eJournals Oeuvres et Critiques 44/1

Oeuvres et Critiques
oec
0338-1900
2941-0851
Narr Verlag Tübingen
10.2357/OeC-2019-0002
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Les récits de faits divers du XVIe siècle au miror de la fiction narrative

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Jean-Claude Arnould
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Œuvres & Critiques, XLIV, 1 (2019) DOI 10.2357/ OeC-2019-0002 Les récits de faits divers du XVI e siècle au miroir de la fiction narrative Jean-Claude Arnould Université de Rouen / CEREdl Le point de départ de ce propos est la perplexité que peut inspirer, pour le XVI e siècle, le rapprochement entre faits divers et fiction narrative- ; la conclusion à laquelle je suis parvenu est que ces récits n’ont alors que très peu à voir avec cette dernière. L’affirmation est fortement contre-intuitive-: comment ne pas identifier la relation d’une nouvelle à la forme littéraire qui porte ce nom ou bien à la catégorie narrative plus large sous laquelle, par une extension du champ sémantique de leur espèce la plus fameuse, on subsume les multiples formes du récit bref-? Assimilation séduisante, car les faits divers réalisent en partie le modèle de la nouvelle telle qu’on peut l’entendre au XVI e siècle-: la narration d’événements présumés advenus et présumés inédits, et qui doit sa valeur à sa performance, présentée comme plus ou moins oralisée, devant un public réceptif. La tentation en est d’autant plus forte que les récits de faits divers, pris dans leur ensemble, déploient comme elle un contenu imaginaire riche et varié 1 et qu’une bonne part des occasionnels conservés relatent des événements manifestement fictifs. Il est par conséquent usuel d’englober ces récits dans le vaste corpus des récits brefs et, en particulier, de les assimiler aux Histoires tragiques 2 qui se développent sous forme de collection à partir de 1559, mais dont on peut trouver des antécédents dans divers recueils antérieurs. La déconnexion des récits de faits divers d’avec les formes brèves de la fiction narrative à cette époque peut cependant se soutenir si, écartant les similitudes apparentes, on se fonde sur la réalité, c’est-à-dire leurs modes de production et de consommation respectifs. Avant de commencer, trois précautions- : si au XVI e siècle ces récits relèvent de l’édition à destination populaire, inversement celle-ci ne se réduit pas aux occasionnels qui les véhiculent et il existe un continuum entre les 1 V. l’analyse qu’en fait Jean-Pierre Seguin dans L’Information en France avant le périodique. 517 canards imprimés entre 1529 et 1631, Paris, Maisonneuve et Larose, 1964, p. 21-45. 2 Par exemple Maurice Lever, Canards sanglants. Naissance du fait divers, Paris, Fayard, 1993, p. 27-31, et Nicolas Petit, L’éphémère, l’occasionnel et le non livre à la bibliothèque Sainte-Geneviève (XV e -XVIII e siècles), Paris, Klincksieck, 1997, p. 80. 16 Jean-Claude Arnould Œuvres & Critiques, XLIV, 1 (2019) DOI 10.2357/ OeC-2019-0002 diverses formes d’une production qui va des images volantes aux placards, aux occasionnels, et aux livres 3 -; il en résulte qu’écrit à diffusion populaire ne signifie pas nécessairement brièveté 4 , même si spécifiquement pour les faits divers existe entre ces deux données un lien sur lequel il faudra revenir-; enfin, l’hétérogénéité du corpus fait que toute affirmation pourra se voir objecter tel ou tel cas, mais on voudra bien admettre qu’il relève de l’exception. Les occasionnels portant les faits divers constituent une production massive dans la période antérieure à la presse périodique. Dans un ensemble où l’on observe le «-primat du religieux- », ils sont «- les plus répandus des livres séculiers-» 5 -; Jean-Pierre Seguin en identifiait 517 entre 1529 et 1631 et l’on sait que son inventaire ne se voulait pas exhaustif. Il était possible en une journée de travail de produire sur une presse plus d’un millier d’exemplaires-; Roger Chartier avance même un chiffre allant de 1250 à 2500 6 . Et certains de ces livrets ont bénéficié d’un tirage considérable-: par exemple, pour l’histoire de la pendue miraculeusement sauvée, il a pu être de 2000 à 2500, ce qui représenterait pour ses deux éditions environ 5000 exemplaires 7 . Par comparaison, la Bible à 42 lignes a sans doute été fabriquée à moins de 500 exemplaires 8 et par la suite le tirage de la grande majorité des livres se situe, au mieux, dans la fourchette la plus basse de celui des occasionnels, se limitant même souvent à quelques centaines d’exemplaires 9 alors que le tirage de ces derniers se rapproche de celui des livres de grande consommation tels que les bréviaires 10 . Ce caractère massif de la production 3 Roger Chartier, «- Stratégies éditoriales et lectures populaires, 1530-1660- », in R. Chartier et Henri-Jean Martin, Histoire de l’édition française, t. I, Le Livre conquérant. Du Moyen Âge au milieu du XVII e siècle, Paris, Fayard, 1982, p. 707-; sur la diversité de ces pièces de toutes sortes, v. H.