eJournals lendemains 45/177

lendemains
ldm
0170-3803
2941-0843
Narr Verlag Tübingen
10.2357/ldm-2020-0005
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2020
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L’hétérolinguisme comme articulation entre le roman et les genres populaires dans Mbaam Dictateur de Cheik Aliou Ndao

121
2020
Ibrahima Diouf
ldm451770042
42 DOI 10.2357/ ldm-2020-0005 Dossier Ibrahima Diouf L’hétérolinguisme comme articulation entre le roman et les genres populaires dans Mbaam Dictateur de Cheik Aliou Ndao Introduction Cheik Aliou Ndao est l’un des auteurs les plus prolifiques du champ littéraire sénégalais, tant par le nombre de ses publications que par la variété des thèmes dont traite son œuvre, qui est composée, au moins, d’une quinzaine de titres. Romancier, dramaturge, essayiste et poète, il écrit à la fois en langues wolof et française. Tout comme Boubacar Boris Diop et Ousmane Sembene entre autres, cet auteur trilingue est un praticien de l’hétérolinguisme, si l’on se réfère à la définition qu’en donne Rainier Grutman: „la présence dans un texte d’idiomes étrangers sous quelque forme que ce soit, aussi bien que de variétés (sociales, régionales ou chronologiques) de la langue principale“ (1997: 37). Avec Mbaam Dictateur (Ndao 1997), l’œuvre sur laquelle porte cette analyse, l’auteur de Buur Tillen, Roi de la Médina (Ndao 1972), réinvestit, d’un point de vue esthétique, la problématique chère à une partie de l’intelligentsia des pays africains anciennement colonisés: le retour aux langues nationales comme condition préalable d’une africanité authentique. Mais il ne fait pas exception au constat selon lequel les velléités et même les exploits d’un tel retour butent, le plus souvent, sur le défaut de récepteur idéal et d’infrastructures éditoriales. Face au projet politique ou idéologique, se dresse encore la ‚réalité économique littéraire‘ qui offre comme gage de fortune un passage par la langue d’initiation, d’adoption, d’emprunt ou d’échange. C’est une des raisons qui font que le recours à la langue wolof opère régulièrement un détour par le français à travers les procédés de la traduction, de l’auto-traduction ou de l’adaptation. Ainsi, Mbaam Dictateur, roman écrit d’abord en wolof et adapté 1 par la suite en français, est caractéristique de cette réalité. Le passage de l’écriture en langue maternelle à celle en langue d’adoption se présente comme une chevauchée transimaginaire où les genres et discours populaires africains font corps avec le modèle d’emprunt occidental que constitue le roman. La préoccupation de cet exercice est donc d’explorer la corporéité textuelle de cette œuvre de Ndao; une corporéité dans laquelle l’hétérolinguisme assure une fonction articulaire et constitue un procédé de jonction qui rend possible la coprésence d’un modèle d’emprunt et des modèles originels dans un processus de représentation de l’expérience dictatoriale africaine. Les variations scripturaires, linguistiques et énonciatives à caractère générique confèrent à l’œuvre une architextualité polymorphique ou, à tout le moins, difforme. Cette difformité textuelle, au demeurant tentaculaire, amène à s’interroger sur le statut générique même de l’œuvre. Une telle orientation analytique ne relève pas d’une simple curiosité scientifique. C’est le texte de Ndao, lui-même, qui pose cela comme DOI 10.2357/ ldm-2020-0005 43 Dossier hypothèse et invite, par ricochet, à découvrir comment la prise en charge du topos de la dictature par un mouvement translatoire entre la langue wolof et la langue française (1) génère une poétique de la biculturalité et (2) dévoile, dans le même temps, la trajectoire d’une chevauchée qui échappe à tout ancrage terminal dans un genre. L’hétérolinguisme ou l’exigence d’un lecteur biculturel Mbaam Dictateur est un roman politique (Kovac 2002: 13) qui s’inscrit dans la tendance littéraire africaine des années soixante-dix à quatre-vingt-dix, dont le thème de prédilection est la dictature politique. Il met en scène un dictateur africain sanguinaire qui a confisqué la liberté de tout un peuple. Fatigués de vivre dans la violence et l’humiliation, ses collaborateurs, pour sauver le peuple, décident d’aller voir un devin, un marabout. Ce dernier leur propose de transformer le dictateur en âne immortel qui doit subir à son tour toutes sortes de supplices jusqu’à la fin des temps. Ceci justifierait peut-être sa dimension iconoclaste par rapport à d’autres romans de tendance littéraire différente. Qualifiée de „nouveau roman africain“ (Pageaux 1988: 239), de „roman anti-utopiste“ (Faye 2003) ou de „réalisme merveilleux ou magique“ (Durix 1998: 10), la catégorie de textes à laquelle appartient le roman de Ndao semble échapper à toutes les tentatives définitoires. Ainsi, le caractère générique évanescent de l’œuvre tient à plusieurs facteurs qui autorisent à lui assigner une place latérale dans la tradition romanesque telle qu’elle est connue dans ses variations et ses déploiements les plus irréguliers. L’élément le plus important qui fonde cette singularité esthétique, dans la perspective qui est celle de cet exercice, demeure les modalités de confrontation et de négociation de deux imaginaires par le biais de la langue. La cohabitation linguistique, dans ses formes les plus diverses, tant du point de vue scripturaire que discursif, est féconde. Elle contribue, ici, au surgissement d’un univers romanesque hybride qui se déploie sans cesse dans le refus absolu „d’une conscience réceptive [non] contrainte“ (Jauss 1978: 53), mais également dans la déconstruction et la re-figuration du modèle dont il se réclame. Pour analyser ces deux aspects du texte de Cheik Aliou Ndao, il serait intéressant d’interroger successivement les éléments paratextuels et les procédés de fabrication des personnages. Une exploration des seuils du texte situe d’emblée le lecteur dans l’antichambre d’un univers problématique aux allures d’espace interstitiel complexe qui sépare ou relie symétriquement le réel et l’imaginaire, le temporel et l’intemporel, l’anthropomorphe et le zoomorphe, le trivial et l’exceptionnel. Ainsi, le cheminement analytique, pour échapper à une interprétation arbitraire, doit non seulement remonter à la genèse du texte, mais doit aussi mettre à contribution l’auteur, le lecteur et le contexte de production. La genèse du texte a pour matrice un désir de s’adresser à „la génération des indépendances africaines de 1960 avec [leur] élan d’un fol espoir brisé“ (Ndao 1997: 7). La déception consécutive à l’indépendance correspondrait, sur le plan africain, à ce que Max Horkheimer a appelé „L’éclipse de la raison“ (Horkheimer 44 DOI 10.2357/ ldm-2020-0005 Dossier 1974). L’importation du modèle politique tant attendu avec sa langue d’expression et d’exercice du pouvoir a fini par plonger l’Afrique dans la dictature et transformer les acteurs du pouvoir en monstres sous le masque de l’humain. Dès lors, témoigner de cette déception passe par le rejet de la langue des ‚monstres‘. Mais la langue des ‚monstres‘ est indispensable au projet de vulgarisation du témoignage de l’auteur. Par conséquent, le glissement linguistique qui s’opère de la langue source, le wolof, vers la langue cible, le français, devient une voie contraignante dans laquelle l’inconfort de l’écrivain se manifeste par une adaptation, une traduction partielle et parfois littérale du texte de la langue source. La lecture, la compréhension et la recherche de signification d’un tel texte font appel à un „lecteur modèle“ (Eco 1979: 65), un lecteur-investigateur ou, idéalement, ayant les mêmes compétences linguistiques et les mêmes codes culturels que l’auteur. Telle est l’exigence postulée par le titre redondant et hétérolingue: „ MBAAM Dictateur “. Le terme ‚mbaam‘ signifie ‚l’âne‘. Quant au terme français ‚dictateur‘, il semble très difficile à traduire en wolof car presque inconnu dans l’imaginaire culturel de l’auteur. Cependant, il est associé à la force, à la brutalité, à la trahison et au manque de reconnaissance. L’écriture en lettres capitales du lexème ‚ MBAAM ‘ en fait un patronyme et celle du lexème ‚Dictateur‘ en minuscule, excepté l’initiale, en fait un prénom, selon le code linguistique du français écrit. L’inversion inhabituelle des deux termes (le patronyme avant le prénom) invite à une double interprétation qui, tout en mobilisant à la fois un imaginaire occidental et un imaginaire africain, transcende la difficulté de compréhension immédiate du titre. D’une part, dans l’imaginaire occidental ou, en tout cas, dans ce que les études contemporaines sur „la psychologie du pouvoir“ (Sperber 1995 / Solone 1962) ont démontré, le dictateur préexiste à son accession au pouvoir. C’est-à-dire que l’exercice du pouvoir totalitaire ne fait que dévoiler une personnalité qu’aurait cachée l’échec de la marche vers le pouvoir. D’autre part, dans l’imaginaire africain ou, en tout cas, sénégalais, les proverbes et maximes ne manquent pas pour démontrer, cette fois-ci, selon une logique différente, cette même préexistence de la nature du dictateur que révèle a posteriori son avènement au pouvoir. Pour n’en