Vox Romanica
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0042-899X
2941-0916
Francke Verlag Tübingen
10.2357/VOX-2018-029
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Kristol De StefaniJuhani Härmä/Elina Suomela-Härmä (ed.), Aimer, haïr, menacer, flatter … en moyen français, Paris (Champion) 2017, 278 p. (Bibliothèque du XVe siècle)
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Jean-Claude Mühlethaler
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348 Besprechungen - Comptes rendus Vox Romanica 77 (2018): 348-351 DOI 10.8357/ VOX-2018-029 Juhani Härmä/ Elina Suomela-Härmä (ed.), Aimer, haïr, menacer, flatter … en moyen français, Paris (Champion) 2017, 278 p. (Bibliothèque du XV e siècle) Avec ses points de suspension suggérant l’infini d’une liste où se mêlent verbes affectifs et actes de parole, le titre intrigue. Les dix-neuf articles réunis par J. Härmä et E. Suomela-Härmä brassent en effet large, étudiant les manifestations des émotions de l’amour à la haine. Plus précisément, ils abordent les «représentations linguistiques, littéraires, voire iconographiques de ces sentiments» (Préface, 7) entre Moyen Âge et Renaissance. La distinction entre Études littéraires (8 articles) et Études philologiques et linguistiques (11 articles) paraît quelque peu arbitraire: les uns comme les autres interrogent, pour l’essentiel, l’inscription de l’affectivité dans le vocabulaire, les métaphores ou la syntaxe, se réclamant à plusieurs reprises de la théorie des actes de langage élaborée par J. L. Austin et J. Searle. Presque tous utilisent ce bel instrument de travail qu’est le Dictionnaire du moyen français (Atilf) en ligne, mais dont G. Roques rappelle qu’il faut l’utiliser à bon escient, comme tout bon dictionnaire d’ailleurs. Au-delà des louanges que mérite cette vaste entreprise, G. Roques dégage quelques limites d’une entrée aussi fournie que «félon» en la soumettant à une analyse rigoureuse (229-40) qui, par sa démarche, se démarque des autres contributions. Une différence d’orientation émerge néanmoins entre les deux parties du volume. Les linguistes s’intéressent volontiers au théâtre - farces, moralités, mystères (S. Hakulinen, G. Parussa) - et à la nouvelle (D. Lagorgette), abordée notamment sous l’angle de ses adaptations françaises, de Laurent de Premierfait aux imprimés d’Antoine Vérard (M. Helkkula, O. Delsaux). Ils jugent que ces genres sont plus proches du langage parlé de l’époque, offrant aux chercheurs ce que S. Hakulinen appelle un «oral graphisé» (195), vu la place accordée aux interjections, injures, insultes, apostrophes, etc., parfois aussi à une syntaxe brisée. On trouve bien chez les littéraires l’une ou l’autre allusion au théâtre et à la nouvelle ainsi qu’un intérêt marqué pour la traduction (voir les articles de de P. Cifarelli et S. Vigali consacrés à Dante au XVI e siècle). Mais, pour le reste, ils tirent leurs exemples de textes aussi variés que le Tristan en prose, Artus de Bretagne, le Roman de Troie (Prose 5) et se réfèrent à des auteurs qui vont de Guillaume de Machaut, Christine de Pizan et Alain Chartier à René d’Anjou, François Villon ou Jean Lemaire de Belges pour ne citer que les plus connus. Il suffit d’ailleurs de parcourir l’Index des noms propres (269-76) pour mesurer la richesse du corpus étudié. Relevons que certains articles se penchent sur des œuvres ou des écrivains qui ont moins connu les faveurs de la critique: voici Simon de Courcy, confesseur de Marie de Berry, et Nicolas Finet, guide spirituel de Marguerite d’York (M. Boulton); voilà les jugements portés sur le monde musulman dans des récits de pèlerins (C. Herbert). Ces contributions, mais aussi les articles dus à D. Demartini («Mesdire dans le Livre du duc des vrais amants»), A. Schoysman («Une invective en prosimètre contre le pape Jules II») et M. Marchal («Amour de seigneur change tost en ire») rappellent que la frontière entre ce qui, pour nous, relève de la «littérature» (les belles lettres), l’histoire et la politique est perméable en ce Moyen Âge finissant. Comment, en effet, parler de la médisance, de la flatterie - vices curiaux par excellence - ou de la colère sans évoquer l’autorité de Jean de Salisbury (étonnamment absent de l’Index des noms! ) ou, plus généralement, sans se référer aux miroirs des princes, voire aux sermons? 