lendemains
ldm
0170-3803
2941-0843
Narr Verlag Tübingen
10.2357/ldm-2019-0038
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2019
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1789 : les premiers temps de la Révolution française
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2019
Alain J. Lemaître
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DOI 10.2357/ ldm-2019-0038 61 Discussion Alain J. Lemaître 1789: les premiers temps de la Révolution française Le temps des crises et des révolutions 1 Dans le dernier tiers du XVIII e siècle, l’histoire de l’Europe et des Amériques est marquée par des soulèvements qui affectent en profondeur les sociétés et les États ou leurs colonies, ainsi que les équilibres internationaux. En effet, depuis la révolte de Pougatchev en Russie et la Boston tea party en Amérique 2 jusqu’au traité d’Amiens qui offre à l’Europe, en 1802, une stabilisation diplomatique éphémère, le ‚vent de la liberté‘ souffle de part et d’autre de l’Atlantique. Ces événements, d’où émergent principalement la révolution américaine et la Révolution de 1789, n’ont toutefois ni la même dynamique, ni la même ampleur et connaissent des destins différents. La révolte de Pougatchev contre l’impératrice de Russie, 3 celle de Tupac Amaru II dans les colonies espagnoles d’Amérique, 4 ou les soulèvements de l’Irlande, de l’Angleterre ou des Pays-Bas, 5 parmi d’autres, montrent bien la diversité des situations politiques et la spécificité de chaque mouvement. Cependant, leur multiplication sur une trentaine d’années invite les historiens à s’interroger sur les origines de ces révoltes ou de ces poussées révolutionnaires ainsi que sur les conditions économiques, sociales, politiques, sinon culturelles qui les portent, ainsi que sur le poids des réalités nationales, ou à réfléchir au rayonnement des modèles américain et français et à leur influence réciproque (Ackerman et al. 1998). Un débat toujours actuel Or, voilà deux siècles que les historiens, français notamment, se déchirent pour imposer leur conception des racines de la Révolution française. Dans ces affrontements, deux principales écoles se distinguent: une école historiographique influencée par le marxisme, parfois qualifiée de jacobine ou encore de jacobino-marxiste, a longtemps dominé les débats et imposé sa vision des ‚causes‘ de la Révolution. On pense notamment aux travaux de Georges Lefebvre, publiés en 1939, qui se focalisent sur une opposition schématique radicale: d’un côté, une bourgeoisie qui monterait en puissance et verrait la nécessité de renverser l’ordre social pour prendre le pouvoir, de l’autre une noblesse dont la richesse repose principalement sur la propriété foncière agrippée à ses privilèges. Cette école a eu d’illustres représentants comme Albert Soboul (1962, 1984), Michel Vovelle (2003), Claude Mazauric (1962, 2009), Michel Biard et Pascal Dupuy (2004), et elle est toujours portée aujourd’hui de façon majoritaire par les membres de la Société des études robespierristes. Face à elle s’est s’affirmée à partir de 1954 une autre école historiographique qui propose une vision libérale de la Révolution de 1789 et dénonce avec Alfred Cobban „le mythe de la Révolution française“ (Cobban 1955). Dans ces années 1950, en 62 DOI 10.2357/ ldm-2019-0038 Discussion pleine guerre froide, la singularité de la Révolution française est souvent critiquée pour être englobée par Jacques Godechot et Robert R. Palmer dans un vaste ensemble disparate de révoltes: les révolutions atlantiques, en allusion aux troubles qui ébranlent en quelques décennies l’Europe et l’Amérique (1955). François Furet et les historiens dits ‚révisionnistes‘ ne font que poursuivre cette œuvre de démythification dans les années 1975-1990 (Furet 1978). Au début du XXI e siècle, ce débat reste toujours vif, et s’il en va ainsi, c’est que la Révolution française reste aujourd’hui un mythe fondateur de la République. Elle est présente dans l’hymne national, dans la devise de la France, dans le drapeau tricolore. Elle est présente également dans la référence constante, sinon obsessionnelle aux ‚valeurs républicaines‘ que l’on invoque dans les débats politiques, et notamment à la liberté et à l’égalité… la fraternité ayant déserté ces dernières années la vie quotidienne des Français. Nous voudrions ici rester à l’écart de cet affrontement. Mais si l’historiographie est devenue prudente depuis le dernier tiers du XX e siècle en matière de causalité, est-il plus légitime de porter une réflexion sur les ‚origines‘ de la Révolution française? Ou encore, peut-on constituer en ‚origines‘ un ensemble de faits, d’événements, d’expériences ou d’idées disparates et dispersées? Cette question doit être posée pour qui s’aventure sur le terrain de la Révolution qui, d’ailleurs, n’est pas un „bloc“, contrairement à ce qu’affirmait Clémenceau. 6 Deux objections à cette démarche peuvent être formulées d’emblée. Rechercher des origines supposerait d’effectuer d’abord une sélection dans la coexistence d’évènements, d’écrits et de discours que l’historien considère comme décisifs de la rupture révolutionnaire. Et cette recherche des origines imposerait dans le même temps une construction rétrospective qui confèrerait des liens ou une unité à des idées ou une praxis étrangères les unes aux autres, concourantes certes, mais aussi concurrentes et discontinues dans leur accomplissement. Malgré ces écueils, la recherche des origines a orienté un certain nombre de travaux, à la suite des réflexions de Daniel Mornet en 1933 sur Les origines intellectuelles de la Révolution française, appelant à une histoire sociale des idées (Mornet 1967). C’est à partir de cet ouvrage que Roger Chartier a poursuivi ce débat en menant une réflexion fondamentale sur le lien entre idées et expériences dans Les origines culturelles de la Révolution française (1990). Par la suite, Dale van Kley s’est concentré sur les effets idéologiques cumulés des conflits de doctrine et d’appartenance confessionnelle dans Les origines religieuses de la Révolution française (1996). Enfin, Peter R. Campbell a jeté un regard particulièrement novateur en matière politique dans un ouvrage magistral qui rassemble en 2006 les réflexions d’historiens britanniques et américains sur Les origines de la Révolution française. 7 La recherche sur la Révolution de 1789 est inépuisable, elle reste dynamique et source de renouvellement historiographique. 8 Cependant, en commentant les textes de Nietzsche sur la Généalogie de la morale, Michel Foucault a apporté en France la critique la plus vive à cette linéarité supposée de l’histoire, à cette notion d’origine qui annulerait l’originalité de l’événement. 9 Cette linéarité serait pour lui une négation des discontinuités radicales, des DOI 10.2357/ ldm-2019-0038 63 Discussion surgissements, des discordances qui séparent les discours et les pratiques: „Les forces qui sont en jeu dans l’histoire, écrit-il, n’obéissent ni à une destination ni à une mécanique, mais bien au hasard de la lutte. Elles ne se manifestent pas comme les formes successives d’une intention primordiale; elles ne prennent pas non plus l’allure d’un résultat. Elles apparaissent toujours dans l’aléa singulier de l’évènement“. Si l’on s’oriente vers une généalogie pour appréhender une séquence non homogène de l’histoire de la France, comme l’est la Révolution, on préfèrera prendre en compte les péripéties qui ont pu avoir lieu, et l’irruption de l’événement dans le royaume. Lorsque l’aube se lève le 1 er janvier 1789, la grande affaire politique qui agite le royaume est la mise en œuvre des États généraux, assemblée des trois ordres, convoquée par le roi pour lui porter conseil dans une situation de crise financière aiguë. Dès le 24 janvier, on établit le règlement électoral pour choisir les futurs députés. Entre février et avril, des assemblées se réunissent pour les élire et rédiger des cahiers de doléances. Le 5 mai, se tient la séance d’ouverture des États généraux à Versailles. Des villes et des campagnes du royaume n’ont pas attendu cette réunion fêtée avec allégresse pour entrer en agitation: des combats de rue éclatent à Rennes et à Nantes dès janvier, une grande émeute traverse Paris fin avril… Des troubles de subsistances ébranlent déjà plusieurs campagnes dont la Provence. Ces manifestations, en particulier, ne constituent pas une nouveauté en soi mais elles vont enclencher un mouvement profond qui va bouleverser la société française et le royaume et constituer une révolution. Si l’on revient sur les premiers moments de la Révolution en tenant compte des observations méthodologiques sommairement présentées dans cet article, il est possible de privilégier trois grands thèmes pour mieux comprendre