Papers on French Seventeenth Century Literature
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0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
10.2357/PFSCL-2020-0009
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2020
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Patrick Dandrey : Dix leçons sur le premier recueil des Falbes de La Fontaine (1668). Paris, Hermann, 2019. 245 p.
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Volker Kapp
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PFSCL XLVII, 92 (2020) DOI 10.2357/ PFSCL-2020-0009 PP atric k D a ndr e y : Dix leçons sur le premier recueil des Fables de La Fontaine (1668). Paris, Hermann, 2019. 245 p. Depuis La fabrique des Fables (1991), Patrick Dandrey s’est fait reconnaître parmi les spécialistes de La Fontaine. Ce nouveau livre parfait l’approche précédente, dont la « prise synthétique sur les Fables dans leur totalité » est complétée ici par une lecture du premier recueil de 1668 « comme totalité parachevée et fermée sur elle-même, sans intention de prolongement » (91). Ce changement d’optique est thématisé dans la quatrième leçon, qui, en analysant « La poétique du recueil de 1668 » (89- 110), attribue au choix de la forme poétique deux fonctions : celle d’éveiller « l’esprit en l’exerçant à décrypter la métaphore, et par ce détour, le mener à la vérité » et celle de « l’endormir par le charme du songe […] qui endort l’esprit et l’âme pour mieux les éveiller […] en un sursaut de sagesse » (96). La première fable de ce recueil, « La Cigale et la Fourmi », illustre cette poétique quand la « Cigale, imprévoyante et impécunieuse, se mue en emprunteuse à taux fixe et mobile et veut induire sa voisine à se faire usurière » (107). Dandrey corrige ainsi « un contresens de lecture survenu dès le XVIII e siècle » (107) : la transformation en adjectif du substantif « prêteuse », désignant, selon le témoignage unanime des dictionnaires de l’époque, « un métier » (107). Les dix leçons s’enchaînent selon une logique qui structure admirablement tout le volume. L’introduction (6-17) jette un regard rapide sur les « Fables en leur temps » (5) en insistant sur « le génie du ‘tempérament’ » (14) de la génération 1660-1680. L’année 1668 invite à situer le fabuliste « entre Molière, Racine, Méré et Sévigné » (18). Remontant « Aux origines de la fable ésopique » (23-39), la première leçon oppose « le schématisme fonctionnel des fables grecques », associées au nom d’Ésope, au « laconisme travaillé des apologues de Phèdre », auquel La Fontaine atteste une « langue ramassée et cinglante » sans « confondre abusivement le schématisme fonctionnel des fables grecques avec le laconisme travaillé des apologues » (33) du poète latin. La deuxième leçon (« L’école des fables », 41-60) s’autorise du « prestigieux parrainage que fait à l’ouvrage de La Fontaine le nom du fils unique du roi » (41) pour rapprocher les Fables choisies de la « petite équipe des ‘conseillers’ réunis autour de Périgny […] qui avait appartenue à la ‘galaxie’ Fouquet » (42). On pouvait s’attendre alors à un renvoi aux travaux de Marc Fumaroli, absents même dans la bibliographie sélectionnée du volume. Contre ceux qui cherchent partout dans les Fables une critique du Roi-Soleil, il souligne que « le personnage du Lion ne propose guère […] la satire escomptée du culte monarchique, à travers l’image d’une cour gravitant autour d’un monarque abusant de son pouvoir et trompé par ses Comptes rendus PFSCL XLVII, 92 (2020) DOI 10.2357/ PFSCL-2020-0009 158 courtisans » (200-201). Le récit des Amours de Psyché et de Cupidon, qui « consonne avec l’esthétique de La Fontaine durant la période Fouquet », est enrichi « d’un sertissage très courtisant » (43), qui y affleure lors de la promenade dans les jardins de Versailles. Si, malgré les éloges du roi et de Colbert, La Fontaine ne réussit pas à se recaser dans l’ancienne équipe de Fouquet s’occupant de l’éducation de ce prince, Dandrey explique cet échec par le fait que « l’auteur des Fables ne parvint pas à faire oublier celui des Contes » (44). D’après la « reconstitution de ‘génétique virtuelle’ » (72) de l’apologue dans la troisième leçon (« D’Ésope à Phèdre, ou vice versa ? », 61-87), « sa dette envers Phèdre, s’il en a une, sera passé par la traduction de Sacy » (74). La prosodie de La Fontaine diffère à un tel point de celle de Phèdre qu’elle constitue « l’emblème de leur divergence de choix esthétique » (78). Sa spécificité, « c’est d’être irrégulier » (78). La Fontaine « fut, dès l’origine, un poète ‘d’oreille’, pour qui la diversité des mètres constituait une sorte d’accompagnement musical intégré à l’écriture, sans avoir besoin de soutien instrumental ni vocal » (80). Ces données caractérisent