348 351 029 349 Besprechungen - Comptes rendus Vox Romanica 77 (2018): 348-351 DOI 10.2357/ VOX-2018-029 En fin de compte, ces contributions disent implicitement la nécessité d’ouvrir le dialogue aussi avec les historiens. On pensera à J. Tolan (Le Saint chez le sultan, 2007) qui, depuis plusieurs années, étudie les rapports entre les mondes chrétien et musulman. Dans le domaine des émotions, les travaux de P. Nagy (Le don des larmes au Moyen Âge, 2000), D. Boquet (L’ordre de l’affect au Moyen Âge, 2005) et B. Rosenwein (Emotional communities in the Early Middle Ages, 2007), puis l’ouvrage collectif Sensible Moyen Âge, paru en 2015, ont largement balisé le terrain. Significativement, aucune de ces études ne figure dans la Bibliographie générale (267-68), dans laquelle se reflète la volonté (tout à fait légitime) des responsables scientifiques de s’en tenir aux aspects littéraires et linguistiques de la question. Dans une telle perspective, les émotions représentent en quelque sorte le substrat dont se nourrit la langue, car il s’agit, comme le note G. Parussa, d’analyser «dans le corpus textuel les éléments que les grammairiens ont, depuis toujours, mis en relation avec l’expression de l’émotion» (205). Pourtant, D. Lagorgette (dont les travaux sont cités dans plusieurs contributions), puis S. Hakulinen (193-94) rappellent opportunément qu’on ne saurait faire abstraction du contexte socio-historique. Il est en effet admis que «l’expression des émotions appartient aux rituels sociaux codés» (113), qu’il s’agisse de la tendresse ou de la violence. D’autres contributeurs sont amenés par l’auteur qu’ils étudient à préciser la source de certains actes de parole transgressifs: ainsi, selon Christine de Pizan, la médisance trouve son origine dans la haine, l’envie et l’opinion (D. Demartini, 48). Dans L’Histoire des seigneurs de Gavre, la colère, l’orgueil et l’envie instillent leur poison dans la parole, sapant à la base le bon gouvernement (M. Marchal, 247). Sur ce point, il aurait été opportun de s’interroger sur le fait que certaines émotions, comme la colère, appartiennent au septénaire des péchés: C. Casagrande et S. Vecchio lui consacrent un chapitre éclairant dans leur Histoire des péchés capitaux au Moyen Âge (Paris 2003). Nous ne saurions commenter ici en détail les contributions de ce volume foisonnant et nous contenterons de quelques observations ponctuelles. Des deux premiers articles émerge la conviction d’une «dégradation» (S. Lefèvre, 35) inéluctable de l’idéal courtois au XV e siècle, dont Villon serait le «véritable aboutissement» (J. Cerquiglini, 24). Ce tableau, partiel et partial, est tributaire d’une conception trop linéaire de l’histoire littéraire. Il demanderait à nos yeux d’être nuancé, car la littérature ne suit pas une courbe «biologique» (essor - épanouissement - décadence); elle évolue au rythme de transformations rampantes, de ruptures parfois, mais aussi de retours et de regrets. Au mouvement de dégradation - indéniable - s’opposent les défenses et les tentatives de restauration de la courtoisie tout au long du XV e siècle, de certaines réponses suscitées par le scandale de la Belle Dame sans mercy à la Chasse et le Départ d’Amour, recueil publié par Antoine Vérard en 1509. Une dernière remarque concernant la fine étude que S. Lefèvre consacre à la métaphore de l’Amour pêcheur (avec des pages suggestives sur l’origine du poisson d’avril): il vaut la peine de la compléter par la lecture d’un article de C. Méla («L’hameçon. À propos