eJournals lendemains 45/177

lendemains
ldm
0170-3803
2941-0843
Narr Verlag Tübingen
10.2357/ldm-2020-0016
Es handelt sich um einen Open-Access-Artikel, der unter den Bedingungen der Lizenz CC by 4.0 veröffentlicht wurde.http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/121
2020
45177

L’ADRESSE À L’ASSEMBLÉE NATIONALE (31 MAI 1791) DE GUILLAUME-THOMAS RAYNAL: POSITIONS, POLÉMIQUES, RÉPERCUSSIONS, TEXTES PRÉSENTÉS ET ANNOTÉS PAR HANS-JÜRGEN LÜSEBRINK, PARIS, SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’ÉTUDES DU DIX-HUITIÈME SIÈCLE, 2018, 329 P.

121
2020
Gilles Bancarel
ldm451770141
DOI 10.2357/ ldm-2020-0016 141 Comptes rendus L’ADRESSE À L’ASSEMBLÉE NATIONALE (31 MAI 1791) DE GUILLAUME-THOMAS RAYNAL: POSITIONS, POLÉMIQUES, RÉPERCUSSIONS, TEXTES PRÉSENTÉS ET ANNOTÉS PAR HANS-JÜRGEN LÜSEBRINK, PARIS, SOCIÉTÉ FRANÇAISE D’ÉTUDES DU DIX-HUITIÈME SIÈCLE, 2018, 329 P. L’adresse à l’Assemblée nationale de l’abbé Raynal du 31 mai 1791 est une pièce de littérature mal connue du public malgré l’impact considérable qu’elle rencontra lors de sa lecture. Aussi devons-nous rendre hommage au professeur Hans-Jürgen Lüsebrink qui s’est appliqué à en rendre le texte accessible à tous avec l’appareil critique indispensable. L’Adresse à l’Assemblée nationale fait partie de ces textes que l’on aborde avec une certaine méfiance due à la fois à la personnalité de son auteur et à l’époque qui l’a vu éclore. L’abbé Raynal, auteur à succès, controversé, enseveli sous l’aura de son plus ardent collaborateur Diderot à qui l’on doit de nombreux passages de l’Histoire des deux Indes, n’en demeure pas moins pour autant le génial architecte d’une œuvre monumentale qui fait de lui le précurseur de la lutte contre l’esclavage et l’un des pères de la Révolution française. Aussi, la question de la paternité de l’Adresse à l’Assemblée sera-t-elle posée dès sa lecture par ses détracteurs qui verront dans ce texte la plume des „ennemis les plus déclarés de la Révolution“ et déplaceront cette critique sur l’ensemble de l’œuvre de Raynal afin de le discréditer. La particularité de l’adresse à l’Assemblée nationale repose autant sur son contenu qui „fut perçu comme radicalement opposé à la philosophie politique de l’Histoire des deux Indes“ qu’au statut de l’abbé Raynal, philosophe de grand renom, qui s’y montrait hostile aux premiers effets de la Révolution, alors même qu’il apparaissait aux yeux du public comme l’un de ceux qui l’avait ouvertement annoncée et ardemment préparée. Cette prise de position fut d’autant plus discutée qu’elle émanait de celui dont le nom était vénéré, et qu’elle prenait le contre-pied de son œuvre pour dénoncer les excès de ses disciples. Raynal y plaidait pour „un renforcement des pouvoirs de la monarchie“ et une „restriction du rôle des clubs“. Ce qui ne fut pas sans risque pour l’époque („il ne doutait pas selon le témoignage de Malouet qu’il risquait d’être massacré“) et vient plaider en faveur de son courage pour sa liberté de parole. Une qualité qui lui était reconnue quelques années plus tôt par le qualificatif de „défenseur de l'Humanité, de la Vérité, de la Liberté“. Néanmoins, elle provoqua dans l’opinion publique un réel séisme savamment orchestré par ses détracteurs, au premier rang desquels Robespierre. Ce contexte très particulier en fera une lettre largement débattue et une publication à succès. En témoigne l’importante production d’imprimés comprenant „un ensemble de quinze éditions en langues différentes auxquelles s’ajoutent plus d’une trentaine de publications dans des périodiques de l’époque“. Le texte de cette Adresse nous est ici restitué par Hans-Jürgen Lüsebrink, complété par toutes les explications utiles à la compréhension de son contexte, argumenté de très nombreuses