lendemains
ldm
0170-3803
2941-0843
Narr Verlag Tübingen
10.2357/ldm-2020-0008
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2020
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Une approche du transculturalisme
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2020
Svetlana Čečović
ldm451770087
DOI 10.2357/ ldm-2020-0008 87 Dossier Svetlana Čečović Une approche du transculturalisme Négociations identitaire et langagière chez deux écrivaines françaises d’origine iranienne: Chahdortt Djavann et Maryam Madjidi Le rejet d’un côté, l’inaccessibilité de l’autre: si l’on a la force de ne pas y succomber, il reste à chercher un chemin. Julia Kristeva, Étrangers à nous-mêmes (1988) Introduction Au-delà de son passé colonial, la France fait face à l’union brisée entre la nation et la langue françaises. La scène littéraire française est actuellement marquée par une multitude d’ouvrages transnationaux écrits par des auteurs d’expression française mais dont la langue maternelle est autre que le français. Une „autopsie de l’exil“ constitue très souvent le sujet principal de ces ouvrages, qui transforment ainsi la migrance en valeur littéraire (Huston/ Sebbar 1985). Nous nous proposons d’étudier la dynamique complexe de conciliation entre les cultures natale et adoptive par le biais de l’acquisition de la langue étrangère dans les romans autobiographiques Comment peut-on être français? de Chahdortt Djavann 1 (2006) et Marx et la poupée de Maryam Madjidi (2017). Le tiraillement qu’éprouvent les héroïnes des romans entre le rejet et l’acceptation de leurs origines ‚dérangeantes‘ sera mieux observé à la lumière des théories de la transculture. En outre, la négociation identitaire et langagière implique souvent des interrogations d’ordre imagologique. Ainsi, en évoquant leur pays d’origine dans des contextes différents, Djavann et Madjidi abordent la question de la représentation d’un Orient à la fois menaçant et exotique. Comment peut-on être français? , le troisième roman de Chahdortt Djavann, fut publié en 2006. À son arrivée à Paris, la protagoniste du roman - une jeune femme iranienne nommée Roxane et âgée de 25 ans - ne connait pas un seul mot de français. Employée d’abord comme „chef de frites“ chez McDonald’s, ensuite comme baby-sitter dans une famille parisienne, elle loue une chambre de bonne et fréquente les cours de civilisation française à la Sorbonne. À un moment donné, rongée par la solitude, elle se met à écrire en français des lettres sur l’exil et sur l’Iran. Elle les adresse à l’auteur des Lettres persanes, Charles Montesquieu, qu’elle considère comme son „géniteur“ (Djavann 2006: 132). Contrairement à Roxane - une exilée volontaire -, Maryam, l’héroïne de Madjidi, quitte l’Iran à l’âge de six ans avec ses parents, membres du parti communiste et opposants au régime islamique de Khomeiny. 2 Éduquée en France, elle abandonne 88 DOI 10.2357/ ldm-2020-0008 Dossier progressivement le persan en faveur du français. À l’âge de trente ans, traversant une grave crise d’identité, elle se lance dans un processus de réapprentissage de la langue persane et de réappropriation de sa culture natale. Volonté de déracinement Le début de l’apprentissage du français est empreint, dans le cas des deux héroïnes, du désir de se débarrasser rapidement du sentiment d’exil. Ce désir sera complexifié par la volonté de déracinement qu’éprouvent alors les deux protagonistes malgré leurs situations et leur âge différents. Le sentiment troublant d’exil se concrétise par la présence persistante du passé iranien au sein de l’espace français. „L’exil faisait bizarrement écho aux souvenirs les plus enfouis“ (Djavann 2006: 64). Intégrée dans une classe d’initiation pour les non-francophones, la petite Maryam souhaite „gommer“ ses souvenirs et „recréer son histoire à grand coup de normalité, d’unité, de francisation“. L’exil est illustré par cette classe composée d’„enfants au regard triste et au corps effacé“. Ces enfants issus de l’immigration „sent[ent] la misère et l’exclusion“ et sont comparables à des „petites marionnettes désarticulées“. Outre leur malaise social, ils parlent mal le français et pour progresser, ils sont obligés de lutter contre „de mystérieux obstacles“, voire de gérer leur vie „coupée en deux“ puisqu’ils ont „un pied en France et un pied là-bas“ (Madjidi 2017: 133-134). De son côté, fort perturbée par les souvenirs de sa famille, Roxane „dévorée“ par un „passé sournois“ se sent „divisée en deux“: Les expériences que j’ai connues dans mon pays sont si éloignées du monde de Paris que je ressens un trouble, comme si c’était une autre qui les avait vécues […]. Mon Dieu, suis-je divisée en deux? Ne suis-je donc pas celle que je suis? (Djavann 2006: 244) Le passé iranien est doublement nié, voire rejeté: non seulement il ralentit l’intégration dans la vie parisienne, mais