lendemains
ldm
0170-3803
2941-0843
Narr Verlag Tübingen
10.2357/ldm-2020-0021
Es handelt sich um einen Open-Access-Artikel, der unter den Bedingungen der Lizenz CC by 4.0 veröffentlicht wurde.http://creativecommons.org/licenses/by/4.0/121
2020
45178-179
Europe postcoloniale dans l’océan Indien: Mutisme communicatif et interventions littéraires
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2020
Margot Brink
ldm45178-1790035
DOI 10.2357/ ldm-2020-0021 35 Dossier Margot Brink Europe postcoloniale dans l’océan Indien: Mutisme communicatif et interventions littéraires Contextes et questions Ouvrez bien l’oreille Retenez bien votre souffle D’une rive à l’autre le désastre en partage Cette nuit ils ont annoncé la mort d’un des miens Mon cousin happé par la vague broyé par les flots (Elbadawi 2013: 7). […] j’ai l’impression de me trouver dans un vaste gouffre ténébreux, c’est un sépulcre cet espace, non, répondez-moi, vous qui m’entendez […] (Zamir 2016: 10). „Comme beaucoup d’histoires, celle de l’Europe est aussi l’histoire d’un oubli volontaire de ses origines“, constate le sociologue Brunkhorst dans Das doppelte Gesicht Europas (2014: 11). Selon lui, on oublierait autant l’histoire de l’émancipation au sens kantien du terme que celle de la colonisation et de la lutte anticoloniale. Il en résulterait une attitude qu’il décrit comme une sorte de „mutisme communicatif“ (2014: 13). 1 Ce mutisme concernant le passé colonial était autrefois très persistant, souvent intentionnel, parfois irréfléchi. À l’heure actuelle, il est difficile d’ignorer ou de taire ce double visage de l’Europe, et ce, pas seulement depuis la crise des réfugiés en 2015 et les images des réfugiés noyés en Méditerranée. En effet, dès le début, le beau visage de l’Europe, celui des Lumières, des droits de l’homme et de la liberté, fut paradoxalement lié à l’horrible grimace du racisme et de l’exploitation coloniale. Kant, l’un des philosophes les plus connus des Lumières représente cette duplicité de manière exemplaire: il ne fut pas seulement le penseur de la raison critique et de l’émancipation des hommes, mais il publia dans le même temps des livres intitulés Über die verschiedenen Racen der Menschen (1775) ou Bestimmung des Begriffs der Menschenrace (1785) qui justifièrent le racisme et le colonialisme. 2 Le savoir autour des fondements tout à fait ambivalents de l’Europe n’a pas seulement été produit par les études postcoloniales qui se sont développées à partir des années 1980. Bien avant, des écrivains et des théoriciens comme Senghor, Béti, Fanon ou Césaire avaient déjà mis l’Europe en face de ses fondements coloniaux. Compte tenu de la réflexion actuelle sur l’histoire coloniale, p. ex. dans le contexte des débats autour de la restitution des objets culturels venant des anciennes colonies ou du mouvement black lives matter, qui a aussi des répercussions en Europe, l’attitude d’un mutisme communicatif envers ce passé violent et ses effets sur le présent ne semble donc plus guère possible. 36 DOI 10.2357/ ldm-2020-0021 Dossier Pourtant, on peut constater à quel point le silence de l’Europe est encore actuellement assourdissant et problématique si l’on s’intéresse au conflit et au drame migratoire qui se déroulent déjà depuis 1995 dans l’océan Indien, entre l’Union des Comores et Mayotte. Tandis que l’Union Européenne se focalise sur la gestion de la crise des réfugiés en mer Méditerranée - sans pour autant trouver une ligne politique commune qui respecterait les droits de l’homme -, cet autre drame n’est presque jamais évoqué dans le débat public et politique en Europe. 3 En effet, Mayotte se situe à 8000 km de Paris, entre Madagascar et le Mozambique, c’est une île d’environ 374 km 2 qui fait partie de l’archipel des Comores. Cette île, si lointaine géographiquement, est pourtant si proche de l’Europe d’un point de vue historique et politique. Depuis 1841, Mayotte fait partie de l’empire colonial français; en 2011, elle est devenue le 101ème département de la France et en 2014 même une partie intégrante de l’Europe comme „Région ultrapériphérique“ ( RUP ). 