Oeuvres et Critiques
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0338-1900
2941-0851
Narr Verlag Tübingen
10.2357/OeC-2018-0012
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2018
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Edwige Keller-Rahbé (dir.) avec la collaboration d’Henriette Pommier et Daniel Régnier-Roux : Privilèges de librairie en France et en Europe. XVIe-XVIIe siècles. Paris, Classiques Garnier (Études et essais sur la Renaissance), 2017. 539 p.
1201
2018
Miriam Speyer
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Œuvres & Critiques, XLIII, 1 (2018) Comptes rendus Edwige Keller-Rahbé (dir�) avec la collaboration d’Henriette Pommier et Daniel Régnier-Roux-: Privilèges de librairie en France et en Europe. XVIe-XVIIe siècles� Paris, Classiques Garnier (Études et essais sur la Renaissance), 2017�-539-p� Le volume dirigé par Edwige Keller-Rahbé, qui réunit des études littéraires, historiques et juridiques, invite à considérer le privilège de librairie comme une composante à part entière dans la production et la diffusion d’œuvres littéraires et iconographiques� Privilèges de librairie en France et en Europe présente ainsi un éventail important d’études pluridisciplinaires qui s’inscrivent dans la continuité du renouveau critique que connaît le privilège de librairie depuis les années 2000� L’ouvrage est composé en deux volets- : un ensemble d’études consacrées au fonctionnement du privilège de librairie dans divers états européens offre une précieuse mise en perspective des pratiques françaises, qui sont abordées dans la première partie du volume� Apparaissent ainsi des similitudes importantes par delà les frontières des royaumes� Les études soulignent en effet unanimement que la censure, le droit d’auteur et le privilège, s’ils peuvent avoir partie liée, ne se confondent pas� Loin d’être un droit, le privilège, qui obéit à une logique commerciale, est une grâce accordée par le pouvoir civil� Aussi les motifs invoqués dans les demandes sont-ils semblables dans l’Europe entière-: le requérant demande la récompense d’un travail fourni, l’impression, qui, de plus, se veut au service du bien public, et la possibilité d’en tirer une rétribution afin de couvrir les dépenses� Le privilège de librairie en l’Europe des xvi e et xvii e siècles constitue dès lors le vecteur d’une politique économique et culturelle plus ou moins prononcée d’un État à l’autre� Les problèmes liés à la concurrence entre les libraires ou à la diffusion à grande échelle de textes étant absents à l’ère du manuscrit, la réglementation de la production et de la publication des livres soulève, suite à l’invention de l’imprimerie, des interrogations inédites dont plusieurs études retracent les étapes� Les incertitudes et confusions que suscite le privilège de libraire sont au cœur de l’étude lexicographique qui ouvre le volume� D’abord considéré comme l’application au contexte de l’imprimé du régime des privilèges en DOI 10.2357/ OeC-2018-0012 112 Œuvres & Critiques, XLIII, 1 (2018) général, le privilège de librairie sera défini la première fois par Furetière, presque deux siècles après l’octroi du premier� Le flou définitionnel ultérieur, qui a tendance à assimiler indûment censure, droit d’auteur et privilège et dont rend compte Marthe Paquant, est ainsi révélateur de la complexité du système� Les occurrences du terme sous la plume des auteurs, s’ils prouvent l’élaboration progressive du système, révèlent aussi l’intérêt des écrivains pour une pensée de la propriété artistique émergente� En posant la question centrale des changements juridiques qu’a entraîné le passage du livre manuscrit au livre imprimé, Laurent Pfister procède à une précieuse mise au point au sujet des conditions d’octroi des privilèges� Le privilège de librairie est indépendant de la qualité du requérant et se distingue ainsi fondamentalement d’une quelconque protection de l’auteur comme créateur� La deuxième exigence fondamentale est la nouveauté- : peut recevoir le privilège seul un texte qui n’a encore jamais été imprimé� Cette condition témoigne de la persistance du compromis hérité des pratiques médiévales, compromis entre l’interdiction de monopoles en vue de la libre circulation des connaissances d’une part et la nécessité de rémunérer les professionnels du livre de l’autre� Dès lors, le système des