il est aussi lié à une culture qui est, dans les yeux des protagonistes, incompatible avec celle de l’Occident. Roxane ressent „une haine des dogmes“, car ceux-ci lui ont „dérobé le droit à la vie, le droit à la liberté, le droit au plaisir“ (ibid.: 29). La présence de l’Iran dans leurs vies françaises s’articule en termes d’intrusion: ni Roxane, ni Maryam n’aiment „l’intrusion de l’Iran“ voire „l’intrusion du passé“ dans leur „vie d’ici“ (ibid.: 244; Madjidi 2017: 152). En outre, Maryam, évite toute interrogation relative à ses origines: „Je voudrais me taire quand on me demande mes origines“ (Madjidi 2017: 81). Telle une blessure, l’exil se manifeste comme la douleur provenant de la mémoire étroitement liée à la langue maternelle: „[…] Roxane ferma à jamais son dictionnaire persan, car cette langue entaillait son être, faisait saigner sa mémoire blessée“ (Djavann 2006: 101). Le cœur de l’exil demeure, en effet, dans la langue. Pour Roxane, c’est la langue française qui s’échappe: „[L]’étrangeté d’une langue étrangère qui se refusait à elle et qui la refusait lui firent sentir ce qu’était l’exil, ce que c’était d’être exilée. L’exil, c’était la langue“ (ibid.: 64). Par contre, pour Maryam, l’essence de l’exil demeure dans la langue persane provenant d’Iran et menacée par une disparition DOI 10.2357/ ldm-2020-0008 89 Dossier définitive. Le lien entre Maryam et son pays natal est énoncé à travers l’idée d’une „[c]orde rongée par l’exil, ne tenant plus qu’à un fil. Et ce fil était la langue. Mais cette langue, je ne l’aimais plus car elle me faisait souffrir“ (Madjidi 2017: 144). In-between space 3 Ce n’est qu’à travers une pénible négociation avec son identité natale que l’on peut accéder à l’espace français. Au fur et à mesure de son acquisition du français, Roxane se retrouve soudainement dans un ‚nulle part‘ à la fois langagier et mental. Paradoxalement, plus elle s’éloigne du persan moins elle s’approche du français. „Les mots persans se faisaient rares, ils désertaient sans être remplacés par les mots français. De cet état résultait un vide, un mal de mots, un ‚no word’s land‘“ (Djavann 2006: 106). En prêtant aux mots une dimension corporelle, voire charnelle („mal de mots“), Djavann accentue une fonction vitale de la langue. Le rapport indéfini entre le français et le persan se reflète dans le subconscient: Roxane fait un cauchemar dans lequel elle se perd dans les rues de Paris en confondant, terrifiée, Paris avec Téhéran: „Elle était à Paris et elle s’est perdue à Téhéran“ (ibid.: 182- 183). D’autre part, ce „no word’s land“ entre le français et le persan crée un „huit clos étouffant“ dans lequel se retrouve Maryam, qui se voit perdre sa langue natale sans avoir acquis le français: „Et moi je passais d’un monde à l’autre, d’une langue à l’autre, échangeant mes rôles, jonglant tant bien que mal avec ces deux identités“ (Madjidi 2017: 145). Plus tard, elle fait face à un décalage infranchissable entre ses deux identités: „En France, on me dit que je suis iranienne. En Iran, on me dit que je suis française“ (ibid.: 156). Néanmoins, la transition linguistique, et par conséquent mentale, vers l’autre langue s’accomplit de manière différente chez les deux personnages. Chez Djavann s’établit une coexistence hiérarchique entre les langues (cf. Todorov 1996: 20). Dans cette hiérarchie, le français occupe la place privilégiée. Chez Madjidi, en revanche, la constellation hiérarchique des langues se montre fragile. Son héroïne cherche un modèle de bilinguisme dans lequel le français et le persan seraient sur le même pied d’égalité. Ainsi se profilent les deux modèles de rapports entre les langues natale et étrangère: le modèle du conflit et le modèle de la conciliation. Le modèle du conflit: une conquête impossible Le projet de déracinement s’avère néanmoins „utopique“, car Roxane découvre que l’identité n’est pas l’objet d’un choix libre (Alvares 2017). Elle n’arrive pas à se débarrasser de sa mémoire puisque le pays qu’elle essaie de quitter ne la quitte pas, malgré la distance géographique. Par conséquent, la langue française demeure la seule instance „matérielle“ à laquelle Roxane peut s’accrocher dans son évasion de l’iranianité. 