du Sophiste: mimétique et pêche à la ligne», Recherches et rencontres, 12 (1999), 37-45), qui a échappé à la vigilance de notre collègue. L’étude de D. Demartini sur la médisance dans l’œuvre de Christine de Pizan débouche sur le constat que ce péché de la langue ne sévit pas seulement parmi les courtisans et les (faux) amants, mais se retrouve chez les clercs qui, d’Ovide à Jean de Meun (51), ont écrit mal des 350 Besprechungen - Comptes rendus Vox Romanica 77 (2018): 348-351 DOI 10.8357/ VOX-2018-029 dames. En explicitant le lien entre la crise de la courtoisie et les médisances cautionnées par les auctoritates, D. Demartini ajoute un trait intéressant au tableau de la condamnation, bien connue, des œuvres misogynes par Christine de Pizan. Tel n’est pas vraiment le cas de l’étude de M. Kane, consacrée au roi Marc: on souhaiterait que l’auteur précise ce que son investigation - intégrant le témoignage d’un manuscrit tardif, le B.N.F.fr. 103 - ajoute aux conclusions auxquelles était parvenue la regrettée E. Baumgartner (Le «Tristan en prose», Genève, 1975, 224-30), étude qu’il cite mais sans jamais se référer aux pages en question. Tout chercheur concerné par le problème des émotions trouvera, en fonction de ses intérêts, des remarques propres à stimuler sa réflexion dans l’un ou l’autre article du volume. En voici quelques-unes, glanées au fil des pages. En étudiant l’épisode de Paolo et Francesca (Enfer, chant V), S. Vignali constate que le traducteur réussit à rendre l’«état émotionnel intense» (105) auquel succombe le voyageur d’outre-tombe en écoutant la plainte des malheureux amants. Cette contagion par l’émotion ouvre, nous semble-t-il, une piste à explorer, car elle a des implications métapoétiques, suggérant l’effet que cherche à obtenir notamment la littérature courtoise sur ses lecteurs. Un autre pic émotionnel se trouve dans la Vie de sainte Marguerite, mystère caractérisé par un crescendo dans la violence verbale et physique finement analysé par M. Spacagno. Mais pourquoi se contenter de relever que des termes alimentaires peuvent servir de métaphores pour des coups? Il serait, en effet, intéressant de savoir «quelle est la fonction de ces expressions» (264). Rappelons, à tout hasard, que Villon dit avoir mangé «d’angoisse mainte poire» (Test., v. 740) en prison: serait-ce l’association sous-jacente au v. 956 («machez celle poire») de la Vie de sainte Marguerite? D’autre part, un oignon (un gnon) désigne en français populaire la marque laissée par un coup et, encore aujourd’hui, «mettre un pain» (fam.), c’est donner un coup de poing. Ces usages pourraient-ils, sinon éclairer rétrospectivement le passage du mystère, du moins suggérer des pistes de recherche? On méditera avec profit l’observation de D. Lagorgette, selon laquelle «le contexte peut rendre insultant ou caressant n’importe quel terme d’adresse» (127). Elle dit toute la difficulté qu’il y a de saisir surtout les manifestations de l’ironie, quand on cherche à «ridiculiser» (M. Helkkula, 148) l’adversaire. Ainsi, dans, vassal, preudon seraient utilisés de manière antiphrastique, donc dévalorisante, dans Artus de Bretagne (C. Ferlampin, 185-87). Mais comment le prouver de manière concluante et définitive? … Si le statut des mots change selon le contexte d’énonciation, injures et insultes sont largement tributaires des changements sociétaux: Vérard, par exemple, introduit des «insultes récentes» comme paillart (O. Delsaux, 161), quand il édite la traduction du Décaméron, cherchant à adapter la version de Laurent de Premierfait «aux usages de son époque et de son public» (164). De même, coilvert - vieilli, comme l’incompréhensible tarterés (C. Ferlampin, 189) - est remplacé dans des manuscrits tardifs du Roman de Troie en prose par «cuer faux», particulièrement bien venu dans le discours que Médée adresse à l’infidèle Jason (A. Rochebouet, 175). Les termes d’adresse, plus mouvants, seraient-ils