privilèges reconnaît à l’impression, puisqu’elle contribue à la diffusion du savoir, une mission d’utilité publique� Le monopole, quoi qu’interdit a priori, joue en revanche un rôle central dans les privilèges accordés pour des périodiques du xvii e siècle, comme le montre la synthèse fondatrice sur le sujet de Jean-Dominique Mellot� Premier bénéficiaire d’un tel privilège, Théophraste Renaudot jouit ainsi d’un monopole général et perpétuel pour la Gazette� Ce choix, qui contrevient au-delà de l’interdiction des monopoles aussi au fait que seul les imprimeurs sont autorisés à imprimer des textes, est révélateur de l’«- inflexion dirigiste- » (p� 120) de la législation du livre sous Richelieu� Le périodique n’apparaît ainsi pas comme un livre, mais comme la «- chose du roi- » (p� 123)� Le fonctionnement de ces monopoles d’impression concédés par domaine illustre de manière emblématique que le privilège est bien une grâce accordée par le souverain et que le gazetier a tout intérêt à œuvrer pour le pouvoir, qui le contrôle étroitement� La rigueur du cadre règlementaire dépend toutefois de la situation politique, comme le soulignent les contributions de Marie-Claire Pioffet à propos des controverses religieuses au tournant des xvi e et xvii e siècles et Jean Leclerc pour la Fronde� Pendant ces périodes troubles, le discours pamphlétaire ou parodique va s’insinuer même dans le paratexte éditorial� Les pages de titre des pamphlets prétendent ainsi avoir été publiés dans les fiefs de la confession opposée, ce qui témoigne du fait que loin d’être des prestataires passifs, les imprimeurs-libraires sont des agents à part entière des publications� Les privilèges parodiques que présentent certaines de ces publications Comptes rendus DOI 10.2357/ OeC-2018-0012 113 Œuvres & Critiques, XLIII, 1 (2018) Comptes rendus renforcent leur dimension polémique et donnent le ton, comme le fait encore le privilège en vers burlesques qui ouvre le sixième livre de l’Énéide travestie qu’analyse Jean Leclerc� Moins convaincante est en revanche son étude des privilèges de Brébeuf, qui a tendance à surinterpréter certaines formules pourtant canoniques et qui manque de prendre en compte que les termes élogieux de la supplique peuvent avoir été composées par les auteurs eux-mêmes, comme le rappelle Nicolas Schapira, parmi d’autres acquis de la recherche sur les privilèges, dans la postface du volume� On peut aussi regretter que l’étude ne s’attarde pas sur l’influence des conditions matérielles sur la forme des privilèges alors que celles-ci sont, selon Alain Riffaud, de prime importance� Dans son étude rigoureuse et informée des imprimés de théâtre du xvii e siècle, celui-ci souligne qu’à part dans le cas de privilèges exceptionnels, la forme (in extenso ou en extrait) et la place (au début ou à la fin du livre) de la lettre patente ne dépendent pas du prestige de l’auteur, mais sont dictées par l’organisation du cahier liminaire dans lequel on cherche à éviter les pages blanches tout en économisant le plus possible de papier� À l’exemple du Festin de Pierre et de la Mort d’Agrippine, il montre encore que le contrôle des textes effectué par la Chancellerie était relativement souple� L’examen des productions joue en revanche un rôle central dans le cas des gravures� L’étude véritablement fondatrice qu’Henriette Pommier consacre aux privilèges accordés aux estampes souligne d’abord l’importance des mécanismes de contrôle pour les images liées à la propagande royale� Si le système des privilèges est semblable à celui des livres, la forme même de la création et le statut des graveurs, libres, demandent certains règlements spécifiques� Des litiges entre imprimeurs et graveurs ont ainsi amené le pouvoir à circonscrire leurs domaines de compétence respectifs� Le cas des privilèges des estampes met en évidence la proximité entre le privilège et ce que nous appelons aujourd’hui un brevet d’invention, un fait que souligne aussi Angela Nuovo pour le cas de Venise� L’obtention d’un privilège, explique Henriette Pommier, permet encore aux artistes de soigner ou de gagner en notoriété, et auprès du public, et du pouvoir� En prolongeant la réflexion sur les gravures, la contribution de Daniel Régnier-Roux met en évidence le statut particulier du livre d’architecture� Livre de luxe, présenté en grand format et richement illustré, il