l’année 1789. Il s’agit d’abord de replacer les évènements qui composent 1789 dans leur temporalité et leur milieu anthropologique à la fin du XVIII e siècle, d’approcher la sociologie et la culture politique des députés de la dernière assemblée de l’Ancien Régime qui est aussi la première assemblée de la Révolution, et enfin de considérer la dialectique des foules et des assemblées révolutionnaires, qui est une spécificité française à la fin du XVIII e siècle et fait de la Révolution de 1789 une exception, une singularité. * * * I - Repères anthropologiques Une société organique, une société à privilèges Qu’on la comprenne comme une société d’ordres, privilégiant la notion de dignité, ou de corps dotés d’un statut juridique, ou de classes intégrées à un processus de production, la société de l’Ancien Régime est avant tout une société organique et une société à privilèges. Les individus qui la composent n’ont une existence sociale et juridique que dans le cadre des communautés auxquelles ils appartiennent et qui les représentent. Ce caractère apparaît clairement lorsque le roi rassemble les États 64 DOI 10.2357/ ldm-2019-0038 Discussion généraux du royaume où ce ne sont pas des individus qui votent mais chaque ordre, qui ne dispose que d’une seule voix. Ces communautés entretiennent, entre elles et au sein d’elles-mêmes, à la fois des rapports de domination mais aussi de protection et vivent donc en symbiose. À l’aube de 1789, la société française est composée de trois ordres, où chacun est complémentaire des deux autres, conformément à une conception héritée du Moyen Age: 10 les religieux (oratores) prient pour le salut des laïcs; les chevaliers (bellatores) mettent leurs armes au service du roi et de l’Église; enfin, les paysans (laboratores) cultivent la terre pour nourrir les deux premiers ordres et entretiennent l’État par leur travail et supportent la plupart des impôts. Ces trois ordres ou fonctions sont hiérarchisées en dignité avec aptitude à la puissance publique selon Charles Loyseau, 11 autrement dit la logique spirituelle du premier ordre prévaut sur celle politique du second, qui elle-même prévaut sur toutes les considérations économiques. Cette vision idéale de la société sur elle-même est donc aux antipodes de celle d’un monde où l’économie imposerait sa logique à l’ensemble du corps social. Il faut aussi souligner que cette société reste au XVIII e siècle une société à privilèges. Le privilège est un droit concédé et renouvelé à un seul ou à plusieurs par le souverain et dont on jouit à l’exclusion des autres, contre le droit commun qui en revanche s’applique généralement à tous. On a coutume d’associer les privilèges, sous l’Ancien Régime, au clergé et à la noblesse, les deux ordres les plus privilégiés en matière politique, comme Sieyès l’affirme en 1789 dans son pamphlet Qu’est-ce que le Tiers-État? 12 Mais beaucoup plus largement, c’est le système monarchique français qui repose tout entier sur le privilège. Il s’agit certes de privilèges de personnes, liées à une naissance (l’extraction noble) ou à des fonctions (les offices, les détenteurs de charges administratives, judiciaires et financières). Mais il s’agit aussi de privilèges territoriaux qui concernent des provinces entières comme les pays d’États qui ont conservé leur propre organisation administrative et leur assemblée des trois ordres (principalement la Bretagne, le Languedoc, la Provence, la Bourgogne) et qui échappent pour une bonne part à l’administration royale directe. 13 Ils concernent aussi des villes, à l’image de Saint-Quentin, qui ne paie pas la taille, ou de Paris, où les bourgeois sont eux aussi exempts de taille, principal impôt direct. Ce sont encore des privilèges de métiers ou de corporations, de librairies, de manufactures royales, comme celle des Gobelins, qui détiennent par là des monopoles de fabrication et de diffusion de produits de consommation accordés par le pouvoir royal (Kaplan 2001). Ce sont de manière générale des privilèges de corps, c’est-à-dire d’un groupe d’individus unis pour le bien commun. Un corps peut ester en justice, possède des statuts, se recrute lui-même, prélève des taxes sur ses membres et avoir bourse commune: les universités sont des corps et, par conséquent, elles jouissent de privilèges. Si nous insistons d’abord sur ces faits, c’est pour souligner deux points qui nous paraissent essentiels pour aborder le phénomène révolutionnaire: D’abord, dans ce royaume de France où la monarchie se veut absolue et centralisatrice, elle aliène une part considérable de la puissance publique - administration DOI 10.2357/ ldm-2019-0038 65 Discussion et finances - à des particuliers (dont une grande partie de l’imposition)… Les statuts juridiques particuliers des provinces - on pense notamment à la multiplicité et à la diversité des coutumes dans la France au nord de la Loire - de même que la diversité des langues régionales viennent renforcer ce caractère centrifuge. Il en découle que si la monarchie est absolue comme le soulignent les théoriciens partisans de ce régime depuis Jean Bodin, son gouvernement ne l’est pas dans les faits. Si bien que la réforme, toujours souhaitée et récurrente depuis la mort de Louis XIV , est particulièrement difficile à mettre en œuvre et à réaliser car chaque fois que la monarchie entreprend de réformer la fiscalité, la justice ou le travail, elle rencontre toujours de très vives résistances, de la part des ceux qui détiennent un privilège - et tous les corps, ordres et individus en détiennent! Ensuite, ce système de privilèges, dont les cahiers de doléances sont un excellent miroir, montre bien que la France n’est pas une nation au sens contemporain du terme. Les individus et les populations se considèrent d’abord comme membres de la communauté de tel bourg ou de tel village, de telle seigneurie ou de telle province, de tel ordre ou de tel corps. Il faudrait donc prolonger la réflexion sur les comportements du printemps et de l’été 1789 dans leur dimension apparemment contradictoire: ils marquent en effet à la fois l’appartenance à un monde ancien et le rejet des contraintes de cet ordre féodal. On sait contre quoi les paysans se révoltent: ils ne nous disent jamais contre quoi ils ne se révoltent pas ni à quoi ils adhèrent… Le caractère organique de la société et le système du privilège monarchique n’excluent nullement l’évolution. Ils n’astreignent pas les personnes à rester dans un cadre donné. Cet ordre idéal se dilate en permanence sous l’effet des forces économiques qui travaillent la société. Les alliances matrimoniales entre une partie de la noblesse et la bourgeoisie d’affaires en témoignent. 14 Croissance économique, pression fiscale et domination seigneuriale Or l’économie française au XVIII e siècle est marquée par une très forte croissance, portée principalement par le commerce extérieur (notamment le commerce international des colonies d’Amérique) et par l’essor industriel. 15 Ces deux domaines se conjuguent pour donner sa vitalité à l’expansion française, alors que la population du royaume reste majoritairement et fondamentalement paysanne sinon rurale. En revanche, les finances de la monarchie sont dans un état catastrophique et cette situation affecte lourdement le cours des événements qui composent 1789. La première partie du siècle a été relativement calme en matière de fiscalité et d’équilibre budgétaire. À partir de 1745, la situation financière va en s’aggravant en raison des énormes besoins de la guerre outre-mer. La guerre de succession d’Autriche, premier grand conflit maritime et colonial du règne de Louis XV, absorbe environ un milliard de livres tournois. La guerre de Sept ans (1757-1763) exige plus de 1,8 milliards de livres tournois. Et tout le règne de Louis XVI , avec les nécessités financières nouvelles de la guerre d’indépendance américaine, s’inscrit dans cette tendance: pour la guerre d’Amérique, 2 milliards de livres tournois sont déboursés par un royaume déjà exsangue! La traduction de ces besoins financiers, c’est d’une part un 66 DOI 10.2357/ ldm-2019-0038 Discussion prélèvement fiscal accru qui épargne les deux premiers ordres de la société et une dette croissante qui va s’achever en banqueroute. 