Papers on French Seventeenth Century Literature
pfscl
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
10.2357/PFSCL-2019-0024
121
2019
4691
Le Combat de généroisté dans les tragi-comédies de Scudéry
121
2019
Perry Gethner
pfscl46910353
PFSCL XLVI, 91 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0024 Le Combat de générosité dans les tragi-comédies de Scudéry P ERRY G ETHNER (O KLAHOMA S TATE U NIVERSITY ) Parmi les qualités comprises dans le code de conduite pour les protagonistes vertueux dans la littérature du dix-septième siècle, on compte le dévouement absolu envers autrui (la famille, le roi/ seigneur, le/ la bienaimé/ e, l’ami), et une des formes les plus spectaculaires de cet attachement est le combat de générosité. Il s’agit d’une offre de sacrifice : un personnage consent à porter la responsabilité pour l’offense d’un être cher. Dans la plupart des cas, cela veut dire qu’on accepte d’être emprisonné ou exécuté à la place de l’autre ou avec lui. Mais quand ce motif figure dans une tragicomédie, le sacrifice n’aura pas lieu ou du moins n’aura pas de conséquences fatales. Le plus souvent les offres de sacrifice se trouvent au dernier acte, mais dans certains cas elles parcourent toute la pièce. Les preuves de dévouement peuvent aussi avoir une influence sur la vie politique, car le personnage-obstacle est souvent un monarque : si c’est un bon roi ou reine, ils pardonnent à ceux qu’ils ont opprimés, permettant la formation de nouvelles alliances ; si c’est un roi méchant, il se convertit à la vertu et cesse de persécuter les innocents. Dans ces dénouements, la bienséance triomphe aux dépens de la vraisemblance, dans la mesure où l’altruisme des héros semble presque surhumain et que le changement chez le tyran semble trop soudain. Or, si le combat de générosité est un motif assez fréquent dans le théâtre de la première moitié du siècle, c’est Georges de Scudéry qui en fait l’usage le plus fréquent et le plus varié. En fait, contrairement à ses collègues, il utilise plusieurs types de couples capables de cette grandeur d’âme : deux hommes (amis, ou rivaux, ou maître et serviteur), ou un homme et une femme (amants ou époux). Je vais explorer ces catégories tour à tour. Le motif du combat de générosité, qui apparaît rarement dans la littérature française avant l’époque de Scudéry, remonte à l’antiquité. Il y en a plusieurs exemples dans les mythes et légendes grecs, et tous concernent des Perry Gethner PFSCL XLVI, 91 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0024 354 couples d’amis masculins : Oreste et Pylade, Castor et Pollux, Damon et Pythias 1 . Quant aux exemples de ce type de dévouement entre un homme et une femme, on n’en trouve guère avant le seizième siècle, surtout en Italie : pour mari et femme, une nouvelle de Giraldi Cinthio dans la collection Ecatomitti, et pour deux amants, la Gerusalemme liberata du Tasse 2 . Dans la littérature française il faut signaler surtout L’Astrée de d’Urfé, qui en fournit maint exemple. Le combat de générosité entre amis et rivaux devient possible surtout dans les cas où tous les deux sont guerriers et chacun admire la valeur de l’autre. Dans le cas exceptionnel du Trompeur puni, les rivaux en amour sont aussi amis. Leur amitié date du moment où Arsidor sauve la vie à un inconnu attaqué par trois hommes. C’est seulement par la suite qu’il apprend que son nouvel ami, Alcandre, aime la même femme que lui. Ils se battent pour elle, et quand Arsidor est victorieux, Alcandre renonce à la bien-aimée. Cette pièce, où le combat de générosité apparaît chez Scudéry pour la première fois, est significatif à plusieurs égards. Le combat prend trois formes : combat physique (duel), débat intérieur dans la mesure où chacun estime trop l’autre pour vouloir se battre contre lui, et duel verbal où les antagonistes déclarent leur désir de se sacrifier pour l’autre. Le duel verbal culmine dans une série de petites répliques parallèles, technique que Scudéry va souvent réutiliser. En voici un extrait : Alcandre : C’est moi qui dois périr, puisque j’ai fait le crime. Arsidor : Votre dessein n’a rien qui ne soit légitime. Alcandre : Le Ciel par votre bras veut punir mon orgueil. 1 Dans cette dernière histoire, relatée par Valère Maxime, Diodore de Sicile et Cicéron, il s’agit d’un homme condamné à mort qui demande un bref congé pour arranger des affaires de famille et propose en otage son meilleur ami, qui sera exécuté à sa place au cas où il ne reviendrait pas à temps. Le dévouement des deux amis leur vaudra la grâce du criminel. Au dix-septième siècle la seule pièce à ce sujet est la tragi-comédie de Chappuzeau, publiée en 1657 (en Hollande). L’histoire d’Oreste et de Pylade sera traitée par Coqueteau de La Clairière (1659, pièce perdue) et par La Grange-Chancel (1699). Scudéry se réfère brièvement à Oreste et Pylade dans sa toute première pièce, Ligdamon et Lidias (v. 990). 