Papers on French Seventeenth Century Literature
pfscl
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
10.2357/PFSCL-2020-0011
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2020
4792
François Lasserre : Corneille entre les lignes. Paris, L’Harmattan, « L’Univers theâtral », 2019. 190 p.
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2020
Emmanuel Minet
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Comptes rendus PFSCL XLVII, 92 (2020) DOI 10.2357/ PFSCL-2020-0011 164 F F r a n ç oi s L a s s e rr e : Corneille entre les lignes. Paris, L’Harmattan, « L’Univers théâtral », 2019. 190 p. Le petit Corneille entre les lignes de François Lasserre est comme un bilan et un manuel de ses études cornéliennes, manifestant encore son audace exploratoire, sa rigueur érudite et sa défense passionnée d’un auteur dramatique dont les deux grandeurs essentielles sont, pour lui, la défense des femmes et le génie technique inventif. Le petit livre renvoie souvent aux autres ouvrages du chercheur et à leurs démonstrations circonstanciées, ce qui lui permet ici une plus grande vélocité de parcours et de propos, pour, sinon « faire le tour » complet du Grand Corneille, du moins en brosser un beau portrait, qui servira d’utile viatique à l’étudiant. Le livre en trois parties pour ainsi dire juxtaposées présente d’abord les résultats de l’exploration d’une hypothèse qui méritait d’être poussée à un degré sérieux, celle d’un Corneille lecteur et « critique de Shakespeare », à l’époque de ses premières comédies, du Cid et, encore, de Pompée, dont le sujet rencontre les célèbres tragédies de Jules César et de Antoine et Cléopâtre. On sait que François Lasserre avait déjà exploré de façon intéressante et convaincante les connexions entre Corneille et le théâtre de Massinger, ou celui de Beaumont et Fletcher. Ici, l’étude vaut par son travail de contextualisation et par l’honnête probabilité de ses trouvailles. Il bâtit (ou confirme) en tout cas l’idée d’un pont par-dessus le détroit linguistique qui était encore censé il y a peu séparer radicalement les deux théâtres riverains de la Manche, en dépit (ou à cause) de Saint-Évremond, et surtout à cause de Voltaire, porteur de la légende du classicisme français et de l’illisibilité shakespearienne. Comme ailleurs pour Racine, François Lasserre ne cherche pas à « comparer » ni à hiérarchiser les deux auteurs, mais à identifier des emprunts éventuels et un possible jeu de dialogue qui définit la manière propre du second par rapport au premier. Le dessin comme « en repoussoir » de la dramaturgie cornélienne qui s’en dégage est d’ailleurs en soi intéressant, même s’il peut relever de cette « littérature comparée » que l’auteur n’apprécie guère. Son hypothèse d’un véritable dialogue de lecture (par exemple entre l’auteur de Roméo et Juliette et celui du Cid) est peut-être hasardeuse, aujourd’hui, en l’absence de preuves bibliothécaires : elle est en tout cas toujours intéressante d’un point de vue critique, et doit ouvrir, sans condescendance, un champ d’investigation universitaire (circulation des textes imprimés, copiés ou résumés, capacité linguistiques, occurrences épistolaires diffuses, ressemblances textuelles manifestes). Comptes rendus PFSCL XLVII, 92 (2020) DOI 10.2357/ PFSCL-2020-0011 165 Elle l’est aussi parce qu’elle rappelle qu’un auteur « construit » sa manière et son œuvre ; non seulement Corneille construit son travail d’invention, de disposition et de style sur des lectures très précises, pour François Lasserre, mais il a eu droit à des coups d’essais avant ses coups de maître, reconnaissables cependant aux caractéristiques essentielles de son génie technique et méta-dramatique. Défendant avec vigueur l’idée que le « Grand Corneille » de la tradition scolaire, celui de Horace-Cinna-Polyeucte, n’est en fait qu’un produit de circonstance (celle d’obéir aux injonctions pressantes d’un ministère du théâtre) voire qu’un malentendu au regard de son génie fondamental, François Lasserre s’insurge encore dans les dernières pages du petit ouvrage contre le réflexe critique qui faisait toujours dire il y a peu que tel personnage des comédies était « déjà » cornélien, ou au contraire que, ne l’étant « pas encore », il n’était rien d’intéressant, voire que, ne « l’étant plus » tel personnage tardif tombait dans le non-sens. La deuxième partie du livre est de son côté consacrée à un de ces probables coups d’essais de Corneille, l’Alidor ou l’indifférent auquel il avait naguère consacré une édition critique publiée par Daniella Dalla Valle, en reprenant une vieille hypothèse d’Elisabeth Frazer, jadis moquée pour de mauvaises raisons. La « nouvelle présentation » qu’il en fait reprend et synthétise l’enquête stylistique et dramaturgique par laquelle se dessinait déjà, en creux, à la fois la méthode d’investigation lasserrienne et la technique dramatique cornélienne. La troisième partie du livre se consacre à un « Corneille défiguré » et à redresser un certain nombre de tors anciens mais obstinés de la critique. François Lasserre n’y parle pas véritablement de notre critique contemporaine mais il établit, du 17 e au 20 e siècle, deux grandes filiations dans les modes de défiguration, soit dépréciatives soit laudatives, d’ailleurs, du théâtre cornélien : la filiation docte et classicisante et la filiation républicaine et héroïsante. Les soixante pages du « Corneille défiguré » reprennent dans sa continuité l’œuvre assurée et publiée de Corneille en y mettant en relief les pièces et les principes qui apparaissent essentiels au critique. Dans les comédies premières, il met en relief la question du mariage des filles, qu’il relie à la biographie intime du dramaturge ; il fait ses grandes héroïnes de « Doris, qui pose la véritable question : pourquoi marie-t-on les filles par voie d’autorité ? » (p. 129) et non de « la très jeune veuve d’un vieillard, qui a la chance de pouvoir aimer librement » (p. 129), d’Amarante, la « jolie suivante délaissée des garçons » « parce qu’elle est pauvre » (p.130), ou encore d’Angélique, qui a « l’action toute entière ramassée dans » son personnage (p. 132) et non dans celui d’Alidor, maquignon qui au final Comptes rendus PFSCL XLVII, 92 (2020) DOI 10.2357/ PFSCL-2020-0011 166 « hors-action, console la décompression des spectateurs par un peu de vent » (p.133). François Lasserre a de très beaux paragraphes sur « la fonction anthropologique de l’amour dans la société » (ibid.), qui élève et stabilise l’individu (comme l’Église le dit du mariage) et il rencontre à l’occasion l’esprit de l’idéologie romanesque, avec laquelle pourtant il est assez dur ailleurs, dans ses pages sur la pastorale ou celles sur Le Cid contre Roméo et Juliette. Dans les pages de la troisième partie sur Le Cid, il se concentre cependant plutôt sur l’affaire de L’Excuse à Ariste et sur sa contextualisation, pour laquelle il avait déjà mené un important travail (autour de Nicolas Gougenot : voir p. 136). Partisan convaincant d’une rédaction de 1634, et non de 1637, mais maladroitement publiée en 1637 et déclenchant la Querelle du Cid en fournissant à Scudéry (déjà blessé par l’affaire du portrait de Matamore) de quoi faire déborder son vase, François Lasserre est un peu dur aussi avec Georges Couton dans son reproche de « l’inattention » au texte (p. 141), mais son analyse est forte quand elle fait valoir aussi bien l’argument de la date de la pension mécénale de Richelieu que l’argument de l’expression « peu de popularité » devenue anachronique en 1637 ou que ceux de la ressemblance entre L’Excuse et L’Excusatio latine de 1634. À sa défense de la bonhommie de Corneille, on pourra objecter que l’orgueil professionnel du Normand n’est sans doute pas une légende injuste colportée « depuis trois siècles » pour trois vers de L’Excuse à Ariste qui auraient un peu dérapés par « maladresse fugitive » (p. 141), car en vérité on ne voir que cela, rhétoriquement parlant, dans le passage ; mais à sa chronologie des événements, on rend les armes une nouvelle fois avec le plaisir d’un lecteur de roman policier. Elle mérite que la critique universitaire en prenne acte dans ses bibliographies. Dans le développement sur Corneille peintre de « l’amour […], le vrai » (p. 144), pas celui du ton plaintif et des tendresses de l’amour content, François Lasserre laisse d’abord le