4 Depuis le référendum, qui eut lieu séparément pour chacune des quatre îles en 1974, l’archipel des Comores est divisé en deux parties, d’un côté l’État de l’Union des Comores (avec les trois îles Anjouan, Mohéli et Grande Comore) et de l’autre côté Mayotte. La France et l’Europe ont donc par Mayotte des frontières extracontinentales dans l’océan Indien, une situation géopolitique qui crée de graves problèmes migratoires, humanitaires, économiques et politiques et déstabilise Mayotte et toute la région. L’écrivain Ali Zamir - né sur l’île d’Anjouan, située à 70 km de Mayotte - dénonce l’absurdité et le danger de cette géopolitique postcoloniale (cf. aussi Caminade 2010): La France ne peut pas injecter une goutte de miel dans un océan de misère et penser que tout ira bien: pour beaucoup de marginalisés comoriens, Mayotte est une goutte de miel: ils savent qu’elle ne va pas suffire pour tout le monde mais ils y vont et ont quand même les yeux braqués dessus, c’est leur seul espoir. Il faut savoir que ceux qui partent cherchent à se soigner, cherchent à travailler, cherchent à rejoindre un parent malade ou un enfant mineur, cherchent à se réfugier parce qu’ils ont des problèmes […] (Zamir 2017a: 140). 5 Ainsi, le statut de Département français et RUP a provoqué une forte migration des Comorien.ne.s, mais aussi de personnes venant de Madagascar et d’autres pays du continent africain, notamment du Rwanda, du Burundi ou de la République démocratique du Congo, vers Mayotte (cf. Patry 2019). Depuis l’instauration d’une obligation de visa pour les habitant.e.s de l’Union des Comores par la France en 1995, les traversées vers Mayotte se font souvent clandestinement par la voie maritime parce que les visas sont chers et difficiles à obtenir en raison de nombreux obstacles administratifs. Les traversées maritimes en kwassa-kwassa, les bateaux de pêche comoriens, sont dangereuses et s’avèrent assez souvent mortelles. „Selon les estimations de l’Agence des Nations Unies pour les réfugiés ( HCR ), 200 à 500 personnes se noient entre les îles chaque année [depuis 1995, M. B.]. Marie Duflo, secrétaire générale de l’Organisation pour le conseil et l’assistance aux immigrés DOI 10.2357/ ldm-2020-0021 37 Dossier ( GISTI ) craint pourtant que le nombre soit beaucoup plus élevé“ (cf. Schönherr 2015). „Ouvrez bien l’oreille“ (Elbadawi 2013: 7) - „répondez-moi, vous qui m’entendez“ (Zamir 2016: 10): Ce sont des écrivain.e.s et artistes des Comores dont les œuvres nous incitent à tenir compte de cette catastrophe humanitaire. 6 Et surtout, ils nous rappellent que c’est un „désastre en partage“ (Elbadawi 2013: 7) entre les rives des différentes îles de l’archipel, mais aussi entre les Comores et la France, entre l’Afrique et l’Europe. Dans ce contexte, le présent article propose d’analyser la relation entre mutisme communicatif et interventions littéraires à partir de deux œuvres qui portent sur la situation postcoloniale et conflictuelle dans la région de l’archipel des Comores et qui manifestent une volonté forte et originale de mettre en forme esthétiquement cette réalité difficile: Anguille sous roche (2016) d’Ali Zamir et L’irrésistible nécessité de mordre dans une mangue (2014) de Nassuf Djailani. Cette analyse sera faite dans une perspective qui cherche à dégager la dialectique entre questions (problèmes) et réponses qui caractérisent les textes à bien des égards. D’abord, l’œuvre littéraire sera considérée comme une réponse à une question ou à une problématique existentielle à laquelle le texte essaie de répondre à travers sa forme ainsi que son contenu. Suivant cette idée d’inspiration herméneutique, 7 le premier objectif de l’article sera donc de dégager et d’analyser les questions soulevées et les réponses autant esthétiques que thématiques données par les textes. À cela s’ajoute un aspect dialogique: les textes de Zamir et Djailani fonctionnent - comme toute littérature de valeurs d’ailleurs - comme des déclencheurs de nouvelles questions qui incitent les lectrices et les lecteurs à réfléchir et à rechercher des éléments de réponse. Cette idée d’une dialectique entre questions et réponses est reprise en partie par Achille Mbembe sous un angle théorique postcolonial dans Sortir de la grande nuit. Essai sur l’Afrique décolonisée. Partant du constat qu’au cours des processus de décolonisation sur le continent africain et de l’émergence de „l’afripolitanisme“ (Mbembe 2016: 275sqq.), à savoir des nouvelles sociétés caractérisées par une manière spécifique de traiter les différences et la circulation des personnes et des cultures, il affirme que, puisque les anciennes colonies se sont déjà largement décolonisées, c’est maintenant à l’Europe de se décoloniser: Il convient certes de décrypter ces mutations africaines, mais aussi de les confronter aux évolutions des sociétés postcoloniales européennes - en particulier de la France, qui décolonisa sans s’autodécoloniser -, pour en finir avec la race, la frontière et la violence continuant d’imprégner les imaginaires de part et d’autre de la Méditerranée. C’est la condition pour que le passé en commun devienne enfin un passé en partage. 