2 Chez Giraldi (Décade 5, nouvelle 4), la femme d’un homme condamné à mort entre dans sa cellule, change de vêtements avec lui, et le fait sortir, demeurant à sa place. En apprenant cette ruse, le gouverneur condamne les deux époux à mort, mais ils sont libérés grâce à la clémence du roi. L’histoire de Sofronia et d’Olindo, chez le Tasse (Canto 2, strophes 14-54) se place dans un contexte religieux : la jeune femme se dénonce, disant avoir commis un acte considéré comme un sacrilège dans l’espoir de sauver toute sa communauté chrétienne de la persécution du roi musulman, puis son amant se dénonce comme le vrai coupable pour sauver la vie à sa bien-aimée. Ils sont libérés grâce à l’intervention de la guerrière Clorinda. Le Combat de générosité dans les tragi-comédies de Scudéry PFSCL XLVI, 91 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0024 355 Arsidor : Le mien de votre main n’attend que le cercueil. Alcandre : En ne cessant d’aimer, je dois cesser de vivre. Arsidor : Vivez franc d’un souci, dont ma mort vous délivre. Alcandre : J’aime bien mieux mourir, que vivre en des remords. Arsidor : Vous n’en devez avoir si je vais chez les morts. (p. 99-100) 3 De plus, cette pièce est unique dans sa structure, car Arsidor doit affronter tour à tour deux rivaux, dont le premier est malhonnête et le deuxième est magnanime : alors que le premier est un méchant à punir, le deuxième est un camarade admirable avec qui un combat moral devient possible. En général, les rivaux s’opposent à la fois en politique et en amour, mais pas toujours. Dans Arminius, les généraux des armées ennemies s’admirent mutuellement et aimeraient devenir amis, mais il n’y a pas de rivalité amoureuse. Chacun est marié et chacun aime sa femme. Mais alors que Germanicus, chef romain, s’est arrangé pour que sa femme, Agrippine, l’accompagne à la guerre, le chef allemand, Arminius, tente de regagner sa femme, Hercinie, d’avec qui il a été séparé par le père de la jeune femme ; elle est actuellement au pouvoir des Romains. Puisqu’Arminius veut sincèrement se réunir avec sa femme, il négocie avec les Romains pour sa délivrance. Quoique les deux rivaux soient patriotiques et férus de gloire personnelle, ils ont envie de mettre fin à la guerre pour honorer la vaillance de leurs ennemis. Mais cela n’est pas possible, car l’empereur Tibère a résolu la défaite des Allemands ; de plus, il se méfie de son meilleur général. Germanicus est également frustré dans son désir de rendre Hercinie à son mari, car le père et le beau-frère de celle-ci ont signé une alliance avec les Romains et insistent pour la garder avec eux. Quand Germanicus explique son dilemme à Arminius, celui-ci admet qu’il est déçu mais comprend la situation difficile de son rival. Il est significatif que, chaque fois que ces deux hommes se rencontrent, chacun comble l’autre de compliments sur leurs qualités morales. Par exemple, Arminius déclare : Nous sommes gens d’honneur, aussi bien qu’ennemis ; Nous ne ferons jamais, ce qui n’est point permis […] Combattant pour la gloire, et pour la Nation, Nous combattons sans fraude, et sans aversion. (p. 16) Germanicus est encore plus explicite, décrivant le conflit militaire entre les deux nations comme un combat de générosité à l’échelle nationale : Généreux ennemi que l’Univers renomme, C’est par là seulement que l’on peut vaincre Rome ; 3 Je modernise partout l’orthographe dans les citations. Les numéros de page renvoient à l’édition originale, mais je donne les numéros de vers quand j’utilise des éditions modernes. Perry Gethner PFSCL XLVI, 91 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0024 356 Ce n’est qu’en lui cédant, qu’on la peut surmonter ; Il faut être dompté, quand on la veut dompter […] (p. 17) Cependant, comme d’habitude, la grandeur d’âme des protagonistes n’aura que peu d’influence sur le dénouement. Ce sont les véritables personnages-obstacles qui devront disparaître : le père d’Hercinie, qui déteste son gendre à la fureur, rompt son alliance avec les Romains quand il voit l’amitié naissante entre Arminius et Germanicus, et le beau-frère se convertit à la vertu et renonce à sa passion adultère pour sa belle-sœur. La guerre se poursuivra, mais du moins Arminius et sa femme seront réunis. Dans Andromire les amis sont les principaux généraux des armées opposées, mais ils s’admirent mutuellement, d’abord pour leur prouesse et ensuite pour leurs qualités morales. Et puisque leur rivalité en amour disparaît bientôt (Siphax s’éprend d’une des sœurs de la reine, alors que son père veut qu’il épouse la reine ; Cléonime est