lendemains
ldm
0170-3803
2941-0843
Narr Verlag Tübingen
10.2357/ldm-2020-0007
Es handelt sich um einen Open-Access-Artikel, der unter den Bedingungen der Lizenz CC by 4.0 veröffentlicht wurde.http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/121
2020
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L’hétérolinguisme dans les Notes écrites dans un souterrain de Dostoïevski et ses traductions françaises
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2020
Elena Galtsova
ldm451770069
DOI 10.2357/ ldm-2020-0007 69 Dossier Elena Galtsova L’hétérolinguisme dans les Notes écrites dans un souterrain de Dostoïevski et ses traductions françaises L’œuvre de Fedor Dostoïevski s’inscrit très logiquement au sein de cette tradition de l’usage de la langue française dans le texte écrit majoritairement en russe, qui fut très répandue dans la littérature russe du XIX e siècle. Effet littéraire, idéologique, mais aussi et surtout témoignage de la spécificité de l’éducation dans des familles aristocratiques et dans d’autres couches sociales relativement aisées de la société russe, où le français fut souvent la première langue écrite enseignée aux enfants. Bien sûr, étant donnée la différence des alphabets, ces emprunts sont très visibles dans le texte, et ils donnent d’emblée l’impression d’un texte hétérogène. À cela, il faut ajouter des gallicismes traditionnels et/ ou inventés par Dostoïevski, ce qui renforce cet effet de mélange des langues et nous pousse à poser la question de l’appropriation du vocabulaire des idiomes étrangers et de leur statut par rapport aux mots étrangers écrits en langue étrangère dans le texte russe. La plupart de ces emprunts et mots inventés sont puisés dans la langue française. C’est le point de départ de notre présent travail, qui se propose d’analyser des cas d’hétérolinguisme dans cinq traductions françaises différentes du récit Notes écrites dans un souterrain (Записки из подполья, 1864), pour examiner comment les traducteurs ont essayé d’évaluer les effets de la présence du français dans la langue russe, étant donné que justement dans ces cas-là ils n’ont pas eu à traduire. Tout en suivant la définition assez large de l’hétérolinguisme par Rainier Grutman, qui concerne aussi les variétés sociales, régionales et chronologiques de la langue principale (Grutman 1996: 40) nous allons extrapoler notre analyse vers certains cas où Dostoïevski utilise ce genre de langage, et où il invente lui-même des néologismes, qui sont très difficiles à traduire. Et en conclusion nous essayerons de montrer les mécanismes de la compensation de l’effacement de l’hétérolinguisme par la reproduction des effets produits par la langue étrangère à travers l’utilisation de termes spécifiquement russes. Nous avons choisi Notes écrites dans un souterrain 1 pour plusieurs raisons. Les spécialistes de Dostoïevski considèrent ce texte comme une œuvre-charnière dans l’évolution créatrice et idéologique de l’auteur russe et comme un précurseur des cinq grands romans (Crime et châtiment, L’Idiot, Les Frères Karamazov, L’Adolescent, Les Possédés). Rappelons que Dostoïevski, dans sa jeunesse, admira la culture française et traduisit Eugénie Grandet en 1843, ce qui fut la première traduction russe de cette œuvre de Balzac, parue en 1844 dans la revue Répertoire et Panthéon (Репертуар и Пантеон) sans le nom du traducteur. Cette traduction fut critiquée et considérée comme trop „romantique“, mais elle resta unique en Russie jusqu’à la publication de la traduction d’Isaï Mandelstam en 1927. 70 DOI 10.2357/ ldm-2020-0007 Dossier D’autre part, nous avons pris en considération le fait que Notes écrites dans un souterrain est une œuvre qui reflète, comme certains autres écrits suivant ses premiers voyages en Europe (en 1862 et 1863), la constitution d’une idéologie antioccidentale, contrastant avec ses passions de jeunesse. Cette position, loin d’être purement livresque, est une conséquence logique de la désillusion concernant les idéaux occidentalistes de sa jeunesse, son amitié avec le fouriériste russe Mikhaïl Petrachevski, avec lequel il entretint des relations qui aboutirent en 1849 à son emprisonnement et à sa condamnation à mort, transformée en une condamnation au bagne, dont il ne reviendra qu’en 1859, après avoir été complétement réhabilité en 1857. Sa vision du monde changera pendant ces années du bagne: il va élaborer sa propre philosophie, qui est très loin de celle de Petrachevski. Ni occidentaliste, mais pas non plus slavophile, 2 l’écrivain russe cherche un autre espoir, chrétien, mais de manière très complexe et personnelle, au-delà des formules toutes faites. Le récit Notes écrites dans un souterrain donne une version critique de ce tournant de la pensée de Dostoïevski, on y perçoit très clairement la condamnation de la théorie de ‚l’égoïsme rationnel‘ de Nikolaï Tchernichevski, l’optimisme et le rationalisme des Lumières, surtout de Jean-Jacques Rousseau et Denis Diderot, et les idées à la mode en Russie à l’époque reprises à Immanuel Kant, G. W. F. Hegel, Arthur Schopenhauer, Max Stirner, 3 etc. Dans ce contexte, l’usage des mots étrangers, et surtout français, acquiert une valeur supplémentaire. À l’époque où Dostoïevski communiqua avec Petrachevski, vers 1845-1846, ce dernier s’occupait de la rédaction du Dictionnaire des mots étrangers, qui finalement fut interdit par la censure. Ce dictionnaire se donnait pour mission de transmettre la pensée de Charles Fourier, qui devint pour Dostoïevski, après son retour du bagne, un des objets privilégiés de ses critiques, même si celles-ci ne furent pas exprimées de manière simple et directe. Les premières ébauches du récit datent de 1862, et à cette époque Dostoïevski les intitule La Confession, dont les traces restent dans la variante finale écrite à la première personne. Le récit se compose de deux parties, „Le Sous-sol“ et „À propos de neige fondue“. Le narrateur, se déclarant être „un homme malade“ et „méchant“ au début du texte, et un „antihéros“ à la fin, présente, dans la première partie, ses opinions sur la vie de l’homme et de la société, pleines d’ironie, de sarcasme et de paradoxes. Dans la seconde partie, il se souvient d’un épisode honteux de sa vie: offensé par ses camarades de classe (notamment par Zverkov et Ferfitchkine), il va au bordel où il rencontre Lisa, il la torture moralement, puis il décide de la „sauver“. C’est par une certaine forme d’amour qu’il invite Lisa chez lui, mais il recommence à l’humilier, alors qu’elle l’aime vraiment, par pitié. Il l’offense en lui donnant de l’argent pour cette visite, elle part désespérée, mais lui aussi est complétement démoralisé par ce qu’il a fait. On trouve un autre personnage, le domestique portant le prénom prétentieux d’Apollon, objet lui aussi du mépris de l’homme souterrain. Cette partie mélodramatique est pleine, tout comme la première, de passages philosophiques, dont le plus important est consacré à la notion de „vie vivante“, opposée à l’auto-réflexion permanente du héros. DOI 10.2357/ ldm-2020-0007 71 Dossier Parmi une dizaine de traductions de ce récit en français, nous en avons choisi cinq, ce qui n’annule pas la valeur des autres. Il nous semble que ce choix nous permet de retracer de manière plus claire les différentes stratégies de la traduction dе l’hétérolinguisme dans ce récit. Nous étudions la toute première traduction en français faite par Ely Halpérine-Kaminsky et Charles Morice, parue en 1886 sous le titre L’Esprit souterrain (Dostoïevski 1886); il s’agit d’une adaptation de deux récits de Dostoïevski, La Logeuse (1847) et Notes écrites dans un souterrain, qui correspondent à deux parties du livre dont les titres portent les noms des héroïnes de ces deux récits - Katia et Lisa. La partie correspondante aux Notes écrites dans un souterrain est profondément remaniée par rapport à l’original, mais elle est très représentative du point de vue de la réception conceptuelle de ce récit en France, dans le cadre du mythe de ‚l’âme russe‘. 