8 „Une possibilité [entre autres, M. B. ]“ pour y arriver serait „d’écrire une autobiographie [de l’Europe, M. B. ] en réponse aux questions que pose cette Autre à l’Europe“ (Mbembe: 2016, 110). Cette idée guidera donc notre analyse et le dialogue avec les textes littéraires. 38 DOI 10.2357/ ldm-2020-0021 Dossier Ali Zamir: écriture carnavalesque en forme d’Anguille Le premier ouvrage de l’auteur comorien Ali Zamir s’intitule Anguille sous roche (2016). Le roman, publié en France aux éditions Le Tripode, reçut dans l’année de sa publication le Prix Senghor du premier roman francophone et francophile ainsi que la Mention Spéciale du jury du Prix Wepler. 9 L’histoire commence à un moment hautement dramatique, à savoir quand la jeune protagoniste, Anguille, est en train de se noyer parce qu’elle a tenté de rejoindre clandestinement Mayotte depuis Anjouan. Commence alors, pendant son naufrage, le récit de sa vie, de ses souvenirs et de ses pensées in medias res à la première personne: Oh, la terre m’a vomie, la mer m’avale, les cieux m’espèrent, et maintenant que je reprends mes esprits, je ne vois rien, n’entends rien, ne sens rien, mais cela ne pèse pas un grain puisque que je ne vaux rien, pourquoi je me laisserai broyer du noir alors que tout va finir ici, […] tout est à la fois fantasmagorique et désertique ici, j’ai l’impression de me trouver dans un vaste gouffre ténébreux, c’est un sépulcre cet espace, non, répondez-moi, vous qui m’entendez, […] tout est chaotique, serais-je dans le monde des mânes, nom d’une pipe […] je revois tout maintenant, mais pas avec les yeux je le dis bien, comment alors, […] je vois des images tumultueuses qui s’affolent, se bousculent et se tamponnent […] je vois d’abord ma ville, Mutsamudu [la capitale et la principale ville de l’île d’Anjouan, M. B.], avec son cœur la Medina […] (Zamir 2016: 10-11). À ce moment de la narration, Anguille lutte désespérément pour survivre. Bien qu’elle soit à bout de souffle, elle entame un monologue qui s’étire sans interruption à travers tout le roman. Le kwassa-kwassa des passeurs avec lesquels elle voulait fuir son père sévère, son amant infidèle dont elle est enceinte et toutes les contraintes de sa vie de jeune femme aux Comores, fait naufrage. Avec ses dernières forces, elle s’accroche à un bidon d’essence tandis que ses souvenirs défilent rapidement dans son esprit en prenant la forme d’un staccato. En renonçant aux points et en ne se servant que de virgules, l’auteur laisse la protagoniste lancer ses pensées vers les lectrices et les lecteurs dans „une véritable houle verbale qui vous emporte dans son flot“ (Rose 2016). Cette phrase qui s’étire à travers 317 pages commence par l’interjection „oh“ et se termine par un „ouf! “, suivi de l’unique et dernier signe de ponctuation du texte (à l’exception des virgules), imitant ainsi au niveau de la forme la situation tragique de la jeune fille. En réponse à son titre, le roman a „une forme plutôt spirale et anguillère puisque le texte n’est composé que d’une seule phrase qui imite la forme de l’anguille et aussi du tourbillon de la mer où se trouve l’héroïne“ (Zamir 2017a: 143). Cependant, le titre Anguille sous roche ne fait pas seulement allusion à cette forme particulière du texte, mais comporte aussi deux autres dimensions. D’une part, l’anguille sert de métaphore pour caractériser la protagoniste: comme son homologue animal fascinant, la protagoniste féminine est forte et têtue. Elle poursuit son chemin avec force, traverse la mer, suit son désir et son envie de liberté - pour toutefois finir par mourir. 10 D’autre part, le titre du roman fait référence au proverbe „il y a anguille sous roche“, ce qui signifie au sens figuré qu’„il y a une chose qu’on nous DOI 10.2357/ ldm-2020-0021 39 Dossier cache, et qu’on soupçonne“ (Petit Robert 1990). En effet, la vie d’Anguille est entourée de secrets et de tabous qu’elle ne découvre et ne brise que progressivement, sans que les lectrices et les lecteurs ne puissent jamais être sûrs que toute la vérité ait été dite. Dans le flot des pensées de la protagoniste sont intercalées, en forme d’analepses, les histoires des personnes avec lesquelles elle vivait: il y a son ‚père‘ surnommée ironiquement „Connaît-Tout“ qui ne s’exprime qu’avec des proverbes dans une langue toute faite et ignore pendant très longtemps qu’il n’est pas le père de ses filles; il y a la tante d’Anguille, la sœur de sa mère décédée, dénommée „Tranquille“ qui dissimule pendant de nombreuses années qu’elle était au courant de cette fausse paternité et ne rompt son silence que tardivement et malgré elle; et puis il y a l’amant infidèle d’Anguille qui porte bien son nom de „Vorace“, un obsédé sexuel narcissique qui tente de cacher ses aventures. Anguille elle-même ne révèle jamais à sa famille son histoire d’amour avec Vorace pour pouvoir vivre en liberté son désir („j’étais allée en terminale avant de négliger mes études pour vivre silencieusement en vraie anguille“, Zamir 2016: 59). Rejetée par son supposé père, trahie par son amant, Anguille décide de s’enfuir clandestinement à Mayotte pour y donner naissance à son enfant et y mener une vie indépendante. Bien que la société comorienne se base sur une tradition matrilinéaire - ce qui mène à un certain équilibre entre le pouvoir féminin traditionnel, les tendances patriarcales de la loi islamique et la juridiction française (cf. Münger 2011: 69sq.) -, Anguille se voit privée de ce soutien maternel puisque sa mère est morte. Elle doit même faire face à un père autoritaire, un amant peu sincère et à travers eux à une société patriarcale et postcoloniale qui, d’une part, privilégie les hommes et, d’autre part, l’empêche de fuir ses contraintes d’une manière légale, étant donné l’impossibilité d’obtenir un visa. Ce sont les raisons pour lesquelles la protagoniste s’enfuit clandestinement au risque de sa vie. Le roman décrit les méthodes de contrebande et les conditions de la traversée clandestine: […] là où je m’étais assise, je voyais des gens venir demander nos deux affairistes [les passeurs, M. B.], ils leur donnaient de l’argent, et écoutaient attentivement tout ce qu’ils leur disaient, il y avait plusieurs femmes avec des enfants ou nourrissons, à un moment donné je m’étais rendu compte que nous étions très nombreux dans ce lieu, je n’arrivais même pas à compter tous les gens que je prenais pour des voyageurs, parce qu’ils étaient éparpillés ça et là, je savais tout simplement qu’ils approchaient le nombre de cent, je me demandais bien où ils allaient monter pour aller à Mayotte, parce que je ne croyais pas qu’on allait nous embarquer dans une seule vedette comme des cocos […] (ibid.: 265). Mais, cela est bien le cas: le bateau, „cette espèce de risque-tout“ (ibid.: 293), complètement surchargé, pris dans une tempête, fait finalement naufrage: […] personne ne nous entendait, personne ne venait et, croyez-moi, personne ne nous a sauvés […] je continue de m’adresser à vous, comme si vous étiez là et que vous m’écoutiez, vous qui ne m’entendez pas, nous étions secoués une bonne fois pour toutes, vlan, vient un silence, et là je me rappelle m’être vue planer un moment au ciel, comme un oiseau, en pleine 40 DOI 10.2357/ ldm-2020-0021 Dossier accalmie, puis, puff, dans les flots, j’avais coulé, je ne voyais rien que du noir […]“ (ibid.: 312sq.). Reprenant l’incipit du texte, la narratrice s’adresse ici de nouveau à des interlocuteurs explicites tout en sachant qu’ils sont absents et ne viendront pas à son aide. C’est donc un discours, un appel au secours, qui - justement parce qu’il n’est formulé qu’au conditionnel - interpelle les lectrices et les lecteurs obligé.e.s de se demander à qui le droit d’être entendu et sauvé sera refusé ou en revanche accordé. Au vu du contenu dramatique créé par la combinaison thématique de la fuite, de la mort, des mensonges de la vie et de la volonté de liberté, on pourrait penser que le roman se limite à une représentation de ce drame et fasse exclusivement appel à l’empathie des lectrices et des lecteurs. Mais, ce n’est pas du tout le cas car le roman a plutôt un effet intriguant, irritant et parfois même comique sur celles et ceux qui le lisent. La raison en est que presque tout y est grotesquement exagéré: les situations représentées sont souvent réalistes et surréalistes, les personnages sérieux et ridicules à la fois. Même les noms des personnages ont des facettes qui font preuve d’ironie ou d’humour noir. Les deux passeurs organisant le voyage en bateau s’appellent, par exemple, Miraculé et Rescapé. Pourtant, la motivation de ces deux-là n’est certainement pas de concrétiser les attentes d’une meilleure (sur)vie de leurs clients. Cet univers errant aux traits rabelaisiens caractérise aussi la langue d’Anguille, oscillant entre des registres très différents, parfois grossiers et même vulgaires („[…] ne bavarde pas trop Anguille, merde, il ne te reste pas beaucoup de temps, peux-tu cesser enfin de tourner autour du pot, espèce de nigaude“, Zamir 