amoureux de la reine et est aimé de retour), ils deviennent amis dévoués, constamment prêts à se sacrifier l’un pour l’autre. Scudéry présente le combat de générosité en une série d’épisodes parallèles. Siphax, fils du roi numide, qui est l’assiégeant, est capturé dans une bataille, et Cléonime, prince sicilien qui commande l’armée des assiégés, plaide pour sa libération sans rançon. La reine Andromire souscrit à ce conseil, tout en décidant de continuer la guerre. Ensuite, c’est le tour de Cléonime d’être capturé dans la bataille suivante, et naturellement Siphax plaide auprès de son père pour la libération de son ami. Mais Jugurthe refuse de suivre l’avis de son fils, n’ayant pas confiance en la bonne foi des Siciliens. Siphax se trouve donc tiraillé entre sa gratitude envers son ami d’une part, et d’autre part sa loyauté envers son père, qui est de plus son roi ; en outre, il craint le reproche de lâcheté qu’il devrait subir de la part de sa bien-aimée, qui l’estime pour sa grandeur d’âme. Jugurthe renforce la tension en donnant à son fils l’ordre de garder le prisonnier et d’en être directement responsable. Dans un entretien dramatique entre les deux amis, Siphax explique son dilemme et décide enfin que son désir de libérer Cléonime l’emporte sur les autres considérations, alors que Cléonime insiste que c’est le devoir de Siphax envers le roi qui doit l’emporter et refuse l’offre de se faire libérer. Les amis se servent constamment d’épithètes louangeuses, telles que « ô Prince généreux », « généreux ennemi », « Brave et courtois Rival », « ô Prince sans pareil ». Le passage, rempli d’offres réciproques (« Siphax : Je dois périr pour vous ; Cléonime : Et je dois vous défendre »), se termine par une impasse : « Délivrez-moi sans crime, ou que je meure ici » (p. 53-54). Mais ces déclarations de magnanimité ne vont pas influencer le déroulement de l’action, car un autre général sicilien organise une sortie contre les Numidiens, au cours de laquelle il délivre Cléonime. Le Combat de générosité dans les tragi-comédies de Scudéry PFSCL XLVI, 91 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0024 357 C’est dans Orante que le combat de générosité entre rivaux est le plus spectaculaire, car il comporte un combat physique sur scène qui comprend cinq personnes. Ormin, oncle du personnage titre qui s’éprend d’elle malgré le lien de parenté et malgré le fait qu’il est déjà marié, se laisse emporter par sa passion jusqu’au point de provoquer en duel Isimandre, le rival qu’Orante préfère. Mais le troisième rival, Florange, après avoir appris qu’Ormin l’a trompé, se venge de lui de manière malhonnête : il paie deux assassins pour l’attaquer. Ces « braves » trouvent Ormin juste avant le duel qu’il vient d’arranger avec Isimandre ; le héros, qui arrive juste à temps, est si scandalisé par le procédé de Florange qu’il se bat aux côtés d’Ormin ; Isimandre parvient à tuer Florange et les assassins ; la valeur et l’altruisme du héros impressionnent Ormin à tel point qu’il cède la main d’Orante à son défenseur. Il est sensible aussi à l’humilité d’Isimandre, qui accorde le crédit pour son action au sort, au sens providentiel du terme. Ormin répond en acceptant le bon code moral : « Pour un cœur généreux, les bienfaits ont des charmes ; / Et vous me désarmez en conservant mes armes […] Vous avez triomphé de mon ressentiment » (p. 111-112). Cette conversion du personnage méchant est préparée en partie par le fait que, dans un monologue sur le lieu du duel quand il attend son adversaire, il s’assure de la victoire grâce non seulement à sa compétence guerrière mais aussi à ce qu’il croit l’honnéteté de son procédé : il veut que sa bien-aimée devienne le prix « Non pas au plus rusé, mais au plus généreux » (p. 109). Dans Ibrahim le combat de générosité entre rivaux n’est qu’esquissé. Achomat, général qui a combattu sous les ordres du personnage titre, tombe amoureux d’Astérie, fille du sultan Soliman. Celle-ci s’est éprise du vizir Ibrahim, mais après avoir appris qu’il aime ailleurs, renonce à lui et agrée l’amour d’un autre général, Achomat. Mais quand le sultan condamne Ibrahim à mort, alors que tout le monde sait que c’est une injustice manifeste, Astérie plaide en faveur du condamné et ordonne à son prétendant d’en faire autant. Achomat, dans un long monologue, hésite entre ses sentiments de jalousie envers celui qu’il continue à croire son rival en amour, et son sens de l’honneur, car il doit de la gratitude envers Ibrahim, qui vient de louer ses exploits en faisant le récit du combat au sultan. Enfin il prend le bon chemin : « Quiconque de la gloire, est toujours amoureux, / Même à ses ennemis, doit être généreux » (p. 163). Il va chez Soliman pour défendre Ibrahim et, si