-J. Martin, Histoire et pouvoirs de l’écrit, Paris, Albin Michel, 1996, p. 277-281. 4 À preuve, parmi de nombreux autres, La merveilleuse hystoire de l’esperit qui depuis nagueres cest apparu au monastere des religieuses de sainct Pierre de lyon…, qui compte 112 pages (relevé par Gabriel-André Pérouse, dans Livres populaires du XVI e siècle. Répertoire sud-est de la France, sous la dir. de Guy Demerson, Paris, Editions du CNRS, 1986, p. 284-285). C’est au motif de cette longueur que J.-P. Seguin écarte certaines productions de son recensement, op. cit., p. 66. 5 R. Chartier, in Histoire de l’édition française, op. cit., p. 701. 6 R. Chartier, Histoire de la lecture dans le monde occidental, sous la dir. de Guglielmo Cavallo et Roger Chartier, Paris, Editions du Seuil, 1997, p. 350. 7 R. Chartier, «-La pendue miraculeusement sauvée. Étude d’un occasionnel-», Les Usages de l’imprimé (XV e -XIX e siècle), Paris, Fayard, 1987, p. 83-127 (ici p. 84-85). 8 H.-J. Martin, Histoire et pouvoirs de l’écrit, op. cit., p. 278. 9 V. les chiffres relevés par Lucien Febvre et Henri-Jean Martin, L’Apparition du livre, Paris, Albin Michel, 1958, p. 307-313. 10 Annie Parent, Les Métiers du livre à Paris au XVI e siècle (1535-1560), Genève, Droz, 1974, p. 138-140. 17 Les récits de faits divers du XVIe siècle au miroir de la fiction narrative Œuvres & Critiques, XLIV, 1 (2019) DOI 10.2357/ OeC-2019-0002 marque une première différence importante avec les ouvrages de fiction qui, obéissant au régime ordinaire du livre, sont imprimés à quelques centaines d’exemplaires chacun, face à un flot d’occasionnels qui, s’ils n’étaient qu’environ 500 - ce qui est loin d’être le cas - représenteraient au minimum un flux de 600- 000 exemplaires, les recueils de nouvelles atteignant à peine, peut-être, quelques milliers. Les occasionnels se présentent presque invariablement sous la forme d’un ou deux cahiers in-4 à la fin du XV e siècle, puis, dans leur majorité, à partir de 1530, sous celle d’un ou deux cahiers in-8, soit une demi-feuille ou une feuille, plus généralement un seul cahier, soit seize pages de petit format 11 . On voit aussi bien des éditeurs accidentels 12 que d’autres qui se consacrent exclusivement à diverses formes de menues productions, dont les occasionnels ne sont qu’une partie- ; mais ce sont de bons libraires de la place, à Paris comme à Lyon, qui produisent respectivement plus de la moitié et presqu’un quart des pièces conservées- ; ce peut être pour eux un moyen d’occuper une vacance de la presse entre deux livres 13 . L’imprimeur visant la plus grande rentabilité, on souligne très souvent leur médiocre qualité 14 . L’observation des exemplaires subsistants invite cependant à modérer cette affirmation souvent véhémente- ; par exemple, l’Histoire du plus espouventable et admirable cas qui ait jamais esté ouy au monde… est réalisée sur du bon papier et dans une composition soignée 15 . Il n’y aurait pas d’intérêt, pour un imprimeur reconnu, de produire un travail de mauvaise qualité, même si cette tâche n’est vouée qu’à combler un creux de son plan de charge. Il reste vrai, cependant, qu’en cette «-occasion-» les caractères utilisés ne sont pas forcément les meilleurs de l’atelier et que le 11 Il existe une certaine variété de format, décrite par R. Chartier, Histoire de l’édition française, op. cit., p. 711. Certains sont exceptionnels comme quatre cahiers et vingt-neuf pages pour Le vray discours d'une des plus grandes cruaultez qui ait esté veuë de nostre temps, avenue au Royaulme de Naples. Par une Damoiselle nommée Anne de Buringel…, Paris, Jean de Lastre, 1577. 12 Au moins un des deux de Douai pour la pendue selon R. Chartier, «- La pendue…-», art. cit., p. 84. 13 R. Chartier, in Histoire de l’édition française, op. cit., p. 711, et J.-P. Seguin, «-L’Information en France avant le périodique. 500 canards imprimés entre 1529 et 1631-», Arts et traditions populaires, 11 e Année, n° 1, janvier-mars 1963, p. 26. 14 M. Lever, op. cit., p. 11-12. V. également N. Petit, op. cit., p. 53, et Livres populaires du XVIe siècle…, op. cit., p. 18-19. Annie Parent-Charon en analyse un cas exemplaire dans «-Canards du Sud-Ouest (1560-1630)- », in Albineana, Cahiers d'Aubigné, n° 9, 1998, «-Le livre entre Loire et Garonne (1560-1630)-», p. 99-100. 