eJournals lendemains 44/176

lendemains
ldm
0170-3803
2941-0843
Narr Verlag Tübingen
10.2357/ldm-2019-0031
Es handelt sich um einen Open-Access-Artikel, der unter den Bedingungen der Lizenz CC by 4.0 veröffentlicht wurde.http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/121
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Introduction

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Cornelia Ruhe
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DOI 10.2357/ ldm-2019-0031 5 Dossier Cornelia Ruhe (ed.) Entre indétermination et surdétermination L’Allemagne vue par des écrivains francophones contemporains Introduction […] le rôle de la vie est d’insérer de l’indétermination dans la matière. Indéterminées, je veux dire imprévisibles, sont les formes qu’elle crée au fur et à mesure de son évolution. […] Un système nerveux, avec des neurones placés bout à bout de telle manière qu’à l’extrémité de chacun d’eux s’ouvrent des voies multiples où autant de questions se posent, est un véritable réservoir d’indétermination. (Henri Bergson 1907/ 2007: 127) 1. Les ‚amis héréditaires‘ Dans un chapitre intitulé „Conformités historiques et la structure du texte“, le sémioticien de la culture Jurij Lotman soutient que „l’indétermination est l’unité de mesure de l’information“: À mesure que s’épuise le réservoir d’indétermination d’un processus, son contenu informatif diminue; au moment de la redondance totale - donc de la prévisibilité complète - il est égal à zéro. (Lotman 2010: 308, ma traduction 1 ) Surtout depuis la Seconde Guerre mondiale, la relation entre la France et l’Allemagne semble plutôt souffrir de surdétermination: l’Allemagne est, comme Cécile Wajsbrot le constate en citant Hermann Hesse, un „pays port[ant] une trace indélébile - le signe de Caïn“ (Wajsbrot 2019: 55). Alors que la proximité géographique invitait à franchir le Rhin, la mémoire de trois guerres et surtout celle de l’Holocauste qui laissèrent des traces indélébiles ou plus exactement firent des vides dans bien des familles françaises expliquait que - s’il avait lieu - ce passage ne se faisait souvent qu’avec appréhension. Pour détendre une relation compliquée depuis des décennies, pour officialiser la ‚réconciliation‘ des deux pays, le Traité de l’Élysée est signé en 1963. C’est alors que commence ce que Wolfgang Asholt appelle la „normalisation de la relation franco-allemande“ (Asholt 2010: 207, ma traduction). À l’exception de Cécile Wajsbrot, née avant le Traité, tous les auteurs abordés dans ce dossier sont des enfants de cette consécration officielle de l’amitié francoallemande. Leurs relations avec le pays outre-Rhin peuvent se développer grâce au fait que les ‚ennemis héréditaires‘ sont devenus des „amis héréditaires“ (Lay/ Nix 6 DOI 10.2357/ ldm-2019-0031 Dossier 2007), comme le propose le catalogue d’une exposition de l’Institut Franco-Allemand à Ludwigsburg en 2007. Bien longtemps après la signature du Traité de l’Élysée, la relation entre Français et Allemands resta néanmoins appesantie par la mémoire des guerres et, surtout, par celle de la Shoah. Il n’est cependant point nécessaire de franchir le Rhin pour se voir confronté à ce passé, car l’histoire et sa conjugaison médiatique à tous les temps et surtout à tous les modes le surdéterminaient au point de ne plus laisser aucune place à l’imagination. Pour le dire avec Lotman - la „prévisibilité“ semblait si „complète“ (Lotman 2010: 308) que, bien souvent, on se passait de faire le pas. Ce n’est qu’avec la chute du mur que l’image de l’Allemagne change de manière considérable, que se transforme la surdétermination d’un pays dont étaient issues les pires horreurs du XX e siècle. Bien que „l’histoire, avant tout celle de la guerre, du fascisme et de la Shoah forme [toujours, faudrait-il ajouter] l’arrière-plan commun - et souvent même l’avant-plan“ (Asholt 2010: 221), pour de nombreux romans français traitant de l’Allemagne et pour les biographies de leurs auteurs, le pays sera plutôt celui d’une nouvelle liberté, d’une infinité de possibles. Alors que les récits allemands que Wolfgang Asholt analyse dans l’article cité ci-dessus se concentrent sur la Seconde Guerre mondiale et sa mémoire, le vécu actuel des auteurs tel que certains le racontent dans ce dossier témoigne d’un pays qui, du moins pour une courte période, se tourne vers l’avenir. Berlin devient l’épicentre de cette nouvelle liberté. C’est vers la capitale allemande que se dirigent ainsi la plupart des auteurs français, comme le constate à juste titre Margarete Zimmermann: Ce n’est qu’à partir de 1989 que Berlin retrouve de son attractivité qui n’est pas sans rappeler celle du Berlin mythique des années vingt. La ville réunifiée est désormais perçue comme une métropole jeune et dynamique qui se distingue des autres capitales figées d’Europe et comme un terrain d’expérimentation pour de nouveaux modes de vie et de nouvelles formes artistiques. (Zimmermann 2014a: 18) 2 Cette tension entre figement et expérimentation, entre surdétermination et indétermination formera le cadre de cet article. Je ne me pencherai pas exclusivement sur les contributions de Jérôme Ferrari, de Samy Langeraert, de Wilfried N’Sondé, d’Oliver Rohe, de Camille de Toledo et de Cécile Wajsbrot, mais aussi sur certaines de leurs autres œuvres, ainsi que sur celles d’auteurs tels que Clément Bénech et Olivia Rosenthal. Pour les auteurs évoqués, la relation au pays voisin diffère fortement par son caractère ainsi que par son intensité. Parmi eux, certains doivent leur relation à l’Allemagne et à l’allemand aux activités de l’Office franco-allemand pour la jeunesse, aux cours scolaires ainsi qu’aux programmes d’échange. Cécile Wajsbrot et, une génération plus tard, Samy Langeraert apprennent l’allemand au lycée, moins par vocation ou motivés par le désir d’apprendre la ‚langue de Goethe‘ que par celui d’intégrer une ‚bonne classe‘. 