eJournals Vox Romanica 77/1

Vox Romanica
vox
0042-899X
2941-0916
Francke Verlag Tübingen
10.2357/VOX-2018-001
Es handelt sich um einen Open-Access-Artikel, der unter den Bedingungen der Lizenz CC by 4.0 veröffentlicht wurde.http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/121
2018
771 Kristol De Stefani

Barlaam et Josaphat ou l’asymptote étymologique

121
2018
Marion Uhlighttps://orcid.org/https://orcid.org/0000-0002-3105-6352
Fabien Pythonhttps://orcid.org/https://orcid.org/0000-0002-0659-3367
vox7710001
Barlaam et Josaphat ou l’asymptote étymologique 1 Vox Romanica 77 (2018): 1-28 DOI 10.2357/ VOX-2018-001 Barlaam et Josaphat ou l’asymptote étymologique Marion Uhlig / Fabien Python (Fribourg) Marion Uhlig https: / / orcid.org/ 0000-0002-3105-6352 Fabien Python https: / / orcid.org/ 0000-0002-0659-3367 Abstract: The medieval transmission of the legend of Barlaam and Josaphat, Christian adaptation of the life of Buddha through Western literature is now well known. In the last decades, scholars have studied the text’s millenary translatio, corrected the wrong attribution to John of Damascus in favour of Euthymius the Athonite, and showed the narrative potential of this collection of tales and its influence on the development of Western vernacular literature in the XIII th and XIV th centuries. Nevertheless, very little is known so far about the origin of the protagonists’ names: where do the names Barlaam and Josaphat come from? Are they «etymological doublets» derived from the name of Buddha as some seem to allege, or not? This article, written by a linguist specialist of etymology and a medievalist interested in Barlaam and Josaphat, investigates some of the many influences that the legend has crossed and to which it could have borrowed its protagonists’ names. Keywords: Etymologie, Barlaam and Josaphat, Doublets, Hagiography, Frame Story, Oriental Tradition D’où viennent les noms Barlaam et Josaphat? Chacun sait aujourd’hui que la légende des deux saints, formidable best-seller médiéval, est une version christianisée de la vie du Bouddha qui a connu une translation millénaire, des confins de l’Himalaya aux bibliothèques conventuelles et princières d’Europe. On trouve les traces de son parcours, entamé au VI e siècle et probablement même avant, à travers les littératures indienne, arabe, persane, syriaque, arménienne, géorgienne et grecque, jusqu’à sa diffusion dans l’Europe médiévale à partir du XI e siècle, d’abord en latin puis dans toutes les langues vernaculaires. Dans ses versions occidentales, le pieux récit est tributaire - quoique le plus souvent à son insu - des strates successives accumulées au cours de sa longue circulation. Parmi d’autres traits, les noms des deux saints éponymes de la légende témoignent de la façon la plus éloquente de cette sédimentation qui assimile la trame narrative à un millefeuille: de Baghavan à Barlaam en passant par Bilawhar, de Bodhisattva à Josaphat via Iodasaph, de nombreuses mutations ont altéré les formes originelles jusqu’à leur métamorphose. Or si les tentatives pour en identifier la provenance peinent à s’imposer, c’est en raison du caractère parcellaire des recherches, mais aussi à cause de leur amplitude. La réception critique de Barlaam et Josaphat, pour ainsi dire mimétique de son propos, connaît dans le temps et l’espace 1 28 001 Marion Uhlig / Fabien Python Marion Uhlig / Fabien Python 2 Vox Romanica 77 (2018): 1-28 DOI 10.8357/ VOX-2018-001 une extension indeterminée aussi remarquable que la légende elle-même. À ce titre, elle suit des voies presque aussi sinueuses que la tradition textuelle dont elle rend compte. Et surtout elle est, comme cette dernière, jalonnée d’idées reçues, puis revues au fil du temps. La première d’entre elles concerne l’origine orientale de la légende dont le secret, longtemps bien gardé, n’a été divulgué qu’au milieu du XIX e siècle lorsque les traits de l’Éveillé se sont enfin révélés sous le masque de Josaphat 1 . C’est dire que pendant près de dix siècles, et surtout au Moyen Âge où elle a connu sa longue heure de gloire, cette légende a été considérée comme chrétienne en taisant sa source bouddhique. Et si des prises de conscience isolées ont été signalées, comme celles du copiste de Marco Polo ou de l’historien et voyageur portugais Diogo do Couto qui ont rapproché les deux histoires, leur seule incidence a été la propagation d’un second a priori, tout aussi fallacieux, sur le sens dans lequel la transmission a eu lieu 2 . De fait, lorsqu’entre le XV e et le XVII e siècle, on assimile l’existence vertueuse et la gloire posthume de Bouddha Sakyamuni à la Vie de saint Josaphat, fils du roi Avenir, c’est pour reprocher aux Orientaux de s’être appropriés une légende chrétienne, et non l’inverse 3 ! Il en découle un troisième leurre, qui a trait à l’inscription de Barlaam et Josaphat au pan- 1 On trouve la publication du rapport de dépendance de la légende de Barlaam et Josaphat à la vie du Bouddha dans les articles de Laboulaye 1859 et Liebrecht 1860. Voir aussi Cosquin 1880 et Müller 1881. 2 En 1446, et donc bien avant l’historien portugais Diogo do Couto en 1612, un copiste du voyage de Marco Polo, commentant le chapitre du Devisement du monde sur l’île de Ceylan où il est question de la vie vertueuse et de la gloire posthume de Bouddha Sakyamuni, fit le rapprochement avec la Vie de saint Josaphat, fils du roi Avenir. La seule hypothèse imaginable, ou du moins dicible, était cependant celle du calque oriental de la légende chrétienne, plutôt que le contraire (Marco Polo 2009: 25-26). 3 On peut attribuer au même sentiment le rapatriement de la légende, sous son vêtement chrétien, en Orient et même en Extrême-Orient sous l’impulsion des Jésuites aux XVI e et XVII e siècles. Le regain de fortune que rencontre l’histoire de Barlaam et Josaphat à l’époque de la Contre- Réforme se traduit en effet par un large usage dans les missions indiennes et chinoises. La légende semble d’abord offrir une sorte d’illustration légendaire au succès missionnaire de celui que l’on surnomma l’Apôtre des Indes, François Xavier, comme en témoigne le programme du collège Saint-Omer qui mentionne un Josaphat converti par Balaam, joué en 1619 «Pour la béatification de saint François Xavier» (Delamotte/ Loisel 1910: 498). Mais cet effet singulier de retournement, où la fiction, instrumentalisée comme récit de conversion exotique, en vient à fonctionner contre sa culture d’origine, est encore plus sensible sous la plume de Nicolas Trigault. Ce jésuite parti en Chine, qui traduit en 1615 en latin le récit de l’expédition chinoise de Matteo Ricci, mentionne Barlaam et Josaphat parmi les ouvrages publiés en chinois pour l’évangélisation des néophytes: à la mission jésuite de Xaucea, le Père Nicolas traduit à l’aide d’un lettré chinois «quelques miracles à la Vierge mère de Dieu et la vie vertueuse de quelques saints; et la première fut ce discours célèbre de saint Jean Damascène de la vie de Barlaan et Josaphat» (Ricci/ Trigault 1978: 509). Carlos Sommergogel mentionne également une version chinoise de la légende de Barlaam et Josaphat, due au Supérieur Général de la mission jésuite en Chine, Nicolas Longobardi (1566- 1654) (Sommergogel 1890/ 4: 1931 et 1202). 3 Vox Romanica 77 (2018): 1-28 DOI 10.2357/ VOX-2018-001 Barlaam et Josaphat ou l’asymptote étymologique théon des saints chrétiens et à leur insertion comme tels dans la Légende dorée et le Speculum historiale au Moyen Âge, puis à l’époque prémoderne dans les martyrologes et des compilations hagiographiques comme les Fleurs des vies de saints de Ribadeneira 4 . La vénération des deux saints en Occident est encore attestée par l’invention de plusieurs reliques et par leurs fêtes dans les calendriers catholiques et orthodoxes 5 . Quatrième biais, l’attribution controversée à Jean Damascène, responsable du maintien sur la longue durée des deux ermites en odeur de sainteté, a fait depuis le Moyen Âge l’objet d’un débat largement nourri parmi les hagiographes et les philologues. Et ce n’est que très récemment que l’étude de Robert Volk a clos la discussion en écartant définitivement cette attribution douteuse au profit de l’écrivain et traducteur géorgien du Mont Athos Euthyme l’Ibère (c. 955-1028) 6 . Une idée reçue résiste néanmoins et semble avoir la vie particulièrement dure. Elle suggère que les noms propres Barlaam et Josaphat seraient tous deux formés sur le nom du Bouddha et qu’à ce titre ils constitueraient des doublets étymologiques 7 . Qu’en est-il? La question est à vrai dire d’une importance cruciale pour la compréhension de la légende dans ses versions occidentales chrétiennes, et sous plusieurs aspects: tout d’abord parce que, le cas échéant, ces adaptations colporteraient dans leurs intitulés et dans le nom même des protagonistes le souvenir de l’origine bouddhique, et donc qu’elles témoigneraient d’une forme de conscience, même diffuse, de cette origine. Mais aussi parce qu’en l’occurrence, on a affaire à une paire de saints, soit à un cas relativement rare dans l’hagiographie chrétienne de couple sapiential où la vie non pas d’un seul, mais de deux individus, est au cœur de la vita 8 . Il ne s’agit en rien 4 Voir Jacques de Voragine 1998: 1238-55, Vincent de Beauvais: chap. 1-64 (voir la transcription du manuscrit de Douai, B.M. 727, par l’Atelier Vincent de Beauvais à Nancy, disponible en ligne: http: / / atilf.atilf.fr/ bichard/ ). Pour l’époque prémoderne, nous renvoyons aux martyrologes d’Usuard et surtout du Cardinal Baronius qui tiennent lieu de discours officiel dès la fin du XVI e siècle et reconnaissent en Barlaam et Josaphat des saints autorisés (cf. Baronius 1620: 27 novembre: f. 271r° et Ribadeneira 1640/ 2: 1408-25). 5 Lopez et McCracken signalent qu’en 1571, le Doge de Venise présente une vertèbre de Josaphat au roi Sébastien du Portugal et qu’en 1672, la même relique est enchâssée à Anvers, dans la Sint-Andrieskerk. Pour ce qui est du calendrier liturgique, le pape Sixte V autorise en 1583 les deux saints en date du 27 novembre, tandis que l’église orthodoxe d’Orient les fête le 26 août et l’église orthodoxe géorgienne le 19 mai (Lopez/ McCracken 2014: 11-12). Voir aussi Volk 2009: 146-48. 6 Volk 2006/ 2009. Les travaux de Volk sur l’attribution de la légende confirment ainsi les hypothèses énoncées par Zotenberg 1886 et par Peeters 1931: 276-312. 