Papers on French Seventeenth Century Literature
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0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
10.2357/PFSCL-2021-0013
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2021
4894
Gérard Ferreyrolles : De Pascal à Bossuet. La littérature entre théologie et anthropologie. Paris, Honoré Champion, « Lumières classiques 118 », 2020. 750 p
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Volker Kapp
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Comptes rendus PFSCL XLVIII, 94 (2021) DOI 10.2357/ PFSCL-2021-0013 196 Gérard Ferreyrolles : De Pascal à Bossuet. La littérature entre théologie et anthropologie. Paris, Honoré Champion, « Lumières classiques 118 », 2020. 750 p. L’œuvre de Pascal est au centre des recherches de Gérard Ferreyrolles dont les éditions et les analyses sont incontournables pour tous ceux que s’occupent de cet auteur. Parmi ses trente-sept articles publiés pendant une quarantaine d’années, dix-sept sont consacrés à Pascal, par exemple « Qui a écrit Les Provinciales » (313-334) et « La preuve et l’épreuve chez Pascal » (585-602). Ses analyses des Provinciales aboutissent à deux panoramas remarquables : « Le XVII e siècle et le statut de la polémique » (287-312) et « Les Provinciales dans la tradition de la polémique chrétienne » (335-354). Dans la plupart des autres articles, Pascal n’est pas absent non plus. Toutefois, Ferreyrolles ne se contente pas de réunir ses publications abondantes concernant le XVII e siècle, il les sélectionne afin de créer un volume bien structuré dont les sections commencent par la « Théologie » (19-114) et l’« Histoire » (115-238), passent par la « Politique » (239-284) et la « Polémique » (285-410) pour arriver aux domaines centraux de la critique littéraire « Rhétorique et poétique » (411- 528) et « Littérature et anthropologie » (529-701). Sa perspicacité est impressionnante, par exemple quand il découvre des rapports inaperçus entre « Pascal et Denys l’Aréopagite » (21-42). Sa familiarité avec saint Augustin lui permet de dresser une vaste fresque dans « La conception augustinienne de l’histoire et le XVII e siècle » (117-168). L’histoire est un des thèmes majeurs du volume. Bien que saint Augustin ne soit pas si présent à la pensée des historiens du XVII e siècle qu’on eût pu le croire, il marque l’affrontement entre les deux tendances opposées : « l’étatiste et la dévote » (129), dont l’invocation de saint Augustin est « faussée » (134) tant par le machiavélisme que par les dévots. L’analyse très éclairante du Mars Gallicus (« Jansénius politique : Le Mars Gallicus », 241- 253) renvoie aux « deux courants qui partagent la pensée politique à l’époque de Richelieu : celui des « politiques » ou « bons Français » d’une part, celui des « dévots » ou « catholiques zélés » de l’autre » (244-245). Ce pamphlet devient pour les ‘jansénistes’ français la source la plus évidente de leurs maux parce qu’il les encourage à démythifier « la religion du politique tout en reconnaissant la validité de l’instance naturelle qu’il représente » (253). Parcourant l’époque de Pascal jusqu’à Bossuet, Ferreyrolles souligne la « profonde fidélité des port-royalistes à l’enseignement augustinien » (154), surtout leur « attachement au système des ‘figuratifs’ à un moment où l’exégèse critique commence à s’imposer » (155). Si Bossuet néglige en tant qu’historien la vision augustinienne des deux cités, sa réserve « n’implique nul reniement d’Augustin » (161). Son œuvre oratoire exploite « le symbo- Comptes rendus PFSCL XLVIII, 94 (2021) DOI 10.2357/ PFSCL-2021-0013 197 lique pour l’édification » (161) étant donné que les yeux de la foi peuvent découvrir le sens et la beauté de l’histoire. Les articles « De la causalité historique chez Pascal » (169-178) et « Histoire et causalité chez Bossuet » (215-224) sont complémentaires. Leurs antagonistes, Fénelon (« La Providence dans le Télémaque », 225-237) et les jésuites (« Les jésuites et la poétique de l’histoire », 437-454), ne sont pas ignorés. Même La Rochefoucauld (« La Rochefoucauld et l’histoire : réflexions sur la Réflexion XIX », 203-214) entre dans le cadre de ces analyses. Ferreyrolles enrichit sa réflexion sur les genres littéraires dans « L’épistolaire, à la lettre » (413-436), où la formule canonique de « la conversation avec un absent » permet de caractériser le phénomène épistolaire comme une « oscillation entre dialogue et monologue » (422). « Les âges de la prédication » (455-478) se hasardent à ébaucher une histoire de ce genre. Une question ardue est abordée dans « Augustinisme et concupiscence : les chemins de la réconciliation » (545-556). Ce qui figure comme « Finale » (703-724) aurait pu servir d’introduction : « L’augustinisme dans la vie intellectuelle française ». L’autorité de Fénelon y est invoquée à propos de cette thèse : « un secteur nouveau […] se fait jour précisément au XVII e siècle, le secteur de la philosophie » (703). L’Archevêque de Cambrai soutient dans ses Lettres sur divers sujets de métaphysique et de religion que « toutes les vérités sublimes » répandues chez notre Père de