie d’assurance’, Werbefritze ‘employé d’une agence de publicité’, Zeitungsfritze ‘vendeur de journaux ; journaliste, reporter’, Zigarrenfritze ‘marchand de cigarres’ -hans Fabelhans ‘menteur, affabulateur’, Faselhans ‘homme qui dit des âneries’, Faulhans ‘paresseux’, Grillenhans ‘saltimbanque’, Groszhans, grosz Hans ‘homme influent, riche ; (dans l’armée) gradé’, Hornhans ‘cornard, mari trompé’, Kalthans ‘fanfaron, baratineur’, Karsthans ‘paysan’, Kleinhans , klein Hans ‘bas peuple, petites gens ; (dans l’armée) simple soldat’, Knapphans ‘grippe-sou, avare’, Marterhans ‘lansquenet’, Mosthans ‘amateur de moût’, Pimpelhans ‘(souvent) garçon, homme douillet, délicat’, Plapper- , Plauder- , Schwabbelhans ‘homme bavard’, Poch- , Polterhans ‘homme qui fait du tapage’, Prahlhans ‘vantard’, Saufhans ‘soûlard’, Schmalhans ‘crève-la-faim’, Schnarchhans ‘ronfleur, paresseux’, Streithans ‘bagarreur’, Tölpelhans , Hans Tölpel ‘lourdaud, rustre’ Hans Hansdampf , Hans Dampf (in allen Gassen) ‘touche-à-tout’, Hans Hasenfuß ‘poltron, lâche’, Hans Liederlich ‘homme débauché, bohémien’, Hansnarr , Hans Narr ‘bouffon, pitre’, Hans Nimmersatt ‘goinfre’, Hans ohne Sorgen / Ohnesorg(e) ‘homme sans souci’, Hans Taps ‘homme maladroit’, Hans Unvernunft / Unverstand ‘homme déraisonnable’, Hanswurst , Hans Wurst ‘homme qu’on ne peut pas prendre au sérieux ou qui fait le pitre’ -hans(e)l Kuttenhans(e)l ‘ecclésiastique’, Prozesshans(e)l ‘personne procédurière’, Streithans(e)l ‘bagarreur’ -heini Blödheini ‘idiot, niais’, Fernsehheini ‘homme qui travaille à la télévision’, Filmheini ‘homme qui travaille dans l’industrie du cinéma’, Immobilienheini ‘employé d’une agence immobilière’, Pfeifenheini ‘bon à rien ; mauvais juge, mauvais arbitre’, Pomadenheini ‘homme tiré à quatre épingles, aux cheveux gominés’, Reklameheini ‘publicitaire’, Religionsheini ‘croyant, enseignant de religion, ecclésiastique’, Saftheini ‘lavette, bon à rien’, Schmalz- , Schnulzenheini ‘chanteur de charme, chanteur pour midinettes’, Versicherungsheini ‘employé d’une compagnie d’assurance’, Waldheini ‘homme qui aime la forêt, qui y vit ; original, homme un peu dérangé’ 3.3. Classification sémantique des déonomastiques issus de prénoms 159 -jan (aussi -ian ) Dummerjan , Dummrian ‘sot, niais’, Liederjan , Lied(e)rian , Luderjan ‘homme débauché, bohémien’, Lotterjan ‘traîne-savates, oisif ’, Polterjan , Poltrian ‘homme qui fait du tapage ; maladroit’, Schluderjan , Schludrian ‘homme négligent’ Jan Janhagel , Jan Hagel ‘bas peuple, plèbe’, Janmaat, Jan Maat ‘marin’ -liese Bummelliese ‘traînarde, fille, femme qui prend son temps’, Dreck- , Schmutzliese ‘souillon, fille, femme malpropre’, Flenn- , Heulliese ‘pleurnicheuse, pleurnicheur’, Klatsch- , Plapper- , Quatsch- , Schnatter- , Schwatz- , Schwätz- , Tratschliese ‘cancanière, commère, pie’, Kleckerliese ‘fille, femme qui mange salement, qui se tache en mangeant’, Meckerliese ‘râleuse, rouspéteuse’, Nörgelliese ‘râleuse, ergoteuse’, Pimpel- , Pimperliese ‘fille, femme douillette ou d’une sensibilité excessive’, Quengelliese ‘pleurnicheuse’, Trödelliese ‘traînarde, fille, femme qui prend son temps’, Zappelliese ‘fille qui ne tient pas en place’, Zimperliese ‘mijaurée, pimbêche’ max(e) Klettermax(e) ‘monte-en-l’air ; escaladeur chevronné’ -michel Dorfmichel ‘villageois peu instruit’, Giftmichel ‘homme colérique, irascible’, Heulmichel ‘pleurnicheur’, Labermichel ‘homme bavard’, Linkmichel ‘mauvais camarade’, Ohnemichel, Ohne-Michel ‘objecteur de conscience ; citoyen sans grand intérêt pour la politique’, Quatschmichel ‘homme bavard’, Schmiermichel ‘saligaud, homme sale ; policier, agent de la police judiciaire’, Zornmichel ‘homme colérique’ -nickel / nig(e)l Bosnickel , -nig(e)l ‘enfant, homme mauvais’, Grantnickel , -nig(e)l ‘enfant, homme revêche’, Neidnickel , -nig(e)l ‘enfant, homme envieux’, Notnickel , -nig(e)l ‘pauvre hère ; grippe-sou, avare’, Pumpernickel ‘homme rustre’, Rotznickel , -nig(e)l ‘enfant, homme mal élevé’, Saunickel , -nig(e)l ‘enfant, homme vulgaire’, Saufnickel , - nig(e)l ‘soûlard’, Zornnickel , - nig(e)l ‘enfant, homme colérique’ -peter Angstpeter ‘froussard’, Heulpeter ‘pleurnicheur’, Lügenpeter ‘menteur’, Miesepeter ‘garçon, homme bougon, de mauvaise humeur’, Nölpeter 366 ‘garçon, homme mou, lent’, Umstandspeter ‘homme compliqué’, Zappelpeter ‘garçon, homme qui ne tient pas en place’ -sepp Kletzensepp ‘homme ennuyeux, mauviette’, Wurzelsepp ‘homme qui récolte les racines et les herbes dans les Alpes bavaroises’, par ext. ‘homme excentrique, un peu rude’ -suse Heul- , Plärr-, Tränensuse ‘pleurnicheuse, pleurnicheur’, Nölsuse ‘fille, femme molle, lente’, Transuse ‘personne ennuyante, lente, lourdaude’, Traumsuse ‘fille, femme rêveuse, distraite’ -trine Heultrine ‘pleurnicheuse, pleurnicheur’, Klatsch -, Plappertrine ‘cancanière, commère, pie’ 366 nölen a également le sens de ‘geindre’. 160 3. Aspects sémantiques En français, ce type de formation se limite pour l’essentiel à Jean et Marie , les composés étant pour la plupart vieillis ou désuets : jean gros-jean ‘sot, niais, empoté’, jean-foutre , jean-fesse , jean-sucre ‘individu incapable, peu fiable’, jean-bête ‘sot, niais’, jean-cadavre ‘exécuteur des hautes œuvres, bourreau’, jean-(le-)cul ‘sot, niais’, jean-farine ‘bouffon’, jean-femme ‘homme faible, efféminé’, jean-(le-)gouin ‘matelot, marin’, jean guêtré ‘paysan’, jean-lorgne ‘celui qui louche’, jean-raisin ‘vigneron’, jean-qui-ne-peut ‘homme impuissant’, jean-qui-pleure-et-(jean-)qui-rit ‘personne qui passe facilement du rire aux larmes’ 367 marie marie-bonbec / bon-Bec ‘femme bavarde ; cancanière, commère’, marieberdasse / bredasse ‘femme volubile, commère brouillonne qui parle à tort et à travers’, marie-couche-toi-là ‘femme facile, débauchée’, marie-dorten-chiant ‘femme paresseuse, indolente’, marie-graillon ‘souillon, femme malpropre et dégoûtante’, marie-jacasse ‘femme bavarde, commère’, marie-jambes-en-l’air ‘femme de mauvaises mœurs’, marie-je-m’embête ‘qui fait des manières, embête son monde’, marie-j’ordonne ‘fille, femme autoritaire’, marie-mange-mon-prêt ‘prostituée’, marie-pique-rempart ‘prostituée qui rôde la nuit aux environs des postes de soldats’, mariepisse-trois-gouttes ‘fillette, pisseuse’, marie-quatre-poches , marie-souillon , marie-torchon ‘femme sale, à l’allure négligée’, marie-salope ‘femme de mauvaises mœurs’ Comme le montrent nos relevés, le noyau sémantique est exprimé dans les deux langues par des éléments nominaux, adjectivaux ou verbaux, et dans le cas du français, également par des syntagmes (par ex. dans jean-qui-ne-peut , jean-quipleure-et-(jean-)qui-rit , marie-je-m’embête , marie-dort-en-chiant , etc.). L’apport sémantique du prénom, très souvent sous sa forme diminutive en allemand, se limite aux traits personne et homme ou femme . Associé à un élément verbal, le prénom fonctionne en quelque sorte comme un suffixe agentif : Bummelfritze vs Bummler , Faselhans vs Faseler , Klettermax(e) vs Kletterer , Trödelliese vs Trödlerin , etc. 368 367 Dans son étude de l’évolution sémantique du prénom Jean , c rAmer (1931) ne cite pas moins de 250 composés de ce type. Nous en mentionnerons certains dans la partie qui traite des composés dépréciatifs contenant Jean (p. 185 sq.). 368 D’après B ergmAnn (1993), le verbe, pour entrer en composition avec un prénom, doit remplir les conditions syntaxico-sémantiques suivantes : - désigner une action humaine répréhensible mais sans réelle gravité - ne pas viser de but précis ni de tierce personne - ne pas appartenir pas à un registre de langue trop élevé - pouvoir être employé sans complément (cf. 1993 : 537). 3.3. Classification sémantique des déonomastiques issus de prénoms 161 Il apparaît ensuite que ce type de formation vise rarement à combler une lacune dénominative (cf. m üller 1929 : 69 sq.). Le mot déjà existant peut apporter des éléments caractérisants ( Bummler vs Bummelfritze , Umstandskrämer vs Umstandspeter , impuissant vs jean-qui-ne-peut , etc . ), voire être repris tel quel dans le mot complexe ( Hasenfuß ‘poltron, lâche’ > Hans Hasenfuß , Ohnesorge ‘homme sans souci’ > Hans Ohnesorg(e) , Maat ‘sous-officier’ > Janmaat , Jan Maat , Taps ‘homme maladroit’ > Hans Taps ; berdasse ‘femme volubile, commère’ > marie-berdasse , bonbec ‘femme bavarde’ > marie-bonbec et souillon ‘femme sale, à l’allure négligée’ > marie-souillon ; p. 103). Si de tels composés et dénominations complexes ont pu s’établir dans le lexique, c’est en raison de la valeur communicative ‘ajoutée’ du prénom, qui véhicule toutes sortes d’associations et est souvent lié à un registre de langue plutôt familier 369 . Nos relevés indiquent que la productivité de ce type de formation est plus faible en français qu’en allemand. Si des composés comme jean-foutre et mariecouche-toi-là sont encore courants, les prénoms jean et marie ne fonctionnent plus aujourd’hui comme éléments de composés. La présence marquée des formations de ce genre en allemand s’explique tout d’abord par la vitalité des dialectes. C’est dans la sphère privée (cercle familial 370 , village, groupe d’amis), lieu de prédilection de l’usage dialectal, que sont apparues la plupart de ces formations. Il suffit de jeter un coup d’œil dans quelques dictionnaires dialectaux pour se convaincre de la richesse du phénomène. Les dialectes alsaciens connaissent ainsi une dizaine de composés formés à partir du seul prénom Jockel : Burenjockel (‘paysan grossier et lourdaud’), Dreck- , Schmier -, Schmutzjockel (‘saligaud, homme sale’), Eisenjockel (‘homme souffrant d’un ulcère’), Fressjockele (‘enfant qui veut toujours manger’), Gigerjockel (‘violoniste’), Glurjockel (‘homme qui louche’), Jojockel (‘homme qui dit oui à tout’), Pfifferjockel (‘homme qui siffle tout le temps’) (Els WB ). Les composés désignant des bavards abondent dans les dialectes parlés en Thuringe : Quatschliese , - christel , - guste , - hanne , - karline , - rese , - suse pour les femmes, Quatschmichel , - friede , - hans , - matz , - peter , - toffel pour les hommes (Thür WB ). Sous l’entrée mären (‘parler longuement, de manière compliquée et en ennuyant son interlocuteur’), ce dictionnaire ne recense pas moins de dix-huit composés de ce type : Märaugust , - christel , - friede(r) , - fritz , - guste , - hans , - heinrich , - liese , - lotte , 369 A ndrjuschichinA (1993 : 531) considère les prénoms de ce type comme des ‘suffixes expressifs’ (« expressive Suffixe »). 370 Comme l’indique B ergmAnn (1993), ‘la situation fondamentale qui a conduit à l’émergence du type de formation analysé est l’attitude de l’adulte qui presse un enfant à faire quelque chose ou qui le dispute’ (Traduit par nos soins, texte original : « die Grundsituation, die zur Entstehung des untersuchten Typs geführt hat, [ist] die mahnende, leicht scheltende Haltung des Erwachsenen gegenüber einem Kinde. » ; B ergmAnn 1993 : 539). 162 3. Aspects sémantiques - lips (de Philipp ), - matz , - michel , - peter , - rese , - rickchen [sic], - sophie , - suse . Quant au bas-allemand, il regorge de formations contenant le prénom Jan : Jan-Bangbüx (‘poltron’), Jan-Blaff (‘criard’), Jan-Daddel / Jan-Dutt (‘sot, niais’), Jan-Flegel (‘homme impoli’), Jan-Klump (‘homme ennuyeux’), Jan-van-feern (‘poltron, lâche’), Jan un allemann (‘plèbe, populace’), etc. (cf. s tellmAcher 2001 : 215 sq.). Les composés de ce type sont également très présents dans certains groupes sociaux à fort besoin identitaire. Dans son ouvrage Berlins Drittes Geschlecht (1904), le sexologue Magnus h irschfeld rapporte qu’au début du XX e siècle, les homosexuels berlinois avaient recours à des prénoms féminins pour forger de manière ludique des sobriquets qui permettaient avant toute chose de garantir l’anonymat des personnes : Celui qui épie la conversation tenue dans ces locaux est étonné d’entendre prononcer un aussi grand nombre de noms féminins, dont quelques-uns sont très étranges. Mais bientôt il s’apercevra qu’il s’agit ici des sobriquets dont ces hommes se gratifient. […] Souvent on ajoute à ces noms un supplément ; ainsi pour le nom Juste, nous aurons une Schmalzjuste, Klammerjuste, Klamottenjuste, Handschuhjuste, Blumenjuste, pour Karoline, nous aurons Spitzenkaroline et Umsturzkaroline (puisque avec ses gestes larges, cet homme renverse au moins un bock chaque jour), nous aurons une Kaeseklara, une Lausepaula, etc. 371 De même, à en croire le dictionnaire de K üpper (1978), les composés formés à partir de Heini étaient légion dans l’argot des soldats des années 1960 et 1970 : Ampullenheini (‘membre des troupes de défense nucléaire, biologique et chimique’ ; allusion aux récipients contenant les produits de décontamination et de désintoxication), Balkenheini (‘membre des troupes du génie’ ; allusion aux poutres qu’ils sont censés porter pour construire des ponts), Bulettenheini (‘cuistot’), Flatterheini (‘membre de l’armée de l’air’), Flimmerheini (‘tireur maniant un pistolet lance-fusées’), Luftheini (‘aviateur’), Jodheini (‘médecin-capitaine’), Pickelheini (‘officier’ ; Pickel ‘étoile d’officier’), Salzwasser -, Süßwasserheini 371 Traduction de 1908 (anon. : 61 sq.), texte original : « Wer zum erstenmal den Gesprächen in diesen Kneipen lauscht, wird erstaunt sein über die große Zahl weiblicher, oft sehr absonderlicher Namen, die an sein Ohr dringen. Bald wird er gewahr, daß es sich um Spitznamen handelt, welche die Gäste sich untereinander beilegen. […] Oft sind diese weiblichen Namen noch mit Unterscheidungszusätzen verbunden; so gibt es eine Näsenjuste [sic], eine Schmalzjuste, eine Klammerjuste, Klamottenjuste, Handschuhjuste und Blumenjuste, eine Lange-Anna, Ballhausanna und Blaueplüschanna, eine Hundelotte und eine Quietschlotte, eine Spitzenkaroline und eine Umsturzkaroline (weil er durch seine lebhaften Armbewegungen jeden Abend mindestens ein Glas Bier „umstürzen“ soll), eine Butterriecke [sic], eine Käseklara, eine Lausepaula, eine Harfenjule und eine Totenkopfmarie. » (h irschfeld 1991 [1904] : 81 sq.). 3.3. Classification sémantique des déonomastiques issus de prénoms 163 (‘marin’), Silberheini (‘officier’ ; allusion aux décorations en argent), Spatenheini (‘grenadier de chars’), Waldheini (‘idiot, raté’), Wasserheini (‘membre de la marine’), etc. Ce type de formation conserve une certaine productivité dans la langue familière, comme le montrent les composés récents formés avec Fritze 372 et Heini : Fernsehfritze , -heini (‘homme qui travaille à la télévision’), Filmfritze , -heini (‘homme qui travaille dans l’industrie du cinéma’), Immobilienfritze , -heini (‘employé d’une agence immobilière’), Internetfritze (‘homme dont le travail est en lien avec Internet ou les fournisseurs d’accès à Internet’), Internetheini (‘garçon, homme féru d’Internet’), Pfeifenheini (‘mauvais juge, mauvais arbitre’), Schmalzheini (‘chanteur de charme, chanteur pour midinettes’), Versicherungsfritze , -heini (‘employé d’une compagnie d’assurance’), etc. (cf. f leischer & B Arz 2012 : 184). Contrairement au français, les prénoms sont largement substituables en allemand : Heulmichel , Heulpeter , -liese , -suse , -trine ; Plapperfritze , -hans , -liese , -trine ; Kletzenbene / -i , -sepp 373 . Cette substitution permet à la fois un regain d’expressivité et une différenciation selon le sexe : Bummelfritze vs Bummerliese , Heulpeter vs Heulliese / -trine / -suse , Nölpeter vs Nölsuse , Plapperfritze / -hans vs Plapperliese / -trine , Schmutzbart(h)el vs Schmutzliese , etc. Cela ne signifie pas pour autant qu’un prénom désigne exclusivement des personnes du sexe correspondant. Les composés Heulsuse et Plärrsuse , qui renvoient à des comportements traditionnellement attribués aux femmes, peuvent ainsi s’appliquer aux hommes, ces désignations étant ressenties comme plus dévalorisantes que les pendants masculins Heulpeter ou Heulmichel : (46) „Von einem professionellen Sportler erwartet man, dass er nicht so eine Heulsuse ist“, sagte der Inder, den Vettel zuvor als „Gurke“ und „Idiot“ bezeichnet hatte. ( Nürnberger Zeitung 2012 ; DeReKo) 372 Fritze est attesté comme membre de composé dès le début du XX e siècle, époque à laquelle le prénom était employé à Berlin pour désigner toutes sortes de vendeurs, marchands ou artisans : Bonbonfritze (‘pâtissier’), Heringsfritze , Kohlenfritze , Milchfritze , Mostrichfritze , Zigarrenfritze , etc. (m üller 1929 : 63 sqq.). 373 La substitution ne se limite pas aux composés, comme le montrent les nombreuses variantes ludiques et / ou euphémiques figurant dans nos relevés. Nous distinguerons les cas de figure suivants : 1) le prénom se substitue à un mot ( Stiefelknecht ‘tire-bottes’ > Stiefelheinz , Das walte Gott! [expression du souhait] > Das walte Hugo! , fürn Arsch sein ‘être vain, inutile’ > fürn Hugo sein , Wackelpudding > Wackelpeter ; avaler le bourgeois ‘communier’ > avaler / bouffer (le) gaspard ) ; 2) le prénom est remplacé par un autre ( Gugelfranz ‘moine’ > Gugelfritz , faire sa sophie ‘faire des manières, des chichis’ > faire sa julie , dame-jeanne ‘bouteille, bidon’ > marie-jeanne ) ; et 3) la substitution concerne un élément autre que le prénom ( Otto Normalbürger > Otto Normalverbraucher , Normalversicherter ). 164 3. Aspects sémantiques (47) Er liegt auf dem Boden, heult, reibt sich den Schenkel, Plärrsuse! Ich zieh ihm jetzt das ganze Fell über die Schnauze, den Nylonstrumpf vom Kopf, das Gebrüll wird unerträglich laut. (Imog, Die Wurliblume , 1987 ; GB ) Signalons enfin que les désignations d’hommes, de femmes ou de personnes quelconques peuvent également faire partie de locutions. Dans le proverbe Jeder Hans findet seine Grete (‘à chacun sa chacune, chaque homme trouve un jour la femme qui lui correspond’) et les expressions stéréotypantes Otto Normalbürger et Lieschen Müller , les prénoms masculins et féminins renvoient respectivement à l’homme et à la femme. En revanche, dans les locutions désignant tout un chacun, les prénoms, toujours masculins, sont employés de manière générique : Hinz und Kunz , Hans und Kunz , Hans und Franz ; Pierre, Paul, Jacques ( Pierre, Jean, Jacques au Canada francophone) 374 . Cela vaut sans doute aussi pour l’expression désuète Hänschen im Keller (‘enfant à naître’) 375 et sa variante moderne einen Kasper in der Schublade haben (‘avoir un polichinelle dans le tiroir’), l’expression familière Was Hänschen nicht lernt, lernt Hans nimmermehr 376 (‘ce que l’on n’apprend pas étant jeune, on ne l’apprendra jamais’) et quelques autres proverbes désuets : Qui aime Martin aime son chien (‘celui qui aime l’humain aime les animaux’), Faute d’un point Martin perdit son âne (‘il a manqué fort peu de chose à qqn pour gagner une partie de jeu ou pour réussir dans une affaire’) et Qui croit guiller Guillot, Guillot le guille / Tel croit guiller Guillot que Guillot guille (‘tel est pris qui croyait prendre’). 3.3.1.2. Les sots, les niais, les simples d’esprit Du trait ordinAire , moyen à celui de sot , niAis , Benêt , il n’y a bien souvent qu’un pas, d’autant plus facile à franchir que parmi les items dont nous venons de parler, certains se trouvent fréquemment accolés aux épithètes dépréciatives dumm et blöd : dummer Jan / Matz / Michel / Peter , dumme Grete / Gret(e)l / Liese / Trine , dummes Lieschen . Dans blöder / dummer Heini , on peut interpréter le pré- 374 Cf. les équivalents Tom , Dick and Harry en anglais et Jan , Piet en Klaas en néerlandais, constitués eux aussi exclusivement de prénoms masculins. 375 Cette expression serait issue du nom d’un gobelet richement décoré, pourvu d’une installation qui faisait apparaître un petit garçon dès lors qu’on y versait du vin. Dans ces situations, il était d’usage de trinquer en criant Es lebe Hänschen im Keller! pour souhaiter aux femmes désireuses d’avoir un enfant de tomber rapidement enceintes et à celles qui l’étaient déjà une maternité et un accouchement heureux (E40). Signalons également l’expression anglaise, désuète, Jack in the cellar. 376 L’opposition de Hänschen (‘jeune homme’) et Hans (‘homme adulte’) est reprise dans la chanson populaire Hänschen klein , composée au XIX e siècle par Franz Wiedemann (1821-1882) : « Sieben Jahr’ / Trüb und klar / Hänschen in der Ferne war. / Da besinnt / Sich das Kind / Eilt nach Haus geschwind. / Doch nun ist’s kein Hänschen mehr. / Nein, ein großer Hans ist er / Braun gebrannt / Stirn und Hand. / Wird er wohl erkannt ? ». 3.3. Classification sémantique des déonomastiques issus de prénoms 165 nom comme la désignation d’une personne lambda ou celle d’un sot, auquel cas l’épithète viendrait renforcer le sens attribué au prénom. Comme pour la classe précédente, les items désignant des niais et des sots sont pour la plupart issus de prénoms populaires 377 , souvent sous forme de diminutifs. Dès le XV e siècle, l’idée de sottise et de niaiserie est associée aux prénoms Götz , Kunz et U(t)z , auxquels s’ajoutent, au XVI e siècle, Stoffel et Heinz . Luther employait d’ailleurs volontiers le diminutif Heinz pour railler Henri de Brunswick-Wolfenbüttel (1489-1568) et le roi d’Angleterre Henri VIII (1491-1547), deux de ses puissants détracteurs dans les questions de foi 378 . Matz , présent aujourd’hui dans le dérivé Mätzchen (‘bêtises, simagrées’), date du XVII e siècle, Urschel , l’un des rares prénoms féminins de nos relevés désignant à lui seul une femme sotte et / ou niaise, et Görgel , diminutif de Georg 379 , sont quant à eux attestés au XVIII e siècle. Ce sens péjoratif affecte Schurl , un autre diminutif de Georg employé au XIX e siècle dans le sud de l’espace germanophone, ainsi que Simmerl , diminutif de Simon . Dans la langue familière actuelle, on designe volontiers un sot par Heini (plus rarement Heino ), Michel et Seppel , en Suisse également par Klaus / Chlaus . Citons enfin, issus de la langue des jeunes, Horst 380 et sa variante Vollhorst , Otto ainsi que les anglicismes Bob , Lowbob et Larry 381 . Bob et Lowbob sont employés également dans le sens de ‘homme, garçon ignorant, incompétent’. Quant à Larry , il désigne aussi un pitre, sens que 377 Les quelques items renvoyant à un porteur déterminé sont mentionnés sous 3.2.1.1. 378 Citons, en guise d’exemple, l’extrait suivant au sujet du roi Henri VIII : « Mich aber wundert nicht, das könig heyntz also feret, der hie mit zeugt, das er weniger weyß, was glaube und gute werck sind den eyn grober block, der doch naturlich gott fület, auch muß könig heyntz das sprichwort helffen war behallten, das keyn grösser narren sind denn könige und fürsten. Sondern des teuffels wunder ich mich, das er also gegen myr kauckellt durch seynen heynzen und doch wol weyß, das es für myr nichts ist. » (Luther, Antwort auf König Heinrichs Buch , 1522 ; éd. de Weimar 1907, vol. 10.2, p. 259 [IA]. - Traduction de A udin , Histoire de la vie, des écrits et des doctrines de Martin Luther , 1845 [GB] : ‘Ce qui m’étonne, ce n’est pas l’ignorance de Heinz le roi d’Angleterre, ce n’est pas qu’il entende moins la foi et les œuvres qu’une bûche qui ressent son Dieu ; c’est que le diable joue ainsi le rôle de paillasse à l’aide de son Heinz, quand il sait bien que je me ris de lui. Le roi Henri connaît le proverbe : Il n’y a pas de plus grands fous que les rois et les princes’). - Le choix du prénom s’explique peut-être aussi par le fait qu’il était attribué au diable, emploi attesté également dans les écrits de Luther (cf. s Ang 1921 : 17 sq. ; cf. également p. 32). 379 Georg aurait lui-même été attesté dans ce sens (R92, s.v. Georg ). 380 Prénom fréquent surtout dans les couches populaires (cf. d eBus 1977b : 204). Le personnage culte Horst Schlämmer, incarné par Hape Kerkeling depuis 2005, a pu contribuer à la diffusion de cet emploi. 381 e hmAnn (1992 : 84) note, non sans autodérision, au sujet de l’origine de Larry : « Wie es zu der Verbindung von […] Larry und Spaßvogel kommt, bleibt selbst dem wissenschaftlichen Sprachfuzzi ein Rätsel. » 166 3. Aspects sémantiques l’on retrouve dans l’expression den Larry machen, rauslassen / -hängen (‘se lâcher, faire la fête’). Les items français les plus anciens figurant dans nos tableaux sont issus pour la plupart de Jean et de ses diminutifs : jeannot est attesté dès la fin du XIV e siècle sous la forme jehannot ; jean et jenin remontent, ainsi que guillaume 382 , au XV e siècle ; gros-jean date du XVI e siècle, tout comme nigaud (sous la forme Nigauld ) et job(e) . Au XVII e siècle, le sens de ‘sot, niais’ est attribué aux prénoms, aujourd’hui désuets, Nicaise et Nicodème 383 , ce dernier, prononcé [niɡodɛm], étant abrégé en Nigaud ; Péronnelle , prénom non moins désuet, désignait une jeune femme sotte et bavarde. Au XVIII e siècle, ce fut au tour de Claude , Colas 384 , Gilles , Nicolas et Micheton , au XIX e siècle de Jacques et des formations jean(-) jean et jobard 385 , obtenues respectivement par réduplication du synonyme jean et par suffixation de job(e) . Jobard est verlanisé au début du XX e siècle en barjo(t) avant d’être abrégé en barge. Dummer August , Hanswurst , Kasper , Kasperl(e) , Tünnes pour l’allemand, Auguste , Charlot et Pierrot pour le français constituent un cas à part en ce qu’ils désignent un porteur identifié, un personnage de théâtre populaire ou de cirque, dont les pitreries sont censées amuser le public. L’idée de mise en scène est manifeste dans den Hansel machen (‘faire l’imbécile, se faire prendre pour un imbécile’), faire / battre le jacques et sa variante québécoise faire le jack (‘faire l’idiot’), qui contiennent toutes des désignations de sots. Dans faire le gugusse , jouer les gugusses (‘faire l’idiot, passer pour un imbécile’), le déonomastique, résultant de la réduplication partielle de Auguste , serait issu du nom du même personnage, le clown caricatural avec son nez rouge, ses vêtements burlesques et son maquillage violent, que dans den dummen August spielen (‘faire le clown’ ; t rögel 1926 : 24). 382 Son pendant féminin, guillemette , est attesté chez La Fontaine : « Qui ne riroit de ces coquettes / En qui tout est mystérieux / Et qui font tant les Guillemettes » (La Fontaine, Les rieurs du Beau-Richard , 1659 ; GB). On le retrouve dans l’expression désuète chanter guillemette (‘dire des sottises’ ; OUD, FEW). 383 Les mots désuets niquedouille / niguedouille (‘sot, niais’) ont probablement été obtenus à partir du prénom Nicodème et du suffixe péjoratif - ouille (TLFi) . 384 Les items claude et colas fonctionnent également comme attribut du sujet : « Purgon nous vantoit l’autre jour / La diéte & l’eau chaude / Vous aimez le vin & l’amour / Vous n’êtes pas si Claude. » ( Mercure de France , 1765 ; GB). - « Je me suis laissé dire qu’il mouchardait dans la prison : il est joliment trop colas pour ça ! » (Sue, Les mystères de Paris , 1844 ; TLFi). 385 Attestées également en fonction d’attribut du sujet : « Cet abbé Plomb, il a l’air d’un sacristain effaré (…) et il semble si mal à l’aise, si jean-jean, si gauche. » (Huymans, La cathédrale , 1898 ; F). - « T’es jobard ! dit Éric. Pourquoi tu lui as dit des choses pareilles ? » (Verdier, Le temps d’apprendre à vivre , 2011 ; GB). 3.3. Classification sémantique des déonomastiques issus de prénoms 167 Ces items ne sauraient à eux seuls rendre compte de la richesse de cette classe sémantique, qui s’observe pleinement dans le domaine des dialectes où les prénoms associés à la simplicité d’esprit sont pour la plupart des diminutifs populaires. En suisse alémanique, au moins une dizaine d’items désignent des femmes sottes et niaises : Burebabi , Chuebabe (de Barbara ), es dumms Babi , Evli (de Eva ), Lene (de Helene ), es dumms Nänni (de Anna ), Petronella , Truteli (de Gertrud ), Züsi (de Susanna ), etc. (f rei 1981 : 94). Pour le français, p eterson (1929 : 75 sqq.) relève quantité de prénoms associés à l’idée de bêtise, dont Bambert (de Lambert ) et Dona (de Donatus ) en Wallonie, Blaise en Franche-Comté, Monet et Monin (de Simonet et Simonin ) à Lyon et dans les environs, Adrian , Coulau (de Nicolas ), Jofre (de Geoffroi ), Toumèu (de Thomas ), Yan (de Jean ) en Provence, Jacou , Jacoumet et Jacoumin (de Jacques ) dans le Languedoc, etc. S’y ajoutent les exemples recueillis par c rAmer (1934) : Joseph à Belmont (Bas-Rhin), Fanfan (de François ) dans le Jura, Léonard , Grégoire à Vincelles (Puy-de-Dôme) et Minique (de Dominique ) à Démuin (Somme) pour les hommes, Marie à Valenciennes, Sacesa (de Françoise ) en Savoie et Zabe (de Isabeau ) en Wallonie pour les femmes. L’auteur précise que leur emploi n’est sans doute nullement limité à la région indiquée pour chaque attestation relevée, ils se propagent souvent aux contrées avoisinantes où nous constatons cependant parfois de légères nuances de sens. 386 3.3.1.3. Les lourdauds, les rustres et les mufles Le manque de finesse associé au monde paysan et à ses prénoms populaires ne concerne pas uniquement les capacités intellectuelles, mais également certains comportements et / ou caractéristiques physiques, ces aspects étant étroitement liés dans la représentation collective : La maladresse, le manque d’habileté dans les mouvements ou encore au travail sont considérés comme la manifestation d’un manque d’intelligence : le cas typique de l’adolescent qui ne sait quelle attitude prendre quand il se tient debout ou qu’il marche ni ce qu’il doit faire de ses bras et de ses jambes, et qui montre par là son manque de liberté intérieure. 387 386 Traduit par nos soins, texte original : « Der Gebrauch dieser Vornamen ist wohl keineswegs nur auf die in den Belegen jedesmal genannte Gegend beschränkt, sie greifen oftmals auf benachbartes Gebiet über, wo wir bisweilen freilich auch kleine Bedeutungsschattierungen feststellen können. » (c rAmer 1934 : 725). 387 Traduit par nos soins, texte original : « Unbeholfenheit, Ungeschicktheit in der Bewegung oder auch in der Arbeit ist nach aussen projizierte geistige Beschränktheit: der typische Heranwachsende, der nicht weiss, wie er stehen und gehen, was er mit seinen Gliedmassen anfangen soll, zeigt darin seine innere Unfreiheit » (f rei 1981 : 96). 168 3. Aspects sémantiques L’évolution sémantique de Stoffel illustre parfaitement le lien entre sottise et lourdeur d’un côté, rudesse et muflerie de l’autre, comme l’explique K öster (2003) : Le peuple se représentait saint Christophe comme un géant à l’aspect lourdaud qui devait s’appuyer gauchement sur une perche lorsqu’il traversait l’eau. La signification qui était initialement attachée au prénom préféré des paysans est par conséquent celle du maladroit, du malhabile, du balourd, du sot (XVIII e siècle ; [en fait dès le XVI e siècle, K02 ; VB ]) alors qu’aujourd’hui, c’est celle du manque de politesse qui prévaut. 388 Outre Stoffel , nous rangeons dans la classe des hommes lourdauds et / ou rustres Hanswurst , attesté dans Das Narrenschiff (B rAnt 1519) sous la forme Hans worst et employé initialement pour injurier un gros lourdaud ( DW , D10), Rüpel et Hans Tölpel 389 , tous les trois attestés dès le XVI e siècle, les régionalismes Hiasl et Hiesel (Bavière), Nazi (régions du sud), Staches (sud-ouest) et le dérivé Ungustl (Autriche) ainsi que le composé désuet Pumpernickel (de Pumper , ancienne désignation du pet dans les régions du sud). Dans la langue des jeunes actuelle, Körperklaus et Gelenksteffen 390 désignent une personne qui ‘ne maîtrise pas ses mouvements, qui ne sait pas danser, se meut difficilement, qui est raide, ne fait pas de sport, un balourd’ 391 . Pour les femmes, nous relevons Trine (‘femme lente, maladroite, plutôt laide, lourdaude’), Urschel ainsi que Suse (‘personne lente, molle, sans entrain’) et le composé Transuse (‘personne ennuyeuse, lente, lourdaude’), les deux derniers pouvant également s’appliquer à un homme : (48) „Was kann ich dafür, dass die Valada eine Suse ist, die nicht fertig werden kann! “, schrie Samanta (Isabeau, Und hat die Lieb’ gelogen , 2015 ; GB ) 388 Traduit par nos soins, texte original : « Der hl. Christophorus […] wurde vom Volk als Mann von riesiger, ungeschlachter Gestalt gedacht, der sich ungelenk im Wasser auf einem Baumstamm stützen mußte. Die ursprüngliche Bedeutung des bäuerlichen Lieblingsnamens ist daher die des Unbeholfenen, Ungeschickten, Tölpelhaften, Dummen (18. Jh.), während heute die des Unhöflichen überwiegt. » (K03, s.v. Stoffel ). 389 La variante Tölpelhans est employée dans la traduction d’un conte d’Andersen : « […] der alte Gutsherr hatte drei Söhne, aber niemand zählte diesen dritten mit zu den anderen Brüdern, weil er nicht so gelehrt wie diese war, und man nannte ihn auch gemeinhin Tölpel-Hans . » (Andersen, Märchen von Hans Christian Andersen , 1938 ; PG). 