16 Or c’est avant tout pour résoudre cette crise financière que le roi convoque le 8 août 1788 les États généraux du royaume. Si cette intention est clairement posée d’emblée dans sa lettre de convocation, c’est un événement attendu et désiré par tous, d’autant que la monarchie ne les a plus réunis depuis 1614 (Chartier/ Richet 1982)… Cette convocation porte une espérance de réforme et de jours meilleurs. Clergé, noblesse et tiers état se retrouvent à Versailles le 5 mai 1789 en présence du roi qui préside cette ouverture. Cette réunion s’effectue donc dans les cadres les plus traditionnels de la monarchie et de la société française: les députés que le roi convoque à Versailles pour lui porter conseil sont des notables… Mais dans le même temps, des franges importantes des communautés rurales et des corps de métiers se révoltent dans le refus des ‚nouvelletés‘. Il ne s’agit pas pour ces groupes sociaux de construire une société nouvelle, ni de s’opposer à la monarchie, mais de préserver leur univers social et culturel: en somme de proclamer leur droit à la subsistance et exiger le respect de la coutume. 17 Or, ces revendications des humbles ne sont pas nouvelles. L’action communautaire et les révoltes paysannes En effet, au XVII e siècle, les émotions populaires ou les grandes rébellions rurales ont pu déjà prendre la forme de révoltes armées (Bercé 1986, Neveux 1997), souvent circonscrites et ponctuelles (Aubert 2014, 2015). L’augmentation du prix du pain et le prélèvement fiscal étatique dans ses différentes modalités constituaient presque toujours les principaux motifs de ces émotions. Contrairement aux révoltes organisées de la Ligue (1584-1591) et de la Fronde (1648-1653), où le rôle de la noblesse s’avère déterminant, ces grandes émeutes paysannes n’avaient pas pour enjeu le pouvoir central, mais elles étaient pourtant éminemment politiques puisqu’elles dressaient des bourgs ou des villages, parfois des régions entières contre les agents du roi, qui imposaient dans les provinces le prélèvement fiscal monarchique. De là découlent leurs autres caractères. Les soulèvements du XVII e siècle peuvent être dits populaires dans la mesure où ils mobilisent les communautés en leur entier et s’appuient sur des solidarités organiques, de résidence, de famille, de lignage, de clientèle, sans exclusive sociale. Ces foules ameutées se rassemblent donc en référence à la coutume ou à des usages considérés comme légitimes et défendent des privilèges anciennement acquis contre l’État prédateur. Ces grandes jacqueries antifiscales s’estompent au terme des années 1675, mais la protestation rurale persiste dans des cadres sociaux ou juridiques nouveaux et emploie des tactiques et des stratégies nouvelles. Aux violences immédiates contre le collecteur de l’impôt royal ou le curé décimateur succède le recours procédurier à l’administration et à la justice du roi. Dès le milieu du XVIII e siècle, les communautés rurales multiplient en effet les procès contre les seigneurs et vont devant les bailliages et les parlements porter leurs causes pour exiger la suppression de droits seigneuriaux considérés comme injustes: le guet et la garde levés pour la réparation DOI 10.2357/ ldm-2019-0038 67 Discussion du château, le droit de four banal qui oblige les paysans à cuire leur pain dans le four seigneurial moyennant redevance, ou encore les corvées (Root 1987: 155-204). Ce droit à la subsistance est transformé par la rhétorique des avocats qui ne manquent pas l’occasion d’attaquer les bases mêmes du régime seigneurial devant les cours et sapent, parfois malgré eux, les fondements mêmes de la société d’ordres. Considérées comme la contrepartie d’une protection due et assurée par le seigneur, les redevances étaient parfaitement intégrées à un système de dons et de contre-dons. La paysannerie du XVIII e siècle, quand elle se soulève, ne se rebelle pas contre l’État moderne mais contre les abus de la seigneurie, dans ses deux versants, l’un archaïque avec les redevances et les banalités, l’autre capitaliste avec l’accaparement des communaux, la clôture des prairies et la constitution de grandes fermes. Sans les pulsions millénaristes qui avaient pu traverser les grandes révoltes des XV e et XVI e siècles en France et plus généralement en Europe, cette protestation est menée par un monde paysan également mieux alphabétisé, plus ouvert aux échanges, en relation constante avec les villes. S’il nous paraît abusif de parler de politisation des masses paysannes, comme le fait Roger Chartier (Chartier 2000: 215), il est exact d’affirmer que ces communautés rurales sont de plus en plus rétives aux dépendances anciennes. De cette mutation témoignent les doléances exprimées dans les deux derniers États généraux de l’Ancien Régime, ceux de 1614 et ceux de 1789. Au début du XVII e siècle, près de la moitié des cahiers étudiés en Champagne s’élève contre la fiscalité royale et plus de 15% d’entre eux souhaitent une réforme religieuse montrant ainsi une attente d’un clergé catholique mieux formé au salut des âmes. 18 Cent soixante-quinze ans plus tard, les communautés se plaignent de manière quasi unanime du poids des impôts, qu’ils soient directs ou indirects, mais 80 % des cahiers contiennent des récriminations antiseigneuriales, en matière de justice et de droits seigneuriaux, dont les paysans souhaitent le plus souvent un allègement et, plus rarement, leur abolition. Il est juste de dire que les primes contestations que traduisent les cahiers de doléances entendent d’abord reformuler les privilèges des possesseurs et maîtres de la terre et le poids de l’impôt royal, mais ce faisant elles ébranlent les fondements d’un ordre féodal et le système des privilèges perçus dans leur dimension fiscale. Ce sont ces comportements communautaires avec lesquels les députés réunis aux États généraux sur convocation du roi à Versailles pour résoudre la crise financière vont devoir compter. On doit donc s’interroger sur la composition sociale de cette ultime assemblée de l’Ancien Régime et première de la Révolution, et sur le comportement des députés. II - Du côté des élites: la culture politique des députés Dès 1996, Timothy Tackett a tenté de restituer la dynamique de l’apprentissage de la Révolution en étudiant non seulement les minutes officielles et les rapports produits par l’Assemblée nationale, mais aussi le regard posé sur ces débats par la 68 DOI 10.2357/ ldm-2019-0038 Discussion presse ou les observateurs contemporains de l’événement (Tackett 1997). 19 En suivant l’itinéraire des députés de 1789, Tackett posait des questions fondamentales qui restent ouvertes aujourd’hui: comment et pourquoi ces hommes, qui étaient parfaitement intégrés à la société de l’Ancien Régime, en sont venus à renverser le monde politique qu’ils avaient toujours connu et à se comporter ainsi en révolutionnaires? Quelles étaient alors leur culture, leurs idées, leurs conceptions de l’État et de la société? Quel est le régime de leur transformation? Le rassemblement des trois états Les députés convoqués par le roi à Versailles sont trois fois plus nombreux que ceux appelés aux États généraux de 1614. Avec un total de 1177 habilités à siéger, ils composent le corps représentatif vraisemblablement le plus important, d’un point de vue numérique, de l’histoire de l’Europe. Par rapport aux 55 hommes qui ont rédigé à huis clos la déclaration d’indépendance des États-Unis d’Amérique, cette assemblée est une véritable masse humaine. Cette dimension extraordinaire lui confère des caractères particuliers. En premier lieu, les partis politiques n’existant pas, ce sont des relations essentiellement organiques qui unissent d’abord les députés: l’appartenance à leur ordre et leur origine géographique, parisienne ou provinciale, bretonne ou provençale. Ce sont là les premiers critères de rassemblement. D’autre part, et dans ce contexte, l’organisation des débats reste difficile, leur déroulement très lent, leur issue imprévisible. Cette masse humaine favorise donc l’émergence de grands orateurs sinon de tribuns qui vont contribuer à donner aux événements, dès 1789, un caractère théâtral. Portée par des critères électoraux qui privilégient la richesse et la propriété foncière, la représentation gonfle le nombre de députés originaires de la partie nord du royaume (au-dessus d’une ligne La Rochelle - Genève) et compte 75 % de citadins alors que le monde rural, majoritaire en population, très largement minoritaire dans ces États généraux, est surtout représenté par les curés des paroisses rurales. Hommes d’âge mûr, ces députés ont en moyenne quarante-six ans au début de leur mandat et la présence active et remarquée de jeunes hommes ne permet pas de conclure à la dynamique d’une génération particulière. Dans l’ordre du clergé, si les prélats restent minoritaires, ils n’en demeurent pas moins influents par le prestige lié à leur position dans la hiérarchie ecclésiastique et leur immense richesse. Tous sont issus de la grande noblesse ou noblesse ancienne. Ils résident pour moitié à Paris ou à Versailles, autrement dit à proximité du roi. Dans le cadre du seul ordre à disposer sous l’Ancien Régime d’une assemblée générale régulière, les prélats ont l’habitude de travailler ensemble et tant