eJournals Papers on French Seventeenth Century Literature 46/90

Papers on French Seventeenth Century Literature
pfscl
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
10.2357/PFSCL-2019-0012
61
2019
4690

Jean de Guardia: Logique du genre dramatique. Genève, Droz, 2018. 499 p.

61
2019
Volker Kapp
pfscl46900220
PFSCL XLVI, 90 (2019) PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0012 220 Jean de Guardia : Logique du genre dramatique. Genève, Droz, 2018. 499 p. Cette étude est censée « décrire un phénomène de cohérence » (14) concernant le genre dramatique du XVII e siècle français. Son hypothèse de départ consiste à postuler « une cohérence logique ou au moins naturelle » (15) du théâtre classique, parce que celui-ci est « le moment de la découverte de la cohérence fictionnelle » ainsi que « le moment de son élaboration » (15). Les développements sont centrés sur l’analyse logique de la dramaturgie tandis que les énoncés ou les messages des pièces sont écartés en tant qu’éléments négligeables. Guardia focalise l’attention tant sur la découverte que sur l’élaboration de cette cohérence, laquelle « est un but en soi » (17) et lui semble « la partie la plus datée du système régulier » (17). Ce qui autorise cette démarche c’est le fait que dans sa Poétique, Aristote envisage d’une part la structure du drame et d’autre part le philosophe ait complété sa théorie littéraire par sa Rhétorique et par l’Ethique à Nicomaque. Les développements de Guardia se heurtent toutefois au paradoxe que la poétique classique a « négligé le nécessaire aristotélicien malgré sa supériorité théorique » (116). Convaincu que « la spécificité de la fiction classique est d’avoir chassé du domaine du représentable les actions sans cause », il veut prouver « qu’en fiction, rendre raison d’une action, c’est persuader le spectateur que cette action est le bon moyen en vue d’une fin » (471). Le corpus sur lequel se base son analyse de structures est « un ensemble de pièces jouées entre 1637 et 1687, relevant uniquement des deux genres ‘purs’, tragédie et comédie » (26). La tragi-comédie et la farce restent marginales dans ces développements. Les écrits de poéticiens de l’époque et les pièces de Corneille, Racine et Molière fournissent les matériaux lui permettant de vérifier « l’exemple fondateur de la théorie classique du vraisemblable, dont G. Genette propose une célèbre analyse dans ‘Vraisemblance et motivation’ » (43). Bien que ce critique importe tant à notre auteur, il détourne « trois accents » (84) de sa théorie et se propose d’expliquer la division opérée par Corneille entre les vraisemblables ordinaire et extraordinaire dans la suite « des pages célèbres » (92) de G. Forestier sur ce sujet. Parmi les théoriciens classiques, il admire « la profondeur de la conception de la fiction de d’Aubignac » (214), tout en lui reprochant d’avoir les plus grandes difficultés à mettre en pratique ses concepts « d’unité et de système de motivation » (226) puisque, dans Zénobie, « la stratégie de Zénobie est d’une absolue stupidité » (227). On reste sceptique face à l’exclusion ou à la dévalorisation des dramaturges mineurs de l’époque comme si leurs pièces étaient mauvaises, mais cette démarche, qui s’appuie sur la réaction du publique, oublie que ce dernier ne Comptes rendus PFSCL XLVI, 90 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0012 221 savait pas toujours distinguer immédiatement les chefs-d’œuvre des drames moins réussis, même s’il reste à juste titre un facteur essentiel des analyses logiques. D’après Guardia, les dramaturges se sont vite ralliés à l’unité d’action « parce qu’on ne sait pas précisément sur quoi on s’accorde » (238). Ses analyses logiques insistent sur l’importance de la rhétorique pour le théâtre classique. Elles mettent en évidence les stratégies oratoires d’un grand nombre de pièces, mais on hésitera à accepter ses développements sur « l’actio » oratoire (239) illustrant l’opposition entre « drama » et « diegesis » (239). Les spécialistes de rhétorique savent que « dans le théâtre régulier la parole est reine, [et que] la tentative de persuasion oratoire » y est « majoritaire » (264). Guardia juge nécessaire de citer un long extrait de La Pratique du théâtre pour distinguer les « discours en général » du « mode mimétique » (419) du théâtre. Il souligne que, dans la mesure où la conception de l’unité fonctionnelle est subvertie par celle de « l’unité en roue », « la nature essentiellement rhétorique du théâtre régulier » (265) se renforce. Ce qu’il qualifie de « la bicyclette de Corneille » (269), est un « modèle d’unité hybride » (276) qui, selon lui, n’a pas eu de succès. La première partie du livre (53-212) analyse le concept de fiction en demandant si on peut « remplacer une raison par une cause » (147). La deuxième partie intitulée « causalité et unité » (213-368) montre que le « conséquentialisme » prisé par Corneille est subverti par le « fonctionalisme » cher à Racine. La troisième partie (369-470) inclut « l’histoire » dans la « cohérence logique du texte théâtral » (369) pour délimiter le discours sur la scène de celui de l’orateur. L’esprit de système de cette étude permet de visualiser les éléments constitutifs du drame par des schémas en faisant abstraction de ses énoncés. Dès le début, Guardia constate la contradiction entre la doctrine des poéticiens et le « théâtre réel » (16) et recourt au schéma binaire pour la surmonter. Ce schéma binaire est un des pivots de cette analyse logique insistant sur l’infériorité des drames par rapport à la dramaturgie. Son constat, que les « pièces ‘régulières’ ne sont pas celles qui appliquent intégralement les règles doctrinales de cohérence » (16), autorise ceux qui étudient les messages des pièces à considérer ces écarts par rapport aux théories comme la partie la plus intéressante et un des charmes des œuvres littéraires. Une telle lecture ‘traditionnelle’ peut toutefois s’abreuver des remarques suggestives sur la structure dramatique présentées par Guardia pour pénétrer dans l’univers des messages transmis par le théâtre classique. Volker Kapp