390 L’emploi de Klaus au sens de ‘sot, niais’ a été mentionné plus haut (p. 165). Quant à Steffen , il est attesté dans certains dialectes (notamment en Lorraine) pour désigner un homme simplet (cf. K eiper & z inK 1910 : 128, n. 1, m üller 1929 : 87). 391 Traduit par nos soins, texte original : « Ein Körperklaus ist also jemand, der seinen Körper nicht unter Kontrolle hat, nicht tanzen kann, sich umständlich bewegt und ungelenkig, unsportlich und tollpatschig ist. » (T09, s.v. Körperklaus ). 3.3. Classification sémantique des déonomastiques issus de prénoms 169 (49) Natürlich, er will keinen Lärm haben und is ne Suse. Zu Hause darf er ohnehin nicht reden. (Fontane, Unterm Birnbaum , 1885 ; GB ) (50) Ich fand Martina immer ziemlich bescheuert. Weil sie damals schon aussah wie ihre eigene Mutter, weil sie spießig war und die Jungs sie nicht mochten, weil sie so eine dickliche Transuse war. ( Frankfurter Rundschau 1999 ; DeReKo) (51) Schließlich erklärte sie Ernst in recht energischem Ton, er sei eine alte Transuse. (Heidemann, Einzelgänger und Sonderlinge: Fünf Erzählungen , 2010 ; GB ) En français, robin est attesté dès le XIV e siècle dans le sens de ‘homme sans considération, généralement prétentieux et sot’. L’adjectif gros accompagnant un prénom populaire associé à l’idée de sottise, de niaiserie renvoyait à la gaucherie et l’épaisseur d’esprit d’une personne : gros-colas , gros-jean , employé également dans les expressions être gros-jean comme devant et C’est gros-jean qui en remontre à son curé (‘qqn qui veut enseigner à plus savant que lui’). Le manque de raffinement est un trait central de la signification tant du terme argotique mimile (‘homme d’aspect populaire, ouvrier ou prolétaire à l’ancienne’), apparu sans doute vers la fin du XIX e siècle et issu de Émile , prénom très populaire à l’époque 392 , que de jacky , incarnation du macho ringard, décrit de manière très imagée sur un forum de discussion féminin : Le Jacky est la plupart du temps, il faut l’avouer, de sexe masculin, de 15 à 95 ans, avec une prédisposition à faire du gras là où il [ne] faut pas. Le jacky a des loisirs très populaires : le foot, le tuning, la picole et accessoirement le matage de croupes féminines (forum.aufeminin.com ; 6. 5. 2013) Au Québec, le terme équivalent à jacky est gino (prononcé [dʒino]) ou gino-camaro 393 , prototype du « macho ringard, frimeur genre latin gominé, avec Ray- Ban et chaîne en or dans les poils » (A10). Signalons enfin que plusieurs déonomastiques allemands issus de prénoms masculins, mentionnés sous 3.3.1.2 et 3.3.1.3, interviennent dans la formation de dérivés verbaux : U(t)z > uzen (‘taquiner qqn, se payer la tête de qqn’ ; XVI e siècle), Kasper > kaspern (‘faire des bêtises, se comporter de manière puérile’ ; XVIII e siècle, sans doute plus ancien en emploi dialectal [P93]), Hiesel > hieseln (‘se moquer de qqn’ ; Bavière) et Stoffel > (an)stoffeln (‘marcher comme un rustre, mufle’, ‘parler à qqn, aborder qqn comme un rustre’), sans oublier Horst > abhorsten (‘se comporter comme un idiot’ ; langue des jeunes). Fréquemment 392 De 1880 à 1890, Émile faisait partie des dix prénoms masculins les plus populaires en France (cf. d upâquier , p élissier & r éBAudo 1986 : 105). 393 Du prénom italien Gino et de Camaro , nom d’une marque de voiture de luxe (Chevrolet). 170 3. Aspects sémantiques rattaché à tort au déonomastique Hans , le verbe suffixé hänseln (‘taquiner’) est en fait une dérivation de hanse (mha. ‘guilde’) et se référait initialement aux cérémonies, parfois scabreuses, précédant l’admission d’une personne au sein d’une guilde (D10). 3.3.1.4. Les relations humaines Cette classe rassemble les désignations de personnes renvoyant à certains aspects de la vie privée ou intime, telles que les désignations de • conjoint(e)s, petit(e)s ami(e)s et amant(e)s, pour lesquelles nous n’avons pu relever en allemand que des désignations de femmes, vieillies dans le cas de Grete et T(h)usnelda , familières pour les diminutifs Tussi et Tusse . En français, citons nana et, moins fréquents, jacqueline , julie , louise et lolotte (de Charlotte ) ainsi que jules et marcel pour les hommes, sans oublier valentin , l’homme choisi comme amoureux lors de la Saint-Valentin par une jeune fille qui devient alors, selon la coutume, sa valentine. Ces items sont souvent précédés d’un adjectif possessif dans les deux langues : (52) Der Name der unehelichen Kinder kann ohne Probleme vom Vater kommen wie auch von der Mutter. Wenn also ein Soldat mit seiner Grete ein Kind hatte, bekam das Kind zumeist auch den Namen des Vaters (forum. ahnenforschung.net/ …/ ; 13. 12. 2012) (53) Und der Macker wäre auch noch so ein Abenteurertyp, der eine flüchtende Gestalt auf einem Moped sofort verfolgen würde, schon um seiner Tusnelda zu imponieren. (Feistauer, Fristlos entlassen , 2000 ; GB ) (54) Dafür drillen er und seine Tussi den Kindern Tischmanieren ein. (Kaz, Ich geh dann mal nen Baum umarmen , 2011 ; GB ) (55) Ich will damit sagen, mein Kumpel musste das nicht tun. Aber er hat es gern getan. Und jetzt ist er gerade dabei, deine Tusse näher kennenzulernen. (Strandberg, Halbes Leben , 2011 ; GB ) (56) Toujours à cause de sa nana, il oublie la manœuvre et la bagnole se retrouve suspendue par un filin à une branche d’arbre. (Seguin, L’arme à gauche , 1990 ; F) (57) c’est le banquier Kocke, chez qui toi et ta jacqueline, vous passez à la campagne les beaux jours de l’été ? (Desmoulins, Le vieux cordelier, journal politique, rédigé en l’an II , 1825 ; GB ) (58) D’une bourrade, il [Sade] pousse le portier dehors par la portière opposée à celle où il continue de sourire aux dames. / Sade : Ce n’est rien, mes lolottes… (Fleischer, Sade scénario , 2013 ; GB ) (59) On voit que vous n’avez jamais servi dans les bateaux-mouches, lui dit Cidrolin aimablement. Ensuite il crie : - Voilà ton jules ! […] - Qui est 3.3. Classification sémantique des déonomastiques issus de prénoms 171 ce monsieur ? demande Lamélie à Cidrolin. - Ton futur à ce qu’il paraît. (Queneau, Les fleurs bleues , 1965 ; F) (60) Melle Desroches ne connaissait pas mes intentions, et elle avait déjà choisi son Valentin, qu’elle n’a pas voulu laisser en plant, mais nous raccommoderons les choses au bal de tantôt (Theuriet, Le fils Maugars , 1896 ; GB) • maris trompés pour lesquels les items relevés, tous désuets, sont plus nombreux en français qu’en allemand : ( saint ) arnoul(d) , attesté sous la forme elnol dès le XIII e siècle et employé dans l’expression être de la confrérie de saint Arnoul(d) , jean (depuis le XV e siècle), entré dans les locutions le faire jean et en faire un jean (‘tromper son mari’), ses diminutifs jeannin / janin (depuis le XVI e siècle) et janot (s.d.) ainsi que cornélius (depuis le XVII e siècle) 394 . En allemand, nous n’avons relevé que Hornhans . • personnes vertueuses, chastes ou qui affectent de l’être, sans surprise, principalement de sexe féminin : lucrèce (‘femme vertueuse, prude’) est attesté dès le XVII e siècle, tout comme agnès , que d elvAu définit avec malice comme une « jeune fille embarrassée de son pucelage » et une « fausse ingénue qui affecte de croire que les enfants se font par l’oreille, bien que son petit cousin lui ait appris par quel autre endroit ils s’improvisent » (D11). S’y ajoutent keusche Susanne / chaste suzanne et les pendants masculins keuscher Joseph / Josef et keusch wie (ein) Joseph / Josef. Dans le domaine des faux-semblants, on citera également les expressions désuètes faire l’agnès , faire la lucrèce , faire sa sophie 395 , qui renvoient à une attitude faussement pudibonde, celle-ci n’étant pas étrangère, comme l’indiquent faire son / le joseph et poser au joseph 396 , à la gent masculine. Notons par ailleurs que faire sa sophie , employé comme sa variante faire sa julie dans le sens ‘avoir un comportement maniéré, faire des chichis’, s’applique également aux hommes : (61) Sans doute, il trouvait Lantier un peu fiérot, l’accusait de faire sa Sophie devant le vitriol, le blaguait parce qu’il savait lire et qu’il parlait comme un avocat. (Zola, L’Assommoir , 1877 ; F) 394 p eterson (1929 : 83 sq.) cite d’autres désignations de maris trompés, notamment de nature dialectale. 395 La construction ‘ faire son / sa +nom propre en antonomase’ est analysée par f lAux (2000 : 127 sq.). 396 Selon n yrop (1913 : 370), l’expression faire sa joséphine a été construite sur le modèle de faire son joseph . Le dérivé adjectival joséphiéresque renvoie au comportement d’un joseph : « Ah ! j’en ai marre, marre, marre … […] Marre de Frédé et son Annie, encore un niquedouille - coquecigrue celui-là, puceau de malheur, il ne s’est jamais même branlé, encore une histoire à te raconter, elle vaut l’os, elle t’amusera davantage que mes angoisses joséphiéresques … » (Vailland, Drôle de jeu , 1945 ; TLFi). 172 3. Aspects sémantiques (62) D’abord ej’comprends pas qu’on s’gêne, / Ej’suis ami d’la liberté, / J’fais pas ma Sophi’, mon Ugène, / Quand ej’pète, ej’dis : j’ai pété. (Bruant, monologue Philosophe , in : Dans la rue , vers 1890 ; G) • homosexuels et lesbiennes, dont les désignations reflètent pour la plupart les stéréotypes de l’homme féminisé et de la femme virilisée. Dès le XIX e siècle, Adamstochter (‘lesbienne à l’allure masculine’) et Evasohn (‘homosexuel efféminé’) 397 , aujourd’hui désuets, font référence à la masculinité et la féminité incarnées par les deux personnages bibliques. Parmi les stratégies visant à féminiser l’homosexuel, la plus fréquente consiste sans doute à l’affubler de prénoms féminins : outre Else (p. 116), nous relevons pour l’allemand Trine (‘homosexuel efféminé’), qui a donné lieu aux composés Fummeltrine (‘homosexuel travesti’) et Ledertrine (‘homosexuel aimant porter des vêtements en cuir’), pour le français l’item argotique vieilli caroline (‘homosexuel, souvent passif ’). Dans le cas de jaquette (flottante) , qui désigne familièrement l’homosexualité masculine ou, en tant que nom collectif, les hommes homosexuels, c’est le suffixe qui assure la féminisation. L’item est issu soit de ja(c)quet (anciennement ‘jeune garçon efféminé’), soit de jaquette , nom d’un habit de cérémonie, en raison des « deux basques séparées et flottantes [qui] appellent le soupçon de ‘se prêter à la sodomisation’ » ( CR 91) 398 . Julot (‘détenue lesbienne’), attesté dans l’argot pénitentiaire, est le seul exemple de désignation d’une lesbienne par un prénom masculin qui figure dans nos tableaux. Le genre grammatical des items de ce type s’aligne sur le sexe attribué au prénom : (63) „Was für eine Memme! Und Sie wollen ein Deutscher sein? “, schimpt Thorne. „Aber gut, wir können Sie nicht zwingen. Und Sie Bosley? Sind Sie Mann genug, um eine Trine zu werden? “ (citizen_b, Gaytomas: Gentleman und Terrorist , 2010 ; GB ) (64) „Ich habe den Lehrer angewiesen, die Federboas lieber zu Hause zu lassen.“ Clem machte große Augen. „Eine Fummeltrine? “ Grunz’ falscher religiöser Eifer wurde nur noch von seinem Hass auf Homosexuelle übertroffen. (White, Ohne Gnade , 2015 ; GB ) 397 Selon h irschfeld (1914 : 30), c’est Otto de j oux (1893) qui aurait forgé ces dénominations dans son ouvrage Die Enterbten des Liebesglücks: ein Beitrag zur Seelenkunde , Leipzig : Max Spohr, p. 191. 398 Les auteurs précisent : « D’une façon générale, les diminutifs en - ette caractérisent l’inversion et les invertis » (CR91), mentionnant l’expression désuète chevalier de la manchette (XVIII e siècle). Nous relevons également les désignations rivette (de river ‘s’adonner à la sodomie’) et sonnette (de sonner les cloches ; XIX e siècle) ainsi que l’insulte tapette , hélas toujours courante, dont l’origine est incertaine (C85). 3.3. Classification sémantique des déonomastiques issus de prénoms 173 (65) Combien d’hommes se sont fourvoyés dans la jaquette flottante uniquement parce qu’étant gamins, ils ont fait leurs premiers touchers sur des individus […] de leur catégorie ? (San-Antonio, Le Standinge selon Bérurier , 1965 ; TLF i) (66) Elle abhorre surtout les lesbiennes, qu’elle appelle les « Julots », selon le terme consacré dans la prison. Elle racontait aujourd’hui l’histoire d’un de ces « Julots » dont la bien-aimée était en prison. (Berger, Prisons tragiques, prisons comiques, prisons grivoises , 1947 ; GB ) L’homosexualité peut être également exprimée par des références explicites à l’autre sexe ( jean-femme ‘homme faible, efféminé’) ou par l’épithète schwul ( schwule Jule ‘lesbienne’). Dans le cas de Detlev et Herbert , issus de l’argot des soldats, elle est suggérée par la prononciation affectée (cf. p. 147). Quant à la désignation émile , elle est issue du nom de la Société des Émiles, sorte de club privé pour homosexuels que fréquentaient d’importants personnages portant ce prénom (C85). 3.3.1.5. Les désignations de métiers Les items de cette classe renvoient pour la plupart à des activités fortement liées au mode de vie de la société traditionnelle. Très tôt, certains prénoms populaires ont été employés dans un sens collectif pour désigner les paysans : en allemand, Cunrad et armer Konrad / Conz à partir du XVI e siècle et en français, jacques (bonhomme) dès le XIV e siècle. Ces prénoms sont entrés dans l’Histoire avec les révoltes des paysans des XIV e et XVI e siècles, connues respectivement sous les noms de « Grande Jacquerie » et « Aufstand des Armen Konrad ». En référence à certains attributs du monde paysan, on a également désigné les paysans par Karsthans ( Karst ‘pioche’) et jean guêtré 399 . Leur rang dans la société traditionnelle est reflété par les noms collectifs Kleinhans / klein Hans et Janhagel / Jan Hagel , apparus respectivement aux XVI e et XVII e siècles : Kleinhans / klein Hans , antonyme de Groszhans / grosz Hans (‘homme influent, riche’), renvoie au peu de considération qu’on témoignait à la classe paysanne, alors que la formation Janhagel / Jan Hagel s’expliquerait par les associations négatives suscitées par la grêle ( DW ) ou encore par le désir de la voir s’abattre sur le bas peuple (K03). Les moines étaient appelés autrefois, par allusion aux Franciscains, Gugelfranz [de mha. Gugel ‘capuche’] puis, par analogie, Gugelfritz. Kuttenhans(e)l , issu du rotwelsch, et Religionsheini sont employés dans la langue actuelle de manière plaisante pour désigner un ecclésiastique. Si les items précédents sont péjoratifs 399 L’expression être bien guêtré signifiait jadis ‘avoir mal tiré ses bas’, raison pour laquelle le participe était fréquemment associé au paysan. Un juge guêtré désignait ainsi ironiquement un juge de campagne (LIT). 174 3. Aspects sémantiques ou ironiques, ce n’est pas le cas des noms de membres d’ordres religieux Augustiner / augustin , Dominikaner / dominicain , Franziskaner / franciscain , etc. (cf. p. 89). La domesticité est particulièrement bien représentée. Dès le XVII e siècle, ja(c)quet a été employé dans le sens de ‘valet de pied’, largement diffusé grâce à Maître Jacques, personnage à la fois cuisinier et cocher dans l’Avare (Molière, 1668), dont le nom devait désigner plus tard de manière générale le factotum, le domestique. Il est probablement à l’origine de Schakl / Schackl (‘serviteur’), toujours employé en Autriche. Au XVIII e siècle, Fiacre , prénom aujourd’hui désuet, s’emploie dans le sens de ‘cocher’, présent également dans l’expression jouer, parler comme un fiacre (‘jouer, parler fort mal’). À cette époque apparaît en allemand Scharwenzel , issu du prénom tchèque Vaclav longtemps répandu dans la population rurale de Bohême, qui désignait à la fois le valet dans les jeux de cartes et le valet ou serviteur ainsi que, par extension, le lèche-bottes, sans que l’ordre d’apparition des acceptions ne soit clairement établi. Dans la 2 e moitié du XIX e et au début du XX e siècle, les servantes répondaient aux noms d’ Emma et de Minna , que nous retrouvons dans les locutions jn zur Minna (plus rare : Emma ) machen (‘réprimander sévèrement qqn’), révélatrices de la condition des servantes de l’époque. Johann , vieilli dans le sens de ‘domestique’ 400 , est encore utilisé dans la locution Ich bin nicht dein Johann (‘je ne suis pas ta boniche’), pendant masculin à l’expression française, plus récente, Je ne suis pas ta conchita 401 . Ajoutons Köbes et Schani , deux régionalismes désignant un serveur : le premier, diminutif de Jakob , est employé en Rhénanie alors que le second, issu de Jean , nom fréquemment attribué aux serviteurs dans les comédies et pièces de boulevard d’auteurs autrichiens, est employé à Vienne où il a d’ailleurs donné lieu à la formation du composé Schanigarten (‘terrasse aménagée sur un trottoir’). Les soldats, gendarmes et policiers sont eux aussi bien représentés. Dans le domaine militaire, Bruder Veit et Marterhans 402 désignaient un lansquenet dès le XVI e siècle ; au XIX e siècle, Janmaat , Jan Maat , jean-(le-)gouin 403 et, au plus tard au XX e siècle, mathurin ont le sens de ‘matelot, officier de marine’. Durant la Première Guerre mondiale, Emil et Franz 404 désignaient respectivement le pilote et le navigateur dans les avions à deux places 405 . 400 D’après f iedler (1943 : 347 sq.), c’est à cause de cet emploi que Goethe aurait décidé de changer le prénom traditionnel de Faust, Johann, en Heinrich. 401 L’origine de l’expression est indiquée plus haut (cf. p. 144). 402 Issu de marter , juron apprécié des lansquenets (DW). 403 Du breton guen (‘blanc’), couleur de l’ancien uniforme des matelots (cf. d AuzAt 1918 : 227). 404 Franz s’est maintenu comme base de dérivation dans le verbe sich verfranzen (‘se perdre’). 405 Les composés en - heini désignant des sous-officiers sont mentionnés plus haut (p. 162 sq.). Nous citerons d’autres désignations de soldats dans la classe des noms d’origine et de nationalité (p. 181). 3.3. Classification sémantique des déonomastiques issus de prénoms 175 Les gendarmes et autres représentants de l’ordre ont fait l’objet de désignations cryptiques dans le rotwelsch, qui permettaient aux brigands 406 d’en parler sans éveiller les soupçons. g ünther (1905 : 83, 1965 [1919] : 97) relève entre autres Klempners Karl , de klemmen (‘attraper’) ou Klemms (‘prison’), blanker / weißer / gelber August , selon la couleur de la bretelle de son arme, windiger August , de windig dans le sens de ‘sévère’, August mit der Latte et Lattenseppel , de Latte (‘fusil, sabre’), Pickelfritze , allusion au casque à pointe, et Schmiermichel pour un agent de la police judiciaire, du yidd. schmiro (‘surveillance’, cf. Schmiere stehen ‘faire le gué’). Dans l’argot de la prostitution du début du XX e siècle, un julot était un policier de la brigade des mœurs. L’austriacisme vieilli Schurl mit der Blechhaubn (‘policier, pompier en uniforme’) fait référence au casque des policiers et des pompiers. Dans la langue familière, ces derniers sont appelés aujourd’hui plaisamment Floriansjünger 407 , du nom du saint patron des pompiers. Citons également l’anglicisme Bobby / bobby qui renvoie aux policiers anglais, notamment londoniens. Le bourreau, dont le peuple souhaitait ‘éviter de prononcer le vil nom tout autant que celui, craint de tous, du diable’ 408 , s’est vu affubler de toutes sortes de désignations euphémiques : Meister Hans / Peter / Stoffel , (Meister) Schnur- , Schnürhänslein pour l’allemand, jean-cadavre , charlot et charlot cassebras / casse-bras , par allusion au supplice de la roue, pour le français. Le domaine de la prostitution a livré de nombreux déonomastiques, pour la plupart à fonction euphémique. Très tôt, certains prénoms féminins ont servi à désigner les prostituées. Observons l’évolution sémantique des diminutifs Metze et catin 409 , issus de Mechthild et Catherine , prénoms populaires au Moyen Âge, attestés dès le XV e et XVI e siècle pour désigner affectueusement une jeune fille de la campagne : (67) er (der bauer) nimt die Metzen bi der hant, / die gibt im einen kranz, / er ist der Metzen eben / derselbe fererswanz (Uhland, alte hoch- und niederdeutsche Volkslieder mit Abhandlung und Anmerkungen , 1844 ; DW ) 406 Appelés jadis Schinderhannes , d’après le surnom de Johannes Bückler (vers 1779-1803), chef d’une bande de brigands ayant sévi sur les bords du Rhin. 407 Citons, formé sur le même modèle, Petrijünger (‘fanatique de la canne à pêche’), du nom de saint Pierre, pêcheur de profession. 408 Traduit par nos soins, texte original : « [Im Volkswitz hieß der Henker], dessen unehrlichen Namen man ebenso ungern aussprach wie den gefürchteten des Teufels, [ Meister Hans oder Schnurhänslein ] » (t rögel 1924 : 26). Pour plus d’informations sur le tabou frappant la personne et le métier du bourreau au Moyen Âge tardif et à l’époque moderne, on se reportera à d AncKert (1963 : 23 sqq.) et à r oecK (1993 : 108, 111 sqq.). 409 Il est employé également comme adjectif : « Toutes les femmes, même les plus catins, sont dévotes » (Mérimée, Lettres à Viollet-le-Duc , 1870 ; TLFi). 176 3. Aspects sémantiques (68) Dans ce hameau, je vois de toutes parts / De beaux atours mainte fillette ornée ; / Je gagerais que quelque jeune gars / Avec Catin unit sa destinée. (Deshoulières, Ballade sur la nécessité d’un peu de fortune quand on se marie , s.d. ; LIT ) Metze a ensuite pris le sens de ‘fille non mariée, jeune vierge’ puis, logiquement, celui de ‘vierge que l’on courtise, que l’on souhaite épouser’, tous deux exempts de connotation dépréciative. Celle-ci résulte sans doute, dans le cas de Metze , de l’acception ‘bonne d’un curé ou d’un lansquenet’ ( DW ), pour catin , de celle de ‘servante de ferme ou d’auberge’ (d outrepont 1929 : 62) 410 . Une évolution semblable est attestée à partir du XVI e siècle pour margot et margoton ( goton au XIX e siècle), issus de Marguerite , ainsi qu’au XVII e siècle pour cateau et jeanneton que d elvAu définit crûment par « fille de la petite vertu, servante ou grisette, qui se laisse volontiers prendre le cul par les rouliers ou par les étudiants » (D11). En revanche, catiche , apparu dans la deuxième moitié du XIX e siècle, n’est attesté que dans le sens de ‘fille aux mœurs légères’. Les déonomastiques que nous venons de mentionner sont tous issus de formes diminutives, que n yrop (1913 : 372) nomme joliment « termes de caresse ». Il suffit de parcourir rapidement le dictionnaire érotique de B ornemAn pour se rendre compte qu’il s’agit là d’une tendance générale pour l’allemand : outre Metze , les prénoms Emma , Gretchen , Heidi , Heidl , Lottchen , Lotte , Lotterl , Hanne , Tille, Tilla , Trine , Suse et Susi servent à désigner la fille facile et la prostituée (B74). Dans le cas du français, on constate que les diminutifs contiennent tous un suffixe masculin (- in , - on et - ot ). L’hypothèse selon laquelle ces suffixes auraient « apporté au nom de femme une note de masculinité » (p eterson 1929 : 134) et ainsi contribué à l’émergence de la signification lexicale nous semble peu convaincante, non seulement en raison de leur fréquence parmi les diminutifs féminins 411 ( Fanchon < Françoise , Manon / Marion < Marie , Suzon < Suzanne , etc ; p. 71), mais encore parce qu’« au XVII e siècle, des diminutifs comme Marion , Madelon […] avaient cours dans la meilleure société » (d AuzAt 1925 : 65). Plus vraisemblablement, le diminutif, sans doute en raison de sa valeur affective, a été employé dans un premier temps de manière euphémique pour désigner une fille facile avant d’évoluer vers une désignation parfaitement courante de la 410 Dans son compte rendu de l’ouvrage de d outrepont , d elBouille (1932 : 743) suppose que « le sens moderne de Catin […] est dû, au moins partiellement, à la riche rime qui l’unit à son synonyme plus ancien ; Catin , déjà dégradé, constituait, grâce à sa finale, un euphémisme suffisamment suggestif pour remplacer un putain devenu malséant. » 411 m ichAëlsson (1929 : 115 sq., n. 2), dans son compte rendu de l’ouvrage de p eterson , avance le même argument. 3.3. Classification sémantique des déonomastiques issus de prénoms 177 prostituée (cf. W AAg 1901 : 162), hypothèse que tend à corroborer l’évolution de mots tels que Dirne et garce 412 . Deux autres items sont intéressants du point de vue du genre. Le premier, Nickel (de Nikolaus ), en usage au XVIII e siècle, est issu de l’emploi comme sobriquet pour un mauvais cheval ( DW ). e BerhArd & m AAss (1820), pour qui le mot est si vulgaire qu’il ne sort que de la bouche des ‘personnes les plus viles qui soient’ (« nur von den nichtswürdigsten Geschöpfen gesagt » ; 1820 : 103), établissent un parallèle entre le canasson et la prostituée, ‘facile à avoir et qui se laisse monter par tout le monde’ (« […] ist leicht zu haben und lässt sich von Jedermann reiten » ; 1820 : 103 sq.). C’est probablement sous l’influence des mots Pferd et / ou Mensch , lequel est attesté au neutre à partir du XVII e siècle pour désigner péjorativement une femme ou une amante (D10), qu’on a attribué le genre neutre à Nickel et non, comme le supposait m ünz (1870 : 111), en vertu d’un système juridique ancien qui n’accordait à la prostituée qu’un statut d’objet 413 . Le second, issu de l’argot parisien du XIX e siècle, est louis (aussi sous la forme louis XV ) 414 , dont le genre grammatical s’aligne non sur le sexe attribué au prénom, mais sur celui du référent : (69) J’ couch’ quéqu’ fois sous des voitures / Mais ib attrap du cambouis / J’ veux pas ch’linguer la peinture / Quand j’ suc’ la pomme à ma Louis. (Richepin, La chanson des gueux , 1876 ; IA ) (70) Elle avait vraiment de l’estomac au boulot, ma Louis XV ! Elle ne rechignait jamais … Tous les bons michetons du Sébasto étaient pour elle … (Nonce-Casanova, Le journal à Nénesse , 1910 ; CR 91) Issu également de l’argot de cette époque, jésus désignait un jeune prostitué, souvent utilisé pour monter un chantage. Comme l’expliquait c Arlier (1887 : 279), chef de la brigade des mœurs à la Préfecture de police de Paris de 1860 à 1870, « [l]es prostitués tout jeunes prennent le nom de petits jésus . Lorsqu’ils ont vieilli, qu’ils ont gagné de l’audace et de l’expérience, ils deviennent des jésus . » 412 Dirne , terme qui renvoyait d’abord à une jeune femme non mariée, a été employé en mha. au sens de ‘servante’ avant d’évoluer vers une désignation euphémique, puis courante de la prostituée (cf. K eller & K irschBAum 2000 : 50). Quant à celui de garce , il avait le sens de ‘jeune fille’ jusqu’au XVI e siècle avant que ne s’impose celui de ‘fille de mauvaise vie’ (R12, LIT). 413 Nickel est également attesté comme base verbale : « nickel ist eine art eines schimpf- und scheltwortes, mit welchem diejenigen liederlichen weibsbilder beleget werden, so ein verdächtiges leben führen oder sich durch allerhand unzulässige profession geld machen, daher pfleget man von ihnen zu sagen, sie haben sich diesz oder jenes ernickelt . » (DW). 414 La question de l’origine métaphorique ou métonymique de cet item a été soulevée plus haut (p. 134). 178 3. Aspects sémantiques Le prénom serait une allusion, répandue dans les milieux athées depuis la fin du XVIII e siècle, à l’homosexualité prétendue du fils de Dieu 415 . Parmi les mots complexes désignant la prostituée en français, nous relevons plusieurs composés formés à partir de marie : marie-pique-rempart et mariemange-mon-prêt dans l’argot des soldats de la première moitié du XX e siècle, marie-salope , aujourd’hui vieilli, marie-couche-toi-là et, plus rare, marie-jambesen-l’air , d’usage familier. Citons également le dérivé madelonnette issu de Marie Madeleine , nom de la pécheresse de l’Évangile, qui désignait une femme au comportement jugé immoral cloîtrée dans les couvents qu’on appelait madelonnettes , et celui de michetonneuse , formé à partir du verbe michetonner (‘se livrer occasionnellement à la prostitution’), lui-même issu du déonomastique micheton (p. 149). Les formes de la prostitution et les dénominations qui y sont liées évoluent avec le temps. À la fin de la Seconde Guerre mondiale est ainsi apparue en Allemagne la Veronika ( Dankeschön ), prostituée qui proposait ses services aux soldats américains (p. 152). En France, les réseaux de prostitution internationaux ont pris une telle ampleur qu’à ginette , désignation de la prostituée française de type traditionnel, est venue s’ajouter celle de natacha pour une prostituée originaire des pays de l’est. Le proxénète a lui aussi été désigné à l’aide de prénoms. Ainsi, au début du XIX e siècle, on lui attribuait à Berlin le nom de Louis , Lui 416 . n eedon (1896), sans doute influencé par le nationalisme de la fin du XIX e siècle, ne dissimulait pas sa joie de voir ce terme associé à l’ennemi héréditaire : ‘Il est curieux et apaisant pour notre âme d’Allemand de voir que la désignation du type d’hommes qui a choisi la plus infâme des professions a une sonorité française’ 417 . Il ignorait sans doute qu’à l’époque, les pendants germanisés Ludwig et Lude étaient déjà en usage à Berlin. Dans le sud de l’Allemagne et en Autriche, on avait recours aux diminutifs régionaux Wickerl et Wiggerl . À en croire B ornemAn (1974), ces prénoms auraient donné lieu à une série de composés : Schraubenlouis (‘proxénète s’adonnant au chantage’), Patentlude , Stehkragenlouis , Topplude , Zylinderlouis / -lude (‘proxénète fortuné’) ou encore Pissbudenlude (‘proxénète sans le sou’), qui témoignent de la diversité des modes d’existence du souteneur. 415 Cet emploi est d’ailleurs évoqué dans le titre du roman Jésus-la-Caille (Carco, 1914), qui met en scène un proxénète homosexuel natif du quartier parisien de la Butte-aux-Cailles. 416 Comme nous l’avons dit plus haut (p. 121), le prénom fait allusion aux rois de France porteurs de ce nom et connus pour avoir eu de nombreuses maîtresses. 417 Traduit par nos soins, texte original : « Eigentümlich und für das deutsche Gemüt befriedigend ist der Umstand, daß die Bezeichnung für die Menschenart, welche sich den verworfensten Beruf erwählt hat, französischen Klanges ist » (n eedon 1896 : 204). 3.3. Classification sémantique des déonomastiques issus de prénoms 179 Alphonse et arthur 418 apparaissent dans l’argot du XIX e siècle, suivis de jules , julot et matz au début du XX e siècle. L’emploi de julot dans le jargon des policiers parisiens pour désigner à la fois le proxénète et le policier de la brigade des mœurs chargé de la répression de la prostitution (cf. p. 175) s’explique sans doute par le fait que les deux groupes suscitaient la même crainte chez les prostituées (R12). De moindre envergure que le julot , le julot-café-crème et le julotcasse-croûte , « gagneurs besogneux, encaissaient le produit des passes d’une tapineuse occasionnelle, souvent leur propre femme » (G13). Les désignations de leurs clients, enfin, ne sont représentées dans nos tableaux que pour le français, par le composé désuet crache-louis , formé à partir de louis (‘prostituée’), et par miché , michet et micheton , items familiers issus de formes diminutives de Michel . Comme nous l’avons mentionné plus haut (p. 149), le choix du prénom peut s’expliquer par l’allusion à la miche (de pain), qui demande à être mangée (CR91), ou, hypothèse qui nous paraît plus plausible, par son emploi en argot où il désigne les parties rebondies du corps que sont les fesses ( avoir chaud aux miches ; BB 09) ou les seins ( FEW , s.v. mica ). 3.3.1.6. L’appartenance géographique, ethnique ou religieuse Nous rangeons sous cette classe les items désignant, souvent de manière péjorative ou plaisante, le stéréotype d’une communauté humaine donnée. Pour un francophone, les prénoms Hans et Fritz peuvent être associés à l’Allemand, Bertha à l’Allemande, John à l’Américain, Miguel à l’Espagnol et Tchang au Chinois. Issus de prénoms perçus comme « typiques », c’est-à-dire à la fois fréquents et présentant pour certains une sonorité inhabituelle (cf. p. 155), ces dénominations, qu’elles soient lexicalisées ou non, reflètent les préjugés pouvant exister entre communautés (cf. A llen 1983 : 308 sqq.). Au XIX e et à l’aube du XX e siècle, les prénoms étaient encore répartis de manière fort inégale selon les régions, le choix étant influencé par la popularité de certains saints ou de personnages locaux influents 419 . Les prénoms populaires, souvent perçus de l’extérieur comme une sorte de ‘label certifiant l’origine de leurs porteurs’ (« Heimatscheine ihrer Träger » ; m üller 1929 : 72), étaient utilisés pour railler ou dénigrer les habitants des localités ou régions avoisinantes. Dans les environs de Bâle, on attribuait ainsi aux Bâlois les prénoms Boppi ou Beppi (de Johann Jakob ), du côté de Müllheim, on désignait les habitants de Neuchâtel sur le Rhin (Neuenburg am Rhein) par le prénom Nazi . Les Bava- 418 La question de l’origine de l’emploi de ces prénoms a été abordée plus haut (pp. 118 et 126). Alphonse est attesté en allemand sous la forme Alfons . 