eJournals Vox Romanica 81/1

Vox Romanica
vox
0042-899X
2941-0916
Francke Verlag Tübingen
10.2357/VOX-2022-014
Es handelt sich um einen Open-Access-Artikel, der unter den Bedingungen der Lizenz CC by 4.0 veröffentlicht wurde.http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/121
2022
811 Kristol De Stefani

Lino Leonardi/Richard Trachsler (ed.), Il ciclo di Guiron le Courtois, romanzi in prosa del secolo XIII, Firenze (Edizioni del Galluzzo): I. Luca Cadioli/Sophie Lecomte (ed.), Roman de Meliadus, parte prima, 2021, XVI + 576 p. (Archivio romanzo 41); II. Sophie Lecomte (ed.), Roman de Meliadus, parte seconda, 2021, XVI + 759 p. (Archivio romanzo 42); III. Claudio Lagomarsini (ed.) Roman de Guiron, parte prima, 2020, XVI + 897 p. (Archivio romanzo 38); IV. Elena Stefanelli (ed.), Roman de Guiron, parte seconda, 2020, XVI + 920 p. (Archivio romanzo 39); V. Marco Veneziale (ed.), Continuazione del Roman de Guiron, 2020, XVI + 530 p. (Archivio romanzo 40)

121
2022
Luca Barbieri
vox8110248
248 Vox Romanica 81 (2022): 248-255 DOI 10.2357/ VOX-2022-014 Besprechungen - Comptes rendus les sources: «veiller à toujours poser, dans la mesure du possible, les questions auxquelles l’œuvre répondait de son temps, avant celles que nous lui posons aujourd’hui» (1987: 24). Elle s’observe le plus facilement dans les articles lexicographiques qui brillent par leur précision mais demeure peut-être encore plus méritoire lorsqu’elle accompagne les hypothèses littéraires en leur offrant une assise sûre, loin des travers hermétiques qu’il est parfois possible de leur trouver. On y trouve aussi le besoin constant de diriger la philologie vers des problématiques nouvelles, faisant de l’adjectif ancillaire un réel compliment. Ceux qui lisent ces textes savent le temps qu’elle demande et, paradoxalement, le peu d’espace qu’elle prend lors de la publication des résultats; et si personne ne prend le nombre pour la qualité, il est tout de même important d’avoir à l’esprit ce que nécessite et ce qu’implique le travail d’un philologue. S’il fallait dessiner la plus importante ligne de force, ce serait bien évidemment celle d’une particulière attention aux textes, dirigée non seulement pour elle-même mais aussi se réfractant dans d’autres domaines, suivant en cela les préceptes auxquels ne renonça jamais Gilles Eckard. Si le rayonnement peut paraître parfois lointain, il provient toutefois toujours du même foyer. Attention aux textes. Remarque futile pourrait-on dire, tant il s’agit du premier fondement de la philologie. Mais il est agréable de rencontrer ici cette évidence non pas énoncée sous le statut d’évidence mais présente au long cours, non pas celle que l’on place dans des propos liminaires et qu’on oublie par la suite. Elle est là , fastidieuse parfois, exigeante toujours, jamais évacuée. Sans avoir eu le plaisir de connaître Gilles Eckard, nous pouvons supposer qu’il tenait maison propre, qu’il n’y avait pas de poussière sous ses tapis et que l’on ne glissait rien dessous. Et ce n’est pas le plus mince compliment que l’on puisse lui faire, ni à ses disciples, collègues et amis. Pierre Vermander (Université Sorbonne Nouvelle - Paris 3) https: / / orcid.org/ 0000-0002-2422-432X ★ l ino l EonarDi / r iCharD t raChslEr (ed.), Il ciclo di Guiron le Courtois, romanzi in prosa del secolo XIII , Firenze (Edizioni del Galluzzo): I. l uCa C aDioli / s ophiE l EComtE (ed.), Roman de Meliadus, parte prima , 2021, XVI + 576 p. ( Archivio romanzo 41); II. s ophiE l EComtE (ed.), Roman de Meliadus, parte seconda , 2021, XVI + 759 p. ( Archivio romanzo 42); III. C lauDio l agomarsini (ed.) Roman de Guiron, parte prima , 2020, XVI + 897 p. ( Archivio romanzo 38); IV. E lEna s tEfanElli (ed.), Roman de Guiron, parte seconda , 2020, XVI + 920 p. ( Archivio romanzo 39); V. m arCo v EnEzialE (ed.), Continuazione del Roman de Guiron , 2020, XVI + 530 p. ( Archivio romanzo 40). Guiron le Courtois est le titre qui a été attribué à un cycle arthurien en prose publié sous forme d’édition critique moderne pour la première fois dans son intégralité grâce à l’effort d’une équipe de jeunes chercheurs et chercheuses dirigée par Lino Leonardi et Richard Trachsler. Le cycle est constitué de trois romans principaux ( Meliadus , Roman de Guiron et