15 Histoire du plus espouventable et admirable cas qui ait jamais esté ouy au monde, nouvellement advenu au Royaume de Naples…, Paris, Jean Ruelle, et Lyon, Benoist Rigaud, 1574. 18 Jean-Claude Arnould Œuvres & Critiques, XLIV, 1 (2019) DOI 10.2357/ OeC-2019-0002 soin apporté à la composition et à l’imposition pourra être moindre que pour un livre. En somme, sous les apparences d’une mini-nouvelle destinée au plus large public, les récits de faits divers sont avant tout un produit de librairie-: un spécialiste de littérature parlera, à raison de leur contenu tout autant que de leur forme, de «-genre littéraire ‘à forme fixe’-» 16 et un historien du livre, plus directement, de «-genre imprimé-» ou de «-catégorie d’imprimés-» 17 . Par leur format, par leur mode de production, par leur destination, ces livrets de grande consommation à bas prix sont des objets éditoriaux essentiellement distincts de la fiction narrative-; de ce statut de pur produit, voire de sous-produit éditorial il est possible de tirer trois conséquences qui vont marquer la frontière dont l’on peut soutenir l’existence. La première d’entre elles est la brièveté radicale du texte, et singulièrement de sa partie narrative. Pour établir une comparaison précise, seule la plus courte des Histoires tragiques de Pierre Boaistuau 18 occupe la valeur de deux cahiers in-8, et presqu’exclusivement consacrés au récit et dans une composition très dense, toutes les autres excédant largement cette taille, parfois jusqu’à une quarantaine de cahiers, alors que le premier canard criminel connu remplit un cahier et demi in-4, de plus occupé par divers bois gravés 19 , et le deuxième le même espace, mais en y incluant une épître liminaire 20 . En général, il reste quatorze pages utiles au texte, et donc beaucoup moins au récit proprement dit, si l’on retire le titre, divers éléments péritextuels variables, l’exorde et la péroraison et enfin la dernière page, le plus souvent non imprimée, voire l’avant-dernière à demi occupée. Ainsi, La sentence et execution du sieur de Chantepie… 21 , constitué de deux cahiers, ne réserve en réalité que neuf pages au récit. Et voici un autre cas, plus radical-: L’horrible et espouventable cruauté d’un jeune homme, lequel a assommé 16 G.-A. Pérouse, in Livres populaires du XVI e siècle…, op. cit., p. 245. 17 R. Chartier, «-La pendue…-», art. cit., p. 84. 18 Paris, Benoist Prevost et Gilles Robinot, 1559. 19 Histoire horrible et espoventable, d'un enfant, lequel apres avoir meurtry et estranglé son pere, en fin le pendit. Et ce advenu en la ville de Lutzelflu, païs des Suysses, en la Seigneurie de Brandis, pres la ville de Berne…, Paris, Jean de Lastre, 1574. 20 Histoire du plus espouventable et admirable cas…, cité n. 15. 21 Deux cahiers, A 1-4 et B 1-3 , mais le verso de A 1 (titre) est vierge, ainsi que ceux de B 2 (passage du récit à un sonnet) et de B 3 (fin du texte) (La sentence et execution du sieur de Chantepie, dict S. Severin rompu vif et mis sur la rouë, pour l'assassinat qu’il avoit voulu commettre en la personne du sieur Marquis d’Allegre- : par la plus subtile invention qu’on sçauroit Imaginer, Paris, Guillaume Linocier, 1587). 19 Les récits de faits divers du XVIe siècle au miroir de la fiction narrative Œuvres & Critiques, XLIV, 1 (2019) DOI 10.2357/ OeC-2019-0002 et bruslé son propre père… 22 -; dans ces deux cahiers, le texte occupe 5,5 pages, totalisant 122 lignes au total suivant cette répartition-: • faux titre 5 l. • exorde 9 l. • crime 67 l. • répression 14 l. • péroraison 27 l. Seuls deux tiers de ce texte déjà court sont donc consacrés au récit- ; la longueur du texte ne représente qu’environ vingt fois celle du titre, et le récit environ quatorze fois, la longueur des titres s’expliquant par le mode de distribution 23 et peut-être aussi par les compétences de lecture limitées des acquéreurs potentiels 24 . On voit combien ce calibrage peut réduire la capacité narrative, qui exigera, dans des réécritures plus littéraires, un notable travail d’amplification 25 . Cet argument ne prendra sa véritable portée que complété par celui qui va suivre car la notion de brièveté appliquée à la narration que l’on qualifie comme telle reste fragile et l’on trouvera un nombre important de nouvelles guère plus longues qu’un occasionnel, par exemple dans l’Heptameron, ou parfois plus courtes, comme dans les Comptes du monde adventureux ou dans les Nouvelles recreations et joyeux devis. Cependant on a pu observer la place très réduite dévolue à la narration dans les occasionnels, relevant les cas où celle-ci se réduit à une dizaine de lignes, certains même où l’espace textuel est à ce point investi par le discours édifiant qu’il est à peine possible de distinguer l’événement relaté 26 . Si l’on peut reconnaître dans tel ou tel une «-nouvelle potentielle-» 27 , cette extrême concentration diégétique fait des occasionnels des objets textuels distincts du récit de fiction du fait que 22 L’horrible et espouventable cruauté d’un jeune homme, lequel a assommé et bruslé son propre père, dans le village de Rillieu Païs de Bresses, Lyon, sn, sd, 16-? ? . 