419 n üBling parle de ‘paysages façonnés par les prénoms’ (« RufN[amen]-Landschaften » ; in : n üBling 2012 : 113). Les nombreuses cartes dans le dtv-Atlas Namenkunde (K unze 2002) illustrent parfaitement ce phénomène. 180 3. Aspects sémantiques rois employaient l’expression Tiroler Wastl (de Sebastian ) pour parler de leurs voisins tyroliens, les Alsaciens le diminutif Hannickel (de Johann-Nikolaus 420 ) pour se moquer des Lorrains, qui le leur rendaient bien en attribuant aux sots et aux benêts le prénom odil / udil , allusion à la patronne des Alsaciens ( FEW , s.v. Odile ). Comme le montrent Bebbi (‘homme originaire de Bâle ou vivant à Bâle’) et Sepp(e)l (‘homme dont on reconnaît l’origine bavaroise’), les désignations de ce type n’ont pas toutes disparu. Sepp(e)l , d’usage courant, est d’ailleurs entré dans les composés Sepp(e)lhose et Sepp(e)lhut désignant les deux éléments incontournables du costume traditionnel bavarois que sont la culotte de cuir et le chapeau en feutre. Pour le français, c rAmer (1931 : 58) cite les sobriquets Jean d’Amiens et Jean d’Arros (Arras) qu’on attribuait aux habitants de ces villes. p eterson (1929) relève un bel exemple en provençal : Ainsi un Génois qui vient travailler à Marseille est appelé Bachin (abr. de Bachichin , petit Baptiste), nom très commun parmi les Génois. Le nom s’emploie aussi au féminin : J. Lejourdan (cit. Mistral) : La counouissès pas la Bachino / Que rèsto à la plaço Vivau ? et peut même s’employer adjectivement : parla bachin , parler le patois de Gênes. Des dérivés comme Bachinaio « les Génois et les Génoises à Marseille » et Bachinas , - asso « vilain Génois, grosse Génoise », montrent aussi que le nom est passé complètement à l’état de nom commun. (p eterson 1929 : 36) Certains déonomastiques désignant des peuples sont issus de sobriquets symbolisant des nations, tels que der deutsche Michel 421 et John Bull (cf. p. 105 sqq.). D’autres font référence à un mets populaire qui inspire, selon le cas, la dérision et / ou la répulsion (cf. B romBerger 1982 : 121) : en allemand, le Français était ainsi surnommé Jean Potage 422 et, plus rarement, Jean Grenouille 423 , qui préfigure l’actuel Frosch(fr)esser 424 . À la fin du XIX e siècle et surtout durant la Première Guerre 420 D’après d AuzAt (1925 : 102), la combinaison de deux prénoms, dont l’un est parfois altéré, était « à peu près spéciale à l’Est ». 421 Signalons également le calque Michel Bonhomme , désignation collective des bourgeois allemands dans la deuxième partie du XIX e siècle : « Mais il y aura quelque part une pauvre dupe, qui sera le peuple allemand. […] A-t-on la prétention de persuader à ce pauvre Michel Bonhomme que s’il aide ses rois, ses bons pasteurs, à briser dans l’Europe entière le ressort populaire, ses rois vont ensuite, par reconnaissance, lui ôter ses lisières et le déclarer majeur ? » ( Revue germanique 18, 1861 ; GB). 422 En français, jean-potage , du nom d’un personnage de bouffon au théâtre, a été employé au sens de ‘baladin, grimacier, homme naïf, ridicule’. 423 À moins que l’expression ne renvoie, comme l’indique r iegler (1907 : 209), aux trois grenouilles ornant les anciennes armoiries de la ville de Paris. 424 Les éthnonymes à référence alimentaire sont encore bien vivants à l’époque actuelle : outre Froschfresser (‘Français’), citons pour le français rosbif (‘Anglais’ ; de roast beef ), macaroni (‘Italien’) et nem (‘Asiatique’), pour l’anglais frog (‘Français’) et kraut (‘Allemand’ ; 3.3. Classification sémantique des déonomastiques issus de prénoms 181 mondiale sont apparus des sobriquets attribués aux soldats des nations étrangères, alliées ou ennemies, qui ont par la suite donné lieu à des éthnonymes : outre fritz , qui désigne également la langue allemande ( J’entrave pas le fritz ; TLF i) 425 , et fridolin , nous relevons dans les deux langues les anglicismes Tommy / tommy et Sammy / sammy . Le premier, issu de Thomas Atkins , nom imprimé sur certains formulaires officiels depuis 1815, était attribué au soldat britannique, le second, dérivé de Uncle Sam et peut-être influencé par tommy , à l’américain. Les soldats russes recevaient quant à eux le prénom Iwan / yvan . Dans l’armée allemande, les recrues originaires d’Alsace et de Lorraine se voyaient affublées du surnom péjoratif Schangel (de Jean ). Les alliés autrichiens portaient les noms de Nazi ou, plus précisément, de Kakanazi , composé dont le premier membre fait allusion à l’abréviation k. u. k. pour kaiserlich und königlich , titre officiel de la double monarchie austro-hongroise. Le second, issu du diminutif de Ignazius , était fréquemment attribué aux sots, niais et rustres dans les régions du sud (cf. 3.3.1.3) . Kurt Tucholsky (1890-1935) s’en inspira dans son essai Die Nazis (1922) pour clouer au pilori les émigrés autrichiens arrivés en masse à Berlin et dont l’insolence et le chauvinisme l’horripilaient. Le passage suivant, qui montre à quel point l’emploi péjoratif d’un prénom populaire peut refléter les tensions entre les communautés, mérite d’être reproduit dans son intégralité 426 : Mach keine Kulleraugen, Leser. Wir wollen uns schnell darüber einigen, daß ich mit den »Nazis« jene gewisse Gattung des österreichischen, mährischen und speziell wienerischen Künstlervölkchens meine, die anfängt, obgemeldetes Berlin auf das Heftigste zu verpesten. Wir wollen das aber gar nicht mehr. Ich weiß ganz genau, welche betrübliche Rolle der aus Posen gebürtige Berliner auf Reisen spielt (»Det is der Kölner Dom! Haben Se keenen größern? «). Aber so frech und lokalchauvinistisch ist wohl noch nie ein Berliner gewesen wie diese Sorte »Nazis« (die ich absichtlich nicht Österreicher benenne, weil Otto Weininger einer ist und Peter Altenberg und Karl Kraus und Alfred Polgar - aber wir sind uns ja einig, wen wir meinen). Die »Nazis« kommen nach Berlin, liebenswürdig wie die früheren Oberkellner, treuherzig und schmuserig und a bisserl a Lieb’ und a bisserl a Treu und a bisserl a Falschheit ist alleweil dabei - halten den Wurstlprater für den Mittelpunkt der Welt und wollen nun dem Berliner de Sauerkraut ). d AuzAt (1929 : 146) mentionne également couscous , nom des tirailleurs algériens pendant la Grande Guerre. 425 Frisé , variante de Fritz , ne serait apparu qu’en 1941 (TLFi). 426 Nous renonçons à le traduire pour ne pas perdre la note humoristique résultant de l’imitation de la prononciation des Berlinois et des Viennois. Soulignons à ce propos que la prononciation de ce type d’items, censée imiter l’intonation propre à la communauté désignée, peut en souligner le caractère dépréciatif ou plaisant. 182 3. Aspects sémantiques zeigen, was eine richtige Harke ist. Aber bitte sähr, wir danken ergebenst. (Tucholsky, Die „Nazis“ , 1922, in : Die Weltbühne ; GB ) Quant aux Juifs, ils étaient désignés en Allemagne au XIX e siècle par les prénoms Itzig (yidd. pour Isaak ), Mauschel (de l’hébreu Mošȩ̈ ) 427 , Schmul et Schmuel (hébreu pour Samuel ), tous perçus comme étrangers à la « germanitude » (cf. B ering 1987 : 223 sqq.). m üller (1929 : 73 sqq.) relève également Anschel et Joschl ainsi que la désignation particulièrement nauséabonde Anschel-Krummnas . En France, les protestants reçurent au XVII e siècle le surnom générique de vache à Colas 428 . Si la plupart de ces dénominations ont fort heureusement disparu de l’usage, d’autres prénoms péjorés de ce type ont vu le jour ces dernières années : Hakan renvoie de manière générique aux Turcs, Moham(m)ed et Mouloud aux Maghrébins. Nous y reviendrons plus bas (p. 245). Schängel (‘habitant de la ville de Coblence’) est un cas à part dans la mesure où il est souvent employé positivement de manière autoréférencielle. Issue d’un diminutif de Jean , la dénomination, attestée depuis l’époque de l’appartenance de Coblence à la France (1794-1814), est intimement liée à la ville, appelée « Schängel-Stadt » dans la région, et à son histoire (l’hymne local est nommé « Schängellied », le « Schängelbrunnen » est l’un des emblèmes de la ville). En témoigne l’annonce de cette équipe d’aviron faite au début de la saison 2013 : (71) Jetzt freuen wir uns auf die ersten Rennen und eine richtig heisse Saison 2013 mit einem wirklich tollen und motivierten Team. Alles wird gut … solange wir Schängel sind! (www.schaengel-express.de ; 27. 8. 2013) 3.3.1.7. Les traits de caractère et comportements condamnables Les items de cette catégorie sont pour la plupart des composés ayant pour membre déterminé un prénom populaire et dont le membre déterminant renvoie à la propriété. Comme le montre la répartition des items dans le tableau suivant, certaines caractéristiques sont perçues comme typiquement masculines ou féminines : 427 Base de dérivation dans mauscheln (‘manigancer, magouiller’). Pour plus d’informations au sujet de l’histoire de ce mot, nous renvoyons à A lthAus (2002). 428 Pour certains, l’expression évoque un paysan protestant nommé Colas qui aurait partagé une vache avec ses coreligionnaires pendant le carême pour braver les catholiques (B12, g13) alors que pour d’autres, ce Colas était un paysan catholique dont la vache, entrée dans un temple protestant au moment du prêche, aurait été dépecée et mangée par les huguenots (LIT, TLFi). 3.3. Classification sémantique des déonomastiques issus de prénoms 183 traits de caractère et comportements hommes femmes AvArice , sens excessif de l ’ économie Knapp- , Schabhans , Schmalhans dans l’expression Bei jm / irgendwo ist Schmalhans Küchenmeister (‘il n’y a pas grand-chose à se mettre sous la dent’), Notnickel , -nig(e)l 429 ladre , fesse-mathieu , séraphin 430 cArActère BAgArreur , querelleur , violent Poch- , Polterhans , Polterjan , Poltrian , Streithans , - hans(e)l , Zornnickel , - nig(e)l gourmAndise , penchAnt pour lA Boisson Leckerfritze , Hans Nimmersatt , Saufhans , Saufnickel , - nig(e)l étouderie , négligence , incompétence Hans Guckindieluft , Schluderjan , Schludrian , Saftheini Traumsuse jean-fesse , jean-foutre , jean-sucre , jean de la lune peur , lâcheté , cArAc tère crAintif Angstpeter , Hans Hasenfuß , Pimpelhans Pimpel- , Pimperliese jean-de-nivelle BAvArdAge , commérAge Laber- , Plapper- , Quasselfritze , Plapper- , Plauder- , Schwabbelhans Laber- , Quatschmichel Klatsch- , Plapper- , Quatsch- , Schnatter- , Schwatz- , Schwätz- , Tratschliese , Klatsch- , Plappertrine marie-bonbec / mariebon-Bec , mariejacasse , péronnelle cArActère râleur , ergoteur Mäkel- , Mecker- , Nörgelfritze Mecker- , Nörgelliese marie-je-m’embête émotivité / sensiBilité excessive Heulfritze , -michel , -peter , Quengelfritze Flenn- , Heul- , Quengelliese , Heul- , Plärr- , Tränensuse , Heultrine 429 Schmalhans et Notnickel , -nig(e)l sont attestés également dans le sens de ‘pauvre hère’ et ‘crève-la-faim’. 430 fesse-mathieu et séraphin désignent également un usurier. 184 3. Aspects sémantiques traits de caractère et comportements hommes femmes déBAuche Hans Liederlich , Liederjan , Lied(e)rian , Luderjan , Lumich marie-couche-toi-là , marie-jambes-enl’air , marie-salope fAinéAntise , mollesse Faulhans , Schnarchhans , Bummel- , Trödelfritze, Trödelphilipp , Lätschenbene , Lotterjan , Nölpeter Bummel- , Trödelliese marie-dort-en-chiant sAleté , négligence corporelle et / ou vestimentAire Dreck- , Sau- , Schmutzbart(h)el , Kleckerfritze , Schmiermichel Dreck- , Klecker- , Schmutzliese catau , marie-graillon , marie-quatre-poches , marie-souillon , marie-torchon 3.3.1.8. La péjoration Comme nous venons de le voir, le passage du prénom au nom commun désignant des personnes va souvent de pair avec un processus de péjoration, phénomène qui n’a pas échappé à d Armesteter : « Le peuple prend volontiers des noms d’hommes, de femmes pour désigner spécialement des sots […] ou des femmes peu estimables ou mal gracieuses » (cf. 1887 : 109). Il n’est donc pas surprenant que ces prénoms « dénigrés, dévoyés ou encanaillés » (G13) soient souvent employés comme insultes : (72) Ich seh wahrhaftig schon die Zeit, / Daß alle brave Bürgersleut, / Wie von einer angesteckten Leichen, / Von dir, du Metze! seitab weichen. (Goethe, Faust I , 1808 ; PG ) (73) Du Chlaus, globst alls! ( SI ) (74) sei froh, dass die polizei nicht in der nähe war, sonst wärst du deinen führerschein jetzt los, saufnigl du! ! ! ! (www.erotikforum.at/ …/ ; 19. 4. 2015) (75) Eh ! Marie-dort-en-chiant, arrive donc, que je te colle mon pied dans le derrière ! … Tu n’as pas honte ! (Zola, La Terre , 1887 ; F) (76) La femme rit, glissa la main sous les couvertures pour chercher la rigidité de son amant. « Ah, non, petite catin ! s’écria Rolando en bondissant du lit de plume. À présent, ça suffit […] ». (Montaldi, La Rebelle : femme médecin au Moyen Âge , 2012 ; GB ) (77) Je m’en doutais que vous fricassiez ensemble ! … j’aurais dû le foutre dehors depuis longtemps … nom de dieu de cateau ! (Zola, La Terre , 1887 ; F) 3.3. Classification sémantique des déonomastiques issus de prénoms 185 Il peut être divertissant de comparer, comme le fait W illBerg (1965), le sens étymologique du prénom et la signification lexicale du déonomastique : Auguste (du lat. augustus ‘vénérable’, ‘sublime’) vs auguste (‘clown’), Michael (traditionnellement glosé ‘qui [ mi ] est semblable à [ ka ] Dieu [ el ]) vs der deutsche Michel (‘Allemand non politisé, peu engagé, dans la lune’), Catherine (du gr. katharos ‘pur’) vs catin (‘prostituée’), etc. Nous préférons pour notre part dégager les principales sources de la péjoration, susceptibles d’expliquer l’émergence de dénotations et / ou connotations dépréciatives. La popularité du prénom On peut de prime abord considérer comme paradoxal que la péjoration affecte des prénoms qui jouissent ou ont jouï d’une grande popularité, due entre autres aux porteurs illustres de ces noms (pour Auguste , l’empereur romain dont le nom servit de titre à ses successeurs, pour Michel , l’archange dans la tradition chrétienne et pour Catherine , la sainte originaire d’Alexandrie qui mourut vierge et martyre). En y regardant de plus près, il s’avère que c’est précisément cette popularité qui porte en elle les prémisses de la péjoration, qu’elle est pour ainsi dire « une rançon de la gloire, une contrepartie à la notoriété » (g illet 2013 : 8). Du sublime au ridicule, comme le dit la maxime, il n’y a qu’un pas. Établissant un lien direct entre la fréquence des prénoms Hans et Grete et les connotations péjoratives qui leur sont associées, W AcKernAgel (1860) notait : Le nombre de paysans, de domestiques, de sots, de gens menant une vie dissolue et en même temps de ceux parmi eux qui portent vraiment ces noms est en tous lieux tellement élevé que plus personne n’est à l’abri de se voir désigner par Hans ou Grete, Hans finissant par renvoyer à n’importe quel homme, Grete à n’importe quelle femme, et qu’il ne subsiste qu’une vague trace de moquerie et de réprobation. 431 Jean compte parmi les prénoms « qui ont le plus souffert de la malignité populaire » (d outrepont 1929 : 20), ce qu’illustre le poème anonyme Bouquet pour le jour de la Saint-Jean (1717) qui offre un joli florilège de composés dépréciatifs, tous désuets 432 : 431 Traduit par nos soins, texte original : « Die Zahl der Bauern, der Dienstboten, der Dummen, der Liederlichen und zugleich die Zahl derer, die jene Namen wirklich führen, ist überall so groß, daß zuletzt niemand mehr auch vor dem appellativen Hans oder Grete sicher ist, Hans nur noch irgendeinen Er, Grete irgendeine Sie bezeichnet, und nur etwa ein unbestimmter Schimmer von Spott und Tadel noch daneben hinstreift […]. » (W Ac - KernAgel 1860 : 320). 432 Pour les items qui ne figurent pas dans nos tableaux, la signification est indiquée en note de bas de page. Les items pour lesquels nous n’avons pu trouver de renseignements sont marqués d’un astérique. 186 3. Aspects sémantiques Par saint Jean dis-moi je te prie De quel Jean portes-tu le nom ? Tu n’es point dans la litanie De ces Jeans de mauvais renom ; Au diable celui qui t’appelle Jean-Gile [433] [ou Jean-de-Nivelle, Ou Jean-de-Vert [434] , ou Jean-le-Roux*, Ou Jean-Gingeole*, ou Jean-Farine. Tu n’es ni Janot, ni Jean-Soul [435] , Ni Gros-Jean, ni Jean de l’Épine [436] , Ni Jean Deve*, ni Jean Ridoux Ni Jean qui, prononcé par un homme en colère, Est pire qu’un coup de tonnerre Pour une pudeur de quinze ans ; Tu n’es point non plus de ces Jeans Dont le menton déplaît à mainte prude dame ; Tu n’es point Jean de par ta femme ; N’étant rien moins que Jean-Doucet [437] , Jean qui ne peut ou Jean-Fausset*, Ce qui te manque un peu, c’est la bachique trogne, À table tu n’es qu’un Jean-Logne, Jean-Potage n’est point ton nom ; Serais-tu Jean Davalos* ? Non ; Ni Don Jean des Enluminures*, Ni Frère Jean des Antomures [438] , Jean des Vignes tu ne fus onc ; Que diantre de Jean es-tu donc ? Ne sçachant à quel Jean tu portes ton offrande, D’un ton plus sérieux je finis ma légende. Fêtes-tu Jean d’Été, fêtes-tu Jean d’Hiver [439] , Ou quelqu’un des Jeans du désert [440] , Jean-de-Latran [441] ou Jean-Porte-Latine [442] , Ou bien porte-latin ? lequel des deux ? Devine. Finissons par deux Jeans ; Jean premier, Jean [second Ils te suffiront pour te louer à fond, Et te faire un bouquet qui fleure comme baume. Je te crois par l’esprit un vrai Jean-Chrysostome [443] , Et par le coeur, saint Jean-le-Rond. ( Le Mercure , juin 1717 ; reproduit dans r ollAnd 1884 : 92 sqq.) 433 Employé dans le sens de ‘sot, niais’ (c rAmer 1931 : 24). Cf. gille(s) . 434 Employé dans les expressions c’est du bon temps de Jean de Vert , je m’en soucie comme Jean de Vert , s’en moquer comme de Jean de Vert . Du nom du général Johann von Werth (1591-1652), longtemps redouté et qui, après sa capture lors de la bataille de Rheinfelden (1638), fut enfermé au château de Vincennes où il fut la risée des badauds (c rAmer 1931 : 83, 90, d outrepont 1929 : 30 sqq.). 435 Employé dans le sens de ‘soûlard’ (c rAmer 1931 : 47). 436 Employé dans le sens de ‘verge avec épines’ (c rAmer 1931 : 71). 437 Employé dans le sens de ‘personne qui fait mine d’être douce’ (c rAmer 1931 : 40) ou dans celui de ‘niais, sot’, du nom d’un bateleur qui jouait les niais (d outrepont 1929 : 31). 438 C’est ainsi que s’appelait le personnage truculent du moine dans Gargantua (1534) ; le nom est issu du substantif vieilli entamure (‘coupure, écorchure’ ; TLFi). 439 Saint Jean d’hiver désigne le solstice d’hiver (24 ou 27 décembre), en opposition à la Saint- Jean (ou saint-Jean d’été ) pour le solstice d’été (www.catharisme.eu ; 26. 2. 2016). 440 Peut-être en lien avec Saint-Jean-du-Désert , nom d’un ancien hameau de Marseille ainsi que de la chapelle qui s’y trouve. 441 Nom d’une basilique à Rome. 442 Nom d’une fête de l’église de Rome qui a lieu le 6 mai en l’honneur de l’apôtre et évangéliste Jean (c rAmer 1931 : 82). 443 Nom d’un archevêque de l’église de Constantinople (344 ou 349-407) que l’on fête le 18 septembre (selon c rAmer 1931 : 82) ou le 13 septembre (nominis.cef.fr/ …/ ; 26. 2. 2016). 3.3. Classification sémantique des déonomastiques issus de prénoms 187 Les clivages sociaux La diffusion d’un prénom dans les couches populaires conduisait irrémédiablement à son déclassement social, le prénom se trouvant dès lors ‘entaché’ de tout ce que la noblesse et la bourgeoisie se plaisaient à moquer chez les petites gens. Cela n’a pas échappé à Jean de l A B ruyère (1645-1696) qui, dans le chapitre « Des Grands » de ses Caractères (1688), raillait le souci des classes supérieures d’affirmer leur position sociale en se démarquant du peuple : C’est déjà trop d’avoir avec le peuple une même Religion et un même Dieu ; quel moyen encore de s’appeler Pierre, Jean, Jacques , comme le Marchand et le Laboureur : évitons d’avoir rien de commun avec la multitude, affectons au contraire toutes les distinctions qui nous en séparent ; qu’elle s’approprie les douze Apôtres, leurs disciples, les premiers Martyrs (telles gens, tels Patrons) ; qu’elle voie avec plaisir revenir toutes les années ce jour particulier que chacun célèbre comme sa fête. Pour nous autres Grands, ayons recours aux noms profanes, faisons-nous baptiser sous ceux d’Annibal, de César et de Pompée, c’étaient de grands hommes ; sous celui de Lucrèce, c’était une illustre Romaine ; sous ceux de Renaud, de Roger, d’Olivier et de Tancrède, c’étaient des paladins, et le Roman n’a point de Héros plus merveilleux ; sous ceux d’Hector, d’Achille, d’Hercule, tous demi-Dieux ; sous ceux de Phébus et de Diane : et qui nous empêchera de nous faire nommer Jupiter ou Mercure, ou Vénus, ou Adonis ? (l A B ruyère 1998 [1688] : 295 sq.) En allemand, Heinz et Kunz ont sans doute été parmi les premiers prénoms populaires à subir ce type de péjoration. Dans le Deutsches Wörterbuch , on lit à ce sujet : Il était inévitable que la fréquence, voire l’omniprésence de ces deux prénoms conduisent à leur dépréciation, principalement pour les classes supérieures ; c’est ainsi qu’ils étaient échus aux classes inférieures, qui sont de toute façon plus attachées à la tradition. 444 De même, n eedon (1896) expliquait qu’en réaction à la diffusion d’un nombre restreint de prénoms au Moyen Âge, 444 Traduit par nos soins, texte original : « dasz beide durch den häufigen, ja massenhaften gebrauch […] entwertet wurden, haupts[ächlich] in den ohren der höheren stände, war unausbleiblich, und so fielen sie mehr den niederen anheim, die ohnehin am alten fester halten. » (DW, s.v. Kunz ). 188 3. Aspects sémantiques [l]es nobles s’emparèrent tout d’abord des prénoms Abraham, Jakob, David, Daniel, Melchior, Zacharias, etc. Ils se mirent dès lors à considérer avec mépris les Heinz et Kunz, Hans et Peter, Nickel et Mathias, auxquels le bas peuple, plus lent, resta attaché plus longtemps. C’est ainsi qu’on en vint à désigner le petit bourgeois borné par Hinz und Kunz . 445 On constate que les prénoms cités, fortement affectés par la péjoration en raison de leur fréquence particulièrement élevée dans les couches populaires, sont pour la plupart des diminutifs. Le cas de Jean illustre particulièrement bien le dédain des classes supérieures vis-à-vis des prénoms populaires, en témoignent les vers que Madame Deshoulières (vers 1634-1694) adressait à Monsieur Caze à l’occasion de sa fête : On dit que je ne suis pas bête. Cependant, n’en déplaise aux Donneurs de renom, Quand il faut chanter votre Fête, Je ne sçaurois tirer un seul vers de ma tête. Jean - que dire sur Jean ? c’est un terrible nom, Que jamais n’accompagne une épithète honnête ! Jean de Vigne, Jean Logne … où vais-je ! Trouvez bon Qu’en si beau chemin je m’arrête. ( Œuvres de Madame et de Mademoiselle Deshoulières , 1690 ; GB ) De même, le personnage de Milord du roman-feuilleton L’enfant du carnaval (1796) trouve ce prénom fort déplaisant et le tourne ainsi en dérision : il y a des Jean partout, des Jean à la douzaine, des Jean de toutes les façons ; Jean sucre, Jean farine, Jean avant le mariage pour un peu qu’on épouse une brune éveillée ; Jean après, pour peu qu’elle ne s’endorme pas ; Jean que sa femme envoie à Charenton, Jean que sa femme fait fermier-général, Jean que l’ami de la maison caresse, Jean qu’il rosse, Jean qui pleure d’être Jean, Jean qui s’en moque et qui fait bien, etc. etc. (Pigault- Lebrun, L’enfant du carnaval , 1796 ; GB ) De nos jours, la péjoration liée à des facteurs sociaux peut suivre le chemin inverse et affecter les classes sociales privilégiées (cf. le cas des noms composés Marie-Charlotte et Marie-Chantal 446 ). 445 Traduit par nos soins, texte original : « Die Vornehmen zuerst griffen begierig nach Abraham, Jakob, David, Daniel, Melchior, Zacharias u. ä. Geringschätzig blickten sie nun auf Heinz und Kunz, Hans und Peter, Nickel und Mathias, an denen das schwerfälligere niedere Volk noch längere Zeit festhielt. So wurden Hinz und Kunz geradezu zur Bezeichnung für den beschränkten Kleinbürger. » (n eedon 1896 : 200). 446 Ils seront commentés plus bas (p. 243). 3.3. Classification sémantique des déonomastiques issus de prénoms 189 Aspects fonctionnels et psycholinguistiques La péjoration résulte des caractéristiques socioculturelles du prénom, mais également, de manière plus générale, de la désignation de groupes d’individus dont on souhaite se démarquer. En recourant à des items dépréciatifs, le locuteur vise à souligner son individualité et à se valoriser dans le discours. Les désignations d’autrui sont ainsi majoritairement péjoratives, ce qu’éclaire c rAmer (1931) en proposant une explication psycholinguistique avant la lettre : On se plaît à mettre au jour les défauts et les faiblesses d’autrui, à les condamner, à les critiquer et à les railler, alors que l’on passe sous silence les côtés positifs, comme s’ils étaient parfaitement évidents : nous sommes davantage enclins à la moquerie qu’à l’apothéose. 447 L’ancrage populaire des diminutifs dont il a été question plus haut n’explique pas à lui seul qu’ils soient fortement représentés parmi les désignations dépréciatives de personnes. L’expressivité inhérente à la péjoration y est également pour quelque chose. L’insulte et la cajolerie verbales sont bien plus proches qu’il n’y paraît : outre leur forte charge émotive, elles ont en commun de créer une proximité entre les locuteurs pouvant être ressentie comme une forme d’intrusion dans la sphère individuelle (cf. p feiffer 1996 : 499). Même l’emploi euphémique du diminutif, tel que nous l’avons observé notamment dans le cas des désignations de prostituées (cf. p. 176), contribue à ce processus de péjoration dans la mesure où « le voile des convenances finit toujours par s’user et par laisser entrevoir ce qu’il était destiné à masquer » (n ycKees 1998 : 118) 448 . D’autres facteurs peuvent être à l’œuvre dans le processus de péjoration, tels que la réputation d’un porteur initial, réel ou fictif (les noms de pitres et de clowns par ex.), les préjugés sur l’origine d’un nom ou sur ses porteurs (cf. les désignations de Juifs) ou encore certaines caractéristiques formelles telles que les suites de sons inhabituels ( fritz en français) et les altérations ( frisé , Schorsch ) (cf. j ABerg 1903 : 27). L’action simultanée ou successive de différents facteurs, que nous avons mentionnée dans le cas de Fritz / fritz (cf. p. 155), est manifeste également dans celui de Nicolas : 447 Traduit par nos soins, texte original : « Man findet gar gern Fehler und Schwächen des Nächsten heraus, verurteilt, bemängelt und bespöttelt sie, während man die guten Seiten als Selbstverständlichkeiten stillschweigend hinnimmt: Verspottung liegt mehr als Apotheose. » ; c rAmer 1931 : 90). Cf. également f rei (1981) au sujet des désignations humoristiques ou insultantes de la femme : ‘Ce qui n’est pas bien vu est plus marquant que ce qui agrée, et souvent, nous ressentons ce qui nous frappe comme étant de prime abord désagréable : voilà pourquoi c’est le sens défavorable qui prévaut.’ (Traduit par nos soins, texte original : « Das Missliebige fällt stärker auf als das Angenehme, oft ist uns auch das Auffallende von vorneherein unangenehm: daher das Ueberwiegen des ungünstigen Sinnes. » ; f rei 1981 : 18). 448 K eller & K irschBAum (2003 : 67) parlent de ‘dé-euphémisation’ (« De-Euphemisierung »). 190 3. Aspects sémantiques Récapitulons brièvement : fréquence élevée du nom - association phonique et sémantique (Nicolas, nigaud ) - influence sémantique des suffixes (-as, -ard) et, plus tard, de ceux servant à former des diminutifs de noms propres en général - influences littéraires, par ex. Cyrano d e B erg era c et Nic ole qui, en raison notamment d’un personnage de la comédie de Molière Le Bourgeois gentilhomme , est depuis longtemps la désignation très courante de la servante proverbiale, dévouée et naïve - les liens entre les prénoms Nic o d èm e et Nic ola s - tout cela a pu contribuer à extraire le nom des nimbes symboliques de la sainteté pour le faire passer dans le vocabulaire courant puis dans le domaine de l’outrage et de la diffamation, de sorte qu’il est aujourd’hui fortement méprisé et que les écoliers taquinent leurs camarades portant le nom de famille Colin (ou d’autres variantes) avec des propos tels que : Colin - Colinette Qui ti-re la sonnette, pour avoire [sic] des tablettes. 449 L’influence de la péjoration sur le choix du prénom Le sens dépréciatif de prénoms aujourd’hui désuets ( Metze , Tussi , Catin , Micheton , Nigaud , etc.) peut, à première vue, suggérer qu’il existe un lien de cause à effet entre péjoration et désamour vis-à-vis du prénom. Sans aller jusqu’à nier l’influence de certains items péjorés sur les pratiques d’attribution du prénom (on imagine mal aujourd’hui que quelqu’un prénomme sa fille Catin ou son fils Nigaud ), il nous semble quelque peu aventureux d’établir ce genre de lien puisque nous ignorons pour quelles raisons la popularité de tel ou tel prénom décline. Celle de Hans et Jean , qui comptent parmi les prénoms les plus maltraités, montre par ailleurs que la péjoration n’a qu’une influence limitée sur le destin des prénoms. Les remarques de d outrepont (1929) au sujet du discrédit jeté sur certains prénoms par des œuvres littéraires valent pour l’ensemble des items péjorés : 449 Traduit par nos soins, texte original : « Um es noch einmal kurz zusammenzufassen: Häufigkeit des Namens - Laut- und Begriffsassoziation (Nicolas, nigaud ) -, Bedeutungsbeeinflussung durch die Suffixe (-as, -ard) und später durch Namendiminutiv-Suffixe allgemein - literarische Einflüsse z. B. Cyrano de Bergerac und die besonders aus dem molièreschen Lustspiel Le Bourgeois gentilhomme so geläufige, treu-einfältige, seit langem sprichwörtliche Dienerin Nicole - Zusammenhänge von Nicodème und Nicolas - all das mag bei der Bedeutungswendung von Nicolas, mag den Namen aus symbolhaft heiligen Regionen in den alltäglichen Sprachschatz bis in den Bereich der Schimpf- und Schmähreden getrieben haben, so daß er heute viel verachtet ist und die Schulkinder Kameraden mit dem Familiennamen Colin (oder anderen Varianten) etwa folgendermaßen hänseln: Colin - Colinette / Qui ti-re la sonnette, / pour avoire [sic] des tablettes. » (f rAnKe 1934 : 120). 3.3. Classification sémantique des déonomastiques issus de prénoms 191 […] il convient de noter qu’un prénom discrédité par un succès littéraire n’est pas nécessairement à jamais flétri dans le monde des littérateurs. Parmi ceux-ci, vous en aurez qui reprendront le prénom sans tenir compte de l’acception défavorable dont il semble marqué. Exemples : Agnès, Alphonse, Basile. La littérature fait alors comme la vie , qui, elle non plus, n’accepte pas l’héritage complet du passé, si l’on ose ainsi s’exprimer. La vie n’accepte l’héritage que sous bénéfice d’inventaire, et elle ne prononce pas non plus l’exclusive contre tous les noms malfamés. En d’autres termes, tous les habitants du pays de France ne pensent pas de même au sujet de l’ostracisme moral qui pèse sur ces noms. La chose est due sans doute à ce qu’ils ne sont pas tous des « gens entendus » ou « informés ». Mais, observons-le, même auprès de ces gens entendus ou informés, auprès de ces gens qui se souviennent, la malignité publique n’est pas toujours assez agissante ou bien assez puissante pour qu’elle arrive à imprégner d’une signification absolument indélébile un qualificatif individuel qu’elle a frappé. Les collectivités, même cultivées, ne se soumettent pas sans exception à des arrêts. Sinon, l’on aurait vu disparaître du calendrier, ou de la liste des prénoms que consultent les mères à la veille d’une délivrance, ceux qui figurent dans notre liste d’appellatifs à sens ridicule ou flétrissant. Au surplus, il ne faut pas oublier que des souvenirs s’effacent dans la mémoire publique et que des révisions sont effectuées par la postérité. (d outrepont 1929 : 111) 3.3.2. Les désignations de parties du corps et de manifestations corporelles La fonction des désignations de parties du corps par un prénom 450 est essentiellement euphémique, ainsi que le montre la surreprésentation des organes associés à l’acte sexuel et à certaines de leurs fonctions. Que le pénis, tout d’abord, ait été affublé de si nombreux prénoms masculins 451 a fait dire à Jules c houx que « Monsieur le vit », ce « noble personnage, qui veut chaque jour être fêté, possède plus de prénoms qu’il n’en faudrait pour refaire le calendrier … républicain » (c houx 1881 : 234). Les dictionnaires érotiques et argotiques semblent confirmer ses dires et ce, pour les deux langues : on relève pour le français Pascal , Jacques , Jacquot et Thomas (D11) ainsi que Félix et Ferdinand ( BB 09), et pour l’allemand der alte Adam , Freund Hugo , Fritz , Hans , Hänschen , Hänschenklein , Hansel , Kasper , Schustermichel , Schwartenmichel , Wenzel et Zacharias (B74) . 