besoin est, mourir avec lui, et cet acte vertueux lui vaut l’admiration de son rival. Mais l’intervention d’Achomat ne jouera aucun rôle dans le dénouement, car le sultan s’est déjà repenti de sa méchanceté et revient avec l’intention de révoquer la sentence injuste. On a l’impression qu’Ibrahim, qui est un modèle de générosité, serait prêt à se dévouer pour Perry Gethner PFSCL XLVI, 91 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0024 358 aider Achomat, s’il le fallait, mais à cette occasion c’est le seul Achomat qui a l’occasion de servir un rival. Scudéry semble avoir été fasciné par l’offre de sacrifice entre roi et héros, catégorie que je n’ai pas retrouvée avant lui. Dans Le Vassal généreux Théandre, le personnage titre, est tellement dévoué à l’institution de la monarchie, et à la famille royale des Francs en particulier, qu’il est prêt à leur sacrifier sa vie. Mais le jeune roi Lucidan, dont la conduite tyrannique est si choquante que son peuple se révolte et le chasse, se convertit soudain à la vertu. Le combat de générosité a lieu quand le roi rencontre par hasard Théandre, qui vient d’être réuni avec sa bien-aimée Rosilée : les amants et leurs confidents prennent la fuite pour se soustraire à la persécution du roi, ignorant le fait qu’il vient d’être expulsé et doit s’enfuir lui-même. Lucidan voit cette situation gênante comme une manifestation de la justice des dieux, et il déclare que ceux qu’il a opprimés sont en droit de le punir. Il ordonne à Théandre de se venger en le tuant : Non, je ne suis plus roi, je suis votre ennemi : Vous pouvez librement vous prendre à ma personne […] Et si vous avez peine à me vouloir servir, Voyez ce qu’un tyran vous a voulu ravir (v. 1178-1186). Bien entendu, Théandre refuse, déclarant que l’ordre est illicite et que son devoir envers son roi est inviolable. Mais il va encore plus loin, en offrant de mourir à la place du roi : « Si le sort vous menace, ou bien s’il vous accable, / J’en veux être accablé, sans en être coupable » (v. 1195- 1196). Puis il offre de servir d’intercesseur entre Lucidan et les rebelles. Dans la scène finale, Théandre est élu roi par le peuple, mais il insiste pour replacer Lucidan sur le trône. Le roi exprime son repentir et implore le pardon de ses sujets, au même moment qu’il leur accorde le sien pour l’avoir chassé : « Dans les nouveaux desseins que la vertu me donne, / Princes, excusez-moi, comme je vous pardonne » (v. 1473-1474). Il conclut la pièce en proclamant la gloire de son ancien rival, à qui il propose de consacrer un autel. Dans Ibrahim le combat de générosité entre roi et héros est plus touchant, car les deux sont liés depuis longtemps d’une amitié intense. Pendant l’absence du général, parti pour la guerre, le sultan Soliman tombe amoureux de la fiancée de son ami, Isabelle, et cette passion, approuvée par les conseillers méchants, le mène à ordonner l’exécution injuste d’Ibrahim. Mais la vertu foncière de Soliman, combinée avec ses sentiments d’amitié envers Ibrahim, l’empêche de commettre le crime. Dans un ultime entretien avec Ibrahim et les autres personnages vertueux, il y a un combat de générosité très bref. Le général proclame qu’il serait prêt à subir la sentence inique pour prouver sa fidélité absolue envers le monarque : « l’amitié me conduit Le Combat de générosité dans les tragi-comédies de Scudéry PFSCL XLVI, 91 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0024 359 à tel point, / Que je mourrai content si tu ne me hais point » (p. 179). Soliman révoque la sentence de mort et accorde la permission de partir à son ami et à sa fiancée, tout en sachant que ce départ lui sera extrêmement douloureux : « Non, non, il faut punir mon injuste folie ; / Oui, quittez le Sérail, revoyez l’Italie » (p. 180), et il quitte la scène en pleurs, disant : « Adieu ; non, je mourrais si je disais Adieu » (p. 181). Les combats de générosité entre un homme et une femme peuvent se faire, comme je l’ai dit, entre soit deux amants soit deux époux. La pièce où le combat entre amants est le mieux intégré à l’intrigue est Le Prince déguisé. Cléarque, prince amoureux de la fille de la reine de Sicile mais qui ne peut pas se présenter ouvertement puisqu’il vient d’un royaume ennemi, se procure un emploi comme jardinier dans le palais royal et se fait aimer de la princesse. Mais une rivale informe la reine des rendez-vous nocturnes des amants, et celle-ci les fait arrêter. Le résultat est un combat de générosité en trois étapes. Selon les lois du pays, si deux amants sont trouvés ensemble, celui qui a déclaré sa passion le premier sera condamné à être brûlé. Quand les jeunes gens apprennent ce décret, chacun s’accuse, sans la moindre hésitation, et insiste pour subir la peine en