3 Mathias Énard séjourne plusieurs fois à Coburg, en Bavière, dans le cadre d’un échange scolaire et passe, des années plus tard, deux ans à Berlin dans le cadre du Berliner Künstlerprogramm du DAAD . C’est également dans DOI 10.2357/ ldm-2019-0031 7 Dossier le cadre d’un échange scolaire que Samy Langeraert passe „deux, peut-être trois semaines […] quelque part en périphérie de Berlin“ (Langeraert 2019: 26), une expérience ambivalente, mais qui ne lui ôte du moins pas l’envie de revenir des années plus tard pour des séjours réguliers. Pour quelques-uns des autres auteurs mentionnés, il s’agit aussi d’un rapport littéraire - c’est en découvrant des auteurs allemands que s’établit un dialogue intertextuel qui tisse un réseau dense: pour Mathias Énard, ce sont les orientalistes allemands tels Friedrich Rückert qui sont présents surtout dans Boussole (2015), alors qu’Oliver Rohe „emprunte[…] la langue de Thomas Bernhard“ (Guichard 2012: 22) dans Défaut d’origine (2003). Pour Cécile Wajsbrot, par contre, „la liste [des auteurs allemands lus] risquerait de devenir interminable“ (Wajsbrot 2019: 57). Samy Langeraert, en revanche, voue un „amour plus ou moins délirant“ (Langeraert 2019: 27) aux romantiques allemands. Les philosophes jouent aussi un rôle central dans la découverte de l’Allemagne par Jérôme Ferrari, qui, lui, restera pourtant „à jamais incapable de lire dans le texte les œuvres que j’aimais tant“ (Ferrari 2019: 23). Cependant, pour les auteurs de ce que Marianne Hirsch nomme la „generation of postmemory“ (Hirsch 2012), l’Allemagne n’est pas un pays à découvrir sans idées préconçues: Postmemory describes the relationship that later generations or distant contemporary witnesses bear to the personal, collective, and cultural trauma of others - to experiences they ‚remember‘ or know only by means of stories, images, and behaviors. (Hirsch 2014: 339) Surtout pour ceux issus de la génération des enfants ou des petits-enfants de la Shoah, l’Allemagne sera une présence constante bien que spectrale dans la mémoire familiale. Cécile Wajsbrot décrit cette „impression d’avoir toujours vécu avec elle [l’Allemagne]“ (Wajsbrot 2019: 55), 4 Camille de Toledo parle d’„un pays des spectres“ (de Toledo 2019: 53), pour la narratrice d’Éloge des bâtards d’Olivia Rosenthal, „[l]’Allemagne, c’est ma faiblesse“ (Rosenthal 2019: 235). Jérôme Ferrari constate qu’„à l’âge où l’on ignore encore l’existence de pays étrangers, je connaissais le nom de l’Allemagne“ (Ferrari 2019: 25). Alors que l’Allemagne de Ferrari est celle de la „tragédie du destin allemand“, comme il l’exprime en citant Jorge Luis Borges (ibid.: 23), l’Allemagne dont Rosenthal, de Toledo et Wajsbrot se souviennent par procuration est le pays du fascisme, plus généralement encore celui de la mort et de la disparition. Bien que cette association soit probablement partagée par la plupart de leurs contemporains ayant été socialisés par le cinéma hollywoodien, pour Rosenthal, de Toledo et Wajsbrot, cette mémoire ne vient pas de la littérature ou du cinéma, mais est transmise par la voie générationnelle. Cependant, le rapport qu’ils tissent avec l’Allemagne diffère considérablement d’un(e) auteur(e) à l’autre. 8 DOI 10.2357/ ldm-2019-0031 Dossier 2. L’oubli est un maître d’Allemagne Dans deux de ses textes, Olivia Rosenthal scrute de manière détournée une relation à l’Allemagne qui n’est pas sans rapport avec l’histoire de l’auteure et de sa famille. Dans On n’est pas là pour disparaître, elle alterne le récit de la vie d’Alois Alzheimer, célèbre médecin allemand qui donna son nom à la maladie entraînant la perte progressive de mémoire, et celui d’une famille dont le père est atteint de cette même maladie. Ce père est, comme la narratrice qui dit s’appeler „Olivia Rosenthal“ (Rosenthal 2007: 103), „né là où Alois Alzheimer a été inhumé, à Francfort, ville où je ne suis jamais allée“ (Rosenthal 2007: 129). L’oubli involontaire, irrémédiable du père dû à une maladie qui fut découverte et nommée dans le pays qu’il a dû fuir est ainsi confronté à la transmission intergénérationnelle de la mémoire de la Shoah. Du pays surdéterminé par son histoire ‚provient‘ paradoxalement aussi la maladie qui abolit toute mémoire. 5 Que ‚sombrer dans l’oubli‘ ne soit pas toujours une affaire sombre, mais que l’oubli puisse aussi avoir des capacités rédemptrices ou du moins apaisantes est une question que la narratrice du roman de Rosenthal pose avec insistance: Et si je ne savais pas, si je ne savais rien de mon arrière-grand-père et de ses six enfants, si je ne connaissais pas, même partiellement, l’histoire de cet homme, je ne peux exclure le fait que je serais différente, je serais différente dans l’ignorance, amputée de cette histoire que je ne connais pourtant que par bribes, amputée de l’histoire partielle de mon arrière-grandpère je ne me débattrais peut-être pas avec l’idée tronquée que j’ai des villes allemandes, des noms allemands, de la langue allemande et du docteur Alzheimer. Je me demande ce que ça fait d’être ignorant. (Ibid.: 144) La transmission familiale rendant l’ignorance impossible, la narratrice décide au moins de ne pas chercher plus loin en lançant comme un défi: „Jamais je n’irai à Francfort-sur-le-Main, Allemagne“ (ibid.: 147). Alors qu’elle ne peut se défaire du bagage familial qu’est la mémoire de la Shoah, elle refuse de se laisser déterminer par cette histoire, de la faire entièrement sienne. 6 Lorsque le roman de Rosenthal est traduit en allemand par Birgit Leib et publié par la petite maison d’édition Ulrike Helmer Verlag, l’éditrice relève le défi: en 2017, elle invite l’auteure à la foire du livre - de Francfort. Quelques semaines avant la foire, Olivia Rosenthal fait un premier voyage dans cette ville alors que la narratrice éponyme s’était juré qu’elle „n’irai[t] pas à Francfort sur les traces de mon arrièregrand-père“ (ibid.: 146). Accompagnée d’une équipe d’ ARTE et de son éditrice allemande, Olivia Rosenthal découvrira alors non seulement la tombe d’Alois Alzheimer, devenu le protagoniste de son roman, mais aussi la boutique que son propre arrièregrand-père tenait dans les années 30 et qui, aujourd’hui, est un bar à vin. 7 La traduction déclenche donc la concrétisation d’une histoire familiale que l’auteure avait jusqu’alors évitée de creuser et qui, du moins dans la logique du roman à l’origine de ce voyage, n’est point désirée. C’est sur un tout autre ton que son aventure francfortoise entre dans son dernier roman, Éloge des bâtards, publié à la rentrée 2019. À l’exception de la narratrice, DOI 10.2357/ ldm-2019-0031 9 Dossier tous les autres protagonistes du texte, qui