Suite Guiron ) 249 Vox Romanica 81 (2022): 248-255 DOI 10.2357/ VOX-2022-014 Besprechungen - Comptes rendus liés par des textes de raccordement et par un cadre narratif. Les recherches des éditeurs ont mené à la conclusion que les trois romans ont été composés de manière autonome et indépendante dans le même laps temporel (1235-1240) sur les ailes du succès du Lancelot-Graal et du Tristan en prose , même si l’unité du cycle est évidente dans la tradition manuscrite et la réorganisation cyclique a dû être rapide, suivant de peu la date de composition des trois romans. Le cycle de Guiron le Courtois a joui d’une fortune remarquable en France et aussi, de manière très précoce, en Italie, où il compte parmi les sources principales des grands poèmes chevaleresques en vers de Boiardo et Ariosto (XV e -XVI e siècles). Si les liens de ces romans avec les narrations cycliques précédentes sont évidents (les trois semblent connaître également la suite post-vulgate du Roman de Merlin ), il est plus difficile de déterminer l’ordre de leur composition. Les trois romans partagent en tout cas la même idée de fond: mettre en scène les ancêtres des chevaliers de la Table Ronde en réalisant ainsi une opération généalogique qui permet une confrontation générationnelle rétrospective. Le cycle de Guiron le Courtois se distingue d’ailleurs des cycles arthuriens précédents par son caractère plus laïc et moins choral: le philtre allégorique chrétien n’est pas appliqué et la préférence est accordée à l’errance chevaleresque individuelle, qui se développe souvent à travers des histoires parallèles ou enchâssées. Au vu de la complexité et de l’extension des textes en question, il n’est pas inutile de rappeler de manière synthétique le contenu des deux romans principaux déjà publiés (la Suite Guiron sera publiée prochainement), avant de nous concentrer sur la manière dont l’équipe éditoriale a traité la question de la tradition manuscrite, de la structure du cycle et de la méthode d’édition. Le Meliadus (vol. I et II) se concentre essentiellement sur l’histoire du père de Tristan, selon la perspective typiquement médiévale qui fait en sorte que le fils célèbre «génère» son père. En effet, la confrontation créative avec l’histoire de Tristan est évidente et constante, ainsi que les analogies avec les textes les plus anciens de la matière arthurienne. La narration s’avère complémentaire à celle du Tristan en prose , qui est probablement la source principale du roman, et contribue à reconstruire la généalogie des héros arthuriens. Le nom du protagoniste est révélé tardivement et le héros se présente d’abord comme un personnage ingénu, maladroit et lâche (il s’agit évidemment d’un clin d’œil, l’un à la figure de Lancelot dans le Chevalier de la Charrette , l’autre à la figure de Perceval dans le Conte du Graal ) et ensuite sa personnalité se complexifie progressivement avec des détails parfois contradictoires. L’auteur recourt largement à la technique narrative de l’enchâssement, mais les contes secondaires diminuent au fur et à mesure que le roman se concentre sur la figure de Méliadus. La matière du roman tourne principalement autour de deux guerres auxquelles le protagoniste participe, l’une aux côtés d’Arthur et l’autre contre lui. Le récit original était probablement inachevé et s’interrompait au milieu de la guerre contre Arthur. Le Roman de Guiron pré-cyclique (vol. IV et V), par contre, était probablement privé du commencement. Il raconte les événements qui suivent ceux de la Suite Merlin , pendant les premiers temps du règne d’Arthur, après la mort de Merlin. Le protagoniste est un chevalier dont on n’a pas de traces dans les autres romans arthuriens du XIII e siècle, qui revient sur la 250 Vox Romanica 81 (2022): 248-255 DOI 10.2357/ VOX-2022-014 Besprechungen - Comptes rendus scène après un long emprisonnement, flanqué de son fidèle compagnon d’armes Danain le Roux. La première moitié du roman combine plusieurs lignes narratives et l’auteur se sert abondamment de la technique de l’entrelacement, avec une succession d’histoires spéculaires et de reconstructions rétrospectives qui, tout comme dans le Meliadus , remplissent également une fonction généalogique. La deuxième partie développe deux lignes parallèles qui suivent les