est particulièrement sensible aux troubles politiques� Si le nombre de privilèges d’auteur - le travail auctorial n’étant qu’une activité secondaire pour les architectes - est inférieur à la moyenne, le contenu des privilèges révèle bien une attention portée aux images qui accompagnent le texte et, dès lors, la nécessité de les protéger de la contrefaçon� Sylvie Deswarte-Rosa se consacre, quant à elle, au cas spécifique du privilège épigraphique� Reproduit dans des recueils d’inscriptions, celui-ci représente encore une autre métamorphose DOI 10.2357/ OeC-2018-0012 114 Œuvres & Critiques, XLIII, 1 (2018) du privilège de librairie, non dictée par des intentions parodiques, mais par un souci d’élégance, de prestige et de cohérence avec le contenu du livre, souci qui demande alors la traduction et la mise en forme de la lettre patente délivrée en vernaculaire� À travers le cas d’Anne Dacier, Éliane Itti interroge le rôle du privilège d’auteur� Si l’helléniste a bien vécu de sa plume, force est de constater une fois de plus l’écart qui sépare le privilège d’un droit d’auteur qui permettrait à celui-ci de tirer profit de son travail intellectuel� Cette étude informée montre en revanche que la succession des privilèges d’un auteur est une source précieuse, étant donné qu’elle dessine en filigrane les projets- (dans le cas d’Anne Dacier la traduction du théâtre antique) des stratégies éditoriales ou encore sa carrière, comme le montre l’exemple d’André, l’époux d’Anne� Les contributions sur le régime des privilèges en Europe mettent toutes en évidence l’influence de la question religieuse, accrue dans le contexte de la Réforme, sur le lien entre privilège et censure� Si celle-ci est obligatoire, souvent prise en charge par les autorités religieuses et particulièrement importante dans les états catholiques, le privilège, instrument d’une politique économique et culturelle plus ou moins prononcée, demeure, à la différence de la France, souvent facultatif� L’Espagne du xvi e siècle est un précurseur en Europe au sujet de la législation du livre-: dès 1502, tout livre imprimé doit être pourvu d’une autorisation d’impression qui inclut une censure préalable� Celle-ci s’affermit au milieu du xvi e siècle par l’ajout d’un examen a posteriori, d’abord pris en charge par l’Inquisition, puis par les pouvoirs civils� La multiplicité des démarches obligatoires et, qui plus est, propres aux divers états espagnols, est à l’origine d’une véritable «-hypertrophie de ces textes légaux-» (p� 395) (taxation, privilège, licence, …) à l’ouverture des livres� Si María Luisa López-Vidriero Abelló offre ainsi une étude riche sur l’importance de la censure en Espagne, on déplore que le privilège, obligatoire mais distinct de la censure, passe à l’arrière-plan� Une surveillance religieuse d’une importance semblable est en vigueur à Rome: l’approbation par les censeurs est obligatoire pour imprimer un livre, explique Jana C� Ginsburg� Le privilège, qui demande une démarche distincte, reste facultatif� Celui-ci, de même que dans les autres pays européens, accorde le droit d’exploitation exclusif d’un texte, interdisant toute forme de produit dérivé, dont, ce qui est propre au Vatican, la traduction en d’autres langues� C’est à ce sujet qu’apparaît le plus nettement la particularité du privilège papal- : le pape étant le souverain spirituel de tous les catholiques, son pouvoir n’est pas limité à un territoire� Quant aux sanctions en cas de violation, celles-ci sont à la fois spirituelles (excommunication) et profanes (amendes)� Le pouvoir papal favorise ainsi la production de nouvelles œuvres à l’aide de privilèges de librairie, mais garde un droit de Comptes rendus DOI 10.2357/ OeC-2018-0012 115 Comptes rendus Œuvres & Critiques, XLIII, 1 (2018) regard pour surveiller notamment la qualité de l’impression-: c’est le service rendu au fidèles qui prime� Le fonctionnement du privilège à Rome est proche de sa mise en œuvre originelle� Berceau du système des privilèges, la Venise de la fin du xv e siècle met en place ce système de monopoles pour attirer des inventeurs afin d’œuvrer pour le progrès de tous et de les protéger de la contrefaçon� Angela Nuovo remarque d’emblée que le privilège de librairie en constitue une extension� Celui-ci, mis en place dans un intérêt commercial et au service des professionnels du