eJournals Vox Romanica 81/1

Vox Romanica
vox
0042-899X
2941-0916
Francke Verlag Tübingen
10.2357/VOX-2022-004
Es handelt sich um einen Open-Access-Artikel, der unter den Bedingungen der Lizenz CC by 4.0 veröffentlicht wurde.http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/121
2022
811 Kristol De Stefani

Convergence et divergence entre espagnol, italien et français

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2022
Santiago Del Rey Quesadahttps://orcid.org/0000-0001-9871-4498
En este trabajo nos ocupamos de la obra de un autor español que gozó de gran éxito editorial en la Europa de su tiempo, Pedro Mexía. Sus Diálogos o Coloquios (1547), junto con su Silva de varia lección (1540), se convirtieron en obras bien conocidas en la época. Así lo demuestran las numerosas reimpresiones de estos Diálogos realizadas a lo largo de los siglos XVI y XVII, igual que las traducciones, también a menudo reimpresas, que se hicieron al inglés, al flamenco, al italiano y al francés. El objetivo de este estudio es determinar cómo se reflejan en el texto meta los movimientos de interferencia positiva y negativa que conducen a soluciones de convergencia y divergencia en las traducciones, para poder medir el verdadero grado de literalidad y reformulación en cada intérprete. Antes de analizar los ejemplos concretos, se propone una tipología de fenómenos para explicar las diferentes posibilidades de interferencia en los textos meta.
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DOI 10.2357/ VOX-2022-004 Vox Romanica 81 (2022): 85-109 Convergence et divergence entre espagnol, italien et français La traduction des Colloques de Pedro Mexía (XVI e siècle)* Santiago Del Rey Quesada (Universidad de Sevilla) https: / / orcid.org/ 0000-0001-9871-4498 Resumen: En este trabajo nos ocupamos de la obra de un autor español que gozó de gran éxito editorial en la Europa de su tiempo, Pedro Mexía. Sus Diálogos o Coloquios (1547), junto con su Silva de varia lección (1540), se convirtieron en obras bien conocidas en la época. Así lo demuestran las numerosas reimpresiones de estos Diálogos realizadas a lo largo de los siglos XVI y XVII, igual que las traducciones, también a menudo reimpresas, que se hicieron al inglés, al flamenco, al italiano y al francés. El objetivo de este estudio es determinar cómo se reflejan en el texto meta los movimientos de interferencia positiva y negativa que conducen a soluciones de convergencia y divergencia en las traducciones, para poder medir el verdadero grado de literalidad y reformulación en cada intérprete. Antes de analizar los ejemplos concretos, se propone una tipología de fenómenos para explicar las diferentes posibilidades de interferencia en los textos meta. Mots-clés: Dialogue, Traduction, Langues romanes, Interférence, Convergence, Divergence, XVI e siècle. 1. Introduction: le dialogue de la Renaissance comme objet d’étude Le dialogue est un genre privilégié de la Renaissance européenne. On trouve à cette époque beaucoup d’œuvres qui s’inspirent des sources classiques et qui appliquent les préceptes des nouveaux humanistes, en particulier ceux d’Érasme (cf. Del Rey 2015a). La pratique de la traduction a en grande partie motivé son développement dans toute l’Europe, non seulement du latin (classique, postclassique, médiéval ou * Ce travail a été réalisé dans le cadre des projets de recherche «Tradicionalidad discursiva e idiomática, sintaxis del discurso, traducción y cambio lingüístico en la historia del español moderno: prosa (pre-)periodística/ ensayística y literaria (PGC2018-097823-B-I00)» et «Hacia una diacronía de la oralidad/ escrituralidad: variación concepcional, traducción y tradicionalidad discursiva en el español y otras lenguas románicas (DiacOralEs) (PID2021-123763NA-I00)», subventionnés par: FEDER/ Ministerio de Ciencia e Innovación - Agencia Estatal de Investigación. 86 Santiago Del Rey Quesada DOI 10.2357/ VOX-2022-004 Vox Romanica 81 (2022): 85-109 humaniste) vers la langue romane mais encore horizontalement (Folena 1991), c’està-dire, d’une langue romane à une autre. Les Colloquia d’Érasme, publiés vers la fin du premier tiers du XVI e siècle, ainsi que leurs traductions dans toute l’Europe, ont insufflé un élan très important au genre et ont contribué à la constitution d’un nouveau modèle de langue permettant l’expression de la vraisemblance conversationnelle à laquelle aspirait le dialogue humaniste (cf. Bierlaire 1978 et Del Rey 2015b). Les études portant sur le dialogue classique et humaniste en tant que genre littéraire ont notamment été réalisées du point de vue de la théorie littéraire 1 . Parmi les langues romanes concernées, une plus grande attention a été portée au dialogue italien du XVI e siècle par rapport au dialogue français ou espagnol (cf. Ledo 2009). Le dialogue européen de la Renaissance, plus particulièrement le dialogue diégétique, fut influencé par Lucien (cf. Vian 1982) et Érasme (cf. Del Rey 2015a), ce qui confère des caractéristiques discursives particulières à celui-ci en tant que genre, bien que les spécialistes ne s’accordent pas tous sur le fait qu’il puisse être, à cette époque, considéré comme un genre littéraire, ceci étant principalement dû à l’hétérogénéité des formes et à la variété des contenus (cf. Schwartz 1992). Les travaux consacrés à l’analyse linguistique du dialogue de la Renaissance sont, en revanche, encore minoritaires et s’adressent essentiellement à l’étude du matériel dialogique comme témoignage des prétendues réalisations oralisées (cf. Del Rey 2011). Peter Burke (1993) est un des théoriciens de la conversation à avoir affirmé que le fait conversationnel codifié ainsi que les productions dialogiques de la Renaissance se prêtaient à l’étude de la langue. En effet, les dialogues de cette époque nous montrent beaucoup de phénomènes reflétant des marques distinctives de ce que l’on appelle l’oralité dans l’écriture 2 , ce qui représente un terrain de recherche très riche. Nous allons cependant diriger notre attention sur d’autres aspects, analysés dans une moindre mesure par les spécialistes, mais néanmoins aussi intéressants que celui-ci. Nous nous pencherons plus concrètement sur les processus d’interférence syntaxique que l’on peut constater dans les traductions qui constituent le corpus choisi pour le présent travail. 2. Corpus de travail: traducteurs et traductions Notre objet d’étude est l’œuvre d’un auteur espagnol qui connut un grand succès éditorial dans l’Europe de son temps, Pedro Mexía. Ce sont ses Dialogues ou Colloques 3 (1547) qui, de même que sa Silva de varia lección (1540), sont devenus des 1 Depuis l’étude pionnière de Rudolf Hirzel (1895) de nombreux travaux adoptant cette perspective d’étude ont été publiés (cf. parmi d’autres Merril 1911, Wyss Morigi 1947, Vasoli 1968, Mulas 1982, Ferreras 1985, Ordine 1990, Gómez 1992 et Kushner 2004). 2 En ce qui concerne le problème de l’écriture de l’oral dans le dialogue, nous renvoyons à Vian (1982, 1998), Bobes (1992), Oesterreicher (1996), Bustos (2007) et Del Rey (2015a: 65-69, 2019). 3 Coloquios o Diálogos nuevamente compuestos por el magnífico cavallero Pero Mexía , Sevilla, Domenico De Robertis, 1547. J’identifierai ce texte au commencement des exemples avec un E . 