personnages de Guiron et de Danain, désormais séparés et rivaux en amour, à partir desquelles se développent plusieurs ramifications. La narration est rendue encore plus complexe par les probables lacunes de l’original, qui génèrent des divergences rédactionnelles aboutissant à un effilochage du récit dans son dénouement et à une impasse due à l’emprisonnement simultané des protagonistes. L’auteur privilégie en tout cas une lecture grotesque du monde arthurien, caractérisée par la prolixité des dialogues et par des jeux métalinguistiques ironiques ou sarcastiques. La continuation du Roman de Guiron (vol. VI), conçue probablement en raison de la nécessité de sortir de l’impasse sur laquelle se terminait le roman, est ce qui reste d’un projet inachevé qui devait se poursuivre jusqu’à la mort d’Arthur. Le protagoniste principal est le jeune Arthur qui, tout au long du cycle, est représenté comme un roi dysfonctionnel, comme c’est le cas dans de nombreux textes de la matière bretonne. Le récit développe une ligne narrative principale sur laquelle se greffent des histoires secondaires, tandis que dans la deuxième partie le montage donne plus de place au personnage de Guiron. Dans la tradition manuscrite, la continuation s’interrompt sur la rencontre entre Arthur et Guiron, avec plusieurs références au roman précédent. L’un des mérites principaux de cette édition est sans doute l’importance attribuée à l’étude et à la rationalisation de la tradition manuscrite du cycle. L’examen des témoins, fondé sur la méthode lachmannienne classique des fautes communes renouvelée par une nouvelle méthodologie qui permet de définir de manière inédite les variantes substantielles et les variantes formelles, s’avère utile et fonctionnel de plusieurs points de vue. Tout d’abord, la disposition hiérarchique de la tradition manuscrite permet d’ordonner les diverses variantes rédactionnelles, les ajouts, les suppressions et les développements particuliers ainsi que d’attribuer la bonne place à la composition du cadre narratif et des raccordements, de manière à reconstruire la forme originaire pré-cyclique des textes, ainsi que les étapes successives de la construction du cycle. De ce travail ressort en effet une hypothèse claire sur la généalogie générale de la tradition et sur les phénomènes principaux de la transmission du texte tout au long de l’arc chronologique couvert. Ensuite, l’analyse minutieuse de la tradition manuscrite permet de reconstruire la fortune et la diffusion des textes et de la situer dans un cadre géochronologique précis, non seulement à travers les variantes textuelles et structurelles, mais également grâce à l’analyse linguistique. Finalement, la possibilité de vérifier la dynamique textuelle à travers la construction de stemmata codicum solides et cohérents permet d’adopter une méthode prudemment reconstructive qui, dans le cadre d’une situation très complexe et enchevêtrée, garantit une meilleure approximation de la version originale par rapport au choix d’un manuscrit de base. Pour cette raison, les éditeurs ont proposé la définition de «manuscrit de surface» pour indiquer 251 Vox Romanica 81 (2022): 248-255 DOI 10.2357/ VOX-2022-014 Besprechungen - Comptes rendus les témoins qui constituent le point de départ de l’édition des textes, mais uniquement pour ce qui concerne les phénomènes graphiques, linguistiques et formels du texte. Contrairement à la pratique du «manuscrit de base», au «manuscrit de surface» n’est donc reconnue aucune autorité spécifique en cas de variantes adiaphores, et le choix des leçons est toujours guidé, dans les limites du possible, par le critère de la majorité stemmatique. C’est dans ce cadre que la redéfinition des variantes substantielles et formelles acquiert une importance particulière. Notamment, la dichotomie classique entre faute évidente et variante adiaphore est enrichie d’une nouvelle réflexion sur les caractéristiques qui permettent de distinguer les variantes monogénétiques des variantes polygénétiques. Une telle distinction se révèle particulièrement importante dans une tradition aussi complexe du point de vue géographique et chronologique. D’un point de vue méthodologique et théorique, l’édition du cycle de Guiron le Courtois a été précédée par les études de