7 La légende des «doublets» a pu se développer à partir de formulations vagues ou elliptiques. Jacobs indique que «Barlaam is himself a variant of the Buddha, and thus a doublet of Josaphat» (Jacobs 1896: xlix) et Choisnel prétend que «le nom de Josaphat dérive, tout comme son associé Barlaam dans la légende, du mot Bodhisattva» (Choisnel 2004: 202). 8 D’autres duos, en particulier des martyrs, figurent néanmoins dans la Légende dorée, comme Nérée et Achillée, Prime et Félicien, Vit et Modeste, Gervais et Protais, Jean et Paul, Nazaire et Celse, Simplice et Faustin, Abdon et Sennen, Félix et Adauct, Prothe et Hyacinthe, Cône et Damien ou encore Simon et Jude. On mentionnera encore d’autres paires hagiographiques bien connues au Moyen Âge, comme Cyrille et Méthode, apôtres des Slaves, ou les héros littéraires Ami et Amile. Marion Uhlig / Fabien Python 4 Vox Romanica 77 (2018): 1-28 DOI 10.8357/ VOX-2018-001 d’un détail dans cette histoire hantée par le thème du double, où l’ermite Barlaam façonne Josaphat, son successeur, à sa propre image au gré d’un processus évolutif apparenté au roman d’apprentissage. En ce sens, la paire ne renvoie qu’à une seule et même personne, comme en témoigne la nature profondément cyclique de la légende qui tend à la transmutation du disciple en maître à travers le schème de l’éducation spirituelle 9 . Vue sous cet éclairage, l’hypothèse d’une étymologie commune apparaît évidemment fort séduisante. Toutefois, on sent bien que, dans le contexte des versions médiévales d’expression française qui va nous intéresser ici, le dossier mérite d’être réexaminé 10 . Il suffit en effet d’énumérer quelques-uns des noms dont les différentes traditions linguistiques ont affublé le maître et son disciple au cours de leur périple millénaire, pour constater que la question est loin d’être simple. Le présent article n’a d’ailleurs pas l’ambition de résoudre cet épineux problème dont on se figure bien que, s’il n’a pas jusqu’ici été élucidé, c’est parce qu’il ouvre une boîte de Pandore. Bien plutôt, notre démarche à quatre mains, par un linguiste spécialiste des doublets étymologiques du français et une médiéviste qui s’est intéressée aux adaptations françaises médiévales de Barlaam et Josaphat, entend reprendre certaines propositions qui paraissent probantes pour en éprouver à nouveaux frais la validité. Elle espère être ainsi en mesure de livrer une réflexion sur l’histoire de ces noms communément admis dans la tradition chrétienne occidentale et contribuer de la sorte à la compréhension de la légende dans sa tradition française à une période où, suivant l’une des règles d’or de l’onomastique médiévale, «le nom, c’est la personne». 9 Sur ces aspects cycliques et pour une analyse textuelle détaillée de la légende dans ses adaptations françaises médiévales, voir Uhlig 2018. 10 Pour la période médiévale, on recense six versions narratives complètes: trois en vers, à savoir le Barlaam et Josaphat de Gui de Cambrai (c. 1190-1195), le Josaphaz anglo-normand de Chardri (fin XII e ou début XIII e siècle) et le Barlaam et Josaphat anonyme du milieu du XIII e siècle; et trois textes en prose, c’est-à-dire la rédaction dite «champenoise» (début XIII e siècle), la version du Mont Athos, datée de la même période, et la mise en prose de la version anonyme en vers (XIII e siècle). À ces versions narratives s’ajoutent deux adaptations théâtrales: un Miracle Nostre Dame (XIV e siècle) et le Mystère du roy Advenir de Jean du Prier (milieu XV e siècle). Deux versions insérées par Jean de Vignay dans le Miroir historial (entre 1315 et 1332) et la Légende dorée (entre 1333 et 1348) complètent le tableau des rédactions intégrales. Il faut encore leur ajouter deux rédactions partielles, soit l’épisode du «courtisan converti» inséré dans le remaniement du Roman de la Rose par Gui de Mori (1290) et la reprise libre du début du récit et de l’apologue de la séduction par la chanson d’aventure de Baudouin de Sebourc (XIV e siècle). Les sources de ces deux derniers passages ne peuvent pas être déterminées avec certitude en raison de la brièveté des extraits. Pour le reste, les adaptations vernaculaires s’inspirent de l’Historia latine, à l’exception des versions de Jean de Vignay et du Miracle, fondés sur Jacques de Voragine, et du Mystère qui adapte la version «champenoise». Quant à la version du Mont Athos, elle désigne la traduction française écrite dans les marges du texte grec de Barlaam et Ioasaph, lui-même lisible dans un manuscrit du XI e siècle provenant du monastère d’Iviron. Sur cette tradition française médiévale, voir Sonet 1949 et Cordoni 2014. 5 Vox Romanica 77 (2018): 1-28 DOI 10.2357/ VOX-2018-001 Doppelgänger Faux doublets, vrais jumeaux Si le cheminement de la légende est aujourd’hui mieux connu, le périple onomastique des deux personnages a beaucoup moins été étudié. Leurs pérégrinations ont pourtant abouti à une dissimulation presque complète de leur lointaine origine et ce sont plutôt des patronymes bibliques qu’évoquent les noms des deux protagonistes lors de la diffusion de la légende dans les langues vernaculaires de l’Europe médiévale à partir du XI e siècle. Sous le manteau - ou la bure - d’apparence très biblique et même vétéro-testamentaire du nom Josaphat, se dissimule rien moins que le sanskrit Bodhisattva qui désigne le Bouddha avant l’Éveil. De même, Barlaam est sans doute très lointainement issu de Bhagavan, substantivation de l’une des épithètes consacrées du Bouddha. À partir de cette particularité de deux noms qui remontent en définitive à l’appellation d’un même personnage originel, la dénomination de doublets a pu apparaître à propos de Barlaam et Josaphat. Les étymons étant radicalement différents, on ne peut pas parler de doublets étymologiques. Tout au plus pourrait-on risquer l’appellation de «doublets référentiels» puisque chacun des appellatifs est issu in fine d’adjectifs substantivés qui décrivent une même réalité 11 . De fait, la gémellité des deux personnages, largement affirmée par les adaptations chrétiennes, est moins explicite dans des ouvrages comme le Lalitavistara. En effet, le maître (Barlaam) a évidemment beaucoup moins d’importance que le Bouddha (Josaphat) dans les versions bouddhiques, puisque le Bouddha n’a pas besoin d’un maître 12 . Il est probable que le schéma se soit modifié en sortant du monde bouddhique et qu’ait alors été isolé un personnage qui ne constitue à l’origine qu’une virtualité ou 11 Il reste donc qu’en français, les seuls véritables doublets étymologiques sont Josaphat/ Bodhisattva. Les deux étymons éloignés ne sont pourtant pas sans représentants dans le lexique français. Le lexème bodhisattva, absent du Trésor de la langue française (TLF), figure plutôt dans les encyclopédies et les ouvrages didactiques. Quant au sanskrit bhagavan, il se retrouve dans l’adjectif bhagavat ‘saint, divin’ connu dans la Bhagavad Gītā. Sous une forme substantivée bhagavatī ‘déesse’, il a donné par l’intermédiaire d’un idiome dravidien puis du portugais le français pagode qui, à la suite d’un développement métonymique, en est venu à désigner un temple, cf. FEW 20: 92b-93a s. bhagavat. 12 Tout n’est qu’illusion et représentation dans le Lalitavistara: le Bouddha n’a jamais oublié; c’est le Bouddha lui-même (divinisé) qui crée le vieil homme, le malade, le cadavre et le moine et met tout en scène pour qu’on lui pose la question (Lopez/ McCracken 2014: 25). Il y a donc multiplicité dans l’unité: le Bouddha est aussi tous les Bouddhas qui l’ont précédé, Barlaam est déjà Josaphat (Lopez/ McCracken 2014: 19 et De Blois 1999 cité par Tagliatesta 2009: 8). La doctrine des trois corps du Bouddha élaborée par le Mahâyâna est une tentative de répondre à ces questions. Barlaam et Josaphat ou l’asymptote étymologique Marion Uhlig / Fabien Python 6 Vox Romanica 77 (2018): 1-28 DOI 10.8357/ VOX-2018-001 un accomplissement du second 13 . Les réécritures occidentales du texte, et notamment chrétiennes, insistent sur le processus évolutif qui apparente la diégèse à une initiation où l’ermite Barlaam fait du prince Josaphat un clerc. Rejoignant la veine des chastoiements et autres enseignements d’un maître à son disciple ou d’un père à son fils, aussi prolifique en latin que dans les langues vernaculaires au Moyen Âge, Barlaam et Josaphat décrit la formation du disciple distingué entre tous, de l’élu, sous la férule du maître qui l’édifie à sa propre image 14 . Revêtues de leur manteau chrétien, les données de la légende bouddhique participent ainsi de la dynamique éminemment cyclique de la légende qui, à son terme, confère à l’élève les attributs du magister. C’est sans doute la raison pour laquelle les versions françaises médiévales, à une exception près, accordent à Barlaam largement plus d’importance qu’à Josaphat 15 . Prenant appui sur le couple sapiential qu’ils forment, le récit tout entier se décline selon un principe de dualité. Celui-ci est sensible au niveau actantiel, puisque chaque personnage possède de surcroît plusieurs doubles, sosies ou avatars en noir parmi les figures de maître, de vieillard, d’ascète, d’ermite et de conseiller d’une part, de prince ou de roi, de disciple ou de néophyte de l’autre 16 . Il l’est encore au niveau structurel, étant donné que la narration se déploie sur deux niveaux au moins, à savoir le récitcadre auquel répondent les apologues enchâssés grâce à un réseau serré d’analogies 17 . 13 La réécriture de l’épisode des Quatre Sorties en témoigne: si, dans les versions bouddhiques, Josaphat fait quatre rencontres à sa sortie hors de la tour de son enfance - un vieillard, un malade, un cadavre et un saint homme - il ne croise que trois êtres dans les versions chrétiennes, à savoir un vieillard, un malade et un aveugle. La quatrième rencontre, qui se produit plus tard, est celle de Barlaam, mais son mode de narration est comme on le sait différent et largement plus étendu. 14 Sur la tradition médiévale du dialogue didactique, héritée des modèles antiques, voir notamment von Moos 1989, Cardelle de Hartmann 2007 et Polo de Beaulieu 2012. 