87 Convergence et divergence entre espagnol, italien et français DOI 10.2357/ VOX-2022-004 Vox Romanica 81 (2022): 85-109 best-sellers à cette époque. Les nombreuses réimpressions de ces Dialogues , effectuées tout au long du XVI e et du XVII e siècle (cf. Castro Díaz 1977), ainsi que les traductions, également réimprimées maintes fois en anglais, flamand, italien et français, en sont la preuve). Tandis que l’original de Pedro Mexía a été écrit en 1547, la traduction italienne est parue dix ans plus tard 4 . Elle est due à Alfonso de Ulloa, un érudit espagnol qui a joué un rôle fondamental en ce qui concerne le lien entre la culture espagnole et italienne de la Renaissance. Il est important de prendre en compte le fait qu’Alfonso de Ulloa était un traducteur d’origine espagnole écrivant en italien, mais ayant, selon Anna Maria Gallina (1955), une excellente maîtrise de la langue de Dante. La traduction française 5 des six colloques de Mexía paraît pour la première fois en 1592 dans une collection dans laquelle la traduction de la Silva de varia lección , l’œuvre la plus importante de l’auteur, est également intégrée (Castro Díaz 1977: 17). Les trois dialogues naturels ont été traduits par Marie de Coste- Blanche, alors que l’on attribue les dialogues circonstanciels à Claude Gruget, le traducteur de la Silva . Parmi les différents colloques qui font partie de l’œuvre dialogique de Pedro Mexía, nous avons considéré pour ce travail le Colloque des médecins 6 , dans lequel l’auteur présente des amis conversant sur la convenance de recourir aux médecins en cas de maladie, ainsi qu’un dialogue traitant d’astrologie, le Colloque du Soleil 7 . Il n’est pas étrange de lire dans la bibliographie que le texte italien et le texte français sont des traductions des Colloques de Pedro Mexía. Toutefois, on sait que «la traduction d’ouvrages espagnols à la Renaissance s’effectue généralement à partir de traductions italiennes», comme le dit entre autres De Courcelles (1998: 112). Nous pouvons effectivement confirmer, à l’aide des exemples ci-dessous, que la traduction française a comme modèle la traduction italienne. Dans (1), la référence au nombre de fois associé à l’action verbale ( sept ) est absente du texte source, de même que l’allusion à Hippocrate dans l’exemple (2): (1) E : yo os doy mi fe, que si os apretasse vna enfermedad de veras, que diessedes bozes por los medicos ( Médicos , l. 8-11, f. 9v). I : io ui prometto, che, se da uero ui stringesse una infermità, che piu di sette uolte bramareste i Medici ( Medici , l. 27-28, f. 96). 4 Dialoghi di Pietro Messia , trad. Alfonso de Ulloa, Venecia, Plinio Pietrasanta, 1557. J’identifierai ce texte au commencement des exemples avec un I . 5 Les diverses leçons de Pierre Messie… Avec sept dialogues de l’autheur, dont les quatre derniers on esté de nouveau traduicts , trad. Marie de Coste-Blanche - Claude Gruget? , Lyon, Thomas Soubron, 1592. Ce texte apparaitra dans les listes d’exemples de cet article sous la lettre F . 6 Pour le contenu textuel de ce colloque, cf. Castro Pires de Lima (1968), et sur les sources dont Pedro Mexía s’inspire, cf. Conde Parrado (1998). 7 Il n’existe pas d’édition moderne des traductions italienne et française, alors que l’œuvre originale de Mexía a été éditée plusieurs fois entre 1928 et nos jours (l’édition de Castro Díaz (1977) étant la plus fiable). Nous utilisons ici notre transcription - conformément à la lecture des editiones principes consultées - qui respecte les signes de ponctuation et développe les abréviations. 88 Santiago Del Rey Quesada DOI 10.2357/ VOX-2022-004 Vox Romanica 81 (2022): 85-109 F : Mais ie vous promets bien que si quelque maladie vous secouoit vne bonne fois, vous appelleriez plus de sept fois les Medecins ( Médecins , l. 32-35, f. 704). (2) E : Galeno a quien agora siguen muchos, y llaman principe delos medicos ( Médicos , l. 20-22, f. 13r). I : Galeno, che hora è seguito da molti, & Ippocrate chiamato Prencipe de’ Medici ( Medici , l. 20-22, f. 99). F : Maintenant Hypocrates & Galen, sont les deux grands porte-enseignes de la Medicine ( Médecins , l. 2-3, f. 708). Malgré le fait que la traduction française soit fidèle à la version d’Ulloa, nous avons trouvé des passages où il semble possible de soutenir que le traducteur ou la traductrice du texte français avait devant les yeux le dialogue original de Mexía. Si l’on examine l’exemple (3), nous nous apercevons que le nom employé ainsi que la structure du fragment (esp. falta del ayre , it. mancamento che ha di aria , fr. faute d’air ) sont plus semblables dans E et dans F que dans I . La forme lexicale sélectionnée par F dans l’exemple (4) ( veritablement ) est également plus proche du texte E que du texte I . La structure subordonnée que choisit le traducteur de I dans (5) ( arriua fin doue che ella è ) est ignorée par F , qui maintient le syntagme prépositionnel du texte original ( paruient iusques à elle ) - bien que dans le choix du pronom laquelle , le traducteur ou la traductrice montre une proximité plus évidente, encore une fois, avec la traduction italienne: (3) E : [la casa] es mas calurosa y mal sana de verano, por la falta del ayre ( Médicos , l. 3-4, f. 6v). I : [quella casa] è piu calda, & malsana di state, per il mancamento, che ha di aria ( Medici , l. 17-18, f. 94). F : [les maisons] sont plus mal-saines en Esté, à faute d’air ( Médecins , l. 6, f. 702). (4) E : El oro [pesa más que el plomo], porque en la verdad es mas denso y espeso ( Sol , f. 22-23, f. 109r). I : L’oro pesa piu, perche in effetto è piu denso, & spesso ( Sole , l. 35, f. 10). F : L’or poise d’auantage, pource que veritablement il est plus serré & espais ( Soleil , l. 22-24, f. 636). (5) E : quando la Luna se eclipsa, [.] es la sombra de la tierra que le da, que alcança hasta ella ( Sol , f. 17-20, f. 118v[=98v]). I : quando la Luna si ecclissa, è l’ombra della terra, che la copre, laqual arriua fin doue, che ella è ( Sole , l. 2-3, f. 3). F : quand la Lune s’eclipse, c’est l’ombre de la terre qui la couure, laquelle paruient iusques à elle ( Soleil , l. 9-10, f. 628). De même, les couples synonymiques (cf. Buridant 1980) ou, comme nous les avons appelés récemment (cf. Del Rey 2017a, 2021a), les groupes paratactiques, nous offrent une information précieuse sur les rapports entre les différentes traductions. Les 89 Convergence et divergence entre espagnol, italien et français DOI 10.2357/ VOX-2022-004 Vox Romanica 81 (2022): 85-109 exemples (6) et (7) prouvent que F est dépendant de I . Dans le premier cas (6), le mot choisi par le traducteur français ( vraye ) correspond au deuxième élément du dédoublement présent dans I ( buona & uera ), dédoublement qui est inexistant dans le texte original. Le couple de mots de F dans l’exemple (7) fait sens uniquement comme une traduction littérale de la version italienne ( la migliore & la più eccellente cosa del mondo ). L’exemple (8) est lui intéressant car l’on remarque que le groupe paratactique du texte source ( graues y pessadas ) est simplifié aussi bien dans I que dans F , mais la solution de ce dernier révèle que le texte original n’est pas inconnu au traducteur français, étant donné que le traducteur italien préfère la première forme du groupe ( graui ) à la deuxième, adoptée par F ( pesantes ). Il serait possible que la traduction de l’italien graui par pesantes en français apparaisse indépendamment de E , mais cette situation de convergence entre E et F et de divergence simultanée de I dans des contextes identiques est loin d’être rare dans notre corpus: (6) E : buena medicina ( Médicos , l. 11-12, f. 11r). I : buona, & uera medicina ( Medici , l. 36, f. 97). F : vraye medecine ( Médecins , l. 11, f. 706). (7) E : la mejor cosa del mundo ( Médicos , l. 11-12, f. 15r). I : la migliore, & la più eccellente cosa del mondo ( Medici , l. 36-37, f. 100). F : la meilleure, & plus excellente chose du monde ( Médecins , l. 38-39, f. 709). (8) E : las cosas graues y pessadas ( Sol , f. 6-7, f. 104r). I : le cose graui ( Sole , l. 34, f. 6). F : toutes choses pesantes ( Soleil , l. 14, f. 632). En ce qui concerne la possibilité de l’existence de deux traducteurs français différents, il semble effectivement qu’il y ait des caractéristiques divergentes entre le Colloque des médecins et le Colloque du Soleil . Le traducteur de ce dernier est plus fidèle au texte italien que le traducteur du premier colloque. Cela se manifeste dans plusieurs parties du texte; par exemple, dans (9) le connecteur italien reformulatif cioè est transformé par le premier traducteur de F en asçauoir , alors qu’une forme plus littérale est maintenue dans l’exemple (10): (9) E : Sabeys que dio causa a admitir en roma los medicos, lo que dixe poco ha , la intemperancia y desorden ( Médicos , l. 15-18, f. 13v). I : Sapete, che cosa fù cagione, che i Medici fossero riceuuti in Roma? non fù altro, che quel, che hò detto poco fà; cio è , la intemperanza, & il disordine ( Medici , l. 32-34, f. 99). F : Sçauez vous pourquoy les Medecins furent receus à Rome? Ce ne fut pour autre occasion que celle que ie vien de dire, asçauoir que l’intemperance desordonnee ( Médecins , l. 17-20, f. 708). 