l’Église sont très supérieures « aux Méditations de Descartes, quoique ces Méditations soient le plus grand effort de l’esprit de la philosophie » (cité p. 703). Cette affirmation, qui est mise en évidence par les études réunies dans ce volume, est à l’opposé des Notæ sive animadversiones in Opera S. Augustini (1703) publiées à la même époque par Jean Leclerc sous le pseudonyme de Joannes Phereponus, et passées sous silence par Ferreyrolles. Selon Leclerc, la philosophie et l’exégèse augustiniennes ou les idées promulguées par La Cité de Dieu proviennent d’un rhétoricien qui confond les beaux discours avec le raisonnement juste, jugement vanté par Kurt Flasch dans sa contribution au volume Augustinus in der Neuzeit (1998, figurant ici en note p. 704). On hésite à partager l’opinion de Ferreyrolles, selon lequel ces actes d’un colloque témoignent de l’influence « absolument considérable » (704) d’Augustin. Mais on est d’accord avec lui pour dire que « la notion d’augustinisme littéraire s’est révélée particulièrement éclairante grâce à deux grandes thèses : celle de Philippe Sellier en 1970, Pascal et saint Augustin, et celle de Jean Lafond en 1977, La Rochefoucauld, Augustinisme et littérature » (714-715). Ses études renvoient souvent à ces deux critiques pour signaler qu’elles prolongent la démarche de ces prédécesseurs. Lucien Goldmann, dont les théories concernant le jansénisme inspiraient un grand nombre des lectures de Pascal et de Racine, est critiqué et même ridiculisé dans Comptes rendus PFSCL XLVIII, 94 (2021) DOI 10.2357/ PFSCL-2021-0013 198 « Goldmann visionnaire » (391-409). Tandis que Sellier a montré que l’univers des tragédies de Racine « est diamétralement opposé non seulement au jansénisme […] mais à toute vision augustinienne du monde » (cit. p. 392), Ferreyrolles prouve que le Pascal des Pensées veut faire naître la conscience tragique « chez le libertin afin de l’amener à chercher dans la religion une vérité et une justice où le tragique soit dépassé » (402) et qu’il existe une « continuité entre Provinciales et Pensées » (403). Selon lui, « le grand mérite du livre de Goldmann [… réside dans le fait] d’apporter la démonstration, à son corps défendant, que le critère de la classe sociale cesse d’être opératoire dès lors qu’elle n’est plus considérée comme l’une des conditions dans lesquelles s’exerce l’activité intellectuelle mais en devient le suprême conditionnement » (409). Ferreyrolles étudie « l’augustinisme littéraire à travers deux rubriques : la conception de l’homme et la conception de la littérature » (715). Ce Père de l’Église permet de mettre en œuvre « rhétoriquement et poétiquement les ressources du langage » (718) dans l’histoire de la littérature. Dans cette optique, il ne s’agit pas de récupérer le fait littéraire pour le catholicisme mais de mettre en évidence les affinités plus ou moins visibles entre un auteur et les idées récurrentes de l’époque. Dans « Vérité religieuse et paganisme fictionnel dans le Télémaque » (661-676), il découvre dans l’Ascension finale de Minerve un « plaisir de nature transgressive qui vient de la résistance du matériau mythologique à l’allégorisation chrétienne » (669). La doctrine de l’amour pur dégage, selon Ferreyolles, « un vaste espace commun au christianisme et au paganisme - en politique, en métaphysique et en esthétique » (674). La « culture religieuse de La Fontaine » (645), qui n’est pas prise au sérieux par la plupart des spécialistes, est envisagée dans « La Fontaine : Les Fables et la Bible » (645-659) dans l’optique d’une « intertextualité trop longtemps voilée » (659) se nourrissant des deux Antiquités, païenne et chrétienne, dont « la superposition » (656) rend visibles « ses attaches bibliques » (656-657). L’importance du traité De l’usage des passions de Senault se révèle grâce à une lecture attentive (« De l’usage de Senault : Apologie des passions et apologie pascalienne », 557-575). Puisque son originalité consiste dans le dessein « de parler des passions en théologien et en philosophe chrétien » (564), son projet « s’accorde pour le moins avec l’antistoïcisme d’un épicurien comme La Fontaine » (574) et « le mouvement de ‘démolition du héros’ qui fleurit particulièrement dans les œuvres de Pascal et de La Rochefoucauld » (574). Dès lors un aspect passé presque inaperçu de la réflexion morale gagne du profil dans « La Rochefoucauld devant la paresse » (603-625) dont l’autoportrait met en lumière le manque de communication avec les autres ou de curiosité, l’inactivité ou la passivité, « qualités » qui « consonnent admirable- Comptes rendus PFSCL XLVIII, 94 (2021) DOI 10.2357/ PFSCL-2021-0013 199 ment avec la paresse » (607). Dans les Maximes, il démystifie « les vertus paisibles en les réduisant à n’être que les formes spécifiques de la paresse » (613) favorisant « la vanité et l’orgueil, qui sont les manifestations les plus évidentes de l’amour-propre » (618). Ces quelques renvoies sont destinés à attirer l’attention sur ce volume qui est une riche source d’informations sur les données centrales de la littérature et la pensée du XVII e siècle français. Volker Kapp