15 Les rubriques et incipit des manuscrits en témoignent, qui accordent avec constance la première place à Barlaam. Selon toute vraisemblance, le rôle de narrateur intradiégétique dévolu au maître, qui assume l’énonciation de neuf des dix apologues enchâssés, justifie cette précellence. Que le poème anglo-normand de Chardri, intitulé Josaphaz, fasse exception en reléguant Barlaam à un niveau secondaire pour accorder à son disciple toutes les faveurs de la narration n’est à cet égard pas très étonnant, dans la mesure où il est le seul témoin de la tradition à supprimer tous les exempla. Cette distribution inhabituelle des rôles rencontre un écho dans les versions théâtrales prémodernes, où l’importance des récits enchâssés s’atténue et la présence de Barlaam, réduite à la portion congrue, s’érode (nous renvoyons sur ce point à Selmeci Castioni 2014). 16 Ainsi le courtisan converti, le mire de paroles, les ermites du désert et notamment Barrachie, ressemblent-ils à Barlaam autant qu’ils se ressemblent entre eux. Quant à Théodas, aux astrologues, à Nachor ou à Arrachis, ils en sont les doubles en noir. Du côté de Josaphat, on en retrouve les traits à travers plusieurs personnages des apologues enchâssés, tels que le roi sage des «Trompettes de la mort», des «Quatre coffrets» ou du «Roi pour un an», l’homme de «L’archer et le rossignol», le fils de roi de «La séduction», ou encore le «Jeune noble» qui courtise la pauvre chrétienne. 17 Au-delà des ressemblances entre les personnages, on trouve en effet des analogies de situations, dans la mesure où les apologues rejouent ou anticipent la situation du récit-cadre. Nous renvoyons sur ces questions aux articles de Uhlig 2015 et 2017. 7 Vox Romanica 77 (2018): 1-28 DOI 10.2357/ VOX-2018-001 Des sentiers qui bifurquent On l’aura compris, la généalogie de ces appellatifs requiert une grande prudence, en raison de l’abondance des intermédiaires, des nombreuses lacunes de la documentation et de la diversité (culturelle, religieuse, linguistique) des traditions par lesquelles l’histoire est passée. Si les dernières étapes du cheminement de la légende (du monde arabo-musulman au grec et au latin) font aujourd’hui l’objet d’un consensus 18 , les origines plus lointaines ne peuvent pas être déterminées avec exactitude. On a pu supposer les intermédiaires suivants: [pāli] sanskrit [pehlevi] [syriaque] arabe grec/ hébreu latin langues romanes etc. 19 Il est pratiquement assuré que l’histoire remonte en définitive à des vies de Siddhartha Gautama. On constate d’importants emprunts au Lalitavistara 20 et au Buddhacarita d’Aśvaghoṣa (80-150), ainsi que l’apport de sources secondaires comme le Mahâvastu (du canon des Mahāsaṅgikas) et les Jātakas (Forster 2012: 181 N9). Seuls ces derniers textes sont en pāli - langue probable du Bouddha - les autres ayant été composés en sanskrit. Les voies de la transmission des sources en sanskrit (ou en pāli) aux versions arabes du Kitab Bilawhar wa-Yudasaf demeurent une énigme qui a fait couler des fleuves d’encre. Il est généralement considéré que les versions arabes proviennent de textes en moyen-perse (pehlevi) de l’époque sassanide, mais il n’y a pas de preuves défini- 18 Cordoni 2014: 58-61. 19 Pour une synthèse des différentes hypothèses de la transmission, voir le stemma de Cordoni 2014: 88. 20 Le Lalitavistara Sūtra (‘Soutra de la Multitude d’actions merveilleuses’) relate la vie du Bouddha Gautama (Shakyamuni), sa naissance, sa renonciation à la vie séculière, les circonstances de son Éveil, son prêche du Dharma, etc. Il est un reflet de la doctrine Mahāyāna qui postule que le Bouddha temporel est une émanation du Bouddha éternel, intemporel. Barlaam et Josaphat ou l’asymptote étymologique Marion Uhlig / Fabien Python 8 Vox Romanica 77 (2018): 1-28 DOI 10.8357/ VOX-2018-001 tives 21 . L’entrée de la légende dans le monde iranien pourrait avoir eu lieu lors de la dispersion du bouddhisme en Afghanistan et en Asie centrale au II e siècle ap. J.-C. (Sundermann 1989). Un intermédiaire syriaque a longtemps été postulé, sur le modèle des tribulations de Kalila et Dimna (Kuhn 1893) avant d’être abandonné, faute de preuves. La présence de composants chrétiens dans les versions arabes (accent mis sur l’ethos monastique [siyaha], parabole du Semeur reproduite des évangiles synoptiques ou de l’évangile apocryphe selon Thomas) pourrait cependant s’expliquer par le truchement d’une version chrétienne 22 . Un jalon manichéen 23 a aussi été proposé, qui aurait l’avantage de cumuler les deux traditions, Mani - qui a prêché en araméen-syriaque - reconnaissant les prophètes antérieurs (Bouddha, Jésus) dont il scelle le destin prophétique. L’étape manichéenne reste cependant discutée 24 . C’est assez bizarrement par une version géorgienne, le Balavariani, que la légende entre dans le monde occidental (Lang 1957, Abuladze 1966). Sa traduction en grec par Euthyme l’Ibère (c. 955-1028; Volk 2009: 77) diffuse ensuite la légende et l’introduit dans le monde latin (puis roman), slave et germanique. L’essentiel des versions provient en effet de l’une des deux adaptations latines réalisées à partir des réélaborations gréco-byzantines. Le plus ancien de ces textes latins, l’Hystoria Barlae et Iosaphat (BHL 979b), composé en 1047 ou 1048 par un moine amalfitain et conservé dans un manuscrit unique du XIV e siècle, n’a pas rencontré un grand essor 25 . Le second, au contraire, l’Hystoria Barlaam et Iosaphat (BHL 979) élaborée dans la seconde moitié du XII e siècle en France, sans doute à Saint-Denis ou à Saint-Victor, a connu une diffusion aussi rapide qu’extraordinaire dans tout l’Occident médiéval, comme l’attestent les 97 manuscrits complets et la septantaine de fragments et épitomés conservés. Connue comme la Vulgate et désignée ci-après comme telle, cette version latine est à l’origine de la majorité des adaptations vernaculaires et notamment romanes de Barlaam et Josaphat 26 . 21 De Blois 1990: 34, Degener 2014: 527-30, Genequand 2014: 67. 22 Genequand 2014: 68, 74. Selon lui, «bien loin d’avoir été christianisée de manière secondaire, l’histoire de Bilawhar serait dans son principe un récit chrétien dont les traits religieusement trop connotés auraient été gommés dans la version ‹ismaélienne› publiée par Gimaret et celles qui lui sont apparentées» (Genequand 2014: 76). 23 L’explication du passage des textes indiens aux versions arabes et occidentales via une tradition manichéenne a connu un regain d’intérêt avec le déchiffrement des fragments de l’oasis de Turfan, point de passage important de la Route de la Soie. Des fragments des textes du X e siècle en sogdien ou en ouïghour attestent de la connaissance de Barlaam et Josaphat, mais la position de cette tradition dans la filiation qui mène à l’arabe puis au géorgien et au grec se heurte à des problèmes de datation. Voir Asmussen 1988 et Tardieu 2000. 24 Les traditions manichéennes et pehlevi ne sont d’ailleurs pas exclusives. Forster, à la suite de Henning, suggère l’existence de deux traditions indépendantes (Forster 2012: 185-86). 25 Sur ce texte préservé dans le manuscrit unique de Naples, Bibl. Naz. VIII.B.10, voir l’édition par Martinez Gazquez 1997: xxxiv-xxxv, Volk 2009: 87-91, 495-98 et Cordoni 2014: 58-61. 26 L’édition de la Vulgate latine avec la traduction espagnole de 1608 par Juan de Arce Solorceno en regard a été publiée en 2001 par Oscar de la Cruz Palma d’après le manuscrit de Paris, B.N. 9 Vox Romanica 77 (2018): 1-28 DOI 10.2357/ VOX-2018-001 C’est donc au carrefour de traditions religieuses, culturelles et linguistiques ellesmêmes complexes et fragmentaires qu’a cheminé cette légende. Il est par ailleurs assez piquant de constater que Barlaam et Josaphat passe du monde grec au monde latin précisément au moment de la Séparation des Églises d’Orient et d’Occident (1054) à la suite de la querelle du Filioque. Des étymons éloignés Le cheminement des noms donnés aux deux saints renvoie l’écho de ces transmissions culturelles et linguistiques, mais les lacunes de la documentation rendent l’établissement de la généalogie des deux anthroponymes remarquablement délicat 27 . Les noms de Barlaam et Josaphat sont tous deux issus de longues chaînes étymologiques, à l’instar de nombreux lexèmes d’origine indienne, persane ou arabe (ex. sucre du sanskrit śarkarā ‘gravier, sucre’ via l’arabe et l’italien 28 ou échec qui remonte au persan par l’intermédiaire de l’arabe 29 ). Il serait cependant naïf de ne voir dans ces transferts linguistiques que de simples adaptations ou altérations à travers les intermédiaires. Les filiations en droite ligne du type bodhisattva > budasaf > Ioasaf > Josaphat ne peuvent pas à elles seules expliquer les formes d’arrivées en latin puis en ancien français: Barlaam et Josaphat 30 . La position particulière de Barlaam et Josaphat au sein du texte, en tant que personnages principaux et éponymes du récit, comme la réception diversifiée de la légende à chaque étape de sa transmission, projettent les deux noms au centre de nombreuses intentions: intégrations dans de nouveaux référentiels, substitutions conscientes, analogies conjoncturelles ou culturelles, sans compter les erreurs de lecture ou de transcription. On touche ici aux limites de la reconstitution d’un étymon éloigné et l’exemple de Barlaam et Josaphat illustre les difficultés propres à l’etimologia remota, encore augmentées ici par le fait qu’il s’agit au départ d’anthroponymes, eux-mêmes issus de l’onymisation de lexèmes adjectivaux. En effet, le passage par les versions grecques et latines rend méconnaissables ces deux noms, les revêtant d’un habillage pseudo-étymologique largement tributaire de lat. 14656, qui date du XII e siècle (Cruz Palma 2001). Sur la diffusion et la classification des manuscrits, voir Dapelo 2001: 179-220. Sur cette version et les épitomés latins, nous renvoyons aussi à Cordoni 2014: 61-76. 27 Nous laisserons ici de côté les noms des autres personnages (p. ex. Abenner > Avenir) qui présentent le même type de problème, particulièrement en français (lien avec avenir et aventure). 28 FEW 19: 163ab s. sukkar. 29 FEW 19: 169a s. šāh; cf. aussi FEW 17: 75b s. *skâk pour un possible croisement avec le francique *skâk ‘butin’. 