sentiment de se battre contre des moulins critiques du passé, ceux de « la sous-estimation chronique de l’importance de l’amour » (p. 145) entretenue par le parallèle avec Racine, ceux de l’éloge républicain du héros citoyen, façon Gustave Lanson, et ceux de la critique freudienne à partir des années 60, se développant dans le cadre à la fois d’une modernisation non-latiniste des compétences grammaticales et poétiques du public et d’une réaction anarcho-critique aux valeurs de l’État (et donc à celles de l’amoureux citoyen). S’il fait bien de mettre de son parti Octave Nadal (1948), Paul Desjardins (1903), ou Joseph Pineau (1975), François Lasserre pourrait aussi se trouver en phase avec le renouveau actuel des études sur le théâtre romanesque. Cela pourtant ne devra pas détourner le lecteur du point essentiel de son argumentation qui est ailleurs que dans une époque critique donnée : il est dans une opposition qu’il ne Comptes rendus PFSCL XLVII, 92 (2020) DOI 10.2357/ PFSCL-2020-0011 167 formule pas assez clairement, entre les partisans de la poésie d’image et ceux de la poésie d’action. Mais sur ce point justement, à défendre le caractère réellement amoureux des personnages cornéliens contre leur prétendue « raideur » de sentiment selon Lanson, François Lasserre oublie un peu que la notion de « surprise des sens » (p. 151), qu’il défend comme abondamment cornélienne, ne remplace pas, hélas, le discours et la poésie des épanchements. Et que cette poésie, certes statique, de l’émotion peut avoir, par la réalité interdite qu’elle décrit, convoque et fait entrer sur la scène, un effet dramatique et dynamique puissant, qui peut même gommer, à l’occasion, les imperfections dramatiques de l’action. Cette magie, par exemple de la pastorale, shakespearienne ou non, ne serait pas tant à blâmer pour défendre l’autre, celle de l’action agencée, qu’à reconnaître, et avec elle sa stratégie propre. En bref, l’argumentation gagnerait à distinguer « caractérisation » et « peinture » de l’amour, et à mieux pointer, ce faisant, le lieu spécifique de la mimesis amoureuse cornélienne, qui montre ce que l’amour fait faire (cela, François Lasserre le montre on ne peut mieux ! ) et non ce qu’il fait dire (qui est pourtant un des charmes extatiques du Cid), voire ce qu’il reproduit en musique des mots et en charmantes images des plaisirs de l’amour. Il ne dirait ce faisant pas autre chose que la thèse qu’il défend : que Corneille est dramaturge d’acteurs et non un chanteur de l’amour … même si le Un je ne sais quel charme encor vers vous m’emporte de Pauline, dans Polyeucte, est l’un des plus beaux vers d’amour de la littérature française. Mais si François Lasserre défend Corneille plutôt qu’il ne fait la part des choses en arbitrant, c’est qu’il sent toujours Corneille attaqué. Ainsi, c’est parce qu’il a servi naguère à rabaisser Corneille, on le sent bien, qu’il stigmatise dans l’amour « racinien » une idéologie et un comportement, un éthos, plutôt qu’une simple poétique musicale. Loin d’être neutre, dit-il, « l’intérêt racinien se polarise sur le discours narcissique […], une incomplétude de la relation amoureuse » (p. 155) et sa poésie sait l’usage et l’alliance des « mots toxiques » : regard + bouche, Vénus + proie, « je sens que je vous aime », etc. Plaidant contre la tendance toujours favorable à la poésie racinienne, il s’élève contre « l’idée d’une hiérarchie » entre les deux poétiques, qui relève pour lui du « parallèle de la carpe et du lapin » (p. 156). François Lasserre s’élève aussi contre d’autres railleries anti-cornéliennes, entretenues dans le passé par une érudition fautive ou plutôt, pour lui, faussée ; il plaide ainsi pour une continuité légitime entre la dénomination de tragicomédie et celle de tragédie, en particulier pour Le Cid, Comptes rendus PFSCL XLVII, 92 (2020) DOI 10.2357/ PFSCL-2020-0011 168 expliquant que ce n’est pas en fraude que Corneille est passé à la tragédie, mais en toute cohérence philosophique avec son époque. Pour lui, comme pour tous ceux qui ont bien compris la théologique jésuite d’Œdipe, « la nouvelle notion du tragique est enracinée [sans jeu de mot ! ] dans le christianisme