23 «-un occasionnel, c’est d’abord un titre, fait pour être crié par ceux qui le vendent dans les rues des villes…, fait aussi pour être vu à l’étal d’un libraire…-», R. Chartier, «-La pendue…-», art. cit., p. 87. 24 «-Lorsqu’on écrit pour ceux qui ne savent pas lire, le titre entre, dans le succès de l’oeuvre, pour les trois parts et demi tout au moins-», disait Gustave Brunet dans son recensement dédaigneux «-Les premiers canards ou pièces volantes populaires-», Bulletin de l’Alliance des Arts, 2 e année, n° 13, 25 décembre 1843, p. 205. 25 Etudié par Frank Greiner dans «-Des canards aux romans- : la mise en fiction du «-fait divers-» dans la littérature française des XVIe-XVIIe siècles-», Du labyrinthe à la toile / Dal labirinto alla rete, Publifarum, n° 26, Università di Genova, publié le 31/ 05/ 2016, http: / / publifarum.farum.it/ ezine_articles.php? id=383 (consulté le 15 mai 2017). 26 V. J.-P. Seguin, op. cit., p. 24. 27 Voir sur ce point les réflexions de G.-A. Pérouse, in Livres populaires du XVI e siècle…, op. cit., p. 246, 255, 293 et 301 et de R. Chartier, «- La pendue…- », art. cit., p. 94. 20 Jean-Claude Arnould Œuvres & Critiques, XLIV, 1 (2019) DOI 10.2357/ OeC-2019-0002 l’espace d’invention narrative - par exemple le développement des circonstances ou des motivations psychologiques et morales par le biais de dialogues ou de harangues, bref, tous les éléments qui favorisent l’immersion fictionnelle - s’amenuise considérablement sous la pression conjuguée de ce format invariable et des éléments extra-narratifs (liminaires éventuels, exorde, péroraison, illustrations, ornements typographiques), pression à laquelle on ajoutera l’obsession du sensationnel qui détourne le narrateur du développement des caractères. Corrélat nécessaire de la brièveté, une formalisation rigide découpant les textes de manière simpliste en trois séquences brèves- : exorde / récit / péroraison 28 . Plus que la volonté de l’auteur, c’est la contrainte éditoriale qui prime dans la conception de l’occasionnel et celle-ci peut en dicter la structure comme le montre, entre autres, le cas de la pendue miraculeusement sauvée où l’articulation entre récit et péroraison répond au changement de cahier 29 , coïncidence observable dans un nombre important de cas. Les recueils narratifs contemporains, s’ils n’échappent pas à leur condition de produits de librairie qu’ils sont aussi 30 , n’y sont pas si fortement assujettis-: dans le cas des occasionnels, le contenant détermine la longueur et parfois même la forme du contenu, alors que dans un récit de fiction prime, à l’inverse, la volonté de l’auteur dont le texte n’est pas contraint par l’espace offert par un ou deux pauvres cahiers, mais se déploie plus ou moins librement, autant qu’il lui semble nécessaire - mais, aussi, qu’il est possible en fonction de la contrainte financière. Cette inversion du rapport entre le contenant et le contenu est probablement l’une des oppositions majeures entre faits divers et récits de fiction. On peut même supposer - il est difficile d’en rapporter la preuve matérielle - que le format éditorial a contribué à abréger des textes plus librement conçus dans la forme manuscrite qui était originellement la leur. Comme le rappelle Jean-Pierre Seguin 31 , les premiers occasionnels sont en effet une transcription imprimée de lettres manuscrites, dont ils conservent souvent l’aspect-; ils vérifient ainsi le sens originel du mot «-nouvelle-», qu’affecteront ensuite des mutations plus livresques, même si certaines d’entre elles gardent trace de l’épistolarité originelle 32 . 28 V. R. Chartier, Histoire de la lecture…, op. cit., p. 349 et 351, M. Lever, op. cit., p. 21- 23, A. Parent-Charon, art. cit., p. 101. 29 V. R. Chartier, «-La pendue…-», art. cit., p. 93. 30 On pourra citer l’exemple des Nouvelles Histoires tragiques de Bénigne Poissenot (Paris, Guillaume Bichon, 1586), dont on soupçonne fortement qu’une pièce additionnelle aux récits est destinée à occuper un cahier resté vacant. 31 J.