donner qu’un exemple, il faut se référer au dicton de Wolof Njaay que rappelle le narrateur: „jamais le baobab ne donnera des épines“ (Ndao 1997: 201). De manière plus large, cela signifie que le caractère et la personnalité précèdent l’existence de l’être, en ce sens qu’ils sont héréditaires. Ainsi, l’alliance conceptuelle hétérolingue sur le modèle duquel repose le titre requiert une signification particulière. Dans la mesure où le texte est traduit en français, quel peut être alors l’intérêt de garder le concept équivalent de la langue source? En réalité, certains éléments du seuil (le titre tout comme son illustration) donnent à découvrir, par le biais de l’hétérolinguisme, le déploiement concomitant de deux versions linguistiques d’une même histoire dans les variations d’un modèle énonciatif qui interroge la notion même de genre romanesque. De ce point de vue, l’auteur a peut-être raison de préférer les concepts d’adaptation ou de réadaptation à la place de traduction ou d’auto-traduction. DOI 10.2357/ ldm-2020-0005 45 Dossier L’hétérolinguisme est ici un espace interrogatif parce que la maîtrise de la langue française par l’auteur est indiscutable. Il appartient à la génération qui a vécu cette langue comme une langue maternelle. Ce constat amène à repenser l’emploi des concepts d’adaptation ou de réadaptation au sujet de son roman. Traduction incomplète ou adaptation apparemment difficile, les variations linguistiques telles que le préfigure le titre dépassent la simple exigence d’un lecteur bilingue ou biculturel. En interrogeant l’illustration du titre, l’hypothèse acquiert une certaine pertinence. L’âne et le dictateur se rencontrent ou sinon forment une seule entité, comme le lecteur le découvre dans la fausse interrogation à la quatrième de couverture: „où commence l’âne et où finit le dictateur? “. À cette interrogation est sous-jacente une autre. À quels univers les deux renvoient-ils? Le premier renouvelle les thématiques du monstre et de la métamorphose chères au conte et le second celles du récit historique ou de la fiction réaliste. Pour en comprendre la signification, il faut s’intéresser au procédé de fabrication des personnages qui participe d’un codage hétérolingue. L’onomastique comme procédé de codage hétérolingue Une des particularités du roman de Ndao demeure l’absence de description physique ou psychologique détaillée des personnages. Leur procédé de désignation semble suffire à l’appréhension de leur caractère. C’est un procédé de codage à l’arrière-plan duquel la signification du nom et sa fonction sociale ou politique „se localisent au seul plan des propositions ou des assertions, sans affecter en rien le régime énonciatif qui les a rendues possibles“ (Foucault 1969: 208). Ici, le régime énonciatif se veut pré-figuratif d’un univers à effet de miroir dans lequel deux modèles de fictions sont donnés concomitamment: le conte et le roman sur Wor, le dictateur. Pour faire cohabiter ces deux modèles, le romancier a recours à une onomastique qui procède par la pré-désignation conventionnelle, „un discours du nom“ (Vidal 1976: 278) par la simple nomination. Malgré la „juxtaposition sans contrainte“ (Barthes/ Kayser/ Booth/ Hamon 1977: 25) de la traduction française au nom wolof, la signification profonde de ce dernier invite à un récepteur modèle tel que défini par Umberto Eco: Le Lecteur Modèle est appelé à collaborer au développement de la fabula en anticipant les stades successifs. L’anticipation du lecteur constitue une portion de fabula qui devrait correspondre à celle qu’il va lire. Une fois qu’il aura lu, il se rendra compte si le texte a confirmé ou non sa prévision (Eco 1979: 145). La compétence du lecteur modèle ne consistera pas uniquement en une capacité de compréhension du sens littéral des noms, mais plutôt à décrypter le processus de signification qui s’y construit. Qu’il s’agisse du titre du roman ou des noms des personnages, la fiction que construit l’auteur procède du remorquage générique: le genre populaire originel (le conte) est remorqué par le genre d’emprunt (le roman), car ce dernier est inconnu de la littérature traditionnelle. 