pour qui le destin aveugle n’existe plus [car] les méfaits de l’existence dépendent des responsabilités humaines [si bien que] la tragicomédie […] se découvre faite pour prendre la place et le nom de la tragédie » (p. 157). Mais, pour François Lasserre, la vision du monde cornélienne « va bientôt s’opposer à la réaction racinienne approuvée par le monde savant et par la mode » (ibid.) si bien que la « calomnie critique » d’un Corneille qui n’aurait pas écrit « des tragédies véritables » (ibid.) dure jusqu’à aujourd’hui. Comprenons que pour lui le tragique de la liberté reste moderne, comme définitivement Corneille, tandis que celui de la fatalité ne sera pas une « nouvelle » modernité mais une « réaction », un retour en arrière, dans la vieille ornière tyrannique du pessimisme et de l’impuissance, de l’irresponsabilité, façon Oreste (« Je me livre en aveugle au destin qui m’entraine »). À la prétendue Tragédie sans tragique dont la réputation condescendante dure encore ici ou là, en effet, malgré le changement des grilles d’évaluation, François Lasserre oppose un « tragique socio-politiquement responsable » (p. 159), dont « le théâtre des 20 e et 21 e siècles est tributaire » bien plus largement que de la conception fataliste. Mais s’il réfute l’absence de tragique dans la tragédie cornélienne, François Lasserre va aussi mener un examen paradoxal de la notion traditionnelle d’héroïsme cornélien. Sans trop revenir dans ce livre-ci sur sa célèbre démonstration concernant Horace, dont le héros n’est guère pour lui, dans la tradition même de Saint Augustin, qu’un « sale cul » assassin de sa sœur (conformément à l’acrostiche), c’est en prenant appui sur le personnage de César, tel que le présente La Mort de Pompée, qu’il veut montrer que l’héroïsme triomphant n’est qu’un épisode passager du théâtre cornélien, lié à l’écriture sous contrainte du moment Richelieu. Il montre, de connivence avec la lecture d’Antoine Soare, que la fameuse pompe des vers de cette tragédie, que Corneille signale lui-même, n’y est pas une fin en soi héroïque, et que les discours amoureux trop galants de César à Cléopâtre n’y sont pas des niaiseries malhabiles non plus, comme le croyait Voltaire, mais un « fait exprès » (p. 166) afin de montrer la déréliction de ces vertus héroïques, auxquelles, jusqu’à la mort de Richelieu, on l’avait obligé à faire croire. François Lasserre conduit ainsi bien longtemps après Paul Bénichou une nouvelle démolition du héros cornélien, mais cette fois voulue par Corneille lui-même, et sur le mode de la critique des pitoyables tendresses de l’amour content, à quoi s’adonne un maître du monde velléitaire et hypocrite. C’est que, pour François Lasserre (avec qui nous ne serions pas Comptes rendus PFSCL XLVII, 92 (2020) DOI 10.2357/ PFSCL-2020-0011 169 tout à fait d’accord, évidemment), de façon générale Corneille n’est pas rivé à un type de caractères (et surtout pas à celui du « héros cornélien ») mais s’attache à construire des actions, et à faire, depuis le début, des « pièces comiques » (c’est l’intitulé générique de Mélite) bien tournées et bien agencées. François Lasserre rejoint donc ici Georges Forestier dans son combat pour le théâtre comme action « poïétique », au sens aristotélicien, et non comme peinture de caractères, préexistants aux nécessités de l’action : « il n’utilise des caractères que par opportunisme, pour faire passer des actions particulières » (p. 169). Ainsi, dit-il, « nous pensons pour notre part qu’il n’est pas possible de retenir les notions d’héroïsme cornélien ou de personnage cornélien typiquement héroïque » (p. 170). On ne peut avec davantage de clarté s’inscrire contre une tradition « picturale » mais aussi idéologique : celle du besoin des « grands hommes » ; en cela, le livre de François Lasserre participe bien de la modernité post-héroïque, mais aussi poststructuraliste et post-marxiste, telle qu’on l’entend à demi-mot : « l’une des raisons de la fixation historique sur le prétendu héroïsme cornélien est que notre réflexion se tourne trop volontiers vers le revendicatif et vers le décryptage des cadres de l’action, avec le souci peut-être inconscient de faire