réactions qu’il provoqua. Y sont ici distingués les commentaires dans la presse („traces médiatiques 142 DOI 10.2357/ ldm-2020-0016 Comptes rendus d’un scandale politique“) et la publication de pamphlets („positionnements et modèles d’explication d’une énigme philosophique et politique“). L’importante quantité des commentaires qui accompagnent la lecture et la publication de l’Adresse à l’Assemblée nationale, atteste de ‚l’horizon d’attente‘ qu’incarnait Raynal à l’heure de cette lecture, et par conséquent expliquent l’impact de cette lecture au sein même de l’Assemblée. À la tribune de l’Assemblée ce 31 mai, les débats furent animés. On suit minute par minute, à l’aide des comptes rendus, cette lecture houleuse. Hors de l’Assemblée le débat se prolongera par la diffusion auprès du public de plusieurs caricatures: l’abbé Rainal en délire et Les Marseillois conduisent le buste de l’abbé Rainal à l’hôpital des fous. Cette dernière reprenant sur le vif un évènement survenu à Marseille le 8 juin, à la suite de la décision des amis de la constitution de transférer le buste de l’abbé „aux petites-maisons par la chaise à porteur de l’hôpital“. L’ensemble de ces réactions enflammées faisaient en quelque sorte écho à la réputation de Raynal auteur de l’Histoire des deux Indes, après ce 31 mai 1791. Elles se distinguent par „une très nette domination des prises de position négatives et défavorables“, témoignant ainsi de ce qu’il est convenu d’observer comme une véritable campagne de presse destinée à faire oublier Raynal, en reprenant notamment les critiques qui portaient sur son ouvrage vingt ans plus tôt. Une grande partie de cette littérature découle des propos de Robespierre qui verra dans l’abbé Raynal „cet homme célèbre… qui a cependant publié des vérités utiles à la liberté“ (ce qui le préserva sans doute de la guillotine) et lui trouva pour „excuse suffisante… son grand âge“. À sa suite, les qualificatifs des commentateurs sont unanimes pour voir dans l’Adresse „une démarche inconsidérée“, „le radotage de la démence“, „une lettre plus délirante qu’impertinente“, „une vaine déclamation“, „une chose bizarre et révoltante“, „une insulte au peuple français“, „des reproches insidieux“, „des déclamatoires calomnies“, „les lamentations du prophète“. L’importante littérature en réaction à l’Adresse à l’Assemblée nationale „dont l’éventail s’étend des courants les plus conservateurs aux courants les plus progressistes“ est marquée par une „très nette domination des prises de position négatives et défavorables par rapport aux idées avancées par Raynal“ comme l’atteste l’ensemble des textes présentés dans l’ouvrage. L’un des mérites de cette étude est de nous permettre de replacer l’évènement que constitue cette lecture à l’Assemblée dans un contexte beaucoup plus large et qui vient lui faire écho. Alors que la lecture de cette lettre intervient le lendemain du jour où l’assemblée vota la translation des cendres de Voltaire au Panthéon, elle précède de trois semaines la fuite du Roi et son arrestation de Varennes. Cet évènement donne tout son éclairage à l’Adresse à l’Assemblée nationale qui, de fait, est discréditée rétrospectivement aux yeux des Révolutionnaires, mais qui peut être considérée, à l’heure de sa lecture, comme le dernier rempart du Roi face aux évènements à venir. On devra aussi se souvenir que Raynal est alors un des rares philosophes encore en vie à oser donner son avis sur les évènements, comme l’avait fait un an plus tôt Burke dans ses Réflexions sur la Révolution française. DOI 10.2357/ ldm-2020-0016 143 Comptes rendus L’Adresse ouvrait, à l’heure de la représentativité naissante du peuple, un débat sur la question de sa souveraineté qui était alors à l’épreuve du temps. Gilles Bancarel (Béziers)