4 Cette adaptation a été rééditée (sous forme remaniée) en France en 1929 et 1979, et traduite en néerlandais, en italien, en espagnol et en d’autres langues. La seconde traduction que nous utilisons est celle de Boris de Schlœzer, publiée dans la collection Bibliothèque de la Pléïade en 1956 (Dostoïevski 1956) et considérée comme canonique. Son titre est Le sous-sol, mais dans sa réédition en version bilingue, que nous citons dans notre article (Dostoïevski 2011), nous avons choisi le titre plus exact Carnets de sous-sol. 5 Et nous choisissons aussi trois traductions relativement récentes, celles de Lily Denis, Notes d’un souterrain, publiée en 1972 avec la préface de Tzvetan Todorov (Dostoïevski 1992), d’André Markowicz, Les Carnets de sous-sol, de 1992 (Dostoïevski 2017) et de Sylvie Howlett, Carnets de sous-sol (Dostoïevski 2008), la plus récente, publiée dans une série scolaire en 2008. Parmi ces trois traductions, celle de Markowicz est considérée comme la plus ambitieuse, voulant faire découvrir au public français ‚un autre Dostoïevski‘, dont le langage n’est pas étroitement littéraire, mais plein d’expressions fortes et même parfois très crues. Avant d’aborder l’étude de ces traductions pour y déceler des cas d’hétérolinguisme, il convient de préciser les difficultés du classement du matériel. Étant donné que le texte de Dostoïevski est très riche en jeux de mots, jonglant entre les différentes langues, et il est parfois difficile d’analyser des cas à l’état pur, par exemple lorsqu’il s’agit d’étudier l’emploi de la langue française, nous sommes aussi obligés d’analyser certains mots d’origine étrangère car ils sont présentés dans un contexte singulier. Des mots français dans le texte russe Dans les deux premiers chapitres de la première partie du récit, le héros parle de luimême de manière très humiliante, en se représentant comme une souris pensante, une sorte d’„antithèse“ de l’homme des Lumières pleine d’orgueil, de méchanceté et de sarcasme. Dans le troisième chapitre, il commence à développer des réflexions sur „l’homme de la nature et de la vérité“, en français dans le texte. Cette expression fait référence à Rousseau, et, donnée en français dans le texte russe, elle est bien marquée en tant que citation. En fait, la véritable citation tirée des Confessions est 72 DOI 10.2357/ ldm-2020-0007 Dossier un peu différente: „Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de sa nature“ (Rousseau 1782: 1). Cette phrase a été reprise dans l’inscription figurant sous forme condensée sur le tombeau de Rousseau au Panthéon: „Ici repose l’homme de la nature et de la vérité“. Dostoïevski a dû voir cette épitaphe pendant ses voyages en Europe en 1862 et 1863, époque où il pensait déjà écrire La Confession. Le lien avec Jean-Jacques Rousseau sera révélé plus tard dans le texte, dans le passage où l’homme souterrain réfléchit sur la question de la vérité ou du mensonge dans l’autobiographie de Rousseau, en partant des réflexions de Heinrich Heine. Voici ce passage dans la traduction de Schlœzer: J’observerai à ce propos que Heine assure qu’il ne peut exister d’autobiographies exactes et que l’homme ment toujours lorsqu’il parle de lui-même. Rousseau, à son avis, nous a certainement trompés dans sa confession 6 et même délibérement, par vanité (Dostoïevski 2011: 117). Bien sûr, ce passage est crucial en ce qui concerne le genre et aussi la genèse de l’écriture du récit, car c’est ici que Dostoïevski établit un lien avec son idée initiale d’écrire La Confession, ce projet s’étant transformé par la suite en Notes écrites dans un souterrain. Et quelques lignes plus loin, le narrateur explique sa position en ce qui concerne sa manière de communiquer: Mais Heine avait en vue les confessions publiques; or, je n’écris que pour moi seul et déclare une fois pour toutes que si j’ai l’air de m’adresser au lecteur, ce n’est qu’un procédé dont je me sers pour plus de facilité. Ce n’est qu’une forme, une forme vide; et quant aux lecteurs, je n’en aurai jamais. Je l’ai déjà déclaré… (ibid.). La célèbre citation de Rousseau écrite en français dans le texte n’est pas vraiment une référence exacte à ses œuvres. Bien sûr, la philosophie de l’auteur du Contrat social est critiquée par l’auteur russe, mais elle sert du point de fuite au narrateur pour effectuer une digression sur „l’homme alambiqué“ (traduction à la lettre „l’homme de la rétorte“ - из реторты, le mot technique „rétorte“ désignant un instrument de l’alchimie, ou l’autre traduction à la lettre „cornue“ faisant aussi penser à l’alchimie, à l’homunculus, une version miniature de l’être humain que les alchimistes cherchaient à créer). Dostoïevski transfère donc le sens de la référence à Rousseau vers une critique plus générale de la philosophie des Lumières fondée sur la raison, une philosophie comprise ici de manière très sommaire. Et c’est ainsi qu’il glisse, en utilisant la terminologie de Hegel, 7 vers la confrontation de cet „homme de la rétorte“ à la „souris“ (traduction à la lettre, qui est aussi celle de Denis, Markowicz et Howlett), ou „souriceau“ (traduction de Schlœzer). Et c’est finalement dans les réflexions sur ce „souriceau“ que surgit l’expression en français que nous avons mentionnée. Reproduisons, en utilisant des citations, ce passage traduit par Schlœzer: Il se peut que l’homme normal doive être bête … Et cette supposition me semble d’autant plus justifiée, que si nous prenons l’antithèse de l’homme normal, c’est-à-dire l’homme à DOI 10.2357/ ldm-2020-0007 73 Dossier conscience raffinée, l’homme sorti non du sein de la nature mais d’un alambic (c’est presque le mysticisme, messieurs, mais je suis enclin aussi à ce soupçon), il se trouve que cet homme alambiqué s’efface parfois à tel point devant son antithèse et lui cède, que, malgré tout le raffinement de sa conscience, il en arrive lui-même à ne plus se considérer que comme un souriceau… Voyons donc un peu ce souriceau en action? Lui aussi, il a été offensé, par exemple… et prétend se venger. Il se peut qu’il amasse en lui plus de rage encore que l’homme de la nature et de la vérité. Le désir lâche et mesquin de rendre à son insulteur le mal pour le mal le démange, peut-être, encore plus violemment qu’il ne démange l’homme de la nature et de la vérité, car celui-ci, en sa bêtise naturelle, considère la vengeance comme une action parfaitement juste, tandis qu’un souriceau ne peut en admettre la justice à cause de sa conscience plus clairvoyante. Mais nous voilà enfin parvenus à l’acte même, à la vengeance (ibid.: 31). Les mots français dans cette traduction de Schlœzer sont tout simplement mis en italique, mais il n’y a pas de référence au traducteur. Le texte est visuellement hétérogène, mais peu explicite. En un certain sens, cela correspond à la conception de Dostoïevski, qui ne donne pas de référence explicite, mais qui souligne l’étrangeté de l’expression par l’emploi de la langue française. Dans d’autres traductions, ces mots peuvent être accompagnés d’une note en bas de page, indiquant „en français dans le texte“, mais ce genre de note témoigne