46 DOI 10.2357/ ldm-2020-0005 Dossier La périphrase par laquelle le dictateur est nommé dans le titre met en perspective deux modèles de fiction. Pour le lecteur non-wolofophone, même si l’illustration est assez éloquente, le contrat de lecture demeure circonscrit dans le périmètre d’une fiction romanesque. Son horizon d’attente se fixe pour cadre l’exercice d’un pouvoir politique à rationalité totalitaire. Tandis que pour le lecteur wolofo-francophone, de confession musulmane de surcroît, le titre du roman acquiert un caractère programmatique. Ses attentes portent surtout sur le destin inéluctable d’un personnage condamné avant même que son nom ne soit dévoilé. L’âne comme personnage a une double charge symbolique. Sa signification mobilise à la fois un imaginaire païen et musulman. Dans les récits populaires, il demeure un personnage traître, violent et brutal. Les récits oraux de tradition musulmane corroborent ce trait de caractère. La bande noire sur son dos viendrait du fait que le Prophète Mahomet serait monté sur un âne et que ce dernier le fit chuter au point que son encrier se renversa sur son dos. Ainsi fut-il maudit et condamné à demeurer un animal réservé aux tâches difficiles. Contrairement au chameau dont la fente de la lèvre inférieure s’explique par le sourire qu’il aurait eu après une promesse du Paradis, car il aurait transporté le Prophète sans le trahir, l’âne comme figure dictatoriale relève d’une ironie corrosive. Toutefois, il se pose au lecteur la question de savoir comment la figure de l’âne, en tant que chef politique, peut avoir comme collaborateur des Jaraaf? Le Jaraaf est un titre traditionnellement donné à un courtisan qui s’est distingué par une exceptionnelle loyauté et fidélité au chef dans la royauté sérère. 2 On retrouve une survivance de cette tradition chez les Lébou 3 où le terme désigne un chef local traditionnel. Pour comprendre un tel choix, il faut se référer à un titre de Malick Ndiaye (Ndiaye 1996). 4 Qu’il s’agisse de Jaraaf Biir Rew (Ndao 1997: 200), le ministre de l’intérieur, ou de Jaraaf Bernde (ibid.: 201), le ministre des fêtes, le procédé scripturaire de désignation démontre à quel point l’auteur met plutôt en avant le titre traditionnel que la fonction politique moderne. L’infidélité scripturaire de la traduction, qui se manifeste par un recours à des majuscules pour les concepts de la langue source (le wolofs) et à des minuscules pour leur traduction dans la langue cible (le français), opère une dialectique de mise en exergue et de passage sous silence. En rappelant la signification traditionnelle du titre de Jaraaf, on comprend dès lors la signification que peut revêtir l’onomastique dans le roman. La chefferie traditionnelle fut réputée pour sa cruauté et sa volonté d’accaparement des biens de ses sujets à travers des razzias et autres procédés d’expropriation. Ainsi, ces autorités politiques sont-elles le pendant du personnage de Maalaw 5 qui „fait partie d’une corporation qui dit qu’elle ne vole pas le bien d’autrui mais se contente de le déplacer“ (ibid.: 40). Toutes ces variantes anthroponymiques confèrent à l’onomastique une fonction critique: „Wor“ (ibid.: 203), le nom du dictateur, se traduit en français par le verbe „trahir“. Quant au qualificatif „ngonk“ (ibid.: 136), sa traduction par l’auteur („énorme“) trahit sa charge sémantique. Ce qualificatif ne s’emploie que quand il s’agit de l’âne et renvoie plutôt à sa maturité physique, donc à son plus haut degré de brutalité et de force. Ce procédé de codage hétérolingue, qui mobilise les imaginaires wolof et DOI 10.2357/ ldm-2020-0005 47 Dossier occidental au détour de la personnification ou de l’allusion participe de la dérision et de la démythification de la figure du dictateur et de ses collaborateurs. Le procédé de dérision ne semble pas se limiter qu’à l’exigence d’un récepteur idéal du discours hétérolingue. Il existe dans le roman toute une stratégie discursive accusatrice des formes dictatoriales, qu’elles relèvent du temporel ou bien du spirituel. La dénonciation de celles-ci passe par une éclipse du genre romanesque et par une chevauchée à travers quelques genres populaires. L’hétérolinguisme ou le triomphe des genres populaires Le retour aux langues nationales comme préalable à l’affirmation d’une authenticité africaine est un discours très sérieusement posé par une partie de l’intelligentsia africaine, comme il a été énoncé dans la première partie de cette analyse. On pourrait expliquer le recours à l’hérétolinguisme dans le roman comme une forme esthétique d’appropriation de ce discours. Mais ce serait réduire la signification du texte à la posture idéologique de l’auteur. Même s’il paraît évident que certains aspects du roman justifieraient une telle approche, d’autres autorisent à aller plus loin que la simple revendication d’un retour à la langue maternelle au détriment de la langue d’emprunt que constituerait le français. L’ancrage de la recherche de signification du roman de Ndao