se retrouvent pour une sorte de thérapie de groupe improvisée, souffrent d’un „défaut d’origine“ (Rohe 2003). Ils sont „fissuré[s] par les erreurs de transmission“ (Rosenthal 2019: 210), car leurs connaissances de leurs histoires familiales sont lacunaires, voire inexistantes. L’indétermination de cette situation douloureuse leur confère, selon la narratrice jalouse de leur particularité, une capacité réconciliatrice et créatrice (ibid.: 251sq.). Elle, par contre, souffre plutôt de la surdétermination de son histoire familiale qui l’écrase: l’histoire qu’elle raconte aux autres est une version fictive et excitée de celle que son auteure a vécue à Francfort. Dans cette ville, des inconnus confrontent la narratrice à l’histoire de sa famille allemande alors qu’elle n’y est „pas prête“ (ibid.: 243), et n’a pas donné „[s]on consentement“ (ibid.: 242). Au lieu de découvrir le présent d’un pays, elle est renvoyée à son passé et se trouve „bardée de généalogie“ (ibid.: 248), d’une généalogie qu’elle avait, jusqu’ici, jugée sans importance pour elle et qu’ elle avait refusé d’assumer. La disparition, l’oubli et l’ignorance, sujets centraux d’On n’est pas là pour disparaître, sont, dans Éloge des bâtards, confrontés à la transmission imposée et envahissante d’une histoire dont on lui suggère qu’elle devrait compter pour elle au point de la définir („au lieu de raconter de quoi est fait mon travail pour ouvrir le débat, elle me présente comme une rescapée et une survivante“, ibid.: 246). Dans le premier roman, le traumatisme pourtant bien plus important pour la narratrice-protagoniste - le suicide de sa grande sœur - est presque occulté par l’histoire de l’ascendance allemande du père et par celle de sa maladie. Dans Éloge des bâtards, la narratrice, bien qu’elle se dise „réfractaire, on ne [la] forcera pas à regarder en arrière si c’est pas le moment“ (ibid.: 252), envie pourtant aux „bâtards“ leur absence d’ascendance qui leur laisse, selon elle, une grande liberté - alors qu’elle-même se voit déterminée par la mémoire familiale: On croit qu’on a une voix propre, qu’on est indépendant, qu’on décide de son propre sort alors qu’il y a un ancêtre, connu ou inconnu, qui contamine notre conscience et hante notre mémoire. (Ibid.: 256sq.) Contrairement à la mort, qui, pour citer le fameux poème de Paul Celan, est „un maître d’Allemagne“, l’oubli ne l’est pas, même si celui qui donna son nom à la maladie de la perte de mémoire est allemand. La protagoniste de Rosenthal se voit au contraire déterminée, fixée par l’impact d’une „postmemory“ imposée (Hirsch 2012), une mémoire dont son père ne peut se défaire qu’au prix d’une maladie dévastatrice. Le présent du pays qu’elle aurait pu découvrir restera inaccessible à sa protagoniste; comme elle, il est (sur)déterminé par un passé qui surgit de partout et semble condamner le présent autant que le futur. 10 DOI 10.2357/ ldm-2019-0031 Dossier 3. „Un outil de fixation“ Ce qui est vrai pour les protagonistes de Rosenthal l’est aussi pour Oliver Rohe qui est „fissuré par les erreurs de transmission“ (Rosenthal 2019: 210). Pour lui, l’Allemagne est en même temps sur et sous-déterminée, comme en témoigne aussi sa contribution dans ce volume, un extrait d’un roman à paraître. Sa relation au pays et à la langue allemande est à la fois plus directe et plus distante que celle de Rosenthal et de ses protagonistes: son père est l’acteur allemand Jürgen Rohe, décédé en 2002, sa mère est „la fille unique d’une famille de la grande bourgeoisie arménienne“ (Guichard 2012a: 16). Né en 1972, Rohe a grandi à Beyrouth où il a vécu jusqu’à l’âge de 18 ans. Rohe est „trilingue dès l’enfance [il parle français, arabe et anglais], mais orphelin de langue maternelle“ (Guichard 2012a: 16) ou plutôt paternelle: tout en portant un nom allemand et en possédant la nationalité allemande, Rohe ne parle pas la langue de son père. Cette histoire très particulière l’amène à douter du concept d’identité qui, selon lui, est un „outil de fixation“ (Guichard 2012: 23) qu’il refuse, quoique de manière différente que les narratrices de Rosenthal. Son „expérience depuis l’enfance [c’est] être de nulle part“ (Guichard 2012a: 19). L’incapacité de parler la langue dont son passeport suggère qu’elle devrait être sa langue maternelle est une lacune problématique pas seulement dans des situations administratives: Je suis Allemand et je ne parle pas allemand: si quand je vis à Berlin la police m’arrête et me demande mes papiers, je suis dans la merde. Comment expliquer qu’on est allemand et qu’on ne parle pas la langue. Là, mon problème d’identité est très concret. (Rohe dans Guichard 2012a: 19) Pour l’auteur, le choix d’aller vivre en Allemagne est donc en quelque sorte celui d’affronter directement ce „défaut d’identité“ (Rohe 2003). C’est ainsi que ses motivations pour s’installer en Allemagne sont très différentes de celles des autres auteurs de ce dossier. Ce n’est pas pour connaître le pays d’un père dont il n’a „guère de souvenir“ (Guichard 2012a: 16) ni pour apprendre l’allemand que Rohe prend cette décision, c’est d’abord „parce que je n’arrivais pas à écrire à Paris et que j’avais besoin de prendre du recul“ (ibid.: 18). Même après de longs séjours à Berlin et à Cologne, ses connaissances de l’allemand restent intentionnellement fragmentaires, car c’est surtout „l’idée d’être insulaire dans un pays“ (ibid.: 19) qui, pour lui, rend le séjour productif. Le but de l’écriture de Rohe a toujours été, comme il le dit en citant Annie Ernaux dans un entretien donné en 2012, „d’échapper au piège de l’individuel“, de parler de „[s]on expérience personnelle […] tout en la vidant de ce qu’elle a de personnel“ (Guichard 2012: 20). Une figure de père apparaît surtout dans son troisième roman, Un peuple en petit (Rohe 2009: 20), 8 en la personne d’un acteur égocentrique au Schauspielhaus de Bochum, ville allemande décrite avec beaucoup d’humour et non sans cruauté. Roman à troix voix, „trilingue“ à l’image de son auteur, „trois voix dont DOI 10.2357/ ldm-2019-0031 11 Dossier on pourra se demander si, au final, elles ne sont pas chacune une facette d’un seul démiurge: l’écrivain lui-même“, comme l’écrit Thierry Guichard à la sortie du roman (Guichard 2009: 25). Le roman fait entendre la voix d’un jeune garçon sans père qui raconte certains épisodes de sa vie d’enfant et d’adolescent dans un pays en guerre. Le „personnage deux“ (Rohe 2009: 16 et passim), jeune adulte dans sa chambre parisienne, a des problèmes de langue(s): il est obsédé par l’arbitraire des signes et cette pathologie s’accroît au cours du roman, avec quelques va-et-vient entre l’allemand et le français. Une troisième voix appartient au père qui ne se souvient que d’avoir eu une fille d’une relation avec une femme aux „origines étrangères“ (ibid.: 57), une fille maintenant devenue „superbe jeune femme“ (ibid.: 14). 