90 DOI 10.2357/ ldm-2020-0008 Dossier Sa patrie à elle serait la langue. Cette patrie qui l’excluait, la bannissait. Cette patrie qui dénonçait sans pitié sa condition d’exilée. […] Eh oui, on n’échappe pas à sa nationalité, à l’histoire de son pays, encore moins à ses épisodes calamiteux. Il faut bien que quelqu’un paye les factures de l’histoire […] (Djavann, 2006: 63). Roxane attribue à la langue française une tâche quasiment impossible: celle de la libérer d’une identité non-désirée, voire subie (Alvares 2017). Elle tente ainsi de substituer la linguistique à la génétique. Même si l’apprentissage du français ne peut pas modifier le patrimoine génétique de Roxane, pour acquérir une langue il faut néanmoins „faire corps“ avec elle, voire l’„épouser“ (Huston 1999: 45). Elle ne voulait pas de cette langue comme d’un simple outil de communication, elle voulait accéder à son essence, à son génie, faire corps avec elle; elle ne voulait pas seulement parler cette langue, elle voulait que la langue parle en elle. Elle voulait s’emparer de cette langue et que cette langue s’empare d’elle. Elle voulait vivre en français, souffrir, rire, pleurer, aimer, fantasmer, espérer, délirer en français, elle voulait que le français vive en elle. Roxane voulait devenir une autre en français (Djavann 2006: 103). Par ailleurs, Roxane se rend compte que „l’apprentissage purement académique et linguistique“ du français l’ennuie, et qu’elle veut apprendre le français dans le contexte, c’est-à-dire en lisant les grands auteurs. Elle commence donc son apprentissage par la lecture d’une version simplifiée de la Symphonie pastorale de Gide (ibid.: 48). La réponse à la question principale que le roman pose: „Comment peuton être français? “ semble désormais claire. On devient français par le biais de la langue. Il est donc nécessaire de faire disparaître sa mémoire persane et de recréer sa vie dans cette autre langue. La ‚conquête‘ du français s’avère en conséquence un défi autant attirant qu’impossible. Apprentissage du français Au départ, la connaissance du français de Roxane est réduite aux verbes essentiels, puis elle maîtrise les conjugaisons en préparant des centaines de kilos de frites chez McDonald’s: „Que je cuisisse. Que je fisse. Que je fusse. Que j’eusse. Que je frisse et que je frisse… Bien qu’on ne frisse pas, moi, je frisse“ (ibid.: 56). Sa tentative de baptiser les objets de leurs noms français par d’innombrables répétitions se termine par un échec car sa langue maternelle persiste: „La chaise restait obstinément ‚sandali‘, ‚chaise‘ en persan“ (ibid.: 52). En outre, plus elle essaie de refouler le persan, plus celui-ci lui revient, entre autres sous la forme d’un cauchemar dans lequel les objets portant leur nom persan se précipitent agressivement contre Roxane: „Le persan condamné au silence profitait de chaque faiblesse pour prendre sa revanche“ (ibid.: 104). Le processus d’apprentissage du français est vécu quasiment comme un acte religieux. Roxane mémorise les mots en les recopiant et en les relisant comme une prière. Se trouvant ainsi „accrochée“ à la langue française, elle se compare à „une DOI 10.2357/ ldm-2020-0008 91 Dossier possédée en train de marmonner une prière pour éloigner on ne sait quel danger“ (ibid.: 50). Son envie de posséder véritablement la langue française s’articule en termes de sensualité et de passion amoureuse: „Elle la désirait charnellement, mentalement, psychiquement. Elle voulait la posséder totalement, et cette garce de langue se dérobait à elle, ne cessait de lui jouer des tours“ (ibid.: 105). Néanmoins, ses tentatives obsessionnelles de posséder le français s’avèrent désespérantes car elle ne parvient pas vraiment à articuler les mots correctement. Le français reste la „prothèse, toujours en dehors de la chair“ (ibid.: 104): Aucun mot ne sortait correctement de sa bouche. Elle utilisait un mot pour un autre, elle faisait des fautes de syntaxe. Elle n’avait pas sa vraie voix. Une voix artificielle et rauque sortait de son larynx. Elle n’avait pas l’impression de parler, plutôt d’imiter le parler des Français, comme un perroquet (ibid.: 58). Les difficultés d’apprentissage du français suscitent en elle un sentiment de culpabilité, de même qu’une dévalorisation systématique de soi. Sans pouvoir comprendre pourquoi, Roxane se sent coupable à la fois de vouloir abandonner le persan et de ne pas maîtriser le français. De même, elle s’excuse des fautes qu’elle n’a pas commises et s’adresse „une longue liste d’insultes: idiote, imbécile, stupide, bête, demeurée, inculte, écervelée…“ (ibid.: 102, 59). De son côté, Maryam se qualifie de „rat malpropre“, dévorée par le sentiment de honte après avoir uriné en classe car elle avait eu peur de commettre une faute de français en demandant la permission d’aller aux toilettes (Madjidi 2017: 129-131). Accablée par le sentiment de culpabilité, la personnalité de Roxane se divise en trois: la Roxane persanophone, la Roxane francophone et la Roxane arbitre. Le rôle de cette dernière, qualifiée d’„agent de la langue“, consiste à punir la Roxane persanophone „à coups de matraque“ si celle-ci se permettait de commettre des fautes de français. Malgré les menaces de la matraque, plus elle s’applique à l’apprentissage du français, plus celui-ci lui échappe et plus la culpabilité l’envahit. Les fautes s’avèrent impardonnables tels des „péchés capitaux“: „Aussitôt la faute commise, madame l’agent de la langue apparaissait, matraque à la main et regard lourd de reproche“ (Djavann 2006: 59). L’apprentissage de la langue étrangère dans les conditions d’exil se concrétise ainsi comme une forme de violence, et suscite la „haine de soi“. 