eJournals Papers on French Seventeenth Century Literature 47/93

Papers on French Seventeenth Century Literature
pfscl
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
10.2357/PFSCL-2020-0022
121
2020
4793

Alain Génetiot (dir.) : Morales du poème classique. Paris, Classiques Garnier, « Le Siècle classique 13 », 2019. 379 p.

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Volker Kapp
pfscl47930302
Comptes rendus PFSCL XLVII, 93 (2020) DOI 10.2357/ PFSCL-2020-0022 302 Alain Génetiot (dir.) : Morales du poème classique. Paris, Classiques Garnier, « Le Siècle classique 13 », 2019. 379 p. Alain Génetiot a le mérite de débarrasser le terrain de la poésie du siècle classique des clichés invétérés de la critique littéraire. Sa Poétique du loisir mondain (1997) surmontait les obstacles occultant les multiples bienfaits légués à la poésie par l’idéal du loisir mondain. Le genre encomiastique, accusé de flagornerie mesquine, fut réhabilité dans le colloque, organisé par lui et intitulé L’Éloge lyrique (2008), où les principes de la rhétorique encomiastique et les présupposées de sa visée épidictique furent revalorisés. La morale, cantonnée largement au domaine littéraire des moralistes, est maintenant récupérée dans ce colloque pour la poésie du siècle classique qui, loin de se contenter de la morale dominante ou de moraliser simplement, véhicule différentes morales dont l’interférence et les tensions constituent un de ses charmes. D’où le pluriel du titre Morales du poème classique. Au XVII e siècle, la « poésie morale traditionnelle cède […] la place à une poésie de la condition humaine où les topoi […] sont modélisés de façon plus souple, revisités et interrogés, par le passage d’une allégorie simple à une herméneutique complexe » (17). Selon Génetiot, le discours moral et anthropologique de la poésie classique « informe sa vision du monde et sa perception de la nature humaine et la place de l’homme dans la société » (19). Pour saisir ces spécificités, il faut mieux cerner ce qui la caractérise. Les contributions de ce volume discutent des éléments centraux de cette problématique. La première partie du volume envisage les « enjeux politiques du genre » (25- 120), tandis que « l’anatomie des passions » et ses dimensions sociales occupent la deuxième partie (121-210). La troisième partie retrace quelques « itinéraires spirituels » (211-286) et tout le volume culmine, dans la quatrième partie, dans les analyses des « deux poètes phares du règne de Louis XIV - La Fontaine et Boileau - qui sont précisément des poètes qui mettent en scène et interrogent les conduites morales » (20). Quant à La Fontaine, Jole Morgante traite les « Modalités du comique dans les Contes et nouvelles » (287), Charles-Olivier Stiker-Métral les « Figurations du fabuliste dans les Fables » (299). En ce qui concerne Boileau, Rainer Zaiser montre comment, dans ses Poésies diverses et épigrammes, il met en œuvre des sujets de morale selon « le principe poétique de la varietas » (314). Son apologue critiquant les partisans d’Épicure par un renvoie intertextuel à Le Bucheron et la Mort aurait dû figurer parmi les paratextes de Macarise (1664) de l’abbé d’Aubignac, mais il n’est publié que dans ses Œuvres (1701). Il y semble « corriger la fable lafontainienne par une stricte imitation de la fable homologue d’Ésope » (322). Selon Zaiser, « l’objectif de l’auteur est plutôt poétique que moralisateur » (323). À juste titre la communication Comptes rendus PFSCL XLVII, 93 (2020) DOI 10.2357/ PFSCL-2020-0022 303 d’Emmanuel Bury est placée à la fin du volume parce qu’il émet « l’hypothèse que l’écriture poétique de l’humeur que Boileau pratique est une manière de prolonger l’écriture des moralistes » (330) et que, par conséquent, sa poésie « peut entrer dans le cadre des « moralistes » classique » (325). Bury reconnaît « dans la diversité des formes qu’elle a pu prendre, […] une parole de moraliste » (337), surtout dans les dernières années du siècle quand « le poète reprend des « lieux communs » de la philosophie morale dans ses ultimes satires et épîtres » (329). Dans la Satire IV par exemple, le pédant, le galant, le bigot, le libertin illustrent la réalité contemporaine du thème traditionnel de la folie et la satire se termine par un renversement de « la leçon érasmienne » servant de pointe : « Que le plus fou souvent est le plus satisfait » (332). Les Épître III et IV mêlent la topique horatienne à une espèce de « confidence personnelle » (333), qui alterne « avec les impératifs du negotium politique, auquel le poète savait sacrifier dans la grande poésie encomiastique de ses Odes » (333). Au début du volume, Patrick Dandrey et Stéphane Macé ouvrent des vastes perspectives qui dégagent l’horizon suggestif de la problématique sur laquelle ce colloque est centrée. Dandrey rappelle que « l’édification d’une persona libertine dans la transparence des poèmes de Théophile doit plus à la lecture