Oeuvres et Critiques
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0338-1900
2941-0851
Narr Verlag Tübingen
10.2357/OeC-2018-0001
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Présentation : Colette Fellous, harraga de l’appartenance
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Samia Kassab-Charfi
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Œuvres & Critiques, XLIII, 1 (2018) DOI 10.2357/ OeC-2018-0001 Présentation : Colette Fellous, harraga de l’appartenance Samia Kassab-Charfi Université de Tunis Dans Plein été (2007), consolidant une poétique très singulière, l’écrivaine juive tunisienne Colette Fellous évoque «- ce dépaysement qui seul la rapatrie- »� Par ces termes, elle pose au cœur de sa conception de l’appartenance la nécessité paradoxale de l’esquive et du Détour, déplaçant le traditionnel positionnement par rapport aux littératures de l’exil et complexifiant la relation qui l’unit à son pays natal, la Tunisie� En instaurant cette hygiène du dépaysement, l’auteure s’affranchit des servitudes de l’origine� Elle se projette dans un hors-champ transfrontalier qui, cependant, n’évacue jamais la palpitante présence du local et sa propagation dans un global approfondissant la perspective géolocalisante� À la faveur d’une refondation de l’univers familier, évoqué en lui-même mais aussi dans l’épreuve de la confrontation aux déplacements et aux exils, l’écrivaine renégocie un style nouveau de diaspora, rejoignant en un sens ces Harraga qui mettent les «-pays en désordre-» et nous obligent à recomposer les tracés du monde� Dans cette poétique, les figures du détour peuvent emprunter des formes très variées-: depuis celle du tressage des lieux, si bien représenté par l’image du metrouz (point de croix) dont parlait le marocain Haïm Zafrani 1 , jusqu’aux «-géographies insolentes-», en passant par les villes «-qui se déplacent-», les «- paysages superposés- », ou encore les voix d’auteurs qui affleurent sous son écriture� Voix et «-images-mondes-» témoignant d’équilibres anciens-- souvenirs, bribes de chansons, formules picturales et photographiques où se cristallise la mémoire-… 1 El Maleh, Edmond Amran� «-L’Écriture impossible-», in Jean Genet-: le captif amoureux, et autres essais, Casablanca-Grenoble, Toubkal, La Pensée sauvage, 1988, p� 118� Cité dans Fili-Tullon, Touriya� Figures de la subversion dans les littératures francophone et d’expression arabe au Maghreb et au Proche-Orient, des années 1970 à 2000 (R. Boudjedra, A. Cossery, E. A. El Maleh, É. Habibi et P. Smaïl), Thèse de Doctorat, Université de la Sorbonne Nouvelle-- Paris III (dir� Dominique Combe), p� 177 (note 514)� 4 Œuvres & Critiques, XLIII, 1 (2018) DOI 10.2357/ OeC-2018-0001 Samia Kassab-Charfi Et parce qu’«-écrire n’a rien à voir avec signifier mais avec arpenter, cartographier- » (Deleuze), les contributeurs de ce volume consacré à Colette Fellous ont voulu changer le sens de la visite� Ils se sont engagés non pas dans une exploration strictement planifiée, mais vers une libre incursion dans le labyrinthe ouvert de cette œuvre-harraga qui, depuis près de trente ans, compose avec «- vingt siècles sous la peau- », «- une flopée de langues clandestines-» et des «-grammaires bigarrées-» (Aujourd’hui)� Dans cet esprit, le numéro a été conçu en une double articulation� Un premier volet est constitué d’hommages directement ou indirectement rendus à Colette Fellous par d’autres écrivains de l’aire géoculturelle méditerranéenne, hommages prenant appui en particulier sur les résonances que l’écriture et le clavier émotionnel de la romancière permettent d’entretenir dans l’entre-deux des poétiques� Aussi le lecteur pourra-t-il découvrir en ouverture la parole ardente d’Hubert Haddad, qui dit la quête du bonheur perdu par l’écriture, saisissant au passage ce qu’est la Tunisie pour Colette Fellous, une Tunisie qui «-la tient au corps comme le corps tient à l’âme ; vraisemblablement plus qu’aucune terre promise-»� En témoignant des affinités communes, en pointant les lieux et les émotions en partage, un autre écrivain d’origine tunisienne, René de Ceccatty, déploie un nuancier saisissant-: celui des teintes plus ou moins vivaces, plus ou moins troublantes du souvenir, dans ses formes réticulaires et associatives� Boualem Sansal quant à lui part directement de l’image du harraga, mais il la détourne pour en refonder la portée et le sens, le harraga devenant ce «- philosophe qui sait transformer des déchirements en