Nicola Morato 1 et d’un volume de prolégomènes 2 et a pu profiter de l’importante mise au point de Roger Lathuillère 3 qui a analysé la structure du cycle et identifié les unités narratives. L’analyse philologique a finalement permis de reconstruire l’évolution du texte du cycle et de remonter à l’existence de trois noyaux autonomes et indépendants qui précèdent l’organisation cyclique. Pour cette raison, les éditeurs ont adopté une attitude prudente qui privilégie les caractéristiques différentes de la tradition de chaque texte en renonçant à l’abstraction théorique d’une unité textuelle et linguistique forcée qui ne se justifie pas du point de vue stemmatique et qui impliquerait de renoncer à présenter la phase la plus ancienne de la tradition pour privilégier la version cyclique secondaire. Cette dernière attitude s’était en effet imposée à partir de l’étude de Lathuillère fondée sur l’autorité du Ms. B.N.f.fr. 350, qui avait l’avantage de présenter une version à peu près complète du cycle et se distinguait par sa graphie de la France du Nord et par sa relative ancienneté. Les études de Nicola Morato ont toutefois démontré que le Ms. 350 est en réalité un témoin corrompu, composite et contaminé, qui pour cette raison ne peut pas être considéré un manuscrit de base idéal. L’édition du texte se fonde donc sur la stratigraphie structurelle établie grâce aux études préliminaires et privilégie les trois versions pré-cycliques, sans toutefois renoncer à éditer les textes alternatifs des diverses rédactions ainsi que le cadre narratif et les textes de transition d’un roman à l’autre, qui sont publiés en appendice ou dans des volumes à part (le volume III, qui n’a pas encore été publié, contiendra le texte du Raccordement cyclique et celui de la continuation cyclique du Meliadus ; le volume VI qui a déjà été publié propose le texte de la continuation cyclique du Roman de Guiron ). Pour revenir au détail de la structure de chaque texte, la tradition du Meliadus propose deux rédactions différentes: la première plus courte, mutilée de la partie finale et raccordée au 1 m orato , N. 2010: Il ciclo di ‘Guiron le Courtois’. Strutture e testi nella tradizione manoscritta , Firenze, Edizioni del Galluzzo. 2 C aDioli , L./ l EComtE , S. (ed.) 2018: Le cycle de ‘Guiron le Courtois’. Prolégomènes à l’édition intégrale du corpus , sous la direction de L. l EonarDi / R. t raChslEr , Paris, Classiques Garnier. 3 l athuillèrE , R. 1966: Guiron le Courtois. Étude de la tradition manuscrite et analyse critique , Genève, Droz. 252 Vox Romanica 81 (2022): 248-255 DOI 10.2357/ VOX-2022-014 Besprechungen - Comptes rendus Roman de Guiron par une longue transition; la deuxième longue qui conserve à la fin une partie du raccordement, mais correspond probablement à la version pré-cyclique qui est également celle qui a joui d’une fortune plus importante. Le texte, étant inachevé dès son origine, a produit de nombreuses tentatives d’achèvement comme en témoigne la tradition manuscrite. L’interruption du texte original devait intervenir vers la fin de la guerre de Méliadus contre le roi Arthur. Pour cette raison, la rédaction courte donne une version extrêmement abrégée de la guerre et passe rapidement aux aventures du personnage de Guiron. La tradition du Meliadus est constituée de seize manuscrits français et italiens qui forment un stemma à deux branches. Les manuscrits italiens, qui sont regroupés dans la première branche, proposent la version longue et semblent conserver l’état textuel le plus proche de l’original. L’un de ces manuscrits (Londres, British Library, Additional 12228) a été donc choisi comme «manuscrit de surface». Dans le cas du Roman de Guiron , la situation est encore plus complexe. Les deux parties du roman ont deux traditions différentes, probablement à cause du fait que, dès son origine, le roman a été transcrit en deux volumes. La première partie compte neuf manuscrits, quatre fragments et la première édition imprimée, mais seuls deux témoins sont complets et il n’y a pratiquement pas de manuscrits italiens. La deuxième partie, par contre, compte quinze manuscrits et trois fragments, et l’édition imprimée, y compris trois manuscrits italiens qui ne conservent pas la première partie. La situation particulière