cette habitude que leur homogénéité sociale explique, de leur part, la définition très rapide d’une position politique commune dans les premières semaines des États généraux. Les députés curés qui, par leur origine sociale et leur situation économique, éprouvent plutôt une sympathie pour le tiers état résistent avec difficulté à l’épiscopat. Le second ordre, la noblesse, présente une composition sociale assez homogène, car ses députés viennent surtout de l’aristocratie la plus haute et la plus ancienne DOI 10.2357/ ldm-2019-0038 69 Discussion du royaume. On y trouve les grands, les membres d’une noblesse très ancienne et seulement quelques anoblis. Dans leur majorité, ils ne sont ni juges, ni administrateurs, ni seigneurs ruraux, ni courtisans. Ils ont poursuivi la carrière des armes et sont des soldats pour lesquels l’art de la guerre l’a vite emporté sur le droit, les lettres et les arts dans leur instruction. Tout autre est la composition du tiers état, dominé par les hommes de loi, la magistrature en premier lieu, puis les avocats. Si ces représentants sont tous aisés, souvent prospères, parfois riches mais sans commune mesure avec la situation économique du second ordre, leur culture, souvent acquise dans l’université, est juridique. Certains d’entre eux ont assumé des fonctions dans l’administration royale, mais par leur formation, leur condition au sein de la société d’ordres et leurs valeurs héritées des Lumières (raison, liberté, utilité, bonheur), ils se situent aux antipodes de la noblesse à laquelle ils vouent une haine tenace. C’est là leur dénominateur commun. Les représentants du tiers état ne représentent pas le monde du travail puisqu’on ne compte parmi leurs rangs aucun artisan, aucun commerçant, aucun paysan petit ou moyen… Il ne s’agit nullement d’une bourgeoisie d’affaires: les représentants du capitalisme industriel et du grand négoce ne constituent pas plus que le sixième des députés du tiers état! La culture politique des députés La présence d’une élite juridique ne suffira pas à nous faire rejoindre Hippolyte Taine (1986) ou Tocqueville (1967) sur le lien direct qu’ils établissent entre Lumières et Révolution, et sur leur perméabilité aux idées de Voltaire ou de Rousseau. Cela supposerait d’abord de réduire les Lumières françaises en un tout homogène, ce qu’elles ne sont pas (Roche 1993, Beaurepaire 2013). Ce serait considérer également que les idées peuvent être des causes alors qu’elles ne sont ni causes ni effets… Si l’on appréhende ainsi les disciples avérés de Rousseau dans cette assemblée, on observe que certains d’entre eux deviennent jacobins (dont Robespierre et Le Clerc) mais Bergasse et Boufflers sont monarchiens, Ferrieres et Lezay membres de la droite aristocratique, et d’Antraigues va devenir l’un des dirigeants des émigrants contre-révolutionnaires (Tackett 1997: 73)! La parenté avec Rousseau se manifeste plus tard dans la Révolution. 20 Les députés qui viennent siéger à Versailles, à l’exception de ceux du haut clergé et de la plus grande partie de la noblesse qui adoptent immédiatement une attitude défensive liée à une inquiétude réelle, tout en affichant une confiance dans un ordre immuable des choses, n’ont aucun programme politique. Leurs écrits, privés ou publics, leurs interventions dans l’assemblée montrent une aptitude à la politique et une attente très forte pouvant aller jusqu’à l’enthousiasme d’un monde nouveau dont on ne devine pourtant ni les contours ni les principes. L’analyse de ces textes permet toutefois de dégager trois grands thèmes. Quelles que soient les critiques que les uns et les autres peuvent formuler à l’égard de la monarchie, tous témoignent d’un attachement et d’un profond respect pour la personne du roi et „son autorité sacrée“. Même le futur jacobin Théodore 70 DOI 10.2357/ ldm-2019-0038 Discussion Vernier, qui attaque les ordres privilégiés, implore ses semblables en ces termes: „Ne redoute rien de ton idolâtrie pour tes rois […] Presse-toi auprès du trône et […] maintiens le pouvoir monarchique“. 21 Les représentants se divisent sensiblement sur la relation entre le roi et les États généraux et sur l’ultime souveraineté et l’équilibre des pouvoirs: si minoritaire soit-elle, la question du consentement de la nation est posée, même si tous s’accordent à ce que le pouvoir exécutif revienne au roi. Aussi les députés du tiers état restent-ils, en avril, tributaires de l’ancienne conception de l’ordre politique. Sur la question de la noblesse, les députés du tiers sont majoritairement hostiles au second ordre et l’expriment dans un langage d’une violence rare. Tous ne vont sans doute pas aussi loin que Lanjuinais, député du tiers état de Bretagne qui affirme que „les nobles sont comme un corps de parasites vivant de travaux du peuple [qui] nous donneront ainsi la chasse comme à des bêtes fauves“ 22 pour exiger la suppression de la noblesse, mais tous fustigent déjà l’incapacité de la noblesse de s’adapter à un monde nouveau, son intransigeance, son refus des réformes et le monopole des fonctions étatiques qu’elle détiendrait. Ce ressentiment général qui unifie - malgré lui - le tiers état va instiller dans les débats le concept d’égalité juridique. En troisième lieu, les députés du tiers état montrent une attitude ambiguë face aux masses populaires… du moins quand ils évoquent ces foules originaires. Les uns fustigent ce peuple où „chaque citoyen est despote et tyran“ (Tackett 1997: 80), d’autres, en héritier des physiocrates, rendent malgré tout hommage à ces hommes qui „fertilisent la terre et nous procurent l’abondance“. Robespierre, qui accuse la noblesse d’affamer le peuple jusqu’à la mort, demeure une exception. Dans leur immense majorité, les députés du tiers ne peuvent imaginer que des gens ordinaires puissent détenir un jour la moindre parcelle de pouvoir. L’esprit de réforme et l’expérience politique En somme, les représentants du tiers état formulent des revendications plutôt modérées en pensant les mettre en œuvre dans le cadre du régime politique avec lequel ils s’identifient, mais ils n’évaluent jamais la portée et les conséquences de leurs exigences. Revendiquer le vote par tête aux États généraux, c’était faire passer l’intérêt individuel avant les fondements de la société organique. Exiger la fin des privilèges fiscaux et l’accès aux offices par le mérite et non plus par le sang, c’était poser l’égalité en principe politique. Vouloir une constitution écrite, c’était en soi prendre part à la vie politique en tant que citoyen et non en tant que sujet d’un monarque se voulant absolu et de droit divin. En fait, ces représentants des trois ordres montrent encore, en mai 1789, un pragmatisme et une recherche du compromis caractéristiques de la société organique et du système des privilèges qu’ils avaient dû s’approprier. Cette modération est renforcée au début des États généraux par le fait que ces députés ne se connaissent pas et que les liens qui les unissent sont d’abord provinciaux. Ils commencent en effet à se réunir en dehors de l’assemblée par province: ceux du Poitou, du Dauphiné se rencontrent ainsi dans des appartements DOI 10.2357/ ldm-2019-0038 71 Discussion privés à Versailles. Les représentants du tiers état de Bretagne, habitués à travailler ensemble dans leurs propres États provinciaux, se retrouvent depuis le 30 avril dans un café de Versailles pour arrêter des positions communes. Très vite cependant, les idées radicales de ce Club breton vont conquérir les députés du tiers état qui affirme jour après jour son identité. Il prend conscience de la force politique qu’il constitue. Le talent de ses orateurs, brillants, rallie les indécis et soulève l’enthousiasme des représentants. Mais c’est d’abord face à l’arrogance et à l’intransigeance de la noblesse et de l’épiscopat qui refusent le moindre compromis ainsi qu’à l’inflexibilité royale que le tiers état se façonne une personnalité politique nouvelle, malgré la confiance qu’il conserve encore en la personne de Louis XVI . La situation dans laquelle ces représentants se trouvent est une situation anomique. Ils participent malgré eux à la disparition d’un monde ancien qui est encore le leur, alors que le monde nouveau qu’ils pressentent et dont l’esquisse est incertaine n’est, quant à lui, pas encore advenu. Ils savent aussi que leur action serait anéantie si le gouvernement engageait contre eux la force armée. De là viennent des prises de position qui peuvent paraître aujourd’hui contradictoires sinon incohérentes. Car dans cette phase, le tiers état se montre plus réactif qu’actif. Il s’inscrit encore fondamentalement dans un processus et des cadres politiques anciens plutôt que de se doter de tous les moyens d’écrire une histoire nouvelle. En revanche, dans la semaine qui suit le 17 juin, ces représentants se proclament Assemblée nationale constituante: l’affrontement avec le roi, qui refuse l’existence d’une telle assemblée, maintient l’obligation du vote par ordre et entend faire respecter les privilèges de la noblesse - à l’exception des privilèges fiscaux -, devient inévitable. À l’inquiétude, à l’agitation, au sentiment de précarité qui envahissent les députés du tiers état succède une ferme résolution alimentée par un nouveau venu sur la scène politique: la foule, qui n’est pas encore devenue „le peuple“. 