90 Santiago Del Rey Quesada DOI 10.2357/ VOX-2022-004 Vox Romanica 81 (2022): 85-109 (10) E : A esso es menester que responda Dios, que fue seruido de hazerlo assi, que de los quatro elementos el fuego fuesse mas liuiano ( Sol , f. 11-14, f. 107v). I : A questo bisogna, che risponda Dio, alqual piacque ordinarlo cosi; cioè, che de’ quattro elementi, il fuoco fosse piu leggiero ( Sole , l. 23-25, f. 9). F : A cela est besoin que Dieu responde lui mesme, auquel il a pleu de l’ordonner en ceste sorte, c’est que de quatre elemens le feu fust le plus leger ( Soleil , l. 4-6, f. 635). De manière similaire, le traducteur français du Colloque des médecins transforme presque systématiquement la passive réfléchie du texte italien ou du texte espagnol en passive analytique (11), alors même que nous remarquons plus fréquemment la passive réfléchie chez le deuxième traducteur (12), qui, encore une fois, se montre plus fidèle au texte source: (11) E : tengo por cierto que hasta aqui se ha tenido esse respeto, y si no lo han tenido, deuese tener adelante ( Médicos , l. 19-22, f. 7r). I : credo, che sempre fin’hora si è tenuto questo rispetto, & se non si è tenuto, si dè auertire per l’auenire ( Medici , l. 2-4, f. 95). F : i’estime, que c’est la consideration qu’on a düe sur ce faict à Seuille, & qui deura estre obseruee à l’aduenir ( Médecins , l. 32-34, f. 702). (12) E : lo que se ha dicho tengo entendido ( Sol , f. 10-11, f. 119v[=99v]). I : quel, che si è detto , ho inteso ( Sole , l. 25-26, f. 3). F : i’entens ce qui s’est dit ( Soleil , l. 36, f. 628). Malgré ces indices significatifs, il ne serait pas possible d’affirmer catégoriquement qu’il existe deux traducteurs différents, bien que cela soit vraisemblable. 3. Vers une typologie de l’interférence linguistique dans le domaine de la traduction Dans cette section nous nous proposons d’examiner les solutions des traducteurs des textes qui composent le corpus à la lumière de quatre concepts empruntés à Kabatek 8 et que nous avons adaptés au contexte de la traduction. Ces concepts sont, à notre avis, fondamentaux pour bien comprendre les rapports entre texte source et texte 8 Johannes Kabatek (1997) prend comme base les concepts établis par Weinreich (1967 [ 1 1953]) et Coseriu (1977), dont il reprend notamment l’idée de l’existence de deux types d’interférence: positive et négative (cf. Del Rey 2016a, 2018b). On doit insister sur le fait que le concept d’ interférence que l’on présente ici ne comporte pas nécessairement la connotation péjorative que le terme possède dans la bibliographie spécifique sur la théorie de la traduction (cf. Newmark 1991 et Kupsch- Losereit 2004). 91 Convergence et divergence entre espagnol, italien et français DOI 10.2357/ VOX-2022-004 Vox Romanica 81 (2022): 85-109 cible. Le premier de ces concepts est celui de la transposition , qui se produit dans trois cas: d’une part, quand une variante normale, non marquée 9 , dans la langue A est calquée dans le texte cible, produisant dans la langue B une variante anormale ou asystématique - au sens que Coseriu donne au terme (cf. Figure 1) 10 . Ce type d’interférence, qui apparaît d’habitude quand le traducteur possède une compétence limitée de la langue cible, expliquerait la plupart des «erreurs de traduction» dues à la littéralité de l’interprète. Par exemple, si l’on rendait en espagnol l’énoncé j’ai laissé les clés sur la table par dejé las llaves sobre la tabla à la place de sobre la mesa . Figure 1. Interférence par transposition (A) Deuxièmement, l’on peut également parler de transposition quand une invariante ou une variante non marquée dans la langue du texte source motive la présence d’une variante marquée dans le texte cible (cf. Figure 2). Ainsi, la traduction espagnole yo he comido hoy en casa de unos amigos à partir de l’énoncé français j’ai mangé aujourd’hui chez des amis révèle une solution marquée dans la mesure où la présence du pronom de la première personne, tirée du texte source par transposition, 9 Dans le cadre de l’étude des types d’interférences linguistiques (cf. Del Rey 2020), nous définissons les variantes normales ou non marquées comme celles qui a) du point de vue de la variation basée sur le contact, correspondent aux usages linguistiques les plus courants dans la communauté de la langue cible sans transgresser ses conventions grammaticales et discursives et b) appartiennent à la variété standard de la langue au sens de Del Rey (2021b), c’est-à-dire qu’elles peuvent se déplacer librement le long du continuum entre l’immédiat communicatif et la distance communicative (cf. Koch/ Oesterreicher 2007 [ 1 1990]) dans l’espace variationnel de la langue à laquelle elles appartiennent. 10 En ce qui concerne un commentaire de l’évaluateur/ évaluatrice anonyme de cet article, dans lequel il/ elle affirme qu’ «il semble peu cohérent de considérer des variantes pour des formes contraintes par la grammaire (pour qu’on parle de variante il faut qu’une variable existe)», il convient de noter à ce stade que nous considérons les variantes d’une langue comme étant non seulement celles qui correspondent aux usages normaux dans une communauté linguistique donnée, mais aussi celles qui impliquent des usages anormaux ou même asystématiques, mais qui peuvent être reconnues comme des variantes formelles ou fonctionnelles pour l’expression d’un certain sens ou d’un certain type de relation syntaxique ou textuelle dans le discours. Même en cas de résultats non grammaticaux ou asystématiques, ces variantes sont produites et, donc, elles existent. Nous sommes, en tout cas, sincèrement reconnaissants à cet(te) évaluateur/ évaluatrice pour sa remarque. 92 Santiago Del Rey Quesada DOI 10.2357/ VOX-2022-004 Vox Romanica 81 (2022): 85-109 dans lequel il est obligatoire, possède une charge pragmatique en espagnol absente dans l’original en français. Figure 2. Interférence par transposition (B) Enfin, la transposition a également lieu lorsqu’une variante marquée dans la langue employée dans le texte source l’est aussi dans le texte cible (cf. Del Rey 2020), dans lequel la variante représente également une variante marquée (cf. Figure 3). C’est le cas de l’exemple (13), dans lequel la construction absolue du texte original ( muerto Caton ) est rendue littéralement chez I , alors que le traducteur du texte français n’opte pas pour la solution marquée 11 . Figure 3. Interférence par transposition (C) 11 Nous sommes conscients qu’il est difficile de déterminer les variantes marquées à des époques dont on ne connaît la norme que par rapport à des témoignages indirects. Malgré cela, les études quantitatives sur la syntaxe historique des langues romanes, qui se servent autant des corpus électroniques - élaborés à partir d’énormes quantités de textes digitalisés - que de l’analyse minutieuse d’œuvres et d’auteurs concrets, peuvent nous offrir des traces sur les structures normales des langues romanes dans le passé. En ce qui concerne les latinismes de syntaxe (cf. Lorian 1968) qui sont impliqués dans les exemples (13) et (14), il est évident qu’ils manifestent un degré d’intégration moindre dans la norme des langues romanes à cette époque, en comparaison avec d’autres variantes que l’on pourrait considérer comme plus vernaculaires (cf. Del Rey 2017b, 2018a, 2021b). 