justement de l’impossibilité pour le traducteur de rendre le multilinguisme de façon adéquate. Ouvrons une parenthèse concernant l’image de la souris dans ce texte. Le problème de cette traduction est que les mots „bêtise“ et „bête“ en français renvoient à l’animal, et cela renforce le sens du terme „souriceau“, tandis qu’en russe cette association sémantique avec l’animal est absente. Il est étonnant que la souris apparaisse parmi les associations avec l’homme créé artificiellement, et, malgré toutes les apparences, il n’est pas évident que cette souris ait quelque chose d’animal, même si dans la suite du récit le thème de l’animal et la mention de plusieurs animaux sont repris plusieurs fois. Rappelons que l’expression française est liée au tombeau de Rousseau, écrivain qui joue en arrière-plan plusieurs rôles très importants dans le récit. Tout en étant inventeur du genre autobiographique, la réflexion de Rousseau est aussi liée à la mort, au monde chtonien, celui des divinités infernales souterraines, qui est le monde „bas“, celui du „sous-sol“, notions et images clé du texte de Dostoïevski qui, de plus, critique la culture rousseauiste, en lui opposant „la vie vivante“, une notion philosophique très répandue en Russie au XIX e siècle, et qui fascinait l’auteur russe. Cette appartenance au monde de la mort a été soulignée en 1886, dans la première traduction du récit par Morice et Halpérine-Kaminsky, où la souris est remplacée par „un rat“, „le misérable rat“, créature sinistre, agressive et capable de tuer, ce qui est renforcé encore par le changement du genre - une souris (qui est aussi de genre féminin en russe) „devient“ un rat. En effet, l’imaginaire lié à la souris est très varié chez Dostoïevski, qui appelle son héros „positif“ du nom de souris (мышь) - le Prince Michkine (Мышкин). Ce trait d’animal sympathique a été souligné justement dans la traduction de Schlœzer, qui choisit de désigner la souris par le diminutif „souriceau“, 74 DOI 10.2357/ ldm-2020-0007 Dossier en insistant ainsi sur la familiarité, le caractère ‚domestique‘ de l’animal, mais en changeant aussi le genre. L’impossibilité de traduire l’effet de l’hétérogénéïté de la citation française est compensée par l’emploi d’une langue étrangère qui n’est pas présente dans l’original russe. Halpérine-Kaminsky et Morice traduisent ainsi „l’homme de la rétorte“ (человек „из реторты“) par „homunculus“, en latin dans le texte, qui sert à compenser la présence de la citation française dans le texte russe, qui n’est pas très évidente dans le texte français. Ils explicitent également les références au Faust de Goethe, qui n’est pas ouvertement mentionné dans le texte de Dostoïevski, mais qui peuvent être considérées comme évidentes. Halpérine-Kaminsky et Morice hyperbolisent certains sens, en les simplifiant et en les rendant ainsi plus impressionnants pour le tout premier lecteur de Dostoïevski. Mentionnons ici ce passage: Pour ma part, j’en suis d’autant plus convaincu que si, par exemple, je prends, par antithèse, pour homme normal celui qui a la conscience intense, qui est sorti, cela va sans dire, non de la matrice naturelle, mais d’une cornue (ça, c’est presque du mysticisme, messieurs, mais je le sais), eh bien, cet homunculus se sent parfois si inférieur à son contraire qu’il se considère lui-même, en dépit de toute son intensité de conscience, comme un rat plutôt qu’un homme, - un rat doué d’une intense conscience, mais tout de même un rat, - tandis que l’autre est un homme, et par conséquent, etc. [...]. Supposons par exemple qu’il soit offensé (il l’est presque toujours): il veut se venger. Il est peut-être plus capable de ressentiment que l’homme de la nature et de la vérité (Dostoïevski 1886: 167-168). Cette traduction ne redonne pas les nuances du sens, mais elle transpose des idées générales qui sont associées à la première réception de l’œuvre de Dostoïevski à travers le livre d’Eugène Melchior de Vogüé, Le Roman russe (1886), 8 où l’auteur russe est présenté comme un écrivain de la souffrance, de la miséricorde et aussi des passions extrêmes: les traducteurs accentuent des sens et des contradictions, en utilisant deux mots, dont l’un est français et l’autre latin: „homunculus“ et „rat“, qui sont juxtaposés. La tentation de dévoiler la signification de „l’homoncule“ est présente aussi dans la traduction de Howlett, qui ajoute une note précisant le mot „alambic“ pour expliquer qu’il s’agit d’un „appareil de forme complexe pour distiller (cf. l’homoncule de Faust)“ (Dostoïevski 2008: 25). Dans la traduction de Markowicz, on perçoit nettement une tentative de créer un texte français moins littéraire, moins harmonieux que celui de ses prédécesseurs. Ainsi la citation en français (présentée en italique et accompagnée d’une note soulignant qu’elle est en français dans le texte) se trouve-t-elle en décalage par son caractère fondamental, et solennellement funéraire, par rapport au texte déchiré et violent: Observons à présent cette souris en action. Supposons, par exemple, qu’elle aussi, elle a été humiliée (elle est humiliée presque perpétuellement) et qu’elle aussi, elle désire se venger. Elle accumule une rage encore plus grande que l’homme de la nature et de la vérité. Le petit désir mesquin et moche de rendre à l’offenseur la monnaie de sa pièce la ronge de l’intérieur, peut-être, d’une manière plus sale encore qu’il ne le fait chez l’homme de la nature DOI 10.2357/ ldm-2020-0007 75 Dossier et de la vérité, car l’homme de la nature et de la vérité, avec son idiotie congénitale, estime que sa vengeance n’est qu’une œuvre de justice; mais la souris, à cause de sa conscience accrue, la nie, cette justice (Dostoïevski 2017: 20). L’autre cas de l’emploi du français dans le texte russe est l’expression „les animaux domestiques“. Elle peut paraître très banale, mais, comme nous l’avons déjà montré dans le cas de la „souris“, l’animal est une figure très complexe. En se montrant manifestement anti-darwinien, et réfléchissant sur le rapport entre l’homme et l’animal, et la passion de construire des bâtiments, le héros souterrain aboutit à l’expression française „animaux domestiques“ qui est ainsi mise en valeur: „Cela lui plaît, peut-être, de le construire, mais non d’y vivre, et il est prêt, peut-être, à l’abandonner aux animaux domestiques: aux fourmis, aux moutons, etc.“, dans la traduction de Schlœzer (Dostoïevski 2011: 97). Ces réflexions se développent tout d’abord dans un discours ironique concernant „la fourmilière“, et sont ensuite, focalisées sur le „palais en cristal“, image inspirée par les phalanstères, le roman de Tchernichevski Que faire? , et le Crystal Palace que Dostoïevski a vu à Londres en 1862. Mais ce ne sont pas les Anglais que vise Dоstoïevski ici, mais toujours les Français, et notamment Charles Fourier, avec ses utopies sociales. „Domestique“ ici est vraiment intraduisible pour Dostoïevski: si les moutons sont des animaux domestiques, dans le sens banal de ce terme, les fourmis ne le sont pas. „Animaux domestiques“ ce sont des collectivités inadmissibles pour l’individu - que ce soit le troupeau ou une fourmilière. „Domestique“ est ici le contraire du „familier“, tout comme „le collectif“ est le contraire de „l’individuel“, c’est quelque chose de complétement étranger, et donc écrit en langue étrangère. Dostoïevski construit une langue étrangère par excellence à partir du français banal, et cet effet est complètement perdu dans les traductions françaises. On peut seulement supposer que la souris, elle est la plus