23 Réunis dans la salle du jeu de Paume, désobéissant aux ordres du roi, les députés jurent de ne pas se séparer avant d’avoir élaboré une constitution. Avec ce coup de force, la dynamique révolutionnaire est enclenchée. Convoqués à Versailles pour donner leur avis au roi, selon la tradition des États généraux, les députés du tiers état refusent d’être les simples porte-paroles d’une nation assemblée et en se proclamant Assemblée nationale constituante envisagent un nouveau régime politique: une monarchie constitutionnelle, quand la république est encore bien lointaine… Il faut réfuter, une fois pour toutes, les explications mettant en avant, comme le fait Tackett, „l’inactivité de la monarchie“ dans cette période, la faiblesse et l’indécision de Louis XVI : „Si le roi avait immédiatement proposé un programme aux États généraux, écrit-il, la majorité du tiers aurait vraisemblablement suivi“ (Tackett 1997: 283). La question ne nous semble pas valoir d’être posée… Quelle que soit la personnalité du roi, le régime politique de la France ne pouvait que tomber. La Révolution est inéluctable dès lors où le monarque et ses ministres gouvernent en s’enfermant intellectuellement dans le seul régime politique qu’ils peuvent concevoir, c’està-dire dans une monarchie qu’ils considèrent comme absolue, conception qui induit 72 DOI 10.2357/ ldm-2019-0038 Discussion des types de comportement - cécité, négation des développements politiques, intransigeance - que l’on retrouve même dans le déroulement de la fuite du roi à Varennes (Tackett 2004, Ozouf 2005). Une dernière composante fondamentale va jouer un rôle considérable dans la conscience et le comportement des députés, à savoir la foule. C’est elle qui va donner à la Révolution française sa spécificité par rapport aux mouvements politiques du XVIII e siècle et, notamment, à la réformation américaine de 1776. En effet, elle est présente dès l’ouverture des États généraux le 4 mai à Versailles. Elle acclame le tiers état, accompagne et encourage jusque dans les rues ses représentants qui sont chaque semaine de plus en plus fêtés. Aussi vont-ils même jusqu’à appeler sa présence dans la salle même des débats (Tackett 1997: 135). Mais cette présence n’est pas silencieuse… Par leur nombre, leurs acclamations ou leurs huées, les spectateurs participent aux débats et durcissent la position politique des députés. Celui qui monte à la tribune ne s’adresse pas qu’aux députés mais recherche leur soutien. Pour les députés, la foule se transforme en ‚opinion publique‘, une opinion qu’il convient d’avoir avec soi pour se légitimer, convaincre et triompher dans des conditions chaotiques. Et cette foule est immense: quand le tiers choisit officiellement le nom d’Assemblée nationale, ils sont 581 députés dans la salle mais aussi… près de 4 000 spectateurs! Et on les retrouve, quelques jours plus tard, lors du serment du jeu de Paume. III - La dialectique des foules et des assemblées La foule affirme donc sa présence dès le début des États généraux. Présente dans les rues de Paris et de Versailles, ainsi que dans les campagnes, elle va le rester dans les salles où siègent les députés tout au long de la Révolution française. Autant dire que cette foule ne se distingue pas par sa passivité, bien au contraire! La présence de la foule et l’intervention populaire vont être un formidable accélérateur d’un changement de régime. Ces „foules bouleversées“, pour reprendre l’expression d’Arlette Farge, ont d’abord constitué un repoussoir pour les témoins de la Révolution et ont effrayé ses opposants (Farge 1986). Dans ses Réflexions sur la Révolution en France en 1790, Edmund Burke décrit l’irruption de la foule sur la scène politique comme „une bande de voyous et d’assassins qui puaient le sang“. 24 Hippolyte Taine fustige à son tour, dans ses Origines de la France contemporaine: „Les vagabonds déguenillés, presque nus, la plupart armés comme des sauvages, d’une physionomie effrayante“. C’est cette image barbare que Balzac reprend en 1829 dans Les Chouans pour décrire les foules contre-révolutionnaires de Bretagne en les assimilant aux sauvages d’Amérique. 25 Et aux abords du XX e siècle, Gustave Le Bon apporte à ce tableau une caution scientifique en dénonçant une foule rendue à l’état animal. On doit aux premiers historiens marxistes de la Révolution française, Georges Lefebvre 26 et Georges Rudé (1982), d’avoir montré, à juste titre, que les foules révolutionnaires DOI 10.2357/ ldm-2019-0038 73 Discussion étaient composées d’hommes et de femmes parfaitement intégrés dans la société française de cette fin du XVIII e siècle. La méfiance, la peur, sinon la haine des foules en révolte ne sont pourtant pas nouvelles à cette époque. Sous la monarchie, les émotions populaires effraient et constituent une menace pour l’ordre public: les milices bourgeoises ou la maréchaussée s’efforcent d’éteindre aussi rapidement que possible ces tumultes et ces désordres. La mobilisation de la foule en soi et les sentiments qu’elle suscite ne sont donc pas un phénomène inédit. La marche du temps, aux XVI e et le XVII e siècles notamment, est rythmée de tels mouvements. Ce qui est nouveau, en revanche, c’est la place que la foule prend et qu’elle occupe dans la crise, c’est l’écho qu’elle a dans les assemblées révolutionnaires, c’est le lien éminemment dialectique qu’elle entretient avec ces assemblées. Pour l’historien de la Révolution, il s’agit donc de déplacer son angle d’observation, en considérant non seulement les débats dans les assemblées de 1789, mais aussi la participation de la foule au processus révolutionnaire, remarquable dans quatre séquences qu’il convient de présenter. Les journées révolutionnaires On peut repérer cette foule dès le printemps 1789, car on remarque de plus en plus d’émeutes de subsistances et de luttes anti-seigneuriales, en particulier dans le Cambrésis, le Dauphiné et la Provence (Nicolas 2002). On a pu recenser 11 émeutes frumentaires en janvier, 16 en février, 99 en mars et 105 en avril. Dans ce même printemps, c’est à Paris que se manifestent des tensions sociales mêlées de revendications politiques. L’augmentation spectaculaire du prix du pain n’y est pas étrangère, mais le sentiment d’être laissés-pour-compte dans la représentation aux États généraux joue un rôle primordial dans la dynamique de ce soulèvement: fin avril, ils sont 3 000 à brûler les effigies du manufacturier Réveillon au faubourg Saint- Antoine. Et en plus des cris traditionnels demandant du pain - „le pain à deux sous“, le droit le plus élémentaire à l’existence - on entend aussi des mots d’ordre nouveaux: „Liberté! “, „Défenseurs de la patrie! “, „Mort aux aristocrates! “. Cette émeute est en fait la dernière de l’Ancien Régime et constitue la première journée révolutionnaire parisienne. Elle est suivie le 14 juillet par une émeute qui part de nouveau du faubourg Saint- Antoine mais qui se donne, cette fois, un objectif précis: la prise de la Bastille, prison d’État quasi déserte, réservée aux individus arrêtés par lettres de cachet, et symbole d’un despotisme dénoncé régulièrement dans les libelles et les pamphlets depuis les années 1770 (Lüsebrink/ Reichardt 1990). Cette foule qui se met en marche le fait dans des journées de tension extrême: Necker, ministre d’État et directeur général des finances, qui restait très populaire, vient d’être renvoyé; la foule incendie les barrières d’octroi que la population parisienne abhorrait; 27 des orateurs comme Camille Desmoulins en appellent aux armes; l’assemblée des électeurs de Paris crée le 13 juillet une milice bourgeoise de plus de 30 000 hommes pour protéger l’Assemblée constituante et contenir sinon réprimer l’agitation populaire. C’est dans ce contexte insurrectionnel que la foule parisienne marche d’abord sur les Invalides 74 DOI 10.2357/ ldm-2019-0038 Discussion pour dérober plus de 7 000 fusils et leurs munitions avant de s’attaquer à la Bastille. Il s’agit là de la première prise d’armes de la Révolution. La nouvelle de la prise de la Bastille et les débats de l’assemblée se propagent dans tout le royaume dans la seconde quinzaine de juillet. Ils vont servir de déclencheurs