Oeuvres et Critiques
oec
0338-1900
2941-0851
Narr Verlag Tübingen
10.2357/OeC-2020-0001
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Avant-propos
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Francis Assaf
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Œuvres & Critiques, XLV, 1 (2020) DOI 10.2357/ OeC-2020-0001 Avant-propos Francis Assaf University of Georgia (Emeritus) Ce numéro d’Œuvres & Critiques a pour thème élargi l’histoire orientale. Dès avant le XVIII e siècle, les récits de voyageurs sur l’Orient et ses mystères attisent l’imagination des auteurs aussi bien que des lecteurs. Mais le «-grand événement- » est, bien entendu, la publication en 1704 du premier tome des «-Mille et une nuit-» (pas d’s-! ), traduit (ou plutôt adapté) en français par Antoine Galland. Les volumes suivants continueront de paraître jusqu’en 1717. Mais Galland est loin d’être le seul à avoir manifesté son intérêt pour l’Orient. L’orientaliste François Pétis de La Croix (1653-1713) publie en 1707 les Contes turcs, puis, de 1710 à 1712, Les Mille et un jours (qui aurait été revu et corrigé pour le style par Lesage). Dans son ouvrage de 1949 (qui demeure incontournable) L’Orient romanesque en France (Montréal-: Éd. Beauchemin Ltée), Marie-Louise Dufrénoy recense toutes les histoires orientales parues de 1704 à la Révolution. Les contributions à ce numéro manifestent une grande diversité dans leurs sujets, approches et domaines. On peut y trouver une réflexion sur le Cantique des Cantiques, les mémoires d’un missionnaire en Chine, une utopie sadienne, une réflexion multiple sur le héros national albanais, et d’autres regards passionnants sur le «-phénomène oriental-», y compris les questions de genre et la place de la femme en tant que personnage central. Francis Assaf analyse Salned et Garaldi, un conte moral oriental mettant en scène deux jeunes femmes victimes à divers titres d’injustice et de graves malentendus, paru pour la première fois dans Le Nouveau Mercure de février 1720 et, plus tard, après 1731, dans un volume où il est attribué à Houdar de La Motte (1672-1731) mais sans preuve véritable. L’action se passe à Bassorah, qui n’est à la vérité qu’un cadre-prétexte manquant de couleur locale. La dynamique du conte repose sur l’alternance pour les deux héroïnes d’épisodes heureux et malheureux (faraj et shidda) dont la thématique a son origine dans les contes de Abu ‘Ali al-Muhassin al Tanûkhi (940-994), intitulés collectivement Al-Faraj ba’d al-shidda, que traduit l’orientaliste François Pétis de La Croix entre 1710 et 1712. Il en résulte un conte moral qui, à la vérité, ne doit pas grand-chose à l’orientalisme, lequel semble surtout servir de prétexte aux tribulations des deux jeunes femmes. 6 Œuvres & Critiques, XLV, 1 (2020) DOI 10.2357/ OeC-2020-0001 Francis Assaf Mathilde Bedel examine la place de l’Inde dans l’imaginaire des écrivains du Grand Siècle. Elle souligne le contraste entre l’Inde en tant qu’objet de concurrence commerciale, politique, voire militaire, entre Hollande, Portugal et Angleterre, alors que pour l’imaginaire français elle demeure un territoire «-fictionnalisé-», alimenté et conforté par la pensée antique (Realia Indiae, Les Dionysiaques de Nonnos de Panopolis - fin IV e -milieu V e ). Cette pensée se retrouve dans la première modernité, avec Le Cinquiesme Livre de Rabelais, puis, plus tard avec Les Aventures d’Abdalla (1723), de Jean-Paul Bignon (1662-1743). Bedel offre en conclusion l’argument que cette fictionnalisation débouche sur l’établissement bien réel des comptoirs de l’Inde. Anne Duggan examine L’Histoire de la sultane de Perse et des quarante vizirs, mise à la disposition du lectorat français en 1707 par l’orientaliste François Pétis de La Croix. Ce dernier publie également, entre 1710 et 1712, Les Mille et un jours, titre qu’il donne lui-même aux écrits de Abu ‘Ali al-Muhassin al Tanûkhi (940-994), intitulés collectivement Al-Faraj ba’d al-shidda (supra). L’auteure fait voir comment dans Les Mille et un jours la situation est inversée par rapport aux Mille et une nuits-: l’extrême misogynie de Shahriar dans ce dernier texte est inversée dans le texte de Pétis, se métamorphosant en une misandrie tout aussi létale. L’auteure manie adroitement ce contraste et les péripéties narratives qui en découlent, en fonction de la notion de genre et des complexités qu’implique cette perspective inversée. Ce n’est pas toutefois un simple exercice mécanique car l’auteure tient rigoureusement compte de la complexité des relations entre les personnages, du monde dans lequel ils évoluent et des relations avec des questions contemporaines. La conclusion féministe s’appuie une analyse rigoureuse des intentions des Mille et un jours (que l’auteure sépare en Contes persans et Contes turcs). Aurélia Gaillard examine dans son essai la notion du beau oriental, de l’âge classique au début des Lumières. Commençant par la notion de beauté en tant qu’elle s’applique à la femme orientale (Géorgienne, Persane, Circassienne ou Grecque), l’auteure note que, reposant sur les deux topoï de l’attrait physique et de la vertu, ce concept ressortit en fait à la domination masculine telle qu’on la voit dans les Lettres persanes, aussi chez Prévost (Histoire d’une Grecque moderne) et d’autres auteurs, comme Galland et Pétis de La Croix. La beauté féminine s’amalgame avec d’autres instances du Beau-: étoffes merveilleuses, machines «- miraculeuses- », phénomènes optiques, lieux imaginaires etc. L’essai se conclut sur une ouverture du sentiment esthétique en France au début du XVIII e siècle qui mènera au rococo. 