de la tradition a poussé les éditeurs à choisir deux manuscrits de surface différents pour les deux parties, toujours à l’intérieur de la branche considérée comme la plus conservatrice: le manuscrit français de Privas, Archives départementales de l’Ardèche, F.7 pour la première partie et le manuscrit italien de Londres, British Library, Additional 36880 pour la deuxième partie. De plus, la tradition propose deux variantes rédactionnelles à partir du § 490, et d’autres divergences de rédaction affectent la deuxième partie, probablement à cause des lacunes du texte original, ainsi que d’autres déplacements de matériel, des réécritures problématiques et des contaminations diverses. Les rédactions considérées secondaires sont reléguées en appendice par les éditeurs. À cela s’ajoute la difficulté de repérer la véritable conclusion du roman original, puisque la tradition s’arrête de manière compacte au § 1401, en englobant une partie de ce que les éditeurs appellent le cadre narratif, qui ne devait pas faire partie de la version la plus ancienne. Dans ce cas, les éditeurs ont opté pour deux choix différents: le cadre initial, c’est-à-dire le raccordement entre le Meliadus et le Roman de Guiron , sera publié dans un volume à part, tandis que le cadre final est publié avec le roman (seuls les titres courants permettent de le distinguer du reste). Il s’agit d’un choix évidemment problématique mais justifiable, compte tenu de la difficulté à établir où commence vraiment le cadre final et de l’extension très différente des deux parties du cadre. La tradition de la Continuation Guiron est par contre beaucoup plus simple, puisque le texte complet se trouve seulement dans deux manuscrits. L’un est le même manuscrit de Londres qui a été utilisé comme manuscrit de surface pour la deuxième partie du Roman de Guiron et il garantit donc dans ce cas une certaine continuité et une uniformité formelle malgré ses nombreuses lacunes, qui sont comblées grâce au témoignage de l’autre manuscrit complet X 253 Vox Romanica 81 (2022): 248-255 DOI 10.2357/ VOX-2022-014 Besprechungen - Comptes rendus (collection privée, ancien Alexandrine de Rothschild). Les autres témoins sont fragmentaires ou conservent seulement une partie du texte. Les éditeurs ont par contre décidé de ne pas publier le court épilogue franco-italien qui se trouve à la fin du Ms. X. Les volumes sont très soignés et riches d’informations utiles. Chaque édition est précédée par une introduction qui contient une analyse littéraire, une étude de la tradition manuscrite, un examen linguistique des manuscrits de surface, un résumé du texte et une table de concordances avec les unités narratives établies par Lathuillère. L’apparat critique est complet sans être hypertrophique, puisque les éditeurs ont choisi de donner seulement les variantes des manuscrits principaux de chaque branche. Les commentaires sont assez succincts et concernent principalement les choix du manuscrit de surface, les problèmes de tradition, les leçons particulières, avec aussi quelques notes sur des questions littéraires et sur la signification du texte, ainsi que sur des particularités linguistiques spécifiques. Chaque volume est pourvu également d’un glossaire, d’une table des manuscrits et des éditions imprimées les plus anciennes, d’une bibliographie et d’un index des noms de personnes et de lieux. Étant donné l’impossibilité d’entrer dans le détail de l’analyse des choix éditoriaux, je me limite à deux observations qui concernent la question méthodologique. Le recours à l’idée de «manuscrit de surface» n’est pas une nouveauté absolue pour la philologie romane, puisque la définition se trouvait déjà par exemple dans une contribution de Jacques Monfrin 4 . Ce principe, adopté parfois dans les éditions reconstructives de textes français et provençaux, devrait désigner un manuscrit sur lequel se fonde la couche graphique et linguistique de l’édition, un témoin choisi pour son ancienneté et sa proximité avec le lieu d’origine de l’auteur ou de production du texte et non pas pour sa supposée supériorité textuelle. Dans le cas de Guiron le Courtois , par contre, les choix des éditeurs sont à mi-chemin entre les définitions traditionnelles de «manuscrit de base» et de «manuscrit de surface». Les