tous les douze livres de Fables, dont les similitudes et les divergences entrent au premier plan à partir de la cinquième leçon. Dans le recueil de 1668, les vers de circonstances « À Monseigneur le Dauphin » permettent d’aborder « L’architecture du recueil » (111-126) dès qu’on s’aperçoit du « paradoxe d’offrir à ce prince », selon le paradigme du style sublime de l’éloge, « un ouvrage dont le registre est celui de la familiarité, de l’humilité, se rabaissant à niveau d’enfance » (112). Au lieu d’annoncer « le lot nouveau des pièces qu’elles introduisent », les fablesprologues manifestent la volonté de « constituer un moment de synthèse réflexive et de recul critique sur ce qu’a pu inspirer au lecteur le livre dont il vient d’achever la lecture » (116). Dans l’effort de fixer « Ordre et classement des fables » (127-146), la structure du livre I constitue un « exemple » (134) parmi d’autres. Dandrey propose de « remonter autant que faire se peut jusqu’à l’imaginaire du bon ordre et de la belle harmonie susceptible de réguler alors le principe de leur meilleure disposition » (130). Qualifiant La Fontaine de « poète des jardins », il identifie « un mouvement de déambulation, à mi-chemin entre la visite d’une galerie de tableaux et la promenade parmi les curiosités d’un site », dont « le jardin à la française constitue peut-être la plus fiable parmi les incarnations de cet imaginaire » (131). La perception de ce modèle permet de dégager une « structure binaire des fables, souvent groupées par deux se faisant écho l’une à l’autre, tout comme le livre I des Fables, séparé par le miroir central que lui fait « L’Homme et son image », développe de part et d’autre deux dizaines de pièces […] en écho et en communion de thèmes » (139). Notre critique juge Comptes rendus PFSCL XLVII, 92 (2020) DOI 10.2357/ PFSCL-2020-0009 159 toutefois « bien difficile de descendre plus profond dans les principes d’organisation » (142). La polarité se retrouve dans la distinction de « Fables narratives, fables iconiques » (147-169), les premières modelées « sur la logique symbolique », les autres sur celle du « conte » (148). Les deux apologues qui concluent le recueil de 1668, servent parmi d’autres à exemplifier « la polarité iconique et la polarité narrative du genre de la fable » (155). Si La Fontaine s’inspire de « certaines formes cultivées de l’emblématique morale » de l’humanisme, il leur substitue « la sage naïveté du sens commun et la gaité raffinée des jeux d’esprit » (157) de sorte que la « poétique du badinage » constitue « le principe fondamental » (163) de l’esthétique de ses fables. Associant l’apologue et la métaphore dramatique, le recueil de 1668 donne la priorité au « modèle ancien du ‘théâtre du monde’ » tandis que les livres suivants préfèrent « le modèle nouveau du ‘spectacle du monde’ » (188). Les trois dernières leçons cherchent à dégager les principes structurant les fables. La huitième qui s’occupe du « fabuliste au travail » (171-189), reconnaît les emprunts de la composition littéraire aux « trois étapes de l’invention, de la disposition et de l’élocution » (171) de l’éloquence ancienne. Quant à l’invention, La Fontaine contamine « plusieurs versions plus ou moins dissidentes » (173) du traitement précédent d’un motif ou d’un texte. Dans « Le Chat et un vieux Rat », l’art de la disposition croise subtilement « deux formes de ruse : l’une active, celle du Chat, inventive et multiple, et l’autre passive, celle du Rat […] habile à déjouer les pièges de la ruse active » (181). L’élocution de la majorité des fables se ressource du genre dramatique en mettant « aux prises des parleurs » (186). La ménagerie littéraire des Fables, dont traite la leçon intitulée « Le carnaval des animaux » (191-210), profite du « charme de la métamorphose » (194) pour créer un « statut hybride, dynamique, au sens propre métaphorique, celui d’une créature double, invraisemblable et pourtant véritable » (197). Les Fables ont des similitudes avec les théories de la physiognomonie humaine et des animaux chez Marin Cureau de La Chambre ou de Charles Le Brun (206-207). Dans « La morale de l’histoire » (211-231), celle des Fables est mise en rapport avec celle de Descartes et des comédies de Molière pour conclure que La Fontaine substitue au « ressassement des maximes de sagesse […] l’exercice de leur juste application » (230). Selon Dandrey, « le tempérament, en pensée, en morale, en esthétique » détermine « son mode d’intervention dans l’œuvre en tant qu’auteur » (235). Cette thèse a fourni la base des développements de ce livre suggestif, dont la prise en considération d’éléments négligés par les prédécesseurs permet souvent d’innover. La précision philologique est un des atouts du livre. Volker Kapp