450 c ornog (1981 : 37) parle de « genitomorphism ». 451 En anglais, dick , issu du diminutif de Richard , est attesté dans le sens de ‘pénis’ depuis la fin du XIX e siècle (www.etymonline.com ; 1. 3. 2016). 192 3. Aspects sémantiques Les deux items les plus anciens de nos relevés sont issus des prénoms masculins les plus populaires, Hans et Jean. Henslein est attesté dès le XV e siècle, Jean Chouart au XVI e siècle : (78) mir lag ein weip gar hart im sinn, / das ich ir wolt mein Henslein geben. (Keller, Fastnachtspiele aus dem 15. Jahrhundert , 1853 ; IA ) (79) Tenez, (montrant sa longue braguette) voici maître Jean Chouart [452] qui demande logis. (Rabelais, Pantagruel , 1532 ; IA ) Jean-nu-tête et Charles le Chauve , qui remontent respectivement au XIX e et au XX e siècle, reposent tous deux sur la représentation humoristique du pénis comme un homme chauve, la calvitie faisant allusion au gland décalotté. Comme dans (79), l’absence de déterminant dans (80) à (82) vise à renforcer la personnification du membre viril et par là même le caractère plaisant du déonomastique. Cela vaut aussi pour l’item argotique désuet jacquot (aussi jacques ), allusion possible au fait que le mot désigne également un levier : (80) Après que je l’aurai baisée / En tout amour reconnaissant, / Laisse ma main la caressant, / La saisir d’une prise osée, / Pour soudain la décalotter, / En sorte que, violet tendre, / Le gland joyeux, sans plus attendre, / Splendidement vient éclater ; / Et puis elle, en bonne bougresse / Accélère le mouvement / Et Jean-nu-tête en un moment / De se remettre à la redresse. (Verlaine, Hombres , 1891 ; W) (81) Eh ben, voilà, docteur […] Il avait sorti Charles le Chauve. Bon ! Qu’estce qu’il avait fait jusqu’ici comme traitement ? Oui ! Pas assez efficace. (Guérin, L’apprenti , 1946 ; fr.scribd.com) (82) Il est hercule ou peu s’en faut / il faut que tout lui cède, / Il sait démontrer comme il faut / L’amoureux intermède ; / Quand il se prépare à l’assaut / Faut voir comme il est raide, / Jacquot, / Faut voir comme il est raide ! (Al. Dales, s.d. ; D11) Parmi les items plus récents, citons pour l’allemand Heini , Johannes et son diminutif Jo(h)nny , Kasper , Kaspar , Kasperle et Willy , pour le français jésus , « par allusion au petit enfant, au nouveau-né, théoriquement petit et mignon » (M07), et popaul . Sans doute en raison du manque de sérieux et parfois également de la moquerie qui s’attachent à ces dénominations (en particulier lorsqu’il s’agit de diminutifs ! ), les femmes y ont volontiers recours : (83) Weder durfte ich seinen Heini anfassen noch blasen und er hat mir auch nicht an den Busen gegriffen! ! ! (www.joyclub.de/ …/ ; 17. 3. 2016) 452 Le mot chouart , forme abrégée de brichouart (‘broche, bâton’ ; G13), désignait aussi à lui seul le membre viril (DMF). 3.3. Classification sémantique des déonomastiques issus de prénoms 193 (84) Das mit dem Sex war am Anfang ja noch ganz nett. […] Irgendwie habe ich gedacht, dass es schon klargeht, wenn er sein Kasperle nur noch alle paar Tage in die Schlucht hüpfen lassen kann. (Sternberg, Liebe und Millenknödel , 2012 ; GB ) (85) Puis elle me donna une chiquenaude sur le bout de mon membre turgescent avec ses longs ongles vernis, ce qui la fit éclater de rire. « Laisse donc Popaul tranquille », me dit-elle. « D’ailleurs à ce sujet je ne voudrais pas que quelqu’un apprenne que mon mari a un sexe d’une taille insuffisante ! » (April, Cocu et si fier de l’être , 2016 ; GB ) 453 Hans , Heini , Kasper et jean , nous l’avons dit, sont attestés également dans le sens de ‘sot, niais’. Bien que nos données ne permettent pas vraiment d’affirmer qu’il existe un lien direct entre ces deux acceptions, on ne peut s’empêcher de penser que la manière la plus crue d’humilier quelqu’un est de le réduire à ses organes génitaux (cf. B Alle 1990 : 156). Ce procédé est d’ailleurs à l’œuvre en allemand dans le cas de Dödel et Pinsel (1. ‘sot, niais’ ; 2. ‘pénis’), en français dans celui de bite et queue (cf. les expressions vulgaires être une bite / queue en X ‘être mauvais dans qqch, ne rien comprendre à qqch’). Une partie des items désignant le pénis se retrouve dans des locutions désignant le fait d’uriner ( faire pleurer Popaul ) et renvoyant à certaines fonctions sexuelles, la pénétration ( mettre le petit jésus dans la crèche , emmener Popaul au cirque ) et la masturbation. Dans ce domaine, les images véhiculées par les expressions sont étonnamment semblables dans les deux langues. Comparons den Jürgen würgen et étrangler Popaul ; den Kasper(le) schnäuzen et faire pleurer Popaul , qui font toutes référence à l’éjaculation. Dans fünf gegen Willy spielen , le nombre renvoie aux cinq doigts de la main (fr. jouer à cinq contre un ; CR 91). Ajoutons à cette liste les québécismes se passer un willey et se passer un jack , calques de to w(h)ack the willie et de to jack off , ce dernier faisant allusion à l’engin de levage ( jack ‘cric’) 454 . Les désignations de parties du corps et les manifestations corporelles spécifiquement féminines sont moins nombreuses dans nos relevés. Si le vagin n’y est pas représenté 455 , on y trouvera tout de même plusieurs désignations pour 453 L’exemple suivant montre que les hommes eux aussi emploient ce genre d’items : « Weißt du, ich steh da echt vor einer schlimmen Entscheidung: Nehm ich die Pillen weiter, hab ich zwar volles Haar, dafür aber einen schlaffen Heini. Setz ich sie ab, steht der zwar wieder, dafür krieg ich aber eine Glatze. » (Molzer, Früher … war ich ein richtiger Ficker , 2011 ; GB). 454 Le dérivé jacker signifie à la fois ‘lever au moyen d’un cric’ et ‘avoir une érection’. 455 Nous n’avons pu attester l’emploi de Fanni , sans doute un emprunt à l’anglo-américain (www.etymonline.com ; 2. 3. 2016), pas plus que celui de Hildegard (B74) et de monique (D11). 194 3. Aspects sémantiques les seins : Peter und Paul(i) , expression allitérative désuète, qui est issue du nom des deux saints et / ou des deux cloches de la cathédrale de Cologne, les pluralia tantum roberts et, au Québec, jos , djos , djeaux , issus de saints joseph , employé de manière synonyme. Quant à la menstruation, elle est désignée par les expressions rote Marie et rote Zora 456 en allemand, avoir ses carolines en français. Les fesses portaient jadis les noms de saint-jean-le-rond , bernard , Saint Luc et Messire Luc , aujourd’hui, plus simplement, luc , anagramme de cul (cf. p. 152). Citons, en lien avec cette partie du corps, l’expression désuète aller voir / chez bernard (‘aller au petit coin’), issue de passer par l’arc saint Bernard 457 , les locutions familières balancer / lâcher une louise / marie-louise (‘péter’) et celles renvoyant à la diarrhée, schnelle Katharina (vieilli) et ses variantes actuelles schnelle Kathrin(e) / Kathi , de même que flotter Anton / Fritz / Heinrich / Otto . D’autres parties du corps, moins soumises au tabou linguistique, se sont également vu attribuer des prénoms, employés pour la plupart de manière plaisante. Il s’agit notamment de la pomme d’Adam ( Adamsapfel ), appelée anciennement morceau d’Adam , des mollets ( jacques , jacquots ), des cheveux et des coiffures ( falscher Wilhelm ‘fausse tresse, cheveux postiches’, Gretchenfrisur ‘coiffure constituée de tresses en forme de couronne sur le front’, Tituskopf / coiffure à la Titus ‘coiffure avec de nombreuses petites mèches aplaties sur la tête’, à la Berthe ‘en double bandeaux plats, les cheveux divisés sur le front’) et des doigts ( la fourchette du père Adam , le mouchoir d’Adam , en référence à des utilisations spécifiques). À noter que dans certaines comptines allemandes du XIX e siècle, les doigts de la main étaient indiqués aux enfants par leur surnom : Kortjohann pour l’index, Langmarten pour le majeur, Johann et Kleinjäckchen pour l’annulaire, Piphans [sic] et Peter Müllermann pour l’auriculaire (s imrocK 1879 : 5-8). Nous terminerons par les maladies et les manifestations corporelles qui les accompagnent : (Sankt) Antoniusfeuer / feu de Saint-Antoine et mal Saint-Antoine pour une gangrène due à l’intoxication par le seigle ergoté, Herzkasper pour la crise cardiaque ( Herzkaschperl en Autriche), den Jörg (an)rufen, (den / nach [dem]) Ulf rufen , (den) (heiligen) Ulrich (an)rufen pour les vomissements, mal (de) saint Jean pour l’épilepsie, mal saint Lazare / Ladre pour la lèpre (la personne affectée 456 Du nom de l’héroïne d’un roman pour enfants, Die rote Zora und ihre Bande (Held, 1941). Rote Zora est également le nom d’une organisation féministe d’extrême-gauche dans les années 1970 et 80. La couleur rouge symbolise aussi bien les menstruations que le communisme et la violence. Il pourrait s’agir aussi d’une analogie à rote Marie. 457 Cette appellation renvoyait aux voûtes obscures sous lesquelles se cachaient à Paris les passants pressés par un certain besoin. l Archey (1889) explique l’origine de l’expression comme suit : « Allusion à saint Bernard, représenté d’ordinaire ayant en main des tablettes qui passent pour le papier de rigueur ». 3.3. Classification sémantique des déonomastiques issus de prénoms 195 étant un ladre ) 458 , Veitstanz / danse de Saint-Guy pour une maladie nerveuse (qui se manifeste par des mouvements convulsifs rappelant ceux de la danse) et Ziegenpeter pour les oreillons. Enfin, nous rappellerons que la mort est personnifiée en allemand par Bruder / Freund / Gevatter Hein ou Hain (p. 104), en français par Sophie Tourne (de) l’œil . 3.3.3. Les désignations d’animaux Nous avons vu en introduction qu’au XVI e siècle, les âniers en France avaient pour habitude de nommer leurs ânes Henri et les porchers en Allemagne leurs cochons Heyntzlin (cf. f ischArt (1575) ; p. 3). Comme le notait K rueger (1891), l’attribution d’un prénom à l’animal a pour objectif de le personnifier et souligne ainsi le rapport privilégié qu’on entretient avec lui : Le peuple entretient un rapport affectif avec le monde des animaux ; il reconnaît en eux des propriétés humaines ou les leur attribue ; plus il ressent de la sympathie pour certains d’entre eux, plus il est enclin à les considérer comme ses semblables et à les nommer de la sorte. 459 Il convient toutefois de distinguer le nom propre attribué à un animal en particulier 460 ( Douglas pour le perroquet de la voisine), le nom propre générique ( Coco , Jacquot pour les perroquets en général) et le nom commun ( jacquot , perroquet ). Comme pour certaines désignations de personnes (cf. p. 137), il est cependant difficile de déterminer si tel ou tel item, jacquot par exemple, est, à un moment donné, employé comme nom propre générique ou comme nom commun (cf. v AxelAire 2005 : 343, g ottschAld 2006 : 72). L’espèce animale la mieux représentée dans nos relevés est celle des oiseaux. On observe une grande disparité entre les deux langues : pour l’allemand, nous 458 Les « maux de saints », comme les appelle g uillet (2013 : 22), désignaient autrefois des pathologies redoutées contre lesquelles on invoquait le nom du saint censé les guérir (TLFi). On relève chez o udin (1640) le mal de saint Acaire (‘l’opiniâtreté, l’humeur acariâtre’), le mal saint Avertin (‘la mauvaise tête’), le mal saint Fiacre (‘l’inflammation au fondement’ [sans doute dans le sens d’‘hémorroïdes’ ; B12]), le mal saint François (‘la pauvreté’), le mal saint Genou (‘la goutte’), le mal saint Giles (‘le cancer’), le mal saint Mathurin (‘la folie’) et le mal saint Zacharie (‘le mutisme’). 459 Traduit par nos soins, texte original : « Zur Welt der Tiere steht das Volk in einem gemütlichen Verhältnis; es erkennt in ihnen menschliche Eigenschaften oder legt sie ihnen bei; je mehr Teilnahme es für einzelne hegt, desto geneigter ist es, sie als seines gleichen anzuerkennen und demgemäß zu benennen. » (K rueger 1891 : 18). 460 Les noms propres donnés aux animaux font l’objet de présentations générales chez d eBus (2012 : 191-195) et n üBling et al. (2012 : 191-205). Pour des études plus détaillées sur la question, on se reportera à la bibliographie élaborée par s eiBicKe (1989) ainsi qu’au recueil intitulé Tiernamen - Zoonyme publié par d Ammel , n üBling & s chmucK (2015). 196 3. Aspects sémantiques n’avons retenu que Matz et ses composés Piepmatz , Starmatz , qui désignent familièrement un oiseau de petite taille, de type moineau ou merle. En français sont attestés en revanche, dès le XIV e siècle, perroquet (issu de Perrot , lui-même diminutif de Pierre ), au XVI e siècle, guillemot (‘oiseau palmipède des régions arctiques’), jean-le-blanc (‘sorte de rapace dont le plumage a des teintes blanches’), martinet (‘oiseau à longues ailes, au vol rapide’) et martin-pêcheur (‘petit passereau qui vit au bord des cours d’eau et se nourrit de poisson’), qui a donné lieu par analogie à martin-chasseur (‘oiseau voisin du martin-pêcheur mais de mœurs terrestres’). Ils sont suivis, au XVII e siècle, de margot et jaquette 461 (‘pie’) ainsi que de pierrot (‘moineau’), au XVIII e siècle de colin (‘oiseau d’Amérique du Nord assez semblable aux petits gallinacés’) 462 , jacquot / jaco(t) (‘perroquet’), martin (‘passereau’) et nigaud (‘petit cormoran’), au XIX e siècle de jacques (‘geai’). Viennent ensuite les animaux de la ferme et de la campagne. Dès le XV e siècle, le mouton et l’âne étaient appelés robin et martin 463 . Au plus tard au XVI e siècle apparaît ja(c)quet 464 pour l’écureuil, au XVII e siècle jeannot pour le lapin, rares aujourd’hui ( ja(c)quet serait toujours attesté en Normandie ; PR). Au XIX e siècle, une race de chevaux de couleur gris-jaune se voyait attribuer le nom d’ Isabelle / isabelle 465 . À la même époque, le rat était surnommé gaspard dans l’argot pénitentiaire. Les insectes sont représentés en allemand par la coccinelle ( Marienkäfer ), les vers luisants ( Johannisfünkchen , -käfer , -wurm / würmchen ) et en français, par la rosalie, insecte vivant dans le hêtre. Parmi les autres déonomastiques toujours en usage, citons pêle-mêle bernard-l’(h)ermite (attesté depuis le XVI e siècle) et julienne , poisson proche de la lotte, Bernhardiner / saint-bernard , Petersfisch / saint-pierre et Jakobsmuschel / coquille saint-jacques . Plusieurs remarques s’imposent. Tout d’abord, l’écart entre le nombre de désignations d’oiseaux en allemand et en français aurait été bien moindre si l’on avait pris en considération les items dialectaux et régionaux, très nombreux 461 Ces deux items fonctionnent comme base de dérivation dans margot(t)er (‘crier, en parlant de la caille’) et jaqueter (‘jacasser, en parlant de la pie’). Ce dernier a évolué vers jacter (‘bavarder, parler sans cesse et avec volubilité’ ; TLFi). 462 Colin , nom d’un poisson de mer, n’est pas issu du prénom, mais de l’angl. coalfisch ou du néerl. kool(visch) (plus probablement de sa forme abrégée kole ; TLFi). 463 Il a donné lieu au XVI e siècle au composé martin-bâton (‘trique’). 464 Dans l’expression à potron-ja(c)quet (‘à l’aube’), po(i)tron est issu du lat. posterio (‘postérieur’). L’expression signifie donc littéralement ‘dès qu’on voit le derrière de l’écureuil’, l’animal dressant souvent sa queue (TLFi). 465 Nous avons mentionné plus haut l’emploi de Nickel comme sobriquet pour un mauvais cheval (p. 177). N’ayant pas trouvé d’attestation convaincante d’un emploi déonomastique, nous ne l’avons toutefois pas retenu dans nos relevés. 3.3. Classification sémantique des déonomastiques issus de prénoms 197 dans ce domaine. t rögel (1926 : 30) signale ainsi que dans les dialectes du basallemand, Jochen , Johann Klappstert et Dackpeter désignaient le moineau, que Jakob était le surnom du corbeau et de la corneille à Zwickau 466 et Rotkätel celui du rouge-gorge en Lusace ; quant au perroquet, il répondait en divers lieux au nom de Lore ou Lorchen 467 . B Ach (1952 : 324) ajoute Klaus et Hanneken , noms du choucas dans la Vieille-Marche (Altmark) pour le premier, dans les Flandres pour le second, ainsi que Tratschkatel , surnom de la pie en Styrie. Pour le français, l’ouvrage monumental de r ollAnd (1967a [1877-1915]) sur la faune populaire de la France fournit quantité de déonomastiques dialectaux. Nous glanons ainsi, au fil des pages, jacques , jâk , jêk , djâk , djôk , jacquot , jâcô , jagô (diminutifs de Jacques ) pour le geai, nommé colas gérard dans les dialectes du nord de la France, cola et jacob dans le Cher, richard en Bretagne et gatiéz (de Gautier ) à Metz (vol. X : 2 sq.). Dans les Vosges, on appelait la huppe, à grand renfort d’onomatopée, jean boubou ( II : 99). Parmi les déonomastiques désignant des animaux autres que les oiseaux, nous relevons renaud pour le renard, employé dans les Ardennes, ainsi que jean pour le bouc et jeanne / jeannette pour la chèvre dans le Loiret (I : 161 ; V : 175, 177). Il apparaît ensuite que les espèces animales sont très inégalement représentées tant dans nos tableaux que parmi les items dialectaux relevés. La probabilité pour une espèce d’être désignée par un prénom dépend tout d’abord de son degré de familiarité avec l’homme. S’agissant des oiseaux, p eterson (1929) notait : Il va de soi que les oiseaux personnifiés par le peuple sont ceux qui lui sont familiers. Les oiseaux qui cherchent le voisinage de l’homme, qui lui sont utiles ou nuisibles, les oiseaux de bon ou de mauvais augure, les oiseaux de passage qui arrivent ou partent à des époques fixes et dont l’apparition peut ainsi servir de point de repère pour les travaux saisonniers du paysan ou du pêcheur reçoivent donc des noms de personne. (cf. 1929 : 159) La prédilection pour les prénoms populaires ( Johann(is) / Jean , Jakob / Jacques , Margot , Martin , etc.) est sans doute liée aux représentations que le peuple se fait de tel ou tel animal, de son corps, de son cri ou de son comportement. 466 Jaap en Poméranie, comme l’indique s chmidt (1959) : ‘Le prénom Jakob, en platt Jaap , peut rappeler l’habitude qu’avaient les garçons de Poméranie de nommer Jakob les jeunes choucas trouvés sur les clochers des églises et de leur répéter sans cesse ce nom pour qu’ils apprennent à le répéter à leur tour.’ (Traduit par nos soins, texte original : « Schon der Vorname Jakob, plattdeutsch Jaap , mag daran erinnern, daß Pommersche Jungen die von Kirchtürmen geholten jungen Dohlen Jakob nennen und sie durch dauerndes Vorsprechen zum Wiederholen des Namens abrichteten. » ; s chmidt 1959 : 64). 467 Selon e is (1970 : 57 sq.), ces désignations ne sont pas issues d’un prénom mais du mot espagnol loro , lorito (‘perroquet’), lui-même issu du portugais louro (‘blond, jaune’) qui se réfère à la couleur de l’animal. 198 3. Aspects sémantiques Selon l évi -s trAuss (1962), la tendance à désigner les oiseaux par des prénoms s’explique par le parallélisme qu’on perçoit entre la communauté des humains et celle des oiseaux : Si, plus aisément que d’autres classes zoologiques, les oiseaux reçoivent des prénoms humains selon l’espèce à laquelle ils appartiennent, c’est qu’ils peuvent se permettre de ressembler aux hommes, pour autant que, précisément, ils en diffèrent. Les oiseaux sont couverts de plumes, ailés, ovipares, et physiquement aussi, ils sont disjoints de la société humaine par l’élément où ils ont le privilège de se mouvoir. Ils forment, de ce fait, une communauté indépendante de la nôtre, mais qui, en raison de cette indépendance même, nous apparaît comme une communauté autre, et homologue de celle où nous vivons : l’oiseau est épris de liberté ; il se construit une demeure où il vit en famille et nourrit ses petits ; il entretient souvent des rapports sociaux avec les autres membres de son espèce ; et il communique avec eux par des moyens acoustiques qui évoquent le langage articulé. (l évi -s trAuss 1962 : 245 sq.) On notera toutefois que les désignations de certains animaux domestiques dont le chien ou le chat, avec lesquels le paysan entretient pourtant un lien étroit, n’apparaissent pas dans nos relevés. Comme le rappelait K uhlmAnn (1916 / 17), le paysan ‘a toujours eu pour coutume de donner un nom aux animaux domestiques dont le sort est si étroitement lié à sa propre existence, c’est vrai en particulier du bétail, des chevaux et des chiens vivant sous le même toit que lui’ 468 . Il semble que ce soit précisément cette extrême proximité qui entrave l’emploi du nom propre comme nom commun. Plus le lien avec l’animal est intime, plus l’appellativisation de son nom est compromise : Pour ce qui est du chien et du cheval, les serviteurs les plus fidèles de l’homme, la rareté des noms propres devenus génériques est frappante. Ce qu’il faut en conclure, ce n’est pas que l’homme attribue plus rarement des noms propres à ces animaux. Nous croyons que la raison pour laquelle les noms propres ne restent pas comme termes génériques est due au fait que l’homme individualise le chien et le cheval et que par conséquent le nom propre de personne reste à l’état de nom propre d’animal. (p eterson 1929 : 154 ; cf. également r osenKrAnz 1982 : 300) Le degré de familiarité n’est pas le seul facteur expliquant l’attribution d’un prénom à l’animal, en témoignent les animaux répondant aux noms de guillemot , bernard-l’(h)ermite , coquille saint-jacques et perroquet . Parmi les autres facteurs qui ont pu jouer un rôle dans le processus d’appellativisation, nous avons évoqué 468 Traduit par nos soins, texte original : « Der Bauer pflegt ja von altersher seine Haustiere, mit deren Wohl und Wehe sein eigenes Dasein so eng verknüpft ist, zu benamsen, besonders also das Rindvieh, Pferde und Hunde, mit denen er unter einem Dach lebte. » (K uhlmAnn 1916 / 17 : 88). 3.3. Classification sémantique des déonomastiques issus de prénoms 199 l’onomatopée dans jean boubou , également à l’œuvre dans jacquot / jaco(t) , censé rappeler le cri du perroquet. Plus fréquemment, c’est la référence à un porteur identifié qui est à l’origine du phénomène, à commencer par les personnages bibliques ou les saints : Bernard de Clairvaux dans bernard-l’(h)ermite (pour des raisons inconnues), Marie dans Marienkäfer , les sept points noirs, comme nous l’avons dit plus haut (n. 265), rappelant ceux figurant sur le manteau de Marie et qui représentent les joies et les peines de la Vierge, saint Jean dans Johannisfünkchen , -käfer et -wurm / würmchen , dont la fête (24 juin) coïncide avec la période à laquelle ces insectes réinvestissent la nature 469 . Le nom du porteur fait parfois partie d’un toponyme : Bernhardiner / saint-bernard sont issus du nom du col du Grand-Saint-Bernard (cf. p. 100), Jakobsmuschel / coquille saint-jacques de St-Jacques-de-Compostelle, les pèlerins portant des coquillages sur leurs habits. Le porteur initial est parfois un personnage historique ( Isabelle / isabelle ; n. 172). Observons maintenant de plus près le cas des déonomastiques rattachés à un animal de fable. Comme le montre Ysengrinus , récit animalier datant du XII e siècle (Nivard de Gand, 1152), l’attribution de noms d’humains aux animaux est un procédé littéraire ancien qui visait essentiellement à parodier le genre littéraire dominant qu’était alors l’épopée (cf. m enKe 1970 : 162) . Le personnage le plus célèbre est sans doute le héros du Roman de Renart (du germ. Reginhart ), dont le nom a progressivement remplacé l’afr. goupil , qui s’est maintenu jusqu’au XVII e siècle ( TLF i). Le passage au nom commun aurait été favorisé par la disparition de l’élément caractérisant goupil dans le nom initial Renart goupil , phénomène qui se serait produit également avec Jeannot lapin > jeannot (cf. n yrop 1913 : 361, 373) 470 . En allemand, l’appellativisation a concerné les noms du loup Isegrim 471 , du lapin Lamprecht 472 et de l’ours Petz (diminutif de Bernhard ), personnages dans l’adaptation en bas-allemand Reinke de vos . Accolés au 469 Cf. également, en français dialectal, papo dé San Jouan (‘hanneton’), mouche de Saint-Jean (‘sorte de mouche’), bœuf de la Saint-Jean (‘lucane’), cerf Saint-Jean (‘lucane femelle’), ver de la Saint-Jean (‘ver luisant’), etc. (c rAmer 1932 : 33 sqq.). 470 Et sans doute aussi dans le cas de Robin mouton > robin . Comme l’indique K AlverKämper (1978 : 150), le statut de ces éléments est ambigu, oscillant entre celui de nom de famille, conséquence d’une personnification et / ou d’un anthropomorphisme fréquents dans certains genres littéraires [fables, littérature enfantine, etc.], et celui de substitut d’apposition du type « jeannot, le lapin ». 471 Attesté comme nom masculin dès le VIII e siècle sous la forme Isangrim (f örstemAnn 1856). Ne disposant pas d’informations suffisantes sur l’évolution de ce nom à partir du XII e siècle, nous n’avons pas retenu le déonomastique correspondant dans nos tableaux. 472 Employé comme nom commun sous sa forme diminutive Lampe qui s’est imposée sans doute en raison de la tache claire sur la queue du lièvre faisant au loin l’effet une lampe (« Wozu der Hase seine Lampe braucht », derstandard.at (13. 8. 2013) ; page consultée le 29. 3. 2016). 200 3. Aspects sémantiques titre Meister , ces noms sont employés encore aujourd’hui de manière plaisante, surtout dans la presse : (86) Nach einer Zeit mit regelmässigem Rückgang der Wolfszahlen in Norwegen scheint Meister Isegrim wieder besseren Zeiten entgegensehen zu können. ( Neue Zürcher Zeitung 2007 ; DeReKo) (87) Bundesweit wird die Zahl der Feldhasen auf gut vier Millionen geschätzt. „Meister Lampe ist nach wie vor überall heimisch in Deutschland und wird es auf absehbare Zeit auch bleiben“, sagt Jägerpräsident Jochen Borchert. ( Hannoversche Allgemeine 2009 ; DeReKo) (88) Wir sind im Bärenland. Das ist nicht zu übersehen. Im weichen Untergrund finden wir immer wieder Abdrücke der riesigen Tatzen von Meister Petz. Kothaufen markieren das Terrain. ( die tageszeitung 2011 ; DeReKo) L’origine littéraire de ces dénominations n’est toutefois pas toujours clairement établie. Comme nous l’avons souligné plus haut (p. 125), la littérature n’est pas nécessairement à l’origine des déonomastiques associés aux personnages de fiction, elle peut fonctionner comme ‘diffuseur’ de déonomastiques dialectaux. Reinhard et Isegrim ont ainsi été attribués aux animaux dans la langue populaire bien avant leur apparition dans les récits animaliers (cf. c hristmAnn 1950 : 112-117, m enKe 1970 : 162). Cela vaut également pour margot , qui désignait la pie dès 1642 ( TLF i), emploi que l’on retrouve un demi-siècle plus tard dans une fable de La Fontaine ( Margot la pie 1694). Signalons enfin que le choix d’un prénom peut être influencé par un emploi déonomastique antérieur. Ainsi, le petit cormoran, oiseau d’aspect lourd et maladroit qui se laisse facilement prendre, a reçu le nom de nigaud en référence au sens de ‘sot, niais’. Il en va de même de jeannot , allusion possible à la naïveté attribuée à l’animal. Le lien entre margot (‘pie’) et la désignation de la campagnarde encline aux commérages saute aux yeux. Ces quelques exemples montrent que les désignations d’animaux sont en règle générale secondaires par rapport aux désignations de personnes et que par conséquent, elles n’ont pas exercé d’influence directe sur le processus de péjoration. Inversement, elles ne sont guère affectées par le phénomène de péjoration, ce qui s’explique sans doute par la dimension affective liée à la personnification de l’animal. 3.3.4. Les désignations de végétaux Cette classe rassemble les désignations de végétaux au sens large, comprenant les plantes, les fruits et les légumes. Comme le montrent bertram (‘pyrèthre d’Afrique’) ou gundram (‘lierre terrestre’), déonomastiques attestés en vieux-haut-allemand 3.3. Classification sémantique des déonomastiques issus de prénoms 201 (cf. 2.4.1), l’attribution d’un nom de personne à un végétal est un phénomène ancien. Pour la période qui nous intéresse, nous avons retenu les items suivants : prénoms allemand français Alexander, Alexandre Alexander Lucas ‘variété de poire’ Alexandre Lucas idem Barbara Barbarazweig ‘branche d’arbre fruitier coupée et placée dans un vase à la Sainte-Barbe’ Catherine catherinaire ‘tabac’ Charlotte pomme de terre de forme oblongue et régulière Claude Reneklode , Reineclaude ‘variété de prune’ reine-claude idem Clément (dér.) Klementine, Clementine (dér.) clémentine Grete feine Grete ‘fenugrec’ Heinrich, Henri blauer Heinrich (aussi stolzer Heinrich ) ‘vipérine’ böser Heinrich ‘mercuriale’ (mauvaise herbe) guter Heinrich ‘épinard sauvage, bon-henri’ roter Heinrich ‘oseille sauvage’ stolzer Heinrich ‘salicaire, vipérine’ (plantes hautes) bon-henri idem Heinzel Heinzelmännlein ‘mandragore’ Johannis, Jean, Jeannette Johannisapfel ‘variété de pomme précoce’ Johannisbeere (anciennement Johannistraube, -träublein ) ‘groseille, cassis’ Johannisblume ‘arnica’ Johannisbrot ‘caroube’ jeannette ‘narcisse des poètes’ 202 3. Aspects sémantiques prénoms allemand français Johanniskraut ‘millepertuis ; herbe de la Saint-Jean’ Johannistrieb ‘pousse tardive sur certains arbres’ herbe de la Saint-Jean idem Julienne julienne ‘plante à fleurs en grappes’ Lieschen blaues Lieschen ‘violette de Perse’ faules Lieschen ‘mouron des champs’ fleißiges Lieschen ‘impatiente’ Louise louise-bonne ‘poire d’automne, fondante et douce’ Madeleine madeleine ‘variété de pomme, de poire ou de prune’ Maria Marienblümchen ‘pâquerette’ Napoléon bigarreau, d’une variété à gros fruit rose à chair blanche et ferme Veronica, Véronique Veronica ‘plante aux fleurs bleues à quatre pétales en croix’ véronique idem Victoria victoria (angl.) ‘plante aquatique exotique à fleurs rouges et blanches’ Ces désignations présentent plusieurs similarités avec celles des animaux mentionnées précédemment. Dénuées de connotation péjorative, elles ont pour fonction de personnifier une espèce, souvent familière aux locuteurs. Pour m Arzell (1924 : 4), l’attribution de noms de personnes à des fleurs témoigne de ce que nos ancêtres les percevaient comme des êtres dotés d’une âme. Dans sa Deutsche Mythologie , Jacob g rimm (1844) notait au sujet de l’emploi du prénom Heinrich pour désigner plusieurs noms de plantes : 3.3. Classification sémantique des déonomastiques issus de prénoms 203 Ils s’expliquent selon moi par les représentations des elfes et des farfadets que l’on appelle volontiers Heinz ou Heinrich, noms qui ont ensuite été appliqués au diable et aux sorcières ; on attribuait à ces êtres démoniaques les vertus médicinales des herbes. 473 Pour cette même raison, la mandragore (all. Alraunwurzel ), à laquelle les Anciens prêtaient des vertus magiques, portait jadis le nom de Heinzelmännlein , la forme du tubercule rappelant par ailleurs celle du corps humain ( AD , DW , s.v. Heinzelmann ). Tout comme les désignations d’animaux, celles de végétaux se caractérisent par un fort ancrage régional : la nigelle de Damas, qu’on appelait communément Gretl 474 im Busch , était surnommée Gretl in d’ Stauden en Carinthie, Gretel hinter der Heck dans le pays de Bade, Gretl unter dem Strauch au nord de la Bohème, Greatli im Struß à Saint-Gall et Lieschen im Grünen dans le Bergisches Land (m Arzell 1924 : 4). En Styrie, le pissenlit portait le nom de Weghansel , et en Basse-Autriche, on appelait la renouée, qui pousse le long des chemins et dans les graviers, Hänsel / Hansel am Weg ( DW ). Dans l’ouest de la Thuringe, l’anémone avait pour surnoms Elschen unterm Busch et Gretchen auf der Staude , la fumeterre Hänsla auf dem Stängela (r osenKrAnz 1982 : 300 sq.). Dans les régions du nord, les séneçons étaient appelés stolter Hinnerk ( stolzer Heinrich ), stinken [sic] Hinnerk et stinken Jan Hinnerk (m Arzell 1924 : 4). Pour le français, nous trouvons dans le dictionnaire de la flore populaire de r ollAnd (1967b [1896-1914]) les désignations erbo de san Christou (de Christophe ; Languedoc) pour l’actée en épi (vol. I : 129), julia (Sarthe) et saint-Jacques (Normandie) pour la julienne (I : 245 sq.), sainte-Catherine (Belgique), erbo de san Jan (Provence) et herbe à saint- Eloi (Orne) pour le millepertuis ( III : 173), erbo a Rouber (Provence) pour le géranium (III : 308) ou encore madeleine (Manche) pour la fleur du pissenlit (VII : 189). Les déonomastiques désignant des végétaux résultent des deux principales voies d’appellativisation. Les désignations issues de prénoms populaires tels que Grete , Heinrich / Henri ou Lieschen contiennent un adjectif épithète qui renvoie à une propriété de la plante. L’item le plus ancien figurant dans nos relevés est guter Heinrich (‘épinard sauvage’), attesté en allemand depuis le XV e siècle 475 et dans lequel l’épithète fait référence aux vertus thérapeutiques de cette plante qu’on utilisait jadis contre des maladies de la peau telles que la lèpre (cf. m Arzell 1924 : 4). Ont été formés sur ce modèle blauer Heinrich , roter Heinrich et blaues 473 Traduit par nos soins, texte original : « ich erkläre sie aus den vorstellungen von elben und kobolden, die gern Heinz oder Heinrich heiszen, was hernach auf teufel und hexen übergieng, solchen dämonischen wesen schrieb man die heilkraft des krautes zu. » (g rimm 1844 : 1164). 