Papers on French Seventeenth Century Literature
pfscl
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
10.2357/PFSCL-2021-0032
121
2021
4895
Florence Orwat : Le rire chrétien de La Fontaine. Les Contes et nouvelles en vers. Paris, Champion, « Lumière classique 121 », 2021. 441 p.
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Volker Kapp
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Comptes rendus PFSCL XLVIII, 95 (2021) DOI 10.2357/ PFSCL-2021-0032 444 Florence Orwat : Le rire chrétien de La Fontaine. Les Contes et nouvelles en vers. Paris, Champion, « Lumière classique 121 », 2021. 441 p. Florence Orwat promet une analyse du « rire chrétien de La Fontaine ». Pour ce faire, elle divise son étude en deux parties : « une enquête autour des Contes » où elle interroge « les zones d’ombre que soulèvent leur généalogie, leur écriture et leurs éditions » (17) et une vérification de la validité de ses hypothèses qui explore « le ‘sérieux’ de ces narrations truculentes en accordant une large place à l’analyse textuelle et aux effets de sens » (17). La première partie comporte deux chapitres : « Des ‘bagatelles’ ? Enquête autour des Contes et nouvelles en vers » (25-64) et « Sous le signe du contraste et du paradoxe » (65-125), la deuxième quant à elle trois « À l’ombre des Muses gaillardes » (127-228), « Pour une étude politique des Contes » (229- 314), « Les Contes et Nouvelles en vers et la tradition des exercices spirituels » (315-392). Ces intitulés des chapitres ne révèlent pas la signification du « rire chrétien » qui pourrait se cacher derrière « l’ombre des Muses gaillardes ». Mme Orwat articule toutefois très tôt une question qui la préoccupe à propos de La Fontaine : « Quels motifs l’incitèrent à versifier des histoires le plus souvent truculentes tandis qu’il traduisait en français, presque conjointement et à la demande de Louis Giry, les vers latins disséminés dans La Cité de Dieu et qu’il collaborait au Recueil de poésies chrétiennes et diverses (1671) ? » (22). La première partie de son étude y répond par l’analyse des « problèmes posés par l’édition et la réception contrastée du texte » en « invitant à lire entre les lignes » (24). Est-ce que le « rire chrétien » se manifeste à une lecture « entre les lignes » où on le découvrirait derrière le « sérieux » ? La critique invite à se méfier de la déclaration faite par La Fontaine de vouloir renoncer à la composition de contes, en 1666 c’est-à-dire au moment où « l’engouement du public pour les Contes battait son plein » (26), puisque le recueil « répond à un horizon d’attente : le plaisir du lecteur » (32). Son analyse de la réception des Contes suggère ensuite que les spécialistes sont victimes de cette déclaration jusqu’aux temps récents parce que la « manière dont on appréhende notre corpus demeure solidaire de l’image qu’on se forge de l’auteur » (65). Elle s’efforce donc de forger une nouvelle image de La Fontaine. Un des mérites incontestables du présent volume consiste à attirer l’attention sur les parties consacrées à La Fontaine par Jean Lesaulnier dans Images de Port-Royal, qui l’encouragent à insister sur l’importance des dixhuit mois passés dans l’Oratoire parisien. En se référant à la formation que La Fontaine y a reçu, elle s’ingénie à découvrir chez lui « un esprit et des Comptes rendus PFSCL XLVIII, 95 (2021) DOI 10.2357/ PFSCL-2021-0032 445 pratiques hérités peu ou prou de Philippe Néri » (69), saint caractérisé par Philippe Le Guillou, de « léger, rieur, un espiègle, comédien et farceur, un ludion aux pieds légers » (cité p. 70). Dans la note 11, elle renvoie encore à deux autres biographies consacrées à Néri en signalant qu’elles « ne figurent pas dans notre bibliographie » (70). Cet aveu a de quoi surprendre, mais tout au long de son étude, elle répète la même remarque sans fournir une explication de ces omissions dans sa bibliographie (407-433). L’épilogue (393-405) se demande « si La Fontaine ne souscrirait pas aux principes de la lecture édictés par des augustiniens tels que Lamy, Nicole, Coustel » (398), et dans ce cas, on aimerait trouver une analyse des affinités entre les Contes de La Fontaine et les Nouvelles réflexions sur l’art poétique (1678) de Bernard Lamy. Puisque, selon Lesaulnier, l’importance de l’Oratoire dans la France d’alors est incontestable, Mme Orwat soutient que « rien n’obligeait Jean […] à prendre la soutane et la robe le samedi 22 avril 1641, sinon une appétence spirituelle dont les raisons profondes sont difficiles à saisir » (/ 70). Elle en déduit que La Fontaine n’a « pu échapper à l’effervescence de ces années combattives » (76-77) et que, dans les Contes, il a choisi « ses sujets et ses cibles pour prendre part aux débats qui agitaient l’Église » (77). Claude Lancelot et les Messieurs de Port-Royal sont censés adhérer à ses Contes en s’opposant « à la politique romaine puisque les nouvelles de Boccace avaient été mises à l’Index » (79). La publication en 