eJournals Oeuvres et Critiques 44/2

Oeuvres et Critiques
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2941-0851
Narr Verlag Tübingen
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Les représentations de la mort dans le réalisme merveilleux antillais: pour un renouveau identitaire?

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Sébastien Sacré
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Œuvres & Critiques, XLIV, 2 (2019) Les représentations de la mort dans le réalisme merveilleux antillais : pour un renouveau identitaire ? Sébastien Sacré University of Toronto La rupture initiale de l’esclavage, la traversée de l’océan et la perte du lien à l’origine sont trois éléments, essentiels dans l’Histoire des communautés antillaises, que l’on retrouve dans la quasi-totalité des littératures réalistes merveilleuses (magical realism en anglais) de la région� Rares sont les romans qui dépassent ce marqueur historique pour décrire la période précédant la capture et l’asservissement� Suivant le principe d’Antillanité d’Édouard Glissant ou celui de Créolité de Raphaël Confiant et Patrick Chamoiseau, cette répétition d’une rupture suivie d’un déplacement originel vers une terre nouvelle pourrait être vue, chez ces auteurs, comme une tentative de mettre en place une cosmogonie nouvelle, non plus africaine, mais antillaise- : un déplacement historique et fondateur vers des îles sur lesquelles une culture nouvelle, initialement dominée par l’esclavage et le système des plantations est née� D’un point de vue identitaire, le problème d’un mythe d’origine antillais est que ces îles sont des objets qui ne semblent avoir existé qu’à partir du moment où elles ont été «-découvertes-», décrites et nommées par les explorateurs et les colons occidentaux� Sous la domination des maîtres esclavagistes, Karukera et Madinina sont ainsi devenues la Guadeloupe et la Martinique et les histoires personnelles et culturelles des esclaves et des communautés amérindiennes préexistantes ont été, de par leur nature essentiellement orale, effacées et oubliées� Patrick Chamoiseau en fait la remarque dans son essai Écrire en pays dominé, dans lequel il s’intéresse à l’occidentalisation de l’Histoire antillaise-: favorisant l’époque coloniale et la culture des plantations et les statues de colons, celle-ci ignore les générations d’esclaves et les traces de cultures précolombiennes, comme c’est le cas avec la Piste d’Esnambuc qui, avec ses églises et ses forts, fonde «- patrimoine architectural et façade culturelle- (…) tout en abandonnant ainsi l’ensemble des autres présences- » 1 � Considérant cette mise en valeur d’une identité essentiellement occidentale et coloniale, on peut se demander comment les auteurs antillais mettent en perspective cette question 1 Patrick Chamoiseau, Écrire en pays dominé, Paris, Gallimard, 2002, p� 114� DOI 10.2357/ OeC-2019-0016 88 Sébastien Sacré Œuvres & Critiques, XLIV, 2 (2019) identitaire par apport à une terre qui, bien que natale, a été niée pendant des siècles aux esclaves et leurs descendants� Comme nous allons le voir dans cette étude, c’est dans les romans réalistes merveilleux et dans leurs représentations des esprits et du monde des morts que l’on trouve un début de réponse� Prisonniers d’un système oppressif et d’une géographie (l’île) qui limite toute fuite, les esclaves antillais semblent en effet renouer avec leur identité dans leur rapport avec les esprits des ancêtres� Largement influencé par les mythes et le folklore africains plutôt que par ceux du christianisme, ce monde des morts antillais est, nous le verrons, un moyen pour les morts (et, parfois même, aux vivants) d’échapper au système esclavagiste ou, comme dans le roman Ti Jean l’Horizon de Simone Schwarz-Bart, un moyen pour certains personnages de voyager dans l’espace et le temps jusqu’aux origines historiques et identitaires de tout un peuple� I- Terre d’origine, esprits et identité antillaise A) La mort et le retour à l’origine Pris dans son île-prison, dans l’acculturation et la souffrance du système plantationnaire dans lequel toute fuite est une condamnation à mort, l’esclave des romans réalistes merveilleux ne semble pouvoir reprendre un contact avec sa terre natale que par l’intermédiaire de quelques rares figures romanesques qui, comme les Conteurs ou les quimboiseurs, sont les derniers détenteurs d’un savoir culturel� Le retour physique et réel vers la terre natale reste, pour beaucoup de personnages, une impossibilité du fait des conditions de l’esclavage� Mais si la fuite physique du marronnage n’est pas toujours possible et si les fuites spirituelles et identitaires à travers les contes et les prières sont souvent insuffisantes, il arrive que les esclaves fuient vers un ailleurs au moment de leur mort (accidentelle ou