93 Convergence et divergence entre espagnol, italien et français DOI 10.2357/ VOX-2022-004 Vox Romanica 81 (2022): 85-109 (13) E : Despues muerto Caton , andando el tiempo […] entraron los medicos en Roma ( Médicos , l. 3-7, f. 12v). I : Morto Catone , col tempo poi […] entrarono i Medici in Roma ( Medici , l. 34-36, f. 98). F : Apres la mort de Caton , les medecins […] s’y glisserent auec le temps ( Médecins , l. 15-17, f. 707). Le deuxième concept important dans le cadre de cette typologie est l’hyperposition, qui se divise en quatre cas. Premièrement, nous nous référons à l’hyperposition dans le sens le plus commun du terme hypercorrection , c’est-à-dire, quand nous constatons l’application forcée ou erronée des règles grammaticales attribuables à une construction concrète dans le texte cible dû à l’interférence de la construction employée dans le texte source à cause de l’activation d’un mécanisme d’analogie; la conséquence étant la présence d’une variante anormale ou asystématique dans la langue cible correspondant à une variante normale ou une invariante dans le texte source (cf. Figure 4). L’énoncé espagnol no creo que mi hermano está muy lejos traduite de l’énoncé italien non credo che mio fratello sia molto lontano montre un résultat typiquement hypercorrect, dans la mesure où la correspondance credere che + subjonctif = creer que + indicatif qui existe entre l’italien et l’espagnol a été appliquée de manière incorrecte dans un contexte de négation, c’est-à-dire que la règle erronée a été appliquée * non credere che + subjonctif = no creer que + indicatif. Tipología de la interferencia de Kabatek (1997) asimilada a la tipología de latinismos [en contexto de traducción TF latín > TM castellano] (no hay correspondencia absoluta sino que, sobre todo a partir de b), hay que adaptar las ideas recogidas en la tipología de Kabatek para aplicarlas a un contexto concreto de traducción) Hyperposition (A) = Hypercorrection Texte source Texte cible 1) interferencia positiva: tipos de interferencia con resultados directamente comprobables en los discursos producidos: ambos producen elementos positivamente presentes (p. 223). • a) INTERFERENCIA DE TRANSPOSICIÓN : transposición de elementos del sistema B a un discurso del sistema A o ej. (Kabatek): gústame el queso (gallego > español) (vs...) o ej. (mío): weil meine Mutter ist krank (español > alemán) (vs...) • a’) latinismo: en un texto de A, elemento de B, quizás existente en la zona AB (ebrius > ebrio -vs. beodo-) o quizás no (primera documentación de transmutación < transmutatio -vs. casilla vacía en la lengua-), pero en cualquier caso con muy poca presencia. El latinismo, así considerado, posee distintos grados de integración y/ o gramaticalidad en una determinada época: o (integración) vomentem sanguineos fluctus > vomitante las ondas de la sangre (In-)Variante normale dans la langue A Variante anormale ou asystématique dans la langue B Analogie Influence directe Figure 4. Interférence par hyperposition (A) Nous considérons aussi comme hyperposition des phénomènes non prototypiquement hypercorrects. Tandis que l’hyperposition A - ou hypercorrection - ne peut être expliquée que par rapport à un contexte concret de traduction, c’est-à-dire, qu’elle est interprétable conformément à l’étroite relation qui s’établit entre le texte source et le texte cible, ce rapport n’est pas aussi clair dans le cas de l’hyperposition de type B. Avec celle-ci nous nous référons aux cas de figure dans lesquels une variante asystématique ou anormale ou marquée se produit non pas à cause de l’influence directe du texte source sur le texte cible mais comme conséquence d’une influence indirecte de la langue d’origine sur celle de traduction (cf. Figure 5). Prenons comme exemple l’énoncé anglais I’m sure that I will succeed at the exam dont 94 Santiago Del Rey Quesada DOI 10.2357/ VOX-2022-004 Vox Romanica 81 (2022): 85-109 découle l’énoncé traduit en français je suis sûr que je ne vais pas échouer l’examen 12 . La variante «anormale» française - surtout du point de vue du français européen - ne s’explique pas par l’influence immédiate du texte source - dans lequel la présence de la préposition at pourrait plutôt avoir motivé la construction syntactique «normale» échouer à l’examen - mais par une influence indirecte - compréhensible dans la logique de la variation paradigmatique - de la syntaxe anglaise sur la syntaxe française - to fail an exam > échouer un examen . Tipología de la interferencia de Kabatek (1997) asimilada a la tipología de latinismos [en contexto de traducción TF latín > TM castellano] (no hay correspondencia absoluta sino que, sobre todo a partir de b), hay que adaptar las ideas recogidas en la tipología de Kabatek para aplicarlas a un contexto concreto de traducción) Hyperposition (B) Texte source Texte cible 1) interferencia positiva: tipos de interferencia con resultados directamente comprobables en los discursos producidos: ambos producen elementos positivamente presentes (p. 223). • a) INTERFERENCIA DE TRANSPOSICIÓN : transposición de elementos del sistema B a un discurso del sistema A o ej. (Kabatek): gústame el queso (gallego > español) (vs...) o ej. (mío): weil meine Mutter ist krank (español > alemán) (vs...) • a’) latinismo: en un texto de A, elemento de B, quizás existente en la zona AB (ebrius > ebrio -vs. beodo-) o quizás no (primera documentación de transmutación < transmutatio -vs. casilla vacía en la lengua-), pero en cualquier caso con muy poca presencia. El latinismo, así considerado, posee distintos grados de integración y/ o gramaticalidad en una determinada época: o (integración) vomentem sanguineos fluctus > vomitante las ondas de la sangre o (+ integración) cum venisset > como llegasse • b) INTERFERENCIA DE HIPERCORRECCIÓN : aplicación de unas reglas de conversión de elementos de B en elementos de A también en casos donde los elementos forman parte, en realidad, de la zona convergente AB o ej. (Kabatek): non gústame o queixo o ej. (yo): denn meine Mutter krank ist • b’1) hiperlatinismo: en un texto de A, elemento más típico de B (más o menos integrado en A) cuando en TF hay un elemento característico de la zona AB o (integración) qui hominum mores observat > observante las costumbres de los hombres Variante normale ou non marquée dans la langue A Variante asystématique, anormale ou marquée dans la langue B Influence indirecte Figure 5. Interférence par hyperposition (B) Le troisième type d’hyperposition (type C) est celui que nous avons décrit aussi comme hétérocaractérisation (cf. Del Rey 2020). Il survient quand une variante normale ou non marquée du texte source, qui aurait pu donner lieu, dans le texte cible, à une transposition de type A, est remplacée par une variante asystématique, anormale ou marquée, de nature différente de l’élément transposé qui aurait pu y apparaître, mais dont l’explication syntactique réside dans l’influence - indirecte, c’està-dire, non attribuable au contexte précis du fragment traduit - de la langue source sur la langue cible (cf. Figure 6). Par exemple, l’expression anglaise to contact somebody conduit fréquemment à l’anglicisme syntaxique en espagnol contactar a alguien - surtout en Amérique. C’est cependant une construction de plus en plus répandue dans l’espagnol péninsulaire, en lieu et place de la variante traditionnelle contactar con alguien . Si l’on traduisait librement la phrase I’ll contact you soon par te llamaré para atrás pronto ou te llamaré de vuelta pronto , l’on tomberait dans une hyperposition de type C, pour autant que l’on n’y trouve pas la potentielle structure transposée te contactaré pronto mais une autre construction qui, à son tour, est explicable comme influence non immédiate - dans ce contexte spécifique de traduction - de la langue anglaise sur la langue espagnole - en Amérique -, selon le schéma to call back > llamar para atrás / llamar de vuelta . 12 Il n’est pas étonnant de retrouver la litote comme mécanisme de traduction des langues romanes à différentes époques. 