30 Les chercheurs sont pourtant nombreux à les proposer. Voir par exemple l’introduction à l’édition de la Vulgate latine par Oscar de la Cruz Palma, qui se contente d’affirmer que «Budhisattva evoluciona de una lengua a otra hasta llegar a ser Josaphat: ar.? Yûdâsaf; geor. Iodasaph, gr. ‘Ιωασαϕ» (Cruz Palma 2001: 15). Barlaam et Josaphat ou l’asymptote étymologique Marion Uhlig / Fabien Python 10 Vox Romanica 77 (2018): 1-28 DOI 10.8357/ VOX-2018-001 l’onomastique biblique et hagiographique, laquelle permet de les relier à des références bien connues, telles que l’ânesse de Balaam ou la Vallée de Josaphat. Or identifier ces revêtements successifs est d’autant plus ardu que, pour y parvenir entièrement, il faudrait pouvoir estimer ce qui procède du fonds commun de clercs chrétiens rompus à l’onomastique biblique et ce qui relève d’associations occasionnelles, à l’image des réminiscences intertextuelles ou historiques liées à la culture des différents adaptateurs et copistes ou à l’environnement manuscrit. En outre, il est à relever que les deux noms ne se forment ni de la même manière ni en même temps. Si Barlaam apparaît dès la traduction en grec byzantin, Iosaphat ne se constitue pour sa part que lors du passage du grec au latin pour aboutir à la dénomination qui deviendra la plus diffusée. Il est donc nécessaire de regarder d’un peu plus près chacune de ces formations en disjoignant provisoirement, quitte à mieux les ressouder, les deux membres de notre couple gémellaire. Barlaam L’étymologie de Barlaam ne peut pas être établie avec certitude. Il semble qu’un relatif consensus se soit établi à partir de l’étymologie proposée jadis par Kuhn dans son discours à l’Académie (1893), qui y voyait l’issue de l’étymon éloigné sanskrit Bhagavān ‘[le] Bienheureux’, surnom du Bouddha formé par conversion de l’épithète bhagavat ‘fortuné; bienheureux; vénérable, saint, divin’ 31 . Il s’agit là d’une des épithètes consacrées du Bouddha, qu’on retrouve associée à Īśvara dans l’hindouisme ou à Mahāvīra et d’autres Tirthankaras dans le jaïnisme 32 . Le nom transite vraisemblablement par le pehlevi (Belawhar, Beloher, Blooher; cf. Asmussen 1988) où s’expliquerait le passage du g au l (Kuhn 1893: 36), avant d’être attesté en arabe (Bilawhar, Buluhar) puis en géorgien (Balahvar, qui donne son nom au Balavariani). C’est lors du passage du géorgien (Balahvar) au grec, au XI e siècle, que le nom se sédimente sous la forme Barlaam (Bαρλαάμ), qui sera majoritaire dans les traditions latines et romanes 33 . Or cette forme d’arrivée, avec un groupe de liquides -rlet une finale avec une étrange duplication du -a-, a été étonnamment peu discutée. Certes, le nom Barlaam s’insère à merveille dans un cadre onomastique biblique (Barabas < bar Abbas ‘fils du Père’, Bar Kochba, ‘fils de l’étoile’). Mais c’est probablement en croisant à différents moments la trajectoire d’anthroponymes proches que le nom s’est modifié. Si de telles influences sont difficiles à déterminer avec exactitude, on peut cependant dégager trois fils de cet écheveau serré de références et de réminiscences. 31 Kuhn 1893: 36-37; cf. aussi Monier-Williams 1899, s. bhagavat. 32 Dans la tradition du bouddhisme Mahayana, ce terme prend également le sens de ‘Maître’. 33 Les variantes les plus fréquentes dans ces traditions sont Balaam, Balaham, Ballan, Berlan, Barlehan, Barlam, etc. 11 Vox Romanica 77 (2018): 1-28 DOI 10.2357/ VOX-2018-001 Barlaam le saint La première hypothèse concerne saint Barlaam (ou Barlaha) d’Antioche (ou de Césarée) 34 , mort en martyr en 304 durant la persécution de Dioclétien. Sa popularité dans la tradition orientale et orthodoxe est bien attestée, de telle sorte qu’on trouve à partir du XVI e siècle deux entrées dans les martyrologes, à savoir «Barlaam de Syrie» et «Barlaam et Josaphat» 35 . L’étymologie de ce Barlaam est bien différente, puisqu’il est issu de l’araméo-syriaque Barlaha 36 . De la vie de Barlaam d’Antioche, saint semi-légendaire, décrit comme prince d’Éthiopie (ou des Indes, où l’on situait l’Éthiopie) 37 , il nous reste le début d’une homélie généralement attribuée à Chrysostome (In S. Barlaamum, cf. Soler 2006: 167, 191) ainsi qu’une homélie autrefois assignée à Basile de Césarée (In Barlaam martyrem, cf. Delehaye 1903: 132). Pour Ernest Kuhn 1893: 19 et Joseph Jacobs 1896: xxii-xxiii, l’influence du nom du martyr ne fait aucun doute, mais leur certitude repose sur l’existence du chaînon syriaque qu’ils postulent 38 . On peut se demander à partir de quels éléments le rapprochement entre Barlaam le martyr et le Barlaam qui nous occupe aurait pu être motivé. Certes, les deux saints évoluent dans un même contexte, celui du christianisme oriental et des débuts du monachisme. Plusieurs traits sont communs à la vie de notre ermite et à celle du martyr d’Antioche, parangon de la vertu héroïque des premiers chrétiens. Les deux personnages connaissent ainsi la captivité: Barlaam-Bouddha a vécu des «ans de mort dans le siècle» avant de se convertir et le saint d’Antioche a affermi sa foi dans une geôle infecte avant de connaître le martyre sur des charbons ardents. Mais le parallèle semble s’arrêter à ces analogies de surface et Barlaam d’Antioche, bien que décrit parfois comme «prince d’Ethiopie», se voit souvent moqué pour son langage grossier et ses rudes manières - il ne semble pas connaître le grec - au contraire de son homonyme. On l’a vu, la forme Barlaam du compère de Josaphat apparaît au XI e siècle dans un milieu byzantin. Bien que le bassin culturel de cette histoire soit proche de celui de la rédaction grecque de la légende (longtemps attribuée à Jean Damascène), il semble 34 L’hésitation est constante dans la dénomination du saint: saint Barlaam de Syrie ou de Cappadoce. Il est généralement admis que saint Barlaam fut martyrisé à Césarée, où il fut inhumé, mais qu’une église lui était dédiée à Antioche, ville dont il était originaire. 35 Les saints Barlaam et Josaphat y entrent à différentes dates selon les divers synaxaires ou martyrologes romains, orthodoxes grecs et syriaques. 36 Ce Barlāhā pourrait venir d’une erreur de transcription du nom d’un ermite indien (Colpe 2008: 286), ce qui n’est pas pour éclaircir le problème. 37 Il ne s’agit pas de l’Éthiopie occidentale, mais de l’Éthiopie orientale, conformément à la distinction établie par Homère au début de l’Odyssée (Billault 2001: 424-25). Sur la confusion géographique dans la tradition médiévale, voir Lopez/ McCracken 2014: 123, Campbell 2009. 38 Le rapprochement avec le martyr syrien est déjà évoqué par Minzloff (Dorn 1852: 589). Jacobs 1896: xxiii-xxiv comme Kuhn 1893: 19-20 évoquent par ailleurs les curieux rapprochements avec la Légende syriaque de saint Alexis du V e siècle où l’«homme de Dieu» meurt à Édesse en 412, l’année même où une église y est consacrée à saint Barlaam. Barlaam et Josaphat ou l’asymptote étymologique Marion Uhlig / Fabien Python 12 Vox Romanica 77 (2018): 1-28 DOI 10.8357/ VOX-2018-001 ב ִ ּ לְ difficile d’y voir un rapprochement autre que phonétique et/ ou graphique à l’intérieur d’un référent hagiographique assez vague. Si Barlaam d’Antioche est clairement attesté plusieurs siècles avant l’entrée de Barlaam et Josaphat dans le monde grec et latin, de nombreux saints portant le nom de Barlaam se retrouvent par ailleurs en aval, notamment dans l’aire orthodoxe et plus particulièrement dans l’aire slave 39 . Le nom de Barlaam était ainsi bien connu du Moyen Orient chrétien et Barlaam de Kiev est d’ailleurs contemporain du passage de la légende au monde occidental. Balaam le prophète Un autre anthroponyme a pu jouer un rôle dans l’adoption de la forme Barlaam. Il s’agit de Balaam םעלב [Bil’am], prophète, magicien et interprète des songes, cité à plusieurs reprises dans l’Ancien et le Nouveau Testament 40 . Cette hypothèse est d’autant plus plausible que plusieurs versions françaises de Barlaam et Josaphat proposent avec constance des leçons où le nom du maître présente un amuïssement du -rpréconsonantique par assimilation avec la liquide 41 . La légende de Balaam, décrite dans le livre des Nombres (Nb 22-24), est bien connue des clercs médiévaux, en particulier l’épisode pittoresque de l’ânesse parlante de Balaam 42 . Balaam de Pethor (Vulgate: Balaam filius Beor) est en effet un devin engagé par Balak, roi de Moab, pour maudire le peuple d’Israël qui se rapproche de la Terre Promise. Son ânesse lui ayant ouvert les yeux, il bénit le peuple qu’il avait pour mission de maudire, avant d’être tué lors d’une bataille entre Israélites et Madianites. 39 Ainsi les saints orthodoxes suivants: Barlaam de Kiev (XI e siècle), Barlaam de Khoutyne (mort en 1192), Barlaam le Calabrais (XIV e siècle), Barlaam de Novgorod (mort en 1462). Azam relève en outre la popularité dont ce nom a joui auprès des souverains russes, avec un pic au XVI e et au XVII e siècle (Azam 2014: 460, 464-65). 40 On trouve également un Bileam dans les Chroniques (1 Ch 6), probablement le même personnage que Ibleam (Jos 17,11, Jg 1,27), mais l’hypothèse de son influence est moins vraisemblable que celle de Balaam dans la mesure où son histoire était largement moins populaire dans l’Antiquité tardive et au Moyen Âge. Balaam est également cité dans le Nouveau Testament (entre autres Jude 1,11, 2P 2,15 et Ap 2,14) où il est parfois cité comme le type de l’avare ou du faux prophète. Dans le Talmud et la littérature rabbinique, Balaam, souvent mentionné, a pu être associé ou même confondu avec Jésus (Murcia 2014: 397, 669, 677). De même le nom de l’hérésie nicolaïte pourrait constituer un calque grec à partir d’une étymologie de Balaam (Νικόλαος ‘peuple victorieux’; Geiger 1847). 41 Si la distinction graphique entre le Balaam vétérotestamentaire et le Barlaam de la légende est nette dans l’Historia latine, tel n ’ est pas le cas des versions françaises. Ainsi, la Version champenoise du XIII e siècle, qui est la plus répandue, nomme-t-elle systématiquement le maître Balaam (Mills 1973). Quant à Gui de Cambrai, les formes les plus usuelles sont les suivantes: Balaham, Baleham, Barlehan, Barlehen et Balans (Gui von Cambrai 1907). On trouve encore une oscillation flagrante dans le Mystère du roy Advenir: Baallam, Balaam, Balam, Ballam, Ballan (Jean du Prier 1970). Voir aussi Agrigoroaei 2012: 22 N77. 