témoins sont choisis en effet sur la base de leur qualité textuelle et non pas à partir de leurs caractéristiques formelles, et le concept de «manuscrit de surface» indique seulement qu’à ces témoins n’est reconnue à priori aucune supériorité dans l’opération de reconstruction du texte. La conséquence de cette prise de position est que le choix des manuscrits de surface diffère pour chaque portion textuelle, et que ce choix se révèle particulièrement délicat lorsqu’on décide de suivre deux manuscrits de surface différents pour les deux parties du Roman de Guiron . Qui plus est, tous les manuscrits de surface choisis, à l’exception du manuscrit de Privas utilisé pour la première partie du Roman de Guiron , sont d’origine italienne et caractérisés par une couche linguistique italianisante qui ne correspond certainement pas à celle qui devait être la forme originale des textes, même si les manuscrits choisis se révèlent particulièrement conservateurs et mélangent aux phénomènes typiquement italiens d’autres traits du Nord-Est de la France. Le résultat final est une patine graphique inégale et éloignée de celle qui devait caractériser la version originale des textes. La présence de traits linguistiques italianisants assez marqués 4 m onfrin , J. 1986: «Problèmes d’édition de textes», in: Critique et édition de textes. Actes du XVII e Congrès international de linguistique et philologie romanes (Aix-en-Provence, 29 août-3 septembre 1983), vol. 9, Aix-en-Provence, Université de Provence, 352-64: 355. 254 Vox Romanica 81 (2022): 248-255 DOI 10.2357/ VOX-2022-014 Besprechungen - Comptes rendus dans l’édition des textes saute aux yeux et donne l’impression d’une incohérence évidente, malgré les efforts des éditeurs pour décrire dans les détails la langue des témoins de surface choisis pour permettre aux lecteurs de séparer les phénomènes postiches de la couche authentique. Il faut néanmoins rappeler que le choix d’un véritable manuscrit de surface aurait soutenu à nouveau, et avec force, la candidature du Ms. 350 déjà suivi par Lathullière et ses élèves. Si on s’en tient à la définition traditionnelle du manuscrit de surface, le Ms. 350 présente en effet plusieurs avantages: il contient plus ou moins tout le cycle, il a été copié dans le Nord de la France et il est relativement ancien. D’ailleurs, le déclassement du Ms. 350 du point de vue de la qualité textuelle n’affecte pas en soi la possibilité de l’adopter pour les aspects graphiques et formels de l’édition. Mais, comme les études l’ont montré, le Ms. 350 a aussi de nombreux défauts: il est lacunaire à plusieurs endroits, il est incomplet dans le cas du Roman de Guiron , il est corrompu et contaminé. Enfin, les caractéristiques de la tradition du cycle de Guiron le Courtois rendraient problématique et critiquable l’adoption d’un seul manuscrit pour définir l’aspect formel et linguistique de tout le cycle, les témoins les plus proches de la région de production des textes n’étant ni les plus anciens ni ceux qui conservent le mieux la structure originale. En outre, le choix de publier un texte reconstruit sur la base de la majorité stemmatique mais habillé selon la graphie et la forme d’un seul témoin se serait révélé impraticable à cause de l’extension des textes en question, des divergences textuelles et structurelles importantes à l’intérieur de la tradition et du caractère lacunaire et composite du Ms. 350. En définitive, le choix de l’équipe éditoriale est parfaitement compréhensible en raison de l’extension et de la complexité du texte, qui auraient rendu trop coûteuse l’adoption systématique de la graphie d’un témoin et de la leçon d’un autre. Il s’agit donc d’un compromis tout compte fait acceptable, notamment à la lumière de la qualité du résultat final. L’autre question méthodologique importante concerne la réorganisation de la catégorie des variantes formelles, ainsi que l’attention réservée à l’identification des éventuels tics de copiste et des réécritures secondaires, qui amènent les éditeurs à effectuer un toilettage important du texte pour éliminer les incrustations déposées par la tradition qui modifient sensiblement la qualité du texte original. Mais un certain degré d’adaptation linguistique et formulaire n’est ni toujours ni uniquement