-P. Seguin, «- L’Information à la fin du XV e siècle en France- : pièces d’actualité imprimées sous le règne de Charles VIII-», 1 e partie, Arts et traditions populaires, 4 e Année, n° 4, octobre-décembre 1956, p. 318-320. 32 V. les analyses de G.-A. Pérouse, in Livres populaires du XVI e siècle…, op. cit., p. 245. 21 Les récits de faits divers du XVIe siècle au miroir de la fiction narrative Œuvres & Critiques, XLIV, 1 (2019) DOI 10.2357/ OeC-2019-0002 Ainsi, l’auteur d’un occasionnel ne dispose pas des aisances de longueur et de structure dont peut jouir, relativement, celui d’un récit de fiction, même si l’on sait qu’il doit obéir à un certain nombre de canons rhétoriques. Sur ces deux points, on opposera donc fermement à la liberté du récit de fiction la contrainte qui pèse sur le fait divers. La deuxième conséquence du mode de production des occasionnels est une spécificité que l’on n’envisage guère, sans doute parce qu’elle relève aussi pleinement de l’histoire du livre que de celle des formes narratives. La transmission des récits brefs appelle leur regroupement en recueil pour deux raisons conjuguées-: la petitesse de l’objet met en péril sa survie, ce qui invite, si celle-ci est envisagée, à le regrouper avec des semblables-; d’autre part, le potentiel technique et économique de la production imprimée se réalise bien mieux dans des textes d’une certaine longueur. La conservation des nouvelles écrites implique une forme éditoriale propre à «-recueillir-» leur fragilité afin d’assurer leur préservation physique par une reliure et d’affirmer leur valeur culturelle sous la forme d’un livre, nécessité que soulignent la pluralité et les étiquettes génériques de l’intitulation des recueils ainsi que les jeux numériques souvent pratiqués par les auteurs ou les éditeurs 33 . Cette formule présente deux avantages supplémentaires, directement liés au caractère de la nouvelle-: la réunion des récits offre la possibilité de lectures différentielles, analogiques ou comparatives et le recueil construit un cadre de communication sociale qui va de l’assemblage minimaliste jusqu’aux formes les plus complexes, telle que la cornice de tradition boccacienne. Les conditions particulières de fabrication du fait divers et l’absence d’intention de conservation autorisent au contraire sa singularité-; on ne connaît aucun cas de recueil de faits divers autre que ceux constitués a posteriori par des collectionneurs, justement afin de préserver ceux de ces objets périssables qui ont survécu. Il est facile de constater qu’il ne subsiste qu’un exemplaire, et rarement deux ou trois, d’occasionnels qui ont dû être imprimés par milliers, sans parler de tous ceux qui ont totalement disparu. Cette opposition entre grégarisme des nouvelles et solitude du fait divers en recouvre donc une autre, de portée culturelle, et qui confirme la séparation entre l’univers du livre et celui du «-non-livre-»-; les faits divers sont bien fabriqués dans des ateliers recourant aux mêmes techniques et par des imprimeurs appartenant à la même sphère économique, les occasionnels ont l’aspect matériel des autres produits de la presse, et s’attachent même à en revêtir les apparences éditoriales (titres, faux titres, mise en page, ornements typographiques)- ; mais ils n’en sont pas moins élaborés parallè- 33 Cent Nouvelles nouvelles, Heptameron, ou regroupement par six, huit ou leurs multiples pour les Histoires tragiques… 22 Jean-Claude Arnould Œuvres & Critiques, XLIV, 1 (2019) DOI 10.2357/ OeC-2019-0002 lement à eux, diffusés par des réseaux distincts (les colporteurs plutôt que les libraires), destinés à un public «-populaire-», autre que celui du livre et portés par des intentions différentes dont on retiendra la simple opposition entre l’éphémère ou l’immédiat - l’«-occasionnel-», en un mot - et le désir de pérennité qui porte le livre, opposition que tend à masquer la librisation du fait divers mais que souligne a contrario l’anonymat qui le caractérise à quelques exceptions près 34 . Le signe posthume de cette opposition est l’absence de réécriture-: s’il existe une tradition de la nouvelle, un même récit pouvant subir des métamorphoses successives sur le long temps, dans le cas des occasionnels, on ne connaît que quelques cas de réédition 35 . La dernière conséquence qu’il faut tirer de la spécificité des faits divers tient à l’intention auctoriale et à leur destination. Si le but premier de l’imprimeur est de rentabiliser ses presses, que ce soit de manière accidentelle ou qu’il se dédie pleinement à cette activité, c’est à l’usage d’un public déterminé-: un lectorat humble et peu fortuné (ces