épargnant l’autre. La résolution de la princesse Argénie est d’autant plus remarquable qu’elle ne connaît son amant que depuis quelques jours et qu’elle n’a appris son rang de prince que la veille ; elle ne sait pas encore son nom. Mais elle s’est laissée éblouir par Cléarque, même vêtu en jardinier, à cause de toutes ses bonnes qualités : beauté physique, politesse, port aristocratique, langage éloquent, et ce qu’elle nomme « vertu », dans le sens plein du terme. Cléarque, de sa part, accepte de subir une grande humiliation pour s’approcher d’elle, faisant semblant d’être à la fois jardinier et sorcier. Il n’est donc pas surprenant de voir ces amants passer aux offres de sacrifice les plus extrêmes. Ainsi, juste après avoir entendu les peines prévues par les lois de Sicile, ils commencent leurs offres d’altruisme par un duel verbal, rempli de répliques paradoxales. Chacun accuse l’autre de cruauté en voulant mourir à sa place. En voici un extrait : Argénie : Celui qui me chérit, me veut-il affliger ? Cléarque: Vous me désobligez, en croyant m’obliger. Argénie : C’est à vous d’obéir sans faire résistance : Cléarque : C’est à moi de mourir, pour prouver ma constance. (v. 1159-1162) Le combat verbal devient combat physique au dernier acte. Selon les lois du pays, si les deux amants réclament également la culpabilité, on doit organiser un duel judiciaire, et celui dont le champion est victorieux sera gracié. Cléarque et Argénie s’arrangent, chacun à l’insu de l’autre, pour s’évader de prison ; ils arrivent dans la lice couverts d’armure ; chacun Perry Gethner PFSCL XLVI, 91 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0024 360 s’offre comme champion pour l’autre ; ils se battent (tout ceci sur scène) ; Argénie tombe mais sans être blessée ; ils ôtent leur casque et sont bouleversés d’apprendre l’identité de leur adversaire. Puis il y a un troisième combat de générosité, où chacun des amants réclame la mort pourvu que l’autre soit épargné. Pour souligner leur détermination, chacun essaie de se tuer, mais on les empêche de le faire. Finalement, la reine, qui ne peut pas se résoudre à mettre à mort des jeunes gens si courageux et si magnanimes, accorde la grâce à tous deux et à leurs complices. De plus, ayant enfin appris l’identité réelle du prince déguisé, elle souscrit au mariage des amants. Pour satisfaire son vœu de venger la mort de son mari, pour laquelle elle blâme Cléarque à tort, elle proclame que le prince va survivre sous son nom véritable, et que seul le nom de Policandre, qu’il a pris pour son déguisement, va mourir. Dans Axiane le combat de générosité entre amants se fait aussi en plusieurs étapes. Il faut d’abord convaincre Diophante, le père du jeune homme, que la bien-aimée, quoique fille d’un chef de pirates, est digne de son alliance. Puis, au dénouement, c’est Léontidas, le père de l’héroïne, qu’il faut convaincre, car celui-ci, roi dépossédé qui a changé de carrière, en veut toujours à un roi qu’il considère comme son ennemi. Dans le premier cas le combat s’exprime par un duel verbal avec stichomythie, chaque amant acceptant de mourir avec ou à la place de l’autre. Dans le deuxième cas il s’agit d’un sacrifice littéral : chacun des amants, à l’insu de l’autre, retourne dans le camp des pirates pour assouvir la vengeance de Léontidas, furieux que sa fille se soit échappée et qu’elle ait délivré le prince captif qu’elle aime. Chacun propose d’être mis à mort à la place de l’autre, mais cette foisci c’est un combat à trois : Diophante, maintenant prisonnier de Léontidas, refuse d’être délivré si son fils et Axiane doivent demeurer prisonniers à sa place, alors que les jeunes gens s’offrent comme victimes de substitution. Comme d’habitude, le personnage-obstacle se laisse vaincre, et il y a une réconciliation finale. Une forme particulièrement paradoxale de combat de générosité entre amants se trouve dans des cas où chacun propose de renoncer à l’autre : l’homme déclare qu’il veut assurer le bonheur de la bien-aimée aux dépens du sien, alors que la femme s’en offense, croyant que l’homme doute de sa fidélité. Dans L’Amant libéral, le personnage titre, Léandre, n’est pas sûr de l’affection de sa bien-aimée Léonise, fiancée par son père à son rival Pamphile, d’autant plus qu’elle semblait elle-même favoriser ce rival dans le passé. Dans la scène finale, après avoir vaillamment combattu pour délivrer Léonise de ses prétendants turcs, il offre de s’éclipser au profit de son rival chrétien si par là il peut la rendre heureuse. Mais il dit aussi qu’il serait incapable de survivre à sa perte. Léonise s’indigne de ce procédé, déclarant Le Combat de générosité dans les tragi-comédies de Scudéry PFSCL XLVI, 91 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0024 