dans son contexte culturel et politique de production permet de poser un postulat analytique qui met en balance l’emprunt et l’originel dans leur rapport avec la dictature qui est le thème matriciel de l’œuvre. Le questionnement de ce rapport entre ce qui est authentique et ce qui vient d’ailleurs porte à la fois sur le rapport au temporel et sur celui au spirituel. Les figures par le traitement desquelles passe ce questionnement sont celles du dictateur et du marabout ou maître coranique. Si le contact avec l’Orient est à l’origine de l’avènement de l’islam et de ses formes d’éducation, l’adoption de la langue française à travers la colonisation a donné naissance à une transformation sociale qui a engendré l’adoption d’un modèle politique jusque-là inconnu en Afrique. Ainsi, le texte de Ndao se définit comme une métaphore esthétique qui, tout en récusant ces deux modèles d’emprunt, propose un retour à une authenticité. Son discours a pour ancrage l’hétérolinguisme et comme caractéristique une hétérogénéricité de la contestation. Le premier élément sur lequel porte cette contestation est le genre romanesque. De l’échec du roman au triomphe du conte Une des particularités du roman demeure la plasticité des frontières entre les genres. La pluralité des voix narratives et leur contexte d’énonciation constituent le ressort de la transgénéricité du texte. Si le contrat de lecture a pour programme la découverte d’une fiction romanesque, les modalités narratives en trahissent la validation. Le récit sur Wor, le dictateur, est porté par trois voix narratives: celle d’un narrateur- 48 DOI 10.2357/ ldm-2020-0005 Dossier auteur, celle d’un narrateur-personnage (le dictateur) et celle d’un narrateur-conteur (l’hôte du maître des cases). Le récit cadre, celui du premier, s’ouvre sur une critique des écoles occidentale et coranique qui ne sont plus aptes à éduquer mais ne sont que des espaces de transmission de savoir sans l’éthique qui doit aller avec: „Ce sont les enfants qui viennent de rentrer, qui de l’école des Tubaab, qui de celle du Coran. On dirait qu’on ne leur enseigne plus que le contenu des livres, et non l’éducation“ (Ndao 1997: 11-12). La critique de ces deux modèles se manifeste également sur le plan esthétique. C’est ainsi que la critique de la dictature dans son exercice du pouvoir est esquivée au profit de la critique du modèle littéraire qui a promis de la prendre en charge. L’esquive romanesque est amorcée dans un processus de fragmentation du récit sur Wor, le dictateur. Ce dernier est transformé en âne, et les différentes thèses relatives à son mode d’acquisition du pouvoir sont contestées par le caractère répétitif et variant de l’histoire, mais également dans les interventions du narrateur premier qui ont une fonction de régie. En ne tenant compte que du caractère répétitif du récit, le contrat de lecture initial est jusque-là rempli. C’est avec l’intervention de la seconde voix narrative, celle du narrateur-dictateur que la rupture romanesque est consommée. Le contrat de lecture est rompu et le programme romanesque ajourné. Le narrateur-auteur est soudainement interrompu pas la voix du dictateur: Lorsque l’écrivain arrive à ce stade de la narration il lui semble entendre une voix. Etonné il s’arrête. Ce n’est rien. N’aie pas peur. C’est moi qui te parle. Tu tentes de raconter mon histoire. Tu veux la confier au papier afin qu’elle trouve refuge dans les mémoires (ibid.: 205). L’irruption du narrateur-dictateur dans le récit cadre a une fonction critique vis-à-vis du projet romanesque de l’auteur. Il reproche à l’écrivain son manque d’objectivité: „L’écrivain, il est vrai, devrait être objectif“ (ibid.: 207), et la facilité qu’il y a à écrire juste pour dénoncer: „C’est trop facile. Attendre d’être installé au beau milieu de la nuit, prendre sa plume et confier à la feuille ce qu’on veut“ (ibid.: 210). Face à la solidité des arguments de la voix du dictateur, qui accuse le peuple et ses courtisans zélés, le narrateur premier avoue l’acharnement du romancier et son manque d’objectivité: „Wor a raison“ (ibid.: 211). L’aveu a une fonction critique. Il décrédibilise le rôle du romancier et conteste la nature même du roman. Pour le narrateur-dictateur le romanesque doit être fondé sur l’objectivité et la véracité des faits racontés. De plus, sa particularité de personnage-auditeur l’autorise à manifester sa déception: „Ce qui m’étonne le plus c’est que tu tardes à raconter ce qui m’a mis dans cet état. Il m’importe que tu m’éclaires sur ce sujet“ (ibid.: 210). En réalité, le fondement du