un domaine privilégié où se manifeste l’actualisation des textes? Enfin, il y a ces monosyllabes, tels que he, ho, ha ou hou, dont la valence émotionnelle est évidente, mais difficile à cerner puisqu’elle peut aller de la souffrance au soulagement (G. Parussa, 208-10). Souvent, ils se trouvent en début d’énoncé où l’on rencontre également cet et qui, loin de servir de connecteur, est utilisé comme un marqueur d’émotion (S. Hakulinen, 351 Besprechungen - Comptes rendus Vox Romanica 77 (2018): 351-353 DOI 10.2357/ VOX-2018-030 198). Voilà des indications utiles au spécialiste en train d’établir le glossaire d’une édition critique ou au collègue chargé de traduire en français moderne un texte du Moyen Âge finissant. Bref, même si les contributions ne sont pas toutes d’égale valeur scientifique, l’utilité du volume est indéniable. Par sa foisonnante richesse, il offre de multiples stimuli au chercheur qui prend le temps de parcourir l’ensemble plutôt que de s’en tenir à une seule étude, celle dédiée à l’œuvre ou l’auteur sur lesquels il est en train de travailler. Jean-Claude Mühlethaler ★ Philippe Walter, Ma mère l’Oie. Mythologie et folklore dans les contes de fées, Paris (Imago), 2017, 300 p. Pourquoi un médiéviste se plongerait-il dans une étude qui s’ouvre et se clôt sur les Contes de ma mère l’Oie de Perrault? Le titre, en tout cas, ne l’y incite guère. Mais P. Walter précise d’emblée qu’il poussera «l’enquête jusqu’au Moyen Âge, voire avant» (7). Dans le sillage des travaux de Gilbert Durand et de Georges Dumézil, on nous offre ici une «étude croisée de la littérature médiévale et des contes» (11), autrement dit une lecture «verticale» (255) des textes, laquelle tient compte des différentes versions d’un récit, de manière à en dégager la richesse mythologique, souvent occultée sous un vernis chrétien et/ ou courtois. Philippe Walter travaille sur la longue durée, rapprochant des œuvres distantes dans le temps, mais aussi des œuvres issues d’aires culturelles éloignées; à l’horizon se profile l’espace indoeuropéen, même si les traditions celtiques - dont on ne saurait nier l’influence sur la littérature médiévale (surtout à ses débuts) - jouent un rôle particulièrement important dans la démonstration. L’oie est une créature mythique polymorphe, fée ordonnatrice des destinées (233-34): on en trouve certains traits chez Morgane, la Blonde Esmérée du Bel Inconnu ainsi que chez Pénélope dont le nom renvoie à l’oie et qui possède vingt de ces oiseaux (188). Le rite des vœux, que l’on connaît de la Belle au bois dormant, remonterait aux mythes gaulois dont les Enfances Renier, le Roman d’Aubéron et les Otia imperialia de Gervais de Tilbury ont gardé la trace (98s.); y fait encore écho le repas des fées dans le Jeu de la Feuillée du trouvère arrageois Adam de la Halle. Le médiéviste trouvera donc dans l’étude de Philippe Walter de quoi nourrir sa propre réflexion. Reste à savoir s’il le suivra toujours dans sa pensée foisonnante, car les littéraires s’intéressent volontiers à ce qui distingue un texte des autres plutôt qu’ils ne se penchent sur les éléments qui les apparentent au-delà d’une intentionnalité et d’une figurativité divergentes. En plus, Philippe Walter esquisse parfois des pistes dont il ne semble pas vraiment convaincu. Ainsi, évoquant la célèbre scène du Chevalier de la charrette de Chrétien de Troyes, quand Lancelot trouve le peigne de la reine près d’une fontaine, il se demande: «Serait-ce le signe de sa soudaine métamorphose en oiseau? » (48). La réflexion, au conditionnel, reste au stade de l’hypothèse et son apport à une meilleure compréhension du texte demanderait à être étayé: quelle est la fonction de l’élément mythique (implicite) au sein du récit? Autre exemple: Biatris (dans le Cycle des Lorrains) «a sans doute (nous soulignons) été une femme-oiseau» (143), émule de la reine Berthe (au grand pied), célèbre fileuse comme l’est 351 353 030