361 que Léandre n’a pas le droit de disposer d’elle et que son offre marque un mélange d’amour et d’indifférence 4 . Alors Léandre avoue que son offre n’a été qu’une feinte pour déterminer les véritables sentiments de Léonise à son égard. Mais il ne croit pas avoir fait une action malhonnête, car au début de cette scène il avait dit à son confident : « Sachons ses sentiments, ne la contraignons point ; / Et soyons généreux jusques au dernier point » (p. 84). Il est significatif que les deux amants vertueux aient une définition genrée de la générosité. L’homme conçoit cette vertu comme courage militaire, soumission aux volontés de la bien-aimée, et acceptation de dépenser sa fortune pour elle. La femme, qui sait que son rôle est surtout passif, étant soumise au contrôle de son père et puis à celui des gens qui l’ont capturée, conçoit la générosité tout autrement : elle se doit de garder sa dignité personnelle, de faire face aux adversités avec fermeté, et d’être prête à mourir plutôt que subir la disgrâce. Tout au long de la pièce elle ose confronter ses capteurs et proclame que « tout cœur généreux se fait sa destinée » (p. 25). Ajoutons que le combat de générosité n’a qu’une valeur ornementale, pour prouver une fois pour toutes que les protagonistes méritent notre admiration ; il n’a aucune influence sur l’intrigue. C’est le père de Léonise qui doit décider du sort de sa fille, et puisqu’il s’est déjà laissé impressionner par le courage et par le dévouement de Léandre, il n’hésite pas à accorder son consentement. De plus, le rival, qui s’est révélé aussi lâche qu’avare, avoue qu’il n’est pas à la hauteur de Léandre et lui cède avec grâce la main de sa fiancée. Dans Eudoxe le combat de générosité entre deux amants est encore moins croyable et moins nécessaire à la progression de l’action. Le chevalier romain Ursace, réuni avec sa bien-aimée après une longue série de séparations et de désastres et sur le point de pouvoir s’évader avec elle, offre soudain de s’éclipser. Il donne deux raisons : n’étant que simple chevalier, il n’est pas au même rang qu’Eudoxe, fille et veuve d’empereurs ; son rival 4 Scudéry modifie de manière significative le récit de Cervantès (« El amante liberal » dans la collection des Novelas ejemplares) pour minimiser la dimension matéraliste de l’offre et pour créer un combat verbal entre les jeunes gens. Chez l’auteur espagnol, le personnage titre, Ricardo, offre non seulement la main de la bien-aimée mais aussi sa propre fortune (plus de trente mille écus) à son rival. Puis il se ravise et déclare que Leonisa a sa propre volonté et qu’il n’a pas le droit de disposer d’elle, mais il réitère l’offre de lui donner toute sa fortune. L’héroïne, au lieu de s’indigner contre celui qu’elle a enfin commencé d’aimer, fait l’éloge de ses bonnes qualités, mais sans déclarer explicitement son amour à cause de la présence de ses parents. Elle demande à ceux-ci de lui accorder le droit de disposer d’elle-même, et quand elle le reçoit, elle déclare sa reconnaissance envers Ricardo et l’accepte pour mari. Perry Gethner PFSCL XLVI, 91 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0024 362 Genséric, roi puissant et victorieux, mérite sa main mieux que lui. Cette offre est d’autant plus illogique que l’impératrice déteste Genséric, qui l’a deux fois trahie, d’abord en l’emmenant prisonnière à Carthage et ensuite en menaçant de l’épouser par la force. De plus, Eudoxe vient de prouver qu’elle aime mieux mourir qu’accepter la main de son capteur en mettant le feu à ses appartements ; elle n’a pas pu prévoir qu’on lui sauverait la vie. Elle proteste donc contre ce qu’elle appelle la mauvaise volonté de son amant, qui semble vouloir l’abandonner et qui lui conseille de se donner à leur ennemi commun ; elle déclare qu’elle veut rester fidèle à Ursace, même s’il faut mourir. Mais ces offres de sacrifice n’aboutiront à rien, car Genséric, en proie à un remords presque hystérique d’avoir causé (à ce qu’il croit) la mort de sa bien-aimée, renonce à sa passion pour elle. Dès qu’il apprend que l’impératrice et ses deux filles sont vivantes, il les libère et donne son consentement aux mariages voulus par toutes les trois femmes. Le caractère gratuit de la scène avec le combat de générosité est renforcé par le fait que les deux amants parlent en privé ; Genséric n’arrivera que plus tard et ne sera pas informé de leur conversation. Le passage analogue dans Andromire est moins gratuit, dans la mesure où la reine, ayant promis de tout accorder à celui qui délivrera son bienaimé Cléonime, prisonnier de guerre, se trouve dans la situation embarrassante de céder le pouvoir royal au traître Arbas : elle devra soit l’épouser, soit abdiquer en sa faveur. Mais