produits sont vendus à bas prix - entre 1 et 3 sols à la fin de la période 36 ), peu lettré et avide de nouvelles spectaculaires-; bref, un public «-populaire-». Sans revenir sur ce qualificatif délicat 37 ni sur la question de la culture populaire 38 , on peut s’appuyer sur la définition aussi simple que claire fournie par Roger Chartier-: ceux qui n’ap- 34 On ne voit guère qu’Antoine de Nervèze, qui avoue en 1617 l’histoire de la jeune fille de Padoue (v. n. suivante) et Guillaume de La Tayssonnière, auteur de l’Histoire du plus espouventable et admirable cas… (v. n. 15). Les tout premiers canards sont même dépourvus d’adresse (Geneviève Guilleminot-Chrétien, «- Les canards du XVI e siècle et leurs éditeurs à Paris et à Lyon-», in Rumeurs et nouvelles au temps de la Renaissance, éd. M. T. Jones-Davies, Paris, Klincksieck, 1997, p. 48-49). 35 Les deux plus remarquables sont, en France, le Discours tragique et pitoyable sur la mort d'une jeune Damoiselle âgée de dix-sept à dix-huit ans, executée dans la ville de Padouë au mois de Decembre dernier 1596 (Paris, Antoine du Brueil, 1597), fréquemment réédité, et, à l’échelle européenne, le Discours admirable des meurdres et assasinatz de nouveau commis par un nommé Cristeman Allemant, executé à mort en la ville de Berckessel, pres de Mayence en Allemagne, lequel par son proces a confessé avoir entre autres crimes tué et assassiné neuf cens soixante et quatre personnes (Jouxte la coppie, Imprimee à Mayence, 1582), étudié par Rafael Viegas-: «-Cristeman, o Terrível: um fait divers do século XVI-», Alea. Estudos Neolatinos, 16.2, 2014, p. 362-385. 36 Le 13 mars 1609 Pierre de L’Estoile achète pour un sol une «-nouvelle fadeze-»-: le Discours veritable de l’execrable cruauté commise par une femme nommée Marie Hubert à l’endroit de Nicolas Porreau son mary, l’ayant fait massacrer par son valet…, Paris, Simon de Foigny, 1609. (Mémoires-journaux, Paris, A. Lemerre, 1875, t. IX, p. 230). 37 V. les réflexions proposées par les auteurs de Livres populaires du XVIe siècle…, op. cit., p. 6-11. 38 Le panorama de son évolution a été dressé par Lise Andries, La Bibliothèque bleue. Littérature de colportage, Paris, Robert Laffont, 2003, p. 9-15. 23 Les récits de faits divers du XVIe siècle au miroir de la fiction narrative Œuvres & Critiques, XLIV, 1 (2019) DOI 10.2357/ OeC-2019-0002 partiennent à aucune des trois robes 39 . Si cette «- première des littératures ‘populaires’-» 40 n’est assurément pas exclusive et «-fait manier par les plus humbles des textes qui sont aussi la lecture des notables, petits ou moins petits…- » 41 , si c’est la notion de «- lectures partagées- » 42 qui rend le mieux compte de cette situation, elle n’en marque pas moins une césure culturelle particulièrement sensible dans les récits de faits divers. Les «-possibles lectures de leurs divers lecteurs-» 43 ou les «-divers maniements collectifs de l’imprimé-» en milieu urbain 44 suggèrent un contrat de lecture différencié 45 qui fait qu’un Pierre de L’Estoile ne les lit pas comme le quidam. Là où le lettré pourra éprouver une délectation, parfois ou souvent ironique 46 , le lecteur ordinaire croit en la véracité des faits dans un pacte inconscient de vérité 47 , les textes eux-mêmes ne suggérant aucune distinction entre l’événementiel et le fictionnel 48 et s’efforçant même de certifier les événements les plus invraisemblables à force d’attestations de vérité et d’ancrage dans le réel 49 . En somme, «-…les occasionnels de faits divers, comme nos grands quotidiens d’information modernes, étaient lus par tous, mais leur contenu était apprécié différemment, pris à la lettre par beaucoup, accueilli avec scepticisme et réserves par certains, avec amusement par d’autres.-» 50 Il est intéressant de noter qu’ils rejoignent ainsi le sens primitif du mot «-nouvelle-», depuis longtemps corrigé et enrichi par ses avatars littéraires et livresques. 39 V. R. Chartier, in Histoire de l’édition française, op. cit., p. 699. 40 R. Chartier, «-La pendue…-», art. cit., p. 84. 41 R. Chartier, in Histoire de l’édition française, op. cit., p. 719. 42 Dont R. Chartier rappelle de nombreux exemples dans Histoire de la lecture…, op. cit., p. 339-340. 43 R. Chartier, «- La pendue…- », art. cit., p. 84- ; sur les modalités d’appropriation diverses, v. H.-J. Martin, Histoire et pouvoirs de l'écrit, op. cit., p. 335. 44 R. Chartier, in Histoire de l’édition française, op. cit., p. 703-705. 45 Sur cette question, v. J.-P. Seguin, op. cit., p. 23. 