orientée de Garasse qu’à la réalité disparate et dispersée d’une morale sinon d’une doctrine hétérodoxe » (43). L’intitulé de sa contribution « Théophile poète « engagé » ? » (42) invite à se pencher sur le « sens anecdotique et pratique » (44) de sa poésie, « engagée dans l’action et le service pour autrui, qui est une manière détournée de se servir soi-même » (44). Selon Dandrey, il existe « deux pôles entre lesquels sont tendus les engagements de Théophile, celui de la servitude imposée, celui de la liberté réclamée » (49). Le dernier pôle est beaucoup mieux étudié que le premier caractérisé par « une éthique discrète du service […] de l’éloge obligé » (53), qui obtient ici l’attention accrue qu’elle mérite. Véronique Ferrer situe également Théophile au sein de la mode des vers mondains. Sa désinvolture pourrait être « l’expression d’un malaise profond, lié aux crises d’une histoire sans concessions et aux déceptions d’un présent sans énergie » (279). Macé plaide pour une découverte « de la valeur esthétique » de la poésie encomiastique du premier XVII e siècle en s’ouvrant « aux accents d’une parole essentiellement collective » (54). Il relit les « corpus négligés » (68) des textes suscités par le siège de la Rochelle en 1628, qui « constituent une véritable transposition d’une scène matricielle assez proche de ce que pourrait être un lit de justice » (56). Grâce à la figure de l’allégorie, le Roi représentant la justice, Richelieu la fidélité renvoient au lit de justice. Macé saisit la mise en scène aussi bien que le programme narratif des textes anonymes et des épopées du Père Le Moyne ou de Samuel Martin, dont « le dernier tableau Comptes rendus PFSCL XLVII, 93 (2020) DOI 10.2357/ PFSCL-2020-0022 304 décrit un triomphe à la romaine qui correspond à l’entrée victorieuse de Louis XIII dans la cité vaincue » (68). Ses analyses mettent en évidence « la cohérence d’un système de pensée qui nous est en grande partie devenu difficilement compréhensible, parce que nous en avons en grande partie oublié les codes » (68). Dans l’analyse de la Satyre Ménipée de Thomas Sonnet de Courval, un tel oubli produit une coquille amusante. Caroline Luccioni- Sauvage, plus familière des libertins que de la Bible, y écrit : « […] le fait d’associer lubricité et féminité s’enracine dans la théologie chrétienne qui rapporte la concupiscence au péché originel et attribue à ève (sic) la corruption morale et physique du genre humain » (135). Les contributions abondent en remarques suggestives. Philippe Chométy constate qu’« en dédiant un poème de science à un protecteur amateur de science, le poète scientifique contribue à construire l’ «éthos philosophique » […] du prince lettré […] et, de plus en plus dans la seconde moitié du XVII e siècle du monarque protecteur des sciences, des lettres et des arts » (74). Francine Wild dégage des épopées françaises du XVII e siècle « l’illustration des théories de la monarchie « absolue » alors développées par de nombreux penseurs ou jurisconsultes » parce que « l’ordre monarchique du ciel et celui de la terre se correspondent exactement » (158). Jean Leclerc rappelle que, bien que les arguments et les comportements libertines n’engagent pas forcément les auteurs des épopées burlesques, l’activité de traduire et de travestir des textes païens « appelle une pensée et une attitude […] moins inféodée aux contraintes de la morale et des dogmes du catholicisme » (190). Camille Venner lit les Epistres morales d’Antoine Godeau selon la poétique du genre en tant que « support d’une réflexion anthropologique permanente, interrogeant la manière de bien vivre dans le monde » (212). Godeau propose à « ses amis un modèle de vie qui concilie leur implication dans le monde et leur volonté d’être vertueux » (225). Anne Mantero décrit « le registre moral d’une Muse chrétienne de la nature sauvage ou habitée » (250) en demandant dans quelle mesure ces poésies « se soutiennent d’une conviction personnelle » (265). Elle détache la poésie rustique du XVII e siècle de celle du romantisme en insistant sur le point de vue rhétorique de la « construction » d’un éthos qui, à cette époque, est « la condition de possibilité d’une énonciation poétique » (265). Les contributeurs disposent de connaissances impressionnantes pour mettre en lumière la part des poètes traités. Volker Schröder se penche sur la production encomiastique de Mme Deshoulières et de sa fille, « héritière fidèle [de] la veine encomiastique de sa mère » (114). Richard Maber explicite que « Le Moyne avait pleinement conscience de l’importance et de l’originalité de ses perspectives poétiques et morales » (232) en analysant les devises faisant partie de son traité théorique De l’art des devises (1666). Comptes rendus PFSCL XLVII, 93 (2020) DOI 10.2357/ PFSCL-2020-0022 305 Ce parcours à travers la poésie du XVII e siècle régale le lecteur d’une abondance d’informations remarquables. Volker Kapp