9 Il éprouve désormais de considérables problèmes de santé qui menacent de lui prendre, littéralement, sa langue: „Vous avez une tumeur à la gorge. […] Vous irez droit sur le billard. Vous serez ouvert. Vous n’aurez plus de cordes vocales. Vous perdrez l’usage de votre voix“ (ibid.: 141sqq.). La langue paternelle, qui, de manière figurée, fait défaut à l’auteur, est l’outil de travail le plus précieux de son personnage, qui risque maintenant, à son tour, de perdre littéralement sa langue. Dans l’extrait d’un roman à paraître au printemps, Rohe revient sur quelques éléments qui marquent sa vie comme son œuvre: le père, l’enfance sous la guerre au Liban et l’absence d’une langue commune. Le père, „Monsieur l’Allemand, Monsieur le blond“ (Rohe 2019: 40) s’entretient „avec ma sœur en allemand“, tandis que sa mère lui parle dans „notre langue, en arabe“ (ibid.: 41). Au jeune narrateur, le père s’adresse cependant en anglais. La distance ainsi établie à un père souvent absent et plein de dédain pour le pays dans lequel il vit pourtant confortablement grâce à la mère se creuse lorsque le père quitte la famille et retourne en Allemagne pendant la guerre civile. Ce père, lui-même issu d’une guerre avec laquelle il alimente ses menaces, une guerre pendant laquelle il se retrouvait seul avec „sa mère, sa sœur aînée“ (Rohe 2019: 47), reproduit, en quittant sa femme, cette famille lacunaire. Un parent absent, une langue paternelle qu’on ne maîtrise pas, un pays perdu à cause d’une guerre - cette énumération suggère bien des points en commun avec l’expérience d’autres auteurs comme Rosenthal, de Toledo ou Wajsbrot. Cependant, cette comparaison ne fait que compliquer le matériau romanesque que Rohe travaille: au lieu d’être collective, son expérience lui est particulière, elle est radicalement personnelle. L’absence d’une relation ou du moins d’une langue partagée avec le père n’est pas due à la guerre, comme le suggère le texte dans ce dossier, mais plutôt au désintérêt le plus total de ce même père pour son fils. La guerre qui aurait, éventuellement, traumatisé le père au point que ce traumatisme se transmette par voie générationnelle, est ensevelie sous une autre guerre que vit le fils - dans l’absence du père. Il n’y a pas un pays perdu suite à une guerre, mais bien deux. Les histoires se répètent avec un décalage géographique important - et sans qu’il y ait, pour les jeunes protagonistes de Rohe, moyen de donner un sens à cette répétition 12 DOI 10.2357/ ldm-2019-0031 Dossier par le biais d’une expérience commune. L’expérience ‚insulaire‘ en Allemagne permet à l’auteur de garder intact son refus d’un fantasme identitaire, qu’il soit véhiculé par une langue ou par un pays. 4. Entre passé et avenir Les expériences allemandes décrites par Cécile Wajsbrot dans sa contribution au présent dossier sont plus positives. Même si l’Allemagne portait pour les membres de sa famille, „une trace indélébile - le signe de Caïn“ (Wajsbrot 2019: 55), l’auteure a appris l’allemand au lycée. Ce choix n’a cependant pas été motivé par un désir de rapprochement, mais „[c]’était la voie normale des bonnes lycéennes“ (ibid.). Alors que l’anglais sera pour elle „une langue sans histoire, ou plutôt, à l’histoire glorieuse“, la langue allemande même porte la trace des „marécages de temps passés encore prégnants“ (ibid.). 10 En même temps, ces „marécages“ communs aux deux pays établiraient, eux aussi, un rapport, bien que sous le signe d’un passé douloureux. Comme pour beaucoup d’autres auteurs écrivant sur et de l’Allemagne, ce n’est qu’avec la chute du mur que sa „perception de l’Allemagne a changé. Ou plutôt, celle de Berlin“ (ibid.: 57). Dans un pays qui semblait jusqu’alors déterminé, surdéterminé par son passé, dans cette ville qui avait pour elle été „la capitale du Troisième Reich“ (Wajsbrot 2015: 7) s’ouvrait soudain un espace - au sens littéral comme au figuré. Commence alors une époque où passé et futur coexistent de manière aussi littérale que figurée: […] j’étais impressionnée par la présence du passé, des plaques commémoratives rapportant les événements les plus sombres et par la croyance - concrétisée par le nombre de grues et de chantiers - en un avenir. (Ibid.: 8) La réunification ouvre de nouveaux horizons qui, pour l’auteure française, sont avant tout productifs et positifs, car ce qu’elle désigne comme „la renaissance d’une nation“ lui „redonnait un horizon“ (ibid.: 9) qui, contrairement à celui de Paris, lui semble ouvert: […] certes Paris est une belle ville, mais […] depuis un certain temps on ne voit pas l’avenir, on a peur, et puis, il n’y a plus de place pour rien. […] Tout a été fait, tout est construit tandis qu’à Berlin on respire, il y a du vide géographique et du vide mental, une place pour que les choses adviennent. (Ibid.: 11) 11 Alors que pour les narratrices de Rosenthal, l’Allemagne reste un pays (sur)déterminé par un passé auquel on n’échappe pas, selon Wajsbrot, quelque chose a changé après la réunification: c’est „un pays ruiné par son histoire, faisant état de cette ruine puis tentant de se reconstruire“ (Wajsbrot 2019: 56). Comme le décrit si bien Margarete Zimmermann, l’œuvre de Wajsbrot se positionne entre le silence et la mémoire (Zimmermann 2010), entre ce que j’appelle ici avec Lotman l’indétermination et la surdétermination - et c’est à Berlin que, du moins pendant quelques DOI 10.2357/ ldm-2019-0031 13 Dossier années, cette tension s’est le mieux incarnée pour elle. La ville est „en état de métamorphose“ (Oster 2009: 247) et se tourne vers un avenir ouvert sans pour autant oublier le passé. 