volontaire) décrite, dans quelques romans, comme une forme de marronnage libératoire-: «-en vérité, la mort est le plus grand des bienfaits 2 -»� Cette notion de libération se double même, parfois, d’une idée de retour à la terre d’origine-: «-rappelons-nous que les premières générations d’esclaves-traités cherchaient parfois la mort, «-pour revenir en Afrique-»� L’au-delà se confondait avec le pays perdu 3 -»� La mort d’un esclave est donc, dans certains romans, une source de tristesse mais aussi de joie, car il est souvent dit que celui-ci retourne à son origine, comme on le voit dans Moi, Tituba sorcière noire de Salem de Maryse Condé-: «-Puis l’on se réjouit, car celui-là au moins était délivré et allait reprendre le 2 Maryse Condé, Moi, Tituba sorcière… noire de Salem, Paris, Mercure de France, 2004, p� 209� 3 Édouard Glissant, Le Discours antillais, Paris, Gallimard, 2002, p� 217-218� DOI 10.2357/ OeC-2019-0016 89 Œuvres & Critiques, XLIV, 2 (2019) Les représentations de la mort dans le réalisme merveilleux antillais chemin du retour 4 -»� C’est un moment que l’on retrouve également dans le cas d’engagés Indiens comme dans La Panse du chacal-de Raphaël Confiant-: «-Il est rentré en Inde… Appa a chevauché Barassadi, le cheval céleste, et a regagné la terre natale 5 -»� Mais comme le note Glissant, ce retour aux origines n’est possible que pour des personnages qui, comme Wademba dans Ti Jean l’Horizon ou l’Ancêtre dans La Panse du chacal, sont originaires d’Inde ou d’Afrique et pour qui les Antilles ne sont pas natales� Pour les morts nés aux Antilles, cependant, il n’y a pas de retour possible car, selon la tradition, reprise par Maryse Condé-: Si l’eau des sources et des rivières attire les esprits, celle de la mer, en perpétuel mouvement, les effraie� Ils se tiennent de part et d’autre de son immensité, envoyant parfois des messages à ceux qui leur sont chers, mais ne l’enjambent pas, n’osant surtout pas s’arrêter au-dessus des vagues 6 � B) Une absence d’iconographie chrétienne de la mort Si les ancêtres peuvent faire l’expérience d’une forme de libération lorsqu’ils retournent, au moment de leur mort, vers leur terre d’origine, on peut alors se demander comment les romans réalistes merveilleux abordent l’expérience de personnages qui, nés esclaves en terre caraïbe, finissent par y mourir� Suite au système esclavagiste et son acculturation systématique, on pourrait ainsi s’attendre à une influence essentiellement occidentale et chrétienne de l’après-vie� Cependant, même si quelques romans font allusion à une Afrique ou une Inde paradisiaques visitée en rêve, la représentation d’un paradis chrétien est encore plus rare� On la retrouve par exemple dans le roman La Grande drive des esprits de Gisèle Pineau dans lequel le personnage de Man Octavie, se manifeste sous une forme plus ou moins influencée par l’iconographie angélique-: Elle portait la robe blanche qui couvrait sa nudité au jour de sa mort� Mais surtout, elle arborait le visage rajeuni qui, onze ans plus tôt, avait fait s’interroger les chrétiens de toutes catégories, les maquerelles au cœur fiel et les jocrisses sans malice� Sa masse de cheveux blancs aveuglaient comme soleil de midi 7 � Au-delà de cette description, cependant, Pineau ne décrit pas ce lieu, qui reste inaccessible aux vivants- : «- moi, je suis sur un autre bord que tu ne 4 Condé, 2004, p� 19� 5 Raphaël Confiant, La Panse du chacal, Paris, Mercure de France, 2005, p� 260� 6 Condé, 2004, p� 214� 7 Gisèle Pineau, La Grande drive des esprits, Paris, Gallimard, 2004, p� 86� DOI 10.2357/ OeC-2019-0016 90 Sébastien Sacré Œuvres & Critiques, XLIV, 2 (2019) peux pas connaître 8 - »� Une absence de représentation que l’on retrouve dans un autre de ses romans, Chair piment, dans lequel on ne sait pas où se trouve Rosalia, sœur décédée de l’héroïne, quand elle ne se manifeste pas� Édouard Glissant s’interroge d’ailleurs sur la valeur d’un paradis chrétien dans son Traité du tout monde, en se demandant si ce concept imposé peut faire le poids devant les traditions africaines ayant survécu à l’acculturation esclavagiste-: Les morts qu’on envoie ailleurs, il est peut-être plus «-normal-» de s’en séparer quand cet «- ailleurs- » vous est évoqué par une force de tradition, faisant le lien entre toute naissance et toute mort (…) L’adoption du paradis chrétien satisfait-elle un pareil manque-? 