4 En outre, l’échec dans son apprentissage du français provoque en elle un malaise physique, voire un état de maladie: Roxane attendit, obstinée, des jours et des nuits devant l’indicible, telle une aphasique. Les mots ne lui collaient pas à la peau. Elle tomba malade. Elle avait de la fièvre et une douleur aiguë dans la gorge. Elle resta au lit. […] l’angoisse du bégaiement, la dégradation, la déchéance des mots écartelés en syllabes, en lettre ébréchées au fond de sa gorge […] allaient l’étrangler; le mal de gorge ne pouvait pas mieux tomber. Elle vivait le bégaiement en silence, sans mots. Juste des sons étouffés (ibid.: 110-111). 92 DOI 10.2357/ ldm-2020-0008 Dossier Bilinguisme, écriture et psychanalyse S’il n’est pas possible d’éliminer le décalage entre la chose et son nom par un apprentissage formel, il est possible de réduire ce décalage par le biais d’une relation affective vis-à-vis de la langue étrangère: l’enthousiasme devant la langue française est justement ce qui fera en sorte que la langue française ‚accepte‘ Roxane: Entre chaque chose et son nom, il y avait une distance à parcourir, un espace qu’il fallait réduire jusqu’à l’effacement, pour que le mot se pose sur la chose, pour que le mot dise la chose. Entre chaque chose et son nom s’interposait le nom d’origine, le mot persan. Il fallait réapprendre à nommer les choses avec des mots sibyllins (ibid.: 52). D’après Nancy Huston, un avantage incontestable de l’écrivain bilingue, et sa spécificité par rapport à un écrivain monolingue, est justement sa fascination permanente devant la langue, car un étranger est plus attentif à un effet „sibyllin“ des mots, voire „aux frottements et aux coïncidences sonores“ de la nouvelle langue (Huston 1999: 45). La fascination devant la langue étrangère s’insère ainsi dans l’esthétique du formalisme russe qui met l’accent sur le phénomène de la défamiliarisation (ostranenie). Selon Victor Chklovsky, l’usage du langage pratique, quotidien, entraîne une routine, voire un automatisme dans le processus de perception du monde (cf. Chklovski 2008). Le langage poétique bouleverse, en revanche, la langue pratique en valorisant un aspect inhabituel, voire fascinant de la réalité. Ainsi, à travers son langage inhabituel, la littérature permet une nouvelle perception des choses. Étant en permanence fasciné par la (nouvelle) langue, l’écrivain bilingue représente ainsi un cas paradigmatique de littérateur. Au-delà de la solitude, c’est la fascination par la langue française qui pousse Roxane à écrire à un Montesquieu imaginaire. Chez Djavann, l’apprentissage formel du français est thématisé non seulement à travers l’art de l’écriture (lettres à Montesquieu) mais aussi à travers la psychanalyse et la psychothérapie. Entre l’écriture et la psychanalyse s’établit un lien, car la littérature s’avère, chez Djavann, être une sorte de psychanalyse, un remède contre la souffrance provoquée par l’exil: „Oui, raconter, ça l’aiderait sûrement à nouer un lien avec la langue. En outre, cela pourrait avoir quelques effets thérapeutiques contre le dépaysement, la solitude, contre l’isolement plutôt“ (Djavann 2006: 109). Littérature et psychanalyse s’avèrent, par ailleurs être les deux lieux de „la liberté de tout dire“, de confesser sa souffrance et de critiquer les sociétés à la fois iranienne et française (Alvares 2017). Le thème de la psychanalyse est en quelque sorte abordé par la tentative de suicide de Roxane. Donya, personnage d’un des romans suivants de Djavann, intitulé Je ne suis pas celle que je suis est, en effet, „une Roxane postsuicidaire“ (ibid.). Ce dernier roman démontre que l’écriture (sous forme de psychanalyse) s’avère, en outre, être un moyen de survie, voire une pulsion de vie qui s’oppose à la mort. 5 Contrairement à Donya, Maryam est repoussée par un psychanalyste lacanien qui se montre d’ailleurs très peu sensible aux troubles d’exil. Plutôt que de poursuivre les séances avec lui, elle plonge dans sa „mémoire d’enfant“ et DOI 10.2357/ ldm-2020-0008 93 Dossier décide de rendre hommage, en français, à ses „histoires persanes“ (Madjidi 2017: 106-107, 84). Le modèle de la conciliation La dynamique des rapports entre les deux langues chez Madjidi est assez différente par rapport à celle rencontrée chez Djavann. La première réaction de la petite Maryam vis-à-vis de la nouvelle culture française est un rejet. Le français est perçu comme une langue d’invasion qui dévalorise, en quelque sorte, son enfance persane. N’acceptant pas le nouveau monde français dont elle ne se sent pas faire partie, elle refuse non seulement de parler français, mais aussi de jouer et de manger (Madjidi 2017: 113-128). Néanmoins, malgré ce refus apparent d’apprendre le français, elle l’étudie dans la clandestinité: „La langue prend forme dans le secret de ma bulle, de mon intérieur, mon placenta à moi“ (ibid.: 122-123). Le mûrissement intérieur de la nouvelle langue est comparable à celui d’un fœtus: „Je vais bientôt mettre au monde mon français comme un enfant qui va naître.