quand elle rejette les solutions proposées par Cléonime pour se tirer d’affaire, le héros magnanime offre de se sacrifier lui-même : il se tuera et la reine pourra conserver son trône en épousant Arbas. Elle proteste contre ce sacrifice, car le suicide de Cléonime témoignerait de son peu d’amour pour lui et la laisserait entre les mains d’un homme qu’elle déteste. Elle lui défend de se tuer et choisit de se tuer elle-même, en prenant du poison juste avant la cérémonie d’abdication. Puis, quand elle se croit mourante, elle ordonne à Cléonime de vivre pour conserver sa mémoire, mais il proteste qu’il serait incapable de lui survivre. Cette nouvelle conversation pathétique, qui consiste en grande partie de stichomythies, n’a qu’une valeur ornementale et ne fait que confirmer la fidélité de ces amants magnanimes. En voici un extrait : Andromire : Il ose contredire, et ne pas obéir ! Cléonime : Il ose toute chose avant que vous trahir. Andromire : Mais j’ordonne qu’il vive ; Cléonime : Et l’Amour veut qu’il meure. (p. 119-120) Ces offres de sacrifice se révèlent encore plus inutiles quand le médecin de la reine arrive pour annoncer qu’il lui a désobéi et ne lui a fourni qu’un breuvage inoffensif. Il y aura donc le dénouement heureux qui est typique d’une tragi-comédie. Le Combat de générosité dans les tragi-comédies de Scudéry PFSCL XLVI, 91 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0024 363 L’exemple le plus frappant du combat de générosité entre deux époux se trouve dans L’Amour tyrannique. Non seulement cette tragi-comédie accorde plus de place au motif que les autres pièces de Scudéry, mais aussi les offres de sacrifice commencent au premier acte pour parcourir toute la pièce. C’est surtout la magnanimité des époux Tigrane et Polyxène, qui s’aiment sincèrement, qui est essentielle à l’intrigue. Malheureusement pour eux, Tiridate, le beau-frère de Tigrane, s’étant épris de Polyxène, déclare la guerre au royaume natal de sa femme, et triomphe dans une campagne éclair. Les époux, enfermés dans la dernière forteresse qui continue à résister, se rendent compte que leur situation est sans espoir. Polyxène demande à son mari de la poignarder pour mettre fin à la guerre, pour laquelle elle se croit responsable, alors que Tigrane, comme ses émules dans d’autres pièces de Scudéry, propose de se tuer pour que sa femme puisse épouser Tiridate. Bien entendu, Polyxène rejette cette solution, et Tigrane décide de risquer une dernière sortie contre les assiégeants. Quand Tiridate est vainqueur de nouveau, chacun des époux réclame la mort. Polyxène, ayant en horreur la possibilité d’un nouveau mariage, ordonne à Tigrane de la poignarder et de survivre pour la venger. Les tirades où les époux étalent leur grandeur d’âme font enfin place à la stichomythie pour renforcer le caractère douloureux de la décision à prendre : Tigrane : Quoi ? frapper ce que j’aime ! Polyxène : Eh quoi, l’abandonner ! Tigrane : Lui donner le trépas ! Polyxène : Ne le lui pas donner ! Tigrane : Se montrer inhumain ! Polyxène : Se montrer sans courage ! Tigrane : T’outrager en t’aimant ! Polyxène : Endurer qu’on m’outrage ! Tigrane : L’amour et la fureur être ensemble en ce jour ! Polyxène : Cette fureur, Tigrane, est-elle-même amour ? (v. 675-680) En fin de compte, Tigrane accepte de poignarder sa femme, mais elle survit, et il est capturé pendant une tentative d’assassiner Tiridate. Au cinquième acte les rôles sont renversés. Cette fois-ci c’est le mari, emprisonné, qui demande à sa femme de lui procurer du poison pour qu’il puisse choisir sa propre mort, et c’est la femme qui a du mal à faciliter le suicide de l’homme aimé mais qui finit par lui accorder ce qu’il veut. Le dernier acte de cette pièce comporte aussi une scène impressionnante où tous les quatre personnages vertueux offrent en même temps de se sacrifier, soit pour sauver la vie à une personne chérie, soit pour l’accompagner dans sa mort. Mais c’est l’offre de la part d’Ormène, la femme délaissée de Tiridate, qui a une influence décisive sur le dénouement. Quand le tyran est désarmé, elle implore les autres de ne pas le mettre à mort parce qu’elle ne peut pas lui survivre, et cet acte de magnanimité, d’autant plus remarquable que Tiridate venait de menacer de la tuer avec le reste de sa famille, déclenche le repentir de ce personnage odieux. La Perry Gethner PFSCL XLVI, 91 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0024 364 conversion est abrupte et totale : il avoue sa culpabilité, reconnaît la bonté de ceux qu’il a persécutés, et réclame la mort pour lui-même. Mais puisque nous sommes dans une tragi-comédie, on lui pardonne et tout le monde est réconcilié. Dans les pièces où le combat de générosité se fait entre un