9 De ce fait, on peut dire qu’il n’y a, dans les romans réalistes merveilleux antillais, que très peu d’influences du folklore chrétien et que si quelques rares romans comme Pays sans chapeau du Haïtien Dany Laferrière et Ti Jean l’Horizon de la Guadeloupéenne Simone Schwarz-Bart décrivent un monde des morts, ceux-ci n’ont aucune ressemblance avec le paradis de la tradition chrétienne� Il s’agit en effet d’un lieu présenté comme identique au monde des vivants, mais qui lui est en quelque sorte superposé, à la manière d’un univers parallèle- : «- on a franchi la barrière, et la rue n’avait pas changé à mes yeux 10 - »� Dans la majorité des cas, cependant, les romans réalistes merveilleux mettent plutôt en scène des morts qui se manifestent auprès des vivants sous forme d’esprits, et qui demeurent invisibles pour une grande majorité de personnages� C) Réalisme merveilleux caribéen : une perspective africaine ? Outre quelques rares retours aux origines et représentations d’un paradis d’influence chrétienne, la plupart des romans antillais réalistes merveilleux proposent ainsi une représentation du monde dans lequel les morts font partie du quotidien (ou, plus rarement, évoluent dans un monde qui semble être superposé à celui des vivants) comme on le voit dans Moi, Tituba… de Maryse Condé, dans lequel le personnage éponyme continue de vivre sur son île après sa mort «-car, vivante comme morte, visible comme invisible, je continue à panser, à guérir 11 -» et de lui être intimement liée-: «-et puis il y a mon île� Je me confonds avec elle 12 -»� Si tous les personnages n’acceptent 8 Ibid�, p� 87� 9 Édouard Glissant, Traité du tout-monde, Paris, Gallimard, 1997, p� 217-218� 10 Dany Laferrière, Pays sans chapeau, Paris, Le Serpent à Plumes, 2001, p� 249� 11 Condé, 2004, p� 268� 12 Ibid�, p� 270� DOI 10.2357/ OeC-2019-0016 91 Œuvres & Critiques, XLIV, 2 (2019) pas nécessairement cette perméabilité entre les mondes, elle est cependant toujours décrite comme naturel et normale-: Lui-même supportait à grand mal les apparitions nocturnes, zombis, chevaux à diables, boules de feu qui venaient rouler à ses pieds� (…) et puis un jour, s’enfilant au cœur d’un hallier, il reçoit un coup de bois dans le dos et se retourne, manque de s’évanouir devant le visage phosphorescent du nègre Filbert, mort et enterré depuis belle lurette 13 � Si l’on en croit l’étude de Maximilien Laroche sur le roman cubain d’Alejo Carpentier Le Royaume de ce monde, ce serait là un des aspects principaux du réalisme merveilleux en littérature-: «-d’un point de vue spatial (le réalisme merveilleux) superpose deux lieux- : «-l’un merveilleux qui est situé outretombe et l’autre, réel, qui est logé ici-bas, dans le monde que nous connaissons� Ce décor comporte une dimension temporelle par le fait même d’avoir la mort pour séparation 14 -»� Ainsi, s’il y a, devant nous, le «-royaume de ce monde-», celui du quotidien qui fonctionne selon les règles empiriques du réalisme et de la vraisemblance, il existe aussi un monde «- magique- » ou surnaturel lui est superposé, selon une formule que l’on peut appliquer à de nombreux autres romans-: À l’arrière-scène, on devrait plus exactement dire au niveau supérieur, car il surplombe cette avant-scène même s’il est placé en retrait par rapport à lui, à l’arrière-scène donc se trouve ce lieu merveilleux d’où le sujet peut continuer à parler même mort, s’il s’agit du narrateur 15 � Selon ce principe, la plupart des romans caribéens francophones comme Moi, Tituba… de Maryse Condé ou Ti Jean l’Horizon de Simone Schwarz-Bart sont bien donc des romans réalistes merveilleux� De par leur représentation de cet aspect «-magique-» du réel inspiré par le folklore, ils se rapprochent cependant des romans d’auteurs comme Ben Okri (The Famished Road) ou Amos Tutuola (The Palm-Wine Drinkard & My Life in the Bush of Ghosts), dont l’aspect merveilleux des œuvres est également influencé par le folklore (notamment religieux)� En effet, si, dans The Famished Road de Ben Okri, Azaro voit des esprits, «-I looked at their short arms, limp at their sides, and my head nearly fell off in fright when I discovered that all of them without exception had six fingers-» 16 , c’est parce qu’il est possédé par un abiku (un 13 Simone Schwarz-Bart, Ti-Jean l’Horizon, Paris, Éditions du Seuil, 1998, p� 76� 14 Maximilien Laroche, La Découverte de l’Amérique par les Américains, Essais de littérature comparée, Sainte Foy, Québec, GRELCA, 1980, p� 163� 15 Ibid�, p� 164� 16 Ben Okri, The Famished Road, Londres, Vintage, 2003, p� 91 Les représentations de la mort dans le réalisme merveilleux antillais DOI 10.2357/ OeC-2019-0016 92 Sébastien Sacré Œuvres & Critiques, XLIV, 2 (2019) esprit du folklore Yoruba). De la même manière, si Goyo Yic, dans le roman Hombres de maíz de l’auteur Guatémaltèque Miguel Angel Asturias, se transforme en opossum, c’est parce que cet animal est son nahual, la manifestation de son essence spirituelle-: La nuit, une fois rentré à l’auberge de ses courses à travers les localités et les foires (il s’arrêtait partout où il y avait des foires), il contemplait à la lumière de la lune son ombre, son grand corps efflanqué comme une cosse de haricot, avec l’éventaire