5. Combler les lacunes Pour Camille de Toledo, auteur français vivant à Berlin, la brèche qui apparaît avec la chute du mur et provoque une nouvelle ouverture ne doit pas seulement être comprise au sens figuré mais également au sens littéral - ce sont les friches urbaines et les terrains vagues qui, selon lui, témoignent le mieux de ce nouvel espace du possible. Dans son essai Le hêtre et le bouleau. Essai sur la tristesse européenne (de Toledo 2009), il se pose la question de la nature des fondements culturels de l’Europe, en se référant à Jacques Derrida. Tout en réfléchissant à la hantise par la mémoire des guerres du XX e siècle, de Toledo suggère qu’une conservation trop minutieuse de la mémoire risque de peser sur les siècles futurs et de les vouer à un raidissement qui irait de pair avec une organisation trop figée de cette mémoire. Pour lui, la chute du mur est un moment charnière, à la suite duquel, au centre de l’Europe, à Berlin même, apparaissent des terrains vagues qu’il juge positifs, car il les considère comme étant des lieux d’ouverture, d’indétermination et de réflexion sur la nature d’une Europe nouvellement unie. Cependant, au lieu de prendre le temps nécessaire à la réflexion, on s’empresse de combler ces lacunes: „Nous nous sommes contentés de fêter la révélation sans prendre la mesure des friches de la disparition, sans nous demander par quoi le vide serait rempli“ (ibid.: 26sq.). De Toledo fait observer au lecteur que ces friches ont depuis été comblées de deux manières différentes: à certains endroits, y poussent des monuments tels que le Mémorial de l’Holocauste, „fier monument de honte“ (ibid.: 80), qui, dans un geste paradoxal, tentent de fixer et de former une mémoire peut-être de nature plus évanescente, qui serait „le rapprochement de la ‚hantologie‘ et de son double, l’‚anthologie‘“ (ibid.: 80sq.). À d’autres endroits, au lieu même des friches laissées par la chute du rideau de fer se construisent des bâtiments nettement plus profanes: Et partout ailleurs, le long de l’ancien tracé du Mur, à la place des friches, du no man’s land, des immeubles d’affaires, des centres d’affaires, des salles climatisées, la Potsdamer Platz transformée en shopping mall, puis encore des petites boîtes de verre, d’acier, fusion de l’entertainment, de l’expérience du XX e siècle et de notre mémoire. (Ibid.: 81) La pétrification muséale de la hantise européenne dans des monuments de commémoration entraîne un risque d’„astasie“ (ibid.: 51), un risque de rester figé dans un geste de prosternation, d’être dans l’impossibilité de se tenir debout (Roy-Debove/ Rey 1993: 143). Selon de Toledo, la „tristesse européenne“ qui s’exprime dans ces mémoriaux empêcherait la culture de passer outre et d’aller vers un futur qui garderait les traces du passé sans les fossiliser de manière univoque. La tendance de l’urbanisation moderne à organiser soigneusement les formes que la mémoire doit prendre, tend à la clôture et à la surdétermination. L’„indétermination 14 DOI 10.2357/ ldm-2019-0031 Dossier essentielle“ (Broich/ Ritter 2015: 164) des friches urbaines, leur désordre devient indésirable et se voit remplacé par un ordre qui est, en même temps, une réduction du potentiel de cette indétermination qui semblait caractéristique de Berlin après la chute du mur. Comme dans une métonymie de cette époque, l’infini de possibilités que présentait le terrain vague est réduit à un nombre fini et défini lorsque les lacunes berlinoises sont remplies, „sans [en] prendre la mesure“. Pour de Toledo, les spectres du passé se concrétisent dans les fameuses ‚Stolpersteine‘, ces pierres d’achoppement qui gardent vive la mémoire „des vies détruites qui ici sont nombreuses“ (de Toledo 2019: 52). 12 Pour le protagoniste de son texte dans le présent dossier, qui a bien des traits en commun avec l’auteur, c’est précisément la hantise de Berlin par les fantômes du passé qui en fait un terrain idéal pour „faire face aux archives des siens“ (ibid.: 54): il s’agit d’affronter les morts de sa famille - le grand frère suicidé, les parents morts trop jeunes peu après - de mener „un combat contre le passé qui l’assaille“ (ibid.). Les „fantômes de Berlin“ (ibid.: 51) font écho aux fantômes familiaux du protagoniste et c’est dans les „alcôves de solitude“ (ibid.: 50) offertes par la ville qu’elle lui devient paysage de l’âme. Reste à espérer qu’il en sera de son protagoniste comme de la ville - que la plongée dans son histoire lui permettra de resurgir et de se projeter dans l’avenir, bien qu’„en déséquilibre et inquiet“ (ibid.: 54). 6. La „fluidité de vivre“ La capacité de Berlin d’accueillir les blessés de l’âme et de leur offrir un espace de réflexion et d’épanouissement est conjuguée à un tout autre temps et mode par trois auteurs qui ne portent pas le fardeau d’une postmemory. Wilfried N’Sondé a vécu „presque un quart de siècle“ (N’Sondé 2019: 32) dans cette ville qui est devenue en 1989 „l’épicentre de l’Histoire“ (ibid.: 34). Il ressent de manière intense la liberté du Berlin d’après la chute du mur. Comme Wajsbrot, il croit y percevoir quelque chose de l’ordre d’un rafraîchissement, l’aube d’un espoir qui me réconciliait avec le genre humain et me semblait plus facile d’accès, plus limpide et moins compliqué. […] cette fluidité de vivre, loin du stress parisien et des violences de la banlieue […] m’ont séduit. (Ibid.: 35) Pendant quelques années, Berlin est, selon lui, l’endroit où une utopie pourrait se réaliser, où „[l]a fameuse troisième voix […] allait prendre son envol, […] une nouvelle manière de concevoir et de faire fonctionner les sociétés humaines, fortes de s’être nourries des anciens systèmes antagonistes“ (ibid.: 34). Plus intensément que Wajsbrot, N’Sondé trouve une „légèreté“ dans le Berlin nouvellement réunifié, une ville qui est „loin de la tension permanente qui imprégnait les relations humaines dans l’espace public parisien“ (ibid.). Samy Langeraert, qui séjournera à Berlin bien plus tard, y retrouve toujours une vie „déconnectée des rythmes habituels, déstructurée, déliée, sans quasiment aucune contrainte, et plus intense en raison même de ce flottement“ (Langeraert 2019: 28). Pour N’Sondé, DOI 10.2357/ ldm-2019-0031 15 Dossier cette ville en mouvement après 1989 permettait une „expérience de vivre ensemble inédite et très contemporaine“ (N’Sondé 2019: 