“ En outre, elle „couve sa nouvelle langue comme une poule son œuf“ (ibid.: 122). Tandis que chez Roxane, la soif du français s’articule en termes de passion amoureuse, Madjidi articule, elle, l’apprentissage secret du français en termes de magie, voire de ‚sorcellerie‘. Contrairement aux difficultés de Roxane, le français sort de la bouche de Maryam telle „une joyeuse confusion délirante“: Les mots se pressaient pour sortir, impatients qu’ils étaient, ça fusait dans le petit studio, il volaient, ils dansaient, ils butaient contre les meubles, ils s’élançaient de ma bouche comme des flèches et touchaient le plafond et les murs, ils virevoltaient sur eux-mêmes, soulagés d’être enfin libérés de ma bulle intérieure, enchantés de pouvoir enfin communiquer avec les autres. Tout l’espace était rempli de mes mots français (ibid.: 124). Pendant l’explosion de la naissance du français, un processus opposé se met en place: la disparition de la langue natale, une langue précédée par ailleurs d’un pronom possessif: „Sa langue a foutu le camp.“ La langue persane continue donc une existence sournoise: „Elle ferma les yeux et elle engloutit sa langue maternelle qui glissa au fond de son ventre, bien à l’abri, au fond d’elle comme dans le coin le plus reculé d’une grotte“ (ibid.: 139). Ainsi, Madjidi évoque la langue maternelle en termes de ‚cadavre vivant‘ ou, pour reprendre l’expression de Julia Kristeva, de „crypte enfouie“ sur laquelle la nouvelle langue s’est installée (Kristeva 2012: 66). Comme dans le cas de Roxane, l’esprit de Maryam se dédouble en deux identités linguistiques. Mais à la différence de Roxane, c’est la langue française qui joue le rôle d’arbitre. Un dialogue, ou plutôt une dispute entre les deux langues, se met en place. Le persan apparaît en songe sous la forme d’une femme âgée tandis que le français, „la langue des Lumières et de Molière“, incarné par une femme vêtue d’un „manteau royal de lys et d’élite“ tente de convaincre Maryam de rejeter le persan comme une „langue de l’exil, de l’arrachement, du traumatisme“ (Madjidi 2017: 140sq.). Ainsi, par le biais de la langue, un contraste se dessine entre la supériorité 94 DOI 10.2357/ ldm-2020-0008 Dossier culturelle française et le monde irrationnel et sensuel de la langue persane, qui se résume comme suit: „Laisse de côté ces arabesques puériles et suis-moi, je te ferai traverser mes océans littéraires“ (ibid.). Pourtant, dans cette lutte imaginaire entre les deux langues, la langue persane réplique: „Je suis le pont entre tes deux patries“ (ibid.). Contrairement à Roxane, Maryam découvre que la langue française peut remplacer la langue maternelle. Tout comme Eva Hoffman dans son œuvre autobiographique Lost in Translation, Maryam vit sa troisième naissance dans la conciliation: elle décide d’entamer un mémoire sur la littérature iranienne et de prendre des cours de persan pour se réapproprier sa culture natale. Au-delà de l’idée de ‚cadavre vivant‘ provoquant la souffrance, la langue maternelle s’insère dans une constellation de l’identité multiple. 6 L’(Auto-)Orientalisme - un processus constitutif d’apprentissage du français? Chez les deux personnages, l’apprentissage du français s’articule avec la genèse des images des deux pays, à savoir la France et l’Iran. Comme Maryam dans le chapitre La lutte des langues, Roxane, tiraillée entre les deux langues, établit une opposition en quelque sorte stéréotypée entre les langues française et persane. En tant que langue des Lumières, le français est une langue précise et intransigeante qui „règle et conduit la pensée“ (De Rivarol 2014: 99) et „se prête extraordinairement à la démonstration et à l’analyse“ (Djavann 2006: 106-107). Le persan est en revanche considéré comme une langue imprécise, allusive, lyrique, ondulante et en tant que telle „inconciliable“ avec le monde français (ibid.: 106). En suivant une logique issue du romantisme, Djavann affirme que „c’est dans la langue que bat le cœur du peuple iranien“ (ibid.: 100). Une analyse du peuple iranien est entreprise dans les lettres à Montesquieu où Djavann esquisse le portrait d’un Iran restant inférieur par rapport à la France: L’Iran d’aujourd’hui a encore du retard par rapport à la France de votre époque. Et la France d’aujourd’hui a fait sa révolution […]. En Iran, les gens ne sont point tels qu’ils sont, mais tels qu’ils sont contraints d’être […]. La nature humaine, qui s’épanouit sous tant de formes, est réduite à la servitude, la servitude du corps et de l’esprit. On