46 Exemple- : Cruauté plus que barbare et inhumaine de trois soldats Espagnols, contre une jeune Damoiselle Flamande, lesquels apres luy avoir ravi parforce le thresor de sa virginité, luy firent violemment sentir la mort…, Lyon, J. Gautherin, 1606 (? ). Sur l’exemplaire BnF Réserve 8° Lk 30308(5), une main contemporaine ajoute-: «-Cruauté plus que barbare de trois Conseillers de Limoges, qui ons mangé les enfans d'une truye-». 47 R. Chartier modère cependant cette affirmation- : «- …rien ne dit que, pour les lecteurs du XVI e siècle, la réalité connue, vérifiable, des faits relatés par les canards soit d’une importance majeure pour leur lecture. Il leur est possible, en effet, d’adhérer aux effets de réel ménagés dans les textes sans pour autant croire que ce qu’ils lisent est vrai, voire même en sachant fort bien qu’il n’en est rien.-» («-La pendue…-», art. cit., p. 109). 48 V. G.-A. Pérouse, in Livres populaires du XVI e siècle…, op. cit., p. 257. 49 V. A. Parent-Charon, art. cit., p. 102. 50 J.-P. Seguin, op. cit., p. 24. 24 Jean-Claude Arnould Œuvres & Critiques, XLIV, 1 (2019) DOI 10.2357/ OeC-2019-0002 Le caractère «-populaire-» du public implique un niveau d’attente particulier aussi bien en ce qui concerne le prix et la qualité du produit que ses centres d’intérêt, sa langue et son style mêmes. La diffusion des occasionnels se fait aussi par un réseau de distribution propre, dans lequel c’est l’imprimé qui va vers le lecteur et non l’inverse, renouant avec la méthode primitive des «-facteurs-» 51 . Le qualificatif d’occasionnel revêt dès lors un sens supplémentaire-: publiés à l’occasion d’un événement, souvent dix ou quinze jours après qu’il soit advenu 52 , produits pour jouir d’une opportunité économique, les faits divers sont également connus à l’occasion de la pérégrination urbaine qui fera se croiser les pas du lecteur et ceux du colporteur, quand le lecteur de livres, lui, se rend chez le libraire. En découlent deux traits majeurs qui distingueront encore une fois le fait divers du récit de fiction-: le faible investissement financier et surtout psychologique du lecteur et la primauté de l’intention de l’émetteur sur celle du récepteur. Destinés à un public diversement alphabétisé, les occasionnels font l’objet de lectures partielles ou collectives, où l’oralisation n’intervient pas qu’au moment où ils sont «-criés-», comme dit L’Estoile 53 , mais aussi lors de leur lecture, ce qui conduit à les envisager comme des partitions destinées à soutenir des modes d’appropriation divers 54 , «- entre lecture et bouche à oreille- » 55 . L’intérêt visuel propre aux spécialistes, qu’ils soient historiens du livre ou de la littérature, ne doit pas masquer la distance qui les sépare des récits de fiction, pour l’essentiel destinés à un tête à tête avec le lecteur revêtant le plus souvent la forme de la lecture silencieuse et solitaire. Au moment où les récits de faits divers battent leur plain, on voit d’ailleurs les Histoires tragiques affirmer a contrario, par de multiples signes, leur caractère livresque. Sur ce point encore, les récits de faits divers retrouvent la nature orale qui caractérisait originellement la nouvelle, et qu’à une date plus tardive les recueils à encadrement ne reprennent plus que sous une forme fictionnelle. La primauté de l’émetteur sur le récepteur, combinée avec la qualité «-populaire-» du public, s’affirme quant à elle par un discours «-d’en haut-» qui se manifeste principalement dans les à-côtés du récit - dont on a noté qu’ils occupent une bonne partie du texte. Tous ces auteurs, plus ou moins lettrés, 51 V. L. Febvre et H.-J. Martin, L’Apparition du livre, op. cit., p. 318. 52 G.-A. Pérouse, in Livres populaires du XVI e siècle…, op. cit., p. 245. La distance est une variable importante, bien entendu-: v. J.-P. Seguin, op. cit., p. 28-29. 53 «- Ledit jour on crioit la Conversion d’une courtisane venitienne, qui estoit une fadèze regrattée, car on en fait tous les ans trois ou quatre- », Mémoires-Journaux, éd. cit., t. IX, p. 89-; de même t. X, p. 167. 54 V. R. Chartier, Histoire de la lecture…, op. cit., p. 343 sq. et G.-A. Pérouse, in Livres populaires du XVI e siècle…, op. cit., p. 14 et 24. 55 G.-A. Pérouse, in Livres populaires du XVI e siècle…, op. cit., p. 248. 