2016: 19). Par ailleurs, comme dans la citation d’ouverture, elle est pleine de pathos, rhétoriquement développée et entrecoupée de latinismes („Connaît-Tout ne pouvait pas me commander ad vitam aeternam, non, il se prenait pour qui, ce pauvre pêcheur“, (ibid.: 59), tantôt assez complexe sur le plan syntaxique, tantôt plutôt paratactique, imitant le langage courant. En outre, des exclamations (cf. le début et la fin) ainsi que des onomatopées („vlan“, „puff“, ibid.: 313) font référence à une esthétique filmique et de bandes dessinées. À cet égard, Anguille sous roche peut être décrit avec Bachtin (1965) comme un texte dialogique et carnavalesque dans lequel les frontières s’estompent entre la tragédie et la comédie, entre le sérieux et le ridicule, entre le probable et l’improbable, et qui remet ainsi en question les classifications et les ordres dominants, tout en révélant leur absurdité et en créant un désordre productif. Malgré le caractère monologique de la situation narrative, le roman crée un espace narratif polyphonique à travers le langage hétérogène de la protagoniste elle-même d’une part, et, d’autre part, à travers les nombreuses voix des personnes avec lesquelles elle a vécu et qui habitent ses pensées. Aussi subversif que la langue est le personnage Anguille lui-même: à première vue, elle semble être juste une femme en fuite, célibataire, enceinte, un rien, un paria dans sa société; puis, il devient clair qu’elle n’est en aucun cas une simple victime de la société patriarcale ou des trafiquants. En effet, Anguille est à la fois et surtout DOI 10.2357/ ldm-2020-0021 41 Dossier une personne sûre d’elle-même, une voix forte et perçante qui, en se rebellant contre l’ordre du silence, nous entraîne dans son „aventure verbale“ (ibid.: 97). Au-delà de la question centrale de l’immigration, le texte donne avant tout une forme à la problématique d’une société postcoloniale et patriarcale à laquelle il oppose une jeune femme forte, très individuelle, s’émancipant de son père et pleine d’envie de vivre, de communiquer et de dénoncer jusqu’à la dernière minute cette société qui l’étouffe. Cette mise en question de l’ordre sexuel, l’image positive de la femme et l’absence de la mère constituent - au-delà des thématiques de la migration et de la situation postcoloniale - des points de rencontre entre les textes de Zamir et de Nassuf Djailani dont il sera question par la suite. Nassuf Djailani: „La machine à exiler“ Né à Mayotte, Djailani est l’auteur de plusieurs pièces de théâtre, de recueils de poésie et de nouvelles ainsi que d’un roman. Avec L’irrésistible nécessité de mordre dans une mangue (2014), il publie un volume de onze fragments en prose. Le texte le plus long, faisant l’objet de notre analyse, est celui qui donne aussi son titre au volume entier et traite les mêmes sujets récurrents que dans tous les autres textes de ce recueil: L’irrésistible nécessité de mordre dans une mangue, titre (peut-être) un peu long, un peu poétique (c’est mon obsession), est une métaphore de la vie que mes personnages voudraient mordre à pleine bouche, comme la mangue. Ils font l’amère expérience du difficile métier de vivre, car la vie exige tant de sacrifices (parfois inutiles), tant d’efforts, tant de renoncements que l’on se prend parfois à rêver d’une autre vie possible. Mes personnages ne sont pas gâtés dans l’aventure imprévisible de la vie sous nos latitudes, mais l’on se rend compte que malgré tout, il y a une énergie quelque part qui les fait tenir, une espérance en la vie qui fait qu’ils refusent le suicide, le renoncement. Ils éprouvent une irrésistible nécessité de croquer dans cette mangue charnue qu’est la vie (Djailani 2014a). Le personnage principal et narrateur de ce récit en sept fragments est un adolescent qui vit avec son père, un fonctionnaire dans le service public sur l’île d’Anjouan, „occupé à garantir la sûreté de l’État“ (Djailani 2014: 51). L’adolescent dont le nom nous reste inconnu, partage avec nous, à travers une focalisation interne, ses souvenirs d’enfance, ses réflexions et émotions ainsi que des moments difficiles qu’il vit dans le présent. Un des motifs principaux autour duquel s’articule toute la narration est celui de l’exil: 11 Je m’efforce de comprendre ce qui fait encore mouvoir ces hommes et ces femmes errant dans le chaudron labyrinthique de la capitale [Moroni, capitale de l’Union des Comores, M. B.]. Une idée peuple les chuchotements les plus secrets. Partir. Car le départ est devenu assurance de vie. Une fin en soi. Parce qu’il y a quelque chose qui déborde. Comme une colère contenue. Ou peut-être une lassitude, je ne sais pas trop. Un manque peut-être (ibid.: 58). 