474 Le nom de la marguerite (all. Margerite ) n’est pas issu du prénom, mais du gr. margaritês (‘perle’) qui est également à l’origine du prénom (TLFi, TH09). 475 Le pendant français, bon-henri , remonte au milieu du XVI e siècle (FEW). 204 3. Aspects sémantiques Lieschen , qui renvoient à la couleur des fleurs et / ou des pétales, böser Heinrich , par allusion à la nocivité de cette mauvaise herbe, et stolzer Heinrich qui fait référence à la taille de la plante. Il en va de même de fleißiges Lieschen , surnom de l’impatiente qui se caractérise par sa longue période de floraison, et de son pendant négatif, faules Lieschen , nom donné au mouron des champs dont les fleurs ne s’ouvrent que tard dans la matinée pour se refermer dès le milieu de l’après-midi. Quant à feine Grete (lat. foenum graecum ), nous rappelons qu’il s’agit d’un cas d’étymologie populaire (cf. 3.2.3.4). Parmi ces noms populaires, seul guter Heinrich s’est établi, sous sa forme latinisée, dans la nomenclature botanique où il fonctionne comme épithète spécifique ( Chenopodium bonushenricus ; s Auerhoff 2001 : 133). Les expressions de ce type semblent moins fréquentes en français : excepté bon-henri et louise-bonne , nous avons rencontré uniquement joseph foireux qui désigne la fleur de coucou (r ollAnd 1967b / II : 234). Nous distinguons deux cas de figure pour les déonomastiques renvoyant à un porteur identifié, essentiellement sous forme de composés. Le plus fréquent consiste à recourir au nom d’un saint ou d’une sainte dont la fête coïncide avec la floraison ( Johannisblume , Johanniskraut , herbe de la Saint-Jean ), l’arrivée à maturation des fruits ( Johannisapfel , Johannisbeere , - traube , - träublein , [pomme , poire , prune] madeleine ), la période d’efficacité thérapeutique maximale ( Johannisblume ), la pousse tardive ( Johannistrieb ) ou encore la coupe ( Barbarazweig ; p. 91). Le déonomastique peut également faire référence à un épisode de la vie du saint ou de la sainte : Jean le Baptiste se serait ainsi nourri de caroube ( Johannisbrot ) dans le désert ; les larmes que Marie versait sur le chemin qui la conduisait, elle et sa famille, en Égypte auraient provoqué l’apparition de pâquerettes ( Marienblümchen ; n. 266). Quant à la véronique, que l’on appliquait autrefois sur les plaies des lépreux (d’où l’appellation ancienne herbe aux ladres ), elle tient son nom de la sainte liée à diverses légendes miraculeuses, dont celle d’avoir guéri l’empereur Tibère de la lèpre à l’aide du linge portant les traits du Christ (p. 128). Le porteur initial peut être par ailleurs la personne ayant découvert ou créé la variété de tel ou tel fruit : Alexandre Lucas / Alexander Lucas et Jonathan(-Apfel) / (pomme) jonathan sont issus respectivement du nom du Français et du prénom de l’Américain Jonathan Hasbrouck qui découvrirent ces variétés au XIX e siècle ; clémentine est dérivé du nom du frère Clément (1839-1904), moine trappiste connu pour avoir créé cet agrume, la suffixation en - ine s’expliquant par l’analogie avec mandarine . Quant à catherinaire , reine-claude , napoléon et victoria , ces dénominations ont été créées respectivement en l’honneur de Catherine de Médicis, de l’épouse de François Ier, de l’empereur Napoléon et de la reine d’Angleterre Victoria (p. 90 pour catherinaire , p. 130 pour reine-claude ). 3.3. Classification sémantique des déonomastiques issus de prénoms 205 Signalons pour terminer plusieurs cas d’homonymie qui résultent, dans le cas de l’allemand, de la popularité de la construction ‘adjectif +prénom populaire’ et de la tendance à recourir aux noms des principaux saints que l’on observe dans les deux langues. En effet, la caractéristique désignée par l’adjectif épithète est rarement propre à une seule et unique espèce : stolzer Heinrich désigne aussi bien la salicaire, la vipérine, l’épinard sauvage que le millepertuis 476 , les trois dernières espèces portant également les noms respectifs de blauer Heinrich , guter Heinrich et Johanniskraut , comme il ressort de notre relevé. En français, le nom de saint Jean, traditionnellement associé à l’arrivée de l’été, et celui de sainte Madeleine qu’on fête le 22 juillet sont particulièrement aptes à désigner les nombreux végétaux qui s’épanouissent à cette période de l’année. Ainsi, Saint-Jean est non seulement le nom du lierre terrestre dans le nord et dans une partie du Languedoc, mais également celui de la giroflée jaune en Anjou, du cresson des près en Haute-Marne, du millepertuis au Mans, de la marguerite en Wallonie ou encore de la lavande en épi à Nice (c rAmer 1931 : 66 sq.). Dans le cas de madeleine , l’homonymie résulte de l’ellipse de pomme , poire et prune . 3.3.5. Les objets Dans la langue standard, l’objet se distingue de l’humain, de l’animal et du végétal en ce qu’il est « généralement fabriqué » et « répond à une certaine destination » ( TLF i). Les nombreuses désignations d’objets que nous avons relevées se caractérisent par leur extrême hétérogénéité, tant au niveau référentiel (3.3.5.1) et fonctionnel (3.3.5.2) que du point de vue de leur évolution sémantique (3.3.5.3). 3.3.5.1. Les types de référents Nous distinguons huit classes sémantiques qui reflètent la diversité à la fois ontologique et fonctionnelle des types d’objets désignés par les déonomastiques 477 : 476 Dans son livre consacré aux bienfaits du millepertuis, K remp (2011) rattache le nom stolzer Heinrich à ‘la vertu thérapeutique ‘particulière’ [de la plante] : si en cas de déprime vous en prenez sous forme d’infusion, vous retrouverez alors la fierté d’un Artaban [ stolz wie Heinrich ; VB].’ (Traduit par nos soins, texte original : « [Der Name „ Stolzer Heinrich “ (nicht zu verwechseln mit dem „Guten Heinrich“ im Garten) ist auf die] „gewisse“ Heilwirkung zurückzuführen: in Depression getrunken, kann man anschließend wieder als „ stolzer Heinrich “ auftreten. » ; Kremp, Herz-Jesu-Blut im Johanniskraut. Balsam für die Seele , 2011 ; GB). 477 Nous avons déjà eu un aperçu de cette diversité dans la partie consacrée à l’emploi métonymique du prénom (3.2.1.2), dans laquelle les désignations d’armes côtoyaient celles d’habits, de statues et de préparations culinaires. 206 3. Aspects sémantiques (i) l ’ Argent (ii) les stAtues , figurines et représentAtions iconogrAphiques (iii) les Armes (iv) les instruments , outils et Accessoires de trAvAil (v) les Bouteilles et récipients (vi) les Aliments et prépArAtions culinAires (vii) l ’ hABillement et les Accessoires pour le corps (viii) les moyens de locomotion Ces catégories permettent de classer la quasi-totalité des désignations d’objets figurant dans nos tableaux 478 , même s’il subsiste quelques difficultés de délimitation 479 . La présentation des items variera selon les classes en fonction du nombre d’items relevés et des données dont nous disposons à leur sujet. Nos remarques sur les classes les plus fournies seront précédées d’un tableau rassemblant les déonomastiques analysés. (i) l ’ Argent Les items relevant de cette classe désignent pour la plupart des pièces ou des billets à l’effigie de souverains (plus rarement de penseurs) : Friedrich d’or / Friedrichsdor (‘pièce d’or en cours en Prusse de 1741 à 1855’), Maria-Theresien- Taler / Mariatheresient(h)aler (‘pièce d’argent en cours de 1741 à 1858, notamment en Autriche-Hongrie’) ; carolus (‘monnaie utilisée jusqu’au XVIII e siècle’), louis (‘pièce d’or’ ; all. Louisdor ), napoléon (‘pièce d’or de vingt francs’), pascal (‘billet de 500 francs’), philippe (‘pièce d’or en circulation dans l’Antiquité’) 480 . Seul l’anglicisme vieilli bob désigne en français une devise toujours actuelle, en l’occurrence le billet d’un dollar 481 . Pour ce qui est de l’argent pris dans le sens générique, il a reçu en Autriche et dans le nord de l’Allemagne le nom de Marie , terme familier sans doute issu de Maria-Theresienthaler et qu’on retrouve dans l’expression dicke Marie (‘les poches pleines, beaucoup d’argent’). Nous rangeons également dans cette classe l’expression désuète boîte à Perrette qui dési- 478 Parmi les ‘laissés-pour-compte’, citons pour l’allemand Hugo (‘[mégot de] cigarette’) et l’anglicisme Teddy (‘ours en peluche’ ; aussi Teddybär ) et dans les deux langues, les termes argotiques désignant des drogues, également empruntés à l’anglo-américain ( Adam / adam et Eva / ève ‘drogue de type « ecstasy »’, Charlie / charlie et Corin(n)e / corin(n)e ‘cocaïne’ ; cf. également hélène ‘héroïne’). 479 Elles concernent essentiellement les désignations de boissons, que nous avons rangées, en dépit du trait + liquide , dans la classe des aliments et préparations culinaires, ainsi que le nom de certains récipients ( bain-marie ; p. 212) et vêtements ( blauer Anton ‘bleu de travail’ ; p. 215) qui auraient pu figurer également parmi les désignations des accessoires de travail. 480 L’identité des personnages éponymes est indiquée plus haut (p. 129 sq.). 481 Le terme désignait également la pièce d’un shilling britannique (TLFi). 3.3. Classification sémantique des déonomastiques issus de prénoms 207 gnait initialement le trésor de guerre des jansénistes avant de prendre le sens de ‘caisse d’une association dont l’argent est utilisé à des fins mystérieuses’ ( TLF i). (ii) les stAtues , figurines et représentAtions iconogrAphiques Tout comme les pièces de monnaie, les statues et figurines peuvent elles aussi représenter un porteur identifié, en règle générale un personnage historique ou religieux. Citons, pour l’allemand, Roland / Roland(s)säule (‘statue d’un guerrier en armure’ ; p. 128), pour le français jésus (‘image, statuette de l’enfant Jésus’ ; p. 129) et pour les deux langues Marionette / marionnette (‘figurine actionnée à la main par une personne cachée’), issu du nom de la Vierge. D’autres objets représentent non pas un porteur identifié, mais un type. C’est le cas en allemand de Wurzelsepp , figure en bois représentant le « Wurzelsepp », personnage qui récolte les racines et les herbes dans les Alpes bavaroises, ( Hau den ) Lukas (‘tête de Turc’), nom d’une attraction de fête foraine, ( Schar ) Wenzel / Scherwenzel , désignations désuètes ou régionales (bavarois) du valet aux cartes (p. 174), et Schwarzer Peter , nom de la carte dans le jeu du même nom qui représente un personnage noir 482 et qui a donné lieu à l’expression jm den Schwarzen Peter zuschieben / zuspielen (‘faire porter la responsabilité, le chapeau à qqn’). Pour le français, nous relevons ja(c)quemart qui désigne, surtout dans le midi de la France, un automate qui indique les heures en frappant une cloche avec un marteau et catin , dont l’emploi au sens de ‘poupée’, qui n’est plus en usage qu’au Canada francophone, est issu du terme d’affection qu’on adressait jadis à une jeune campagnarde (p. 175). En raison de l’analogie de forme, les Canadiens francophones ont ensuite employé ce terme pour désigner plaisamment le doigtier qui recouvre un pansement appliqué sur un doigt blessé. (iii) les Armes Comme nous l’avons mentionné dans l’état de la recherche, l’attribution d’un nom propre à une arme en particulier, par exemple Balmunc à l’épée de Siegfried, est un phénomène ancien (p. 17). Il importe de ne pas amalgamer les noms de ce type avec les déonomastiques qui servent à désigner des types d’armes. Ces types d’armes étaient utilisés essentiellement à la guerre : dès le XV e siècle, les paysans allemands donnaient à de gros canons les noms faule Grete et faule Metze / Mette , en référence à la mobilité réduite et la faible cadence de tir de ces engins (h orn 1899 : 45). Durant la Première Guerre mondiale, plusieurs pièces d’artillerie ont reçu des prénoms masculins : on relève du côté allemand lieber Fritz , schöner Georg , sanfter Heinrich , langer Max , großer Sepp , 482 Peut-être en référence au brigand Johann Peter Petri (1752-1812), surnommé « Schwarzpeter » ou « Schwarzer Peter » (cf. p roBst 2005 : 11 sqq.). 208 3. Aspects sémantiques etc. (g ünther 1965 [1919] : 201), du côté français gugusse (d AuzAt 1929 : 156). Ces désignations sont aujourd’hui désuètes, contrairement à dicke Bert(h)a / (grosse) bertha qui, dans la mémoire collective allemande et française, reste associée à une grosse pièce d’artillerie utilisée par les Allemands durant la Grande Guerre. Dans leurs ouvrages sur l’argot des soldats, h orn (1899 : 65), g ünther (1965 [1919] : 200), s AinéAn (1915 : 45 sqq.) et d AuzAt (1918 : 157 sq.) soulignaient la tendance du combattant à désigner affectueusement son arme par un prénom féminin. Au XIX e siècle, les fantassins allemands appelaient volontiers leur fusil Liddi , Laura (h orn 1899 : 65), Karoline , Minna et Stotter-Else (g ünther 1965 [1919] : 200). t rögel (1926 : 31) relève également Karline , Pauline , Bertha , auxquels s’ajoutent, dans les années 1960 et 1970, Emma , Elli , Lina et Maria / Marie / Mary (K78) et, dans l’argot militaire de la RDA , Elli et Emmi (M00, s.v. Maschinengewehr ). Quant au poilu, il donnait les surnoms joséphine et rosalie à la baïonnette, sa « compagne de tous les instants […] ; le jour, la nuit, au combat, au repos, Rosalie est toujours à son côté ou à portée de sa main ; elle est bonne à tout faire, aussi bien les travaux domestiques que les héroïques » (D18, s.v. rosalie ). Pour d AuzAt (1918), cette pratique dénominative s’explique par le besoin de personnification du soldat et l’absence de la femme aimée 483 : C’est en réalité une conception inconsciente et animiste du soldat, qui octroie une individualité, voire une certaine vie au fusil, et surtout au canon, qui consomme, s’use et meurt comme un animal. […] Les canons ont reçu des noms propres, eux aussi, pendant la guerre - prénoms rappelant la femme aimée (cf. 1918 : 157 sq.) 484 g irAult (2006 : 74) souligne quant à lui la dimension ludique visant « à métamorphoser, au moins symboliquement, la réalité extrêmement dramatique en la parant d’attributs féminins » 485 . Cette dimension, manifeste dans l’Ave Maria parodique 483 À laquelle font d’ailleurs allusion les termes plaisants Soldatenbraut et Eisenbraut désignant la mitraillette, le dernier ayant également été employé pour l’épée (cf. e vert 2015 : 297 sq., M00 : 17). On trouvera plus d’informations sur les liens psychologiques entre le soldat et son arme chez e vert (2011 : 77-84, 2015 : 296-302). 484 Ce phénomène n’est pas sans rappeler les réflexions de s perBer (1965 [1923] : 38-49) sur l’importance de l’affect dans le changement sémantique, qui ne se limite pas au domaine militaire. Ainsi, un cloutier interviewé au journal télévisé expliquait l’utilité d’attribuer aux machines des noms de femmes : « Elles ont toutes un numéro mais les numéros sont mélangés. Les prénoms aident à les retrouver facilement. » Réaction d’un visiteur : « On a l’impression que ça crée un lien quasiment charnel entre les mécaniques et les hommes. » ( Journal de 13h , France 2, 14. 1. 2014). 485 Cf. aussi W idlAK (1965 : 939) : « Ils [les soldats] ont aussi d’innombrables dénominations pour les bombes, les canons, les fusils, les balles etc. ; quelquefois ce sont de jolis euphémismes résultant de la tendance à ne pas prononcer le nom propre de l’objet redoutable ; on recourt à des noms généraux flatteurs ou plaisants ; on préfère même ne pas parler en termes sérieux du danger qui menace, en substituant souvent aux termes sérieux des 3.3. Classification sémantique des déonomastiques issus de prénoms 209 d’un poilu à sa baïonnette (89) et dans un poème paru dans un journal de tranchées (90), sera exploitée jusque dans les années 1970 par Georges Brassens (91) : (89) Je vous salue, Rosalie, pleine de charmes, / La victoire est avec vous, / Vous êtes bénie entre toutes les armes, / Que votre pointe qui fouille les entrailles des boches soit bénie ! Sainte Rosalie, Mère de la Victoire, / Priez pour nous, pauvres soldats, / Maintenant, à l’heure de la revanche ! / Ainsi soit-il ! ( L’infanterie en un volume, Manuel d’instruction militaire , 1914 ; GB ) (90) Une brave Française, / Partout où l’on se bat / S’en va dans la fournaise / Avec chaque soldat. Toujours elle est en tête / Quand on monte à l’assaut : / C’est la Baïonnette … / Mais le nom qu’il lui faut / C’est ce nom nouveau, / Fier et rigolo, / Chic, Français et Parigot. / Rosalie, Rosalie ! / Ton nouveau nom te va bien. / Faut, ma belle, / Qu’on t’appelle / Ainsi, sacré nom d’un chien ! ( Écho des Gourbis , « Journée de Rosalie », 3 mai 1915 ; in : s AinéAn 1915 : 47 sq.) (91) Les estropiés d’chez nous, ce qui les rend patraques, / C’est pas d’être hors d’état d’courir la gueus’, cré nom de nom, / Mais de ne plus pouvoir participer à une attaque. / On rêve de Rosalie, la baïonnette, pas de Ninon. (Brassens, Les patriotes , 1976) Il n’en allait pas autrement dans les rangs de l’ennemi, en témoigne la première strophe d’une chanson de soldats qui fait ironiquement allusion à la grosse bertha : (92) Als wir 1914 sind nach Welschland ausmarschiert, / Ist die dicke, dicke Berta immer hinterdrein spaziert. / Alles blieb am Wege stehn, / Um die Berta mal zu sehn, / Alles rief und lachte laut: / Berta, du bist schön gebaut. (« Als wir 1914 » ; in : K utscher 1917 : 6) Précisons enfin que les désignations d’armes issues de prénoms ne se limitent pas au champ de bataille : outre le terme désuet eustache (‘couteau de poche à virole et à manche de bois, servant d’arme’ ; p. 129), nous relevons l’expression bite à Jean-Pierre 486 , surnom de la matraque dans l’argot de la police et des centres pénitentiaires. (iv) les instruments , outils et Accessoires de trAvAil Tout comme le soldat a tendance à personnifier l’arme qui le protège, nous attribuons volontiers des surnoms à des instruments et outils familiers, notamment expressions humoristiques, qui diminuent ainsi, au moins formellement, le danger, la portée sinistre, et en créant autour de ces termes ‘de mauvais augure’ une atmosphère de quotidienneté, même d’amitié et de camaraderie. » 486 L’identité de ce Jean-Pierre est obscure. 210 3. Aspects sémantiques ceux qui permettent d’assurer notre subsistance. Parmi ceux qui ont reçu un prénom, nous relevons : Dietrich , Diez , Klaus , Kläuschen , Peterchen , Peterken ‘rossignol, passe-partout’ flotte Lotte ‘moulinette (cuisine)’ Hanselbank ‘établi servant à préparer le bois’ Heinz , Heuheinz / e ‘construction en bois utilisée pour le séchage du foin’ Heinz , Stiefelheinz / e ‘tire-botte’ Jakobsleiter ‘échelle de cordes sur les bateaux’ Martin-Horn / Martinshorn ‘sirène des véhicules de police et des pompiers’ Ottomotor ‘moteur à essence’ bascule à charlot 487 ‘guillotine’ david / davier ‘différents types d’outils, notamment une barre de fer recourbée en crampon à l’une de ses extrémités’ roy / roi 488 David / Davyot ‘rossignol, passepartout’ guillaume ‘rabot de menuisier ; outil de ravaleur servant à gratter les pierres’ jack (emprunt à l’angl.) 1. ‘différentes sortes de pièces commandant le mécanisme de certains instruments ou machines’ ; 2. ‘cric’ jacquard ‘métier à tisser semi-automatique’ 489 jacques , ja(c)que ‘pince-monseigneur’ jacquot / jacot 1. ‘coffre-fort’ ; 2. ‘pincemonseigneur, levier servant à fracturer les portes’ jeannette ‘planchette de bois utilisée pour repasser les manches des vêtements’ louisette , louison ‘guillotine’ martin ‘lourde plaque de pierre, qui sert à faire rouler le sable sur une surface à polir’ martinet 1. ‘petit fouet avec des lanières, destiné à corriger qqn’ ; 2. ‘cordages dont la fonction est de tenir les mâts de charge’ ; 3. ‘petit chandelier muni d’un manche et d’un crochet’ ; 4. ‘marteau-pilon à faible puissance’ papier-joseph ‘papier mince, utilisé généralement comme filtre’ perroquet 1. ‘sorte de mât’ ; 2. ‘porte-manteau sur pied, à patères courbes’ (aussi porte(-)manteau perroquet ) 487 Issu du déonomastique charlot désignant le bourreau (p. 175). 488 Équivoque sur la forme roi (ou roy ), forme lorraine de râble (‘pique-feu, fourgon introduit dans la serrure’). 489 Désigne également, par extension, un tissu ou tricot qui présente des motifs de couleurs variées à dessins géométriques. 3.3. Classification sémantique des déonomastiques issus de prénoms 211 L’attribution d’un prénom aux instruments et outils est une pratique ancestrale, comme le montrent les items aujourd’hui désuets david , attesté dès le XIV e siècle, et roi / roy David / Davyot , apparus au XV e siècle. Quant à guillaume , il date du XVI e siècle . Les malfaiteurs avaient recours à ce procédé pour désigner les instruments servant à leurs infractions. En rotwelsch, le passe-partout était surnommé Klaus , Kläuschen , Peterchen et sa variante bas-all. Peterken , ces derniers faisant allusion à saint Pierre, le détenteur des clés qui ouvrent les portes du paradis. En français, nous relevons, hormis roi / roy David / Davyot , le terme désuet jacques / ja(c)que (‘pince-monseigneur’), allusion au nom qu’on donnait au bâton des pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle, et sa variante, aujourd’hui vieillie, jacquot / jacot qui s’employait également pour désigner un coffre-fort. Plusieurs items sont issus de noms ou prénoms d’inventeurs et / ou de dirigeants d’entreprise : outre Ottomotor , jacquard , louisette / louison et Martin-Horn / Martinshorn , présentés plus haut (cf. 2.3.4), c’est le cas du composé papier-joseph , du prénom de Joseph-Michel Montgolfier (1740-1810), inventeur de ce papier et directeur de papeteries 490 . Enfin, nous noterons que certains objets rappellent la forme du corps humain. Ainsi, le tire-botte était jadis surnommé Heinz ou Stiefelheinz / e dans les régions du sud (93), et la construction en bois utilisée pour le séchage du foin, souvent appelée Heumandl ou Heumännchen , était également connue dans les mêmes régions sous le nom de Heuheinz / e (94) : (94) Le Heuheinz / e 491 et ses bras portant le foin 490 Et l’un des deux frères inventeurs de la montgolfière en 1782. 491 Nous remercions Florian S. de nous avoir autorisé à reproduire son cliché et renseigné sur la prononciation régionale de ce mot ([hoantsn]). L’image du tire-botte est libre de droits. (93) Le Stiefelheinz / e et sa forme en U rappelant les bras 212 3. Aspects sémantiques (v) les Bouteilles et récipients Font également partie des objets anthropomorphes certaines grosses bouteilles telles que la dame-jeanne , dont la contenance peut aller de deux à cinquante litres, et sa variante la marie-jeanne . Comme le notait le linguiste roumain s Ai néAn (1906), [d]ésigner une très grosse bouteille par le nom d’une personne, d’une grosse dame ou d’un gros monsieur, il n’y a là rien de surprenant pour l’imagination populaire : au fr. dame-jeanne (1694), à savoir Dame Jeanne , répond d’un côté, le bournois [492] meridjane (c.-à-d. Marie Jeanne), bouteille de 2 ½ litres, et le parmesan mada-lenna (c.-à-d. Madeleine), le synonyme dialectal de l’it. damigiana , pr. damojano (ces deux derniers empruntés au français) ; de l’autre, le pr. Manoli , grosse bouteille, ou papo-manoli , id., p[r]opr. papa Emmanuel. Ajoutons les termes argotiques : dame blanche , ou fille , bouteille pleine. (cf. 1906 : 308) Ajoutons la ja(c)queline , bouteille en grès à large panse, en usage dans le nord de la France et dans les Flandres, dont on attribue l’invention à Jacqueline de Bavière, comtesse de Hainault (1401-1436), ainsi qu’une cafetière arrondie autrefois utilisée dans le nord-ouest de l’Allemagne, la Dröppelmin(n)a , dont le nom est issu du bas-all. dröppeln (‘goutter, dégouliner’) et de Minna , prénom attribué autrefois aux servantes (cf. p. 174). Dans le cas de thomas et jules , désignations du pot de chambre apparues au XIX e siècle 493 , il est difficile d’affirmer si c’est l’analogie avec la forme arrondie des bouteilles ou alors la fonction euphémique du prénom pour désigner un objet en lien avec l’intimité corporelle qui a prévalu lors du processus d’appellativisation (pour thomas , p. 150). Même incertitude pour berthe , nom d’un vase de métal qui servait à transporter le lait, ainsi que pour l’expression désuète blauer Heinrich qui désignait un crachoir pour les patients atteints de tuberculose. Dans le cas de bain-marie en revanche, c’est la référence à un porteur identifié, en l’occurrence Marie-la-Juive, alchimiste du III e siècle avant J.-C., qui a été déterminante. Il en va de même pour balthazar , nom d’une bouteille de champagne dont la contenance (16 bouteilles normales, soit 12,80 litres) est à la (dé)mesure du somptueux festin que donna le roi de Babylone éponyme (cf. p. 129). (vi) les Aliments et prépArAtions culinAires De toutes les classes que nous présentons ici, celle des ‘culinarismes’ (« Kulinarismen » ; W otjAK 2010 : 113) est de loin la plus fournie : 492 Nom du patois parlé dans une localité du Doubs. 493 Selon c ellArd , « le jules concurrença le thomas à partir des années 1865. […] Celui-ci (le jules) l’emporte après 1920 » (C90, s.v. jules ). 3.3. Classification sémantique des déonomastiques issus de prénoms 213 Bierhans(e)l ‘reste de bière dans la chope’ Birne Helene (emprunt au fr.) blauer Heinrich ‘soupe pour les pauvres’ bloody Mary (emprunt à l’angl.) ‘cocktail à base de vodka, de jus de tomate et d’épices’ Charlotte (emprunt au fr.) Elise ‘sorte de pain d’épices de Nuremberg’ Hackepeter ‘viande hachée ; steak tartare’ Hugo ‘cocktail à base de sureau, de prosecco et de menthe’ Jan im Sack 494 , Jan im Hemd ‘plat traditionnel à base de riz ou de blé, de pruneaux et de fruits secs’ Janhagel ‘biscuit rectangulaire recouvert de sucre et d’amandes’ Julienne (emprunt au fr.) Kath(a)rinchen ‘sorte de pain d’épices’ Kirschenjockel / Kirsch(en)michel ‘clafoutis aux cerises’ Margherita (emprunt à l’it.) ‘pizza à base de basilic frais, de mozzarella et de tomates’ Martinsbrot ‘biscuit représentant un petit bonhomme préparé à l’occasion de la Saint-Martin’ Martinsgans / Martinigans(l) ‘plat traditionnel que l’on mange à la Saint-Martin’ Martinshorn / Martinshörnchen ‘petit gâteau traditionnel que l’on prépare le jour de la Saint-Martin’ Pumpernickel ‘sorte de pain noir à base de seigle’ stolzer Heinrich ‘plat traditionnel à base de saucisse’ strammer Max ‘tartine de pain avec du jambon et un œuf au plat’ Wackelpeter ‘pudding’ wilde Hilde ‘dessert crémeux à base de fruits rouges’ bénédictine ‘liqueur à base de nombreuses herbes et épices’ charlotte ‘variété d’entremets à base de fruits, de biscuits et de crèmes aromatisées’ crêpe suzette ‘crêpe à base de jus d’orange et de Grand Marnier’ fanchette , fanchonnette ‘sorte de pâtisserie servant d’entremets’ gros-guillaume ‘gros pain rustique’ jean-l’enfumé ‘jambon’ julienne 495 ‘préparation de légumes (garniture, potage)’ madeleine ‘petit gâteau sucré à pâte molle, de forme ovale, au dessus arrondi’ margherita (emprunt à l’it.) perroquet ‘absinthe’ pierrot ‘verre de vin blanc’ poire Belle-Hélène ‘coupe glacée composée d’une poire au sirop, de glace à la vanille, nappées de chocolat chaud’ roméo ‘boisson à base de rhum et d’eau’ saint-benoît ‘fromage au lait de vache’ saint-émilion ‘bordeaux rouge corsé’ saint-félicien ‘fromage au lait de chèvre ou de vache’ saint-florentin ‘fromage au lait de vache’ saint-honoré ‘gâteau garni de crème Chantilly et de petits choux glacés au sucre’ saint-marcellin ‘fromage au lait de vache’ saint-paulin ‘fromage affiné à pâte pressée’ sauce Robert ‘sauce piquante à base d’oignons, de vinaigre et de moutarde’ 494 Sack désigne la serviette utilisée pour la préparation de ce plat (K03). 495 Aussi dans l’expression couper en julienne (‘couper en fines lamelles’ ; all. in Julienne schneiden ). 214 3. Aspects sémantiques La gastronomie fait partie des domaines dans lesquels les spécificités culturelles sont les plus évidentes. Sans surprise, c’est parmi les items français que figurent les noms de fromages alors que les désignations de plats ou biscuits préparés à l’occasion de la Saint-Martin ( Martinsbrot , Martinsgans / Martinigans(l) , Martinshorn / Martinshörnchen ), fête célébrée davantage dans l’espace germanophone, n’apparaissent que dans nos tableaux pour l’allemand. Les prénoms populaires ont donné lieu à des désignations de plats traditionnels, pour la plupart des composés ou des locutions : les Janhagel , Jan im Sack / Jan im Hemd sont originaires du nord de l’Allemagne, le stolzer Heinrich de Thuringe et de Berlin, le strammer Max de Berlin et de Saxe. Pour le français, c rAmer (1931 : 411 sq.) relevait les expressions dialectales jean flameuse pour un gâteau à Beaune, marie-jeanne pour une soupe à base de vin en Anjou ou encore jean-léger pour un plat à base de poumon de bœuf en Bretagne. Parmi les désignations d’aliments ou de plats peu élaborés, citons encore, pour l’allemand, Bierhans(e)l, Hackepeter , Kirschenjockel / Kirsch(en)michel , Pumpernickel , Wackelpeter et wilde Hilde , et pour le français, gros-guillaume et jean-l’enfumé , désuets. D’autres culinarismes font référence à des porteurs identifiés, à commencer par les saints : Martinsgans / Martinigans(l) et Martinshorn / Martinshörnchen en allemand, saint-honoré , saint-émilion et de nombreuses appellations de fromages en français (cf. p. 100). Viennent ensuite les créateurs de nouvelles recettes, dont ceux de la madeleine et de la sauce Robert , expression aujourd’hui désuète que signalait r ABelAis au XVI e siècle 496 , et les personnes en l’honneur ou à la mémoire desquelles on baptise tel ou tel mets : outre Elise et Margherita / margherita , dont nous avons indiqué l’origine plus haut (p. 128 et n. 271), citons fanchette / fanchonnette , expression rendant hommage à l’actrice Madame Henri-Belmont et allusion à la comédie à succès Fanchon la Vielleuse (1803) (cf. h öfler 1968 : 93 sqq.), ainsi que crêpe suzette , nom que le futur roi d’Angleterre Édouard VII proposa pour rendre hommage à une jeune femme prénommée Suzanne, présente lorsqu’on lui servit ce dessert. Parmi les autres items renvoyant à un porteur identifié, nous relevons blauer Heinrich , expression désuète formée ironiquement à partir du prénom du responsable du bureau de charité sous le règne de Frédéric Guillaume (1713-1740) et de l’adjectif blau , en référence à la couleur bleuâtre que conféraient à cette soupe légère les bols métalliques dans lesquels elle était servie aux pauvres, et poire Belle-Hélène (all. Birne Helene ), en référence à la reine de Troie, connue pour sa beauté. 496 « Robert. Cestuy feut inventeur de la saulse Robert tant salubre & necessaire aux Connilz roustiz, Canars, Porcfrays, Oeufz pochez, Merluz sallez, & mille aultre telles viandes. » (r ABelAis , Le Quart Livre , 1552 ; G). 