25 Les récits de faits divers du XVIe siècle au miroir de la fiction narrative Œuvres & Critiques, XLIV, 1 (2019) DOI 10.2357/ OeC-2019-0002 et qui se plaisent à le montrer, sont sensibles à l’urgence de la moralisation-; celle-ci ne répond pas, comme dans la fiction narrative, à l’impératif rhétorique du docere, mais à la nécessité idéologique, morale, sociale de parer aux périls réels qui font la matière de ces récits 56 . Au risque de faire disparaître la narration 57 , les occasionnels n’offrent aucune ouverture sur un monde imaginaire, mais répondent à une urgence sociale (vols, parricides, monstres, grossesses dissimulées et infanticides) lorsqu’ils n’ont pas une visée idéologique immédiate (comme l’histoire de la pendue, au service de la Ligue 58 ), provoquant par rapport à la fiction narrative une nouvelle inversion remarquable, celle du diégétique et du discursif, qui fait de la partie narrative du fait divers un insert dans le discours édifiant, à l’inverse de la nouvelle-: la subordination de la narration à la leçon qu’elle doit illustrer invite à rapprocher le fait divers non pas de la nouvelle, mais de l’exemplum 59 , dont bon nombre d’auteurs peuvent d’ailleurs avoir une pratique professionnelle, qu’ils soient des clercs ou des hommes de loi, un historien du livre voyant même en lui une «- forme séculière et imprimée de la prédication chrétienne- » 60 . Aventure inouïe dans la nouvelle, l’événement extraordinaire devient ici, comme dans la modernité, un «-fait de société-», qu’il faut donc traiter comme tel en en réduisant la charge délétère grâce à quelques principes d’explication sommaires dont la clé se trouve évidemment dans les voies de la providence- : «- L’importance accordée ici à leurs narrations aurait bien de quoi surprendre les auteurs des canards. Pour eux, en effet, et pour leurs contemporains, les faits eux-mêmes importaient beaucoup moins que leur signification évidente ou cachée.-» 61 Par leur mode de production et de consommation, les récits de faits divers du XVI e siècle constituent des objets éditoriaux et textuels spécifiques, étrangers au récit de fiction, même si, issus de la même filière de production, ils peuvent en affecter certaines apparences matérielles et rhétoriques. Cette séparation s’exprime par plusieurs inversions structurales, comme on a pu le noter, alors que certains de ses traits rapprochent paradoxalement le fait divers de la nouvelle dans son état premier 62 . 56 R. Chartier, Histoire de la lecture…, op. cit., p. 351. 57 V. G.-A. Pérouse, in Livres populaires du XVI e siècle…, op. cit., p. 247. 58 V. R. Chartier, «-La pendue…-», art. cit., p. 117-123. 59 Suivant la proposition de Frank Greiner-: «-Le fait divers dans sa version archaïque apparaît comme une forme particulière de l’exemplum-», art. cit. 60 R. Chartier, Histoire de la lecture…, op. cit., p. 351. 61 V. les analyses de Denis Crouzet, «-Sur la signification eschatologique des ‘canards’ (France, fin XV e -milieu XVI e siècle)-», in Rumeurs et nouvelles au temps de la Renaissance, op. cit., p. 25-42. 62 Dans cet ouvrage cité, on se référera à la contribution fondamentale de Gabriel- André Pérouse sur l’ambiguïté du rapport entre rumeur et nouvelle, «- De la ru- 26 Jean-Claude Arnould Œuvres & Critiques, XLIV, 1 (2019) DOI 10.2357/ OeC-2019-0002 L’opposition peut en fin de compte se résumer dans celle du livre et du «-non livre-». On comprend ainsi pourquoi la production massive de faits divers dès les premières décennies de l’imprimerie ne nourrit pas les recueils de nouvelle. Il faut attendre que celle-ci prenne son tour tragique, avec les histoires du même nom, pour que s’établisse le contact-; encore cette porosité est-elle très limitée 63 . Le premier canard criminel connu, Histoire horrible et espoventable, d’un enfant, lequel apres avoir meurtry et estranglé son pere, en fin le pendit… 64 , comme tant d’autres après lui, pouvait faire pourtant une belle histoire tragique. Mais cette rareté s’explique par le fait que la nouvelle forme se veut ouvertement livresque, loin de l’oralité de la nouvelle, et ouvertement historique et savante, loin du plus large public, et qu’elle trouve par conséquent ses sources non dans l’événement immédiat mais dans la production humaniste, Novelle de Bandello, historiographie, cosmographie…-: lorsqu’un Belleforest ou un Poissenot narre un fait divers, ce n’est pas en recourant au corpus des occasionnels, mais à des ouvrages de lettrés-; on peut d’ailleurs douter, à supposer qu’ils aient eu accès aux récits de faits divers, qu’ils leur aient prêté le moindre intérêt. C’est par conséquent à une date très tardive, celle de la révolution narrative opérée par les Histoires tragiques de nostre temps, que se rejoindront ces deux formes originellement distinctes, quelques années seulement avant l’extinction des occasionnels. meur à la nouvelle au XVI e siècle français-», p. 93-106. 63 Deux canards publiés l’année précédente entrent en 1578 dans le 6 e tome non autorisé des Histoires tragiques publié sous le nom de Belleforest. 64 Cité note 19.