42 DOI 10.2357/ ldm-2020-0021 Dossier „La machine à exiler“ (ibid.: 55), comme l’appelle le narrateur, semble déterminer toute la vie des Comores. Tout tourne autour de cet „ailleurs“ (ibid.: 61), même pour lui puisqu’une grande partie de sa famille, sa sœur, ses frères, un oncle et surtout sa mère vivent déjà ailleurs, à savoir à Marseille. „Et voilà ma mère qui partait rejoindre la longue liste des absents de mes nuits d’insomnie“ (ibid.: 54). À côté de l’exil, l’absence de la mère est l’autre thème principal du texte. Les souvenirs du narrateur tournent autour de cette mère qui lui manque cruellement et qu’il admire pour sa volonté de vivre et sa force d’agir - et qui représente, en ceci, tout le contraire de son père au visage grave, mélancolique, amère et parfois déformé par la haine (cf. ibid.: 50). La vie avec la mère est décrite comme étant „empreinte de joie de vivre“ (ibid.). Brodeuse talentueuse et femme d’affaires, la mère sait vendre les étoffes et vêtements fabriqués par un collectif de femmes comoriennes. La broderie, „c’est sa manière à elle de rester liée aux autres, de ne pas demeurer prisonnière des eaux, prisonnière de son mari“ (ibid.: 52). „Penser à elle est un crève-cœur. Avec le temps, cette insupportable absence était devenue un encouragement à me battre“ (ibid.: 54). Son combat semble également être fixé sur l’exil: Je ne sais pas ce qui me rend si optimiste, mais je me sens comme attiré par l’ailleurs. Sans bouger de ma table de travail, je sens une partie de moi qui plane au-dessus de la chambre, offrant une vue circulaire sur mon environnement. Où que je regarde, il y a la mer à perte de vue. J’ai au ventre cette vieille angoisse carcérale des insulaires. Bouger, changer d’espace est un luxe qui se monnaye en sang et en cadavre. […] Il n’empêche que nuit et jour, des bateaux de fortune défient une mer capricieuse. Qu’importe si la traversée coûte les yeux de la tête. En homme, en énergie, en argent, en vies humaines. Qu’importe! Car nuit et jour la mer fauche des ballots de vies. Je ne peux me résoudre à l’idée que ce sont des vies désespérées qui tombent. C’est vers la lumière que ces vies tendent, et c’est vers les ténèbres que les vagues les précipitent. C’est un mur de corps qui se dresse sur l’océan Indien (ibid.: 56sq.). En dépit des dangers qu’implique ce désir d’ailleurs, le narrateur le poursuit avec obstination: „il faut réussir et partir“ (ibid.: 61), „Mon esprit est toujours ailleurs, car je suis déjà ailleurs“ (ibid.: 62). Le ticket d’entrée de cet ailleurs, le bac, enfin en poche, le jeune homme essaie d’obtenir un visa pour faire des études à l’étranger. Mais, il se retrouve confronté à l’administration de l’Ambassade de France dont les procédures lui semblent incompréhensibles et qui reste inaccessible pour lui, tel le château de Kafka. Dans la septième et dernière partie de ce récit elliptique, le protagoniste est devenu propriétaire d’un ‚salon‘ de coiffure car il n’a pas réussi à obtenir le visa tant souhaité: „Mon salon, en fait, c’est cette chaise en bois grinçante, ces ciseaux, ces lames de rasoir, et ce bout de miroir que j’ai piqué à la casse“ (ibid.: 72). Un de ses clients, un intégriste islamique, nommé Ayouba, lui propose, comme à tant d’autres jeunes gens de Moroni d’ailleurs, de profiter de ses réseaux internationaux afin d’aller à l’étranger pour y faire des études - à condition qu’il suive „le chemin de Dieu“ (ibid.: 74) et qu’il veuille „sauver le monde“ (ibid.: 75). Au moment où le narrateur lui DOI 10.2357/ ldm-2020-0021 43 Dossier répond brusquement que „le monde se sauvera de lui-même ou il sautera“ (ibid.), sa main tremble un peu, ce qui provoque une légère éraflure sur la peau du crâne d’Ayouba. Contrarié, celui-ci s’en va, mais l’invite tout de même à venir à une conférence à la mosquée: „On a plein de choses à t’apprendre, tu verras“ (ibid.). Cette scène par laquelle le récit se termine de manière ouverte peut être interprétée comme une description métaphorique des tensions, des peurs et surtout de l’explosivité de la situation aux Comores, qui semble pouvoir tourner à tout moment à la violence et à la radicalisation d’une jeunesse sans futur. „Jusqu’à quand ce silence? “ 12 - Réponses littéraires et nouvelles questions en guise de conclusion […] il est des morts et des morts Les nôtres s’oublieraient plus facilement Parce que nés sur un rivage oublié du monde (Elbadawi 2013: 19) Quelles sont alors les