95 Convergence et divergence entre espagnol, italien et français DOI 10.2357/ VOX-2022-004 Vox Romanica 81 (2022): 85-109 Tipología de la interferencia de Kabatek (1997) asimilada a la tipología de latinismos [en contexto de traducción TF latín > TM castellano] (no hay correspondencia absoluta sino que, sobre todo a partir de b), hay que adaptar las ideas recogidas en la tipología de Kabatek para aplicarlas a un contexto concreto de traducción) Hyperposition (C) Texte source Texte cible 1) interferencia positiva: tipos de interferencia con resultados directamente comprobables en los discursos producidos: ambos producen elementos positivamente presentes (p. 223). • a) INTERFERENCIA DE TRANSPOSICIÓN : transposición de elementos del sistema B a un discurso del sistema A o ej. (Kabatek): gústame el queso (gallego > español) (vs...) o ej. (mío): weil meine Mutter ist krank (español > alemán) (vs...) • a’) latinismo: en un texto de A, elemento de B, quizás existente en la zona AB (ebrius > ebrio -vs. beodo-) o quizás no (primera documentación de transmutación < transmutatio -vs. casilla vacía en la lengua-), pero en cualquier caso con muy poca presencia. El latinismo, así considerado, posee distintos grados de integración y/ o gramaticalidad en una determinada época: o (integración) vomentem sanguineos fluctus > vomitante las ondas de la sangre o (+ integración) cum venisset > como llegasse • b) INTERFERENCIA DE HIPERCORRECCIÓN : aplicación de unas reglas de conversión de elementos de B en elementos de A también en casos donde los elementos forman parte, en realidad, de la zona convergente AB o ej. (Kabatek): non gústame o queixo o ej. (yo): denn meine Mutter krank ist • b’1) hiperlatinismo: en un texto de A, elemento más típico de B (más o menos integrado en A) cuando en TF hay un elemento característico de la zona AB o (integración) qui hominum mores observat > observante las costumbres de los hombres o (+ integración) diversis linguis > diversíssimos lenguajes • b’2) heterolatinismo: en un texto de A, elemento más típico de B (más o menos integrado en A) cuando en TF hay un elemento efectivamente más característico de B, pero de distinta naturaleza: o cum sit haec mors > siendo esta muerte Variante normale ou non marquée dans la langue A Variante asystématique, anormale ou marquée dans la langue B Influence indirecte Influence directe par transposition A Figure 6. Interférence par hyperposition (C) De façon moins restrictive, nous pouvons en outre parler d’hyperposition (type D) quand une variante non marquée dans le texte source produit une variante marquée dans le texte cible, étant donné qu’une traduction (plus) littérale aurait abouti, dans le texte cible, à une solution plus normale, pas ou moins marquée - éventuellement plus neutre - dans un contexte de variation paradigmatique donné (cf. Figure 7). Il est possible de constater ce phénomène dans l’exemple (14), dans lequel la subordonnée complétive avec que en espagnol et en italien est est remplacée en français par une construction d’ Accusativus cum Infinitivo , c’est-à-dire, un latinisme de syntaxe, en rendant ainsi une construction plus «marquée» d’après le paradigme de ce type de constructions subordonnées. Tipología de la interferencia de Kabatek (1997) asimilada a la tipología de latinismos [en contexto de traducción TF latín > TM castellano] (no hay correspondencia absoluta sino que, sobre todo a partir de b), hay que adaptar las ideas recogidas en la tipología de Kabatek para aplicarlas a un contexto concreto de traducción) Hyperposition (D) Texte source Texte cible 1) interferencia positiva: tipos de interferencia con resultados directamente comprobables en los discursos producidos: ambos producen elementos positivamente presentes (p. 223). • a) INTERFERENCIA DE TRANSPOSICIÓN : transposición de elementos del sistema B a un discurso del sistema A o ej. (Kabatek): gústame el queso (gallego > español) (vs...) o ej. (mío): weil meine Mutter ist krank (español > alemán) (vs...) • a’) latinismo: en un texto de A, elemento de B, quizás existente en la zona AB (ebrius > ebrio -vs. beodo-) o quizás no (primera documentación de transmutación < transmutatio -vs. casilla vacía en la lengua-), pero en cualquier caso con muy poca presencia. El latinismo, así considerado, posee distintos grados de integración y/ o gramaticalidad en una determinada época: o (integración) vomentem sanguineos fluctus > vomitante las ondas de la Variante normale ou non marquée dans la langue A Variante marquée dans la langue B Pas d’influence Figure 7. Interférence par hyperposition (D) (14) E : considero, que el Sol es muy mayor de lo que paresce ( Sol , f. 4-5, f. 97r). I : io considero, che il Sole è assai maggiore di quel, che pare ( Sole , l. 16-17, f. 1). F : ie considere, le Soleil estre trop plus grand que ce qu’il semble ( Soleil , l. 20-21, f. 626). Aussi bien la transposition que l’hyperposition représentent des phénomènes associés à l’interférence positive, c’est-à-dire, un type d’interférence dont les résultats sont visibles dans le texte cible dans la mesure où ils produisent des variantes marquées - anormales ou asystématiques, mais marquées dans tous les cas. Cela veut 96 Santiago Del Rey Quesada DOI 10.2357/ VOX-2022-004 Vox Romanica 81 (2022): 85-109 dire qu’ils attireraient notre attention même si l’on ne savait pas que ces solutions marquées étaient dues à l’influence, directe ou indirecte, d’un texte source. Néanmoins, l’influence du texte source sur le texte cible peut être expliquée quand bien même les résultats dans la langue B correspondent à des variantes non marquées. Dans ce cas l’on parle d’interférence négative. Nous distinguons deux types d’interférence négative: d’une part, le phénomène d’ identité explique que l’on trouve des variantes non marquées coïncidant dans le texte source et le texte cible (cf. Figure 8). C’est le cas de l’exemple (15), dans lequel la locution de type consécutif de manera que > di modo che , de façon que est respectée comme telle dans toutes les traductions. Figure 8. Interférence d’identité (15) E : de manera que quanto a esta parte cierto no os queda camino de porfiar ( Médicos , l. 19-21, f. 17v). I : Di modo, che quanto à questa parte non ui resta luogo alcuno, per doue possiate altercare ( Medici , l. 2-3, f. 103). F : de façon que pour ce regard il n’y a aucun lieu d’y pouuoir contredire ( Médecins , l. 22-23, f. 712). La différence , pour sa part, se réfère à l’emploi d’un élément ou d’une structure qui a une forme et/ ou une fonction divergente dans le texte cible, à plus forte raison quand la solution convergente n’aurait posé aucun problème (cf. Figure 9). Ainsi, dans l’exemple (16), l’on s’aperçoit des effets de différence dans la traduction italienne, dans laquelle la conjonction copulative espagnole y plus l’infinitif sont remplacés par une subordonnée consécutive si che + subjonctif, de même que dans la traduction française, dans laquelle la subordonnée est finale, afin que + subjonctif. 97 Convergence et divergence entre espagnol, italien et français DOI 10.2357/ VOX-2022-004 Vox Romanica 81 (2022): 85-109 Figure 9. Interférence de différence (16) E : que hara el peccador del hombre, que se ve cargado de ellos [= pecados], para subir al cielo, y no yrse para abaxo ( Sol , f. 21-24, f. 110v). I : che cosa farà il misero peccatore, il qual si uede in questa uita carico di peccati, per salir in celo, si che non uada al profondo? ( Sole , l. 35-37, f. 11). F : le miserable pecheur, lequel se void en ceste vie chargé de pechez, que fera-il pour monter au ciel, afin qu’ il n’aille en cest abisme? ( Soleil , l. 25-28, f. 637). Les quatre phénomènes considérés dans cette section sont étroitement liés, étant donné que la transposition et l’ identité représentent des phénomènes de convergence , tandis que l’ hyperposition et la différence représentent des phénomènes de divergence , bien que seulement la transposition et l’hyperposition soient reconnaissables indépendamment du texte source. Il faut préciser que nous employons de façon différente de celle de Kabatek (1977) les termes convergence et divergence , qui dans la typologie que nous proposons sont remplacés par identité et différence respectivement, étant dans notre typologie non seulement l’identité un phénomène de convergence, mais aussi la transposition, tout comme non seulement la différence est un phénomène de divergence, mais aussi l’hyperposition. 