homme et une femme, on doit se demander s’il s’agit d’un combat égal. Cette question prend d’autant plus d’importance que dans la querelle du Cid les détracteurs de Corneille, y compris Scudéry, lui firent le reproche de ne pas faire de Chimène une héroïne suffisamment généreuse. Chimène elle-même est consciente de la disparité de l’héroïsme entre les sexes : Rodrigue a la possibilité de défendre l’honneur de sa famille en se battant en duel, alors qu’une femme doit remettre le soin de sa vengeance à un homme, soit le roi, soit un champion. Et au dénouement le roi ordonne à Chimène d’étouffer sa vengeance familiale pour privilégier le bien-être de l’État. Cet arrangement confirme l’inégalité entre les sexes, même s’il permet une fin heureuse pour la pièce. Il faut préciser aussi que dans Le Cid le combat de générosité prend une forme inhabituelle : chacun des amants doit sacrifier son amour pour satisfaire les devoirs envers sa famille, mais en même temps chacun doit tenter de causer la mort de l’autre ou d’un parent de l’autre. Les choses se passent autrement chez Scudéry : on peut parler d’égalité entre les sexes dans les cas où la femme s’apprête à mourir pour de bon. C’est seulement dans Le Prince déguisé que la femme prend les armes pour défendre l’homme dans un combat littéral, 5 mais les héroïnes qui tentent de se suicider (dans L’Amour tyrannique, Eudoxe et Andromire), même si toutes survivent, montrent qu’elles ont autant de courage que les hommes qu’elles aiment. On peut conclure que Scudéry prend plus au sérieux que Corneille le principe de l’égalité des sexes dans ce type de situation. La prédilection de Scudéry pour ce motif l’a amené à l’utiliser dans la majorité de ses tragi-comédies, et on doit se demander pourquoi. Eveline Dutertre propose trois explications pour cette partialité et toutes sont plausibles : influence de la pensée néo-stoïcienne, influence des idées politiques de Richelieu, rivalité avec Corneille 6 . Je crois pourtant qu’il y a une autre raison, plus associée à son goût personnel. La tragi-comédie est son genre préféré, et le combat de générosité s’accorde particulièrement bien avec ce genre. L’offre de sacrifice prouve que le personnage que le public admire est digne de recevoir le bonheur final que le genre tragicomique doit lui accorder, le danger de mort pour les protagonistes crée du 5 Je ne compte pas le combat gratuit dans Le Vassal généreux, où l’héroïne et sa suivante se battent contre leurs amants strictement pour se divertir. 6 E. Dutertre, Scudéry dramaturge, Genève, Droz, 1988, p. 437-448. Le Combat de générosité dans les tragi-comédies de Scudéry PFSCL XLVI, 91 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0024 365 suspense, et le triomphe soudain des vertueux constitue une surprise. De plus, le fait que le sacrifice ne s’accomplisse pas se rattache à l’un des composants principaux du genre tragi-comique, selon les critères établis par Hélène Baby : l’action y est toujours réversible, et donc le cauchemar qu’on vit au cours de la pièce peut se dissiper 7 . Néanmoins, si le personnage obstacle doit abandonner son opposition pour que le dénouement soit heureux, ce changement de conduite n’est pas toujours lié au combat de générosité. Pour les personnages essentiellement méchants, c’est la grandeur d’âme d’un seul personnage vertueux qui produit le résultat espéré : il/ elle combat pour l’aider, ou offre de mourir pour lui, ou tente de se suicider pour éviter un mariage inacceptable. Dans les pièces où le monarque accorde un pardon global après avoir vu un combat de générosité entre les jeunes gens (Le Prince déguisé, Andromire et Axiane), il s’agit de monarques bien intentionnés qui profitent volontiers d’un revirement de fortune pour se laisser fléchir. Et il y a le cas exceptionnel du Vassal généreux, où la conversion du tyran se produit bien avant le combat de générosité. Pour conclure, je crois que le combat de générosité traduit surtout le désir de célébrer la grandeur d’âme des protagonistes vertueux en leur faisant subir une épreuve éclatante mais en leur accordant une récompense finale. Scudéry commence à exploiter ce motif avant Corneille et de façon différente, et le bon accueil que le public a accordé à presque toutes ses tragi-comédies suggère que l’usage fréquent du combat de générosité a constitué une partie non négligeable de son succès. 7 H. Baby, La Tragi-comédie de Corneille à Quinault, Paris, Klincksieck, 2001, surtout le chapitre intitulé « Une dramaturgie de la gratuité ». Ajoutons que ce motif est rare dans la tragédie. Ou bien le dénouement est heureux pour les personnages vertueux et le sacrifice n’a pas lieu, ou bien, quand les protagonistes meurent pour de bon, c’est une mort glorieuse.
