Papers on French Seventeenth Century Literature
pfscl
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
10.2357/PFSCL-2020-0021
121
2020
4793
Flora Champy et Caroline Labrune (dir.) : Médiations et construction de l’Antiquité dans l’Europe moderne, Littératures classiques, no 101 (2020), 206 p.
121
2020
Volker Kapp
pfscl47930300
Comptes rendus PFSCL XLVII, 93 (2020) DOI 10.2357/ PFSCL-2020-0021 300 Flora Champy et Caroline Labrune (dir.) : Médiations et construction de l’Antiquité dans l’Europe moderne, Littératures classiques, n o 101 (2020), 206 p. Les deux éditrices de ce numéro de Littératures classiques insistent dans leur introduction (9-22) sur le terme de « médiation » qui jusqu’à présent « n’a pas été théorisé dans le champ des études littéraires » (10) quoiqu’on le trouve à plusieurs reprises dans la traduction française de Literaturgeschichte als Provokation de Hans Robert Jauss. Elles attribuent à Ernst Robert Curtius le mérite d’avoir infirmé le jugement de Jacob Burckhardt qualifiant le Moyen Age de période d’obscurantisme. Elles auraient pu renvoyer également à la biographie : Marsile Ficin (1433-1499) de Raymond Marcel (Paris 1958), qui manque malheureusement dans la bibliographie sélective à la fin du numéro (169- 199). Marcel se base sur une documentation abondante pour récuser le préjugé promulgué par Burckhardt, et il analyse magistralement les présupposés et les mérites de Ficin, médiateur éminent de l’Antiquité pour l’Europe moderne, dont les traductions latines de Platon sont exploitées par Rousseau, par exemple dans l’épigraphe du Discours sur l’origine de l’inégalité, analysé par Flora Champy (voir p. 90, note 37). En lisant les œuvres de Platon dans la version latine de Ficin, Rousseau se conforme à la pratique courante dans le monde littéraire de l’Europe moderne, parce que « les éditions des textes antiques établies à la Renaissance sont utilisées jusqu’à la fin du XVIII e siècle » (14), et on pourrait ajouter que le manque de connaissance de la langue grecque nécessite le recours aux traductions latines, comme par exemple à celles de Ficin. En focalisant l’attention sur la théorie de la « médiation », les éditrices rapprochent ces données méthodologiques des théories de Foucault et Kristeva, et les collègues allemands qui s’inspirent des concepts de Jauss leur en savent certainement gré. Sergey Zanin constate que « l’Antiquité, comme exemple à suivre en matière de vertu et d’institutions, devient un lieu commun dans les ouvrages des écrivains de la fin du XVII e siècle (74) et il renvoie au Télémaque et aux Dialogues des morts de Fénelon. Il montre ensuite que Rousseau reprend dans son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes des propos des Instructions sur la morale de Fénelon, mais il précise que Rousseau rompt avec l’explication chrétienne de l’Antiquité par « la théologie pour développer une réflexion purement philosophique » (78), ce qui est correct, mais marginal par rapport à l’influence du Télémaque sur la vision de l’Antiquité au XVIII e siècle. Dans la bibliographie, on s’attendait à trouver au moins l’étude bien connue d’Albert Chérel Fénelon au XVIII e siècle en France (1715-1829) (Paris 1917), en vain. Voulant définir la notion de « médiation », les éditrices se distancient de Marc Fumaroli, qui, selon elles, « s’attache Comptes rendus PFSCL XLVII, 93 (2020) DOI 10.2357/ PFSCL-2020-0021 301 surtout à l’aspect fédérateur d’une médiation en particulier » (11). Elles proposent par contre « d’explorer la multiplicité et l’importance des intermédiaires dans la constitution de la connaissance de l’Antiquité », ses « usages politiques » ainsi que « des facteurs concrets (éditions disponibles, pratiques d’enseignement, pratiques sociales) » (11). Elles auraient dû insérer, dans leur bibliographie sélective, l’étude fondamentale de Christoph Schmitt-Maaß Fénelons « Télémaque » in der deutsch-sprachigen Aufklärung (1700-1832) (Berlin 2018, 2 vols.), qui analyse précisément ces trois aspects en montrant admirablement comment l’ouvrage fénelonien sert de « médiation » à la construction de l’Antiquité dans la civilisation germanophone du XVIII e et des premières décennies du XIX e siècle. Le volume est divisé en quatre sections constituées respectivement de trois contributions. Il commence par « La fabrique des textes » (25-57), explore ensuite les « Médiations et systèmes de pensée » (60-92), se poursuit par « Exploiter l‘Antiquité » (95-127) et se termine par « L’Antiquité réinventée, aux marges du savoir » (131-162). Cette dernière est la seule section consacrée exclusivement au XVII e siècle, tandis que Rousseau, Diderot et les XVI e et XVIII e siècles occupent la plupart des autres contributions. Le spécialiste du XVII e siècle trouvera des articles sur les traités de noblesse, Malebranche, Madeleine de Scudéry et Guez de Balzac. Celui d’Adrien Aracil intitulé « Dieu permit que le Roy vint, vinquit ». Réflexions sur l’usage politique d’une imitation de César par Henri de Rohan (années 1610-1629) » (107-117) présente un exemple particulièrement fascinant de l’exploitation politique du prestige de la littérature antique. Les Mémoires de ce chef du parti huguenot se distinguent par leur « réécriture des Commentaires sur la guerre des Gaules » (109) de César. Le mémorialiste met en évidence « l’enchaînement d’événements qui ont conduit à la chute du parti huguenot » (111) en produisant, grâce à l’emploi de la troisième personne, « l’apparence réaliste de sa restitution des événements » (111). Caroline Labrune exalte les qualités littéraires de Thomas Corneille, vilipendé couramment au profit de son frère Pierre. On n’a qu’à comparer sa tragédie La Mort d’Annibal (1669) avec le Nicomède (1651) de Pierre Corneille, pour constater que Thomas s’est inspiré de la pièce de son frère. Malheureusement, on a négligé sa manière différente « d’accéder à l’histoire antique » (145), surtout sa source la plus proche : l’Histoire romaine de Scipion Dupleix. Labrune prouve que Thomas Corneille s’est « fondé » sur Dupleix et qu’il a « sélectionné ce qui, dans les diverses sources […], était susceptible de faire de son héros le plus grand des ennemis de Rome » (149-150). En se penchant sur cette « médiation » de l’Antiquité, elle met en évidence que La Mort d’Annibal est « une pièce original et autonome » (150). Volker Kapp