4. Quelques exemples de l’interférence linguistique dans le corpus Dans les lignes ci-après, nous nous concentrerons sur différents exemples permettant d’examiner les différentes attitudes qu’adoptent les traducteurs par rapport aux relations de convergence et de divergence, cela en considérant plusieurs niveaux d’analyse linguistique, bien que les limites de cet article ne permettent pas de tous les considérer. 98 Santiago Del Rey Quesada DOI 10.2357/ VOX-2022-004 Vox Romanica 81 (2022): 85-109 4.1 Si nous examinons les phénomènes concernant la syntaxe de la phrase, il nous est possible d’y trouver des cas comme celui de l’exemple (17), dans lequel l’infinitif avec le déterminant de E et de I est remplacé dans F par un syntagme qui inclut un participe passé ( les edifices hautement esleuez ) 13 : (17) E : en esta tierra el edificar alto no cumple que se haga ( Médicos , l. 12-13, f. 6r). I : l’edificar alto non è per questa terra ( Medici , l. 10, f. 94). F : les edifices hautement esleuez , ne conuiennent point bien à ceste terre ( Médecins , l. 37-38, f. 701) 14 . Cette technique amplificatrice est également observable dans l’exemple (18), dans lequel la référence locative du texte source adopte une valeur plus verbale dans la traduction italienne, ceci étant dû à l’addition de l’infinitif arriuar . Dans la version française, le syntagme prépositionnel est transformé en une subordonnée temporelle développée à partir du double sens temporel et locatif de la préposition italienne insino : (18) E : Magallanes y sus naues no pararan hasta alla ( Sol , f. 24-3, f. 103v-104r). I : Magalanes, & le sue naui non si hauerebbeno fermato insino ad arriuar là ( Sole , l. 30-32, f. 6). F : Maghellan, & ses nauires, n’auroyent seu s’arrester, iusqu’à ce qu’elles fussent paruenues là ( Soleil , l. 10-12, f. 632). 13 Bien qu’il soit probable que les constructions de type «déterminant article + infinitif» que l’on découvre dans l’original espagnol ou dans la traduction italienne ne soient généralement pas respectées dans la traduction française, l’explication de ce changement ne repose pas sur le fait que cette structure soit, à l’époque, inconnue en français (cf. Lardon/ Thomine 2009: 209). Rien ne nous empêche donc de parler ici de différence dans le sens exposé ci-dessus (cf. §3). 14 J’apprécie beaucoup le commentaire suivant de l’évaluateur/ évaluatrice anonyme de l’article sur cet exemple: «La construction art(icle) + infinitif est très restreinte en français aujourd’hui et sans doute très peu fréquente et marquée à l’époque étudiée. Il s’agirait ici d’une convergence au sens d’emploi de la construction neutre la plus habituelle en français pour exprimer une idée donnée, au lieu d’un cas de divergence comme indiqué ici. En réalité, cet exemple suggère qu’une divergence formelle peut répondre à une convergence fonctionnelle ». En fait, la construction article + infinitif est tout aussi anormale en espagnol, bien qu’un peu plus fréquente au XVIe siècle qu’aujourd’hui. Je suis d’accord qu’il faudrait différencier les cas de a) différence normative , lorsqu’il y a une divergence formelle mais une convergence fonctionnelle qui est la plus appropriée d’un point de vue traductologique (par exemple, si on devait traduire it. cane par esp. perro , même si la variante esp. can est possible, bien que marquée, en espagnol) et b) la différence potestative , lorsque la différence entraîne un écart, généralement conscient de la part du traducteur, par rapport à la variante convergente qui aurait été non marquée et la plus appropriée du point de vue traductologique (par exemple, si le fr. fleur était traduit par esp. planta au lieu de esp. flor ). Cependant, je ne suis pas favorable à considérer le type que j’ai appelé ici différence normative comme un cas de convergence au sein de ma typologie, puisque la convergence en français dans le cas de l’exemple (17) aurait été possible, même si le résultat aurait produit une transposition . 99 Convergence et divergence entre espagnol, italien et français DOI 10.2357/ VOX-2022-004 Vox Romanica 81 (2022): 85-109 4.2 Les changements relatifs à la voix du verbe sont très significatifs, au sens que, en principe, rien dans les langues cibles n’empêche que la diathèse originale se maintienne. Le texte original se révèle le plus réticent à l’emploi de la passive périphrastique, tandis que celle-ci apparaît plus souvent dans I et dans F . Dans ce cas, la différence implique des modifications en ce qui concerne les actants de la phrase, comme nous pouvons le voir dans l’exemple (19), dans lequel l’objet du texte source devient, dans les traductions, le sujet: (19) E : lo adoraron [a Esculapio] tambien por dios ( Médicos , l. 5-6, f. 10v). I : egli fù adorato per Dio ( Medici , l. 17, f. 97). F : il fut adoré comme Dieu ( Médecins , l. 28-29, f. 705). Parfois on ne trouve la passive analytique que dans l’une des traductions, comme il est possible de l’observer dans l’exemple (20): (20) E : se defendieron los Romanos de los medicos, que nunca los vuo en Roma, ni los admitieron ( Médicos , l. 5-7, f. 12r). I : si difesero Romani da’ Medici, che mai non hebbero luogo in Roma, ne furono ammessi ( Medici , l. 21-23, f. 98). F : Les Romains se passerent de medecins […], & ne les voulurent receuoir aucunement ( Médecins , l. 41-2, f. 706-707). Il est pourtant plus fréquent que seul le traducteur français se serve de la périphrase, comme dans l’exemple (21), dans lequel le sujet du texte espagnol et du texte italien devient complément d’agent chez F : (21) E : segun leemos que lo hizieron Erophilo y Erasistrato ( Médicos , l. 3-4, f. 21r). I : si come leggiamo, che fecero Erofilo, & Erasistrato ( Medici , l. 12-13, f. 105). F : ainsi qu’ il a esté prattiqué autresfois, par Philus, & Erasistratus ( Médecins , l. 11-12, f. 715). 4.3 Dans les textes traduits, l’explicitation a été postulée comme étant l’un des universels de traduction les plus vraisemblables 15 . À cet égard, les textes traduits partagent une tendance à rendre les rapports entre les éléments du discours plus évidents dans la langue cible. Cela pourrait expliquer le développement d’une structure syntaxique dans la traduction de F dans l’exemple (22), dans lequel l’interprète, en récupérant des éléments du contexte énonciatif précédent, substitue les unités pronominales anaphoriques ( ello - ciò respectivement) de E et de I : 15 Initialement énoncée par Blum-Kulka (1986), cette prétendue loi a connu un grand succès particulièrement dans le domaine des Corpus-based Translation Studies (cf. Del Rey 2015c). 100 Santiago Del Rey Quesada DOI 10.2357/ VOX-2022-004 Vox Romanica 81 (2022): 85-109 (22) E : Uerdaderamente essa es cierta razon y natural, y aunque yo auia mirado en ello , no tan particularmente como agora ( Médicos , l. 16-19, f. 7r). I : Certo questo, che uoi dite è cosi, & è uera ragion naturale, &, benche io hauessi riguardato in ciò , pur non haueuo considerato sì particolarmente ( Medici , l. 38-2, f. 94-95). F : Vostre dire est certes veritable, & est fondé sur vne raison naturelle. Et combien que ie ne doutasse point que c’estoit la cause pourquoy les maisons auoyent si peu d’estages , toutesfois ie n’y auois pas prins garde de si pres ( Médecins , l. 28-32, f. 702). De manière similaire, la solution de I et de F dans l’exemple (23) représente une stratégie divergente d’explicitation, ceci étant dû au fait que le recours au pronom n’a pas de continuité dans les versions italiennes et françaises, qui prennent le parti d’établir une relation de synonymie avec le référent, tendant vers une autre possibilité prototypique de la cohésion textuelle: (23) E : ya podria ser que el mal fuesse tal, que me sacasse de juyzio, y hiziesse esso, pero en tanto que yo este con el , no ayays miedo que lo haga ( Médicos , l. 11-15, f. 9v). I : Potrebbe essere, che’l mal fosse tale, che mi togliesse l’inteletto, & mi facesse far ciò; ma io, mentre mi ritrouerò col mio giudicio , non ui dubitate di ciò ( Medici , l. 29-31, f. 96). F : Il se