à d’immenses soulèvements ruraux, communautaires, qui conservent en partie les caractères des grandes jacqueries du XVII e siècle, mais qui sont souvent beaucoup plus radicalisés, contre l’aristocratie. Entre le 20 juillet et le 6 août, les deux tiers du royaume sont affectés par ce qu’on a appelé la Grande Peur ou par ces soulèvements paysans (Lefebvre 2014, Ado 1996). La nouvelle de la prise de la Bastille, des émeutes urbaines et du changement radical intervenu dans les États généraux se répand dans les campagnes sous forme de rumeurs et de bruits. Alimentés et portés par des journaux, des colporteurs, des curés, des commissaires, ils propagent des menaces traditionnelles qui ont toujours marqué les représentations et l’histoire du monde paysan: la peur du brigand, du soldat, de l’étranger, du seigneur et de l’aristocrate, et en Alsace la peur du juif. La Grande Peur se situe dans le prolongement des doléances: contre les redevances féodales et les abus seigneuriaux, les communautés rurales exigent des seigneurs leurs titres de propriétés, les preuves de ce qu’elle doivent réellement leur payer. Les paysans se rassemblent en masse: ils sont 6 000 dans le Maine, 5 000 dans le sud de l’Alsace, 6 000 en Franche-Comté… Leurs revendications appartiennent au monde ancien par le respect du droit et de la coutume auquel elles se réfèrent, mais elles font écho au tiers état par la référence aux élections et aux proclamations, ainsi qu’aux émeutes parisiennes par le mode d’action: en deux semaines 60 000 châteaux et abbayes sont visités, plus de 2 000 terriers (constitutions des seigneuries) sont brûlés. Les modalités de la relation entre les foules et les assemblées sont complexes. On a vu que les députés aux États généraux, dont la convocation a été accueillie avec un enthousiasme unanime dans le royaume, encouragent dans un premier temps la foule à venir les soutenir dans l’enceinte même où se déroulent les débats. Pour les députés cette foule en allégresse joue alors un double rôle, de légitimation et de protection. Les députés, en effet, considèrent rapidement la foule ou les spectateurs comme l’expression de la volonté générale et l’assimilent à l’opinion publique, ralliée à leur entreprise de fondation. De son côté, la foule prend l’information à sa source, participe à l’événement et vient conforter le sentiment de pouvoir des députés. Les menaces qui pèsent sur l’existence même de l’Assemblée, la présence de gardes en armes dans l’enceinte, la rumeur d’une intervention des troupes royales renforcent le lien protecteur qui unit le public et les députés. Mais dans le même temps, les députés éprouvent un rejet devant les conduites insurrectionnelles, les scènes de violence collective, les actions de désobéissance qui se développent à Paris et dans les campagnes. La violence populaire est, de façon générale, fermement condamnée par la plupart des représentants. Les premières têtes coupées, exhibées sur des piques dans le cadre de la prise de la Bastille, les lynchages, et la pendaison à une lanterne de l’intendant de Paris le 22 juillet ne pouvaient qu’horrifier DOI 10.2357/ ldm-2019-0038 75 Discussion les députés. Les scènes de violence et de pillage au cours de la Grande Peur n’ont fait que renforcer leur méfiance sinon leur hostilité envers la foule. À cette insurrection croissante et endémique, les députés de l’Assemblée nationale vont répondre par deux moyens: la réforme et la répression. La panique qui traverse les campagnes d’une province à l’autre, les rumeurs qui agitent particulièrement le monde rural, mais gagnent les députés eux-mêmes, l’autorité de l’État qui vacille sous les violences et les menaces - et que révèle bien l’abandon de leur poste par les intendants - ne font qu’accroître la gravité de la situation. Dès le 20 juillet, des députés proposent des mesures profondes pour remanier le système seigneurial et répondre positivement aux doléances formulées dans les cahiers dans l’espoir de mettre un terme à l’insurrection. Certains vont même à proposer l’abolition des droits seigneuriaux. Le 4 août, ils sont près de 1 000 députés, représentants des trois ordres à siéger et à se prononcer sur trois motions et seize points de réforme. Les trois motions mises en débat sont rejetées par les députés: elles demandaient la liberté religieuse totale pour les protestants, la suppression de l’esclavage dans les colonies et l’abolition de la noblesse… Mais sous l’impulsion du Club breton et du président de l’Assemblée, Lanjuinais, les députés décident l’abolition de la féodalité. Ils instaurent un système judiciaire gratuit, abolissent certains privilèges provinciaux et municipaux, le système administratif en vigueur dans les provinces, la vénalité des offices, les droits casuels du clergé, réforment la gabelle et les traites (impôts indirects) et se prononcent pour l’admission à tous les emplois. Cette nuit du 4 août, qui reste un événement dans l’histoire de la France, montre bien comment la dynamique des foules a fait basculer en quelques jours les députés dans une révolution alors qu’ils étaient d’abord là pour élaborer une constitution et discuter d’un texte fondamental, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, conformément à leurs objectifs et à leur serment du mois de juin. Or, les mesures prises lors de la nuit du 4 août ne suffisent pas à calmer la colère populaire, en raison de leur caractère partiel en matière de droits seigneuriaux et d’autant que le roi refuse toujours d’entériner les décrets pris par l’Assemblée nationale. La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août, qui donne enfin une légitimité à l’Assemblée nationale autoproclamée - et donc illégale -, ne suffit pas non plus à résoudre la contestation. En proclamant comme principe intangible le droit à la souveraineté pour le peuple et la liberté comme droit naturel de l’homme, elle constitue véritablement l’acte de décès de la monarchie. 28 Les émeutes qui se multiplient à la fin de l’été prennent un caractère particulier les 5 et 6 octobre 1789. Lors de ces journées révolutionnaires ce sont 5 000 à 7 000 femmes, parisiennes, qui marchent sur Versailles pour rencontrer le roi, le roi nourricier, et lui demander des subsistances, à savoir du pain. Encadrées par la garde nationale placée sous le commandement de La Fayette, qui les accompagne sans intervenir, elles ramènent Louis XVI à Paris. En soi, ce cortège féminin s’inscrit bien dans la tradition des émotions populaires qui avaient marqué le royaume au XVII e siècle en particulier, mouvements où les femmes - les mères nourricières - figuraient toujours au premier rang. Mais les similitudes s’arrêtent dans cette spontanéité première de la marche. 76 DOI 10.2357/ ldm-2019-0038 Discussion En effet, le déroulement de cette manifestation s’en distingue radicalement par la présence, quoique minoritaire, des ‚vainqueurs de la Bastille‘, par l’accompagnement de la force armée de la Révolution qui n’intervient pas mais canalise sinon protège le cortège, et surtout par la rencontre directe avec le roi qui est contraint par ce mouvement de quitter Versailles, revenir à Paris et approuver les décrets d’août. Ces dernières journées révolutionnaires de 1789 relèvent cette fois de l’organisation. Ce roi est donc un roi défait par les foules. Un roi captif du peuple. Un roi qui doit désormais céder sa souveraineté à la nation dont les représentants quittent à leur tour Versailles huit jours plus tard pour s’installer définitivement à Paris. La répression Cette relation entre les foules et les assemblées de la Révolution reste conflictuelle. Si les foules en armes ont, à deux reprises, empêché le roi de mettre en œuvre un coup de force envisagé contre l’Assemblée nationale, les députés restent méfiants sinon hostiles à leur action et à leur violence qui accélèrent le processus révolutionnaire. Dès le 8 août la garde nationale se substitue aux troupes employées traditionnellement aux opérations de police pour constituer la nouvelle force de maintien de l’ordre. À Paris, elle regroupe 32 000 hommes pour une population de 600 000 habitants: ce rapport est considérable puisqu’on compte un garde national pour vingt habitants, soit un homme sur cinq enrôlé dans le maintien de l’ordre dans la capitale! Les mesures de répression prises par l’Assemblée dès le 10 août confient aux pouvoirs municipaux le maintien de la tranquillité publique et la dispersion des attroupements et des séditieux. À cette occasion, les députés évoquent déjà le Riot Act britannique de 1715, qui considérait les rébellions populaires comme des actes de „felony“, passibles de la peine de mort. Les journées révolutionnaires n’ont fait que raviver le débat et organiser légalement la répression