par-devant à hauteur de l’estomac, et c’était comme s’il avait vu l’ombre d’une sarigue… Ainsi, d’homme, il devenait animal à la lumière de la lune, il devenait sarigue avec une poche par-devant pour mettre ses petits 17 � Les romans antillais font donc partie de cette catégorie de romans réalistes merveilleux dans lesquels les mythes et le folklore sont à l’origine des manifestations surnaturelles ce qui les place, comme nous l’avons vu, à l’intersection de deux mondes, l’un surnaturel et l’autre réaliste, «-we experience (in magical realist novels) the closeness or near-merging of two realms- » 18 � Une autre conséquence de cette représentation d’un monde réaliste imprégné par le folklore est que les personnages considèrent presque toujours qu’il y a une intentionnalité derrière les événements de leur vie-: «-Célestina désignait des esprits, des méchants, des zombis, des sorciers, des houngans d’Haïti, des magies et des messes à vieux nègres� Le mal s’inscrivait dans chaque éclair de vie, dans chaque frémissement, dans le moindre soupir- » 19 � Ainsi, en cas de malheur, de maladie ou de mort, on se tourne souvent vers le maléfice et l’intention de nuire d’une tierce personne� On le voit dans La Grande drive des esprits ou dans Chair piment, dans lesquels la nymphomanie des personnages est causée par des malédictions, ou dans cet autre exemple tiré de Ti Jean l’Horizon-: «-Jean l’Horizon devint comme fou devant le maléfice, où chacun avait reconnu la marque et la griffe, le coup de patte unique de l’Immortel-» 20 � Cette représentation du merveilleux, omniprésente dans les œuvres antillaises, les différencie de romans réalistes merveilleux dans lesquels l’idée d’intentionnalité est moins évidente, comme Como agua para chocolate de Laura Esquivel, dans lequel deux personnages s’enflamment d’amour sans intervention surnaturelle extérieure� Cette absence d’intentionnalité est 17 Miguel Angel Asturias, Homme de maïs, Paris, Albin Michel, 1987, p� 131� 18 Wendy B� Faris, «-Scheherazade’s Children-: Magical Realism and Postmodern Fiction-», Lois Parkinson Zamora et Wendy B� Faris, Magical Realism. Theory, History, Community, Durham & London, Duke University Press, 1995, p� 163-190 (p� 172)� 19 Pineau, 2004, p� 186� 20 Schwarz-Bart, 1998, p� 28� DOI 10.2357/ OeC-2019-0016 93 Œuvres & Critiques, XLIV, 2 (2019) aussi présente dans la fameuse scène du filet de sang «-vivant-», dans Cien años de soledad de Gabriel Garcia Marquez-: Un filet de sang passa sous la porte, traversa la salle commune, sortit dans la rue, prit le plus court chemin parmi les différents trottoirs, descendit les escaliers et remonta les parapets, longea la rue aux Turcs, prit un tournant à droite, puis un autre à gauche, tourna à angle droit devant la maison des Buendia, passa sous la porte, traversa le salon en rasant les murs pour le pas tacher les tapis, poursuivit sa route par l’autre salle 21 � Si ce passage de l’œuvre de García Márquez illustre de quelle manière on trouve, dans le monde ordinaire, un autre monde aux propriétés magiques, le déplacement surnaturel du filet de sang n’a rien à voir avec le folklore local, les mythes, les Invisibles ou encore avec une perception du monde dans laquelle «-for the majority of peoples (…) the next world is in fact geographically ‘here’, being separated from this only by virtue of being invisible to human beings- » 22 ce que l’on voit dans la grande majorité des romans antillais comme Ti Jean l’Horizon, Moi, Tituba…, La Grande drive des esprits ou encore dans L’Homme au bâton d’Ernest Pépin-: «-si en plein jour, un homme ou une femme soliloque ou délire� N’allez pas croire qu’il est seul, il est en bonne compagnie de nos invisibles-» 23 � Il y a donc, dans les romans réalistes merveilleux caribéens, un paradoxe-: influencés par une perception africaine du monde dans laquelle les esprits évoluent parmi les vivants, ceux-ci ne semblent pourtant pas avoir de rapport identitaire à la terre ancestrale d’Afrique-: seuls les personnages qui y sont nés peuvent y retourner à leur mort, et ceux nés dans la région Caraïbe ne semblent pas avoir d’autre choix que d’évoluer sur la même terre que les vivants, qu’ils soient esclaves ou maîtres esclavagistes� II- Repenser la mort et l’identité antillaise A) Les morts et le lien à la mémoire ancestrale Si les personnages morts dans les îles esclavagistes doivent y rester, et s’ils n’ont pas de terre paradisiaque qui leur est propre, devrait-on en déduire que ceux-ci n’ont, comme tout esclave, aucun lieu qui leur est propre-? Si l’on en croit l’étude de Christiane Bougerol dans Une Ethnographie des conflits aux Antilles, ce qui poserait problème aux Antillais, et donc à leurs «-invisibles-», 21 Gabriel Garcia Marquez, Cent ans de solitude, Paris, Seuil, 1995, p� 143� 22 John