3.3. Classification sémantique des déonomastiques issus de prénoms 215 (vii) l’ hABillement et les Accessoires pour le corps Nous avons relevé dans nos tableaux les items suivants : Berthe (emprunt au fr.) blauer Anton ‘bleu de travail’ Fritzchen ‘petit oreiller’ Gottfried ‘robe de chambre’ Gummipeter ‘godemichet’ Hansel ‘petit oreiller’ Nicki(pulli) ‘pullover en velours’ Nickihemd ‘chemise en coton’ Schinderhannes ‘partie d’un ancien uniforme bavarois’ prince Albert ‘piercing du gland’ berthe ‘large col arrondi ou petite pèlerine de femme’ bob ‘petit chapeau de toile à bord rabattu porté surtout par les enfants’ charlotte 1. ‘coiffure de femme à bord froncé, garnie de rubans et de dentelles’ ; 2. ‘bonnet jetable qu’on utilise pour recouvrir les cheveux pour raison d’hygiène’ fanchon ‘fichu, mouchoir de paysanne qui se porte sur la tête, les pointes nouées sous le menton’ georget ‘pourpoint sans manche’ jaquette 1. ‘vêtement ajusté sur le buste et à jupe flottante’ ; 2. ‘robe qui constituait le premier habillement des petits garçons avant la culotte’ ; 3. ‘habit de cérémonie pour les hommes’ ; 4. ‘veste de femme’ jacque (aussi jaque ) 1. ‘pourpoint à manches et rembourré, en usage au Moyen Âge’ ; 2. ‘cotte de mailles que les gens de pied et les archers du Moyen Âge portaient sous leur armure’ jeannette ‘croix suspendue à une chaîne ou un ruban que les femmes portaient autour du cou’ marcel ‘maillot de corps masculin, débardeur’ pierrot ‘corsage de femme dont le dos est terminé par deux très petits pans relevés ; collerette à grands plis’ robinson ‘grand parapluie’ tom-pouce ‘petit parapluie à manche court’ Les items les plus anciens, jacque / jaque et jaquette (1), datent du XIV e siècle. Le choix d’un prénom féminin ou masculin s’aligne fréquemment sur le sexe du groupe de personnes à qui le vêtement ou l’accessoire était initialement 216 3. Aspects sémantiques destiné : les hommes dans le cas de blauer Anton , Schinderhannes 497 , marcel et prince Albert ; les femmes dans celui de berthe , charlotte (1), fanchon et jeannette . Il en va autrement pour pierrot , nom d’un vêtement féminin, et ja(c)quette , qui désigne à la fois un habit de cérémonie pour homme et une veste de femme, ainsi que pour les désignations de vêtements ou d’accessoires destinés indistinctement aux deux sexes : pour l’allemand, Fritzchen et Hansel , surnoms donnés à un petit oreiller dans le jargon du personnel hospitalier (en Rhénanie pour Fritzchen , dans les régions du sud pour le second), Nicki(pulli) et Nickihemd , qui désignent un pull en velours et une chemise en coton. Pour le français, citons charlotte , qui a adopté le sens secondaire de ‘bonnet jetable servant à recouvrir les cheveux’, ainsi que robinson et tom-pouce , noms de deux types de parapluies faisant allusion aux personnages de fiction éponymes (pour robinson ; p. 130). La mode étant par définition éphémère, on ne s’étonnera pas que plusieurs items tels que Gottfried et Schinderhannes pour l’allemand et georget , jacque / jaque ou pierrot pour le français soient tombés en désuétude suite à la disparition du vêtement désigné. (viii) les moyens de locomotion Les principaux modes de transport sont représentés dans nos tableaux : aérien avec charlière (‘ballon à gaz’), maritime avec Moses (‘canot d’un yacht’), mariesalope (‘bateau destiné à transporter en haute mer les produits de dragage’) et mathurin (‘navire en bois’), ferroviaire avec l’expression plaisante feuriger Elias (‘locomotive à vapeur’) et micheline (‘voiture automotrice ferroviaire’) et bien sûr routier, avec des désignations de véhicules anciens ( fiacre ‘voiture tirée par un cheval et conduite par un cocher’, victoria ‘voiture hippomobile découverte à 4 roues’) et modernes ( Mégane / mégane , Mercedes / mercedes , merco en fr. familier), sans oublier les véhicules de fonction ( grüner August / Heinrich , grüne Minna ‘panier à salade, fourgon cellulaire’, Peterwagen , Toniwagen ‘véhicule de police’) et touristiques ( rosalie ‘voiture à pédales pour terrains plats’). Les items relevés font référence pour la plupart à des porteurs identifiés, à commencer par les saints et les personnages bibliques : Moses renvoie au personnage qui, enfant, fut retrouvé dans un panier à la dérive sur le Nil, fiacre au saint patron des jardiniers dont l’effigie figurait, au XVII e siècle, sur l’enseigne d’un hôtel de la rue Saint-Antoine à Paris devenu maison de louage de carrosses, et feuriger Elias au prophète qui aurait été enlevé au ciel sur un char de feu (2 Rois 2, 11). D’autres, comme charlière et micheline , sont issus du nom des inventeurs (p. 100) ; quant à victoria , la dénomination fut créée en l’honneur de la reine d’Angleterre dont le nom, comme nous l’avons dit plus haut (p. 204), a 497 Sans doute par allusion à la difficulté d’enfiler cet uniforme (DW). 3.3. Classification sémantique des déonomastiques issus de prénoms 217 également servi à désigner une fleur. Le déonomastique Mégane / mégane illustre la tendance à nommer des modèles de voiture par un prénom, souvent féminin, choisi pour sa dimension évocatrice. Parmi les modèles actuellement commercialisés par le constructeur automobile Renault, les Mégane côtoient ainsi les Clio et autres Zoé 498 … Trois items issus de prénoms autrefois populaires désignent le fourgon cellulaire. Si grüner August , attesté jadis dans le rotwelsch, a aujourd’hui disparu, grüne Minna et grüner Heinrich sont toujours employés familièrement, le dernier en Autriche. L’origine de l’adjectif grün est incertaine : il pourrait renvoyer à la couleur des véhicules ou encore à la signification ‘dangereux, peu sûr’ de l’adjectif, attestée dans le rotwelsch (cf. h onnen 1998 : 21 sq.). Terminons par les désignations des véhicules de police Toniwagen et Peterwagen. La première, autrefois employée à Berlin-Est, provient du nom de code qu’utilisaient les services de police à l’époque. Le choix du prénom pour la seconde, apparue à Hambourg après la Seconde Guerre mondiale et toujours connue dans cette ville et dans plusieurs régions de Basse-Saxe, a donné lieu à plusieurs tentatives d’explication : 1. la couleur de l’uniforme des policiers rappelait celle du blauer Peter , drapeau que chaque bateau hissait avant de prendre la mer (K04) ; 2. Peter était un indicatif courant pour les émetteurs radio (K03) ; 3. une explication de type anecdotique : un officier anglais, alors qu’on lui épelait le mot Patrolcar , aurait décidé en entendant ‘P comme Peter’ de nommer ce type de véhicules Peter-Car (K04). 3.3.5.2. Aspects fonctionnels Comme pour les autres classes caractérisées par l’absence du trait + humAin , la désignation d’un objet par un prénom vise à personnifier le référent. Selon les domaines et les sociolectes, la fonction de cette personnification peut être : - cryptique, par exemple dans le jargon des malfaiteurs qui voulaient s’entretenir discrètement de leurs affaires : Diez , roi / roy David / Davyot , Klaus / Kläuschen , Peterchen / Peterken (‘rossignol, passe-partout’), jacques / ja(c)que (‘pincemonseigneur’), jacquot / jacot (1. ‘coffre-fort’ ; 2. ‘pince-monseigneur’), grüner August (‘fourgon cellulaire’) ; 498 Le journal Le Monde rapporte que deux familles dont le patronyme est Renault et qui ont prénommé leurs filles Zoé ont intenté une action en justice en 2010 contre le constructeur automobile pour éviter que leurs enfants ne fassent l’objet de moqueries constantes. Leur action a été considérée comme irrecevable par la juge (« Zoé contre Renault : les familles déboutées par la justice » ; www.lemonde.fr du 10. 11. 2010 ; page consultée le 15. 4. 2016). 218 3. Aspects sémantiques - euphémique, notamment pour les objets liés à la défécation ( jules , thomas ‘tinette de nuit, pot de chambre’), au sexe ( Gummipeter ‘godemichet’, prince Albert ‘piercing du gland’), à la maladie ( blauer Heinrich ‘crachoir pour les patients atteints de tuberculose’) et à la mort ( bascule à charlot , louisette , louison ‘guillotine’) ; - ludique, ce qu’illustrent le calembour ( roméo ‘boisson à base de rhum et d’eau’) et l’assonance ( flotte Lotte ‘moulinette’ et wilde Hilde ‘dessert crémeux à base de fruits rouges’). 3.3.5.3. Les voies de l’appellativisation Le passage du prénom au nom d’objet peut se produire directement ; dans ce cas, il résulte fréquemment d’un emploi métonymique du prénom ( Roland , madeleine ) pouvant être favorisé par une référence au corps humain, que ce soit la représentation iconographique dans le cas des pièces de monnaie, des billets ou de certaines cartes à jouer, la sculpture ou le modélisme dans celui des statues et figurines ou encore la vision anthropomorphique d’instruments ou de récipients. Le prénom peut aussi emprunter des voies plus complexes, comme dans le cas des désignations de fromages, d’inventions ou de voitures qui ne résultent pas de l’appellativisation du prénom mais de celle de noms de famille, de lieu ou de marque / d’entreprise issus d’un prénom (cf. 2.3.4). Le nom d’objet peut par ailleurs être issu d’un déonomastique existant et devenir pour ainsi dire un déonomastique de ‘second degré’. Ainsi, Pumpernickel , composé désignant une sorte de pain noir à base de seigle, s’expliquerait par les ballonnements que peut provoquer ce type de pain (D10), rappelant le sens premier ‘homme rustre’ (cf. p. 168). Le Deutsches Wörterbuch fournit une autre explication : ‘Cette dénomination semble provenir de la forme de cette grosse, longue et rectangulaire miche qui pèse souvent jusqu’à 60 livres ainsi que de dureté de sa croûte (cf. pumperhart [‘qui est si dur qu’on n’entend que des bruits sourds quand on tape dessus’ ; VB ])’ 499 . Quant aux composés Kirsch(en)michel et Kirschenjockel (‘clafoutis aux cerises’), la formation a sans doute été influencée par les connotations des prénoms (cf. p. 156 sq.). Pour le français, citons gros-guillaume que f uretière (1690) définissait comme un « gros pain destiné dans les maisons de campagne pour [sic] la nourriture des valets de cour », allusion au sens de ‘sot, niais’ attribué au prénom (cf. p. 166), 499 Traduit par nos soins, texte original : « die benennung scheint hervorgegangen zu sein aus der gestalt des dicken, langen, vierkantigen, oft bis zu 60 pfund schweren laibes sowie aus der harten rinde desselben (vgl. pumperhart) » (DW). L’adjectif pumperhart est défini quant à lui comme suit : « so hart, dasz es pumpert, wenn man daran stöszt oder schlägt ». 3.3. Classification sémantique des déonomastiques issus de prénoms 219 et martinet , dont les différentes acceptions proviennent du nom de l’oiseau : par analogie avec la forme de la queue étalée pour la désignation du petit fouet avec des lanières et des cordages servant à tenir les mâts de charge, par analogie avec la forme du corps de l’oiseau en vol pour celle du petit chandelier muni d’un manche et d’un crochet. Perroquet , autre désignation d’oiseau, a donné lieu à des emplois secondaires ; employé autrefois pour désigner un verre d’absinthe 500 par analogie avec la couleur verte de la liqueur 501 , le mot désigne aujourd’hui une sorte de mât (marine) et un porte-manteau sur pied à patères courbes, deux objets rappelant la forme du bâton du perroquet. L’évolution sémantique de Marionette / marionnette , terme par lequel l ittré (1880) illustre les « lésions de certains mots dans le cours de l’usage », montre à quel point le passage du prénom au nom d’objet peut être complexe et tributaire de facteurs culturels : Ce mot est un assez joli mot, et sa descendance est assez jolie aussi. L’ancienne langue avait mariole , diminutif de Marie , et désignant de petites figures de la Sainte Vierge. Le diminutif mariolette se corrompit en marionnette ; et, par un procédé qui n’est pas rare, l’usage transporta le nom de ces effigies sacrées à une autre espèce de figures, mais celles-là profanes. En même temps le sens ancien s’oblitéra complètement ; car, autrement, comment aurait-on commis l’impiété d’appliquer le nom des figures de la Sainte Vierge à des figures de spectacle et d’amusement ? La dégradation du sens s’est ici compliquée d’une offense aux bienséances catholiques. (l ittré 1880 : 62) 500 Et aujourd’hui à un apéritif à base de pastis et de sirop de menthe. 501 On observe le même phénomène avec le terme argotique pierrot (‘verre de vin blanc’), obtenu par analogie de couleur avec le costume du Pierrot. Ces deux items ont donné lieu aux expressions asphyxier / étouffer un perroquet / un pierrot (‘prendre un verre d’absinthe / de vin blanc’). 4. L’évolution de l’appellativisation du prénom-: pistes de réflexion Notre réflexion sur l’évolution passée et actuelle de l’appellativisation du prénom prend en considération deux aspects principaux du phénomène, à savoir l’émergence de nouvelles bases nominales issues directement d’un prénom et la productivité des déonomastiques, autrement dit leur capacité à engendrer de nouveaux items, que ce soit par glissement sémantique ou par des procédés de formation lexicale. Au vu de nos choix méthodologiques et des spécificités du matériau exploité qui en découlent, nous ne visons nullement l’exhaustivité en retraçant l’évolution du phénomène sur l’ensemble de la période considérée, pas plus que nous ne prétendons en rendre compte dans le détail. Il s’agira plutôt, à partir de l’analyse de données figurant dans nos tableaux (4.1), de dégager les grandes étapes qui ont jalonné cette évolution et d’émettre quelques hypothèses sur les facteurs qui ont pu l’influencer (4.2) et enfin, de faire le point sur les tendances actuelles du phénomène (4.3). 4.1. Approche méthodologique Il nous faut tout d’abord déterminer quels sont les types d’items qui nous permettront d’appréhender au mieux le phénomène dont nous souhaitons observer l’évolution. Précisons d’emblée ce que nous entendons par « items » : il s’agit des « emplois déonomastiques » qui figurent dans la seconde colonne de nos tableaux, un mot ou une expression pouvant avoir plusieurs emplois. Ainsi, dummer August fournit deux items (1. ‘clown de cirque’ ; 2. ‘pitre’), benjamin, -ine trois (1. ‘enfant préféré des parents’ ; 2. ‘le ou la plus jeune d’une famille, d’un groupe’ ; 3. ‘sportif appartenant à la catégorie d’âge comprise entre les poussins et les minimes’). Les acceptions nouvelles qu’un mot peut prendre au fil du temps ( Metze ‘jeune campagnarde’ > ‘fille aux mœurs légères ; prostituée’ ; martinet ‘oiseau’ > ‘petit chandelier’, ‘cordages’, ‘petit fouet’) seront par conséquent considérées comme autant d’items reflétant l’activité déonomastique du prénom. Nous écarterons trois types d’items sans lien direct avec les deux aspects observés ici : 4.1. Approche méthodologique 221 - ceux qui résultent de l’appellativisation d’un nom propre issu d’un prénom (noms de famille : Martinshorn / Martin-Horn , Otto-Motor , charlière , jacquard ; noms de lieu : Bernhardiner , saint-émilion ; noms de marques ou d’entreprises : Mercedes , roberts , etc.) et ceux, peu nombreux, dans lesquels le prénom ne constitue qu’une partie du nom propre ( nach Adam Riese , Alexander Lucas , etc. ; cf. 2.3.4) ; - les dérivés formés à partir du déonomastique (par exemple jn uzen ‘taquiner qqn, se payer la tête de qqn’ et catinisme ‘mœurs, habitudes de catin’, issus respectivement de U(t)z ‘sot, niais’ et catin ‘fille, femme de mauvaise vie ; prostituée’) et les emplois adjectivaux en français ( être catin ) qui reflètent davantage le degré d’intégration lexicale de la base nominale que l’activité déonomastique du prénom ; - les emprunts, qui ne résultent pas de l’appellativisation du prénom dans la langue emprunteuse 502 . Se pose ensuite la question des variantes sémantiques et formelles, qui ne sont pas toutes d’une égale pertinence pour notre objet d’étude. Seront considérés comme déonomastiques à part entière les synonymes formés à partir d’un même prénom ( Klatsch- , Plapper- , Quatsch- , Tratschliese ), mais non les expressions qui diffèrent par un élément autre que le déonomastique ( bei Adam und Eva anfangen / beginnen ; avaler / bouffer (le) gaspard ‘communier’). Le lieu privilégié de l’appellativisation du prénom étant indiscutablement la langue parlée, nous ne retiendrons pas non plus les variantes graphiques ( Hansdampf / Hans Dampf , michet / miché , etc.) ni celles caractérisées par un écart mineur sur le plan phonétique et orthographique ( Schwatz -/ Schwätzliese , Streithansel / -hansl ; marieberdasse / marie-bredasse , etc). Sur la base de ces critères, nous avons retenu pour l’analyse 508 items pour l’allemand et 445 pour le français. Ceci étant posé, il convient à présent d’observer les types d’indications susceptibles de nous renseigner sur l’évolution du phénomène, à savoir : - la date ou période de première attestation, qui permet de se faire une idée approximative des époques auxquelles le phénomène a été particulièrement productif ; - les marques d’usage relevant de la variation diachronique (« désuet », « vieilli », « langue des jeunes », etc.) qui renseignent sur l’emploi actuel des déonomastiques relevés ; - les fonctions communicatives, susceptibles d’éclairer les raisons de la vitalité du phénomène dans tel ou tel domaine et à telle ou telle époque. 502 Il est néanmoins possible que le nombre de déonomastiques empruntés influence l’évolution du phénomène dans cette langue. 222 4. L’évolution de l’appellativisation du prénom-: pistes de réflexion Ces indications n’étant pas disponibles pour la totalité des items retenus, les données chiffrées suivantes ne sauraient avoir qu’une valeur indicative. 4.2. Les grandes étapes de l’évolution du phénomène Pour le français, les indications concernant la date ou période de première attestation sont disponibles en plus grande quantité (plus de la moitié des items retenus) que pour l’allemand (un peu plus d’un tiers). Cet écart s’explique largement par l’existence du FEW et sa richesse incomparable dont ont bénéficié les recherches étymologiques (cf. n. 27). Le tableau suivant présente la répartition par siècle des items 503 . Pour faciliter la comparaison entre les deux langues, nous indiquerons, outre les données brutes, les pourcentages (arrondis à la première décimale). siècles nombre d’items pour l’allemand (données brutes / pourcentages) nombre d’items pour le français (données brutes / pourcentages) XII e 0 / 0 2 / 0,7 XIII e 0 / 0 7 / 2,5 XIV e 1 / 0,5 10 / 3,5 XV e 12 / 6,2 15 / 5,3 XVI e 32 / 16,4 40 / 14,2 XVII e 17 / 8,7 40 / 14,2 XVIII e 19 / 9,7 37 / 13,1 XIX e 51 / 26,2 79 / 28 XX e 63 / 32,3 52 / 18,5 Totaux 195 / 100 282 / 100 Ce tableau fait apparaître trois grandes périodes. L’interprétation des données brutes pour chacune d’entre elles devra tenir compte des facteurs d’évolution tant internes qu’externes, et notamment de la quantité et du type de sources disponibles pour chaque époque. 503 Les items apparus au XXI e siècle seront présentés dans la partie consacrée à l’usage actuel des items (cf. 4.3.2). 4.2. Les grandes étapes de l’évolution du phénomène 223 4.2.1. Du XII e siècle au XV e siècle-: les débuts timides Les items attestés sur ces quatre siècles ne représentent que 6,7 % et 12 % des items relevés sur les neuf siècles que couvre la période retenue pour l’étude, constat qui rejoint celui que W AcKernAgel (1860) avait établi pour l’allemand : Certes, à quelques rares exceptions près, pour partie douteuses de surcroît, le Moyen Âge ne connaissait pas encore toute cette longue série disparate [de noms communs issus de noms de personnes ; VB ] et cette situation devait perdurer jusqu’au XV e siècle […] 504 À noter que les grandes classes sémantiques sont représentées dès cette première période, les désignations de personnes étant les plus fréquentes : au XII e siècle, ladre 505 (‘lépreux’) et sibylle (‘devineresse, femme inspirée qui prédisait l’avenir dans l’Antiquité’ ; sous la forme sibile ) ; au XIII e siècle, (saint) arnoul(d) (‘cornard, mari trompé’ ; sous la forme elnol ), bénédictin (‘religieux de l’ordre de Saint-Benoît’), bernard (‘sot, niais’), madeleine (‘femme qui se repent de sa vie criminelle’ ; sous la forme Madelainne ) ; au XIV e siècle, augustin (‘religieux qui suit les préceptes de saint Augustin’), jacques (‘paysan français’), margot (‘fille de la campagne’), robin (‘palefrenier’), Roger - Bontemps (‘bon vivant, homme jovial et peu enclin aux conflits’ ; sous la forme Rogier bon tens ) et au XV e siècle, Götz (‘sot, niais, mauviette’), Hans , Kunz , U(t)z (‘sot, niais’), Hinz und Kunz (‘n’importe qui, tout un chacun’), Metze (‘jeune campagnarde’) ainsi que guillaume , jean et jenin (‘sot, niais’). Les désignations de sots, de niais et de petites gens issues de prénoms populaires sont ainsi prédominantes. Viennent ensuite les items désignant des objets, tels que david (‘différents types d’outils, notamment une barre de fer recourbée en crampon à l’une de ses extrémités’), jacque / jaque (‘pourpoint à manches et rembourré’) et jaquette (‘vêtement ajusté sur le buste et à jupe flottante’) au XIV e siècle et Dietrich (‘rossignol, passe-partout’ ; sous la forme dieterich ), faule Grete / Metze / Mette (‘gros canon médiéval’), carolus (‘pièce de monnaie’) et roi / roy David / Davyot (‘rossignol, passe-partout’) au XV e siècle. Les végétaux sont représentés par Johannisbrot (‘caroube’) au XIV e siècle, guter Heinrich (‘épinard sauvage’), Johannistraube , - träublein (‘groseille, cassis’), herbe de la Saint-Jean (‘millepertuis’ ; sous la forme herbe saint-Jehan ) et 504 Traduit par nos soins, texte original : « Diese ganze lange buntgemischte Reihe [der ‘Appellativnamen […] aus persoenlichen nominibus propriis’ ; VB] ist zwar, von einigen wenigen, zum Theil noch zweifelhaften, Ausnahmen abgesehen, dem Mittelalter selbst bis in das fünfzehnte Jahrhundert hinein noch fremd gewesen […] » (W AcKernAgel 1860 : 316). 505 Les noms de maladies mal saint ladre (‘lèpre’) et mal saint Jehan (‘épilepsie’) sont attestés dès le XIII e siècle . 224 4. L’évolution de l’appellativisation du prénom-: pistes de réflexion jeannette (‘narcisse des poètes’ ; sous la forme janecte ) au XV e siècle. Quant aux désignations d’animaux, elles ne sont présentes dans nos relevés que pour le français : renard au XIII e siècle, perroquet au XIV e siècle et robin (‘mouton’) et martin (‘âne, baudet’) au XV e siècle. Le nombre restreint d’items relevés pour cette période s’explique en grande partie par la faible diversité des sources écrites en langue vernaculaire aux XII e et XIII e siècles et par le contexte intellectuel du Moyen Âge. À l’exception de quelques fabliaux et du fameux Roman de Renart dont il a déjà été question (p. 199), les sources écrites se limitent aux chansons de geste, à la littérature courtoise, aux chartes et autres écrits administratifs (cf. p olenz 1991 : 89 sq., l usignAn in : c hAurAnd 1999 : 95 sqq., 100 sqq.), types de textes peu susceptibles de contenir des déonomastiques de prénoms. Quant au contexte intellectuel du Moyen Âge, il permet de comprendre pourquoi les items issus de noms de porteurs identifiés relevés pour cette période se limitent - à l’exception de carolus - aux noms de saints (Augustin et Benoît dans augustin et bénédictin , Johannes dans Johannisbrot , Lazare dans ladre , Marie Madeleine dans madeleine , etc.). Comme le notait B erger (1950), sur le plan de l’histoire des mentalités, toute cette évolution présupposait d’une part un intérêt accru porté à la personnalité, de l’autre un changement d’attitude face au nom d’un individu considéré pour lui-même. Ces deux aspects étaient étroitement liés. La conscience de soi en tant que personne, qui émergea à la Renaissance et fut cultivée par l’humanisme, libéra l’homme des liens qui l’entravaient au Moyen Âge et le plaça, en tant qu’individu, au centre de l’espace public. Il en fut de même du nom propre, élément essentiel et à vrai dire indissociable de son porteur. 506 Pour le XV e siècle, période charnière, nous relevons douze items en allemand, contre un seul pour le siècle précédent. Si l’augmentation est moins significative dans le cas du français (de 10 à 15 items), les exemples dans nos tableaux reflètent l’engouement pour les genres littéraires nouveaux, et plus particulièrement la farce, petite pièce comique et populaire qui se prête à l’emploi de déonomastiques : 506 Traduit par nos soins, texte original : « Die geistesgeschichtliche Voraussetzung für diese ganze Entwicklung […] war einmal eine größere Beachtung der Persönlichkeit und zum andern eine veränderte Einstellung gegenüber dem Namen eines Menschen an sich. Beides hing eng zusammen. Das in der Renaissance erwachte und vom Humanismus gepflegte Persönlichkeitsbewußtsein löste den Menschen aus mittelalterlicher Gebundenheit und stellte ihn als Einzelwesen ins Licht der Öffentlichkeit. Dasselbe geschah mit dem Namen, der ja ein wesentlicher, eigentlich untrennbarer Bestandteil seines Trägers ist. » (B erger 1950 : 151). 4.2. Les grandes étapes de l’évolution du phénomène 225 (95) Et tient-il les gens pour Guillaumes ? ( La farce de maistre Pierre Pathelin , XV e siècle ; GB ) (96) Si je mouroye tout maintenant, / je mourroye de la mort Rolant ( La farce de maistre Pierre Pathelin , XV e siècle ; GB ) 4.2.2. Du XVI e au XVIII e siècle-: l’essor C’est à partir du XVI e siècle que le nombre d’items relevés augmente de manière nette et durable dans les deux langues, de 12 à 32 en allemand, de 15 à 40 en français. Malgré une baisse du nombre d’items relevés en allemand aux XVII e et XVIII e siècles, on compte, sur ces trois siècles, cinq fois plus d’emplois déonomastiques nouveaux pour allemand et 3,5 fois plus pour le français que pour les quatre siècles précédents. Plusieurs facteurs intervenant simultanément peuvent expliquer cette augmentation significative. À partir du XVI e siècle, les sources en allemand et en français sont de plus en plus nombreuses, les vernaculaires s’émancipant du latin et élargissant leurs domaines d’utilisation (cf. entre autres p olenz 1991 : 114 sqq., 122 sqq., g Ardt 1999 : 45 sq., K ästner , s chütz & s chWitAllA 2000 : 1606 sq., 1615, h ArtWeg & W egerA 2005 : 108-120, c lerico in : c hAurAnd 1999 : 149-159). Par ailleurs, l’invention de l’imprimerie au XV e siècle a favorisé l’émergence de contenus et de types de textes plus accessibles au peuple (cf. p olenz 1991 : 131 sq., h ArtWeg 2000 : 1685, K ästner , s chütz & s chWitAllA 2000 : 1615) et, par conséquent, plus susceptibles de contenir des déonomastiques de prénoms. À noter que ces deux facteurs contribuèrent à l’apparition, au XVI e siècle, des premiers fondements d’une lexicographie de l’allemand et du français permettant un meilleur accès à certains pans du lexique de l’époque (cf. h Ass -z umKehr 2001 : 48-65, s chlAefer 2009 : 130, c lerico in : c hAurAnd 1999 : 209 sqq.). S’ajoute à cela la tendance, particulièrement marquée durant cette période, à désigner des types de personnes par des prénoms populaires : au XVI e siècle, Nickel (‘bas peuple, petites gens’), Rüpel (‘homme rustre, malotru, mufle’), Stoffel (‘lourdaud, sot’) pour l’allemand et catin (‘jeune campagnarde ; servante de ferme ou d’auberge’), margot (‘femme aux mœurs légères ; prostituée’), martin (‘homme’), nigaud (‘sot, niais, empoté’ ; sous la forme Nigauld ) pour le français, suivis aux XVII e et XVIII e siècles de Hiesel / Hiasl (‘lourdaud, sot’), Matz (‘sot, niais’), Jule (‘femme’), Suse (‘personne lente, molle, sans entrain’), Trine (‘fille, femme’), Urschel (‘femme sotte, niaise, lourdaude, maladroite’) et jeanneton (‘fille, servante d’auberge, de mœurs peu farouches ou de moyenne vertu’), péronnelle (‘jeune femme sotte et bavarde’) et nicolas / colas (‘sot, niais’). Parmi ces désignations, certaines ont donné lieu à des composés et locutions en série. À partir de Hans , Jan et Jean , on a ainsi formé dummer Jan (‘sot, niais’), 226 4. L’évolution de l’appellativisation du prénom-: pistes de réflexion Faulhans (‘paresseux’), Groszhans / grosz Hans (‘homme influent, riche’), Kleinhans / klein Hans (‘bas peuple, petites gens’), Kalthans / kalter Hans (‘fanfaron, baratineur’), Karsthans (‘paysan’), Marterhans (‘lansquenet’), Mosthans (‘amateur de moût’), Pochhans (‘homme qui fait du tapage’), Meister Hans (‘exécuteur des hautes œuvres, bourreau’), Hansnarr (‘bouffon, pitre’), Hans Tölpel (‘rustre, lourdaud’), Hans Unvernunft (‘homme déraisonnable’) et Hanswurst (‘homme qu’on ne peut pas prendre au sérieux ou qui fait le pitre’) en allemand et gros-jean (‘sot, niais, empoté’), jean-chouart (‘pénis’), jean-raisin (‘vin’) et jean-le-blanc (‘type de rapace’) en français, tous attestés au XVI e siècle. Prahlhans (‘vantard’), Schmalhans (‘crève-la-faim’) et Janhagel (‘bas peuple, plèbe’) suivront au XVII e siècle, de même que jean-farine (‘bouffon’), jean-fesse / jean-foutre (‘individu incapable, peu fiable’), jean-l’enfumé (‘jambon’ ; sous la forme jehan l’Enfumé ). Nous constatons par ailleurs une augmentation significative du nombre des emplois seconds, surtout dans le cas du français 507 . En voici quelques exemples : ladre ‘lépreux’ [ XII e siècle] > ‘personne excessivement avare’ [ XVII e siècle] catin ‘jeune campagnarde’ [ XVI e siècle] > ‘fille de mauvaise vie’ [ XVI e siècle] martinet ‘oiseau à longues ailes et au vol rapide’ [1 e moitié du XVI e siècle] > ‘petit chandelier’ [2 e moitié du XVI e siècle] > ‘cordages’ [ XVII e siècle] > ‘petit fouet’ [ XVIII e siècle] marionnette ‘figurine’ [ XVI e siècle] > (au pl.) ‘théâtre où l’on donne un spectacle de marionnettes’ [ XVI e siècle] ‘personne qu’on manœuvre à son gré’ [ XVIII e siècle] > fiacre ‘voiture tirée par un cheval et conduite par un cocher’ [ XVII e siècle] > ‘cocher de fiacre’ [ XVIII e siècle] Pumpernickel ‘homme rustre’ [ XVII e siècle] > ‘sorte de pain noir’ [ XVII e siècle] 507 Parmi les rares emplois seconds plus anciens figurant dans nos tableaux, nous relevons Metze dont le sens ‘fille aux mœurs légères, prostituée’ est attesté dès le XV e siècle, comme celui de ‘jeune campagnarde’ dont il est issu (cf. B ehAghel 1902 : 218 sq., K02). À propos de la ‘polysémisation’ (all. « Polysemierung ») et de son influence sur l’évolution du lexique, nous renvoyons entre autres à r eichmAnn (2003 : 2548 sq.) et à n iKlAs -s Alminen (1997 : 123). 4.2. Les grandes étapes de l’évolution du phénomène 227 Ajoutons à cela deux facteurs qui, d’après nos données, semblent avoir affecté les deux langues de manière inégale 508 . Recourant aux déonomastiques afin de critiquer la société de leur temps, railler les défauts de leurs contemporains ou dénigrer certaines personnalités de l’époque, les écrivains satiriques de la fin du XV e et du XVI e siècle, tels que Sebastian B rAnt (1457-1521) et Johann f ischArt (1546-1591), ainsi que les polémistes réformateurs et leurs détracteurs, dont Martin l uther (1483-1546), Ulrich z Wingli (1484-1531) et Thomas m urner (1475-1537), ont sans doute contribué à en augmenter le nombre et / ou à en diffuser l’usage. Comme le montrent les exemples suivants, les désignations dépréciatives de personnes, dont certaines étaient employées dans un sens collectif ( grosz Hans , klein Nickel , Karsthans , Hans Tölpel ), participent d’un style oralisé 509 , volontiers grossier et / ou sarcastique : (97) Sie nahmen der werck und wort war, und hielten sie gegen gottis gebot, unangesehenn, ob es der grosse Hans odder klein Nickel gesagt, in gottis odder menschen namen gethan hette. (Luther, Von dem andern guten werck , 1520 ; Z) (98) Der massen ists gar leicht tzu fechtenn widder das unrecht, das babstenn, konigen, fursten, bischoffen und andern grossen hansen widderferet. (Luther, Von dem andern guten werck , 1520 ; Z) (99) dar usz [aus dem studenten] wurt dann ein henselin. (Brant, Das Narrenschiff , 1519 [1494] ; DW ; dans nos tableaux sous Hänslein ‘sot, niais’) (100) wenn wir davon hören, daß uns Christus mit seinem blut erlöset hat, so bewegt es uns eben, als wenn Hans tölpel höret, daß ein Huhn Eyer leget. (Luther, Auslegung des 111. Psalms , s.d. ; GB ) (101) Auch künnen wir mit tütscher sprach / Vnserm spot baß kumen nach [‘exprimer’ ; VB ] / Vnd andere schreiber auch verachten, / Als da wir den karsthansen machten / Vnd doctor Murner gar verlachten. (Murner, Von dem grossen Lutherischen Narren , 1522 ; Z) (102) Dann als der König Wasso von Wäsel […] die Statt Augst, durch die Allemannen zerstört, wider auffbauen, unnd nach seim Namen Wasle nennen wolte: auch deßhalben das Fundament, oder, wie der Bauer sagt, das unten am End, ergraben liesse: da geriehten seine Pickler, Karsthansen, Schantzgräber unnd Scheuffler auff eynen Kupfferen boden: dessen breite 508 Ce constat demanderait toutefois à être vérifié au moyen de relevés plus systématiques sur l’ensemble de la période. 509 Pour plus d’informations sur le lexique employé par les humanistes germanophones de cette époque, nous renvoyons entre autres à K nApe (2000 : 1677) et à h ArtWeg & W egerA (2005 : 205 sq.). Cf. également n. 116. 228 4. L’évolution de l’appellativisation du prénom-: pistes de réflexion noch lenge sie ein gantz Jar nicht erbickelen [sic] mochten (Fischart, Geschichtklitterung , 1575 ; Z) (103) Was glück und heil kan bey den seyn, / die gott fluchen in wunden eyn / die marter hansen, die armen troffen! (Murner, Schelmenzunfft , 1512 ; FWB ) (104) Als er ankommen, erzehlet er inn welcher gestalt er die Feind angetroffen, und wie er durch ein geschwind Kriegsstück allein ein gantz Herd Kyklopocoler, Picrocholer unnd Bittergroller [noms des ennemis ; VB ] auffgeriben hab, unnd daß sich vor ihnen nicht zubesorgen sey, dann es weren nichts als Huderbutzen, Grindpfutzen, Fetzglocken, Raumsfelder, Marterhansen, Hans Humm, Muffmaffen, Baurenelementer [désignations de personnes très péjoratives ; VB ], die gar kein Kriegsweiß wissen als stelen und rauben (Fischart, Geschichtklitterung , 1575 ; Z) (105) Ob gleich meister Hans mit dem schwert, rad und strick eusserlich wehret. (Luther, Crucigers Sommerpostille , 1544 ; FWB ) (106) es ist der pochhansen so vil, dasz sy einmal werden unterstan, die ganzen welt unrübig zu machen. (Zwingli, Werke , 1828 [1523] ; DW ) (107) [man findet] leichtfertige under den Frantzosen, […] schnarchhansen under den Teutschen. (Fischart, aller practick groszmutter , 1572 ; DW ) (108) Das hat unser Mutter die H. Kirch auff die Phariseische weiß also außgelegt / das das schlechts ein Rhat und kein gebott sein solte / unnd daß es derhalben niemand binde / ohn die / welche Profeß der vollkommenheit thun / als die Klosterleut und Claußner / und andere dergleichen selbstheiligen unnd vom Himmel gefallene Gugelfritzen. (Fischart, Binenkorb des Heiligen Römischen Immenschwarms, seiner Hummelszellen […] , 1588 [1579] ; GB ) Nous constatons, en particulier pour le français, l’augmentation significative du nombre d’items forgés à partir de noms de porteurs identifiés autres que des saints ou des personnages bibliques, cette tendance pouvant être interprétée comme le reflet d’un intérêt croissant pour l’individualité à travers certains personnages ou auteurs marquants de la littérature 510 ou de l’histoire ancienne. 