Papers on French Seventeenth Century Literature
pfscl
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
10.2357/PFSCL-2019-0030
121
2019
4691
Bénédicte Louvat et Pierre Pasquier (dir.), Le «theâtre provincial» en France (XVIe-XVIIIe siecle), Littératures classiques, n° 97 (2018). 292 p.
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Volker Kapp
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Comptes rendus PFSCL XLVI, 91 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0030 411 Bénédicte Louvat et Pierre Pasquier (dir.), Le « théâtre provincial » en France (XVI e -XVIII e siècle), Littératures classiques, n o 97 (2018). 292 p. L’historiographie du théâtre français tend toujours à écarter ce que les éditeurs qualifient de « théâtre provincial ». Ils mettent cette notion entre parenthèses, à juste titre. On s’étonne en effet que, jusqu’à nos jours, les spécialistes s’ingénient non seulement à exclure du « théâtre classique » les dramaturges mineurs de la capitale voire même à ignorer complètement ceux qui sont présents dans le reste de la France. On a inventé par ce processus une histoire du théâtre français qui ne correspond pas aux données documentées dans ce volume. Les deux éditeurs, dont les recherches et les éditions de pièces ont contribué à faire découvrir un univers théâtral méconnu, esquissent dans leur « Présentation » (5-21) l’état de la recherche dans ce domaine. Ils ont su engager pour ce numéro des spécialistes reconnus. Les quatre sections : « Une catégorie problématique » (25-66), « Pratiques territoriales et communautaires » (67-144), « Pratiques locales et nationaux » (145-246), « Quelques pratiques musicales provinciales » (247-284) proposent des analyses pertinentes. Philippe Martel rappelle que les « provinces » étaient à l’origine « un terme administratif, destiné à regrouper sous un nom générique les divers territoires intégrés progressivement au domaine royal à partir du XII e siècle » (26). Les Révolutionnaires mettent en place l’organisation des « départements, districts et communes » (26), et alors les provinces disparaissent « comme lieux d’histoire politique » si bien que « la province va survivre dans le vocabulaire courant, mais au singulier » (27). Dès le XVII e siècle, les termes de « province » et de « provincial » se chargent d’une connotation nettement dépréciative voire moqueuse, destinée à ridiculiser une concurrence importune. Une minorité profite de préjugés, dont les caractéristiques se métamorphosent au cours des siècles, mais qui empêchent toujours une évaluation correcte de la culture littéraire régionale. Julie Koopmans attire l’attention sur « le caractère extrêmement dynamique de la pratique théâtrale ailleurs qu’à Paris » (37). Une masse de documents disparate permet de raconter une histoire de cette scène, qui « se soustrait volontairement à une sorte d’évolution générale du théâtre, à une institutionnalisation du théâtre dans un bâtiment construit à cet effet » (48). Dans les différentes communautés, les pièces sont « composées par des auteurs d’occasion et jouées par des acteurs d’occasion […] dans des lieux […] où se déroulent les activités de la vie quotidienne » (54). D’après Jean- Pierre Bordier, la naissance de nouvelles communautés sociales et l’intervention des princes modifient la vie théâtrale de toute la France, cependant Comptes rendus PFSCL XLVI, 91 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0030 412 le statut spécifique de Paris ne relègue pas « le reste du royaume au rang de province » (66). Le Languedoc et la Bretagne se distinguent surtout par le plurilinguisme. Philippe Gardy suppose que le « modèle plurilingue (occitan local / français / latin) inauguré par Du Bartas […a] inspiré les auteurs de Béziers » (88), qui pratiquent un « théâtre de rue et de place publique », où « les corps de métiers » (96) prédominent. Les troupes, qui se divisent surtout en « compagnie joyeuses » et « ‘rhétoriciens’, auteurs et/ ou acteurs » (96), recourent au prologue qui assume deux rôles : celui « d’un rappel à la ‘tradition’ » afin de la maintenir et celui de précaution par « crainte de la voir disparaître » (97). Dès le XIX e