Papers on French Seventeenth Century Literature
pfscl
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
10.2357/PFSCL-2019-0011
61
2019
4690
Suzanne Duval: La Prose poétique du roman baroque (1571-1670). Paris, Classiques Garnier, «Lire le XVIIe siècle», 2017. 709 p.
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2019
Volker Kapp
pfscl46900218
PFSCL XLVI, 90 (2019) PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0011 218 Suzanne Duval : La Prose poétique du roman baroque (1571-1670). Paris, Classiques Garnier, « Lire le XVII e siècle », 2017. 709 p. Le titre du présent ouvrage comporte une notion « chargée d’une connotation préromantique qui semble a priori difficilement applicable à la lourdeur légendaire du style des romans baroques » (11). Au XVII e siècle, la « représentation déformée et polémique » (22) du « parler roman », qui désignait auparavant « le français courtois et raffiné divulgué par les œuvres fictionnelles du Moyen Âge » (176), caricaturait les traits spécifiques de ce genre littéraire. Suzanne Duval a le courage de subvertir ce cliché erroné en insérant les romans dans la tradition rhétorique et poétique, négligée par ceux qui vilipendent la structure spécifique de cette forme littéraire de la première modernité. Elle parvient à une correction de la bévue en situant les normes de ce genre littéraire dans le contexte du « modèle discursif mondain » (623) de la conversation. Dans cette perspective, « la frontière séparant la prose de la poésie tend à s’estomper à la faveur d’un art de l’agrément jouant notamment sur le mélange et la variété des formes » (623). La vérification de cette hypothèse profite des travaux récents sur l’argument en les complétant à bien des égards. Les trois sections du volume se complètent mutuellement. Une première partie intitulée « À la recherche de la prose poétique » (31-244) focalise l’attention sur la théorie littéraire, particulièrement sur le « paradoxe » (31) du syntagme « prose poétique », sur les « rencontres de la prose et de la poésie » (95) du Moyen Âge et de la Renaissance à la littérature galante du premier XVII e siècle et sur la « situation du genre romanesque » (161) face au style de l’épopée et aux agréments de la poésie. La deuxième partie, consacrée aux « constellations de la prose poétique » (245-485), passe à une lecture passionnante d’épisodes exemplaires choisis tirés du corpus des romans. Dans l’optique de l’élocution, elle focalise l’attention sur « les lieux poétiques » (245) de la diction poétique symbolisée par « la langue des dieux mise en roman » (309) et sur ses rapports variés avec la tradition poétique. Les portraits, les plaintes et les descriptions constituent les « beaux endroits » (245) enchâssés dans le récit romanesque. Les « beaux mots » (310), les « grâces du nom commun » (318) ou les « agréments du style fleuri » (336) sont les ornements prisés par les romanciers. La prose romanesque est « le principal laboratoire du sublime délicat et amoureux » mis en œuvre « à travers les usages de l’hyperbole, de la métonymie et enfin du rythme » (364). Mme Duval se penche ensuite sur ce qu’elle appelle alors une « peinture parlante, c’est-à-dire une mimèsis en mouvement » (385). La troisième partie (486-622) fournit une synthèse des analyses précédentes par le parcours « de la prose poétique à l’esthétique romanesque » (486). Elle recourt 219 au paradoxe en présentant « une poétique de l’imperfection » (491) et caractérise les tournures poétiques par l’intitulé d’un chapitre « à sauts et à gambades : le récit en forme de promenade » (507). La conclusion (623-628) retient quatre « patrons stylistiques » du corpus examiné : 1. l’« élaboration en prose d’une topique et d’un trésor de figures empruntées à la tradition poétique », 2. la « mise en œuvre d’une douceur rythmique », 3. la « diversification polyphonique des discours énonciatifs », 4. la « mise en évidence de la liberté d’un discours régi par le plaisir de celui qui l’énonce » (624). Suzanne Duval combine la lecture rhétorique avec la narratologie ainsi que les analyses inspirées par Genette avec la stylistique contemporaine. Sa critique pertinente de la théorie de l’écart linguistique (57-62) lui permet de réhabiliter la prose poétique du roman baroque qui « emblématise une pratique d’écriture moderne irréductible aux catégories de la prose et de la poésie » (195) propagés par Jacobson. Les romanciers « prétendent capter la bienveillance du public mondain en inventant un discours qui absorbe tous les agréments du bel usage » (310) et en optant « pour l’élégance plutôt que pour la rareté » (317). Suivant l’idéal de la douceur, ils conforment le rythme libre de la prose à « l’allure naturelle de la conversation tout en recourant parfois aux agencements rythmiquement plus contraints que sont les figures gorgianiques, les figures de mots et enfin les vers insérés » (354). Ils explorent la vie psychique dans le cadre de « l’allure familière de l’échange amical » (423) mondain. La rhétorique de l’ekphrasis, qui assimile la fiction poétique à la peinture ou au tableau, « favorise l’abondance de détails et la virtuosité stylistique tandis que l’hypotypose assure la dramatisation de l’énoncé » (406). La mise en scène du narrateur par une intervention directe s’adressant au lecteur trouve son corollaire dans « la mise en valeur des discours ingénieux du narrateur et des personnages » (493). Le romancier met son imagination prolifique au service « d’un art d’agréer qui place la diversité au cœur de son esthétique » (512). Le « style Nervèze », tant décrié par la critique littéraire, est réhabilité quand sa virtuosité est expliquée par Mme Duval en tant que passage d’un « florilège de marguerites » (577). La prose sophistiquée des années 1600-1610 préconise « une harmonie des gestes et des corps à l’image de la communication transparente des cœurs » et reflète ainsi « le rêve d’une société galante en pleine maîtrise du beau langage » (582). Il est impossible d’énumérer les multiples analyses brillantes des romans et des ouvrages théoriques dont leurs auteurs s’inspirent. Suzanne Duval avoue avoir écrit ce livre pour rendre plus lisible la prose poétique du roman baroque et « l’imaginaire dont elle était porteuse » (621). Ses développements permettent d’explorer un univers littéraire fascinant. Volker Kapp