1674 des Nouveaux Contes « sous l’adresse éditoriale fictive de Georg Migeon, imprimeur de Mons » (95) résulterait de la volonté de se rapprocher du « Nouveau Testament dit de Mons, traduit de Lemaître de Sacy [… qui] portait la mention Gaspar Migeot, libraire de Mons » (95). Selon Orwat, l’ancien « novice partageait avec les Messieurs le goût de l’indépendance d’esprit et de la liberté contre les tyrannies quand elles bafouent les valeurs et les principes chrétiens » (97) comme le Roi Soleil poursuivant les Jansénistes. La partie consacrée à la thématique politique des Contes n’omet aucune occasion de dépister une polémique contre les tyrannies, qu’elle associe toujours à Louis XIV. Ce parti-pris pourrait se justifier en dissociant les Contes des Fables comme le rappelle Patrick Dandrey dans ses Dix leçons sur le premier recueil des Fables de La Fontaine (1668), ouvrage publié en 2019 et ignoré par Mme Orwat qui, par ailleurs, ne cesse de renvoyer aux travaux de Dandrey. On peut approuver l’insistance sur les affinités entre les deux côtés de la production littéraire de notre poète, mais les arguments avancés par Dandrey, qui se distancie de l’interprétation politique de Marc Fumaroli (sans le nommer), font douter de la pertinence d’une lecture politique qui accentue ici celle de Fumaroli. Comptes rendus PFSCL XLVIII, 95 (2021) DOI 10.2357/ PFSCL-2021-0032 446 Selon Mme Orwat, le projet de « dissocier les Contes et nouvelles en vers de la solide formation humaniste et spirituelle de La Fontaine » (114) est erroné. Son esquisse de l’histoire de « la fausse parole » (300) chez Machiavel et La Fontaine renvoie à un « Augu-Nelle », dont les Nuits Attiques transmettraient la distinction « entre ‘mentir’ (dire le faux avec l’intention de tromper un proche) et ‘faire un mensonge’ (dire le faux, sans volonté de tromper) » (300-301). J’avoue ignorer cet auteur. Je suis plus familier des « Pères de l’Église (Clément d’Alexandrie, Origène, Hilaire de Poitiers, Jean Chrysostome) […qui] s’accordent dans l’ensemble avec les auteurs païens : le mensonge utilitaire est licite quand l’intention morale est sauve » (301). Érasme, qualifié de « moine de Rotterdam » (388), garantit « l’enseignement éthico-politique » (388) des Fables, et, dans l’optique de l’humanisme, il faudrait réévaluer donc les rapports entre Platon et La Fontaine. Mme Orwat soutient « l’hypothèse d’une filiation possible » (319) entre les deux parce que le « conteur semble avoir trouvé chez Platon un modèle qu’il infléchit en hybridant le genre narratif bref » (323). Mme Orwat approuve la notice du Dictionnaire de Port-Royal selon laquelle La Fontaine « fut un proche des Solitaires » (115). Elle remplace à juste titre l’adjectif « érotique » par celui de « gaillard » qui a, « au XVII e siècle, un spectre sémantique plus large » (129), parce que « La Fontaine prend le parti de livrer de l’humanité une peinture où dominent, à première vue, la gaîté et la bonne santé des êtres, physique et psychique » (140). Il ne s’approprie pas les nouvelles « les plus scabreuses ou les plus transgressives » du Décaméron, toute « référence à la scatologie » ou à la matière « fécale et urine » (145) étant absente des Contes, et dans Les Lunettes », le conteur se dérobe à « nommer le sexe masculin » (161). La vingtaine « sciences ecclésiastiques » témoignent de la présence « des institutions et pratiques religieuses au temps de Louis XIV » (171) dans les Contes et confirment que « La Fontaine s’intéresse à tout ce qui concerne, peu ou prou, les devoirs du croyant » (172). Les récits Le Muletier, La Coupe enchantée, Le Faucon, La Courtisane amoureuse « transposeraient la leçon biblique » (194) de Proverbes XI, 2. Dans Joconde (v 375-377), « La Fontaine cite nommément Salomon » et énonce un « rappel à l’ordre proféré également en Jérémie (IX, 23) » (195). Le conteur y « dialogue plus largement avec l’ensemble du livre sapientiel » (197). C’est pourquoi Mme Orwat détecte dans les Contes une « intertextualité biblique » (124) et « des affinités entre sa vision du mariage et celles du Catéchisme [du Concile de Trente], inspirée presque exclusivement de la Bible (saint Paul, Matthieu, les Proverbes, l’Ecclésiaste, la Genèse, les Psaumes) » (375). Elle énumère des exemples de la « tradition satirique » allant de saint Augustin à Marguerite de Navarre, qui se réclame « explicitement de l’eutrapélie, une Comptes rendus PFSCL XLVIII, 95 (2021) DOI 10.2357/ PFSCL-2021-0032 447 vertu qui consiste justement à ‘tourner’ et à retourner ce qui est triste ou déplaisant en quelque chose d’agréable ou de gracieux » (339). Elle met ces auteurs en rapport avec des citations du Nouveau Testament et réclame « saint François d’Assise et ses amis […] appelés les ‘joculatores Domini’ » (389) comme ancêtres du genre de récit plaisant tel que le pratique notre poète. On est surpris de cette option de situer les Contes de La Fontaine dans la tradition chrétienne. Volker Kapp