liens-», exemplaire d’une expérience existentielle d’invention-: celle d’un espace nouveau, situé en surplomb de la tourmente, en réponse à un monde qui ne veut pas de lui-- «-Si le monde ne vient pas à toi, va vers lui, et s’il te repousse, invente-toi un monde où tu peux vivre sans lui-» ���-Enfin, l’historien Benjamin Stora choisit, lui, de replonger dans sa mémoire juive algérienne pour la mettre en écho avec l’épreuve créatrice de la romancière, suggérant ainsi ses affinités avec une écrivaine qui aura fait le même voyage que lui, du Sud vers le Nord, pour une partance toujours questionnée� Le second volet est quant à lui composé de contributions substantielles, qui explorent différents versants de la poétique de cette auteure capitale pour notre modernité «- hybride- » (Sherry Simon 2 ) et pour ce «- Maghreb transnational-» que dessine E� Tamalet-Talbayev 3 � Dans «-“L’origine comme un secret”-»-: Plein été de Colette Fellous (autoportrait en absence)-», Edwige 2 Simon, Sherry� «-Hybridités culturelles, hybridités textuelles-», in François Laplantine et al� (dirs�), Récit et connaissance� Lyon, Presses de l’Université de Lyon, 1998� 3 Tamalet-Talbayev, Edwige� The Transcontinental Maghreb� Francophone Literature across the Mediterranean� New York, Fordham University Press, 2017� 5 Œuvres & Critiques, XLIII, 1 (2018) Présentation : Colette Fellous, harraga de l’appartenance Tamalet Talbayev (Tulane University) déconstruit la structure en autoportrait du roman de C� Fellous, pour en analyser la «-résonance post-traumatique-», replaçant au centre de cette poétique la régulière résurgence mémorielle d’un événement dramatique� L’interrogation des substrats et adjuvants d’une fiction qui cherche à outrepasser les limites étroites du texte écrit est menée par Faten Ben Ali (Université de Tunis), dont la contribution vise à identifier l’impact des images que la romancière choisit d’insérer à l’intérieur de ses récits et romans et leur rôle dans la construction d’une forme d’autobiographie visuelle ou d’album alliant le verbal au non-verbal, en vue de produire la formule d’un appariement inédit� Mary Gallagher (Dublin University), pour sa part, apporte un appoint crucial à ces regards critiques dans «- Colette Fellous, harraga de l’ordre monolingue- : tisser le pays "sans nom" dans Avenue de France -»� Son ambition, largement atteinte, est d’élucider la manière dont l’écrivaine contourne en le brisant le mythe d’une langue unique, d’un absolu langagier� Elle montre comment cette démythification participe d’un projet de retour au pays, mais de retour détourné, en quelque sorte� De fait, l’écriture travaille à sonder la multiplicité des parlers et des modes d’expression, à faire advenir à la surface du texte les irradiations interstitielles des langues disparues, comme si Colette Fellous cherchait fébrilement à faire confluer l’infinie variété des possibles énonciatifs� Mais si la langue n’est pas la moindre des préoccupations esthétiques de Colette Fellous, l’affinité élective qui la lie à certains philosophes et auteurs n’est pas en reste-: c’est ce que s’est proposé Myriam Zahmoul (Université de Tunis) en ménageant une entrée intertextuelle à l’œuvre de notre auteure� «- Quand Colette Fellous rencontre Roland Barthes- », le lecteur n’est pas déçu-: le raccordement des deux poétiques produit un lieu fécond où les ferments intellectuels et une certaine philosophie de la rencontre aménagent un site réticulaire étonnant� La teneur du tissu intertextuel est encore évaluée par Medrar Sallem (Université de Tunis) qui, dans «- Écrire au lieu du peintre-: Poétique de la parenthèse picturale chez Colette Fellous-», propose une lecture concevant l’image insérée à l’intérieur des récits comme une parenthèse qui amplifie la portée esthétique de cette œuvre qu’il n’est plus possible de traiter comme un récit linéaire, mais comme une trame polyphonique et intersémiotique� Enfin, la contribution de Samia Kassab-Charfi, «- Dispersion, disparition, appartenance chimérique� Colette Fellous et la poétique de Pièces détachées- », tente d’évaluer le travail proprement orphique de l’écriture chez cette auteure majeure de notre contemporanéité, laquelle s’efforce, en retours litaniques et par le truchement de la résonance multilingue dont est porteur cet extraordinaire relais qu’est la mémoire, de dépasser la topique conventionnelle de l’exil pour ouvrir sur une dimension fluide, pendulaire, de l’identité� DOI 10.2357/ OeC-2018-0001