reproche qu’il fait au romancier, c’est son monologue et son impertinence à s’adresser à un papier sans témoin autre que lui-même. Son avis est partagé par le narrateur premier: Wor qui s’est adressé à l’écrivain lui a demandé des comptes. Qu’il lui explique ce qui le différencie de Mbaam ngonk, l’âne énorme. L’homme à la plume n’en sait pas grand-chose. DOI 10.2357/ ldm-2020-0005 49 Dossier Il est comme nous. Pourquoi ne pas écouter l’hôte de passage dans la maison des Lawbe, alors que Mbaam ngonk, l’âne énorme, est toujours attaché à l’endroit habituel (ibid.: 216). Le pacte romanesque est rompu par l’exigence de satisfaction d’un personnageauditeur. N’ayant pas de réponse à la question posée par ce dernier, l’écrivain sursoit à son projet ou, à tout le moins, le confie à un écrivain sans plume et plus compétent: un oralien. Le roman qui est en train de s’écrire prend alors une forme nouvelle: celle du conte africain ou du roman-parlé. Désormais, le thème de l’exercice du pouvoir dictatorial, vainement attendu par le lecteur initial, opère un glissement vers le thème de la métamorphose. L’histoire du dictateur et la manière dont il a été transformé en âne sont confiées à un hôte reçu par le maître des cases. Le contexte d’énonciation de son récit revêt tous les attributs de celui du conte traditionnel. Tant dans sa temporalité que dans sa spécialité, le récit de l’hôte du maître des cases abroge la frontière entre le conte et le roman. Son auteur est métonymiquement l’incarnation de la fabula dans le contexte culturel qui est celui du roman. Le conte comme rituel auquel on se livre est aussi un ‚invité‘ du soir qui accompagne la famille dans ces sociétés traditionnellement agraires. L’invité y a tous les droits, tout comme le conteur, en tant que voix autorisée, il choisit lui-même l’histoire à raconter. Cependant, il faut remarquer que le conte dont il s’agit ici est particulier. C’est un conte pour adultes car les enfants n’y assistent pas. Ils sont en train de se livrer aux jeux de làngaa buri 6 et de saamoori 7 (ibid.: 217). Toutefois, le protocole énonciatif reste canonique. Le contexte d’énonciation remet en mémoire celui du conte. C’est au clair de lune, après un regard jeté au ciel pour savoir qui du lièvre ou de la hyène „conduit le troupeau des astres“ (ibid.), une situation spatio-temporelle vague, que l’hôte prend la parole en précisant que son histoire est „plus proche du conte que de la réalité. Mais puisqu’il y a des gens qui disent que c’est possible et que certains affirment avoir été témoins ou acteurs, comment ne pas y croire? Même s’il n’y a pas de preuve, mieux vaut rejoindre l’opinion de la majorité“ (ibid.: 218). A contrario, l’allusion à la qualité du dîner, comme ressort de la prise de parole de l’hôte en guise de reconnaissance, est un trait d’humour dégradant la portée générique du conte, qui est désormais classé dans la catégorie des blagues ou des histoires montées de toutes pièces. En tout état de cause, le récit transcende le roman et sa vraisemblance mais se refuse malgré tout l’étiquette de conte destiné aux enfants: „cette histoire n’est pas un conte. Elle ne rentre pas dans ce genre“ (ibid.: 251). Conte ou roman-parlé, le récit s’attache moins au genre qu’à l’imaginaire d’une conscience réceptive où chaque thématique est, comme le souligne Foucault, [p]lus imaginaire que discursive, plus affective que rationnelle, et moins proche du concept que du désir; sa force anime, mais pour les fondre aussitôt en une unité lentement transformable, les figures les plus opposées; ce qu’on découvre alors, c’est une continuité plastique, c’est le parcours d’un sens qui prend forme dans des représentations, des images et des métaphores diverses (Foucault 1969: 204). 50 DOI 10.2357/ ldm-2020-0005 Dossier Ni roman ni conte, la prise en charge de la dictature par les différents récits mobilise un imaginaire culturel et linguistique wolofophone exprimé dans une langue d’emprunt: le français. Le texte brise sans cesse l’horizon d’attente du lecteur habitué au roman classique de la dictature et rend difficile la compréhension de sa signification par des références culturelles et conceptuelles qui exigent une bonne connaissance de la langue et de la culture wolof. À cela, il faut ajouter l’insertion dans la trame romanesque de toute une littérature populaire qui, à elle seule, semble faire genre à part. De l’échec du conte et du triomphe des autres genres populaires En promettant de raconter l’histoire de Wor, le dictateur, le texte de Ndao se présente finalement comme un „récit déjoué“, 