pourroit faire, que le mal fust si vehement, qu’il m’osteroit l’entendement, & me les feroit appeller. Mais n’ayez peur de cela, tant que Dieu me laissera à mon bon sens ( Médecins , l. 35-38, f. 704). Dans le Colloque des médecins , la médecine est évidemment la matière principale. Alors que le texte original s’appuie très souvent sur des relations anaphoriques pronominales pour faire allusion au thème du dialogue, les traductions utilisent à plusieurs reprises les formes nominales, comme il est possible de remarquer dans les exemples (24) et (25), même si, dans ce dernier, le traducteur de F est le seul ayant substitué le déterminant possessif sus/ loro - en référence aux médecins préalablement mentionnés: (24) E : fue el primero que escriuio preceptos de ella ( Médicos , l. 3-4, f. 12r). I : fù il primo, che scrisse i precetti di medicina ( Medici , l. 20-21, f. 98). F : fut le premier qui mit par escrit la medecine ( Médecins , l. 40, f. 706). (25) E : y los moços que mueren en sus manos en las Ciudades y cortes ( Médicos , l. 13-15, f. 13v). I : & i giouani, che morirono nelle loro mani nelle città, & nelle corti ( Medici , l. 31-32, f. 99). F : des ieunes hommes qu’on voit ordinairement nourrir [ sic ] aux cours des grands, & aux villes, entre les mains des Medecins ( Médecins , l. 15-17, f. 708). 101 Convergence et divergence entre espagnol, italien et français DOI 10.2357/ VOX-2022-004 Vox Romanica 81 (2022): 85-109 Il n’est pourtant pas impossible que certaines traductions soient moins explicites que le texte source. L’exemple (26) permet d’illustrer cette situation exceptionnelle: le syntagme qui inclut la forme lexicale pleine est rendu par le pronom partitif en dans la traduction de F : (26) E : nuestros auctores y letras humanas, no hazen menos caso de la medicina ( Médicos , l. 19-21, f. 10r). I : i nostri autori, & humane lettere, non manco conto fanno della medicina ( Medici , l. 10-11, f. 97). F : les professeurs des lettres humaines, en font grand estat ( Médecins , l. 22-23, f. 705). 4.4 En ce qui concerne les mécanismes argumentatifs, très importants lors de la recréation de la conversation dans l’écriture du dialogue, nous observons également des divergences substantielles entre le texte source et le texte cible. L’élimination d’opérateurs épistémiques - comme celle qu’il est possible de repérer dans l’exemple (27) ( por cierto que ) - ainsi que l’addition - comme nous pouvons le constater dans l’exemple (28) avec les épistémiques senza dubbio et certainement - interviennent fréquemment: (27) E : G. No paresce sino que nos espiamos el vno al otro, segun salimos a vn tiempo. B. Por cierto que teneys razon ( Médicos , l. 3-6, f. 5r). I : C. Certo pare, che ne faceuamo la spia l’uno all’altro, secondo che tutti dua siamo usciti à un tempo. F . Voi dite il uero ( Medici , l. 6-8, f. 93). F : C. Il semble veritablement que nous soyons tous deux en sentinelle l’vn contre l’autre, veu que tous deux sommes sortis en vn instant de nos maisons. F . Vous dites vray ( Médecins , l. 11-15, f. 700). (28) E : estos caualleros deuian de venir sobre hecho pensado ( Médicos , l. 5-7, f. 16r). I : Senza dubbio questi gentilihuomini deueuano uenire pensatamente ( Medici , l. 24-25, f. 101). F : Certainement ces gentils-hommes estoyent preparez pour venir discourir de ceste matiere ( Médecins , l. 31-32, f. 710). 4.5 La pratique de l’addition se retrouve dans de nombreuses stratégies d’emphase qui révèlent des tendances divergentes dans les traductions. C’est le cas de la présence des adverbes d’intensification sommamente et grandement dans l’exemple (29), ou le recours à la focalisation d’unités concrètes dans la structure syntaxique grâce à l’emploi de phrases clivées 16 comme celles que l’on trouve dans les exemples (30) et (31), uniquement utilisées par l’interprète français, qui semble particulièrement enclin à ce procédé: 16 Sur l’origine et le développement de ces structures, cf. Dufter (2008). 102 Santiago Del Rey Quesada DOI 10.2357/ VOX-2022-004 Vox Romanica 81 (2022): 85-109 (29) E : [el medico] sera alabado en presencia delos grandes y reyes ( Médicos , l. 17-19, f. 10r). I : [il Medico] sarà lodato sommamente da’ Prencipi, & da’ Re ( Medici , l. 9-10, f. 97). F : [le medecin] sera grandement loué des Roys & Princes ( Médecins , l. 21, f. 705). (30) E : Porque [los hombres que tuuieron por Dioses] descubrieron las virtudes y propiedades de las yeruas ( Médicos , l. 15-16, f. 11v). I : Percioche essi scoprirono le uirtù, & le proprietà delle pante ( Medici , l. 14-15, f. 98). F : Car ce furent eux qui descouurirent les vertus & proprietez des herbes ( Médecins , l. 32-33, f. 706). (31) E : El amor y caridad curaua, no la cubdicia y ponçoñas ( Médicos , l. 13-15, f. 12r). I : L’amore, & la carità medicaua, non mica l’ambitione, & i ueleni ( Medici , l. 2-3, f. 99). F : C’estoit l’amour & la charité, qui medicinoit, non l’ambition ny les poisons ( Médecins , l. 21-22, f. 707). 4.6 Les tensions existantes entre les solutions convergentes et divergentes sont flagrantes dans l’exemple (32). Dans ce cas, le texte espagnol aussi bien que l’italien emploient deux accusativi cum infinitivo . Cela montre la solution d’identité pour laquelle a opté Alfonso de Ulloa. De son côté, le traducteur français emploie une subordonnée complétive pour traduire le premier infinitif mais il respecte, peut-être par négligence, la construction latinisante dans le deuxième cas: (32) E : Muchas vezes acontesce assi mouerse a vna cosa la voluntad de dos hombres , estando en diuersos lugares, y aun acordarse el vno del otro a vn mismo tiempo ( Médicos , l. 14-18, f. 5r). I : Spesse uolte accade, mouersi à una cosa stessa la uolontà de gli huomini , essendo in diuersi luoghi, & ancora ricordarsi l’uno dall’altro in un medesimo tempo ( Medici , l. 14-16, f. 93). F : Il se rencontre bien souuent, que les hommes estans esloignez l’vn de l’autre sont poussez en vn mesme temps à vouloir & desirer vne mesme chose, & auoir souuenance l’vn de l’autre ( Médecins , l. 21-2, f. 700-701). 5. Forme et fonction entre la convergence et la divergence Avant de conclure ce parcours, nous tenons à faire remarquer que les concepts de convergence et de divergence ne sont pas monovalents. Il est possible de distinguer différents types de convergences et de divergences selon que l’on prête attention à la forme ou à la fonction des éléments impliqués (cf. Figure 10). Naturellement, la convergence formelle n’est possible que lorsqu’il existe dans la langue B des unités 103 Convergence et divergence entre espagnol, italien et français DOI 10.2357/ VOX-2022-004 Vox Romanica 81 (2022): 85-109 paronymiques ayant un rapport avec les unités employées dans la langue A, ou au moins un lien étymologique. Convergence de forme Convergence de fonction Divergence de forme Divergence de fonction Option A - + + - Option B + + - - Option C - - + + Option D + - - + Figure 10. Différentes options de convergence et divergence par rapport à la forme et à la fonction des éléments impliqués Il est par exemple possible qu’une traduction révèle une solution convergente par rapport à la fonction mais dont la forme est divergente (option A dans la Figure 10), comme nous pouvons le voir dans l’exemple (33), dans lequel les trois formules conversationnelles 17 partagent la même fonction pragmatique, alors même que le texte source l’exprime par le moyen d’une forme différente: (33) E : Teneys razon , pues que fue esso ( Sol , f. 8-9, f. 110v). I : Voi dite il uero ; ma, che cosa fu questa? ( Sole , l. 29, f. 11). F : Vous dites vrai , mais quelle chose fut cela? ( Soleil , l. 18-19, f. 637). La convergence de forme et de fonction (option B dans la Figure 10) est l’expression la plus évidente de la littéralité traductrice. Le groupe paratactique (cf. §2) de l’exemple (34), respecté dans les deux versions, est un parfait exemple de ce cas de figure: (34) E : esta excelencia y preheminencia ( Sol , f. 7-8, f. 103v). I : questa eccellenza, & preminenza ( Sole , l. 20, f. 6). F : ceste excellence & preeminence ( Soleil , l. 39-40, f. 631). Les solutions divergentes les plus prototypiques sont celles dans lesquelles l’on perçoit des différences concernant aussi bien la forme que la fonction (option C dans la Figure 10). Cela arrive dans l’exemple (35), dans lequel la relation de juxtaposition du texte source est transformée en une construction de gérondif absolu dans le texte 17 Ces types de formules conversationnelles représentent une des caractéristiques les plus notables du discours dialogique de la Renaissance (cf. Del Rey 2016b). 