l’effet d’une initiative individuelle de quelques copistes. Il s’agit au contraire d’un phénomène plus large d’évolution de la structure linguistique systématiquement attesté dans les traditions des textes en prose du XIII e siècle. À une période de transition importante entre une pluralité de niveaux linguistiques, des scriptae différentes et une relative anarchie morphologique et syntaxique vers un état linguistique plus structuré et organisé - et en tout cas différent -, la reconstruction des «états de langue» est nécessaire en particulier pour les témoins des XIV e et XV e siècles, qui manifestent une tendance à appliquer une normalisation et une modernisation linguistiques correspondant à l’évolution et à l’ajustement de la langue française. Il ne s’agit donc pas uniquement des tics d’un copiste individuel, mais d’une véritable adaptation systématique à un modèle linguistique commun (spécialement du point de vue syntaxique et lexical) auquel les copistes tendent à se conformer. 255 Vox Romanica 81 (2022): 255-258 DOI 10.2357/ VOX-2022-015 Besprechungen - Comptes rendus En fait, un bon nombre de traits pertinents pour l’adaptation et la reformulation linguistiques qui caractérisent l’évolution du texte dans le temps et dans l’espace, même s’ils ne sont pas nécessairement erronés, ne peuvent pas être considérés comme polygénétiques (je pense en particulier aux reformulations les plus élaborées et très systématiques) et permettent donc de confirmer la dépendance de certains manuscrits d’un modèle commun. De ce point de vue, un travail encore plus approfondi sur la langue de la tradition manuscrite aurait probablement produit des choix de reconstruction textuelle plus courageux et efficaces, en exigeant toutefois un temps beaucoup plus long qui aurait vraisemblablement dépassé les forces et les disponibilités de l’équipe. Finalement, on ne pourra qu’être reconnaissants de cette entreprise titanesque qui montre comment une équipe bien dirigée et composée de jeunes chercheurs et chercheuses de valeur peut réussir dans un travail qui aurait été vraisemblablement impossible aux temps de la philologie des héros solitaires. Luca Barbieri (Université de Fribourg/ CNR - Opera del Vocabolario Italiano, Firenze) https: / / orcid.org/ 0000-0002-6761-6622 ★ a lain C orBEllari , Oton de Grandson , Paris (Académie des Inscriptions et Belles- Lettres) 2021, 214 p. ( Histoire littéraire de la France 47). Les dernières décennies du XX e siècle et les premières du XXI e siècle ont été propices à la réévaluation de l’œuvre et de la personnalité d’Oton de Grandson (décennie 1340-1397). Le travail philologique pionnier d’Arthur Piaget en 1941 a été renouvelé par les éditions et traductions récemment publiées par Joan Grenier-Winther 1 . Les historiens ont, semble-t-il, éclairé les dernières zones d’ombre de la dynastie des Grandson et détaillé les enjeux du fameux duel qui mit fin à la vie de l’écrivain 2 . Quant aux analyses de l’écriture otonienne, elles ont été considérablement enrichies depuis une vingtaine d’années par les travaux des spécialistes, au premier rang desquels Alain Corbellari. La mission à lui confiée par la Commission de publication de l’ Histoire littéraire de la France de consacrer à Oton de Grandson un nouveau fascicule de cette vénérable série apparaît donc comme une conséquence assez naturelle de ce regain d’intérêt. Mais il y a plus car l’étude d’Alain Corbellari s’impose par des qualités manifestes dès ses premières pages. Sa capacité de synthèse lui permet d’abord, en articulant fermement essai 1 o. DE g ranDson 2010: Poésies , édition critique de J. g rEniEr -W inthEr , Paris, Champion, «Classiques français du Moyen Âge» n° 162; n iCholson , p./ g rEniEr -W inthEr , J. (ed.) 2015: Oton de Granson: Selected Poems , Kalamazoo, MI: Medieval Institute Publications/ Western Michigan University. 2 a nDEnmattEn , B. (dir.) 2020: Othon I er de Grandson (vers 1240-1328). Le parcours exceptionnel d’un grand seigneur vaudois , Cahiers Lausannois d’Histoire Médiévale, vol. 58, Lausanne, Université de Lausanne; B ErguEranD , C. 2008: Le duel d’Othon de Grandson (1397). Mort d’un chevalier-poète vaudois à la fin du Moyen Âge , Cahiers Lausannois d’Histoire Médiévale, vol. 45, Lausanne, Université de Lausanne.