8 en ce sens que son hétérogénéricité et son hétérolinguisme offrent une architextualité où le „réel […] se dérobe à proportion des exigences formelles de composition qu’il multiplie“ (Ricœur 1983b: 29). Autant la contestation du roman en tant que genre y est une dénonciation de la langue et de la culture d’emprunt, autant l’insertion des chants populaires lève le voile sur une autre forme de dictature. Pour comprendre la signification de la place qu’occupent les différents types de chants dans le roman, il faut s’intéresser aux personnages auxquels ils se rapportent. Les chants, qu’il s’agisse des chants gymniques ou ésotériques à caractère incantatoire, sont entonnés par les „ndongo daara“. 9 L’espace de production de ces chants est situé en dehors du lieu d’apprentissage. Le lecteur ne les découvre que dans la brousse loin du regard du maître. Ils ne sont jamais décrits dans leur espace de formation religieuse et ne font aucunement référence aux préceptes religieux. L’absence d’allusions aux moments d’apprentissage pourrait témoigner du caractère obscur, voire inexistant de la formation religieuse dont le précepteur plie à volonté les recommandations religieuses au profit de son plaisir personnel. 10 Toujours est-il que la liberté éprouvée par les ndongo en dehors de l’espace familial du marabout, alors qu’ils sont de corvée (rechercher du bois mort pour le feu du foyer), rend compte implicitement de leur mode de vie. L’enseignement coranique, dans le contexte qui est celui du roman, est un espace de privations, d’humiliations et de châtiments corporels pour le ndongo ou talibé. Ceci explique le sentiment de liberté qui les anime une fois hors du „Foyer Ardent“ (Kane 1961: 55). 11 Les chants et danses auxquels se livrent les ndongo daara procèdent du travestissement compte tenu de leur statut de disciple religieux. Ils sont assimilés à des danseurs satiriques ou bandkats (Ndao 1997: 105). La comparaison participe d’une satire contre l’enseignement coranique, car le bandkat est une souscatégorie sociale qui se distingue par des danses accompagnées de formules païennes et parfois obscènes. Toutefois, au regard du répertoire des ndongo daara, le sens de l’étiquette va au-delà de la dénonciation de l’enseignement coranique. Les chants et danses des talibé peuvent être classés en deux grandes catégories. D’une part, il y a les chants gymniques appelés baak 12 et taasu. 13 Leur espace d’expression est variable selon la tonalité et/ ou le sexe de celui qui s’y livre. DOI 10.2357/ ldm-2020-0005 51 Dossier L’exemple de taasu le plus connu dans le roman est le poème satirique sur „la ladrerie des habitants de Kolobaan“ (ibid.: 112-113), un quartier de Dakar mais également le nom donné à quelques villages du Sénégal. C’est souvent un chant entonné par une femme lors des séances de danses individuelles. Un autre poème mérite également d’être relevé. C’est celui relatif au précieux savon de Ndar. 14 La particularité de ce poème c’est qu’il est à la fois un baak du savon et un taasu pour la lessiveuse qui égaye son activité. D’autre part, il y a les chants incantatoires appelés jatt 15 ou niaan 16 comme, pour n’en citer que deux exemples, celui du scorpion (ibid.: 126) ou celui où les talibés demandent de la nourriture (ibid.: 118). Le recours à cette littérature dépouillée de tout emprunt mais travestie, et dont les auteurs sont des représentants atypiques, a une double fonction. C’est un réquisitoire sévère contre l’enseignement coranique sous la forme d’un daara à l’image de celui du marabout. L’échec de cette forme d’enseignement se manifeste par le travestissement des disciples en troubadours. Aussi, l’absence, pour les jeunes talibé, de distraction autre que la danse lors des corvées est un discours accusateur sur une société écartelée entre des modèles empruntés soit à l’Occident, soit à l’Orient et qui produit des dictateurs ou transforme la jeunesse en chanteurs et danseurs. Le seul modèle littéraire qui apparaît dans le roman comme le substitut des genres empruntés ou travestis reste l’enseignement de la sagesse de Wolof Njaay. Ce personnage in absentia, narrateur par procuration „n’est présent dans le récit qu’à travers ses mots“, 17 ses maximes. Il est le garant de la véracité ou de la fausseté de tous les récits. En somme, il fait office de bibliothèque populaire. Il est la métaphore d’un savoir et d’une éthique authentique car dépouillée de tout emprunt. L’abondance des références à sa sagesse et à son enseignement amène à considérer l’invitation du wolof dans le récit comme un appel au