42 Pour l’histoire de Balaam dans l’art roman, voir Forsyth 1981. ָ 13 Vox Romanica 77 (2018): 1-28 DOI 10.2357/ VOX-2018-001 L’influence de cette réminiscence vétérotestamentaire sur notre légende est à considérer 43 . La popularité de l’anecdote de l’ânesse au Moyen Âge n’en est d’ailleurs pas la seule raison. De fait, le texte lui-même suscite cette réminiscence biblique dans la trame narrative avant l’arrivée de Barlaam auprès de Josaphat, comme pour la préfigurer. À la naissance de Josaphat sont en effet conviés des astrologues pour prédire la destinée de l’enfant. Or le texte, tout comme le Dolopathos dans un passage correspondant et inspiré par Barlaam et Josaphat, cautionne la validité du présage en comparant l’astrologue au Balaam des Nombres (Herbert 1997: v. 1145-54): Li uns des astronomieins, li plus saiges de touz, dist au roy: «Si comme force d’astronomie et li cours des estoiles m’ensegne, li anfes qui nez ne serai mie an ton regne mes en un autre tant melor dou tuen que nus ne pouroit deviser. Et si cust bien qu’il recevrai cele religion des crestieins que tu as touz jors tant haÿe.» Ices choses dist li astronomieins au roy ausi conme fist jadis Balaam non mie por veraie astronomie mes la veluntez de nostre Segnor 44 . À l’image du prophète vétérotestamentaire qui bénit malgré lui le peuple élu qu’il était venu maudire, le devin en question annonce en Josaphat le nouvel Emmanuel. Ainsi tissé dans la diégèse, le nom du prophète de Pethor annonce celui du maître, lui aussi averti de la destinée de Josaphat «par divine revelation» (Mills 1973: 48, l. 25). Quant au sort qui lui échoit, il prépare encore celui d’une autre figure essentielle de la légende, à savoir Nachor, clerc païen devenu fervent défenseur de la religion qu’il était censé condamner à l’occasion d’une disputatio organisée par le père de Josaphat (Mills 1973: 108, l. 2-3). Ce sosie païen de Barlaam, convoqué pour tromper Josaphat, connaît le même sort que Balaam lorsqu’il est touché malgré lui par la grâce de ses propres paroles. Quoique déterminé à garder le silence face aux attaques de ses adversaires - «Si out le païen an si grant despit qu’il ne li estoit mie avis qu’il li deüst respondre» (Mills 1973: 107, l. 55-56) - Nachor ne peut s’y résoudre et «atant ouvr[e] sa boiche ausi conme l’a[n]esse Balaam fist et dist au roy ce qu’il ne cudai mie dire» 45 . Ainsi, si les versions prémodernes de Barlaam et Josaphat, notamment théâtrales, n’ont pas boudé le parallèle que l’histoire de Nachor offre avec celle de saint Genêt 46 , 43 Sur l’origine des traditions concernant Balaam, voir Layton 1992, ainsi que la synthèse de Dijkstra 1995. 44 Nous citons ici la version dite «champenoise» en prose du début du XIII e siècle, caractérisée par sa proximité avec la Vulgate latine. Il s’agit de l’une des plus anciennes rédactions complètes de la légende en français, avec celles de Gui de Cambrai et de Chardri, et de celle qui a connu la plus grande fortune au Moyen Âge (15 ms.; Mills 1973: 38, l. 50-58). Voir le passage correspondant dans l’Historia latine (Volk 2006/ 2009: cap. III, §19-20, l. 8-15). 45 L’erreur de Leonard Mills, qui édite «atant ouvri sa boiche ausi conme l’avesse Balaam fist et dist au roy ce qu’il ne cudai mie dire» (nous soulignons), témoigne elle aussi de la confusion entre Balaam le prophète et Balaam l’ascète (Mills 1973: 108, l. 2-3). 46 Sur les liens thématiques entre les réécritures théâtrales de la légende de Barlaam et Josaphat au XVII e siècle sous la forme de tragi-comédies et la légende de saint Genêt, portée à la scène notamment par Rotrou et par Desfontaines dans les mêmes années, voir Selmeci Castioni 2012. Barlaam et Josaphat ou l’asymptote étymologique Marion Uhlig / Fabien Python 14 Vox Romanica 77 (2018): 1-28 DOI 10.8357/ VOX-2018-001 les adaptations médiévales ont quant à elles préféré renouer avec l’anecdote vétérotestamentaire (Mills 1973: 38, l. 57-58), comme le confirme l’Historia latine: «Nachor - quemadmodum ille Balaam qui sub Balach aliquando maldicere Israel propusuerat, sed e contrario multis philosophis restitit» 47 . À ceci près, et le choix n’est pas dénué d’ironie, que le poète français préfère comparer Nachor à l’animal subitement doué de parole qu’à son maître. Comme Balaam le prophète et son ânesse, Nachor se trouve traversé par la fulgurance d’une parole qui ouvre ses yeux à la «lumiere de verité» (Mills 1973: 116, l. 5). Barlam le traître En sus des traits communs de Barlaam, notre ermite, avec d’une part Barlaam d’Antioche et d’autre part le Balaam biblique qui donne lieu à des rapprochements explicités par plusieurs versions occidentales, l’influence d’une troisième figure est sensible sur la rédaction de la première adaptation française de la légende: celle de Barlam le traître. Composé vers 1190, le Barlaam et Josaphat de Gui de Cambrai présente dans l’un de ses deux manuscrits conservés un développement à tonalité épique étranger au reste de la légende 48 . En effet, ce poème de plus de 13000 octosyllabes inspiré de l’Historia latine insère un épisode de bataille pour le moins inattendu au cœur du passage séculier où Josaphat est exhorté par son père à gouverner la moitié du royaume. Dans le manuscrit 329 de la bibliothèque abbatiale de Monte Cassino, le roi Avenir, exaspéré par la conversion massive de ses sujets sous l’impulsion du nouveau souverain, lui déclare la guerre. C’est l’occasion d’un tableau qui puise aux topoi les plus convenus du genre épique et dont il n’y a aucune raison de penser qu’il constitue un ajout ultérieur à la rédaction originale, dans la mesure où le Vengement Alixandre également attribué à Gui de Cambrai regorge de descriptions du même type 49 . Or cet excursus épique, à notre connaissance unique dans la tradition occidentale de Barlaam 47 Volk 2009: cap. XXVI, §237, l. 9-11. La version anonyme française en vers suit le modèle latin sur ce point, mais fait explicitement mention de l’ânesse: Si com j’ai dit, Balaan fist Qui del roi Balac loier prist Por qu’il maudeïst les Ebrieus Mais nel sofri pas Damedeus Car voirement le rapela Par une anesse qui parla. (Sonet 1950: v. 6135-40). 48 Dans l’édition de Carl Appel, il s’agit des vers 9327-11255, qui ne figurent que dans le texte transmis par le manuscrit 329 de la bibliothèque abbatiale de Monte Cassino (Gui von Cambrai 1907). 49 Sur l’attribution du Vengement Alixandre à Gui de Cambrai, qui le signe de son nom dans le prologue, nous renvoyons aux études d’Armstrong 1922: 51 et surtout, du même, Armstrong 1926, ainsi qu’à Meyer 1886/ 2: 255-61. 15 Vox Romanica 77 (2018): 1-28 DOI 10.2357/ VOX-2018-001 et Josaphat, pourrait bien être motivé par la présence d’un certain Barlam dans les sources exploitées par Gui de Cambrai 50 . Dans le passage en question, Arrachis, le conseiller favori d’Avenir, est confronté à la défaite inéluctable du camp païen. Il ourdit alors une ruse: fait prisonnier par l’armée chrétienne, il feint la conversion et témoigne d’une piété telle qu’il se voit confier la garde de la plus haute tour de la ville en récompense de sa ferveur (Gui von Cambrai 1907: v. 10933-39). Il ne lui reste plus qu’à communiquer à son souverain le moment favorable pour laisser pénétrer les païens dans la ville. Or cette machination ne fait pas mystère de ses sources, puisqu’un épisode similaire figure dans le Fuerre de Gadres latin où notre poète, fin connaisseur de la tradition alexandrine, pourrait l’avoir trouvé. Reste à déterminer la motivation d’un tel emprunt: pourquoi donc insérer ce développement dans l’adaptation de la pieuse légende d’origine indienne dont les préoccupations sont bien sûr fort éloignées? La lecture de la source livre un indice: le traître en question, joué par Arrachis dans Barlaam et Josaphat, se nomme en réalité Balaam, duc de Tyr 51 . Dans l’article qu’il lui consacre, Alfred Foulet 1933 s’interroge sur la provenance de ce nom absent des sources antiques. Le lien du Fuerre de Gadres avec les croisades - d’ailleurs partagé par le Barlaam et Josaphat de Gui de Cambrai - lui permet de remonter au récit de l’un des deux sièges historiques de Tyr où l’émir d’Alep, Balak, chef de guerre redouté des Francs, a été tué alors qu’il venait en aide à ses alliés tyriens 52 . Or pour assurer la correspondance entre le Balaam dux Tyri du Fuerre de Gadres et l’émir d’Alep Balak, Foulet renoue avec l’une des pistes envisagées ci-dessus, à savoir le Livre des Nombres où voisinent Balaam et Balak, postulant entre ceux-ci une confusion liée à l’assonance des noms 53 . 50 Sur cet épisode épique, voir Ouellette 2015 et, dans le même volume, Uhlig 2015b. Voir aussi Lopez/ McCracken 2014: 159-64. 51 Il s’agit de l’épisode lors duquel Alexandre quitte Tyr pour secourir les Grecs en difficulté; à son retour, l’ouvrage fortifié qu’il avait édifié a été détruit par Balaam et les habitants de Tyr. Il parvient néanmoins à gagner les remparts de Tyr et, avisant Balaam, saute sur lui et le précipite dans la mer: «Balaam enim cum omnibus habitatoribus Tyri, post recessum Alexandri egressus, edificium illud viriliter expugnavit. … Alexander autem prosilivit in turrim ubi stabat Balaam et, facto impetu, illum occidit, faciens ipsum cadere in profundum.» Décontenancés par la mort de leur chef, les Tyriens laissent Alexandre reprendre la ville (Armstrong/ Foulet 1942/ 4: 12). 52 Il s’agirait selon Foulet de l’émir d’Alep, Nour ed-Daoula Balak, champion de l’islam contre les Francs entre 1122 et 1124, tué sous les murs de Géraple au moment où il se proposait de marcher au secours des Tyriens assiégés par les Latins: «Bien que sa carrière rapide et éphémère eût été celle d’un météore, Balak avait remporté des succès assez éclatants pour pouvoir frapper les imaginations et laisser un souvenir durable» (Foulet 1933: 332). 