eJournals Vox Romanica 76/1

Vox Romanica
vox
0042-899X
2941-0916
Francke Verlag Tübingen
10.2357/VOX-2017-037
Es handelt sich um einen Open-Access-Artikel, der unter den Bedingungen der Lizenz CC by 4.0 veröffentlicht wurde.http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/121
2017
761 Kristol De Stefani

Aurélie Reusser-Elzingre/Federica Diémoz (ed.), Le patrimoine oral. Ancrage, transmission et édition dans l’espace gallo-roman, Berne (Peter Lang) 2016, xiv + 256 p.

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2017
Julie  Rothenbühler
vox7610444
444 Besprechungen - Comptes rendus Vox Romanica 76 (2017): 444-446 DOI 10.2357/ VOX-2017-037 a urélie r eusser -e lzingre / f ederiCa d iéMoz (ed.), Le patrimoine oral. Ancrage, transmission et édition dans l’espace gallo-roman, Berne (Peter Lang) 2016, xiV + 256 p. Ce volume réunissant douze articles d’auteurs suisses, belges, français et italiens est le fruit d’un colloque qui s’est tenu à Neuchâtel en 2014. Ce colloque a porté sur les questions liées au patrimoine oral, à sa conservation, à sa transmission et son étude. La riche introduction d’a. r eusser -e lzingre et de f. d iéMoz ( Vii xiV ) replace le propos de l’ouvrage au sein du débat sur le patrimoine culturel immatériel, mis sur le devant de la scène par l’UNESCO depuis la convention pour sa sauvegarde adoptée en 2003 1 . C’est justement au sein de ce débat que se place ce colloque, réalisé à la suite d’un projet SINERGIA auquel les deux coordinatrices du présent volume ont pris part, projet qui visait à inventorier et mettre en valeur le patrimoine immatériel de la Suisse romande. Un avant-propos écrit par a. K ristol ( xV xVi ) et une préface d’e. h ertz ( xVii xix ) suivent l’introduction. Dans son avant-propos, a. K ristol met en avant l’importance du contenant, de la forme linguistique que revêt ce patrimoine oral pour les dialectologues. E. h ertz , quant à elle, revient sur les différences entre les travaux des linguistes et ceux des ethnologues, en insistant sur la richesse que peuvent présenter une collaboration et les échanges entre ces disciplines. Découpé en cinq parties, cet ouvrage fait véritablement la part belle à la langue, la plaçant au centre de son propos et au sein de chaque contribution. Les différentes sections s’articulent autour de plusieurs notions clés: l’oral et l’écrit, le folklore et sa manipulation, la collecte, la philologie et enfin le territoire. Dans la première partie «L’oral et l’écrit: un mariage arrangé? » (1-31), les auteurs questionnent le lien entre ces deux modes de transmission de la langue, leurs avantages et les problématiques qui peuvent entrer en jeu lors de la mise par écrit des récits traditionnels. Ainsi, chez n. B elMont «De l’oral à l’écrit: une fausse transparence? Les contes de transmission orale» (3-14), la langue est le support de l’imaginaire collectif; dans sa contribution elle présente des conteurs mettant eux-mêmes par écrit leurs récits. Les conteurs utilisent ainsi la langue écrite comme dépositaire de leur mémoire et ceci permet d’y relever bon nombre de traces d’oralité; la part d’informations liée à ce changement de mode de transmission est énorme. Dans l’article «Rendre au peuple son butin. De la collecte au retour dans la langue orale» d’é. M ontelle (15-31), pour qui la pratique du contage est au centre de la communication, la langue tient essentiellement le rôle de vecteur de la parole, du conte et de la culture du lieu d’où provient le récit. La transmission de ces récits est fondamentale et indispensable de l’avis de l’auteure, qu’elle passe par l’écrit ou par l’oral uniquement. Cette transmission orale et donc fugitive, laisse une très large part de créativité aux transmetteurs. Ces derniers peuvent jouer de la langue comme bon leur semble. Faisant office de vecteur, cette langue a également des spécificités liées au type de récit en présence mais également liées à l’ancrage régional et territorial de ce dernier, ainsi qu’à la nécessité d’ancrer l’histoire dans la réalité du public et de l’orateur. La deuxième partie de l’ouvrage «La manipulation du folklore» (33-67) explore les questions d’ancrage territorial de certaines traditions et le rôle joué par les langues locales, avec leur caractère identitaire. En effet, comme le montre f. l eMpereur dans son article «Tradition, trahison, transmission du patrimoine oral: réflexions et expériences en Wallonie» (35-51), les langues ont une valeur patrimoniale intrinsèque, à l’instar du wallon, utilisé dans les exemples cités dans cette contribution, qui permet d’ancrer le récit dans la réalité quotidienne du public en amenant une multitude de nuances linguistiques qui lui sont propres. L’ancrage territorial se double d’un ancrage dans l’imaginaire lors de la mise par écrit. Cela octroie une légitimité aux récits mais permet également une certaine forme de «bricolage identitaire» comme le 1 «Texte de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel», https: / / ich.unesco. org/ fr/ convention [en ligne], consulté le 26 septembre 2017. 