retour à la langue maternelle au détriment de la langue et des cultures d’emprunt. Conclusion Au demeurant, l’hétérolinguisme dans Mbaam Dictateur se présente comme un mode d’articulation dans une corporéité textuelle difforme. Une articulation grâce à laquelle le texte de Cheik Aliou Ndao se fait un corps hétérotrophe, tentaculaire et dont l’originalité tient à son instabilité générique mais également à une volonté de mise en corrélation entre le signifiant (le texte hétérolingue) et le signifié (la dictature africaine). Dans cet univers, la „re-figuration de l’expérience temporelle par la mise en intrigue“ (Ricœur 1983a: 137) ne peut obéir à un code préétabli. C’est une particularité du roman politique africain ou du roman politique en général. La description d’une situation indicible mime son référent historique. Lorsque les acteurs politiques se muent en monstres sous le masque d’un dieu descendu sur terre, toutes les frontières sont abrogées dans une temporalité et une spatialité anhistoriques. C’est ce qu’on retrouve chez des auteurs comme Ahmadou Kourouma (Kourouma 1998) ou encore Sony Labou Tansi (Tansi 1997). 52 DOI 10.2357/ ldm-2020-0005 Dossier La particularité et l’originalité du roman de Cheik Aliou Ndao résident dans la place importante accordée à la langue wolof. L’hétérolinguisme, de ce point de vue, est une marque de singularité. L’auteur semble renvoyer dos-à-dos la langue qui a produit des monstres politiques et la culture qui a fini de travestir une jeunesse sans perspective. Cependant, les difficultés d’un retour à la langue maternelle comme solution à ces deux problèmes sont perceptibles dans la réception du roman-parlé qu’il propose. Faute de récepteur idéal wolofophone, il a été contraint d’en passer par langue d’emprunt: le français. Tout compte fait, au-delà de ces considérations, on peut apprécier le style dynamique de l’œuvre et son ancrage dans un contexte historique et culturel enchanté où la rationalité côtoie l’irrationnel et l’oralité négocie avec l’écriture. Barthes, Roland / Kayser, Wolfgang / Booth, Wayne C. / Hamon, Philippe, Poétique du récit, Paris, Seuil, 1977. Durix, Jean-Pierre, „Le Réalisme merveilleux: genre à part entière ou ‚auberge latino-américaine‘“, in: Xavier Garnier (ed.), Le Réalisme merveilleux. Itinéraires et contacts de cultures, Paris, L’Harmattan, 1998, 9-18. Eco, Umberto, Lector in fabula, Paris, Grasset, 1979. Faye, Éric, Dans les laboratoires du pire. Totalitarisme et fiction littéraire au XX e siècle, Paris, Hermann, 2003. Foucault, Michel, L’Archéologie du savoir, Paris, Gallimard, 1969. 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Chez eux, le vol du bien d’autrui est presque institutionnalisé, surtout lorsqu’il s’agit des ânes. 6 Le jeu consiste, pour un groupe d’enfants, à choisir un arbitre. Celui-ci doit identifier un point de refuge (le plus souvent un arbre ou un piquet de palissade) et demander au reste du groupe de se mettre autour et de fermer les yeux. Ensuite, il va bien cacher la cravache et donner le signal de sa recherche. Le premier qui la déniche pourchasse les autres en les cravachant jusqu’à ce qu’ils atteignent le point de refuge et le jeu reprend. 7 Ce jeu consiste, pour un groupe d’enfants, à se prosterner autour d’un grand tas de sable en fermant les yeux. Un membre du groupe doit aller bien se cacher. Pour être sûr qu’il s’est bien caché, le groupe doit dire „Saamoori“. Si le caché répond par „moori baa“, c’est le signal pour les autres de se lancer à sa recherche. Le champion qui le déniche prend le relais. 8 À ce sujet, cf. Rouet-Naudin 1976: 385. 9 Ndongo veut dire étudiant ou apprenant et daara désigne l’école coranique. 10 Cf. le passage sur la polygamie du maître in Mbaam Dictateur (Ndao 1997: 142-143). 11 C’est un des surnoms du daara; cf. Kane 1961: 55. 12 Le baak est un chant de célébration dédié à une personne pour son origine ou ses qualités singulières. 13 Le taasu est un chant ou un énoncé à plusieurs fonctions. Il peut être ludique, satirique ou alors un simple trait d’esprit plaisant ou déplaisant fonctionnant parfois sur le modèle de la feinte. 14 Ndar est le nom traditionnel donné à la ville Saint-Louis du Sénégal. 15 Le jatt est une formule qui sert à exorciser ou à dompter. Il annihile le pouvoir d’une force maléfique. 16 Le niaan est une prière pour obtenir quelque chose ou se protéger contre une force maléfique. 17 On peut le considérer comme un narrateur d’après la définition qu’en donne Yves Reuter (2001: 12): „celui qui n’existe que dans et par le texte, au travers de ses mots“.