familière, car elle est individualiste, et aussi parce qu’elle est liée avec une autre architecture philosophique - le „sous-sol“. Cette expression en français, „les animaux domestiques“, est bien visible dans le texte en russe, mais elle ne l’est pas dans les traductions françaises, car elle paraît être trop banale, elle ne ressemble pas à une citation, et le fait d’être marquée par les mots en italique ou une note précisant que c’était en français dans le texte, n’intrigue pas trop le lecteur, contrairement au passage cité „l’homme de la nature et de la vérité“. Ajoutons seulement que dans la première traduction de Morice et Halpérine-Kaminsky, cette expression a été substituée par une autre - „bêtes familières“ (Dostoïevski 1886: 186). Dans la seconde partie „À propos de neige fondue“ l’homme souterrain continue ses réflexions ‚anthropologiques‘ en utilisant des références culturelles plus proches de son époque, celle du „romantisme“ qu’il considère du point de vue national en opposant les Russes aux Allemands et aux Français. Son discours est profondément ironique: Parmi nous autres, Russes, on ne trouve généralement pas de ces stupides romantiques allemands et surtout français, perdus dans leurs rêves étoilés et sur lesquels rien n’agit, 76 DOI 10.2357/ ldm-2020-0007 Dossier quand bien même la terre s’ébranlerait sous leurs pieds, quand bien même la France périrait sur les barricades! Jamais ils ne changent, pas même par convenance, et qu’au jour dernier, parce qu’ils sont stupides? Chez nous, dans notre terre de Russie il n’y a pas d’imbéciles; c’est connu. C’est précisément ce qui distingue notre pays des terres étrangères. On ne voit donc pas chez nous de ces natures idéales à l’état brut, pour ainsi dire […] au contraire, le caractère de notre romantique est complétement différent de celui de ces collègues étrangers, et aucune des unités de mesures européennes ne peut lui convenir […]. Notre romantique est un homme extrêmement large, et la plus grande de toutes nos canailles, je vous assure… je le sais même d’après ma propre existence (Dostoïevski 2011: 133,135). C’est dans ce contexte des réflexions sur le romantisme que surgit l’expression écrite en français dans le texte entre les parenthèses, „le point d’honneur“, après cette expression dite en russe sous forme de calque du français - „пункт чести“ -, ce qui est redondant, mais il est évident que Dostoïevski veut souligner cette expression par une sorte d’auto-traduction, et l’accompagne d’une réflexion sur la multiplicité des langues. Le narrateur distingue deux langues, „ordinaire“ (обыкновенный) et „littéraire“, et c’est la langue littéraire qui est présentée comme décalquée du français, mais pas par le français. Ici le littéraire est associé ironiquement à l’emprunt, mais aussi au processus de la traduction. Schlœzer le rend en français sans aucune redondance, en soulignant l’expression par des mots en italique: „Сar on ne peut parler chez nous du point d’honneur, non de l’honneur, mais précisément du point d’honneur, qu’en se servant du langage littéraire. En langage ordinaire on ne discute pas du ‚point d’honneur‘“ (ibid.: 147). 9 Toutes les nuances mentionnées sont difficiles à retraduire en français, à quoi s’ajoute aussi le problème de la traduction de la notion de „langage ordinaire“ que nous avons relevée chez Schlœzer. „Langage ordinaire“ devient „langage de tous les jours“ chez Denis, „chez nous“ chez Howlett, „langue normale“ chez Markowicz. Toutes ces traductions ne font qu’interpréter cette notion qui est opposée au langage littéraire. Ces réflexions langagières ne font que compliquer une opposition qui aurait pu être claire - langue étrangère/ langue maternelle -, car aucune de ces langues n’est idéale pour Dostoïevski. Ainsi, pour souligner cette ambiguïté de la langue littéraire, Denis utilise l’expression française au pluriel, en corrigeant ainsi Dostoïevski, et en obtenant ainsi un effet d’étrangeté: „Car les points d’honneur, je dis bien les points d’honneur et non l’honneur, on ne peut encore, en Russie, en parler qu’en langage littéraire. En langage de tous les jours, cela ne se fait pas“ (Dostoïevski 1992: 94-95). Howlett répète deux fois la même expression en calquant la manière de Dostoïevski, mais avec une explication simple en note indiquant qu’entre les parenthèses il y a une expression en français, son texte ne rend pas vraiment l’hétérogénéïté du discours (Dostoïevski 2008: 78). Markowicz n’essaie pas de rendre véritablement cette redondance, il l’explicite, mais, comme toujours, en utilisant le langage parlé. Ainsi, une expression vieillie et peu compréhensible semble être décalée, ce qui sert à compenser l’effet perdu de l’autotraduction: DOI 10.2357/ ldm-2020-0007 77 Dossier J’ai eu peur que tous ces témoins, depuis cette canaille de croupier jusqu’au dernier rondde-cuir boutonneux et puant, qui se faufilaient là avec son col graisseux, ne comprennent pas et qu’ils ne se moquent quand je me serais mis à protester et à parler une langue littéraire. Parce que le point d’honneur, c’est-à-dire pas l’honneur, je dis bien le point d’honneur, 10 on ne peut toujours pas ne parler chez nous autrement que dans une langue littéraire. La langue normale ne connaît pas de point d’honneur (Dostoïevski 2017: 70). Cette traduction prend nettement position et elle est très explicite. Notons que dans la toute première traduction de 1886 ce passage est absent. Rappelons aussi que cette expression française point d’honneur fut privilégiée par Dostoïevski, qui l’employa souvent dans sa correspondance privée, en parlant de telle ou telle personne réelle qu’il connaissait. En fait, il serait simpliste de voir ici une critique des ‚étrangers‘, c’est plutôt une critique de la littérature romantique, y compris celle des Allemands et des Français, mais surtout de la littérature russe, celle d’un Lermontov ou d’un Pouchkine, avec ses héros que les contemporains appelaient ‚hommes de trop‘, et qui, souvent, respectent ces anciens codes d’honneur comme celui de se battre au duel. Quelques pages plus bas, on trouve précisément le thème du duel, l’homme souterrain voulant se battre avec Ferfitchkine, et presque tout de suite demandant pardon à tout le monde. L’expression point d’honneur ellemême est redondante, de trop, tout en étant expliquée et reprise en russe, elle est là pour désigner la futilité, la lâcheté et même peut-être la folie de l’homme souterrain, mais aussi son caractère héroïque. Cet héroïsme consiste dans les allusions faites aux grands hommes, mais aussi, de manière très moqueuse, au Roi d’Espagne, auquel s’identifie le personnage du maître littéraire de Dostoïevski, Nicolas Gogol, dans Carnets d’un fou (1834). L’homme souterrain prétendant être un héros va, bien sûr, jusqu’à s’identifier à Napoléon. 