445 Besprechungen - Comptes rendus Vox Romanica 76 (2017): 444-446 DOI 10.2357/ VOX-2017-037 démontrent i. r aBoud -s Chüle et s. r ossier dans leur contribution portant sur le cas de la Gruyère «Traditions emblématiques de la Gruyère: au commencement … l’écrit! » (53-67). Le Ranz des vaches et la Poya, élevés au rang de traditions régionales, ont connu en réalité beaucoup de transformations et d’ajustements avant d’acquérir leur forme définitive. Ces deux traditions ont en effet été forgées de toutes pièces. Elles doivent leur légitimation et leur reconnaissance à leur mise par écrit. La troisième partie «Histoires et collectes» (69-112) s’articule autour de la mise par écrit qui assure la pérennisation des traditions, des témoignages et de tout un savoir communautaire, qui sans cela disparaîtrait avec ses dépositaires. Eloi Abert, conteur-écrivain, illustre parfaitement cet état de fait. Dans «Un conteur écrivain: Eloi Abert (Chantemerle-les-Blés - Drôme - France)» (71-94), C. f réChet présente le gigantesque travail que réalisa, dans son village natal, cet ancien enseignant, passionné par la littérature orale. La langue, ici, se révèle centrale, non seulement comme garante de la pérennité des témoignages mais également comme objet d’étude, l’auteur écrivant dans la langue vernaculaire de son village. L’utilisation d’une langue autre que le français ouvre tout un pan de recherche dans plusieurs disciplines parmi lesquelles la dialectologie. La recherche effectuée par l. g aBorit sur l’île de Noirmoutier, «Le Conte de mensonge dans l’île de Noirmoutier: résistance et renaissance d’une oralité» (95-112), révèle une toute autre approche de la parole et une autre utilisation de la langue. La langue vernaculaire mais également la langue française sont utilisées par certains habitants de l’île comme source de jeu et sont prétexte à des jeux de mots. Les conteurs noirmoutrins ont fait du conte de mensonge une de leurs spécialités. Permettant de véhiculer et de transmettre ces traditions orales locales, la langue en est donc le support et le vecteur ainsi que le principal instigateur. «Du terrain au manuscrit: le travail des philologues» (113-70) constitue la quatrième partie de l’ouvrage et met l’accent sur les traditions orales se perpétuant au moyen de l’écrit. C’est notamment le cas des exempla médiévaux sur lesquels travaille J. B erlioz «Un accès premier au patrimoine oral du Moyen Age: le Thesaurus des exempla médiévaux (ThEMA)» (115- 32). Ces récits, insérés dans les sermons des prédicateurs et dans les traités des moralistes constituent une source riche pour les chercheurs. La mise par écrit de ces textes a permis leur préservation. La langue écrite est ainsi le seul témoin subsistant de ces réalités médiévales. Dans ce cas, l’écrit fonctionne comme unique source de la langue orale et de ces traditions. J. Berlioz a ainsi effectué une large recherche sur ces types de récits et a mis au point un répertoire accessible sur Internet pour permettre leur consultation. Pour J. d elMas «Les archives anciennes de l’Aveyron (France) en langue occitane (XII e -XVII e siècles): bilan d’une exploration linguistique et ethnographique» (133-46), au contraire, la langue écrite répond à la langue orale. Son travail de recherche en archives se trouve complété par des recherches sur le terrain auprès des détenteurs du patrimoine. Ces témoignages permettent de documenter et d’expliciter certains termes techniques anciens présents dans les textes d’archives. En plus de recueillir des traditions, qui risquent fort de disparaître avec les derniers artisans de ces métiers anciens, les savoir-faire sont analysés et valorisés par la démarche de l’auteur. Dans le travail mené par a. r eusser -e lzingre «Mise en valeur d’un patrimoine dialectal jurassien: pratiques philologiques» (147-70), la langue est porteuse de sens, d’identité et de connaissances. Elle y prend même une place centrale en documentant des traditions jurassiennes suisses et témoignant de la littérature patoise des Franches-Montagnes. Effectivement, le travail d’édition réalisé par l’auteure des textes de Jules Surdez permet au trésor collecté pendant de longues années par cet instituteur jurassien d’être mis en avant et sa richesse d’être exploitée. Jules Surdez parcourut le Jura à la recherche de fôles ou d’autres récits traditionnels contés lors de veillés. Les couchant scrupuleusement sur ses carnets, les annotant précisément, il a fourni un témoignage précieux de ces récits traditionnels. 