ne vit que sous le voile de la dissimulation, tout se tait, tout se cache (ibid.: 134-135). En amplifiant la critique de l’Iran, les lettres à Montesquieu présentent un véritable contraste entre l’Iran „le pays de la peur et de la honte“ et Paris où les gens sont „fort distingués et civilisés“ (ibid.: 140, 139). La dissociation de l’être entre la Roxane persanophobe et la Roxane francophile mène à un auto-orientalisme, c’est-à-dire une ‚orientalisation‘ du personnage par lui-même. Roxane dresse quasiment une liste des défauts du peuple iranien: DOI 10.2357/ ldm-2020-0008 95 Dossier Peu importe que la barbarie et l’ignorance ravagent leur pays depuis un quart de siècle, ils tiennent à tout dissimuler pour paraître le peuple le plus civilisé. Ce sont des gens qui ramènent tout à eux. Vous connaissez les Persans, ils sont toujours plus empressés à dénoncer les défauts d’autrui qu’à s’examiner eux-mêmes comme votre Usbek. Leur impertinence n’a souvent d’égal que leur ignorance et leur arrogance (ibid.: 154). Nous sommes un peuple défaitiste et fataliste, qui préfère fermer les yeux sur les problèmes plutôt que tenter de les résoudre (ibid.: 228). Une image péjorative de l’Iran émane aussi du roman de Madjidi, mais elle est beaucoup moins marquée que dans celui de Djavann. Lorsque Maryam, prise par l’envie d’embrasser sa culture d’origine, repart à Téhéran et décide d’y rester, sa mère la supplie, par téléphone, de rentrer à Paris: „Tu veux porter le voile? Tu veux vivre sous la charia? Tu veux être considérée comme une sous-merde parce que tu as un vagin? C’est ça ta patrie? “ (Madjidi 2017: 191). Madjidi se montre toutefois beaucoup plus critique à l’égard des tendances orientalistes en Occident et de l’accueil des étrangers en France. Elle résume ainsi l’atmosphère dans la classe spéciale que fréquente Maryam: „J’accepte que tu sois chez moi mais à la condition que tu t’efforces d’être comme moi. Oublie d’où tu viens, ici, ça ne compte plus“ (ibid.: 135). Plus tard, grandie et ‚francisée‘, Maryam, qui souhaite affirmer son identité au-delà de l’exil et des visions occidentales de l’Orient, se sent incomprise et constamment exotisée par son entourage français, notamment par les hommes qui tombent sous son „charme oriental“ d’odalisque (Madjidi 2017: 74-80). En jouant consciemment avec ces stéréotypes, elle prononce d’une manière légèrement provocatrice les vers d’Omar Khayyâm en persan dans le but de charmer un homme français. La réflexion sur l’Iran des deux écrivaines, sincère et tissée d’émotions fortes, semble en même temps confirmer ‚un horizon d’attente‘ des Français par rapport à l’Iran en tant qu’un pays oriental (cf. Said 2003). Est-il possible de désorientaliser l’Orient, voire de l’évoquer sans recourir à un exotisme sous-entendant une sensualité, une cruauté, une menace ou encore une infériorité par rapport à l’Occident? Audelà de toute véracité des destins racontés et au-delà de toute valeur littéraire, leurs romans, en particulier celui de Djavann, ne confirment-t-ils pas le constat de Joep Leerssen (2010: 57) affirmant que la littérature est la source des stéréotypes? Or, toute évocation littéraire des problèmes politiques ou sociaux qui ravagent un pays dit oriental, ne contribue-t-elle pas à l’exclusion de celui-ci de l’idée de la civilisation (occidentale)? Transculture et déracinement Le nouveau paradigme théorique, le transculturalisme (Dagnino 2015: 140), 7 sousentend „l’acquisition d’un nouveau code sans que l’ancien soit perdu“ (Todorov 1996: 23). Il s’agit d’une nouvelle approche de la réalité, métissée, voire hybride. La plupart des définitions du terme convergent autour de l’idée d’interpénétration des cultures et, par conséquent, de leur „transmutation“ (Buono 2011: 9). Les frontières entre les 96 DOI 10.2357/ ldm-2020-0008 Dossier cultures peuvent donc être abolies, sans que les cultures elles-mêmes perdent leur spécificité, voire leur originalité. Mikhail Epstein réclame le droit de l’individu de choisir sa culture. Selon lui, seule la transculture permet à l’homme de dépasser ses limites génétiques, voire de se déraciner. Or, comme les cultures sont des entités trop étroites pour la réalisation du plein potentiel de la nature humaine, cette réalisation s’avère possible uniquement dans un espace de non-culture ou - pour reprendre le néologisme du poète tunisocanadien Hédi Bouraoui - la „créaculture“ (Bouraoui 1971). Ainsi, d’après Epstein, la transculture, voire la non-culture, constitue un espace de liberté qui se situe audelà du ‚choc des civilisations‘. 