Mbiti, African Religions and Philosophy, Nairoi, Heinemann, 1969, p� 159� 23 Ernest Pépin, L’Homme au bâton, Paris, Gallimard, 2005, p� 141� Les représentations de la mort dans le réalisme merveilleux antillais DOI 10.2357/ OeC-2019-0016 94 Sébastien Sacré Œuvres & Critiques, XLIV, 2 (2019) serait l’absence de territoire-propre car «-au principe de l’ancestralité il y a un territoire� La fixation sur une terre est attribuée après coup à un ancêtre dénommé fondateur 24 -»� En effet, si les premiers esclaves africains sont arrivés en même temps que les premiers colons, ils n’ont cependant jamais été considérés comme des «-fondateurs-» et leur condition d’esclave ne leur a que très rarement donné la possibilité de posséder la terre ou de maintenir un lien fort avec leurs origines, leurs ancêtres et leurs mythes fondateurs� L’acte fondateur de ces populations, tel qu’il est mis en place dans la plupart des romans, est d’ailleurs marqué par une dépossession et d’une rupture définitive si bien que, même morts, les personnages semblent condamnés à errer sur l’île qui les a vus naître esclaves� Cependant, contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, cette impossibilité de quitter la région Caraïbe n’est pas décrite par les auteurs comme un emprisonnement-: si en France Rosalia (Chair piment) n’apparaît qu’à sa sœur, son retour en Guadeloupe lui permet de rompre ce lien et d’errer à son aise dans les mornes où, pour la première fois, elle est vue par plusieurs personnes� De même, si les premiers esclaves et engagés Indiens voulaient retourner en Afrique ou en Inde au moment de leur mort, ceux qui sont nés et morts aux Antilles comme Tituba (Moi, Tituba…), Rosalia (Chair piment) et Man Octavie (La Grande drive des esprits) semblent préférer évoluer parmi les membres de leurs familles-: «-ils se mêlent aux allées et venues des vivants, partagent leurs gesticulations, leurs amours, leurs frayeurs, leurs chagrins et leurs joies-» 25 � Influencée par le folklore religieux africain, cette présence des invisibles parmi les vivants apporte en effet une réponse partielle à la crise identitaire des personnages� Comme l’explique John Mbiti dans African Religions & Philosophy, quand un individu meurt, il passe dans le Sasa et ne ‘survit’ que tant qu’une personne l’ayant connu personnellement et se souvenant de son nom est encore en vie� Ce n’est qu’à la mort de cette dernière, et à la fin du dernier souvenir, que l’individu disparaîtra pour de bon, sans espoir de résurrection-: At the moment of physical death the person becomes a living-dead- : he is neither alive physically, nor dead relative to the corporate group� His own Sasa period is over, he enters fully into the Zamani period-; but, as far as the living who knew him are concerned, he is kept ‘back’ in the Sasa period (…)� Those who have nobody to keep them in the Sasa period in reality ‘die’ immediately, which is a great tragedy that must be avoided at all costs 26 � 24 Christiane Bougerol, Une Ethnographie des conflits aux Antilles. Jalousie, commérages, sorcellerie, Paris, PUF, 1997, p� 129� 25 Pépin, 2005, p� 140� 26 Mbiti, 1969, p� 159� DOI 10.2357/ OeC-2019-0016 95 Œuvres & Critiques, XLIV, 2 (2019) Mais si dans les croyances africaines, «-it is the sacred duty of the family (…) to keep the living-dead within temporal sight of the Sasa period- » 27 , ce devoir de souvenir a été en grande partie impossible aux Antilles où les ruptures et les acculturations ont rendu presque impossible tout travail de mémoire et de préservation des liens familiaux� B) La continuité après la rupture Dans un système oppressif d’acculturation systématique, dans lequel les esclaves ne gardent de leurs origines et de leur identité que des histoires orales, des contes et des traditions, la mort des ancêtres porteurs de connaissance est donc une rupture supplémentaire, définitive et irréversible dans l’histoire des esclaves� Les premiers ancêtres africains ayant disparu, tout comme la plupart des traces de l’origine historique, les secondes générations d’esclaves et leurs descendants dépendent donc, historiquement, des récits des conteurs mais aussi de la spiritualité et de l’imaginaire qui leur sont transmis� Les romans sont ainsi nombreux à présenter cette transmission de mythes, de contes ou de traditions magiques entre des personnages de générations différentes comme entre Mathieu et Papa Longoué dans Le Quatrième siècle, entre Tituba et Man Yaya dans Moi, Tituba… ou encore entre Ti Jean et Wademba dans Ti Jean l’Horizon� Puisque la mort n’est plus, dans les romans réalistes merveilleux, une fin en soi mais une forme de continuité, la transmission de savoir peut se poursuivre- : «- comme je suis morte sans qu’il m’ait été possible d’enfanter, les invisibles m’ont autorisé à choisir une descendante-» 