510 Pour l’allemand, cette tendance semble plus marquée à partir du XIX e siècle : Gretchenfrage (‘cas de conscience, question cruciale, souvent gênante, posée dans une situation délicate’ ; du nom du principal personnage féminin dans Faust ), Moritz dans Wie der kleine Moritz sich das vorstellt (‘comme on peut le penser, s’imaginer naïvement’ ; du nom d’un personnage inventé par le caricaturiste et peintre Adolf Oberländer), Thaddädl (‘sot, niais’ ; du nom d’un personnage comique du théâtre populaire viennois), Tünnes (‘pitre, idiot sympathique, homme maladroit’ ; du nom d’un personnage légendaire du Hänneschen-Theater à Cologne), Hans Guck-in-die-Luft (‘tête en l’air, étourdi qui est dans la lune et ne fait pas attention où il va’), Struwwelpeter (‘enfant aux cheveux hirsutes ; plus 4.2. Les grandes étapes de l’évolution du phénomène 229 Citons, pour le XVII e siècle, agnès (‘jeune fille innocente et ingénue ou qui affecte de l’être’ ; du nom d’une jouvencelle dans L’École des femmes de Molière) et lucrèce (‘femme vertueuse, prude’ ; du nom de la fille de Tricipinus, renommée pour sa vertu) et pour le XVIII e siècle, gilles (‘sot, niais’ ; du nom d’un farceur français) et manon (‘amoureuse infidèle’ ; du nom du personnage principal dans le roman de l’abbé Prévost). 4.2.3. Le XIX e et le XX e siècle-: l’apogée Les items apparus durant cette période représentent 58,5 % des emplois déonomastiques relevés pour l’allemand et 46,5 % pour le français. S’agissant du XIX e siècle, nous avons relevé, dans les deux langues, au moins deux fois plus d’items que pour le siècle précédent. Si cette augmentation peut s’expliquer en partie par l’activité accrue des lexicographes - rappelons qu’on a pu appeler le XIX e le « siècle des dictionnaires » (s Aint -g érAnd in : c hAurAnd 1999 : 382) - et par une meilleure prise en compte du substandard (cf. h Ass -z umKehr 2001 : 346), elle tient également à d’autres facteurs, internes et externes. Les items Liederjan , Lotterjan , Polterjan , Blödheini , Pfeifenheini , Waldheini , flotter Anton / Fritz / Heinrich / Otto ; marie-salope , marie-jacasse , marie-torchon montrent que la formation de composés en série et de variantes ludiques est toujours active. D’autres significations et variantes formelles apparaissent dans le cas de Thusnelda (‘femme, amante’ [ XIX e siècle] > Tussi / e ‘gonzesse, meuf ; copine, nana’ [ XX e siècle]), margot (‘femme aux mœurs légères ; prostituée’ [ XVI e siècle] > goton (ibid) [ XIX e siècle]) ou encore perroquet (‘oiseau’ [ XIV e siècle] > ‘verre d’absinthe’ [ XIX e siècle]), etc. Les facteurs externes ont trait à des changements socioculturels majeurs. Au XIX e siècle, l’évolution du lexique est liée, bien plus qu’auparavant, à la vitalité des argots : […] la prise en considération de l’impact des argots sur le lexique français [et allemand ; VB ] ne doit pas être sous-estimée. Il s’agit peut-être là - en matière d’interaction de la norme et des usages - du phénomène le plus caractéristique du lexique français du XIX e siècle. Alors que les littérateurs, les critiques et les esthètes ratiocinent sans fin sur les degrés de légitimité de l’emploi de tel ou tel terme […], la langue en ses développements quotidiens est appelée à connaître des particularités sociologiques fracturant la belle unité de l’idiolecte national et faisant émerger des formes généralement, enfant à l’apparence peu soignée’), Suppenkaspar (‘enfant qui mange très peu ou qui refuse de manger’) et Zappelphilipp (‘garçon agité, qui ne tient pas en place’), les quatre derniers étant issus de noms de personnages dans le livre d’histoires pour enfants Der Struwwelpeter (Hoffmann 1845). 230 4. L’évolution de l’appellativisation du prénom-: pistes de réflexion de parlures qui tendent à se constituer en autant d’hermétolectes. (s Aint -g érAnd in : c hAurAnd 1999 : 452) Cette profusion est manifeste dans le domaine de la prostitution ( Louis / Lui / Ludwig / Lude ‘proxénète’ ; Alfons / alphonse ‘proxénète’, jésus ‘prostitué homosexuel’, louis / louis XV ‘maîtresse, prostituée’), dans l’argot des soldats ( Schangel ‘recrue originaire d’Alsace ou de Lorraine’, T(h)usnelda ‘amante, femme’, Transuse ‘personne ennuyeuse, lourde’ ; pierrot ‘bleu ou soldat de seconde année’), dans celui de la pègre ( coup du père François ‘agression où l’un des attaquants serre une courroie autour du cou de la victime tandis que son complice la détrousse’, jacquot / jacot ‘coffre-fort’, jacques / ja(c)que ‘pince-monseigneur’) ou d’autres groupes d’individus ( émile ‘homosexuel’, mimile ‘homme d’aspect populaire, ouvrier, prolétaire à l’ancienne’, gaspard ‘rat’ [argot pénitentiaire]). Comme le montre la quantité des items issus de l’argot des soldats durant la Grande Guerre ( dicke Bert(h)a , Emil ‘pilote d’un avion à deux places’, Franz ‘observateur et navigateur dans un avion’, Iwan ‘Russe’, Nazi ‘soldat autrichien’ ; fritz / frisé / fridolin ‘soldat allemand’, marie-pique-rempart ‘prostituée’, perroquet ‘tireur d’élite posté dans un arbre’, rosalie ‘baïonnette’, etc.), cette évolution se poursuit au début du XX e siècle, raison pour laquelle il paraît judicieux de rattacher les items apparus avant la fin de la Première Guerre mondiale à ce qu’on pourrait nommer, à l’instar de nombreux historiens, le « long XIX e siècle » 511 . Cette périodisation s’avère d’autant plus pertinente que ces items sont pour la plupart issus de prénoms populaires dont le rôle moteur pour le phénomène d’appellativisation devait décroître progressivement par la suite (cf. 4.3.3). Signalons enfin que l’écart quantitatif entre les deux langues se réduit au cours du XX e siècle pour s’inverser au profit de l’allemand (63 items pour l’allemand contre 52 pour le français), ce qui pourrait s’expliquer par deux facteurs : d’une part, l’activité déonomastique soutenue de certains prénoms tels que - heini ou - fritze sur toute la période, de l’autre, la présence plus marquée des dialectes dans les pays de langue allemande, qui ont alimenté la langue courante de déonomastiques sur une période plus longue et de manière plus accentuée que dans le cas du français (cf. p olenz 1999 : 454 sqq., p erret 2014 : 69 sqq.). Les items régionaux figurant dans nos tableaux sont d’ailleurs nettement plus nombreux pour l’allemand que pour le français (une cinquantaine contre une dizaine) 512 . 511 L’expression a été employée et théorisée notamment par l’historien britannique Eric h oBsBAWm (1917-2012) dans trois ouvrages : L’Ère des révolutions : 1789-1848 (1970), L’Ère du capital : 1848-1875 (1978) et L’Ère des empires : 1875-1914 (1989). Paris : Fayard. 512 Cette différence pourrait par ailleurs s’expliquer par la réticence de certains lexicographes du français face aux régionalismes (cf. s chmitt 1986 : 164 sq.). 4.3. Tendances actuelles 231 4.3. Tendances actuelles Nous nous intéresserons à présent aux marques diachroniques, passant en revue d’abord les items vieillis et désuets puis ceux plus récents. Afin de mieux exploiter les données brutes, nous prendrons en considération les dates et périodes de première attestation et les marques fonctionnelles. 4.3.1. Les items vieillis et désuets Partant des définitions usuelles, nous considérons comme désuets 513 les items qui ne correspondent plus aux normes communicatives de la langue standard et qui, de ce fait, sont largement inconnus des locuteurs, à la différence des items vieillis qui sont souvent encore compris des locuteurs âgés et / ou dialectophones ainsi que des couches instruites de la population (cf. s chmidt 1982 : 198, 206, s chlAefer 2009 : 54) 514 . Nous relevons ainsi 109 items désuets et 22 vieillis pour l’allemand contre 158 désuets et 50 vieillis pour le français, soit respectivement plus d’un quart et près de la moitié de la totalité des emplois déonomastiques retenus pour l’analyse. Signalons par ailleurs que plusieurs items vieillis ou désuets ont pu se maintenir dans des mots complexes ( Scharwenzel ‘serviteur, valet’ dans (herum)scharwenzeln ‘se montrer obséquieux, s’empresser auprès de qqn’) ou des expressions familières ( Minna ‘servante, domestique’ dans jn zur Minna machen ‘réprimander sévèrement qqn’, madeleine ‘femme qui se repent de sa vie criminelle ou immorale’ dans pleurer comme une madeleine ‘pleurer aussi abondamment que la pécheresse’). Nous constatons qu’une part non négligeable des items vieillis et désuets date des XIX e et XX e siècles (près de 20 % pour l’allemand, 30 % pour le français) et que parmi les déonomastiques apparus aux XIX e et XX e siècles, beaucoup sont aujourd’hui vieillis ou désuets : un quart en allemand, près de la moitié en français. Cette tendance s’explique sans doute avant tout par le renouvellement rapide du vocabulaire de l’argot, florissant durant cette période (cf. 4.2.3). d Au zAt (1929) notait à ce sujet : L’argot […] est remarquable par sa fluidité. Il est constamment en mouvement, comme les groupes dont il est l’organe. S’il connaît des foyers de formation, il n’a d’attaches 513 Il convient de distinguer « mots désuets » et « archaïsmes » (« Archaismen »), ces derniers conservant une fonction communicative dans l’usage contemporain (cf. s chippAn 2005 : 1376). 514 Cette distinction est problématique dans certains cas, un même item pouvant être ressenti différemment selon les locuteurs et / ou les contextes d’emploi (cf. c heruBim 1983 : 38 sq.). S’agissant de la problématique du flou entourant la définition de ces marques d’usage dans la pratique lexicographique, nous renvoyons à s chmidt (1982 : 194 sqq.). 232 4. L’évolution de l’appellativisation du prénom-: pistes de réflexion fixes nulle part. Bien mieux ou bien pis : la rapidité de ses transformations, qui s’accélère encore avec le XIX e siècle, déroute plus d’une fois le chercheur, qui risque de ne plus retrouver la suite de la chaîne dès qu’une ou deux mailles intermédiaires font défaut. (1929 : 52 sq. ; cf. également g uirAud 1956 : 99 sq.) D’autres facteurs sont susceptibles d’expliquer la proportion élevée d’items désuets ou vieillis, à commencer par la disparition de référents de la vie quotidienne et, par voie de conséquence, l’oubli progressif des mots qui les désignent. Pensons aux désignations de soldats lors de conflits armés ( marie-louise ‘jeune recrue de 1814, appelée à servir par anticipation’ pendant les batailles de 1814, Schangel ‘recrue originaire d’Alsace ou de Lorraine’ pour la guerre de 1870, Emil ‘pilote d’un avion à deux places’, Iwan ‘soldat russe’, Nazi ‘soldat autrichien’, fritz et fridolin ‘soldat allemand’ pour la Première Guerre mondiale, etc.), aux noms ou expressions désignant des canons médiévaux ( faule Grete , faule Metze / Mette ), des vêtements ( Gottfried ‘robe de chambre [portée par les étudiants]’, jacque / jaque ‘pourpoint à manches et rembourré’, ‘cotte de mailles’, etc.), des véhicules ( fiacre 515 ), des pièces de monnaie ( Friedrich d’or / Friedrichsdor , carolus , louis , etc.), le pot de chambre à l’ancienne ( jules , thomas ) ou la guillotine ( louisette , louison ), ainsi que les désignations du bourreau ( Meister Hans / Peter / Stoffel , ( Meister ) Schnur- / Schnürhänslein ; charlot , jean-cadavre ) 516 . Notons toutefois que l’obsolescence du référent ne conduit pas nécessairement à l’oubli de ces dénominations : si la guillotine n’a aujourd’hui plus qu’une valeur muséale, le mot guillotine n’en est ni désuet ni vieilli pour autant (pas plus d’ailleurs que bourreau ). Les fonctions communicatives ont joué ici un rôle capital : le référent n’ayant plus qu’une existence historique, le déonomastique perd sa dimension euphémique ou plaisante et, de ce fait, devient inopérant dans l’usage quotidien. Les changements affectant les rapports sociaux peuvent également être à l’origine du caractère vieilli ou désuet des mots. Ainsi, les désignations péjoratives employées jadis par les classes supérieures pour dénigrer les paysans ( Cunrad , armer Konrad / Conz , klein Nickel , Kleinhans , Karsthans ; jacques (bonhomme) ) ou les domestiques ( Emma , Johann , Minna ) ont largement disparu de l’usage courant. Pensons également aux anciens argots des malfaiteurs, affectés 515 La disparition de fiacre a entraîné celle de l’emploi métonymique ‘cocher de fiacre’. 516 Dans la recherche en langue allemande, les lexèmes de ce type sont parfois désignés par le terme d’« Historismen », ‘éléments lexicaux antérieurs à l’usage contemporain dont se servent les spécialistes pour parler de faits historiques spécifiques’ selon la définition de s chlAefer (2009 : 54). (Traduit par nos soins, texte original : « […] Bestandteile einer vorgegenwartssprachlichen Lexik [, die] dazu benutzt werden, über spezifische historische Gegebenheiten zu sprechen. »). Cf. également s chippAn (2005 : 1377) ; s chmidt (1982 : 202) parle quant à lui de « Denotatspaläologismen ». 4.3. Tendances actuelles 233 eux aussi par des transformations sociales touchant aux conditions de vie du groupe : La situation change à partir du XIX e siècle où la pègre, en rompant son isolement social, perd le bénéfice de son isolement linguistique ; tout y concourt : la disparition des grandes bandes, la démolition des vieux quartiers, la dissolution des bagnes métropolitains, l’organisation de la police provinciale, le développement des communications, l’effacement des cloisons sociales ; la pègre cesse progressivement d’être un milieu clos et son langage secret est condamné à se vulgariser rapidement. (g uirAud 1956 : 15 sq. ; cf. également l öffler 2005 : 126) Cette évolution a concerné de nombreuses désignations cryptiques : Klempners Karl (‘gendarme, policier’), grüner Heinrich (‘fourgon cellulaire’), Diez , ja(c)que (‘pince-monseigneur’), roi / roy David / Davyot (‘passe-partout’), jacquot / jacot (‘coffre-fort’) ou encore coup du père François 517 . L’influence de l’évolution sociétale sur l’emploi de déonomastiques de prénoms est moins tangible dans les domaines du corps et de la sexualité où l’on trouve certes un certain nombre d’items désuets dans les deux langues ( Hänslein , jacquot / jacques , jean-nu-tête ‘pénis’, Peter und Paul(i) ‘seins’, saint-jean-lerond ‘fesses’), mais presque autant d’items familiers récents ( Jo(h)nny , Kasper / Kaspar , Heini ‘pénis’ ; popaul , jos ‘seins’, etc.). Le corps et la sexualité étant aujourd’hui moins frappés par « le tabou de bienséance, de décence et de pudeur » (W idlAK 1965 : 939), le besoin d’euphémisation s’est affaibli dans ces domaines 518 , ce qui pourrait expliquer l’absence d’items issus de sociolectes « jeunes » dans nos relevés. Signalons enfin les découvertes et progrès scientifiques qui, en améliorant notre connaissance du monde, ont sans doute contribué à faire disparaître progressivement les tabous primitifs liés à la superstition et à la magie qui reposaient sur la croyance populaire qu’il existe une identité entre le mot et la chose qu’il désigne : Dans la conception magique du monde, le nom n’est pas un symbole d’un être mais sa partie intégrale. En prononçant le nom de la chose, on touche (contamine) la chose elle-même. Quand il s’agit d’un être surnaturel, bon ou mauvais, favorable ou dan- 517 Ce qui ne signifie pas que tous les items issus de l’argot des malfaiteurs aient subi le même sort, en témoignent Dietrich , Peterchen (‘rossignol, passe-partout’) et nana (‘maîtresse, concubine’), aujourd’hui d’usage courant. 518 Parmi les causes les plus évidentes du recul des tabous sexuels, on citera la libéralisation des mœurs et de la parole dans les années 1970 et l’apparition d’Internet et des nouvelles formes de communication à partir des années 1990 qui permettent non seulement d’accéder à toutes sortes de contenus mais encore de s’entretenir de ces thématiques sous couvert d’anonymat (cf. s chArloth 2007 : 225, l öffler 2016 : 121). 234 4. L’évolution de l’appellativisation du prénom-: pistes de réflexion gereux, d’un animal sauvage ou redoutable, d’une maladie ou de la mort, il faut être très attentif. Il ne faut pas provoquer les êtres qui sont plus forts que nous : « quand on parle du loup on en voit la queue » dit le proverbe français, qui a d’ailleurs des correspondants exacts dans d’autres langues [519] . (W idlAK 1965 : 938 ; cf. également K rien 1973 : 113 sqq., s chlAefer 2009 : 55) Ces tabous ont été à l’origine de désignations euphémiques de farfadets ( Heinzelmännchen , Hinzelmann ‘elfe de maison, qui effectue les corvées domestiques’, Nickel / Kupfernickel ‘esprit, lutin des montagnes’), de plantes nocives ( böser Heinrich ‘mercuriale’) ou à vertu thérapeutique ( guter Heinrich / bon-henri ‘épinard sauvage’, Heinzelmännlein ‘mandragore’ ; cf. 3.3.4), de maladies (p. 194), du bourreau (p. 175) et bien sûr du diable ( Hans Urian , le vieux charlot ) et de la mort ( Bruder / Freund / Gevatter Hein , Sophie Tourne (de) l’œil ). 4.3.2. Les items apparus dans les dernières décennies du XX e siècle et au XXI e siècle Nos tableaux font apparaître que le nombre de déonomastiques nouveaux semble décroître à partir de la deuxième moitié du XX e siècle. Dans l’échantillon qui suit, nous distinguons les items qui sont aujourd’hui intégrés à la langue familière ou courante de ceux relevant de la langue des jeunes (actuelle). Pour l’allemand : Déonomastiques aujourd’hui familiers ou courants Déonomastiques de la langue des jeunes (actuelle) Detlev , Detlef ‘homosexuel’ Detlevtäschchen, Detlev-Täschchen ‘sac à main pour hommes’ Bernd ‘bon à rien’ Fernsehfritze , -heini ‘homme qui travaille à la télévision’ (ganz) im Ernesto ‘(très) sérieusement’ Filmfritze , -heini ‘homme qui travaille dans l’industrie du cinéma’ Gelenksteffen ‘lourdaud, sot’ Hakan ‘homme turc ou de type turc’ Heino ‘sot, niais’ 519 En allemand Wenn man vom Teufel spricht, kommt er . 4.3. Tendances actuelles 235 Déonomastiques aujourd’hui familiers ou courants Déonomastiques de la langue des jeunes (actuelle) Internetfritze ‘homme dont le travail est en lien avec Internet ou les fournisseurs d’accès à Internet’ ( Voll ) Horst ‘sot, niais’ Internetheini ‘homme féru d’Internet’ den Jörg (an)rufen ‘vomir’ Lolita ‘nymphette, jeune fille plutôt mignonne’ einen Kasper in der Schublade haben ‘être enceinte’ Mehmet ‘homme turc ou de type turc’ Kevin (aussi Alpha-Kevin ) ‘sot, niais ; adolescent puéril’ Schmalzheini ‘chanteur de charme, chanteur pour midinettes’ Körperklaus ‘homme mal à l’aise avec son corps, raide, qui ne sait pas danser’ Tussi / e ‘gonzesse, meuf ’ Otto ‘sot, niais’ Versicherungsheini ‘employé d’une compagnie d’assurance’ Werbefritze ‘employé d’une agence de publicité’ Pour le français : Déonomastiques aujourd’hui familiers ou courants Déonomastiques de la langue des jeunes (actuelle) charlot ‘homme peu sérieux, peu compétent’ gros bill / grosbill (dans les jeux de rôle) ‘joueur qui cherche à rendre son personnage le plus puissant possible au détriment des autres aspects du jeu’ conchita ‘domestique, boniche’ jean-jacques ‘individu conformiste, trop lisse, pas assez « cool »’ lolita ‘nymphette, jeune fille plutôt mignonne’ jean-kévin ‘jeune garçon jouant au jeu vidéo Minecraft’ mamadou ‘homme africain ou de type africain, de couleur noire’ kévin / kevin ‘sot, niais ; adolescent puéril’ 236 4. L’évolution de l’appellativisation du prénom-: pistes de réflexion Déonomastiques aujourd’hui familiers ou courants Déonomastiques de la langue des jeunes (actuelle) mariniste ‘partisan de Marine Le Pen’ mohamed ‘homme du Maghreb ou de type maghrébin’ mouloud ‘homme du Maghreb ou de type maghrébin’ natacha ‘prostituée des pays de l’est’ tanguy ‘célibataire prolongé qui vit toujours chez ses parents’ génération Tanguy ‘génération des 25-30 ans qui, souvent faute de moyens économiques suffisants, continue à vivre au domicile parental’ tatie Danielle ‘vieille peau-de-vache, pleine de mépris pour les bons sentiments’ Nous constatons tout d’abord que ‘l’explosion du nombre de nouveaux lexèmes’ soulignée par h erBerg , K inne & s teffens (2004), ‘corollaire du progrès technique et scientifique ainsi que des processus sociétaux, économiques et culturels qui concernent le monde entier durant la deuxième moitié du [XX e ; VB] siècle’ 520 , ne concerne guère le domaine des déonomastiques de prénoms. Dans nos tableaux, les items apparus dans la première moitié du XX e siècle sont environ trois fois plus nombreux que ceux datant de la seconde moitié du siècle. Nous notons ensuite que les déonomastiques figurant dans ce relevé sont presque exclusivement des désignations de personnes 521 , pour la plupart dépré- 520 Traduit par nos soins, texte original : « [Man hat darin [= in der Blütezeit der Neologismenwörterbücher ; VB] wohl eine Antwort zu sehen auf] das explosionsartige Aufkommen neuer Lexik als Begleiterscheinung technischer und wissenschaftlicher Fortschritte sowie weltweiter gesellschaftlicher, ökonomischer und kultureller Prozesse in der zweiten Jahrhunderthälfte […] » (h erBerg , K inne & s teffens 2004 : X). Cf. également la remarque de g Adet pour le français : « le développement terminologique, accéléré par les nouvelles technologies, les nouvelles professions et l’évolution des sciences, est au XX e siècle particulièrement rapide » (g Adet in : c hAurAnd 1999 : 619). 521 C’est le cas également dans les expressions einen Kasper in der Schublade haben et den Jörg (an)rufen . Nous pourrions ajouter à cette liste les anglicismes issus de la langue des 4.3. Tendances actuelles 237 ciatives ( Bernd , Detlev , Gelenksteffen , Hakan , Heino , etc. ; conchita , jean-jacques , jean-kévin , kévin , mohamed , etc.). Dans la langue des jeunes, cette prédilection s’explique par les stratégies de mise en scène expressive et ludique de la part de locuteurs qui souhaitent montrer leur appartenance à un groupe, les désignations dépréciatives servant à se démarquer de certains types de personnes. Si les préférences dénominatives sont similaires à celles observées pour les items vieillis et désuets, qui sont eux aussi en majorité des désignations dépréciatives de personnes, on ne relève que de rares variantes de déonomastiques existants, dont flotter Anton (de flotter Fritz / Heinrich / Otto , 1 e moitié du XX e siècle) et den Jörg (an)rufen (‘vomir’), expression sans doute issue de la tournure familière (den / nach [dem]) Ulf rufen et de celle, plus ancienne, (den) (heiligen) Ulrich (an)rufen , aujourd’hui désuète (cf. p. 150). Notons enfin que plusieurs items relevés pour le français sont issus de films à succès ( jean-jacques , tanguy , tatie Danielle ) 522 . 4.3.3. Tentatives d’interprétation L’écart entre le nombre limité de nouveaux items dans les dernières décennies d’un côté et la profusion d’items désuets et vieillis de l’autre ne permet guère de tirer de conclusions au sujet de l’évolution actuelle du phénomène. C’est que les périodes impliquées pour chacun des relevés sont trop inégales pour servir de base de comparaison : quelques dizaines d’années tout au plus pour les uns contre plusieurs siècles pour les autres. La faible quantité d’items pour la période récente doit être par ailleurs relativisée par les choix de certains lexicographes, souvent guidés par des considérations commerciales : ainsi, l’absence totale de déonomastiques de prénoms dans les dictionnaires consacrés aux néologismes apparus en allemand de 1990 à 2000 (h erBerg , K inne & s teffens 2004) puis de 2001 à 2010 (s teffens & Al -W Adi 2015) ainsi qu’en français actuel (d es i snArds 2014) s’explique par la focalisation des auteurs sur les référents en lien jeunes Larry (‘sot, niais ; pitre’ ; aussi dans den Larry machen, rauslassen / -hängen ‘se lâcher, faire la fête’) et Bob / Lowbob (‘sot, niais ; homme, garçon ignorant, incompétent’ ; Lowbob aussi dans le sens de ‘joueur peu doué, notamment dans le domaine des jeux vidéo’). Nous renvoyons à ce sujet à la p. 165. 522 jean-jacques est issu d’une réplique du film Coco (Gad Elmaleh, 2009) : « Je t’en prie, qu’est ce que tu fais, tu es en train de rouler à 2 à l’heure comme un jean-jacques là comme ça, avance, bouge ! - Mais il y a des flashs monsieur Coco. - Et bien souris ! ». Dans une interview, l’humoriste Elmaleh définissait le jean-jacques comme « un mec qui fait bien les choses, qui ne prend pas trop de risques » (www.francegazette.com/ …/ ; page consultée le 10. 1. 2013). Pour tanguy et tatie Danielle , nous renvoyons aux explications à la p. 99. 238 4. L’évolution de l’appellativisation du prénom-: pistes de réflexion avec la modernité (nouvelles technologies, réseaux sociaux, nouvelles façons de travailler, etc.), désignés pour la plupart par des emprunts à l’anglo-américain. Deux facteurs principaux sont susceptibles d’expliquer l’écart entre le nombre de déonomastiques apparus dans la première et la seconde moitié du XX e siècle : la vitalité des argots, au moins jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale (cf. 4.2.3), et la faible activité déonomastique des prénoms autrefois populaires, à l’exception de Fritze et Heini . Nos relevés d’items récents montrent que les prénoms Hans , Jan , Jean ou Marie , à l’origine de nombreux composés aujourd’hui vieillis et désuets (p. 158 sq.), sont devenus largement inactifs dans l’usage contemporain. Pourquoi cette baisse de productivité-? La principale raison réside selon nous dans l’évolution des pratiques d’attribution du prénom. Nous avons vu qu’à partir du XII e siècle, certaines pratiques séculaires, notamment le fait d’attribuer au nouveau-né le nom d’un saint, de l’un de ses proches (parents, grands-parents, parrains ou marraines) ou encore celui d’un souverain, ont conduit à l’augmentation de la fréquence de quelques prénoms (cf. 3.2.2.1) et, par là même, à l’appauvrissement du stock de prénoms 523 . Cette restriction extrême du stock de prénoms, renforcée avant l’époque moderne par un contexte intellectuel faisant peu de cas de l’individualité (cf. p. 224), est largement similaire dans les deux aires linguistiques observées : « Dans toute l’Europe chrétienne du moyen âge [et au-delà ; VB ], les noms de personnes, sous l’influence des mêmes causes, ont obéi à des évolutions analogues. » (d AuzAt 1925 : 40). Quelques chiffres suffiront à donner une idée de l’ampleur du phénomène. n eedon (1896) notait ainsi pour les pays de langue allemande : C’est un fait connu que dans les actes et les chroniques des villes du XII e - XIII e siècle jusqu’au XV e siècle, on ne trouve guère plus d’une dizaine de noms couramment portés par les habitants, en Haute-Saxe et en Thuringe, près des trois quarts des habitants s’appellent Nikolaus (Nickel), Hans, Heinrich, Konrad, Peter - pour les autres, ils se 523 Dans la recherche, le phénomène est décrit en termes de ‘pauvreté’ et de ‘monotonie onomastique’ (« Namenarmut », « Namenmonotonie » ; s teinhAusen 1893 : 616, 619), d’‘uniformité’ (« Einförmigkeit » ; n eedon 1896 : 200), d’‘appauvrissement et de réduction du stock de prénoms’ (« Verarmung und Verminderung des R[uf]N[amen]-Schatzes » ; B Ach 1953 : 26), de ‘forte diminution’ ou encore, par le recours à une métaphore médicale, de ‘forte atrophie onomastique’ (« große[r] Namenschwund » ; m itterAuer 1993 : 241). K lApisch -z uBer (1984 : 40) parle de « ‘révolution’ onomastique ». 4.3. Tendances actuelles 239 nomment la plupart du temps Paul, Hermann, Matthias, Franz, plus tard Kaspar et Georg. 524 Ces statistiques sont comparables à celles que présentait, dans son étude sur les noms de baptême dans la France de l’Ancien Régime, l’historien de la famille B urguière (1980) : À Nuits, en Bourgogne, trois prénoms nomment 43 % des hommes en 1317 et 56 % en 1470. Au XIV e siècle, dans le Lyonnais, le prénom Jean est porté à lui seul par le quart des hommes. À Villiers-le-Bel (région parisienne), à la même époque, cinq prénoms, Jean, Guillaume, Pierre, Mathieu, Nicolas, nomment 55 % des hommes et Jean à lui seul 20 %. Au XVI e siècle, à Aix, sept prénoms sont portés par 59 % des étudiants. À Perpignan, 45 % des hommes se prénomment Jean et 20 % Antoine ; au XVI e siècle, la moitié des femmes se prénomment Anne ou Jeanne. Au XVII e siècle, c’est Joseph qui devient le prénom masculin le plus porté (50 %) et Marie le prénom féminin (60 %) dans la capitale du Roussillon. En outre, ces deux prénoms apparaissent très souvent dans des prénoms composés dont la mode renforce le leadership des prénoms les plus attribués. (1980 : 28 ; cf. également W ilson 1998 : 185-190) Sa conclusion est sans appel : Quel que soit le document (registres paroissiaux, listes nominatives, terriers, registres d’inscription d’étudiants, actes notariés …) ou la période considérée, tout corpus de prénoms, entre les XIII e et XVIII e siècles, portant sur un assez grand nombre d’individus, présente à peu près la même répartition : […] un petit groupe de prénoms leaders qui sont portés par plus de la moitié de la population. (ibid.) Cette concentration est particulièrement nette dans le cas de Johann(es) et Jean ainsi que des diminutifs correspondants. Ainsi, au XV e siècle, un quart des garçons nés à Rostock et à Riga se voyaient attribuer les prénoms Johannes , Hans ou la variante bas-all. Henning (cf. h Ampel 2005 : 94 sq.). Même chose plus au sud : au XVII e siècle, Johann était le prénom d’un tiers des hommes habitant la ville de Constance (cf. n ied 1924 : 39). Quant à Jehan , une étude sur les noms des Parisiens à l’aube du XIV e siècle révèle que ce prénom était alors porté par 13,3 à 20 % des hommes, 23 % si l’on inclut la forme diminutive Jehannot (cf. m ichAëlsson 1927 : 60 sqq.). 524 Traduit par nos soins, texte original : « Es ist bekannt, daß man in den Urkunden und Chroniken der Städte vom zwölften bzw. dreizehnten Jahrhundert bis ins fünfzehnte hinein kaum mehr als ein Dutzend gebräuchliche Namen der Bürger antrifft, in Obersachsen und Thüringen heißen etwa drei Viertel aller Bewohner Nikolaus (Nickel), Hans, Heinrich, Konrad, Peter - die übrigen meist Paul, Hermann, Matthias, Franz, später Kaspar und Georg. » (n eedon 1896 : 199). 240 4. L’évolution de l’appellativisation du prénom-: pistes de réflexion Il est évident que dans ces conditions, le prénom populaire a une valeur individualisante très réduite. Comme nous l’avons vu plus haut (p. 185), celle-ci constitue la prémisse de sa péjoration et, par là même, de son emploi déonomastique. Le phénomène ne se limite pas à l’allemand et au français, ainsi que le soulignait s pitzer (1921) dans une étude sur les langues ibériques : Il est remarquable que les prénoms employés de manière dépréciative soient les mêmes dans différentes langues […]. La raison principale réside dans la foi catholique commune aux populations d’Europe centrale et occidentale en vertu de laquelle on attribuait traditionnellement aux enfants le nom d’un saint. Cette parodie [525] qu’elles partagent est le reflet de la foi qui leur est commune. 526 C’est au plus tard au tournant du XX e siècle que le stock de prénoms commence à se diversifier fortement dans les deux pays, avec une rapidité toutefois inégale selon les régions (cf. entre autres d eBus 1977b : 196, d upâquier , p élissier & r éBAudo 1986 : 110, p olenz 1999 : 380 sq., s eiBicKe 1999 : 66, n üBling in : n üBling et al . 2012 : 116 sqq.). Il s’agit là d’un réel changement (« echte[r] Wandel » ; d eBus 1976a : 389) : l’attribution du prénom s’affranchit des contraintes familiales et religieuses et le prénom devient un « bien de mode » (c oulmont 2011 : 35) 527 dont le choix est guidé de plus en plus par les préférences personnelles. Ce sont la sécularisation de la société, amorcée au XIX e siècle, et la diversification des modes de vie et des valeurs, en plein essor au XX e siècle, qui sont à l’origine de ce bouleversement (cf. entre autres W olffsohn & B rechenmAcher 1999 : 143, g erhArds & h AcKenBroch 1997 : 416 sqq., g erhArds 2010 : 43-61). En faisant le choix d’un prénom individuel pour leur enfant, les parents manifestent qu’ils ne se conçoivent plus prioritairement comme les ‘maillons d’une longue chaîne générationnelle’ (« Mitglieder einer langen Generationenkette » ; K ippele 1998 : 206 ; cf. aussi g erhArds 2010 : 90) et que le destin de leur progéniture ne sera aucunement influencé par les traditions familiales et religieuses 528 . L’abandon des pratiques traditionnelles en matière d’attribution de prénoms sera accéléré après la Seconde Guerre mondiale par l’hégémonie économique et 525 Employé ici en allemand comme en français au sens de ‘contrefaçon ridicule’. 