8 Complémentaire à la recherche sur les transferts culturels de Michel Espagne (1999), l’approche transculturelle cherche donc à dépasser les conceptions nationales des cultures. En d’autres termes, les cultures ne sont pas des entités homogènes et closes, mais plutôt des formations hybrides, interconnectées, elles sont dans un dialogue permanent et leurs frontières sont fluctuantes, voire poreuses. S’il sert bien à la libération par rapport à la „violence symbolique“ (Epstein 2009: 343) de l’identité nationale, le projet de déracinement chez Djavann et Madjidi se montre, comme nous l’avons constaté, plutôt inefficace en tant que remède contre l’exil (Epstein 2009: 343). En fin de compte, Roxane constate qu’elle n’appartient ni à la culture française, ni à la culture iranienne, et cette non-appartenance provoque une angoisse et un rapport destructif avec la vie: Pour ma part, je ne me suis jamais sentie à ma place, pas plus en Iran, dans ma famille, que dans ma chambre, à Paris. Je me suis partout sentie une étrangère […]. Incapable d’accepter le destin prescrit, je me sentais en guerre contre la vie (Djavann 2006: 178). Dans cette optique, si la tentative du dépassement de la culture nationale amène à une ‚non-culture‘, à une zone mentale qui n’est ni Paris ni Iran, un être dit transculturel est sans doute condamné à l’angoisse et au malheur. Malgré son envie apparente de déracinement, Roxane se rend compte que le passé iranien a beaucoup plus d’importance pour elle qu’elle ne le croyait au départ. Elle confesse donc à Montesquieu: „Il faut que je vous l’avoue, je sens parfois une indicible douleur à la pensée d’avoir perdu de vue le pays de mon enfance“ (ibid.: 244). Dans ses heures de désespoir, Roxane se console par la lecture des fameux poètes iraniens Omar Khayyâm et Hâfez (ibid.: 93, 95, 113). Beaucoup d’écrivains translingues se ressentent comme traîtres, mutilés, voire amputés, car ils ont l’impression que leur vie est divisée en deux destins. Ces troubles peuvent amener à la désintégration physique et psychique, comme en témoignent la tentative de suicide de Roxane et la crise d’identité de Maryam. Tel „un monstre de carrefour“ (Kristeva 2012: 68), l’être translingue se sent „linguistiquement et culturellement à deux endroits et, par conséquent, jamais complètement dans l’un ou dans l’autre“ (Klosty-Beaujour 1989: 48-51). Amin Maalouf, de son côté, met en évidence l’importance de la conservation de la langue maternelle pour l’intégrité psychique. Selon lui, l’abandon de celle-ci risque DOI 10.2357/ ldm-2020-0008 97 Dossier de créer les „êtres désaxés, égarés, à la personnalité distordue“ (Maalouf 1998: 180). Kristeva évoque, elle, l’abandon de la langue maternelle en termes de „matricide“ (Kristeva 2012: 69), ce que Madjidi confirme indirectement par la voix prêtée à sa langue maternelle: „Je ne suis pas la langue de ta mère, je suis ta mère dans la langue“ (Madjidi 2017: 141). À son insu, l’héroïne de Djavann prend conscience d’un lien vital, voire indestructible entre la famille, l’enfance, la langue maternelle et le pays natal. Elle éprouve néanmoins une souffrance teintée de la nostalgie d’un amour familial. „Depuis que je suis à Paris, ma famille, mes souvenirs se présentent souvent à mon esprit, une inquiétude m’envahit et me fait retrouver ce que depuis toujours j’ai tenté de fuir“ (Djavann 2006: 244). Roxane et Maryam s’avèrent être aux antipodes l’une de l’autre. Le processus d’acquisition de la culture française chez Roxane est basé sur la tentative de rejet de sa culture natale et se termine par sa tentative de suicide. Chez Maryam, la réconciliation avec sa culture natale se montre comme le seul remède contre la désintégration psychique. Conclusion: la traduction imparfaite D’après l’opinion courante, l’écriture bilingue s’associe à la détermination d’écrire dans la langue adoptée (même si cela n’exclut pas l’écriture dans la langue maternelle). Selon Julia Kristeva, un écrivain bilingue, voire un étranger, est comparable au „traducteur non idéal“ qui peut oublier sa langue originelle partiellement, mais jamais entièrement (Kristeva 2012: 62sq.). Étant fort attaché à la langue étrangère, ce ‚traducteur imparfait‘ insuffle néanmoins à celle-ci l’esprit de sa langue maternelle. Tandis que le processus de traduction exige plutôt une délimitation nette entre deux langues, impliquant ainsi le mythe de la tour de Babel, l’écrivain bilingue est en permanence à la recherche d’un anti-Babel invisible voire „souterrain“ qui permettrait la reconstruction de l’unité des langues (Lucera 1987: 19; Klosty Beaujour 1989: 37). Telles des traductrices ‚imparfaites‘, voire incomplètes, Roxane et Maryam demeurent à la lisière de deux langues et de deux cultures. Les deux romans démontrent que l’acquisition de la culture étrangère s’avère quasiment impossible sans un compromis avec la culture d’origine. Comme l’énonce Madjidi, la langue maternelle sert de pont vers la culture d’adoption (Madjidi 2017: 140). En ce sens, la discontinuité entre le passé et le présent demande à être abolie en faveur d’une transculture qui donnerait davantage sa place à la culture du passé (la langue et la culture d’origine). En d’autres termes, les destins des deux protagonistes de Djavann et Madjidi suggèrent qu’il est possible, voire désirable d’envisager la transculture comme un (agréable) ancrage à la fois dans deux ou plusieurs langues sans établir une hiérarchie des langues au sein de laquelle une seule langue serait privilégiée par rapport aux autres. 