446 Besprechungen - Comptes rendus Vox Romanica 76 (2017): 444-446 DOI 10.2357/ VOX-2017-037 La cinquième et dernière partie «L’ancrage au territoire» (171-252) montre l’importance du territoire et de l’attache des récits traditionnels au sein de celui-ci. Différents types d’analyses peuvent être réalisés, comme l’illustre le travail de f. a rMand «Le loup-garou: de sa liminalité dans le patrimoine narratif gallo-roman à sa parenté neuroanthropologique» (173- 90), témoin de la richesse et de la vitalité des motifs narratifs. Une vitalité qui se retrouve en Vallée d’Aoste, avec les moqueries villageoises que nous présente a. B éteMps dans son article «La moquerie dans nos montagnes: qui est moqué, de la part de qui, comment et pourquoi. Esquisse de la distribution géographique de la moquerie en Vallée d’Aoste» (191-223). Ici la langue véhicule ces jeux de langage mais en est également le support et l’essence même. De la même manière, les Valdôtains fixent dans la mémoire collective des histoires et des anecdotes mais également des traits de caractère supposés des habitants de la vallée. a. B éteMps donne quelques exemples de sobriquets ou de moqueries en patois valdôtain, dévoilant ainsi tout un pan de l’histoire culturelle, des coutumes et des mœurs de la Vallée d’Aoste. Leur analyse est source de nombreuses réflexions et apports sur les traditions populaires de la région. Le travail de M. r iVoira «Êtres imaginaires et lieux réels dans le Piémont montagnard» (225-52) illustre lui aussi l’apport essentiel que peut amener le travail de collecte sur un territoire donné. Les recherches en toponymie menées dans le Piémont ont permis de mettre au jour une partie de la culture piémontaise encore peu étudiée et relativement méconnue. Des lieux comme le pas du géant illustrent à eux seuls des récits ancrés dans le territoire piémontais. Fixés par la toponymie, ceux-ci restent accessibles et une trace de ces récits persiste jusqu’à nos jours, malgré une rupture dans la transmission orale. Par conséquent, la langue, dans le cas présent, fait office de fixateur de la mémoire. Dans la conclusion de ce volume (253-56), s. C happaz -w irthner nous fait part d’une réflexion qui met en évidence les principaux enjeux développés tout au long de cet ouvrage. En effet, elle se questionne sur la façon qu’ont les conteurs et conteuses présentés lors du colloque de ne faire que peu cas des analyses réalisées par les chercheurs venus les écouter. Au contraire, ceux-ci ont en commun un réel désir de transmission et ils prennent plaisir à pratiquer le contage, faisant abstraction des enjeux scientifiques les entourant. Ainsi, S. Chappaz-Wirthner s’interroge: «Faut-il y voir la manifestation de la difficulté persistante à laquelle se heurtent des analyses visant à substituer des notions de processus, d’interaction et de contexte à celles de ‹génie du lieu›, gardien d’une force de particularisation dont la langue orale serait le dépositaire ultime? ». Placés côte à côte, les termes de langue et de ‹dépositaire ultime› illustrent parfaitement le propos central de l’ouvrage, à savoir de mettre en avant la place qu’occupe la langue dans la transmission et la pérennisation du patrimoine oral. Au travers de ses articles riches et fort développés, cet ouvrage le démontre admirablement. Au sein d’une telle richesse, un seul regret pourrait être formulé: un préambule présentant de manière plus approfondie les notions clés abordées dans l’ouvrage aurait pu être enrichissant et apporter une aide bienvenue au lecteur qui se retrouve parfois aux prises avec des notions complexes. La grande variété des points de vue et l’apport de spécialistes de diverses disciplines constituent les points forts de ce mélange. Traiter un tel sujet par le biais de l’interdisciplinarité est novateur et permet d’amener des éléments fort intéressants. Le croisement des points de vue, notamment ethnologiques et dialectologiques amènent bon nombre de questionnements et des éléments de réflexions riches, ainsi que l’annoncent très clairement les mots d’introduction du volume. Julie Rothenbühler 