des soulèvements malgré l’opposition très minoritaire de députés patriotes comme Pétion ou Robespierre. Le 21 octobre, l’Assemblée nationale vote un décret que le roi s’empresse de transformer en loi sous l’appellation de ‚loi martiale‘. C’est elle qui va rester en vigueur jusqu’en juin 1793 pour réprimer les troubles, briser les soulèvements populaires, traquer les meneurs réels ou pressentis et sanctionner les rebelles promis à la peine de mort (Biard/ Dupuy 2004: 58sq.). Tous les députés, certes, n’ont pas conscience de ce lien dialectique. Mais des grandes figures de la Révolution, ceux qui vont contribuer à la radicaliser et à imposer des programmes révolutionnaires, savent la force que représente, non pas les foules, mais le peuple. À la proclamation de la loi martiale, Marat répond directement dans son journal L’Ami du peuple, les 10 et 11 novembre 1789 en ces termes: Le peuple ne se soulève que lorsqu’il est poussé au désespoir par la tyrannie. Que de maux ne souffre-t-il pas avant de se venger! Et sa vengeance est toujours juste dans son principe, quoiqu’elle ne soit pas toujours éclairée dans ses effets, au lieu que l’oppression qu’il endure n’a sa source que dans les passions criminelles de ses tyrans […]. La philosophie a préparé, commencé, favorisé la révolution actuelle, cela est incontestable, mais des écrits ne suffisent pas; il faut des actions: or, à quoi devons-nous la liberté qu’aux émeutes populaires? […] DOI 10.2357/ ldm-2019-0038 77 Discussion Suivez les travaux de l’assemblée nationale, et vous trouverez qu’elle n’est entrée en activité qu’à la suite de quelque émeute populaire, qu’elle n’a décrété de bonnes lois qu’à la suite de quelque émeute populaire […]. C’est donc aux émeutes populaires que nous devons tout […]. Et il est vrai que dès le printemps 1789, la foule cherche à obtenir du législateur, tantôt par la menace des armes, tantôt par une violence directement exercée, une décision, un décret, une loi en faveur de ses revendications. Si la somme des révoltes devient révolution, c’est parce qu’elle en a radicalisé le cours. Mais comment la dynamique de 1789 se développe-t-elle? En fait, la convocation des États généraux, souhaitée unanimement et accueillie toujours positivement et même parfois dans l’allégresse, a suscité des espoirs dans l’immense majorité de la population. Concrètement, dès les premiers jours de leur présence, les députés ont ouvert des perspectives de participation citoyenne et une nouvelle sociabilité politique qui avait disparu ou qui ne pouvait guère exister que dans les cercles fermés. Or, la mobilisation populaire profite de ces perspectives et elle va alimenter le débat dans les deux assemblées de 1789. En écho aux États généraux et à l’Assemblée nationale qui posent des principes, elle va permettre à des individus d’exprimer non seulement des doléances, mais d’entrer dans la vie politique en s’assumant comme citoyens (Fiévet 2000). Tantôt le consensus s’effectue entre les foules et les assemblées de 1789, tantôt il se révèle impossible à réaliser. Les députés ne peuvent que prendre en compte ce mouvement populaire soit pour accélérer des réformes (décrets de la nuit du 4 août), soit pour le réprimer, notamment lorsqu’il échappe à leur contrôle (loi martiale du 21 octobre), soit pour une minorité de députés pour valoriser l’action populaire et exalter „le peuple“. 29 L’anomie: conservatisme et subversion Sans doute peut-on expliquer en partie cette participation populaire à la dynamique révolutionnaire en prenant en compte des affects qui jouent un rôle considérable dans les comportements collectifs. L’angoisse et la joie, la colère et la fête, l’humiliation, la vengeance et la restauration de la dignité sont toujours à prendre en considération dans les soulèvements populaires, qu’ils soient citadins ou paysans (Rosenwein 2006, Wahnich 2009). Mais ces considérations psychologiques restent précaires, pour un historien, pour évaluer la place ou le rôle exact de ces émotions, leur solidarité avec les actions également, dans le déroulement des mouvements populaires… Un même sentiment, comme la peur, peut aussi bien engendrer la paralysie d’un groupe d’individus ou décupler au contraire sa force d’intervention: cela vaut autant pour les députés que pour les foules de ces années-là (Burstin 2005, Alpaugh 2015). En revanche, les semaines de l’été 1789 voient l’effondrement brutal de l’Ancien Régime et la critique radicale sinon la disparition des cadres institutionnels qui structuraient la société française. Ces événements créent une situation anomique qu’il convient de mettre en valeur dans l’analyse du processus révolutionnaire. En détruisant les privilèges, en s’attaquant aux bases de la société organique et en posant 78 DOI 10.2357/ ldm-2019-0038 Discussion comme principe que chaque homme est égal à tout autre, c’est un homme nouveau que crée la Révolution, sans pouvoir pour autant se référer à un modèle. 30 L’anomie ce n’est pas uniquement l’absence de loi fixe, l’état de dérèglement, c’est aussi une situation remarquable par l’absence complète de régulation et de signification à la suite de l’effondrement du système normatif et dans le même temps l’existence de déséquilibres extrêmes au sein du système social, c’est-à-dire la discordance entre les moyens et les besoins ou entre les moyens et les aspirations. L’anomie caractérise cette période de changements brutaux qui provoquent le vieillissement de règles de conduites traditionnelles ainsi que l’émergence, dans cette phase de transition, de comportements contradictoires, conflictuels où la violence occupe une place prépondérante. Et c’est ce phénomène qui permet à la foule d’intervenir en permanence, dès 1789 et tout au long de la Révolution. Conclusion Entre le moment où près d’un millier d’hommes se réunissent à Versailles le 4 mai 1789 sur convocation du roi et le 21 janvier 1790 où le député Guillotin propose à l’Assemblée nationale la décapitation à l’aide d’une machine, la France traverse des moments d’allégresse et de terreur, connaît des phases de gloire et des heures d’effroi. Le processus révolutionnaire est en marche. Les principes d’un monde nouveau sont posés de manière intangible, presque sacrée, dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Dès le début de l’été, les députés aux États généraux ont désobéi au roi en se proclamant Assemblée nationale constituante. Ils posent alors des principes universels en matière de liberté et d’égalité. Les députés bouleversent les structures institutionnelles de la monarchie et du royaume. Ils décrètent en novembre la division du territoire en départements, districts et communes, organisent en décembre les administrations municipales et départementales. Ce ne sont pas des idéologues qui légifèrent à la Constituante, mais des notables pragmatiques, ouverts au compromis permanent, guidés par leur formation juridique. C’est d’ailleurs cette culture qui les amène à promouvoir l’idée de la séparation des pouvoirs et d’une monarchie constitutionnelle que le roi et une immense partie de l’aristocratie vont catégoriquement rejeter, poussant certains députés à entrevoir puis à choisir un autre régime politique: la république. Cependant, à mesure que l’Assemblée nationale réorganise, à l’issue de la nuit du 4 août, l’État et la société, des clivages politiques se précisent et vont l’emporter de façon définitive sur le consensus qui avait guidé jusqu’alors les représentants du peuple. Dans l’organisation et le fonctionnement même de l’assemblée, les députés s’affranchissent en effet des cadres de la société organique et libèrent le débat et les regroupements de toutes contraintes anciennes, provinciales et religieuses. C’est un moment capital dans le processus révolutionnaire. Au sein de l’Assemblée, qui se dote d’un règlement fin juillet, s’organise autour d’un président et d’un bureau, établit la règle d’une majorité simple avec un quorum minimum de deux cents membres pour adopter des décrets, crée des comités et des organes de police - DOI 10.2357/ ldm-2019-0038 79 Discussion organisation qui fait reculer jusqu’à les faire disparaître les liaisons organiques et les séquences improvisées -, des coalitions continuent de se former selon les sujets traités et les affinités des représentants. D’un point de vue numérique, sans doute les forces conservatrices sont-elles encore majoritaires. Mais face à elles, un groupe de députés, héritier du Club breton, acquiert rapidement les caractères d’un parti politique contemporain, avec un comité central, une organisation nationale redoutable, une plate-forme idéologique clairement formulée et une discipline de vote: dans les derniers jours de novembre, alors que ses membres se réunissent, pour contrer la réaction monarchienne, dans un couvent dominicain de Saint-Jacques, proche des Tuileries, ils prennent pour nom ‚Comité de la Révolution‘ puis ‚Société des amis de la Constitution‘, avant de se faire reconnaître comme ‚Jacobins‘ et de rester dans l’histoire de la France. Ils comptent, de surcroît, dans leurs rangs des orateurs brillants… Dans les derniers jours de décembre, les clivages s’accentuent à mesure que se discutent les lois et les décrets. La lutte politique va en s’intensifiant. Dans le royaume, l’état d’anomie perdure, les rumeurs se multiplient qu’il faudrait mieux prendre en compte dans le processus révolutionnaire. Les dettes de l’Ancien Régime et les finances de la France qui marquent profondément le cours des débats tout au long de la Révolution devraient aussi retenir mieux l’attention. 