7 Avant-propos Œuvres & Critiques, XLV, 1 (2020) DOI 10.2357/ OeC-2020-0001 Joséphine Gardon-Goujon examine la mise en fiction du héros national albanais, George Kastrioti (1405-1468), surnommé Scanderbeg, en comparaison avec Alexandre le Grand, par ses alliés, puis ennemis turcs. Outre des poésies, opéras et pièces de théâtre, elle focalise son regard sur trois romans dont il est sujet et dont les auteurs respectifs situent son parcours de la dystopie orientale/ musulmane au statut de héros chrétien. Le premier roman qu’elle examine est Le Grand Scanderberg 1 (1644) d’Urbain Chevreau (1613- 1701). Gardon-Goujon analyse la justification que donne Chevreau de son investissement détaillé dans l’histoire turque pour expliquer l’attitude de Scanderbeg vis-à-vis des Ottomans. L’ouvrage suivant est Les Mémoires du Sérail (1670), attribué à Madame de Villedieu (Marie-Catherine Desjardins v. 1640-1683). Plutôt que l’histoire, c’est la fantaisie galante qui y est mise en relief, avec description d’un environnement somptueux, rempli d’objets magnifiques. Enfin, l’auteure se tourne vers Le Grand Scanderbeg (1688), attribué à la romancière huguenote Anne de La Roche-Guilhen (1644v.1707/ 1710). Ioana Manea aborde dans son essai la question de l’honnête homme dans les contes orientaux de François Pétis de La Croix, question qui implique un regard moderne sur le pouvoir (le roi au service de l’État, plutôt que pour sa seule gloire). Mais l’honnête homme ne se trouve pas seulement au niveau du pouvoir suprême-: l’auteure évoque d’autres personnages, dont on pourrait a priori contester la vertu et qui pourtant font preuve de sagesse et de sentiments élevés. La variété des personnages est aussi mise en lumière, y compris des êtres comiques, voire grotesques, ce qui souligne bien la diversité des sources dont a fait usage Pétis. L’analyse psychologique des personnages et de leurs interactions concourt à donner aux lecteurs une idée aussi claire que variée d’un univers où se mêlent exotisme et familiarité. Luisa Messina dépasse dans son essai les limites géographiques de l’Orient pour tourner son regard vers les terres australes avec un épisode du roman de Sade Aline et Valcour concernant une terre utopique, l’île de Tamoé, qui joue le même rôle didactique que les terres orientales présentées par Galland ou Pétis. Le gouvernement de Tamoé n’est pas sans offrir des affinités avec celui de l’Eldorado de Candide, en même temps que la contrée se pose en contraste brutal avec la dystopie de Butua. Moins «-militant-» au point de vue moral que le Supplément au Voyage de Bougainville, qui le précède de quelque vingt ans, le royaume de Tamoé tel que le décrit l’auteure présente une image inversée des bouleversements de la Révolution, mais sans beaucoup d’espoir que se réalise l’utopie philosophico-politique rêvée par le «-divin marquis-». 1 L’auteure explique en note la disparité entre «-Scanderbeg-» et «-Scanderberg-». 8 Œuvres & Critiques, XLV, 1 (2020) DOI 10.2357/ OeC-2020-0001 Francis Assaf Claudine Nédelec présente dans son essai, non pas un récit de fiction, mais les observations d’un jésuite français, le p. Louis Daniel Lecomte (1655- 1728), envoyé à Pékin en 1685, avec cinq de ses confrères, en qualité de mathématiciens du Roi, pour rencontrer l’empereur Kangxi (1661-1722). Bien que relativement succinct, le récit de l’auteure offre non seulement une perspective d’ensemble sur les activités du p. Lecomte et de ses compagnons, mais aussi un regard comparatif sur le règne de Louis XIV et celui de Kangxi. L’auteure souligne le souci qu’a Lecomte de plaire à ses lecteurs (et surtout à sa lectrice, la duchesse de Bouillon). Les aventures dangereuses ne manquent pas (la Mer de Chine au XVII e siècle n’est pas un lac de cygnes-! ), ni non plus les anecdotes mettant en relief non seulement sa vive curiosité et son sens de l’observation, mais aussi son sens de l’humour. L’auteure fait aussi ressortir l’apologiste chez Lecomte, aux prises avec l’hostilité des dévots de la métropole, ainsi que son engagement envers les sciences de la nature et sa vision du véritable mérite. Suzanne Toczyski adopte une approche originale, combinant la sensualité orientale du Cantique des Cantiques et le mysticisme de François de Sales dans son Traité de l’amour de Dieu. Elle présente un argument raisonné, s’appuyant sur nombre de sources, qui débouche sur une synthèse persuasive de la volupté charnelle telle que la conçoit l’Orient et de la volupté spirituelle du croyant qui s’unit à son Dieu, de façon à faire voir que l’évêque de Genève ne concevait nullement le mysticisme comme devant passer par la souffrance, mais au contraire devenant pour le croyant une source de plaisir infini.