53 «On trouvera la solution de ce petit problème dans la Bible où trois chapitres du livre des Nombres font sans cesse voisiner les deux noms de Balaam et de Balak. Balak, roi de Moab, demande à Balaam de maudire le peuple juif, mais le mage, à qui Dieu dicte sa conduite, prononce tout au contraire des paroles de bénédiction. Cet épisode de l’Ancien Testament était bien connu au Moyen Âge, car il renferme le pittoresque incident de l’ânesse de Balaam» (Foulet 1933: 332). Barlaam et Josaphat ou l’asymptote étymologique Marion Uhlig / Fabien Python 16 Vox Romanica 77 (2018): 1-28 DOI 10.8357/ VOX-2018-001 Il paraît dès lors vraisemblable que la présence du nom de Balaam dux Tyri ait motivé l’emprunt par Gui de Cambrai au Fuerre latin. On doit néanmoins admettre que l’abord extrêmement négatif du personnage et la mécréantise de son modèle historique conviennent assez mal au contexte de Barlaam et Josaphat, et de ce fait ne suffisent pas à eux seuls à expliquer la présence de cette anecdote dans le poème. Certes, des précautions sont prises pour éviter la méprise, à commencer par le gommage du nom de Balaam au profit de celui d’Arrachis, promis à un sort funeste sur le bûcher. Mais surtout, Gui de Cambrai rapporte la façon dont les méfaits d’Arrachis sont contrebalancés par l’irruption d’un second traître, ou plutôt d’un contre-traître. La présence de ce personnage, pour sa part absent du Fuerre de Gadres latin, suggère un nouvel emprunt intertextuel qui pourrait nous ramener par la bande à la tradition de Barlaam d’Antioche. En effet, Arrachis possède son pendant dans l’autre camp, aussi vertueux que luimême est pervers. Dans un premier temps, ce «molt preudom …/ Qui coiement en Deu creoit» (Gui von Cambrai 1907: v. 10977-78), informé du piège qui attend les assiégés, conçoit des scrupules à trahir son seigneur Avenir. Il ne prend la décision d’en informer Josaphat qu’au terme d’une longue délibération qui le conduit à préférer le souverain céleste aux monarques d’ici-bas. Ce bon traître a raison du mauvais: démasqué, Arrachis est condamné à mort tandis que les chrétiens remportent la victoire. D’où provient cet adjuvant salutaire? Selon Vladimir Agrigoroaei, à propos d’un épisode équivalent dans Apollonius de Tyr, cette vision plus positive d’un chrétien en secret est inspirée une fois de plus par l’anecdote des Nombres où Balak, d’abord négatif, connaît un revirement après l’épisode de l’ânesse parlante (Agrigoroaei 2012: 22). Toutefois, au vu du rapport plutôt ténu entre le sort du roi de Moab et celui du «bon traître», nous pensons qu’elle a davantage à voir avec d’autres réminiscences littéraires qui, on va le voir, resituent cette histoire dans un contexte antiochien et croisent ainsi la tradition hagiographique de Barlaam d’Antioche. Le lien fort du Barlaam et Josaphat de Gui de Cambrai avec les croisades invite à un parallèle avec un épisode fameux de la Première Croisade, celui de la trahison de Pirrus - parfois nommé Datien - dont les chroniques et les chansons se font l’écho 54 . Arménien renégat, mercenaire des troupes turques selon les sources historiques, Datien revêt dans la Chanson d’Antioche les traits d’un émir chargé de la garde de six des tours de la ville ainsi que de la porte d’entrée. Converti en secret au christianisme, il offre aux Francs la victoire en leur ouvrant les portes d’Antioche 55 . Ce portrait ambigu du traître favo- Vladimir Agrigoroaei se montre du même avis, qui suggère que «l’assonance des deux noms … a probablement été à l’origine d’une confusion» (Agrigoroaei 2012: 22). 54 Les chroniques arabes d’Ibn al-Qalânisî et de Kamâl ad-Dîn le nomment Firuz ou Niruz. Sur cette figure dans les chroniques et chansons de croisade, voir aussi Leclercq 2010. 55 Un [amiral] en i ot plus rice, n’avoit en l’ost son per, .VI. tors ot en baillie et le porte a l’entrer. Cil songoit tote nuit, Dex le faisoit lever Et batisier en aigue et en fons generer, Et rendoit Anthïoce as Frans por acorder. 17 Vox Romanica 77 (2018): 1-28 DOI 10.2357/ VOX-2018-001 rable aux chrétiens figure également dans le récit de la conquête nocturne d’Antioche racontée par les Gesta Tancredi: un certain Pirrus, émir musulman, avait livré Antioche, par trahison, aux croisés (Hill 1962/ 8: 44). Certes, l’anecdote - sans doute connue de Gui de Cambrai - complète ici ce que la réminiscence alexandrine ne comportait pas, à savoir la présence d’un traître converti et favorable aux soldats du Christ menés par Josaphat. De surcroît, elle relocalise l’action dans la ville d’Antioche, favorisant l’association avec le saint patron de la ville 56 . En revanche, elle possède le désavantage d’oblitérer, du moins dans ces sources, le nom de Barlaam. Pour retrouver celui-ci dans un contexte antiochien, on doit se référer à la tradition d’Apollonius de Tyr, dont les liens avec la geste d’Alexandre sont du reste bien connus 57 . En effet, Gui de Cambrai fait référence à ce texte sous la forme française Apolloine aux vers 8716-25 de son poème 58 . Il y a lieu de penser qu’il s’agit en ce cas de l’Apoloines français en vers du XII e siècle, dont seul un fragment de 40 vers nous est parvenu 59 . Dans le reste de la tradition, l’intervention décisive d’un traître favorable au héros Apollonius lors du siège d’Antioche mené contre Gontacle n’apparaît sous cette forme que dans la version française en prose dite «de Vienne» du XV e siècle, où ledit traître porte justement le nom de Barlam 60 . Or dans un article qui suggère l’influence de l’Apoloines en vers perdu sur la version de Vienne, Vladimir Agrigoroaei envisage que ce récit du siège d’Antioche, absent du reste de la tradition d’Apol- Vers trestot son linage valt molt son cuer celer, Et envers sa moillier qui il devoit amer. (Guidot 2011: v. 5727-33) 56 Comme le précise Agrigoroaei, cette relocalisation d’une cité levantine à l’autre ne pose pas de problème: «le récit littéraire du siège d’une ville du Levant p[eut] être mis en relation avec différents sièges qui se sont effectivement déroulés du temps des croisades - non pas avec un siège particulier» (Agrigoroaei 2012: 16-17). Il relève d’ailleurs qu’une description d’Antioche dans la version de Vienne d’Apollonius de Tyr correspond en réalité à la ville de Tyr (Agrigoroaei 2012: 17). 57 Dans la version de Vienne, notamment, Apollonius rencontre Alexandre et lui vient en aide (Zink 2006: 70-74). Claudio Galderisi 2013 a bien montré les liens privilégiés de la version de Vienne avec le Roman d’Alexandre et la Bible. 58 Un lien de parenté est proposé entre la princesse sarrasine qui tente charnellement Josaphat et Apollonius de Tyr, suggérant qu’il pourrait s’agir de sa fille Tarsienne, à laquelle le roman d’origine grecque prête une existence de courtisane, pourtant restée vierge, dans un bordel de Mytilène: Parente fu roi Apolloine, Qui de sa terre s’en fuï (Jou cuic qu’assés avés oï Comment cil Apolloines fist Et k’il perdi et qu’il conquist). (Gui von Cambrai 1907: v. 8716-18) 59 Il s’agit de la version dite «de Gdansk», éditée par Alfred Schulze 1909: 226-29. 60 Zink 2006: 190-96: Barlam est l’un des fils de Maradot, allié d’Apollonius, à qui l’usurpateur d’Antioche, Gontacle, frère d’Antiochus, avait fait trancher la tête. Décidé à venger son père, le combattant mène ses neuf frères à l’assaut d’Antioche, où il pénètre par ruse. Aidé de son cousin germain et de quarante chevaliers, Barlam trahit Gontacle en se faisant passer pour son allié puis, l’entraînant face aux assaillants, l’isole et lui tranche la tête. Barlaam et Josaphat ou l’asymptote étymologique Marion Uhlig / Fabien Python 18 Vox Romanica 77 (2018): 1-28 DOI 10.8357/ VOX-2018-001 lonius de Tyr, aurait figuré dans le poème français du XII e siècle 61 . En ce cas, Gui de Cambrai pourrait tout aussi bien y avoir trouvé l’anecdote, laquelle a l’avantage de réunir dans ce texte tous les ingrédients nécessaires: le traître nommé Barlaam, favorable au héros et - semble-t-il - au christianisme, ainsi que la ville d’Antioche. Dès lors, difficile de croire que cette histoire soit parfaitement étanche au culte du saint patron de la même ville et qu’elle se soit développée de façon indépendante sans en subir l’influence, même diffuse. Nous sommes tentés de penser que dans Apollonius, lorsque l’histoire de Pirrus-Datien, traître favorable aux chrétiens durant le siège d’Antioche, a croisé celle du païen Barlam/ Balak duc de Tyr, la conservation du nom de Barlaam a été influencée par le culte antiochien du saint patron du même nom 62 . L’excellente culture littéraire et biblique dont témoigne l’œuvre de Gui de Cambrai suggère qu’il avait connaissance de ces différentes sources: le Fuerre de Gadres latin, puisqu’il a lui-même contribué à l’extension de la tradition alexandrine par l’intermédiaire du Vengement Alixandre; la Bible, bien entendu, et plus particulièrement le passage des Nombres auquel il aménage une place à l’intérieur du texte en référant explicitement au prophète de Pethor et à son ânesse; les chansons de croisade dont il imite le style et auxquelles il emprunte personnages et espaces géographiques, tout en émaillant son poème de commentaires moraux et satiriques sur les expéditions outremer 63 ; et enfin Apollonius de Tyr, mentionné sous une forme française, qui subsume toutes ces facettes, peut-être en tirant parti de la Vie de Barlaam d’Antioche. Josaphat Le nom de Josaphat pose d’autres types de problèmes. Son étymologie est beaucoup moins mise en doute et selon Almuth Degener, qui s’appuie sur Henning et de Blois, l’étymologie lointaine du sanskrit bhodisattva, déjà alléguée par Kuhn, reste l’hypothèse la plus probable 64 . Bodhisattva est formé du substantif sanskrit bodhi ‘intelligence, connaissance parfaite, révélation’ et plus spécifiquement dans le bouddhisme ‘Éveil, délivrance’ (du cycle des réincarnations ou samsāra; Monier-Williams 1899, 61 Pour ce faire, Agrigoroaei 2012: 7, 12 prend appui sur l’article fondateur de Maurice Delbouille, qui s’inspire des conclusions de Samuel Singer 1895 et qui avait postulé l’existence de deux sources, dont peut-être l’Apoloines perdu, à l’origine de la version de Vienne (Delbouille 1969/ 2: 1190, 1192). 62 C’est d’autant plus probable que Michel Zink considère l’ajout de l’épisode de Barlaam dans la version de Vienne comme l’une des contributions les plus significatives à la christianisation du texte (Zink 2006: 42). 63 Outre l’épisode à coloration épique qui figure aux vers 9327 à 11255 de la copie de Monte Cassino, nous renvoyons notamment à la satire moralisante vitupérant les croisés des vers 13065- 228 (Gui von Cambrai 1907). 64 Le pāli présente plutôt une forme avec assimilation: bodhisatta mais la forme arabe remonte bien au sanskrit bodhisattva (Colpe 2008: 286, De Blois 2009: 13, Degener 2014: 527). 