526 Traduit par nos soins, texte original : « Es ist bemerkenswert, daß die pejorativ gebrauchten Namen in verschiedenen Sprachen dieselben sind […]. Der Grund liegt in letzter Linie in dem gemeinsamen katholischen Glauben der Mittel- und Westeuropäer, wodurch dieselbe volkstümliche Namengebung nach dem Heiligen erfolgte. Die gleiche Parodie ist das Widerspiel des gleichen Glaubens. » (s pitzer 1921 : 97, n. 2). 527 Quelques signes avant-coureurs de ce phénomène sont déjà documentés dans un ouvrage de 1825, Die Moden in den Taufnamen (d olz 1825). 528 On trouvera un bel exemple de ces réflexions dans l’échange de lettres entre un soldat au front et sa femme en 1917 où sont abordées leurs préférences concernant le prénom de leur enfant à naître (cf. m itterAuer 1993 : 405 sqq.). 4.3. Tendances actuelles 241 culturelle des États-Unis, par le processus de création d’une union européenne et surtout par l’influence des médias de masse, instruments de la globalisation (cf. g erhArds 2010 : 129-153). La priorité est désormais à la recherche de l’originalité 529 , à l’euphonie, aux associations positives et à la brièveté. s eiBicKe (1999) écrit : Les nouvelles dispositions juridiques concernant les noms de personnes favorisent une évolution qui, en matière de prénoms, est aujourd’hui prédominante : le passage vers des pratiques d’attribution des prénoms reposant sur l’individualisme, une place centrale revenant au prénom en tant que tel. La plupart du temps, c’est l’euphonie, donc le signifiant du signe linguistique, qui constitue le facteur déterminant ; s’y ajoute la signification étymologique qui refait son apparition. En outre, le choix d’un prénom peut dépendre de toutes sortes d’associations avec le signe linguistique, suscitées par exemple par des souvenirs de vacances, le désir de découvrir des pays lointains et exotiques, les sentiments provoqués par un personnage découvert dans un livre, un entrefilet ou un film, des personnes incarnant le talent, la chance, la réussite et la richesse (je pense surtout aux noms d’idoles tels que les chanteurs de variété, les stars du rock et de la pop ou encore les sportifs), etc. En fin de compte, chacun peut disposer des noms attestés dans le monde entier, et il n’est pas étonnant que les prénoms donnés aux enfants allemands soient de plus en plus souvent empruntés à d’autres langues, parfois fort lointaines. 530 529 B urguière (1980 : 27) remarque fort justement que cette originalité n’est souvent qu’apparente : « le paradoxe de cette tyrannie de l’originalité est qu’elle renforce le conformisme social. On croit faire un choix à contre-courant alors qu’on répercute, avec un parfait mimétisme, les normes esthétiques de son milieu social et de son époque. […] Ce comportement imprime au stock des prénoms deux tendances contradictoires : l’autonomie de choix des parents entretient un assez grand éventail de prénoms peu fréquents tandis que l’effet de mode - inséparable de l’illusion du libre choix - sélectionne pour chaque génération quelques prénoms dominants. » 530 Traduit par nos soins, texte original : « Mit dem neuen Namensrecht wird eine Entwicklung begünstigt, die […] die gegenwärtige Vornamengebung beherrscht: der Übergang zur individualistischen Vornamengebung, bei der der Name selbst im Mittelpunkt steht. Ausschlaggebend ist meist der Wohlklang, also die Ausdrucksseite des sprachlichen Zeichens, aber auch die etymologische Bedeutung kann nun wieder ins Blickfeld rücken, und darüber hinaus dürfen alle denkbaren Assoziationen mit dem sprachlichen Zeichen bei der Entscheidung mitwirken, zum Beispiel Urlaubserinnerungen, Träume von fernen, exotischen Ländern, Gefühle, die eine Gestalt in einem Buch, einer Zeitungsmeldung, einem Film erregt hat, Wunschbilder von Talent, Glück, Erfolg und Reichtum (ich denke vor allem an die sog. Idolnamen nach Schlager-, Rock- oder Popstars oder Sportlern) usw. usf. Letztlich stehen die Namen der ganzen Welt jedermann zur Verfügung, und es ist daher kein Wunder, daß unter den Vornamen für deutsche Kinder immer öfter Entlehnungen aus anderen, manchmal sehr entlegenen Sprachen anzutreffen sind. » (s eiBicKe 1999 : 66). 242 4. L’évolution de l’appellativisation du prénom-: pistes de réflexion La recherche de prénoms à fonction individualisante a eu pour conséquence l’explosion du nombre de prénoms et le renouvellement accéléré des prénoms à la mode : Les prénoms de la génération précédente deviennent très rapidement inattribuables et marquent celle-ci comme génération du passé, c’est-à-dire dépassée par la génération montante. […] À l’époque classique, l’existence d’une majorité de prénoms traversant les siècles marquait au contraire la recherche forcenée de la continuité sociale et de la transmission sans heurt. (B ozon 1987 : 89) 531 Là encore, quelques chiffres suffiront à illustrer ce bouleversement onomastique majeur. Dans son étude sur l’évolution des prénoms sur près de 200 ans dans la Bökingharde 532 , A ndersen (1977 : 306) montre qu’entre le début du XIX e siècle et la Première Guerre mondiale, le pourcentage des prénoms les plus fréquents ( Peter pour les garçons, Maria pour les filles) a généralement oscillé entre 9 et 11 % du stock de prénoms pour une génération. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le prénom masculin leader ne représentait plus que 5,91 %, son pendant féminin 4,01 %. Depuis cette époque, ce pourcentage continue de diminuer et à l’heure actuelle, les prénoms les plus fréquents, en Allemagne comme en France, sont donnés à moins de 3 % d’une génération (cf. n üBling in : n üBling et al . 2012 : 22, c oulmont 2011 : 35). Dans son étude sur les prénoms les plus populaires en Allemagne en 2012, K untzsch (2013) écrit : La diversité et le nombre des prénoms attribués augmentent considérablement d’année en année. Pour 2012, nous avons recensé plus de 53 000 prénoms distincts, près de 27 000 pour les femmes et 25 900 pour les hommes, dont certains donnent lieu à de nombreuses graphies. L’année dernière, les dix prénoms de tête constituaient 15,4 % de toutes les attributions, les 30 premiers 30,6 %, les 100 premiers 53,2 % et les 200 premiers 65 %. Un peu plus des deux tiers (67,2 %) des prénoms n’ont été donnés qu’une seule fois, presque un tiers a donc été donné plusieurs fois. Chez les filles, un même prénom a été attribué en moyenne 14 fois, chez les garçons, 15 fois. 533 531 Nous renvoyons également à B esnArd & d esplAnques (1986 : 33-39), d esplAnques (1986 : 29, 35 sq.), B esnArd (2008 : 359 sqq.), r udolph , B öhm & l ummer (2007 : 25 sq.), g uéguen (2008 : 8-15), g erhArds (2010 : 145 sq.), c oulmont (2011 : 37 sqq.) et m échin (2012 : 81-100). Notons au passage que la possibilité de choisir librement le prénom de son enfant a entraîné l’augmentation exponentielle du nombre de dictionnaires de prénoms (cf. s eiBicKe 1993a ; cf. également h AuBrichs 1995 : 75). 532 Petite région de Frise septentrionale. 533 Traduit par nos soins, texte original : « Die Vielfalt und die Anzahl der vergebenen Vornamen wachsen von Jahr zu Jahr beträchtlich an. Unserer Erhebung für 2012 liegt ein Namenschatz von über 53.000 Einzelformen, fast 27.000 unterschiedliche weibliche und 4.3. Tendances actuelles 243 Les données portant sur l’année 2015 confirment cette tendance : sur les 60 000 prénoms distincts recensés, près des deux tiers n’ont été attribués qu’une seule fois. Un prénom a été donné en moyenne à moins de 16 nouveau-nés et les 10 prénoms les plus fréquents ne représentent que 15 % de la totalité des attributions. Quant à Sophie et Maximilian , les deux prénoms de tête, ils n’ont été donnés respectivement qu’à 3,2 % des filles et à 1,52 % des garçons (cf. r üdeBusch 2016 : 108 sqq.). En France, Louise et Léo , en tête du palmarès des prénoms pour l’année 2015, ont été donnés respectivement à 5 300 filles et 5 800 garçons (cf. r Apoport 2015 : 12), soit seulement à 1,42 % et 1,48 % des quelque 374 000 filles et 391 000 garçons 534 . Cette forte tendance à l’individualisation et son corollaire, la faible fréquence des prénoms leaders, constituent un frein à l’appellativisation du prénom : en effet, il est aujourd’hui plus difficile que par le passé d’associer un prénom à des hommes et des femmes quelconques, ce qui a pour conséquence de restreindre la capacité du prénom à fonctionner dans des composés en série. Notons toutefois que la disparition des facteurs d’homogénéisation tels que la religion et l’influence des couches supérieures a accentué la fonction identitaire du prénom. Dans leur article sur la fin de la diffusion verticale des goûts dans le domaine de la prénomination, B esnArd & g rAnge (1993) remarquent qu’en matière de prénoms, on assiste à une « polarisation sociale des goûts » entre couches bourgeoises et populaires, constatant qu’« à mesure que les écarts se réduisent, les différences se creusent » (1993 : 275 ; cf. également B esnArd & d es plAnques 1986 : 52-64, d eBus 1996 : 1733 sqq., l eguy 2012 : 77 sqq.). Cette polarisation a pour effet que les prénoms socioculturellement marqués peuvent toujours être employés pour désigner des groupes de personnes auxquels ils sont associés. Parmi les prénoms socialement marqués, nous relevons tout d’abord les prénoms composés 535 Marie-Charlotte et Marie-Chantal qui renvoient à un certain élitisme social et sont employés de ce fait pour désigner des femmes snobs : 25.900 unterschiedliche männliche Vornamen, zugrunde, die mitunter in zahlreichen Schreibvarianten vergeben werden. Die zehn Spitzenreiter machten im zurückliegenden Jahr 15,4 % aller Vergaben aus, die Top-30 30,6 %, die Top-100 53,2 % und die Top-200 65 %. Etwas mehr als zwei Drittel (67,2 %) der Vornamen wurden nur einmal vergeben, fast ein Drittel entsprechend mehrmals. Bei den Mädchen wurde ein Vorname im Schnitt 14 Mal, bei den Jungen 15 Mal vergeben. » (K untzsch 2013 : 108). 534 Nous avons calculé ces pourcentages sur la base des données fournies par l’INSEE (www. insee.fr/ …/ ; page consultée le 13. 6. 2016). 535 Pour plus d’informations sur l’évolution des prénoms composés, nous renvoyons à B es nArd & d esplAnques (1986 : 26, 44 sq.), m itterAuer (1993 : 397-401), s eiBicKe (1996a : 1177, 2008 : 147 sq.) et W ilson (1998 : 215 sq.). Il est intéressant de constater qu’en Allemagne, 244 4. L’évolution de l’appellativisation du prénom-: pistes de réflexion (109) Attention : une Marie-Charlotte sait rester discrète et se cache sous des prénoms tels que Hélène-Caroline, Armelle-Hyppolite [sic] ou plus sobrement Charline, Marine, Pauline, Clitorine mais jamais Christine, Janine ni Catherine, vous l’aurez deviné. […] Souvent en école de commerce, à Science Po. ou en faculté de Droit, la Marie-Charlotte est la progéniture d’un couple de faux bobos exilés à la campagne. (putaindereims. wordpress.com/ …/ ; 26. 3. 2015) (110) À mon sens, des Marie-Chantal il y en a partout et dans tous les milieux. Le snobisme est plutôt, comme on dit au théâtre, une erreur d’emploi. (Halimi, 36 écrivains … et leurs 4 vérités , 1969 ; GB ) Marie-Chantal a par ailleurs donné lieu à la formation d’un dérivé désignant le comportement d’une grande bourgeoise qui est coupée des réalités sociales, économiques et culturelles de son pays : (111) Christine Lagarde […] vient de récidiver dans la marie-chantalerie en proposant aux Français, « pour lutter contre la hausse du pétrole, d’oublier leurs véhicules au profit de leurs deux jambes ou de leurs deuxroues ». ( Marianne 10-16. 11. 2007) Un autre exemple est jean-jacques , associé à une certaine idée du conformisme et servant à désigner actuellement un individu trop lisse, pas assez ‘cool’ dans les cours de récréation : (112) Désolé de parler ici comme je parle avec mes potes, t vraiment trop un jean jacques toi mdr … (www.gogamelive.com/ …/ ; 6. 5. 2015) Viennent ensuite les prénoms associés aux couches populaires dont le meilleur représentant est sans conteste Kevin / Kévin , très apprécié depuis les années 1980 536 , qui a pris entre-temps le sens de ‘sot, niais’ ou d’‘adolescent puéril’ 537 : (113) Besondere Merkmale: Ist halt ein Kevin . Fährt in den Ferien immer zu seinen Großeltern nach Neubrandenburg. (Mockridge, Mathe ist ein Arschloch: Wie (m)ich die Schule fertigmachte , 2014 ; GB ) ce type de prénoms est de plus en plus apprécié des couches populaires (cf. u tech 2011 : 121-130, 260 sq.). 536 En France, il atteint la tête du palmarès des prénoms masculins en 1989 (cf. B esnArd 2008 : 224), place qu’il conservera jusqu’en 1994. En Allemagne, il est en tête des prénoms masculins en 1991 (www.beliebte-vornamen.de). 537 Une étude menée en 2009 a révélé que pour les instituteurs allemands, ce prénom serait souvent synonyme d’élève désinvolte (« Ungerechte Grundschullehrer: ‘Kevin ist kein Name, sondern eine Diagnose’ » in : Der Spiegel , 16. 9. 2009 ; cf. également p ogArell 2013). Ce préjugé est également répandu parmi les enseignants en France, comme nous l’ont indiqué plusieurs collègues du secondaire. 4.3. Tendances actuelles 245 (114) Ist halt etwas neudeutsches … keine Ahnung wie man das erklären soll. „Du bist ein richtiger Kevin“ bedeutet halt sowas wie „du bist total bescheuert“. (forum.pcgames.de/ …/ ; 6. 6. 2016) (115) Reste que c’est un Kevin, lança Myriam. On fut frappé par cette évidence. Tout devenait limpide, il n’y avait pas à discuter […]. Le syndrome du nez au milieu du visage qu’on finit par ne plus voir, probablement. - Absolument, c’est un Kevin ! s’acharna Myriam. Un Kevin dans toute sa splendeur. (Gran, La revanche , 2015 ; GB ) (116) Il faut s’enregistrer et se connecter (ça se passe en bas à gauche) … et fais pas ton Kevin avec tes com’s [commentaires ; VB ] (www.205rallye. net/ …/ ; 16. 10. 2014) Si la popularité de ce prénom trouve indubitablement sa source dans les médias de masse, il est plus délicat d’en déterminer l’origine précise (cf. B esnArd & d esplAnques 1986 : 81). Selon s eiBicKe (2008 : 152), cette popularité résulterait de l’influence de personnalités, dont le footballeur Kevin Keegan dans les années 1970, l’acteur américain Kevin Costner et le joueur de tennis Marc-Kevin Göllner, et de celle des comédies familiales à succès réalisées par Columbus, Kevin - Allein zu Haus et Kevin - Allein in New York 538 (1990 / 1992). D’autres prénoms, renvoyant à l’appartenance ethnique ou religieuse, sont employés péjorativement pour désigner des personnes, et plus particulièrement les migrants : en allemand, c’est le cas de Hakan , Mehmet 539 ou Murat pour les Turcs (117-120) et en français, de Khaled , Moham(m)ed 540 , Mouloud , etc. pour les Maghrébins, Fatma 541 pour les Maghrébines, ou encore Mamadou pour les Africains de couleur noire (121-125). Ces désignations, plus ou moins lexicalisées, véhiculent fréquemment une xénophobie à peine voilée sinon pleinement assumée dans certains forums : 538 En français, Maman, j’ai raté l’avion et Maman, j’ai encore raté l’avion (titres originaux : Home Alone et Home Alone 2: Lost in New York ). 539 L’« affaire Mehmet », du surnom d’un jeune récidiviste expulsé vers la Turquie en 2001, a sans doute contribué à renforcer les préjugés liés à ce prénom populaire chez les Turcs. 540 Pour plus d’informations sur la fréquence de ce prénom en Europe, nous renvoyons au chapitre « Europaname Mohammed » chez m itterAuer (2011 : 219 sqq.). En Allemagne, Mohammed est le prénom masculin d’origine arabe le plus fréquemment attribué en 2015, le second est Ali (cf. r üdeBusch 2016 : 116). 541 Comme nous l’avons mentionné plus haut (p. 145), le prénom a désigné, dès le début du XX e siècle, une femme arabe, généralement domestique, dans les pays du Maghreb : « La fatma, elle me fait signe de venir, de monter dans son gourbi. Je ne peux pas refuser, l’autre garde mes trucs … Elle me prend la main, la moukère, elle me la retourne, elle me regarde dedans, les paumes … de tout près, avec la lampe. » (Céline, Mort à crédit , 1936 ; TLFi). 246 4. L’évolution de l’appellativisation du prénom-: pistes de réflexion (117) Es gibt viele Deutsche, die lassen sich ein bisschen beeinflussen von so halbstarken Türken, […] sechzehnjährige, die dann so n bisschen rum - so Hakans so - ich weiß nicht, es liegt wahrscheinlich an der Pubertät. (Yanar, Made in Germany , 2008 ; Kabarett, RTL ) (118) Also warum sparst du dir nicht den Ärger mit den Murats? Imperien halten sich so lange, bis sie zu kommerziellen Unternehmen werden. (politikforen.net/ …/ ; 24. 5. 2016) (119) Wer also meint, die Mehmets in München oder Berlin wären durch schöne Reisen oder gutes Zureden integrierbar, möge mich eines besseren belehren. (www.planet3dnow.de/ …/ ; 24. 5. 2016) (120) Der Ali hat Kohle, der Hassan hat Drogen, wir Deutschen zahlen und werden betrogen. (www.n-tv.de/ …/ ; 2. 1. 2015) (121) Est-ce que les touristes vont en égypte pour voir des mohameds arriérés? (fr.answers.yahoo.com/ …/ ; 6. 1. 2013) (122) Quand comprendront-ils que des Khaled on en ramasse à la pelle, que maintenant il y a nécessité impérieuse de créer notre état souverain si nous ne voulons pas disparaître, submergé par la peste arabo islamiste (www.kabyle.com/ …/ ; 24. 5. 2016) (123) Si je peux émettre un avis mesuré, je pense que parmi ces Moulouds venus du continent, certains d’entre eux ne reverront pas la métropole. (francaisdefrance.wordpress.com/ …/ ; 30. 5. 2016) (124) Il y en a marre de voir ces xxxxxxxxx, et ces mamadous nous la mettre bien profonde en touchant ASSEDIC , travail au noir +vols (www.lorgane. com ; 24. 5. 2016) (125) Dans ma mairie, y’a des fatmas et des youyous Des foulards, des babouches et des boubous Des voyous, des Zoubidas, des Mamadous Au secours, on n’est plus chez nous ! Dans ma mairie, y’a des fatmas et des youyous Des foulards, des babouches et des boubous Des voyous, des Zoubidas, des Mamadous Au secours, on n’est plus chez nous ! (www.streetmelody.com/ …/ ; 24. 5. 2016) La facilité avec laquelle ces prénoms se prêtent aux emplois de ce type tient à la stigmatisation sociale de leurs porteurs, comme le note fort justement s eiBicKe (2008) : Du point de vue sociolinguistique, il est intéressant de remarquer que les Allemands ne donnent que rarement à leurs enfants les prénoms des travailleurs immigrés, notamment ceux des Turcs, des Grecs, des Albanais ou des Yougoslaves. De toute 4.3. Tendances actuelles 247 évidence, le fait d’être en contact avec ces populations ne suffit pas pour les inciter à en emprunter les prénoms. L’étrangeté ressentie face à leur langue et surtout à leurs modes de vie, le peu de considération sociale qu’on leur témoigne à tort font que leurs noms sont pour ainsi dire tabous (stigmatisés). 542 542 Traduit par nos soins, texte original : « Soziolinguistisch interessant ist die Beobachtung, dass Vornamen von Gastarbeitern, vor allem von Türken, Griechen, Albanern oder Jugoslawen, nur selten für Kinder deutscher Eltern gewählt werden. Unmittelbarer Kontakt allein reicht offenbar nicht aus, um zur Namenanleihe anzureizen. Die sprachliche und vor allem die soziale „Fremdheit“ dieser Menschen, ihr geringes gesellschaftliches Ansehen - obwohl ungerechtfertigt - bewirken, dass ihre Namen gleichsam tabu (stigmatisiert) sind. » (s eiBicKe 2008 : 112). 248 Conclusion Conclusion Plutôt que de résumer les résultats de notre travail, nous reviendrons sur trois aspects transversaux qui permettent d’appréhender, sous différents angles, le changement linguistique, à savoir (1) le changement de catégorie (en l’occurrence, celui du nom propre au nom commun), (2) les répercussions du phénomène étudié sur le système de la langue et (3) l’intérêt que revêt l’approche contrastive pour l’étude de l’évolution du lexique. Les éléments de réflexion que nous livrons demandent bien entendu à être discutés, approfondis et complétés à la lumière d’études ultérieures sur le passage du nom propre au nom commun. (1) Les catégories de nom propre et de nom commun Nous avons dès le début abordé notre objet d’étude comme un domaine permettant d’étudier sous un angle privilégié certaines questions relatives au passage du nom propre au nom commun (p. 2). Nous retiendrons ainsi que certaines observations sont généralisables à la catégorie du nom propre dans son ensemble : • lors de l’appellativisation, le nom propre se voit attribuer une signification lexicale qui diffère de la signification du ou des éléments dont il est issu. En effet, comme le souligne h ArWeg (1997), l’appellativisation n’est pas ‘un retour en arrière, mais un processus dirigé vers l’avant’ 543 , susceptible de donner lieu à de nouveaux mots et expressions. • le déonomastique peut résulter de l’emploi métaphorique ou métonymique du nom d’un porteur identifié (ou, plus largement, d’un ‘référent identifié’), d’aspects formels qui témoignent de la dimension ludique de l’appellativisation, ou encore de la popularité d’un nom propre. Si l’approche tropologique ne permet pas toujours de montrer de manière suffisamment claire le caractère progressif (non binaire) du passage du nom propre au nom commun, certains emplois anciens de prénoms populaires, notamment comme ‘noms jokers’ ou moyens de création de personnages types au théâtre, révèlent l’existence d’étapes intermédiaires entre les deux catégories, le nom propre pouvant avoir perdu sa fonction référentielle sans pour autant avoir pleinement acquis le statut de nom commun. Ces ‘entre-deux’ justifient à nos yeux de concevoir le nom propre et le nom commun comme les deux extrémités 543 Traduit par nos soins, texte original : « sie [die Entproprialisierung ; VB] ist kein rückwärts, sondern ein vorwärts gerichteter Vorgang » (h ArWeg 1997 : 71 sq.). Conclusion 249 d’un continuum et de définir le déonomastique de manière prototypique, cette approche permettant de rendre compte de la complexité du phénomène. • c’est par son ancrage socioculturel et historique que le nom propre acquiert des potentialités signifiantes partagées (connaissances sur le ou les porteurs et associations) qui lui permettront d’accéder à ce que m üller (1929) appelle son ‘existence seconde’ (« sekundäres Dasein » ; cf. 1929 : 1). Il s’agit là d’un aspect central pour comprendre la manière dont les facteurs extralinguistiques peuvent influencer le passage du nom propre au nom commun et ainsi, l’évolution du lexique d’une langue. (2) L’impact de l’objet d’étude sur le système de la langue L’appellativisation constitue tout d’abord une importante source d’enrichissement lexical dans les deux langues. En témoignent l’ensemble des items analysés dans notre travail et plus encore, la profusion des déonomastiques dialectaux dont nous n’avons pu donner ici qu’un bref aperçu. Cet enrichissement profite non seulement à la catégorie du nom (commun), mais aussi, par voie de dérivation, à celle des adjectifs et des verbes, sans oublier, à un degré moindre, les interjections. Le phénomène touche également aux « limites du lexique » (r ey 1977 : 183), « supérieures » lorsque le nom propre fonctionne comme composante de locutions, ou « inférieures » quand il atteint un degré de grammaticalisation tel qu’il s’apparente à un suffixoïde (par ex. -fritze ou -heini ), voire à un suffixe à part entière (- jan ou - ian dans Dummerjan / Dummrian , Schluderjan / Schludrian , etc.). À ce stade, son origine propriale n’est plus perceptible, ce qui est également le cas des déonomastiques issus de prénoms aujourd’hui désuets, tels que Metze et catin . On constate que si cet enrichissement avait traditionnellement pour origine le diatopique, il provient aujourd’hui essentiellement du diastratique, suivant en cela l’évolution générale du lexique (cf. p olenz 1991 : 84 sq.). L’attribution d’une signification lexicale au prénom affecte ensuite les relations sémantiques au sein du système, l’effet le plus immédiat et le plus évident étant l’homonymie avec le prénom. Contrairement aux cas d’homonymie résultant d’une évolution phonétique accidentelle, elle est, dans le domaine de l’appellativisation, inhérente au phénomène et se produit de manière consciente : c’est d’elle en effet que résulte la valeur communicative ‘ajoutée’ qui motive la création du déonomastique et en favorise la diffusion. L’appellativisation est également une source importante de (quasi-)synonymie tant il est vrai que les déonomastiques de prénoms visent moins à combler des lacunes dénominatives qu’à satisfaire des besoins communicatifs comme l’euphémisme ou la désignation péjorative de personnes. 250 Conclusion (3) L’intérêt de l’approche contrastive pour l’étude de l’évolution du lexique En introduction, nous avions émis l’hypothèse qu’en étudiant dans une perspective contrastive les déonomastiques de prénoms dans une langue germanique et une langue romane, nous serions en mesure de mieux appréhender quelles évolutions lexicales sont attribuables aux faits systémiques et lesquelles sont liées aux facteurs socioculturels (p. 2). Au terme de ce travail, il apparaît que les convergences entre les deux langues sont nettement plus nombreuses que les divergences. Les similitudes les plus frappantes concernent • le stock des prénoms : les nombreuses équivalences constatées ( Hans / Jean , Ludwig / Louis , Grete / Margot ) s’expliquent par les références communes au fonds culturel européen que sont les personnages bibliques et les saints, les grands souverains ou les personnages littéraires. Le nombre des emprunts entre les deux langues témoigne également de l’intensité et de la permanence des échanges culturels ; • les classes sémantiques : les locuteurs ont recours dans les deux langues aux déonomastiques de prénoms pour satisfaire des besoins communicatifs similaires dans les mêmes domaines, par exemple l’euphémisme dans le cas des tabous liés à la superstition ou à la pudeur ; • l’évolution générale du phénomène, fortement influencée par l’histoire des mentalités et par les pratiques d’attribution du prénom, largement similaires dans les deux aires linguistiques. Ces similitudes témoignent de l’impact considérable des facteurs socioculturels sur le passage du prénom au nom commun. Les différences d’ordre systémique, telles que la substituabilité de certains prénoms dans les composés en allemand ( Heulliese - Heulsuse ) ou l’emploi adjectival prédicatif de déonomastiques en français ( être catin ), sont peu nombreuses et ne touchent qu’à des phénomènes en marge, liés à l’emploi plutôt qu’à l’émergence des déonomastiques et à la productivité du phénomène. En outre, elles révèlent l’existence de normes langagières (et de ce fait, également sociales) communes aux deux aires linguistiques. Ces normes sont perceptibles tant au niveau des pratiques d’attribution du prénom qui, comme nous l’avons vu, ont eu une influence directe sur l’évolution de l’appellativisation, qu’au niveau de son emploi : si le recours au prénom, et en particulier aux formes diminutives, était de mise (et le reste dans certains milieux) pour s’adresser aux domestiques ou aux prostituées, il ne saurait désigner métonymiquement les inventions de savants, connus par leur patronyme plutôt que par leur prénom. Conclusion 251 Enfin, notre étude de l’évolution du phénomène met en évidence l’importance centrale de l’interaction entre l’histoire de la langue et l’histoire culturelle. Les déonomastiques anciens reflètent plusieurs aspects de l’organisation de la société traditionnelle : la vénération des saints, l’importance de certains corps de métiers (paysans, domestiques, etc.), les clivages entre groupes sociaux, les relations entre communautés voisines, ou encore les représentations et rôles traditionnels de l’homme et de la femme, comme le montre la désignation de l’appartenance géographique ou ethnique par des prénoms masculins, la femme étant perçue comme davantage liée à son mari qu’à un groupe social, alors que les prénoms féminins servaient majoritairement à dénoncer les comportements jugés immoraux 544 . Enfin, certains items, telles que les désignations euphémiques du diable, des farfadets et les personnifications de la mort, nous renseignent sur les univers de croyances. Les changements socioculturels affectant les pratiques de prénomination ont eu pour conséquence la diversification du stock de prénoms à partir du XIX e siècle, ce qui a conduit à une baisse de la productivité du phénomène, notamment pour les désignations de personnes lambda, intervenant dans la formation de composés en série. Des items récents tels que Kevin , Hakan et Moham(m)ed montrent toutefois que les déonomastiques de prénoms sont, hier comme aujourd’hui, des indices précieux de préjugés issus de et portant sur l’altérité, révélant par là même l’existence de ‘ stéréotypes communs à des cultures proches’ (f ritz 1998) 545 . Au regard de ces trois aspects, nous considérons que l’appellativisation du prénom est à maints égards représentative de la manière dont évolue le lexique du substandard. Si l’interaction entre individuel et collectif d’une part, linguistique et extralinguistique de l’autre, est inhérente à toute évolution lexicale, elle se manifeste plus particulièrement dans ce cas par l’unicité référentielle du nom propre, sa dimension socioculturelle et la richesse connotative des déonomastiques. Empreintes linguistiques de pratiques et représentations culturelles partagées, les connotations résultent en effet de l’interaction de tous ces facteurs. Par ailleurs, nous avons vu que c’est la recherche de l’expressivité via la créativité et les connotations qui motive dans la plupart des cas l’appellativisation du prénom. Cette recherche entraîne un renouvellement rapide du lexique, 544 Comme le souligne le groupe de reggae Tryo dans l’une de ses chansons, ce type de représentations sexistes a la vie dure : « Un homme qui aime les femmes, on appelle ça un don juan, une femme qui aime les hommes on appelle ça comment ? » (Tryo, Un homme qui aime les femmes , 1998). 545 Traduit par nos soins, texte original : « [Dabei deutet auch der Verweis auf Parallelentwicklungen in verschiedenen europäischen Sprachen weniger auf Universalität hin als auf] die Gemeinsamkeit von Stereotypen in verwandten Kulturen. » (f ritz 1998 : 871). 252 Conclusion notamment lorsque les besoins communicatifs changent, rendant inopérantes certaines connotations, ou qu’en raison d’une fréquence d’emploi excessive, l’expressivité du déonomastique s’estompe. Comme le montrent les nombreuses désignations de sots et de ‘filles de mauvaise vie’, ce renouvellement est particulièrement soutenu dans les domaines où les locuteurs souhaitent se démarquer socialement et / ou se mettre en scène en dénigrant l’autre par le recours à des prénoms qui sont associés au groupe auquel il appartient ou est censé appartenir. La pratique du dénigrement de l’autre, visant à marquer son appartenance à tel ou tel groupe et de la sorte, son identité, apparaît comme un facteur particulièrement efficace (et pérenne) du renouvellement lexical dans les registres du substandard. Les connotations constituent ainsi un point de départ prometteur dès lors qu’on souhaite étudier l’évolution du substandard et par là même, celle du lexique en général. Bibliographie Dictionnaires et lexiques (utilisés lors de la collecte des données) A cAdémie frAnçAise , 1694 1 , 1762 4 , 1798 5 , 1835 6 , 1932-35 8 . Dictionnaire de l’Académie française . 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Il fait d’abord le point sur l’état de la recherche relative aux déonomastiques en allemand et en français, sur la notion de « prototype du déonomastique de prénom » et sur les aspects sémantiques propres à ce type de mots. L’auteur dégage ensuite les principaux facteurs linguistiques et extralinguistiques qui ont pu favoriser l’émergence d’une signification lexicale, avant de classer les items collectés de manière à faire apparaître deux caractéristiques particulièrement nettes de ces déonomastiques, à savoir la forte polysémie et la tendance à la péjoration. En conclusion, le travail présente quelques réflexions à propos de l’évolution, passée et présente, de ce phénomène linguistique bien particulier qu’est l’appellativisation du prénom dans les deux langues. 565 Balnat L’appellativisation du prénom L’appellativisation du prénom Étude contrastive allemand-français Vincent Balnat