peser les responsabilités sur ces cadres, plutôt que sur les créatures vivantes. Corneille, lui, portait le fer dans le cœur du spectateur, à charge pour celui-ci de s’examiner et s’amender soi-même » (p. 172). Mais François Lasserre en veut aussi à la tradition de l’idéalisme cornélien, que « l’érudition a en effet entretenu […] avec une naïveté désespérée » (p. 173) à coup de « générosité » et de « sublimité » (p. 174). Ce sont elles qui mettent trop souvent le « héros » cornélien en contradiction avec la réputation qu’on lui veut faire. L’auteur, enfin, se fait le défenseur d’une acceptation nécessaire par le lecteur d’aujourd’hui (mais c’est vrai dès la fin du 17 e siècle ! ) des codes rhétoriques avec lesquels Corneille, en homme de son temps (c’est-à-dire de la première moitié du siècle), écrit. Il met en garde contre les perfidies d’un prétendu « naturel » qui le disqualifierait (p. 175) ; celui-ci n’est qu’un autre code, mais sur le critère duquel la critique (depuis Voltaire) a fondé un jugement de goût léonin, qui empêche de juger pour lui-même le travail dramatique. Il se range ici aux côtés de Ralf Albanese pour montrer, de façon très intéressante que c’est la surinterprétation de ces codes jugés « antinaturels » a posteriori qui a permis de « caser » Corneille dans le rôle de « gendarme » républicain pourvoyeur d’héroïsme, durant les deux siècles post-révolutionnaires (p. 176). À langage difficile et non-naturel, éthique difficile et héroïque, en effet. Pour terminer sa re-figuration, François Lasserre replace Corneillethéoricien dans la dimension à la fois modeste et précieuse du théoricien de Comptes rendus PFSCL XLVII, 92 (2020) DOI 10.2357/ PFSCL-2020-0011 170 sa propre pratique, car « l’objet des Discours et examens est limité » (p. 177). La seule généralité théorique à retenir de l’enseignement du Normand est que la pure théorie est bien hasardeuse. D’Aubignac fut mauvais auteur et Aristote, comme le dit « l’important » Avertissement du Cid, « est un pays inconnu pour beaucoup de monde » (p. 178). On retiendra quelques idées, longuement travaillées ailleurs par François Lasserre et ici résumées dans les dernières pages : que le vraisemblable dépend des mœurs de chaque époque et donc du contrat de la fable (qui définit ainsi l’autonomie de la fiction) ; que le « nécessaire d’enchainement » n’a rien à voir avec le « nécessaire de scène » (p. 182) ; que pour Corneille le premier acte de la pièce doit s’efforcer pour la beauté de l’ensemble de contenir « les semences de tout ce qui doit arriver » (p. 183). Enfin, que les « défauts » techniques soulignés par la complaisance de Corneille lui-même, dans ses examens, doivent faire penser qu’elle « souligne en creux les intentions de telle ou telle action dramatique » (p. 184) à l’origine de l’invention - comme la duplicité d’action de La Place royale ou d’Horace - si bien que « les aveux de cette espèce sont bienvenus pour nous aider à élucider la pensée civile du poète » (ibid.). Une intention démonstrative, devons-nous en déduire, l’emporte donc parfois sur l’efficacité de l’agencement, sans doute parce qu’elle y préside. En conclusion de l’ouvrage, la thèse de François Lasserre sur Corneille mal aimé est que « depuis l’origine, les informations fantaisistes ou extravagantes se sont accumulées avec prédilection sur la tête de Corneille, répandant de lui une image indigeste, au titre de son orgueil, de sa rusticité, de son amour de l’argent, de ses relations avec le pouvoir, des intentions morales et des contenus de ses pièces » (p. 185), et en particulier à cause des informateurs premiers, « Chapelain, d’Aubignac ou Voltaire » (p. 186). Ce sont d’eux qu’il faut délivrer Corneille car « ils refont surface à l’occasion » (ibid.) quand le dramaturge est « plié à l’usage des formes de la critique selon les doctes » (dont François Lasserre n’est pas, et qu’il faut distinguer des érudits, dont incontestablement il est), ou vu d’un œil privilégiant « la période Richelieu », trop atypique, ou « la doctrine classique » (p. 187) si favorable à Racine quand il s’agit de faire l’absurde parallèle du « lion avec le rossignol » (p. 188). Emmanuel Minel