104 Santiago Del Rey Quesada DOI 10.2357/ VOX-2022-004 Vox Romanica 81 (2022): 85-109 en italien ( insegnando ogn’uno al uicino ), alors que la connexion entre les deux structures syntaxiques est réalisée dans F par le biais du connecteur causal-explicatif car : (35) E : Pero no la tiranizaua ninguno [la medicina] , cada vno dezia a su vezino lo que sabia y auia esperimentado ( Médicos , l. 11-13, f. 12v). I : Ma non la tiranizaua nissuno, insegnando ogn’uno al uicino quel, ch’egli sepeua, & haueua esperimentato ( Medici , l. 38-2, f. 98-99). F : Mais tout cela se faisoit sans aucune tyrannie: car les medecins enseignoyent & ordonnoyent à leurs voisins, ce qu’ils sçauoyent leur estre bon, & qu’ils auoyent experimenté ( Médecins , l. 17-20, f. 707). Il s’avère plus compliqué de trouver des exemples qui démontrent de manière simultanée une convergence de forme et une divergence de fonction (option D dans la Figure 10). On ne peut attribuer cette contingence que partiellement à la traduction française de l’exemple (36): la forme radicale des lexèmes est la même, mais la fonction, rendue grâce à la combinaison des mots impliqués, diffère de celle du groupe paratactique d’origine dans F . Dans tous les cas, la convergence de forme, en ce qui concerne le deuxième élément, n’est pas absolue si l’on compare le texte espagnol et le texte italien avec le texte français: (36) E : la intemperancia y desorden ( Médicos , l. 17-18, f. 13v). I : la intemperanza, & il disordine ( Medici , l. 34, f. 99). F : l’intemperance desordonnee ( Médecins , l. 20, f. 708). 6. Conclusions Dans ce travail, nous avons tenu compte de différents aspects linguistiques qui concernent le genre dialogique de la Renaissance en Europe. Nous nous sommes concentrés sur les phénomènes syntaxiques et discursifs qui dans les traductions constituent des changements significatifs par rapport au texte source. Les exemples choisis pour illustrer la description linguistique sont extraits d’un corpus constitué par les Colloquios de Pedro Mexía et leurs traductions à l’italien et au français. Nous avons discuté (§2) de la possibilité de l’existence de deux traducteurs pour le texte français et avons pu confirmer son modèle italien. Une des contributions les plus importantes de cet article est la proposition d’une typologie de l’interférence linguistique (§3) qui envisage différents types de transpositions et d’hyperpositions ainsi que des phénomènes liés à la dynamique de l’identité et de la différence. À la lumière de cette classification, provisoire et non exhaustive, nous avons analysé différentes solutions (§4) en ce qui concerne les rapports syntaxiques entre texte source et texte 105 Convergence et divergence entre espagnol, italien et français DOI 10.2357/ VOX-2022-004 Vox Romanica 81 (2022): 85-109 cible dans le corpus et, finalement (§5), nous avons fait allusion au rôle différencié de la convergence et de la divergence selon que l’on rende compte des correspondances formelles ou fonctionnelles. En guise de conclusion, il convient de souligner que la traduction se révèle être un contexte idéal pour l’étude de l’interférence négative (cf. §3), un type d’interférence difficile à percevoir dans des situations prototypiques d’échange linguistique. Ce concept nous a aidé à expliquer les variantes non marquées dans le texte cible par rapport au texte source, dont l’influence ex negativo possède une importance capitale dans la composition du texte traduit. Même si nous n’avons pas pu offrir d’indications quantitatives, nous avons constaté que les solutions divergentes sont plus fréquentes chez le traducteur (ou les traducteurs) de F que dans la traduction en italien. Ce constat n’est probablement pas sans lien avec le fait que le traducteur du texte italien était d’origine espagnole. En outre, l’on pourrait se demander dans quelle mesure les phénomènes de divergence sont responsables de l’absence de littéralité d’une traduction 18 . Les limites de cet article ne nous permettent pas d’aborder le problème de la littéralité, fondamental par rapport à la considération des relations de l’interférence positive et négative entre texte source et texte cible, et dont les implications sont très différentes selon que l’on rend compte de la traduction verticale ou horizontale. Nous espérons que l’étude consacrée ici à cette dernière contribuera à susciter de l’intérêt pour un sujet qui n’a pas encore livré tous ses secrets et mérite encore toute notre attention. Bibliographie Corpus E = Coloquios o Dialogos nuevamente compuestos por el magnifico cavallero Pero Mexia , Sevilla, Domenico De Robertis, 1547. URL: https: / / opacplus.bsb-muenchen.de [27.07.21] I = Dialoghi di Pietro Messia , trad. Alfonso de Ulloa, Venezia, Plinio Pietrasanta, 1557. URL: https: / / books.google.es [27.07.2021] F = Les diverses leçons de Pierre Messie… Avec sept dialogues de l’autheur, dont les quatre derniers on esté de nouveau traduicts , trad. Marie de Coste-Blanche - Claude Gruget? , Lyon, Thomas Soubron, 1592. URL: http: / / memoirevive.besancon.fr [27.07.20021] 18 À ce propos, il devrait être précisé qu’une traduction qui n’est pas excessivement littérale du point de vue syntaxique n’implique pas qu’elle ne soit pas littérale si on la considère de manière globale (cf. Del Rey 2016a). 106 Santiago Del Rey Quesada DOI 10.2357/ VOX-2022-004 Vox Romanica 81 (2022): 85-109 Études B ierlaire , F. 1978: Les Colloques d’Érasme: réforme des études, réforme des mœurs et réforme de l’Église au XVI e siècle , Paris, Les Belles Lettres. B luM -k ulka , S. 1986: «Shifts of cohesion and coherence in translation», in: J. h ouse / s. B luM k ulka (ed.), Interlingual and Intercultural Communication , Tübingen, Narr: 17-35. B oBes n aves , M. C. 1992: El diálogo. Estudio pragmático, lingüístico y literario , Madrid, Gredos. B uridant , C. 1980: «Les binômes synonymiques. Esquisse d’une histoire des couples de synonymes du Moyen Âge au XVII e siècle», Bulletin du Centre d’Analyse du discours 4: 5-76. B urke , P. 1993: The Art of Conversation , Ithaca (NY), Cornell University Press. B ustos t ovar , J. J. 2007: «La textualización del diálogo en textos españoles de principios del Renacimiento», Rivista di Filologia e Letterature Ispaniche 10: 201-22. c astro d íaz , A. 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The translation of Pedro Mexía’s (16th century) Abstract: The work of a Spanish author who enjoyed great editorial success in the Europe of his time, Pedro Mexía, is analysed in this paper. His Dialogues or Colloquia (1547), together with his Silva de varia lección (1540), became a bestseller at the time. This is proved by the numerous reprints of these Dialogues made throughout the 16th and 17th centuries as well as the translations, also often reprinted, which appeared in English, Flemish, Italian and French. The aim of this study is to determine how the movements of positive and negative interference leading to solutions of convergence and divergence in the translations are reflected in the target text, with the purpose of measuring the true scope of literality and reformulation in each translator. Prior to the analysis of concrete examples, a typology of phenomena is proposed to explain the different possibilities of interference in the target texts. Keywords: Dialogue, Translation, Romance languages, Interference, Convergence, Divergence, 16th century. Convergence and divergence between Spanish, Italian and French. 109