19 Vox Romanica 77 (2018): 1-28 DOI 10.2357/ VOX-2018-001 s. bodhi) et du substantif neutre sattva ‘être’ (Monier-Williams 1899, s. sattva). Le composé déterminatif Bodhisattva signifie donc ‘Être d’Éveil, accompli’, désignant plus précisément un homme ayant l’essence d’un Bouddha, mais retardant sa libération par compassion afin de se consacrer à son prochain. Le Bodhisattva est donc ‘celui qui va devenir Bouddha’ (Buddha-to-be; Monier-Williams 1899, s. bodhisattva). Les formes arabes Būdāsaf et Būdāsab sont probablement à mettre en relation avec des formes manichéennes et pehlevi 65 dans un arrière-plan culturel où les auteurs arabes voient en Budasaf le fondateur de la religion de Mésopotamie et des Sabéens «chinois» 66 . Notons que les versions arabes témoignent déjà de la perte du lien étymologique: «Dans la tradition musulmane, le nom du Bouddha s’est conservé sous deux formes: al-Budd, dérivé de Buddha, et Būḏāsaf, dérivé de Bodhisattva. Chose étonnante, aucun auteur musulman ne semble avoir songé à faire le rapprochement entre l’un et l’autre, et à y voir un même personnage» 67 . Le jalon arabe est fondamental, puisque c’est dans cette langue que s’opère le passage de Būdāsaf à Yūdāsaf (et même Yūzāsaf). Le changement de l’initiale est maintenant bien connu: le passage à Yūdāsaf est dû à une lecture erronée, le B et le Y ne différant que d’un point diacritique 68 . Le nom devient ensuite Iodasaph lors de son adaptation en géorgien, puis Ioasaph (Ιωασαφ) en grec 69 . Tout ceci documente le passage de Bodhisattva à Ioasaph, mais ne permet toujours pas d’expliquer la particularité des formes latines et françaises. C’est bien en latin qu’a lieu le passage de Ioasaph à Iosaphat (ou Iosaphas), qui seront repris dans les versions romanes et françaises 70 . Là encore, l’habillage analogique ou pseudo-étymologique de l’anthroponyme a été peu discuté. À nouveau, des influences d’ordre biblique semblent avoir joué, parmi lesquelles nous distinguons ici deux 65 Il a été postulé des intermédiaires comme le parthe Bōdisadf, Bōdisaf (évolution df > f typique du parthe) ou le pehlevi Bōdāsp, (avec assimilation typique de la finale des noms en -āsp), ainsi que des formes du sogdien Bōdisaf, écrit pwt(y)sβ mais des textes du VII e ou VIII e siècle ont également pu reprendre des formes du sanskrit, comme cela semble être le cas pour d’autres formes sogdiennes. Des textes ouïghours présentent soit la forme sogdienne (pw’y-sβ) soit des formes imitées du sanskrit (Sundermann 1989). 66 La version de Gimaret a toujours Budasf qui entre en résonance avec des noms de héros persans légendaires (Lurhāsf, Gāmāsf). Pour Forster 2012: 180-81 N6, cette forme est inhabituelle et c’est bien Būdāsaf qui est à l’origine de la forme géorgienne. 67 Gimaret 1969: 274 cité par Cordoni 2014: 26 N44. 68 Kuhn 1893: 34-35, Abuladze 1966: 29. 69 Kuhn 1893: 17 voit dans ΙΩΑΣΑΦ une faute de transcription pour ΙΩΔΑΣΑΦ où le Δ aurait été confondu avec le Α, la géminée de ΙΩΑΑΣΑΦ étant ensuite réduite. On trouve dans la tradition orthodoxe un saint Joasaph de Belgorod, évêque de cette ville au XVIII e siècle. Des formes Iosaphat (Ιωσαφατ) sont relevées en grec, mais beaucoup moins couramment que Ioasaph (Ιωασαφ). 70 Iosaphat pour la Vulgate latine; Josaphat pour la version champenoise; Josafat, Josafaz, Josaphat, Jozaphat pour le Mystère du roy Advenir; Josaphaz chez Chardri; Josaphas, Yosaphas, Yozafas, Yozafat/ as, Yosaphat, etc. pour Gui de Cambrai; Jozaphas pour l’occitan. Barlaam et Josaphat ou l’asymptote étymologique Marion Uhlig / Fabien Python 20 Vox Romanica 77 (2018): 1-28 DOI 10.8357/ VOX-2018-001 grands types, d’ailleurs non exclusifs. Enfin, on ne peut passer sous silence l’étrange destin ultérieur du rameau arabe Yūzāsaf. Les Joseph La lointaine origine des formes latines Iosaphat, Iosaphas est parfaitement méconnaissable à ce stade, les anthroponymes ayant troqué leur particularisme pour une coloration biblique lors du passage dans le monde chrétien. L’initiale Iosrappelle de très nombreux anthroponymes bibliques (Josias, Joseph, Josué, Yozabad, Yoçadak, etc.) qui abondent dans les généalogies, sans parler des formes proches (Jésus, Jessé, Jézabel, etc.). Le nom de Joseph (Vulgate: Ioseph), de l’hébreu Yosseph ‘Dieu ajoutera’ selon l’étymologie populaire hébraïque, généralement acceptée, occupe évidemment une place essentielle dans l’imaginaire chrétien, autant dans les textes du Pentateuque (Joseph fils de Jacob et ses frères, Genèse 37-50) que dans le Nouveau Testament: Joseph père de Jésus (Évangiles de Matthieu et de Luc), Joseph d’Arimathie (Évangile de Matthieu) ou Joseph Barsabas (Actes des Apôtres), sans compter saint Joseph de Palestine mort vers 356, Joseph le catholicos nestorien mort en 570, et bien d’autres encore. Comme le suggère Charles Genequand, le rapprochement de Ioasaph avec Joseph le Juste, père de Jésus, pourrait avoir été établi à partir d’un trait caractéristique des deux personnages: «On peut se demander si le succès de la forme Josaphat n’a pas été favorisé par la ressemblance avec le Joseph biblique qui partage la chasteté de Budasaf» (Genequand 2014: 68 N4). Les Josaphat L’explication la plus probable, déjà proposée par Joseph Jacobs 1896: xlvi, reste toutefois un croisement avec le nom biblique Josaphat (Vulgate: Iosaphat), partagé par plusieurs personnages de l’Ancien Testament (1 Rois 22, 41-51; 2 Chroniques 17). Le plus connu des Josaphat de la Bible est le roi de Juda, sous le règne duquel, au début du IX e siècle av. J.-C., se rapprochèrent les royaumes de Juda et d’Israël. Josaphat est une forme contractée de Jehoshaphat ou Yahushaphat, où le premier élément est généralement glosé comme le Tetragrammaton auquel s’adjoint le verbe hébreu shaphat ‘juger’ ou ‘gouverner’. En l’occurrence, le parallèle de notre Josaphat avec le roi convertisseur de Juda est probant au niveau narratif: comme l’indique le texte des Chroniques, sa piété n’eut d’égale que celle de son père, lui qui fit «disparaître de Juda les hauts lieux et les idoles» (2 Chroniques 17, 6). Les notations relatives à son âge - «Josaphat avait 35 ans lorsqu’il devint roi et il règna 25 ans à Jérusalem» (1 Rois 22, 41) - consonnent en outre avec celles des versions françaises de notre légende. Selon la rédaction en prose dite «champenoise», Josaphat, âgé de vingt-cinq ans à son arrivée au désert, y demeure vingt-cinq ans jusqu’à sa mort, puisqu’il «reçuit habist 21 Vox Romanica 77 (2018): 1-28 DOI 10.2357/ VOX-2018-001 d’ermite el .xxv.isme an de son aaige et si conversa .xxv. anz en l’ermitage» (Mills 1973: 156, l. 40-41). Quant au poème anglo-normand de Chardri, il se montre fidèle à la Vulgate latine en inversant les données des Chroniques: âgé de vingt-cinq ans lorsqu’il quitte le siècle, le protagoniste demeure trente-cinq ans au désert avant sa mort (Chardri 1879, v. 2861-70). Toutefois, pour un clerc du Moyen Âge, Josaphat résonnait sans doute davantage à travers l’évocation de la Vallée de Josaphat (ou Val de Jehoshaphat), soit la portion de la Vallée du Cédron entre Jérusalem et le Mont des Oliviers que mentionne le prophète Joël (Jl 3,2, 3,12, 4,1-17) 71 . Il est vrai que les versions latines et françaises de Barlaam et Josaphat ne font pas référence au Val de Josaphat, mentionné de façon récurrente par les récits de pèlerinage et les textes de voyage médiévaux décrivant la Terre sainte. Néanmoins, l’allusion qui figure dans le Roman d’Alexandre pourrait bien avoir inspiré à Gui de Cambrai le sujet de son poème hagiographique. Comme l’a suggéré Carl Appel dans son édition, la tonalité d’apparence mondaine, voire aristocratique, et les accents curiaux qui caractérisent cette version de Barlaam et Josaphat s’expliquent aisément de la part d’un auteur auquel on attribue également la composition du Vengement Alixandre 72 . Plusieurs allusions, notamment des noms propres à consonance antique ou exotique, se retrouvent en outre dans ces deux poèmes, tandis que les écarts les plus significatifs de Barlaam et Josaphat par rapport à la doxa légendaire trouvent le plus souvent une explication dans la comparaison avec le Vengement Alixandre 73 . Dès lors, si on songe à la razzia de la branche II du Roman d’Alexandre au Val de Josaphat en Terre sainte, on est tentés de penser qu’elle a orienté le choix de Gui de Cambrai pour sa seconde composition 74 . Il est d’ailleurs piquant de constater que, dans le Fuerre de Gadres latin évoqué plus haut, c’est justement pour se rendre au Val de Josaphat qu’Alexandre laisse Tyr aux mains du traître Balaam. En effet, il s’agit d’y prêter secours aux cinq cents chevaliers grecs menés par Méléagre et dont la razzia visant à s’emparer du bétail de la ville de Gadir tourne mal 75 . On retrouve ici, dans un contexte largement différent, un nouveau cas de «doublet référentiel» dont l’influence a pu s’exercer, quoiqu’indirectement et à un stade ultérieur, sur les actualisations françaises de la pieuse légende. Pour revenir à Josaphat, l’homonymie entre le personnage et la vallée ne semble pas avoir échappé non plus à l’attention des copistes de l’important manuscrit-recueil 1553 du fonds français de la Bibliothèque nationale. Dans ce codex de cinquante-deux pièces dont le contenu témoigne d’un ancrage thématique et géographique favorable 71 On notera que le syntagme vallée de Josaphat est répertorié avec le sens de ‘voie lactée’ dans les environs de Rennes (FEW 5: 50b s. Josaphat, citant la Revue des traditions populaires 17 (1902): 454). 72 Voir Appel, dans Gui von Cambrai 1907: xliv-xlvii. 73 Les noms de Tholomé, l’un des douze pairs d’Alexandre, ou de Proteselaus qui apparaît dans la branche I, à la laisse 98, se retrouvent notamment dans Barlaam et Josaphat. 74 Voir les laisses 1 à 110 de la branche II (Alexandre de Paris 1994). 