questions auxquelles répondent Zamir et Djailani dans leurs textes et quelles nouvelles questions pouvons-nous, à partir de notre perspective spécifique et limitée au contexte européen, déceler dans ces œuvres littéraires? Pourraient-elles donner des impulsions pour transformer le narratif européen et pour écrire, comme le formule Mbembe, une (autre) autobiographie de l’Europe, qui ne tairait plus son passé colonial, et servirait par-là non seulement à faire avancer sa nécessaire auto-décolonisation (Mbembe 2016), 13 mais aussi à prendre en compte sa part de responsabilité dans l’état actuel du monde postcolonial? Bien que les textes de Zamir et de Djailani abordent tous les deux la situation postcoloniale actuelle dans l’archipel des Comores - caractérisée par les problèmes migratoires, l’absurdité des frontières françaises et européennes au milieu de l’océan Indien, la différence flagrante entre Mayotte et l’Union des Comores à l’égard de l’économie et des systèmes éducatifs et sanitaires, ainsi que par la corruption et la passivité des élites critiquées également par les deux auteurs - elle n’est que l’arrière-plan pour donner la parole à des voix narratives très individuelles. Et, c’est à travers ces subjectivités que les questions et les réponses préfabriquées sont transformées par l’intervention littéraire. Ainsi, Anguille sous roche ne traite pas en premier lieu du sujet de la migration et de la situation conflictuelle dans l’archipel des Comores, et ce, malgré la situation de naufrage dans laquelle se trouve la protagoniste. Au premier plan thématique se trouve plutôt le lien dévastateur entre postcolonialité et patriarcat aux Comores, qui se renforcent mutuellement et peuvent même s’avérer mortels pour une jeune femme aspirant à la liberté. Empêchée de vivre librement et de fuir légalement cette situation, elle se trouve dans une impasse. Mais, loin de désespérer ou de se taire, Anguille n’arrête pas de s’exprimer et de dénoncer cette situation inadmissible, et ce, dans une forme disparate et anarchique entre les différents registres langagiers, 44 DOI 10.2357/ ldm-2020-0021 Dossier entre le comique et le tragique. Ce mélange remet en question au niveau esthétique l’ordre critiqué également au niveau thématique. Anguille sous roche ne se réduit donc aucunement à une littérature de la misère ou à une Tropique de la violence (Appanah 2016); le roman est, au contraire, par sa forme même une métaphore de liberté. En débordant les classifications et cases, en brisant les règles de l’art dans ce mélange de genres et de registres, le texte brouille l’ordre des sexes et du monde. Cette mise en exergue de l’importance de l’ordre sexuel et surtout du rôle des femmes et des mères rapproche les textes de Zamir et de Djailani, en dépit de toutes leurs différences. Les deux protagonistes vivent également dans l’ombre d’une mère disparue, morte ou exilée. À travers le personnage d’Anguille et la mère du personnage principal dans la fiction de Djailani, les textes transmettent des images très positives de la femme qui contrastent avec une vision plutôt négative des hommes et surtout des pères. Les personnages féminins représentent la résilience, l’envie de (re-)gagner sa vie et par là aussi la vision d’un futur meilleur. Mais ce sont justement elles qui disparaissent: les mères dans les deux textes ainsi qu’Anguille elle-même. Il ne reste que des jeunes (hommes) en mal de trouver leur place dans la vie et des désespérés comme l’intégriste Ayouba qui prône une vision manichéenne et asséchée d’un monde où „l’irrésistible nécessité de mordre dans une mangue“ aura disparu. Ainsi le texte de Djailani peut être aussi interprété comme un commentaire mélancolique de la tradition matrilinéaire des Comores. Le texte de Djailani ne donne pas de réponse au sens strict du terme à la situation conflictuelle aux Comores. Sa force réside plutôt dans sa manière de laisser place à une subjectivité masculine à travers laquelle on peut deviner les conséquences du postcolonialisme dans la vie quotidienne, les situations familiales, l’histoire intergénérationnelle et la situation psychique qu’elle soit individuelle ou collective. „Je continue de m’adresser à vous, comme si vous étiez là et que vous m’écoutiez“ (Zamir 2016: 313). C’est toute la question: qui écoute cet appel et qui répond à ces voix? L’Europe gardera-t-elle ce double visage et s’orientera-t-elle pour toujours vers les „Politiques de l’inimitié“ (Mbembe 2016) ou bien sera-t-elle capable d’en changer pour voir, écouter et agir, d’égal à d’égal, dans un „Tout-monde“ (Glissant 1997)? Appanah, Nathacha, Tropique de la violence, Paris, Gallimard, 2016. Bachtin, Michail, Rabelais und seine Welt - Volkskultur als Gegenkultur [1965], Francfort-surle-Main, Suhrkamp, 1995. Brunkhorst, Hauke, Das doppelte Gesicht Europas. 