28 � Concrétisation d’un système religieux africain, les «-invisibles- » semblent donc également être, dans ces romans, un système actif de mémoire permettant de lutter contre les conséquences de l’esclavage et ses ruptures sociales et permettant ainsi aux personnages de garder, par-delà la mort, une trace de l’origine, de la structure familiale et des histoires personnelles touchées par le système esclavagiste� Sans eux, chaque mort de quimboiseur ou de conteur serait une autre perte de savoir, d’identité et du rapport à l’ancestralité� De par leur représentation africaine du rapport avec les esprits des morts, les romans réalistes merveilleux antillais semblent donc offrir une solution au problème de la rupture originelle de l’esclavage- : la mort n’est plus la fin des rapports entre les personnages, une rupture dans la continuité� Elle libère au contraire les ancêtres porteurs de connaissances, de contes, de traditions et de valeurs ancestrales, et leur permet de maintenir un lien avec les vivants, même quand le lien avec l’Afrique a été rompu, et que le lien avec la terre natale est impossible� Ils personnifient ainsi, littéralement, la 27 Ibid�, p� 162� 28 Condé, 2004, p� 269� Les représentations de la mort dans le réalisme merveilleux antillais DOI 10.2357/ OeC-2019-0016 96 Sébastien Sacré Œuvres & Critiques, XLIV, 2 (2019) continuité de l’ancestralité et l’identité� On le voit avec Tituba qui, après sa mort, entend sa chanson à travers toute la Barbade, «-mon histoire véritable commence où celle-là finit et n’aura pas de fin� (…) elle existe la chanson de Tituba-! -» 29 , ou encore dans Ti Jean l’Horizon avec Wademba, le «-dernier nègre d’Afrique-» 30 , dont la mort annonce une perte culturelle et identitaire- : «-n’étais-tu pas toi-même le chemin, le seul chemin qui nous reste- ? - » 31 � Malgré la souffrance, malgré la mort, la représentation «- magique- » des morts permet donc de reconstituer ce qui a été perdu et de le rendre omniprésent, si bien que l’esclave antillais n’est, en fin de compte, jamais seul-: «-ils sont là, partout autour de nous, avides d’attention, avides d’affection� Quelques mots suffisent à les rameuter, pressant leurs corps invisibles contre les nôtres, impatients de se rendre utiles- » 32 � Ainsi, la mort n’est plus, dans les romans, une séparation ou une rupture, mais un aspect omniprésent, essentiel et rassurant de la vie� III- Ti Jean l’Horizon : un voyage initiatique et identitaire dans l’espace et dans le temps A) Monde des morts africain, une désillusion Dans tout le corpus de romans réalistes merveilleux antillais, Ti Jean l’Horizon de Simone Schwarz-Bart est le seul roman dans lequel un personnage né dans la région Caraïbe se déplace dans l’espace et dans le temps pour retourner à ses origines historiques africaines� S’inspirant des contes d’un des personnages emblématiques du folklore caribéen, Ti Jean l’Horizon se déroule cependant sur des terres réelles (la Guadeloupe, l’Afrique et la France) qui, placées dans le ventre d’une créature surnaturelle, sont transfigurées par le mythe� Véritable parcours initiatique qui, après l’avalement par une bête monstrueuse dévoreuse de soleil, le conduira à faire face à ses trois identités culturelles après de nombreuses traversées, chutes et morts littérales ou symboliques� Rejeté par ses ancêtres africains parce qu’il descend d’un esclave «-va-t’en, retourne parmi les tiens …-» 33 puis tué par eux, Ti Jean se retrouve ainsi dans un monde des morts africain qui, bien qu’apparemment identique au monde des vivants et plein d’une «-grisaille très douce-» 34 est cependant placé sous un plafond de pierre qui semble enfermer les morts dans une sorte de tombeau� Les morts eux-mêmes sont très différents des «-Invisibles-» 29 Ibid�, p� 267� 30 Schwarz-Bart, 1998, p� 61� 31 Ibid. 32 Condé, 2004, p� 23� 33 Schwarz-Bart, 1998, p� 165� 34 Ibid�, p� 212� DOI 10.2357/ OeC-2019-0016 97 Œuvres & Critiques, XLIV, 2 (2019) qui se manifestent en terre antillaise� Contrairement à ceux qui, dans Moi, Tituba… ou dans - La Grande drive des esprits, conseillent, soutiennent et apaisent les vivants, les morts africains que rencontre Ti Jean vivent dans une «- rêverie perpétuelle (…) croupissant dans le même silence (…) dans une même absence de désir-» 35 � Ils ne sont que de pâles copies de ce qu’ils étaient, ce qui étonne Ti Jean qui se demande «-si c’étaient bien là les morts prestigieux qui commandaient aux vivants- » 36 � S’ils communiquent également avec les vivants, ce n’est pas pour transmettre un savoir, mais pour les pousser à ne pas changer et à garder les coutumes du passé-: «-Et la nuit venue, ils se glissaient dans les têtes endormies des rêveurs pour donner un conseil, un remède� Et surtout les rappeler à l’observance des coutumes anciennes, dont