36). Selon l’auteur - et conformément à l’expérience décrite par Wajsbrot dans ses textes - Berlin a constitué pendant un certain temps un laboratoire collectif de nouvelles formes de vie et de nouvelles idéologies (pour le bien et pour le mal). Tout comme de Toledo et Wajsbrot, qui, elle, observe qu’„[a]près des années d’espérance, l’Allemagne paraît, par moments, désorientée, ne sachant trop où aller“ (Wajsbrot 2019: 58), N’Sondé constate lui aussi que l’Allemagne aborde maintenant de „nouveaux défis“ (N’Sondé 2019: 38) et que l’atmosphère devient moins accueillante. En terme de sémiotique de la culture, l’ouverture et la liberté du Berlin des années 1990 et en partie des années 2000 que décrivent Wajsbrot, de Toledo et N’Sondé correspondent à un moment „d’activité sémiotique intense“ (Lotman 2010: 179), 13 qui rend la capitale attrayante en tant que „région de dynamisme sémiotique“ (ibid.: 178, ma traduction). C’est le moment où l’indétermination atteint son apogée, de sorte que pour les auteurs français qui y sont arrivés peu après la réunification et pour lesquels Berlin a constitué une périphérie, une „ville de l’Est“ (de Toledo 2019: 52), elle est devenue „un réservoir pour l’accumulation d’information“ (Lotman 2010: 110): L’instabilité des périphéries, l’hétérogénéité de leurs codes et la nécessité qui en résulte de traduire les différents systèmes sémiotiques n’est pourtant pas uniquement le desiderata des futures performances organisationnelles, mais elle en est le centre créatif dont chaque culture a besoin pour pouvoir survivre. (Ibid.: 398sq.) 14 Selon Lotman, le système même de centre et de périphérie est dynamique, de sorte que chaque périphérie deviendra centrale à un moment donné. Ce mouvement entraîne pourtant un „affaiblissement inévitable“ (ibid.: 189). Alors que „le système gagne en organisation structurelle, […] il perd son indétermination interne et ce faisant aussi sa flexibilité, son aptitude à rehausser la capacité d’information“ (ibid.: 170). 15 Tout comme N’Sondé et de Toledo, Wajsbrot parle de „cette période - utopie, fusion, illusion? - au passé“ (Wajsbrot 2019: 58). Une génération après la chute du mur, le dynamisme sémiotique de Berlin commence à s’estomper et il semble logique que cela se traduise dans l’expérience allemande, ou plus spécifiquement berlinoise, faite par une génération d’auteurs plus jeunes comme Langeraert et Clément Bénech. Bien qu’ils éprouvent encore un sentiment de liberté et d’ouverture, contrairement à N’Sondé et Wajsbrot, ils ne se sentent plus participer à un mouvement collectif. La quête de leurs protagonistes reste essentiellement personnelle. Ce que les protagonistes de N’Sondé, Langeraert et Bénech ont en commun, c’est qu’ils ont „quitté Paris ou une autre ville dans un état de crise et sont arrivés à Berlin en s’imaginant que cette ville pourrait les aider à surmonter leur désarroi“ (Zimmermann 2014: 23; cf. aussi Frémicourt 2014). Dans Berlinoise de N’Sondé (2015) comme dans Lève-toi et charme de Bénech (2015) et Mon temps libre de Langeraert (2019a), Berlin devient une destination pour laquelle on s’embarque après un échec 16 DOI 10.2357/ ldm-2019-0031 Dossier amoureux - pour N’Sondé et Langeraert - ou pour prévenir un échec universitaire qui semble imminent chez Bénech. Mais alors que dans le roman de N’Sondé, la crise personnelle du protagoniste „est […] collective[…], comme s’il y avait un écho entre le personnel et le collectif“ (Durand 2014: 31), cela n’est pas le cas chez Langeraert ou Bénech. L’histoire d’amour que les protagonistes de N’Sondé et de Bénech vivent à Berlin est à l’image de leur relation à la ville - la Maya de N’Sondé est sensuelle, avide de nouvelles expériences de vivre ensemble, mais en même temps fragile. Tout comme Berlin qui „déraisonnait et allait dans tous les sens, [qui] se cherchait et perdait parfois la tête“ (N’Sondé 2015: pos. 1174), Maya finira par sombrer dans la dépression, par avoir „peur de devenir folle. L’utopie, elle n’y croyait plus“ (ibid.: pos. 1633). Dora, la protagoniste de Bénech, n’est pas elle-même menacée de folie ou d’une dépression, mais c’est sa mère qui avait été „internée en hôpital psychiatrique“ (Bénech 2015: 174) - l’écart de presque toute une génération au niveau des auteurs se manifeste ici de manière littéraire. Contrairement à la Maya de N’Sondé, le ‚nouveau Berlin‘ que représente la Dora de Bénech est bien plus raisonnable. La relation du protagoniste à cette représentation de Berlin reste finalement platonique, Dora se soustrait et s’échappe jusqu’à ce que le narrateur se „désintéress[e] d’elle“ (ibid.: 183). Alors que pour le narrateur de N’Sondé, son amour pour Maya et pour Berlin restera une expérience fondatrice et durable, l’échec de celui de Bénech avec Dora et sa ville ne sera que passager - à l’issue de son année berlinoise, il rentre à Paris, soutient sa thèse finie entre-temps et se remet en couple avec Annabelle qui l’avait attendu. La „capacité d’information“ de la ville semble s’être affaiblie, elle ne bouleverse plus les protagonistes, mais n’est qu’un entr’acte qui permettra le passage à l’âge adulte. Berlin aura servi de „ville-refuge“ 16 au protagoniste de Bénech, de parenthèse extraterritoriale pour passer de l’état de post-adolescent à celui d’adulte, sans avoir laissé de traces. „À mesure que s’épuise le réservoir d’indétermination“ de Berlin, pourrait-on dire avec Jurij Lotman (Lotman 2010: 308), à mesure que la brèche - au sens littéral comme au sens figuré - ouverte pour quelques années après la chute du mur se referme, le rapport à la ville se fait plus distant. En tant que „sanatorium des Français“ (expression de Philippe Braz cité dans Zimmermann 2014: 23), la ville allemande lui aura permis de grandir, aura été, tout comme Dora, l’incarnation de la ville, un catalyseur pour son développement personnel plus qu’une liaison véritable. Cependant, la ville de Berlin n’aurait éventuellement pas été la seule à posséder ce pouvoir de guérison, l’essentiel étant d’être loin de chez soi. Dans ce contexte, il semble significatif que dans un autre roman-crise récent, Ça raconte Sarah de Pauline Delabroy-Allard (2018), la protagoniste se réfugie, elle aussi, dans une autre ville pour soigner son chagrin d’amour: dans un