75 Armstrong/ Foulet 1942/ 4: 11-12 (le texte latin est reproduit dans l’introduction à l’édition du texte français). Barlaam et Josaphat ou l’asymptote étymologique Marion Uhlig / Fabien Python 22 Vox Romanica 77 (2018): 1-28 DOI 10.8357/ VOX-2018-001 à la matière orientale, le Barlaam et Josaphat de Gui de Cambrai, en cinquième position, est suivi à la huitième position des Ensaignements des sains lius d’outre mer qui décrivent la Vallée de Josaphat comme le lieu du Jugement dernier (Joël 3,2, 3,12) où le Christ «fu pris des Juis» 76 . Tout se passe comme si les artistes du scriptorium responsable de la confection du manuscrit, dont le colophon porte la date de 1285, avaient ainsi orchestré la rencontre des deux textes, justifiée par le chronotope oriental des premiers temps de l’évangélisation et par la récurrence du nom Josaphat 77 . Yuzasaf et Yuz Asaf Il faut enfin signaler l’amorce d’une aventure parallèle à partir de la tradition arabe, qui va voir l’anthroponyme Josaphat désigner rien moins que Jésus lui-même, il est vrai en forçant un peu les règles traditionnelles de la philologie. À l’origine de cette trajectoire, se trouve une forme Yūdāsaf que le fondateur de l’ahmadisme, Mirza Ghulam Ahmad (1835-1908) va lire et réinterpréter en Yuz Asaf. Mirza Ghulam, fondateur de l’ahmadisme, mouvement messianiste musulman 78 , se présentait lui-même comme réincarnation spirituelle de Jésus Christ, mais aussi bien comme Mahdi et plus tard comme avatar de Krishna/ Vishnu (Poupard 1984: 17s. Ahmadiyya). Son interprétation assez personnelle de divers textes sanskrits, persans ou arabes a largement contribué à fonder la théologie ahmadie. Dans son traité Masīh Hindustān Meiń (1899) 79 , Ghulam réélabore la figure d’un Jésus qui, ayant survécu à la crucifixion (thème de l’hérésie docète), aurait voyagé vers la Perse et l’Afghanistan avant de trouver la mort au Cachemire. Pour ce faire, il identifie le tombeau de Roza Bal, à Srinagar, comme étant celui de Yuz Asaf (Youza Asouph, Youza Asaph), autrement dit Jésus. Günter Grönbold 1985 a été le premier à découvrir que derrière Yus Asaf se trouvait Josaphat. Norbert Klatt 1988 puis Mark Bothe 2009 ont poursuivi la recherche et fait justice de ce travestissement en analysant les sources à partir desquelles le fondateur de l’ahmadisme a forgé ce personnage. Ghulam Ahmad en a en effet pris connaissance par une édition de la légende parue à Téhéran en 1883 où Bhudasaf est écrit Yudasaf. Or non seulement Ahmad lit un Zay au lieu d’un Dal (Yuzasaf), mais il 76 Ms. B.N.f.fr. 1553, f. 266c. Le nom du personnage Josaphat, souvent graphié Josaphas ou Jozaphat dans notre texte, est le plus souvent écrit avec un s à hampe longue dans la pièce n° 8. Olivier Collet justifie cette variance graphique par le changement de copiste (Collet à paraître a). 77 Sur l’importance de l’Orient dans le codex B.N.f.fr 1553, voir la Notice et le Contenu du manuscrit par Olivier Collet à paraître a et Uhlig 2014: 351-73. 78 L’ahmadisme qui regroupe plusieurs millions de fidèles, dont une majorité au Pakistan, a été déclaré hérétique par plusieurs autorités musulmanes dont le Parlement pakistanais qui le qualifia de «non-musulman» en 1974. 79 Mirza Ghulam Ahmad 1899. L’ouvrage, écrit en 1889, fut édité partiellement en revue et ne parut dans son intégralité qu’à titre posthume, en 1908. La traduction anglaise (Jesus in India) date de 1944. 23 Vox Romanica 77 (2018): 1-28 DOI 10.2357/ VOX-2018-001 réinterprète le nom en deux éléments Yus Asaf, où il décide de lire Yus ‘Jésus’ et Asaf ‘le Rassembleur’ 80 , ce qui arrange bien son propos, mais contrevient aux principes élémentaires de la philologie. Entre le saint Josaphat utilisé par les Jésuites en Orient dans un but missionnaire et le Bouddha dont les philologues commencent à apercevoir la silhouette sous le cilice, un ultime rebondissement voit donc Jésus se substituer au Bouddha originel. Cette fois, c’est le nom lui-même qui se scinde et devient, au prix d’un forçage herméneutique, une hypostase un peu particulière du Jésus des chrétiens, également bien différente de l’Issa des musulmans. Conclusions Parmi les centaines de couples de saints que recensent les divers martyrologes (et dont Cyrille et Méthode sont les plus connus), Barlaam et Josaphat présentent incontestablement la généalogie la plus originale. Leur histoire se manifeste à plus d’un endroit sous le signe de la gémellité - et donc sous le signe de Thomas 81 . On comprend dès lors que le thème du double soit aussi fréquemment représenté, non seulement à travers la relation entre Barlaam et Josaphat, mais aussi dans le rapport que chacun d’eux entretient avec ses nombreux sosies dans les récits enchâssés comme dans le récit cadre (par exemple le faux Barlaam, Nachor, appelé à fausser la disputatio entre chrétiens et païens en faveur de ceux-ci; Théodas l’enchanteur, double en noir de Barlaam et maître d’Avenir; l’ermite Barrachie, parfois graphié Barrachis, copie conforme de Barlaam qui succède à Josaphat sur le trône et propose la réplique vertueuse de son paronyme Arrachis, âme damnée du roi, etc.). L’origine et les tribulations de leurs noms, difficiles voire impossibles à circonscrire, illustrent bien les limites de l’étymologie lointaine qui conduit les chercheurs dans leurs derniers retranchements. Mais la dialectique de la révélation et de la dissimulation des noms est en somme à l’image de la trame légendaire elle-même, où les ermites se déguisent en marchands, les princes dissimulent sous leurs brocards des haires en haillon et le païen Nachor possède les traits du pieux Barlaam. Les apparences, décidément, sont trompeuses. Ainsi le manteau traditionnel (kesa) du Bouddha 80 Klatt 1988: 40 N78, 57 N128-30 et Volk 2009: 156. Il est significatif que ce soit encore ici à la suite d’une erreur de lecture ou de transcription que se soit développée la tradition qui fait mourir Yuzasaf (Bouddha-Jésus) à Shrinagar au Cachemire (ريمشك) plutôt qu’au Kushinara (رنيشوك) (endroit où la tradition situe la mort du Bouddha). 81 Thomas est un nom d’origine araméenne signifiant ‘jumeau’, que traduit le grec Didyme. De nombreuses traditions ont présenté l’apôtre Thomas comme le jumeau du Christ. L’hypothèse d’une filiation manichéenne amplifie ce rapprochement puisque le thème du jumeau (figure mystique du bien aimé) est essentiel dans sa théologie. Mani se veut le frère jumeau de Jésus, son imitateur (notons qu’il parle un dialecte araméen/ syriaque comme lui) et c’est dans ce sens qu’il inscrit explicitement sa trajectoire dans le prolongement de la mission de Thomas (Tardieu 1997: 13). Barlaam et Josaphat ou l’asymptote étymologique Marion Uhlig / Fabien Python 24 Vox Romanica 77 (2018): 1-28 DOI 10.8357/ VOX-2018-001 n’était-il plus perceptible sous la «vesteure chrestienne», après que leur parcours en Orient eut dépouillé les deux personnages du Binitial qu’ils partageaient avec leur source lointaine. Le lien perdu ne pouvait dès lors plus être établi qu’à travers des études de motifs et de contenus. Faux jumeaux donc, que Barlaam et Josaphat. L’identification de leurs étymons lointains les plus probables ne pouvant pas correspondre, on ne peut pas parler à leur sujet de doublets étymologiques mais leur position de «doublets référentiels» est assez curieuse. Faux jumeaux également que Barlaam d’Antioche et Mani, contemporains et parlant des variétés d’une même langue, l’araméen/ syriaque. En revanche, vrais jumeaux dans le cas de Josaphat et Bodhisattva (ou bodhisattva), puisque se croisent ici le lexème originel (ou reflétant davantage l’original sanskrit) et celui qui est passé à travers tant d’intermédiaires. Situation qui offre une correspondance dans la figure du père du Bouddha voulant le protéger du monde, le tenir à l’écart de l’âge, du dépérissement et de la mort. Le célèbre paradoxe temporel des jumeaux d’Einstein trouverait ici une application appropriée, tant du point de vue de la situation des lexèmes que de celle des personnages en jeu. Barlaam et Josaphat. Deux anthroponymes d’origine lointaine et méconnue, que l’on rattache à des noms connus, relayés par l’Ancien Testament. On ne peut que constater une disponibilité de plusieurs noms proches, d’obédience biblique, hagiographique ou historiographique, qui ont pu exercer une influence parfois déterminante sur la forme de ces anthroponymes lors de leur entrée (ou réapparition) dans le monde chrétien de langue grecque et latine. Leur translation dans le monde byzantin s’accompagnant d’une coloration biblique assez nette («dogmatic colouring» selon Jacobs 82 ) et de farciture de passages de l’Écriture et des Pères de l’Église (Apologie d’Aristide), il n’est pas étonnant que ce soit à ce moment que l’anthroponyme Barlaam se rapproche de noms chrétiens, suivi peu après par Josaphat lors de son passage au monde latin. Ces remotivations à partir d’éléments connus de la tradition semblent probables même si les rapprochements sémantiques et référentiels ne peuvent pas être établis de manière évidente, et moins encore la raison de ces rapprochements. Toute une palette de facteurs a pu jouer, de l’analogie de traits de caractère aux rapprochements conjoncturels tels que la présence de ces noms dans des textes d’un même manuscrit ou d’un même scriptorium. À ce stade, on ne peut que risquer des hypothèses, sachant que seul un travail d’envergure et de longue haleine permettrait de dégager des assertions plus étayées. Il n’en reste pas moins que ces deux noms produisent de nombreux échos dans le contexte biblique. Et en définitive se produit ce phénomène curieux d’une double filiation de ces anthroponymes: sanskrite mais également hébraïque par procuration. Les transmutations des noms des personnages de cette légende traduisent bien les difficultés de l’étymologie lointaine. Les vicissitudes de leur parcours et les ramifica- 82 Jacobs 1896: 52. Comme le disent Lopez et McCracken, si le traducteur géorgien a christianisé la légende, c’est le moine grec (Euthyme) qui l’a théologisée (Lopez/ McCracken 2014: 133). 25 Vox Romanica 77 (2018): 1-28 DOI 10.2357/ VOX-2018-001 tions de leurs thèmes, au confluent de plusieurs langues, cultures et religions, se présentent comme autant d’aller-retour entre Orient et Occident, qui n’ont pas peu contribué à brouiller les pistes. Aller-retour lexicaux où se produisent de nombreux transferts entre onymisation et déonymisation. Aller-retour linguistiques où des racines indoiraniennes se transforment au contact de langues sémitiques (syriaque, arabe) puis européennes qui les renouvellent sur un modèle hébraïque. Et aller-retour culturels et religieux enfin où la légende se prête à des fins missionnaires ou éducatives par les jésuites en Asie, dans un jeu spéculaire d’allure borgésienne 83 . Les pérégrinations onomastiques de Barlaam et Josaphat sont autant des variations vertigineuses sur les rivages de l’etimologia remota, jusqu’à ce lieu incertain où paroles et paraboles se confondent 84 . Bibliographie Abuladze, I. V. 1966: «Introduction», in: D. M. Lang, The Balavariani (Barlaam and Josaphat). A tale from the Christian east, London: 19-41 Agrigoroaei, V. 2012: «À la recherche de l’Apoloines perdu. Les échos littéraires d’une traduction française de l’Historia Apollonii regis Tyri conservée dans les fragments de Gdansk», CCM 55: 3-32 Alexandre de Paris 1994: Le Roman d’Alexandre, ed. E. C. Armstrong, trad. L. Harf-Lancner, Paris Armstrong, E. C. 1922: The French metrical versions of Barlaam and Josaphat. With especial reference to the termination in Gui de Cambrai, Princeton/ Paris Armstrong, E. C. 1926: The authorship of the Vengement Alixandre and of the Venjance Alixandre, Princeton/ Paris Armstrong, E. C./ Foulet A. 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