ils étaient les défenseurs enragés, intraitables-» 37 � Pire encore, par leur désir de se réincarner, ils indiquent clairement leur désir de quitter leur monde si bien que le narrateur s’étonne de leur incapacité au souvenir et au maintien de la mémoire, si essentiel d’un point de vue antillais-: Quels que fussent leurs souvenirs de vie, et même s’ils avaient connu les pires disgrâces, le monde d’en haut leur paraissait revêtu des plus belles couleurs et ils n’aspiraient qu’à y remonter dare-dare, pour faire une nouvelle saison au soleil 38 � Bref, les morts rencontrés par Ti Jean semblent figés et indifférents, pris dans un monde qu’ils veulent quitter sans se souvenir du monde qu’ils veulent retrouver� De même, il ne semble pas y avoir, chez les morts africains, d’évolution spirituelle après leur mort, comme on le voit avec Man Octavie qui connaît l’ordre de naissance des futurs enfants de Léonce ou Tituba qui fait l’expérience d’une forme de transcendance-: «-oui, à présent je suis heureuse� Je comprends le passé� Je lis le présent� Je connais l’avenir-» 39 � B) Oubli, mort spirituelle et identité En fait il est intéressant de noter que, dans le roman de Schwarz-Bart, la «-grisaille-» du monde des morts que Ti Jean trouve en Afrique ressemble au monde antillais sans soleil, après le passage de la Bête-: «-une nuit plus grise que noire, une sorte de fumée épaisse qui s’insinuait entre les choses comme un brouillard …- » 40 � Ce parallélisme peut nous conduire à penser qu’à la disparition du soleil, la Guadeloupe serait devenue, symboliquement, sem- 35 Ibid., 216� 36 Idem. 37 Ibid., 219 38 Idem� 39 Condé, 2004, p� 271� 40 Schwarz-Bart, 1998, p� 91� Les représentations de la mort dans le réalisme merveilleux antillais DOI 10.2357/ OeC-2019-0016 98 Sébastien Sacré Œuvres & Critiques, XLIV, 2 (2019) blable à un monde des morts� Cette supposition est soutenue par la description des habitants de Fond-Zombi eux-mêmes qui, une fois le soleil avalé, acceptent largement et sans volonté le retour du passé, incarné par un système esclavagiste qui réactualise les tensions primordiales antillaises-: «-ces présages ne rencontrèrent aucun écho et la plupart les accueillirent d’un haussement d’épaules narquois- : quelle abomination- ? ah, l’esclavage… vous êtes des radoteurs …- » 41 � Sans liens directs à leur origine ancestrale (le personnage-guide Wademba vient de mourir), le peuple guadeloupéen a donc, comme les morts africains, oublié son passé, ce qui le rend incapable de faire son devoir de mémoire et de lutter contre le retour de l’esclavage� De ce fait, de par son cheminement initiatique (composé d’éléments symboliques comme des traversées, des chutes, des enfermements dans des cavernes ou dans le ventre de monstres) il apparait que Ti Jean ne se retrouve pas en Afrique pour y mourir mais, au contraire, pour y renaître et y prendre conscience de son identité� Si l’on considère les schémas mythiques traditionnels présents dans le roman comme l’avalement par un monstre, le passage par un lieu de ténèbres et l’enfermement dans une caverne (qui rappellent de nombreux mythes comme celui, biblique, de Jonas et la baleine), on notera que tous symbolisent une renaissance vers un ordre nouveau-: Pénétrer dans le ventre du monstre - ou être symboliquement «- enseveli- », ou être enfermé dans la cabane initiatique - équivaut à une régression dans l’indistinct primordial, dans la Nuit cosmique� Sortir du ventre, ou de la cabane ténébreuse, ou de la «-tombe-» initiatique réitère le retour exemplaire au Chaos, de manière à rendre possible la répétition de la cosmogonie, à préparer la nouvelle naissance 42 � Selon Bernadette Cailler, la créature avaleuse de soleil, fonctionnerait également comme une forme de labyrinthe dans lequel Ti Jean doit pénétrer afin de vaincre, donnant au personnage une dimension mythique et exemplaire- : «- À l’encontre du mythe grec où le labyrinthe contient la Bête, ici le labyrinthe est contenu dans la Bête-: il faut pouvoir affronter le monstre de l’intérieur, se faire nécessairement victime avec les victimes-» 43 � Ainsi, s’il avait, aux Antilles, «-l’impression déchirante d’être en exil sur sa propre terre- » 44 , ce n’est que par sa mort symbolique, l’ultime exil, et son éloignement de sa terre natale que Ti Jean finit par prendre conscience de son importance pour lui-: «-oui, là-bas était sa place, décida-t-il tout à coup, 41 Ibid, p� 105� 42 Mircea Eliade, Le Sacré et le profane, Paris, Gallimard, 2004� 43 Bernadette Cailler, «- Ti Jean l’Horizon de Simone Schwarz-Bart, ou la leçon du royaume des morts-», Stanford French Review, 6, 2-3 (1982), p� 283-297, p� 291-292� 44 Schwarz-Bart, 1998, p� 141� DOI 10.2357/ OeC-2019-0016 99 Œuvres & Critiques, XLIV, 2 (2019) sous quelque motte de terre rouge exposée aux