siècle, une certaine permanence des pratiques religieuses anciennes, qui marque cette vie théâtrale, est expliquée par le critère de l’anachronisme comme si la présence d’éléments hérités du Moyen Âge prouverait le statut retardataire du théâtre provincial. Yves Le Berre prouve cependant que bon nombre des auteurs de la Vie de sainte Barbe et des autres pièces, qu’il évoque, « tirent leur argument de petits volumes de la Bibliothèque bleue » et que leurs pièces sont « composées en alexandrins et découpées généralement en cinq actes » (114), deux éléments qui caractérisent les drames de la capitale au XVII e siècle. Le théâtre provincial cherche un lien avec l’actualité, qui marque la thématique et la structure des pièces. Christian Bonnet montre que les dramaturges aquitains réagissent à l’attention de Louis XIII pour Marie de Hautefort par le schéma d’une « trage comedie pastoralle » (224), où « à un prétendant local mal dégrossi, la bergère Jeanne préférera le noble Amidor pour la sincérité totale et l’humilité parfaite » (225), deux des qualités du roi encensées par la propagande. Le concept de « théâtre d’actualité » (69) se trouve au centre de deux contributions. En 1617 à Rouen, la chute et la mort des époux Concini est envisagée par deux tragédies sanglantes qui, selon Charlotte Bouteille-Meister, visent à « célébrer et légitimer le coup d’État de Louis XIII » (78) en cherchant à devenir un « instrument de propagande locale, en faveur de l’action royale menée depuis la capitale » (81). À propos du théâtre de Benoet du Lac à Aix-en-Provence, Estelle Doudet avance l’hypothèse que la « fracture entre Moyen Âge et Renaissance a indéniablement été moins brutale qu’on le pense aujourd’hui » dès qu’on tient compte de leur utilité pour évoquer un événement actuel. Il se vérifie ainsi que « les composantes des mystères, moralités, farces ont longtemps conservé le privilège d’être reconnaissables par de larges publics et facilement investies de messages divers, un gage d’efficacité et de popularité » (158), elles captivent donc l’attention du public envisagé. Les textes des pièces de la capitale, disponibles sous forme imprimée, sont plus nombreux que ceux des autres régions, mais quelques contri- Comptes rendus PFSCL XLVI, 91 (2019) DOI 10.2357/ PFSCL-2019-0030 413 butions attirent l’attention sur l’importance des éditions récentes, souvent procurées par les collaborateurs du numéro présent. D’après Sybille Chevallier-Micki, « 188 éditions et rééditions d’œuvres dramatiques » (161) s’impriment entre 1596 et 1610 à Rouen, et le « seul corpus de ces trente-etune tragédies rouennaises révèle […] une certaine cohérence » (161). Leur « réutilisation du terreau vétérotestamentaire » a des parallèles dans la dramaturgie de l’Hôtel de Bourgogne et leur scénographie témoigne « par le biais de didascalies, d’une ‘décoration’, pour reprendre le terme de Mahelot, qui est encore éloignée des propositions du milieu du XVII e siècle » (173). En ce qui concerne la tragi-comédie, genre marginalisé au début du XVII e siècle, Alban Déléris en révèle une similitude « au sein des catalogues et des recueils […] à Paris et à la province » (184). La contribution d’Estelle Boudillet et de Roman Calvez constate dans les chansons de l’opéra-comique An Dovçz reuzidik à làouën qu’un petit volume manuscrit, dû à François-Nicolas Pascal de Kerenveyer, oscille entre les deux options esthétiques de l’opéra-comique du XVIII e siècle : « tantôt il fait - ou laisse - ressortir les aspérités du texte dramatique, tantôt il s’applique au contraire à lisser la ‘tissure’ de la pièce » (253). Faute de sources documentant la musique dramatique dans les provinces du XVII e siècle, Jean Duron explore « l’exécution d’œuvres profanes, prologues, divertissements, généralement sous forme de ‘concert’ » (268). Une importance primordiale revient aux entrées royales ou princières dans lesquelles « figure souvent une ‘action théâtrale’ en musique » (270) où « la danse avait, elle aussi, la part belle » (274). Il résulte qu’il est impossible d’évoquer toute la richesse de ce volume que les historiens du théâtre français auront intérêt à consulter dorénavant. Volker Kapp