11 Et, au point culminant de l’humiliation infligée à la malheureuse prostituée Lisa, cette identification se retrouvera dans une autre expression française dans le texte, à la Napoléon, qui décrit une attitude de pouvoir adoptée devant son domestique Apollon: „J’attendis debout près de trois minutes, les bras croisés à la Napoléon. La sueur mouillait mes tempes. Je me sentais tout pâle“ (Dostoïevski 2011: 345). Dans la plupart des traductions en français cette expression est détachée par l’écriture en italique, ou fait parfois l’objet d’une note, parfois même les deux ensemble. Mais ces moyens ne font que souligner formellement l’hétérolinguisme. À la Napoléon est une expression très banale, tout comme le geste lui-même, et cela passe très bien en français. Mais en russe, l’effet de l’hétérolinguisme est ici plus fort, car Napoléon est une des références-clé dans le texte (ce qui préfigure Crime et Châtiment). L’homme souterrain fait plusieurs allusions à certains épisodes de sa vie devenue légendaire pour les Français ainsi que pour les Russes, mais le nom de Napoléon n’est énoncé que deux fois, une fois en russe, et la seconde fois en français, dans le contexte signalé, dans un épisode marquant le début de la scène finale. Ici Dostoïevski veut montrer la nullité des rêves héroïques de l’homme souterrain, qui le comprend très bien aussi, mais qui n’est pas capable de devenir un autre et qui s’avoue lui-même, vers la fin du récit, être un „antihéros“. C’est devant le serveur, 78 DOI 10.2357/ ldm-2020-0007 Dossier portant le nom d’un dieu, Apollon (anagramme partielle de Napoléon), personnage à la fois ordinaire et hautain, qui énerve considérablement son patron, que l’homme souterrain prend cette pose de Napoléon, tout en soulignant sa supériorité par la maîtrise de la langue que l’homme du peuple ne connaît pas, ce qui souligne encore l’effet comique de cette scène, justement intraduisible en français. Évidemment on peut y voir encore une critique de la culture française, qui est aussi présente, de manière superficielle, dans les scènes avec les camarades d’école de l’homme du sous-sol, dans la seconde partie. Rappelons que l’homme souterrain déteste ses camarades, tout comme d’ailleurs tout le genre humain, mais il veut bien jouer aux jeux de société. Zverkov, un fanfaron qui rêve de faire une carrière militaire pour avoir du succès auprès les femmes, projette aussi profiter, dans son futur domaine, de son „droit de seigneur “, 12 en français dans le texte. Cette expression française, devenue archaïque de nos jours, mais assez actuelle à l’époque de Dostoïevski, a bien sûr des analogies russes, son emploi en français est assez ambigu et moqueur, concernant la France libérale, tandis que c’est précisément en Russie que ces mœurs féodales persistent encore à l’époque de Dostoïevski: rappelons que la Russie n’a aboli le servage qu’en 1861, c’est-à-dire trois ans avant la parution de ce récit. L’expression en français doit-elle servir à souligner le caractère prétentieux du personnage assez minable de Zverkov, dont le héros du sous-sol parle avec une grande ironie, même avec méchanceté, ou bien faut-il y voir une allusion politique très ambigüe et même volontairement brouillée? De toute façon, tout comme le personnage de Zverkov décrit comme un homme grotesque, cette citation semble bizarre, décalée, ce qui est sensible même dans la traduction française. La traduction de Morice et Halpérine-Kaminsky ignore ces passages, mais dans d’autres traductions ils font partie de toutes sortes de jeux mettant en évidence le multilinguisme à travers le mélange de styles plus ou moins littéraires, dépassant parfois Dostoïevski lui-même en ce qui concerne les effets d’humour et de choc. Schlœzer offre une variante relativement neutre, mais il introduit des guillemets pour les mots grossiers: Je me souviens encore que, rompant pour une fois mon silence, je me disputai violemment avec Zverkov, lorsque, parlant avec ses camarades, de ses prochaines intrigues amoureuses, et arrivé à un degré de ravissement qui le rendait tout pareil à un jeune chien se roulant au soleil, il déclara soudain qu’il ne laisserait passer aucune des jeunes paysannes de son domaine, que c’était le droit de seigneur, et que si les paysans osaient protester, il leur ferait donner le fouet et doublerait les impôts de ces canailles barbues (Dostoïevski 2011: 181). Markowicz est, lui, plus tranchant et plus vulgaire, ce qui souligne le contraste entre l’expression historique et le langage contemporain: Je me souviens comment, moi qui restais toujours silencieux, je me suis soudain accroché avec lui quand il parlait avec ses camarades, entre les heures de classe, de ses conquêtes futures, et que, s’échauffant à force comme un chiot au soleil, il avait fini par sortir qu’il ne DOI 10.2357/ ldm-2020-0007 79 Dossier laisserait pas une paysanne de son village sans un hommage, que c’était là son droit de seigneur, et que les ploucs qui oseraient protester, il les fouetterait lui-même du premier au dernier, et qu’il leur doublerait leurs taxes, à ces gros cons de barbus (ibid.: 84). Les traductions de Denis et Howlett soulignent aussi cette expression droit de seigneur par l’écriture en italiques et les notes de bas de page, mais elles utilisent pour la désignation des paysans russes le mot „moujiks“, introduisant ainsi dans le texte français un mot étranger et plein de couleur locale exotique russe. Denis: „… il avait déclaré tout à trac qu’aucune des filles de son village n’échapperait à son attention, que c’était le droit de seigneur, et que les moujiks qui oseraient protester, il les ferait tous fouetter, cette canaille barbue…“ (Dostoïevski 1992: 106). Howlett: „… il avait déclaré qu’il n’épargnerait aucune jeune paysanne de son village, que c’était là son droit du seigneur, et que les moujiks qui oseraient protester, il les fouetterait, du premier au dernier, et qu’il doublerait les impôts de ces canailles barbues“ (Dostoïevski 2011: 94). L’ironie concernant la France et la mode française en Russie (très caractéristique au XIX e siècle) est omniprésente dans les mots français utilisés dans le récit. Il n’est donc pas surprenant que le restaurant où se déroule le drame absurde entre l’homme souterrain et ses camarades de classe, s’appelle l’„Hôtel de Paris“, en français dans le texte. D’ailleurs, ici Dostoïevski n’invente pas, c’était à l’époque, un restaurant existant réellement dans la rue Malaïa Morskaïa à Saint-Petersbourg, qu’ont fréquenté des écrivains russes, y compris Dostoïevski lui-même, et certains chercheurs russes ont révélé des liens entre les personnages participants à cet épisode et les milieux littéraires russes que Dostoïevski considérait avec ironie. Toute la scène de la rencontre des camarades dans ce restaurant est pleine de mots repris du français et de l’anglais, et aussi de mots français dans le texte. Ce mélange de langues exprime une atmosphère très spéciale, remplie de petites mondanités prétentieuses, pleine de vanités, d’orgueil et aussi de haine. Ses camarades sont désignés comme „Monsieur “, en français dans le texte, ou par une expression en russe (мсье), abrégée, dérivée du français et traduite, de manière standard par „M’sieur“. Le plus comique est la situation avec Ferfitchkine, un Russe d’origine allemande, qui est non seulement désigné par „Monsieur “, en français dans le texte, mais qui prononce aussi, pour calmer ses camarades le mot „Silence“, toujours en français, un mot incongru dans cette situation de beuverie et grossièreté. Ces effets n’apparaissent, dans les traductions françaises, que dans les notes ou dans les expressions mises en italiques. Des emprunts assimilés, des néologismes et des agrammaticalités Le langage de Dostoïevski est plein d’emprunts écrits en langue russe et souvent assimilés grammaticalement, ce qui, comme c’est le cas de l’utilisation du français dans le texte, est assez typique pour la littérature russe classique, surtout dans la 80 DOI 10.2357/ ldm-2020-0007 Dossier première partie du XIX e siècle, et les débats entre les ‚slavophiles‘ et les ‚occidentalistes‘, concernant la pureté linguistique ont été typiques pour cette époque, incarnant deux tendances idéologiques durant tout le XIX e siècle. La position de Dostoïevski qui, de