vents, avec des morts qui le reconnaîtraient et ne lui diraient pas-: étranger, d’où viens-tu-? -» 45 � L’œuvre de Simone Schwarz-Bart retrouve ainsi les perspectives Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant sur la Créolité selon lesquelles l’Afrique est l’origine ancestrale des peuples nés de l’esclavage, mais pas la source de leur identité caribéenne, plus hétérogène et ouverte sur le monde et l’avenir� On le voit par exemple avec Tituba qui, conçue sur le pont d’un navire et née à la Barbade, rejette cette Afrique avec laquelle elle n’a jamais eu de liens directs, sauf par ses parents- : «- mais nous ne savons plus rien de l’Afrique et elle ne nous importe plus- » 46 � Un thème que l’on retrouve dans de nombreux romans comme Chronique des sept misères de Patrick Chamoiseau «-Quoi-? Quelle Afrique-? s’exclamait le zombi� Y’a plus d’Afrique fout’- ! - » 47 ou Case à Chine de Raphaël Confiant- : « Alors c’est quoi cette histoire d’Afrique dont tu me parles là, hein-? J’ai rien à voir avec ce pays de sauvages, moi-! -» 48 De ce fait, par extension, le cheminement initiatique et mythique de Ti Jean, qui fait l’expérience de l’Afrique historique et originelle, de la France et, enfin, d’un retour à la terre natale, pourrait bien être symbolique du cheminement que devrait faire tout Antillais- afin d’atteindre son identité propre� Nous pourrions même voir dans cet avalement du soleil un schéma mythique et initiatique applicable non plus à un personnage unique, mais à l’échelle de toute la Guadeloupe� En effet si, par l’avalement du soleil, la Guadeloupe est métaphoriquement devenue un pays des morts, nous pouvons rapprocher cette obscurité au thème mythique de la «- nuit cosmique-»-: «-c’est le monde entier qui, symboliquement, retourne avec le néophyte, dans la Nuit cosmique, pour pouvoir être créé de nouveau, c’està-dire pour pouvoir être régénéré-» 49 � On peut ainsi penser que, en avalant le soleil et Ti Jean, la créature avale non seulement le héros, mais également le monde entier et la Guadeloupe pour les placer dans une Nuit primordiale «- à des fins thérapeutiques- » 50 qui permettra donc au héros, mais aussi à toute la communauté guadeloupéenne, de répondre à leurs dilemmes identitaires� Plongeant le monde entier dans des «-temps nouveaux-», la disparition du soleil permettrait ainsi à la Guadeloupe de prendre conscience que, bien qu’étant une île minuscule et apparemment sans importance, elle a sa place dans le monde puisque c’est de là que la Bête s’envole pour avaler le soleil et que c’est un guadeloupéen 45 Ibid�, p� 217� 46 Condé, 2004, p� 151� 47 Patrick Chamoiseau, Chronique des sept misères, Paris, Gallimard, 2004, p� 213� 48 Raphaël Confiant, Case à Chine, Paris, Mercure de France, 2007� 49 Eliade, 2004, p� 166� 50 Ibid. Les représentations de la mort dans le réalisme merveilleux antillais DOI 10.2357/ OeC-2019-0016 100 Sébastien Sacré Œuvres & Critiques, XLIV, 2 (2019) qui libère le soleil et sauve, littéralement, la planète� D’une certaine manière, il semble donc que, tout en suivant un cheminement mythique identique à celui de Ti Jean et de la Guadeloupe, les romans antillais proposent, eux aussi, un cheminement propice à l’apparition d’un sentiment d’appartenance à une île longtemps mise à distance et d’intégration au monde� Le monde antillais, qui ne semblait être qu’une prison, un monde de limites et de frontières, est donc décrit par les auteurs comme divisé entre un ici et un ailleurs, entre les vivants et les morts et entre un-monde «-réaliste-» et un monde «-magique-»� Appartenant à un monde plantationnaire d’acculturations successives, plutôt qu’à une Afrique éloignée dans l’espace et le temps et une France acculturatrice, les Invisibles seraient plus que de simples personnages folkloriques� Ils seraient les traces identitaires d’une culture et d’une identité dans un monde où, en-dehors des contes, de la mémoire pure, esclaves et marrons ne laissaient que peu de traces de leurs passages� Marques surnaturelles et indélébiles de l’origine biologique et familiale de personnages comme Tituba, Léonce et Mina, ces esprits seraient ainsi l’illustration d’une lutte contre l’oubli et d’un ancrage dans cette terre caribéenne� On peut ainsi comprendre pourquoi, dans Lettres Créoles, Chamoiseau et Confiant soutiennent, que malgré les souffrances de l’esclavage et de l’acculturation, la situation antillaise a eu des conséquences bénéfiques puisqu’elle a «-développé un élément qu’aucun de ses protagonistes n’avait pressenti ni n’avait désiré-: une culture …-» 51 � 51 Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant, Lettres créoles, tracées antillaises et continentales de la littérature, Haïti, Guadeloupe, Martinique, Guyane, 1635-194, Paris, Gallimard, 1999, p� 49� DOI 10.2357/ OeC-2019-0016