31 Dans la salle et plus encore à l’extérieur, cette assemblée doit faire face à des foules en révolution: dehors, des paysans, des ouvriers des manufactures et surtout les gens du petit commerce; dedans, le monde de l’artisanat et de la boutique… Exclu de la délibération politique et du processus de vote, ce petit peuple s’engouffre dans les portes ouvertes de la participation citoyenne par la sédition et l’insurrection. Vient le temps des idéologues. Eux aussi vont devoir faire face aux foules révolutionnaires… Ackerman, Bruce / Weil, Patrick / Spitz, Jean-Fabien, Au nom du peuple. Les fondements de la démocratie américaine, Paris, Calmann Lévy, 1998. 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Wood, La création de la République américaine, 1776-1787, Paris, Belin, 1991. 3 Pierre Pascel, La révolte de Pougatchev, Paris, Gallimard , 1971; André Berelowitch, „Une jacquerie moderne: la révolte de Pougatchev“, in: Revue Russe, 27, 1, 2005, 37-59 4 Scarlett O’Phelan Godoy, Un siglo de rebeliones anticoloniales, Perù y Bolivia, 1700-1783, Cuzco, Centro Bartolomé de Las Casas, 1988; Marie-Danielle Demélas, „Les révoltes andines, 1780-1782“, in: L’Histoire, 376, mai 2012. 5 Pour une vision générale sur les mouvements européens et américains: Serge Bianchi (ed.), Des révoltes aux révolutions: Europe, Russie, Amérique (1770-1802). Essai d’interprétation, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2004. Sur l’Angleterre, cf. Nicholas Rogers, Crowds, Culture and Politics in Georgian Britain, Oxford, Clarendon Press, 1998, 152-175; Brad A. Jones, „In Favour of Poperty: Patriotism, Protestantism, and the Gordon Riots in the Revolutionary British Atlantic“, in: Journal of British Studies, 52, 1, 2013, 79- 102. 6 Georges Clémenceau, Discours à l’Assemblée nationale, 29 janvier 1891: http: / / www2. assemblee-nationale.fr/ decouvrir-l-assemblee/ histoire/ grands-moments-d-eloquence/ georges-clemenceau-29-janvier-1891 (consulté le 01/ 03/ 20). 7 Peter R. Campbell, The Origins of the French Revolution, Basingstoke / New York, Palgrave Macmillan, 2006. 82 DOI 10.2357/ ldm-2019-0038 Discussion 8 Michel Biard / Philippe Bourdin / Hervé Leuwers / Pierre Serna (ed.), 1792, entrer en République, Paris, Armand Colin, 2013; Hervé Leuwers, Robespierre, Paris, Fayard, 2014; Timothy Tackett, Anatomie de la Terreur. Le processus révolutionnaire (1787-1793), Paris, Seuil, 2018. Sur l’impact de la Révolution française dans le monde, cf. les Annales historiques de la Révolution française, 395, 1, 2019. 9 Michel Foucault, „Nietzsche, la généalogie, l’histoire“, in: Hommage à Jean Hippolyte, Paris, PUF, 1971, 145-172, réédité dans Dits et écrits I, 1954-1975, Paris, Gallimard, 2001, 1004-1024, 1016. 10 Georges Duby, Les trois ordres ou l’imaginaire du féodalisme, Paris, Gallimard, 1978. Il s’inspire en partie des recherches de Georges Dumézil republiées dans Mythe et Épopée I: L’Idéologie des trois fonctions dans les épopées des peuples indo-européens, Paris, Gallimard, 1995. 11 Charles Loyseau, Traité des ordres et simples dignitez, Paris, Abel L’Angelier, 1610. 12 Il s’agit d’un pamphlet écrit par l’abbé Sieyès et publié en janvier 1789, en prélude aux États généraux, qui se vend à plus de 30 000 exemplaires en quelques semaines. Sieyès systématise le concept de nation. Il définit lui-même le contenu de son pamphlet de façon magistrale: „Qu’est-ce que le Tiers-État? Le plan de cet Écrit est assez simple. Nous avons trois questions à nous faire. 1º Qu’est-ce que le Tiers-État? Tout. 2º Qu’a-t-il été jusqu’à présent dans l’ordre politique? Rien. 3º Que demande-t-il? À y devenir quelque chose.“ 13 Sur la Bourgogne, on relira avec attention l’article de Julian Swann, „Les États généraux de Bourgogne: un gouvernement provincial au siècle des Lumières“, in: Revue d’histoire moderne et contemporaine, 53, avril-juin 2006, 35-69. 14 Guy Richard, La noblesse d’affaires au XVIIIe siècle, Paris, Armand Colin, 1997. 15 Pour une vision générale de l’économie française, cf. Jean-Charles Asselain, Histoire économique de la France du XVII e siècle à nos jours, t. I: De l’Ancien Régime à la Première Guerre Mondiale, Paris, Seuil, 1984. Une synthèse commode reste celle de Paul Butel, L’économie française au XVIII e siècle, Paris, Sedes, 1993; Philippe Minard, La fortune du colbertisme. État et industrie dans la France des Lumières, Paris, Fayard, 1998; Christian Morrisson, „La production française au XVIII e siècle: stagnation ou croissance“, in: Revue européenne des sciences sociales, XLV, 2, 2007, 153-165. 16 Thomas Kaiser / Dale van Kley (ed.), From Deficit to Deluge: The Origins of the French Revolution, Stanford (CA), Stanford University Press, 2011; Marie-Laure Legay, La banqueroute de l’État royal: la gestion des finances publiques de Colbert à la Révolution, Paris, Éd. de l’EHESS, 2011; Joël Félix, Finances et politique au siècle des Lumières. Le ministère L’Averdy, 1763-1768, Paris, Comité pour l’Histoire Économique et Financière de la France, 1999; Françoise Bayard, Les finances en province sous l’Ancien Régime, Paris, Comité pour l’Histoire Économique et Financière de la France, 2000. 17 Le cri de ralliement des Croquants du Périgord en témoigne: „Vive le Roi sans la gabelle! “, cité par Yann Lignereux / Anne Montenach, Historiographie. Bibliographie. Enjeux. Les sociétés européennes au XVII e siècle, Paris, Belin, 2004, 313. 18 Yves Durand (ed.), Cahiers de doléances des paroisses du bailliage de Troyes pour les États généraux de 1614, Paris, PUF, 1966; Jean-Jacques Vernier, Cahiers de doléances du bailliage de Troyes (principal et secondaire) et du bailliage de Bar-sur-Seine pour les États généraux de 1789, Troyes, P. Nouel imprimeur, 1909-1911. DOI 10.2357/ ldm-2019-0038 83 Discussion 19 Dans la réflexion que nous menons sur le poids des élites, nous nous référons avant tout à cette étude fondamentale de l’historien américain. 20 Roger Barny, „Jean-Jacques Rousseau dans la Révolution française, 1789-1801“, in: Dix- Huitième siècle, 6, 1974, 59-98; id., Rousseau dans la Révolution: le personnage de Jean- Jacques et les débuts du culte révolutionnaire (1787-1791), Oxford, Voltaire Society, 1986. 21 Théodore Vernier, Le Cri de la Vérité, s. l., s. e., 1788, 2. 22 Jean-Denis Lanjuinais, Le Préservatif contre l’avis à mes compatriotes, s. d., 15. 23 Raymonde Monnier, „Peuple dans le discours révolutionnaire“, in: Sociétés et représentations, 1, 2000, 8, 223-245. 24 Edmund Burke, Réflexions sur la Révolution en France (1790), cité dans Michel Biard / Pascal Dupuy, La Révolution française. Dynamiques, influences, débats (1787-1804), Paris, Armand Colin, 2004, 52. Même référence pour Taine et Gustave Le Bon. 25 Honoré de Balzac, Les Chouans ou la Bretagne en 1790, Paris, Garnier Flammarion, 1988 [1829]. 26 Georges Lefebvre, La foule, Paris, Felix Alcan, 1934. 27 Momcilo Markovic, „La Révolution aux barrières: l’incendie des barrières de l’octroi à Paris en juillet 1789“, in: Annales historiques de la Révolution française, 2, 2013, 372, 27-48. 28 Le texte final adopté par vote le 26 août vient après trente-six projets issus de l’Assemblée nationale elle-même et onze autres textes proposés par des personnalités qui n’étaient pas députés, comme Condorcet. 29 Cette valorisation est minoritaire en 1789. Elle va être de plus en plus manifeste à partir de 1791 et trouvera son paroxysme en 1792-1793 dans l’Assemblée législative, puis à la Convention. Ainsi, un député écrit dans une lettre du 13 juillet 1792: „Le peuple est tout; nous sommes le peuple; nous ne sommes rien que par lui et pour lui; nous sommes tout pour lui“ (Michel Azéma, „Correspondance des députés de l’Aude“, in: La Révolution française, 30, 1896, 163). 30 Toutes les révolutions des XIXe et XXe siècles auront en revanche un modèle… 31 Rebecca Spang, Stuff and Money in the Time of the French Revolution, Cambridge, Harvard University Press, 2015.