retour du bagne, devint relativement conservateur, est néanmoins complexe: des emprunts au français, qui sont omniprésents, révèlent des sens différents, allant de la parodie aux effets plutôt personnels, presque intimes. Nous ne présenterons ici que quelques cas, qui nous paraissent être très intéressants, sans prétendre à l’exhaustivité. Au jeu ironique déjà mentionné avec le mot „Monsieur “ écrit en français, s’ajoute, dans la seconde partie du récit, l’emploi de mots russes ayant la même signification, mais utilisés en russe en deux variantes - господин et en français parlé, translittéré en russe et traduit comme „m’sieur “ (ce dernier mot étant adressé à Zverkov). Difficile de percevoir ces nuances, ces degrés de mépris de l’homme souterrain, dans les traductions, même si tous les traducteurs essaient très honnêtement de diversifier ces cas, qui sont importants en ce sens qu’ils expriment des difficultés de l’homme souterrain à communiquer avec le monde, qui lui est étranger par principe. Ceci ajoute des nuances complémentaires à sa situation énonciative fondamentale, celle d’une „confession“ dont le destinataire demeure généralement obscure, même si elle est parfois adressée aux господа („Messieurs“). Un autre emprunt, qui est difficile à traduire en français, est celui des termes „sentimental“, „sentimentalité“, présents en russe sous une forme relativement correcte pour le XIX e siècle, mais déjà surannés pour le langage de la deuxième moitié du XX e - сантиментальность, сантиментальный au lieu des mots contemporains - сентиментальность, сентименатальный. Ces mots sont très importants pour l’homme souterrain, ils sont opposés au romantisme vain et vide, et tous les traducteurs les soulignent par des italiques, faute de mieux. Par contre, les gallicismes qui sont à la limite du langage parlé, sont très intéressants pour les traducteurs qui s’amusent à rechercher des clichés français. Tel par exemple l’adjectif en forme comparative, бонтоннее (à la lettre „de plus bon ton“, calque de l’expression française), traduit de cette manière par Schlœzer (Dostoïevski 2011: 157) et Denis (Dostoïevski 1992: 97), qui sert à désigner le choix entre les gants noirs et les gants jaunes. Howlett refuse la forme comparative et propose tout simplement „de bon ton“, avec une note (Dostoïevski 2008: 83); tandis que Markowicz joue sur une allusion littéraire avec le célèbre passage d’Eugène Onéguine d’Alexandre Pouchkine: „plus comme il faut“ (Dostoïevski 2017: 74). Même jeu autour de la traduction de l’expression qui désigne un public prétentieux, chez Dostoïevski публика-то тут суперфлю qui est un calque du mot „superflu“. Schlœzer propose: „Le public à cette heure-là est des plus huppés“ (Dostoïevski 2011: 157); Denis: „et du public, ici, il en a en superflu“ (Dostoïevski 1992: 97); Howlett: „le public, là-bas, ce n’est pas rien“ (Dostoïevski 2008: 82), et enfin, Markowicz: „Et le public qui se promenait là, en l’occurrence, c’était la haute“ (Dostoïevski 2017: 74). Beaucoup plus complexe s’avère un autre emprunt, le mot мизер („misère“), calque russe qui s’emploie au masculin: ses dérivés, y compris des superlatifs DOI 10.2357/ ldm-2020-0007 81 Dossier construits à partir de l’adjectif, sont très fréquents chez Dostoïevski, et ses significations sont plus riches que celles du mot français. Ce mot peut être employé comme épithète et comme substantif, pour signifier la pauvreté, mais aussi un homme nul et déplorable. Il n’est pas impossible que ce mot soit lié, indirectement, aux Misérables de Victor Hugo, roman très apprécié par Dostoïevski, qui réinterprète ses expressions comme „le souterrain du monde“ et „les bas-fonds“. La traduction joue sur le sens général du mot, signifiant la pauvreté, et les traducteurs ne conservent pas toujours ce sens général. Les premiers traducteurs ont choisi de traduire ce mot par „médiocre“: „Ma position médiocre, mon vêtement plus médiocre excitaient sans doute leur mépris; mais je ne l’aurais pas cru tel“ (Dostoïevski 1886: 197). Schlœzer retient une fois ce sens de pauvreté: „Je ressentais de véritables spasmes au cœur et des frissons dans le dos, rien qu’à l’idée de la misère [мизер] de mes vêtements, de l’aspect bas [мизер] et vulgaire que devait avoir ma petite personne agitée“ (Dostoïevski 2011: 152). Dans d’autres traductions le mot „misère“ est également répété, comme dans l’original de Dostoïevski (Dostoïevski 1992: 95, 2017: 72, 2008: 80). Le cas plus conceptuel de l’emploi du mot „misère“ (мизер) se trouve vers la fin du récit, où surgit aussi la mention de souterrain, l’opposition de l’individuel et du collectif, pour laquelle Dostoïevski invente un néologisme de souche russe réunissant „nous“ et „tous“ (всемство). 13 La traduction de Schlœzer explicite le mot misère, sans souligner cependant son étrangeté, et se concentre sur le néologisme pour lequel il n’existe pas d’analogie: Je le sais, cela va vous fâcher; vous allez crier, frapper du pied: „Parlez pour vous seul, protesterez-vous, et pour vos misères souterraines n’osez pas dire „nous tous“! Permettez, messieurs, je ne songe nullement à me justifier en faisant appel à ce nous tous (Dostoïevski 2011: 377). Denis suit la même stratégie pour le néologisme et pour le mot „misère“ („vos propres misères“) qu’il souligne pourtant en le mettant en italique (Dostoïevski 1992: 177). Markowicz propose „les petites misères“ et invente le néologisme „cette nous-toussité“, en rendant ainsi le texte plus proche du multilinguisme de l’original (Dostoïevski 2017: 164-165). Quant à Howlett, elle propose „vos petites misères de sous-sol“ et invente „cette noutoussitide“ (Dostoïevski 2008: 188). Un mot étranger très aimé par Dostoïevski est celui d’„anecdote“ (анекдот), mot d’origine grecque emprunté en russe par l’intermédiaire du français. C’est ainsi que l’homme souterrain désigne le genre de la seconde partie du récit. Étant donné que sa signification chez Dostoïevski se rapproche de celle en français, il est impossible pour tous les traducteurs de souligner son caractère étranger, mais ils jouent parfois sur le sens d’„anecdote“ en tant qu’„histoire“ tout simplement, et pas nécessairement une „histoire amusante“. C’est ainsi que procèdent les premiers traducteurs: „Et il me semble que c’est la neige fondue qui me remet en mémoire une histoire de ma jeunesse. Contons donc cette histoire à propos de la neige fondante“ (Dostoïevski 1886: 191). 82 DOI 10.2357/ ldm-2020-0007 Dossier Schlœzer est plus proche de la sonorité du texte russe: „Je crois que c’est justement à cause de cette neige fondue que je me suis rappelé l’anecdote dont le souvenir ne me lâche plus. Ainsi donc, mon récit s’intitulera: À propos de neige fondue“ (Dostoïevski 2011: 121). Denis (Dostoïevski 1992: 83) et Howlett (Dostoïevski 2008: 65) conservent le mot „anecdote“. Markowicz évoque aussi la signification contemporaine russe d’„anecdote“ comme histoire populaire et amusante: „C’est cette neige mouillée, je crois, qui m’a rappelé cette anecdote qui refuse maintenant de se décoller de moi. Que mon récit soit donc sur la neige mouillée“ (Dostoïevski 2017: 57). Parmi les néologismes les plus importants, mentionnons encore le mot d’origine biblique покиватели, à la lettre: „ceux qui accusent, dénoncent, en faisant des gestes de leurs têtes“, utilisé dans l’épisode de la crucifixion du Christ (la racine du mot russe est très ancienne), ce terme ayant causé de grands problèmes pour beaucoup de traducteurs qui ont préféré, dans la plupart des cas, ne pas le traduire à la lettre. Ce mot signifie: les gens qui, au début du récit, disent au narrateur méchant et malade que, pour guérir, il ne doit pas rester à Saint-Pétersbourg. Ces personnes sont importantes car elles font partie des interlocuteurs virtuels du discours de l’homme souterrain. Dans notre liste des traductions, nous trouvons seulement deux cas où les traducteurs ont proposé leurs variantes sans avoir pris conscience du contexte biblique. 