geste plus ludique et moins téléologique, c’est à Triest, anagramme de ‚triste‘, qu’elle trouvera son ‚sanatorium‘ personnel. DOI 10.2357/ ldm-2019-0031 17 Dossier Pour le narrateur-protagoniste de Langeraert, comme l’illustre aussi le texte publié dans ce dossier, Berlin et parfois d’autres villes allemandes comme Cologne contrastent encore et toujours avec Paris, de sorte qu’il „fini[t] toujours par repartir“: Paris est ma ville et je n’y rencontre bientôt plus au coin des rues que mes propres souvenirs, aussi féroces que des enfants sauvages. La configuration de tel ou tel trottoir, le souffle chaud et sucré qui s’échappe du métro par les grandes grilles d’aération ou la sirène du premier mercredi du mois me font revenir des années en arrière, et ces rappels, ces boucles sont si fréquents que j’ai souvent la sensation de ne plus pouvoir aller de l’avant. C’est comme si mon présent sans cesse brusqué, sollicité, n’était plus disponible. […] Peut-être que c’est pour cette raison que je finis toujours par repartir. Peut-être que Berlin, pour moi, est le lieu d’un fantasme absurde, celui de sortir du cercle, de vivre une vie sans plus aucune attache, comme en apesanteur. (Langeraert 2019a: 86) Ce contraste bienfaisant avec un Paris qui „ne bougeait pas d’un pouce“ (Langeraert 2019: 30), déchaîne des énergies créatrices („Jamais je ne me suis senti aussi libre de m’absorber dans mes projets qu’à Berlin ou à Cologne“, ibid.: 29), mais contrairement au protagoniste de N’Sondé, il n’entre pas en résonance avec une ville en train de vivre un changement radical. Son expérience de la ville se limite aux répercussions qu’elle aura sur lui, la dimension utopique et collective en est tout aussi absente que dans le texte de Bénech. L’expérience leur sert plutôt de „miroir, un médium pour voir et supporter ses ‚propres tréfonds‘“ et si „en son sein peuvent se dissimuler des non-dits concernant leurs relations non seulement à l’héritage historique mais aussi aux transformations et aux choix urbanistiques de leur propre capitale, Paris“ (Böhm 2014: 150), dits renvoient effectivement ces non vers la capitale française. Il est significatif pour leur relation plus furtive à la ville que le revers de la médaille de l’utopie berlinoise, de l’ouverture après la chute du mur, soit, lui aussi, absent des textes de Bénech et Langeraert. Alors que Wajsbrot s’en inquiète à la fin du texte publié dans ce dossier, N’Sondé, quant à lui, n’omet pas que dans l’excitation révolutionnaire après 1989 ne naissaient pas seulement des sentiments amicaux, mais que […] quelque part dans le chœur bon enfant de la ville exaltée s’étaient glissées d’inquiétantes fausses notes. Des individus rasés, l’air menaçant, avaient crié à son visage „L’Allemagne aux Allemands, les étrangers dehors! “ Dans les rues de Berlin ressuscitée, certains s’adonnaient à l’exercice périlleux, oublié depuis longtemps, de la fierté nationale. (N’Sondé 2015: pos. 796) Malgré ce développement, son protagoniste reste à Berlin et s’engage dans la lutte antifasciste. Les défis de l’extrême droite et des nouveaux populismes font, eux aussi, partis du paysage quotidien de l’Allemagne et le fait qu’il ne passe pas outre témoigne de la bonne connaissance du panorama politique et social que N’Sondé a acquise en presque 25 ans passés à Berlin. Sa conviction que „[l]e pays, écartelé, morcelé, saura et j’en suis persuadé, trouver les moyens d’une nouvelle mutation, 18 DOI 10.2357/ ldm-2019-0031 Dossier afin que chacun y trouve sa place et son bonheur“ (N’Sondé 2019: 38) n’en est que d’autant plus rassurante. 7. Un passé commun - Jérôme Ferrari Les textes analysés offrent une panoplie qui d’un côté, voit le pays toujours largement sous l’angle de la dernière guerre et de la Shoah et, de l’autre, le comprend, comme plus propice à la liberté et à la réflexion que la France et surtout sa capitale, Paris. Alors que la puissance innovatrice de Berlin diminue à mesure que s’épuise son „réservoir d’indétermination“ (Lotman 2010: 308) surgi avec la chute du mur, une lecture populiste et lacunaire de l’histoire se fait à nouveau jour des deux côtés du Rhin. Le rapprochement qui avait pu avoir lieu grâce aux efforts politiques et à l’ouverture entraînée par l’autre grande césure historique du XX e siècle qu’est la chute du mur semble en danger, comme le signalent les textes de Wajsbrot et de N’Sondé. En conséquence, le retour à une histoire qui, au lieu d’accentuer les différences et les conflits, en fait saillir le fond commun, prend de l’importance. Les textes de Jérôme Ferrari témoignent du fait qu’une perspective historique informée qui inclut les deux guerres ne doit pas nécessairement perpétuer une scission historique, mais qu’elle peut au contraire permettre d’apercevoir les fondements communs, les conséquences communes de cette histoire. Au niveau individuel, ce qui semble séparer les deux pays peut être compris comme les débuts - conflictuels et terribles, certes - d’une histoire partagée, pour le bien et pour le mal. Cette base commune, Ferrari la conjugue à deux niveaux: dans son roman ‚allemand‘, Le principe (2015), il montre que, dans une perspective éthique et morale, même des hommes aussi différents qu’un physicien allemand, prix Nobel et membre du Uranprojekt, et qu’un jeune français d’origine corse travaillant dans le monde de la finance ont plus de points communs qu’on ne le penserait à première vue. Dans ce roman, Jérôme Ferrari met en scène le personnage historique du physicien allemand Werner Heisenberg, le père du principe d’incertitude. Tout en restant fidèle aux sujets chers à l’auteur - la défaillance des systèmes de signification, l’effondrement de mondes -, le roman constitue aussi une réflexion sur les expériences communes de la tentation et du mauvais choix: le narrateur corse échoue lors d’un examen de philosophie qui porte sur Physique et philosophie de Heisenberg. Il garde rancune au physicien allemand de cet échec. Sa colère se nourrit en outre d’une bonne part de mépris pour un homme qui, selon lui, aurait choisi le mauvais camp pendant la Seconde Guerre mondiale. Toutefois, et en dépit de la distance historique et géographique, le narrateur comprendra à la fin du roman que ses propres choix „[l]e refoulement et l’opportunisme (mais aussi l’absence de scrupules) nécessaires pour fermer les yeux devant le malheur des autres, pour [s’]accrocher à l’illusion d’être du côté des bons“ (Hennigfeld 2018: 210) le rendent bien plus semblable à Heisenberg qu’il ne le voudrait. Bien qu’à une autre échelle historique, les deux sont témoins de conflits sanglants - la Seconde Guerre mondiale et le mouvement indépendantiste corse - auxquels ils décident de ne pas se mêler. Les deux profiteront DOI 10.2357/ ldm-2019-0031 19 Dossier professionnellement de l’effondrement de leurs mondes respectifs auxquels ils ont contribué par leur travail, mais plus encore par leur décision d’en refouler les effets dévastateurs pour d’autres. Dans une perspective bien plus réduite, celle de l’histoire familiale, le texte de Ferrari présenté dans ce dossier permet de comprendre que les affrontements guerriers ne creusent pas uniquement des tranchées infranchissables, mais qu’ils peuvent surtout, vus de la perspective de la génération de la postmemory, également être compris comme les débuts d’une histoire connectée. Son grand-oncle meurt dans la Somme et Ferrari évoque le rapatriement de son corps dans une scène digne de Claude Simon. Une vingtaine d’années plus tard, la Seconde Guerre mondiale crée pour le grand-père et sa famille des liens bien moins mortels, mais durables avec la famille allemande au sein de laquelle il vit et travaille en tant que prisonnier de guerre. Alors que vus de Corse, les champs de bataille de la Grande Guerre semblent aussi loin que les stalags de la Seconde Guerre mondiale, l’„odeur de terre mouillée est la même partout“ (Ferrari 2019: 24), de sorte que pour l’auteur, les monuments aux morts des deux pays se superposent. Alors que les histoires d’amour interculturelles échouent chez Bénech et N’Sondé, Ferrari propose „que les liens secrets unissant ces deux monuments aux morts étaient peut-être plus puissants et indéfectibles que ceux de l’amour“ (ibid.: 25). Les monuments aux morts ne sont pour lui ni de „fier[s] monument[s] de honte“ (de Toledo 2009: 80) ni une expression de la „tristesse européenne“ (de Toledo 2009), ils témoignent d'un passé commun pour la génération des enfants et des petits enfants de la guerre. Au lieu de le condamner, comme le suggérait de Toledo, ce sont justement les morts du passé qui, pour Ferrari, montrent le chemin d’une histoire européenne partagée et tournée vers l’avenir. Asholt, Wolfgang, „,Longtemps, l’Allemagne‘: Deutschland in französischen Gegenwartsromanen“, in: Lothar Albertin (ed.), Deutschland und Frankreich in der Europäischen Union. Partner auf dem Prüfstand, Tübingen, Narr, 2010, 207-221. Bénech, Clément, Lève-toi et charme, Paris, Flammarion, 2015. Bergson, Henri, L’évolution créatrice, ed. Arnaud François, Paris, Presses Universitaires de France, 2007 ( 1 1907). 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DOI 10.2357/ ldm-2019-0031 21 Dossier 1 „Je mehr die Unbestimmtheitsreserve eines Prozesses ausgeschöpft ist, desto mehr sinkt sein Informationsgehalt; im Moment der völligen Redundanz - also der gänzlichen Vorhersagbarkeit - ist er gleich null“. 2 C’est ainsi que „les écrivains français à Berlin devinrent une sorte d’objet d’étude“, comme l’écrit Wajsbrot en clin d’œil au volume de Zimmermann (Wajsbrot 2015: 12). D’ailleurs la collection elle-même dans laquelle paraît le petit livre de Wajsbrot en témoigne, car elle est dédiée à une écriture „ancrée dans un territoire. Entre littératures de l’exil et essais littéraires, elle a pour projet d’exprimer la diversité des francophonies migrantes issues du Berlin multiculturel de l’après-chute du Mur“ (www.lavillebrule.com/ collections, consulté le 23 juillet 2019). 3 Il serait intéressant d’analyser quelle est la conséquence pour l’image du pays de cette motivation pour l’apprentissage de l’allemand, qui lui confère ainsi un arrière-goût de langue pour l’élite. 4 Cette expression fait écho à celle choisie par Hélène Cixous dans son livre de correspondance avec Cécile Wajsbrot: „je sens avoir toujours déjà été entourée d’Allemagne“ (Cixous/ Wajsbrot 2016: 19). 5 Dans Mémorial de Cécile Wajsbrot (Paris, Zulma, 2005) on trouve déjà le motif des parents qui ont survécu à l’Holocauste et sont maintenant atteints d’Alzheimer. 6 Les risques d’une telle identification à la mémoire de parents survivants sont décrits par Cécile Wajsbrot dans son roman Mémorial. 7 Cette visite sera documentée dans une émission de „Métropolis“ sur ARTE, diffusée le 3 septembre 2017. 8 Le premier roman de Rohe, Défaut d’origine, peut être considéré comme un règlement de compte fictif avec la mère. 9 En clin d’œil à la biographie de l’auteur, un autre enfant ne fait que brièvement apparition, „un garçon plus vieux qu’elle, ou plutôt plus jeune, freluquet myope comme pas permis, vraisemblablement un enfant attardé mental si mes souvenirs sont exacts“ (Rohe 2009: 78). 10 Le parcours langagier de Wajsbrot ressemble à celui de Cixous tel qu’elle le décrit dans sa correspondance avec l’auteur (Cixous/ Wajsbrot 2016: 26ssq.). 11 Cf. aussi Wajsbrot 2002: 45: „à Paris […] où la hauteur des bâtiments et l’étroitesse des rues font oublier qu’il existe autre chose que des hommes et des voitures, autre chose que la ville, où rien ne nous conduit à lever les yeux, tant nous trouvons à regarder en bas, à Berlin, l’horizon l’emporte et nous montre un chemin, au-delà de l’histoire“. 12 Ces mêmes Stolpersteine se trouvent aussi au centre de la réflexion poétique de Marie NDiaye sur Berlin (NDiaye 2011). Pour les explorations ndiayesques de Berlin, cf. Zimmermann 2014a: 125-138. 13 Toutes les citations de Lotman sont de ma traduction. 14 „Die Instabilität der Randbereiche, die Heterogenität ihrer Codes und die damit einhergehende Notwendigkeit der Übersetzung zwischen unterschiedlichen Zeichensystemen ist damit jedoch nicht allein ein Desiderat künftiger Ordnungsleistungen, sondern das kreative Zentrum, das jede Kultur benötigt, um überlebensfähig zu sein“. 15 „Was das System aber an struktureller Organisation gewinnt, verliert es […] an innerer Unbestimmtheit und damit auch an Flexibilität, Fähigkeit zur Erhöhung der Informationskapazität“. 16 Cette expression réapparaît dans le texte de Langeraert publié dans ce dossier, p. 30.