livre, devient le vecteur de la politique économique et culturelle de Venise, capitale de la librairie dans l’Europe renaissante� C’est dans cette logique que s’inscrit encore l’exigence d’une impression de bonne qualité qui doit se faire dans l’année qui suit la délivrance du privilège� Le contrôle des livres par des censeurs est en revanche secondaire- : il ne deviendra obligatoire qu’en 1545� République indépendante, protestante, Genève rayonne dans toute l’Europe du xvi e siècle grâce à la qualité de ses travaux d’impression explique Jean-François Gilmont� La proximité avec Lyon profite aux libraires qui, libres, effectuent sans scrupule des travaux sensibles pour leurs homologues lyonnais� Sur le marché genevois, le privilège reste facultatif, mais constitue bien un outil de pouvoir du Conseil, particulièrement au sujet des textes des Réformateurs� Chose exceptionnelle dans l’Europe de cette époque, l’obtention d’un privilège est le fruit d’une démarche réservée à l’auteur� Celui-ci en gratifie ensuite un imprimeur à qui il peut le retirer si l’impression effectuée ne correspond pas à ses attentes� L’éclairage apporté par John Feather sur les privilèges d’impression en Angleterre insiste sur la présence d’une forme d’autogestion des libraires au sein de leur guilde� Une année avant le couronnement d’Elizabeth I est fondée la Stationer’s Company pour exercer une fonction de régulation et de contrôle à l’intérieur de la profession� Par l’enregistrement nominal des détenteurs des permissions délivrés par le pouvoir royal qui conditionnent la publication, un système double de privilèges se développe-: au privilège, facultatif, délivré par la couronne s’ajoute le droit d’impression exclusif qui découle du registre de la Stationer’s� Travaillant en lien étroit avec le-pouvoir, la- Stationer’s Company verra son influence diminuer avec les troubles politiques du milieu du xvii e siècle� Le système moderne de la propriété commerciale (mais non artistique) va dès lors se mettre en place, d’abord avec la fin de la censure, en 1695, puis le copyright act de 1710� Or, le premier état à abolir la censure préalable n’est pas l’Angleterre, mais les Provinces-Unies, et ce un siècle plus tôt, comme le montre la contribution de Paul F� Hoftijzer� Le privilège, facultatif, nécessite une démarche onéreuse, liée aussi au dépôt légal qui exige, dès 1679, une édition de luxe� Du fait des frais importants qu’il implique, il est surtout demandé pour les DOI 10.2357/ OeC-2018-0012 116 Œuvres & Critiques, XLIII, 1 (2018) livres les plus rentables, ce qui est également le cas dans le Saint Empire Romain Germanique� La contribution d’Ian Maclean montre que libraires allemands s’en servent pour se protéger de la contrefaçon des textes, comme partout en Europe, mais aussi de l’objet matériel� Le livre fabriqué étant «-conçu comme un objet idéal-» (p� 411) dont dépend leur renommée, les libraires cherchent à produire des livres de bonne qualité� Un fonctionnement propre à l’Allemagne apparaît aussi à propos des pouvoirs civils qui interviennent peu en matière de librairie� La censure à proprement parler relève en effet des autorités religieuses, et dépend par conséquent de la confession dominante dans les divers états allemands� Dans le volet consacré au privilège en Europe, on peut éventuellement regretter la large place que certaines études réservent à la censure, ce qui risque d’entretenir la confusion entre ces deux procédures pourtant bien distinctes� L’ambition de l’ouvrage de proposer une synthèse sur le privilège de librairie pâtit par endroits de quelques redondances entre les contributions qui rappellent systématiquement la définition du privilège et souvent les motifs-- semblables quel que soit le pays-- invoqués par les requérants� Malgré ces petits bémols, on ne peut que se réjouir de cette précieuse synthèse pluridisciplinaire, pluriséculaire et prenant en compte une aire géographique aussi étendue que l’Europe qui rend compte de la richesse et de la complexité du privilège de librairie et de ses implications en France et dans les pays qui l’entourent� On doit notamment saluer les travaux véritablement fondateurs de Jean-Dominique Mellot sur les privilèges des périodiques et d’Henriette Pommier sur le système des privilèges appliqué aux estampes� Miriam Speyer Comptes rendus DOI 10.2357/ OeC-2018-0012