14 Denis a compris le geste comme approbateur et propose le mot suranné „opineur“: „Je le sais parfaitement, bien mieux que tous mes très sages conseilleurs et opineurs“ (Dostoïevski 1992: 46). Markowicz traduit à la lettre le geste en utilisant un néologisme qui fait penser au français algérien de l’époque coloniale: „Je sais cela mieux que ces conseillers si sages, si doués d’expérience, mieux que les béni-oui-oui “ (Dostoïevski 2017: 14). 15 D’autres représentants de l’espèce humaine, que haït l’homme souterrain, sont des solliciteurs venus dans le bureau de l’homme souterrain à l’époque où il a été fonctionnaire. Il les appelait les „Ferts“ (Ферты). Ce mot n’est pas une invention de Dostoïevski, il fut considéré comme populaire à son époque, et de nos jours il est devenu hors d’usage et il est perçu comme un mot étranger. Il signifie un homme orgueilleux et trop élégamment habillé. Son origine est la lettre russe Ф, et c’est la forme de cette lettre qui est reproduite par les bras de ces hommes posés sur les hanches. Dans la première traduction, on propose „des dandies“ (Dostoïevski 1886: 158), ce qui donne plus d’étrangeté à ce mot russe de souche. Schlœzer opte pour „les craneurs“ (Dostoïevski 2011: 11), Denis pour „les paltoquets“ (Dostoïevski 1992: 44), Markowicz pour „les gandins“ (Dostoïevski 2017: 12), Houlette propose „les poseurs“ (Dostoïevski 2008: 16). Ce même mot est employé aussi dans le chapitre 9 de la première partie pour présenter l’idée de l’évidence (deux fois deux font quatre), qui opprime l’homme souterrain, sous forme du ферт dans sa pose triomphante. Souvent les traducteurs évitent tout simplement de le traduire. La variante la plus exacte se trouve chez Denis: „Deux fois deux quatre n’est qu’un paltoquet, il se campe en travers de votre route, les poings sur les hanches et en crachant par terre“ (Dostoïevski 1992: 76). Markowicz propose une variante plus extravagante, en substituant l’humain à un DOI 10.2357/ ldm-2020-0007 83 Dossier coq: „Deux et deux se pavane comme un coq, se dresse au milieu de votre route, les mains sur les hanches, et reste là à vous cracher dessous“ (Dostoïevski 2017: 49). Cette substitution traduit le caractère très émotionnel du discours du narrateur, mais le sens profond du discours est ainsi perdu. Dostoïevski utilise de temps à autre des mots contenant des fautes d’orthographe préméditées, ce qui constitue une sorte de jargon qu’il utilise dans plusieurs récits. Les origines de ces néologismes sont différentes, mais dans beaucoup de cas elles sont populaires, l’expression d’une liberté un peu absurde. Voyons par exemple le mot erroné d’origine étrangère лепартамент (la forme correcte est департамент), qui signifie „département“, mais au lieu du ‚d‘ il commence par le ‚l‘. En français, une telle substitution n’est pas possible. Normalement les traducteurs utilisent une forme standard du mot, mais Denis propose le néologisme „admimistration“ (Dostoïevski 1992: 119), et Markowicz „dlépartement“ (Dostoïevski 2017: 99). Ces néologismes sont très expérimentateurs, tandis que les mots de Dostoïevski paraissent plutôt naturels, populaires, mais les inventions des traducteurs rendent bien la nature hétérolinguistique du texte, en le présentant comme plein de bizarreries. Mentionnons ici un autre cas qui concerne les mots qui ont normalement la signification de „dénoncer“ ou „démasquer“ (verbe) et de „dénonciateur“ (adjectif). En russe ces mots commencent par le „о“ et l’accent porte sur la troisième syllabe (обличить, обличительный), la variante incorrecte proposée par Dostoïevski commence par le „a“ et c’est la première syllabe qui est accentuée (абличить, абличительный). Ces paroles se trouvent déjà dans la nouvelle de Dostoïevski Une sale histoire (1862) et font partie du jargon des critiques littéraires et des journalistes. C’est un peu dans le même contexte que s’insèrent ces mêmes paroles dans Notes écrites dans un souterrain: l’homme souterrain se souvient de ses exercices littéraires dans lesquels il décrit un officier dans un style dénonciateur et caricatural. 16 Les traducteurs proposent des paroles plus correctes, mais ils les soulignent souvent, d’une manière ou d’une autre, par l’écriture en italique, les guillemets. Citons ici la traduction de Markowicz: Un beau matin, moi qui n’avais jamais donné dans la littérature, j’ai soudain eu l’idée de décrire cet officier sur le mode „dénonciateur“, comme une caricature, sous forme de nouvelle. Cette nouvelle, quel plaisir de l’écrire! Dénoncé, je l’ai dénoncé, je l’ai même un peu calomnié; j’ai transformé son nom, d’abord, de telle sorte qu’on pouvait le reconnaître tout de suite mais, plus tard, après mûre réflexion, je l’ai changé et j’ai envoyé le paquet aux Notes patriotiques (Dostoïevski 2017: 71). Schlœzer propose une autre variante, en italique - sur un ton satirique (Dostoïevski 2011: 149); Howlett utilise le verbe „dénoncer“ (Dostoïevski 2008: 79); Denis choisit „démasquer“ (Dostoïevski 1992: 94). Pourtant ce passage est très important pour Dostoïevski, car il révèle bien sa position politique, qui est très critique, par rapport aux idées libérales („dénonciatrices“) en Russie: l’homme souterrain se moque de sa propre graphomanie en mentionnant aussi une revue russe existant réellement à 84 DOI 10.2357/ ldm-2020-0007 Dossier l’époque, Notes patriotiques (autre variante de traduction - Annales de la patrie) d’Andreï Kraevski, célèbre pour ses idées démocratiques. Les inventions des textes hétérolingues dans les traductions Nous avons plusieurs fois souligné qu’aucune traduction ne peut rendre tous les effets du multilinguisme inhérents au texte de Dostoïevski. Bien sûr, les traducteurs peuvent avertir le lecteur par des notes et/ ou toutes sortes de marquage du texte, mais ces procédés ne sont que les signes de l’impossibilité de donner une variante adéquate. Le mélange du russe avec le français, l’emploi des emprunts et des calques, posent des problèmes particuliers pour les traductions françaises, où des effets hétérogènes risquent d’être perdus. Les cas des néologismes se sont révélés les plus commodes pour la traduction, qui essaie aussi d’inventer des mots inexistants dans la langue normale. Et, comme nous l’avons mentionné dans plusieurs cas, les traducteurs inventent souvent des procédés compensateurs, en introduisant des mots étrangers dans les mêmes paragraphes, pour faire sentir au lecteur cette atmosphère de jeux avec plusieurs langues chez Dostoïevski. Et enfin, ils donnent des accents nouveaux aux passages écrits chez Dostoïevski en une seule langue, en révélant des réalités de la couleur locale russe. En ce sens, c’est surtout la première traduction qui est très révélatrice, ce qui n’est pas étonnant, car elle a été faite en France, où, à l’époque, la mode russe battait son plein. Il faut revenir sur le mot „moujik“ („paysan“) dont nous avons déjà parlé: „Je ne parle pas d’un grossier moujik, je parle de quelque personnage faussé par l’éducation du temps, par les raffinements de la civilisation européenne…“ (Dostoïevski 1886: 173-174). À quoi s’ajoute „une baba“ („une