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Die Neger sind tiefer, und am tiefsten steht ein Teil der amerikanischen Völkerschaften“ (Kant, Über die verschiedenen Racen der Menschen, 1775). 3 Cf. Erfurt 2016. Tandis que sur le niveau politique les réponses et les actions adéquates manquent, on peut constater à l’égard de la recherche autour du sujet un intérêt grandissant et un nombre croissant de publications (cf. l’introduction à ce dossier). 4 L’Union européenne ne comprend pas seulement les 27 États membres, mais aussi un certain nombre d’autres zones géographiquement non européennes. Les liens les plus étroits avec l’UE sont ceux des régions ultrapériphériques (RUP), comme on les appelle dans la terminologie de l’UE. Ils font partie intégrante de l’UE du fait de leur appartenance à leurs pays d’origine respectifs. Ces neuf régions comprennent actuellement les départements français d’outre-mer de la Guyane française, les îles caribéennes de la Martinique, de la Guadeloupe et de Saint-Martin, ainsi que les îles de la Réunion et de Mayotte. Les îles Canaries et les archipels portugais des Açores et de Madère sont également inclus dans le nombre des RUP. Toutes ces zones sont des anciennes colonies. 5 Cf. aussi la description de la situation à Mayotte par Hyppolite Lachaize: „Le découplage entre le niveau de vie de Mayotte et du reste des Comores est au cœur du drame de cet îlot. Les transferts financiers de la métropole ont fait de Mayotte une enclave de prospérité dans un environnement dévasté par une misère indescriptible: son revenu par habitant, équivalent au tiers de celui de la métropole, est pourtant 15 fois supérieur à celui du reste de l’archipel, notamment d’Anjouan, à portée de kwassa-kwassa. Un seul exemple montre toute l’absurdité de la situation. Les Mahorais réclament, depuis la départementalisation, un alignement de leur RSA (aujourd’hui inférieur de 50 %) sur le droit commun. Or, un mois de RSA, au taux normal, équivaut à un an du revenu moyen du travail d’un habitant des Comores“ (Lachaize 2018). 6 Les recueils suivants donnent des vues d’ensemble sur les spécificités et l’histoire des littératures en langue française dans la région des Comores: Malela 2017, Cosker 2015, Mdahoma 2012, Raharimanana 2011. 7 Cf. Gadamer: Der Sinn eines Textes ist „relativ auf die Frage, für die er eine Antwort ist, d. h. aber, er geht notwendig über das in ihm selbst Gesagte hinaus“ ([1960] 1990: 375). 8 Citation de Mbembe de son résumé de Sortir de la grande nuit. Essai sur l’Afrique décolonisée, www.editionsladecouverte.fr/ catalogue/ index-Sortir_de_la_grande_nuit-978270717 6646.html (dernière consultation: 29/ 09/ 20). 9 En 2017, le roman a été traduit en allemand sous le titre Die Schiffbrüchige aux éditions Eichborn. Depuis, deux autres romans ont paru également chez Le Tripode: Mon Étincelle (2017) et Dérangé que je suis (2019). Zamir fut membre de la délégation officielle des auteur.e.s dans le cadre de la participation de la France comme invitée d’honneur à la Foire DOI 10.2357/ ldm-2020-0021 47 Dossier du livre à Francfort en 2017. Il naquit en 1987 sur l’île d’Anjouan, aux Comores, fit des études de lettres au Caire et vit actuellement en France. 10 L’anguille est un poisson d’eau douce, mais elle entame une longue migration pour se reproduire dans la mer de Sargasses, au large de la Floride, où naissent toutes les anguilles d’Europe. Après la reproduction, elle meurt. 11 „Ce sont des histoires d’exil, de fuite, d’envie de meurtre, d’amour, de foi en la vie, d’amitié profonde, de la relation à l’autre, avec des personnages qui s’interrogent sur comment être avec les autres, comment ne pas être submergé par des envies de meurtre, comment travailler sur soi pour ne pas haïr, comment réussir une vie bonne“ (Djailani 2014a). Il a intégré ces histoires quelques années plus tard dans son roman Comorian Vertigo (2017). 12 Question posée à l’écrivain Soeuf Elbadawi par une journaliste de TV5MONDE à l’occasion de la parution en scène de L’Obsession de lune, version théâtrale d’Un Dikhri pour nos morts (2013), cf. www.youtube.com/ watch? v=UsY5dGXONwE (publié en 2018, dernière consultation: 21/ 09/ 20). 13 Cf. Mbembe dans son résumé de son livre Sortir de la grande nuit. Essai sur l’Afrique décolonisée (cf. supra, note 8).