98 DOI 10.2357/ ldm-2020-0008 Dossier Alvares, Cristina, „Ni française ni iranienne. Sur Chahdortt Djavann“, in: Mondes francophones, 24/ 04/ 2017, https: / / mondesfrancophones.com/ espaces/ frances/ ni-francaise-ni-iranienne-surchahdortt-djavann (dernière consultation: 21/ 09/ 20). Bhabha, Homi, The Location of Culture, London / New York, Routledge, 1994. Bouraoui, Hédi, Créaculture I, II, Montréal/ Philadelphie, Didier, 1971. —, Transpoétique. Éloge du nomadisme, Montréal, Mémoire d’encrier, 2005. 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Todorov, Tzvetan, L’homme dépaysé, Paris, Seuil, 1996 . 1 Djavann est née en 1967 en Azerbaïdjan iranien dans une famille aristocratique appauvrie après la révolution islamiste en 1979. Djavann est venue en France en 1993, sans connaissance d’un seul mot de français. Après l’apprentissage intensif du français, elle termine un master d’anthropologie. Le personnage qui revient dans nombre de ses romans est celui d’une jeune femme iranienne qui a été sexuellement abusée. Après avoir découvert qu’elle est enceinte, elle trouve refuge en Turquie où elle se fait avorter. Elle arrive par la suite en France et essaie de recommencer sa vie. Djavann ne souhaite pas faire de déclaration explicite concernant le lien entre sa propre vie et ses romans, même si elle avoue que dans ses romans il y a une bonne partie d’éléments autobiographiques. À la fin du roman Je ne suis pas celle que je suis, elle admet: „Je confesse cependant que certaines de ces expériences me sont familières, mais vous me reconnaîtrez le droit de ne pas dire lesquelles“ (Djavann 2011: 520). Mis à part les romans elle a écrit aussi des essais, des articles et des pamphlets. Elle a publié Je viens d’ailleurs (2002), Bas les voiles! (2003), Que pense Allah de l’Europe? (2004), Autoportrait de l’autre (2004), Comment peut-on être DOI 10.2357/ ldm-2020-0008 99 Dossier français? (2006), À mon corps défendant, l’Occident (2007), La Muette (2008), Ne négociez pas avec le régime iranien (2009), Je ne suis pas celle que je suis (2011), La Dernière Séance (2013), Big Daddy (2015), Les putes voilées n’iront jamais au paradis! (2016), Comment lutter efficacement contre l’idéologie islamique (2016), Iran. J’accuse (2018). 2 Le titre symbolique du roman s’associe à la littérature communiste et aux jouets pour les enfants, deux types d’objets dont la famille fut obligée de se débarrasser avant de quitter l’Iran: les livres ont été cachés, voire enterrés tandis que la petite Maryam a donné ses jouets aux autres enfants - un geste qui, selon ses parents, correspondait aux idées communistes. En 2017, Maryam Madjidi, née à Téhéran en 1980, a reçu le prix Goncourt pour le premier roman. 3 L’expression est empruntée de Homi Bhabha, The Location of Culture (1994: 7). 4 Romain Gary, cité par Nancy Huston (1999: 11). 5 Dans l’introduction de son roman Je ne suis pas celle que je suis, Djavann constate: „[…] ce livre est une tentative de vie, comme on fait une tentative de suicide“ (10). Après quelques tentatives de suicide, Djavann a poursuivi une psychanalyse pendant plusieurs années. Son roman est en quelque sorte la restitution de ces séances. 6 Le terme vient d’Amin Maalouf (1998). 7 L’anthropologue cubain Fernando Ortiz, dans son ouvrage Contrapunteo cubano del tabaco y el azúcar (1940), introduit pour la première fois le terme de ‚transculturation‘ en substitution du terme d’‚acculturation‘. 8 „Transculture is a different model of cultural development, an alternative to both leveling globalism and isolating pluralism. Among the many freedoms proclaimed as inalienable rights of the individual, there emerges yet another freedom that is probably the most precious one, though so far most neglected the freedom from one’s own culture, in which one was born and educated. […] Transculture is a new sphere of cultural development that transcends the borders of traditional cultures (ethnic, national, racial, religious, gender, sexual, and professional). Transculture overcomes the isolation of their symbolic systems and value determinations and broadens the field of ‚supra-cultural‘ creativity. We acquire transculture at the boundaries of our own culture and at the crossroads with other cultures through the risky experience of our own cultural wanderings and transgressions […]. Transculture is the freedom of every person to live on the border of one’s ‚inborn‘ culture or beyond it“ (Epstein 2009: 330-333).