paysanne“, „une femme de basses couches sociales“), terme qui est commenté par les traducteurs dans une note par „femmelette“ (ibid.: 287). Quelques autres exemples ne sont pas devenus d’usage pour la désignation de la ‚couleur locale russe‘: Lisa, en parlant de ses parents, mentionne leur statut social comme „mechtchanines“ (ibid.: 229), ce qui signifie „appartenant au tiers état“; l’homme souterrain demande à Apollon de ramener „dix soukars“, avec une note précisant „grands biscuits“ (ibid.: 279), tandis que dans les autres traductions on les appelle „biscuits“. Mais le plus intéressant est sans doute l’invention du discours sur la Volga, grand fleuve russe, dans le contexte des rêves de l’homme souterrain imaginant une belle vie future avec Lisa. J’ai rêvé la vie au loin, sur les bords de la mère Volga, avec la si belle, la si étrange fille, dont je n’ai pas eu la force de m’emparer quand elle m’était offerte, elle ma vraie vie, ma seule vie, et depuis ce jour-là je suis mort avant la mort, tué par une apparition farouche, une ombre de vieux satyre qui n’a peut-être jamais existé, et je disserte… (ibid.: 189). Malgré son côté cliché, ce passage est assez révélateur et met en lumière la recherche de la traduction concernant les effets de l’hétérogénéïté des textes. Les DOI 10.2357/ ldm-2020-0007 85 Dossier traducteurs sont obligés de transposer, jusqu’à inventer de leur propre version parallèle, pour que le lecteur puisse saisir toute l’épaisseur linguistique et discursive de certains textes comme celui de Dostoïevski. D’autre part, on voit toute la naïveté d’une telle approche de Halpérine-Kaminsky et Morice, qui, à notre époque, semble plutôt archaïque. Aujourd’hui c’est l’exactitude qui est la qualité la plus appréciée pour une traduction, mais l’hétérolinguisme du texte original pousse le traducteur à rechercher des ressources alternatives, pour mieux rendre les effets de choc et de fusion, entre des langages différents. Dostoïevski, Théodore, L’Esprit souterrain, trad. et adapté par Ely Halpérine-Kaminsky et Charles Morice, Paris, Plon, 1886. Dostoïevski, Fedor, La voix souterraine, trad. Boris de Schlœzer, Paris, Stock, 1926. —, Le Sous-sol, trad. Boris de Schlœzer, Paris, Gallimard (Bibliothèque de la Pléïade), 1956. —, Notes d’un souterrain, trad. Lily Denis, Paris, Flammarion, 1992 (première édition Paris, Aubier, 1972). —, Les Carnets du sous-sol, trad. André Markowicz, Arles, Actes Sud, 2017 (première édition 1992). —, Carnets du sous-sol, trad. Boris de Schlœzer, Paris, Gallimard, 2011 (coll. Folio bilingue) (première édition 1995). —, Carnets du sous-sol, trad. Sylvie Howlett, Paris, Magnard, 2008 (série Lycée, Classiques et contemporains). —, Œuvres complètes en 35 volumes, vol. 5, Saint-Pétersbourg, Nauka, 2016. —, Scritti dal sottosuolo, ed. Tat’jana Aleksandrovna Kasatkina / Elena Mazzola, Brescia, La Scuola, 2016. Galtsova, Elena, „Rêves et misères d’une mise en scène de la ‚religion de la souffrance‘: L’Esprit souterrain de F. Dostoïevski et de H.-R. Lenormand au Grand-Guignol“ (1912), in: Zbornik Matice Srpske za Slavistiku-Matica Srpska Journal of Slavic Studies, 94, 2018, 79-94. —, „D’un Esprit souterrain l’autre: de la première traduction des Carnets du sous-sol de Dostoïevski à la pièce de théâtre de Lenormand et la pièce radiophonique de Georges Bataille“, in: Alexandre Stroev (ed.), Les intellectuels russes à la conquête de l’opinion publique française. Une histoire alternative de la littérature russe en France de Cantemir à Gorki, Paris, Presses Sorbonne nouvelle, 2019, 283-304. Grutman, Rainier, „Effets hétérolingues dans le roman québécois du XIX e siècle“, in: Littérature, 101 (1), 1996, 40-52. Kibalnik, Sergueil, Problemy intertekstualnoj poetiki Dostojevskogo (Problèmes de la poétique intertextuelle de Dostoïevski), Saint-Pétersbourg, Petropolis, 2013. Mazzola, Elena, „Perevod versus kommentraij“ („Traduction versus commentaire“), in: Dostojevskij i mirovaja kultura. Filologiceskij zurnal (Dostoïevski et la culture mondiale, Revue philologique), 2019, 1 5, 127-156, DOI: 10.22455/ 2619-0311-2019-1-127-156. Rousseau, Jean-Jacques, Les Confessions, Première partie, Genève, 1782. 1 Les variantes de la traduction du titre du récit sont nombreuses, tout comme celles de la désignation du concept central - ‚sous-sol‘, ‚souterrain‘, ‚sous-plancher‘, ‚bas-fonds‘, ‚cave‘, 86 DOI 10.2357/ ldm-2020-0007 Dossier ‚caveau‘, etc. Dans notre article nous avons choisi de désigner le titre par Notes écrites dans un souterrain, et les notions principales par ‚l’homme souterrain‘ et ‚le sous-sol‘. 2 Suite de la grande ouverture de la Russie vers la culture Européenne au XVIII e siècle, il s’est formé une résistance conservatrice, berceau de la fameuse querelle entre des Occidentalistes et Slavophiles, qui commence vers la fin des années 1830 et dont les échos seront perçus pendant tout le XIX e siècle. 3 Cf. à ce propos, par exemple, les recherches de Sergueil Kibalnik (Kibalnik 2013, Dostoïevski 2016: 479-532). 4 Cf., à ce propos, nos articles en français (Galtsova 2018, Galtsova 2019). 5 Boris de Schlœzer a publié en 1926 la première version de sa traduction sous le titre La voix souterraine (Dostoïevski 1926), qui a été considérablement remaniée pour l’édition de la Pléïade. 6 Ici nous corrigeons la traduction de Schlœzer qui dit „ses Confessions “, en donnant ainsi le titre de l’œuvre et non la notion du genre, présente dans le texte de Dostoïevski. 7 Hegel était très à la mode à l’époque, il était admiré par Vissarion Biélinski, critique littéraire célèbre, qui a contribué à la première gloire littéraire de Dostoïevski dans les années 1840 et qui ensuite s’est fâché avec le jeune écrivain. 8 La date de la publication du livre coïncide avec celle de la publication de la traduction, mais presque toutes ses parties ont connu des prépublications à partir de 1883. 9 „Потому что о пункте чести, то есть не о чести, а о пункте чести (point d’honneur), у нас до сих пор иначе ведь и разговаривать нельзя, как языком литературным. На обыкновенном языке о ‚пункте чести‘ не упоминается“ (Dostoïevski 2011: 146). 10 Avec un astérisque signifiant dans cette traduction „en français dans le texte“. 11 Ici la préfiguration du personnage de Raskolnikov, dans Crime et Châtiment. 12 „Помню, как я, всегда молчаливый, вдруг сцепился с Зверковым, когда он, толкуя раз в свободное время с товарищами о будущей клубничке и разыгравшись наконец как молодой щенок на солнце, вдруг объявил, что ни одной деревенской девы в своей деревне не оставит без внимания, что это — droit de seigneur, а мужиков, если осмелятся протестовать, всех пересечет и всем им, бородатым канальям, вдвое наложит оброку“ (Dostoïevski 2011: 180). 13 Знаю, что вы, может быть, на меня за это рассердитесь, закричите, ногами затопаете: „Говорите, дескать, про себя одного и про ваши мизеры в подполье, а не смейте говорить: ‚все мы‘ “. Позвольте, господа, ведь не оправдываюсь же я этим всемством (Dostoïevski 2011: 376). 14 Cf., à ce propos, les réflexions de Tatiana Kassatkina et Elena Mazzola, traductrice italienne de Dostoïevski (Dostoevskij 2016, Mazzola 2019). 15 C’est nous qui soulignons. 16 „Раз поутру, хоть я и никогда не литературствовал, мне вдруг пришла мысль описать этого офицера в абличительном виде, в карикатуре, в виде повести. Я с наслаждением писал эту повесть. Я абличил, даже поклеветал; фамилию я так подделал сначала, что можно было тотчас узнать, но потом, по зрелом рассуждении, изменил и отослал в „Отечественные записки“ (Dostoïevski 2011: 148).