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La prononciation du français langue étrangère

Perspectives linguistiques et didactiques

0809
2021
978-3-8233-9428-0
978-3-8233-8428-1
Gunter Narr Verlag 
Elissa Pustka
10.24053/9783823394280
CC BY-SA 4.0https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0/deed.de

Ce livre réunit des résultats actuels de la recherche sur l'interphonologie du francais et présente une base scientifique pour l'enseignement du francais langue étrangère (FLE). Il permet de sensibiliser les (futurs) enseignants de francais aux problèmes typiques des apprenants. De plus, il présente des approches didactiques du FLE très diverses, dans une perspective à la fois historique et pratique.

<?page no="0"?> Romanistische Fremdsprachenforschung und Unterrichtsentwicklung 18 Elissa Pustka (éd.) La prononciation du français langue étrangère Perspectives linguistiques et didactiques <?page no="1"?> La prononciation du français langue étrangère <?page no="2"?> Romanistische Fremdsprachenforschung und Unterrichtsentwicklung Herausgegeben von Daniel Reimann (Duisburg-Essen) und Andrea Rössler (Hannover) Band 18 <?page no="3"?> Elissa Pustka (éd.) La prononciation du français langue étrangère Perspectives linguistiques et didactiques <?page no="4"?> © 2021 · Narr Francke Attempto Verlag GmbH + Co. KG Dischingerweg 5 · D-72070 Tübingen Das Werk einschließlich aller seiner Teile ist urheberrechtlich geschützt. Jede Verwertung außerhalb der engen Grenzen des Urheberrechtsgesetzes ist ohne Zustimmung des Verlages unzulässig und strafbar. Das gilt insbesondere für Vervielfältigungen, Übersetzungen, Mikroverfilmungen und die Einspeicherung und Verarbeitung in elektronischen Systemen. Internet: www.narr.de eMail: info@narr.de CPI books GmbH, Leck ISSN 2197-6384 ISBN 978-3-8233-8428-1 (Print) ISBN 978-3-8233-9428-0 (ePDF) ISBN 978-3-8233-0288-9 (ePub) Bibliografische Information der Deutschen Nationalbibliothek Die Deutsche Nationalbibliothek verzeichnet diese Publikation in der Deutschen Nationalbibliografie; detaillierte bibliografische Daten sind im Internet über http: / / dnb.dnb.de abrufbar. www.fsc.org MIX Papier aus verantwortungsvollen Quellen FSC ® C083411 ® www.fsc.org MIX Papier aus verantwortungsvollen Quellen FSC ® C083411 ® <?page no="5"?> 7 17 47 73 113 133 163 195 219 243 Inhalt Elissa Pustka (Vienne) Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Elissa Pustka, Elisabeth Heiszenberger, Léa Courdès-Murphy (Vienne) Comment enseigner le schwa et la liaison ? Ce que nous apprend l’analyse d’un corpus de parole de 145 élèves autrichiens . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Christoph Gabriel, Jonas Grünke (Mayence) L’intonation en français L3 chez des apprenant.e.s bilingues allemand-turc : production et perception . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Karoline Wurzer, Johanna Wolf (Salzbourg) Les accents natifs et non-natifs du français . Une étude perceptive auprès d’apprenant.e.s du FLE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Fabián Santiago (Paris), Paolo Mairano (Lille) La prononciation des voyelles / e/ , / ɛ/ , / ə/ , / ø/ , / œ/ en FLE chez les hispanophones et le rôle de l’orthographe . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Mathilde Chamot, Isabelle Racine, Vera Regan, Sylvain Detey Une ou des immersion(s) ? Regard sur l’acquisition de la compétence sociolinguistique par des apprenants anglophones irlandais de FLE . . . . . . Stephan Schmid, Kristijan Rajic (Zurich) L’acquisition des voyelles nasales du français par des apprenants italophones : une expérience didactique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Jürgen Trouvain (Sarrebruck) Phonetische Lernerkorpora und ihr Potenzial im FLE-Unterricht . . . . . . . . Christiane Fäcke (Augsburg) La prononciation dans l’enseignement des langues étrangères. Un survol historique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Daniel Reimann (Duisburg-Essen) Histoire de l’enseignement de la prononciation dans les cours de français langue étrangère en Allemagne. Analyse de manuels de didactique du français langue étrangère (fin du XIXème / début du XXème siècle) . . . . . . <?page no="6"?> 275 311 337 365 405 429 459 Jacques Durand (Toulouse), Chantal Lyche (Oslo) L’Alphabet Phonétique International : phonétique, phonologie et prononciation du français . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Charlotte Alazard-Guiu, Emilie Massa (Toulouse) Questionnements actuels sur une méthode de correction phonétique : approches théoriques et expérimentales de la verbo-tonale . . . . . . . . . . . . . Giselle Valman (Bielefeld) Methoden der DaF-Ausspracheschulung im Französischunterricht . . . . . . . Marc Chalier (Passau) Variation et pluralité des normes dans l’enseignement du français langue étrangère : une analyse de deux manuels scolaires allemands . . . . . . . . . . . Nori Kondo (Tokyo) La prononciation dans les manuels de FLE : entre norme d’orthoépistes et usage réel . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Isabelle Mordellet-Roggenbuck (Freiburg) Les clés d’une bonne prononciation en classe de français langue étrangère : principes didactiques et méthodes adaptés aux (pré)-adolescent.e.s . . . . . . . Clémentine Abel (Freiburg) L’évaluation de la prononciation du FLE selon l’approche par compétences : enjeux et perspectives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6 Inhalt <?page no="7"?> Introduction Elissa Pustka (Vienne) L’enseignement de la prononciation du français langue étrangère (FLE) se base jusqu’à aujourd’hui essentiellement sur l’intuition : les enseignant.e.s s’appuient sur leur expérience professionnelle (plus ou moins longue), et la formation d’enseignant.e.s (s’il y en a une dans ce domaine) recourt à des manuels qui, eux aussi, découlent de l’expérience personnelle des auteur.e.s. À l’école, la prononciation est souvent négligée, sous couvert du manque de temps, mais probablement surtout en raison du manque de formation des enseignant.e.s (cf. Horvath et al. 2019). La mise en place d’une formation, initiale et continue, s’avère pour sa part difficile car le fondement scientifique nécessaire fait défaut - aussi bien sur le plan de l’interphonologie des apprenant.e.s que sur le plan didactique. On observe donc une insuffisance à deux niveaux : au niveau universitaire, dans la formation des futur.e.s enseignant.e.s de français, ainsi qu’en salle de classe. Certes, il existe des manuels de prononciation du français, depuis presque aussi longtemps que l’enseignement du FLE. Le premier d’entre eux est à ma connaissance Palsgrave 1530, un manuel dédié aux Anglais.e.s qui évoque entre autres déjà la phrase accentuelle. À la fin du 19 ème siècle, alors que l’enseignement des langues vivantes se propage, l’on invente l’alphabet phonétique interna‐ tional à la demande des enseignant.e.s de langues (voir Durand/ Lyche dans ce volume). À partir de cette époque, les manuels de prononciation française se multiplient, en partant de ceux de Passy 1887, de Martinon 1913 et de Grammont 1914, jusqu’au grand classique de Fouché 1959. Écrits en français, ils s’adressent à un public international. Parallèlement, les premiers manuels écrits dans la L1 de groupes spécifiques d’apprenant.e.s sont publiés, dont notamment Beyer 1888 et Quiehl 1906 pour les germanophones (pour une analyse des ouvrages plus généraux de Münch 1895 et Wendt 1895 voir Reimann dans ce volume). Les générations actuelles des universitaires et des enseignant.e.s du secondaire ont grandi avec Klein 1963 et Rothe 1972 ou bien, pour les plus jeunes, avec Eggs/ Mordellet 1990, Röder 1996, Meisenburg/ Selig 1998 et Pustka 2011 <?page no="8"?> ainsi qu’avec le grand classique Phonétisme et prononciations du français [1994] ( 6 2011) du franco-canadien Pierre Léon. Ces ouvrages accumulent intuitions et expériences personnelles, les plus récents se basant également de plus en plus sur les résultats d’une phonologie de corpus en forte croissance, qui jusqu’à récemment se restreignait au français L1. Le premier programme de recherche dédié à la prononciation du FLE, Interphonologie du Français Contemporain IPFC (cblle.tufs.ac.jp/ ipfc/ , Detey et al. 2010, Racine et al. 2012), n’a vu le jour qu’en 2008. Il fait lui-même partie du programme Phonologie du Français Contemporain PFC mis en place en 1999 (projet-pfc.net, Durand et al. 2002). Aujourd’hui, ce programme de recherche in‐ ternational comprend quatre sous-projets qui portent sur les apprenant.e.s ger‐ manophones, localisé.e.s à Munich (Chervinski 2013, Pustka 2015), Osnabrück (Pustka/ Meisenburg 2017), Vienne (Pustka/ Forster/ Kamerhuber 2018) et Zurich (Isely et al. 2018). C’est sur ce fondement qu’a été mis en place le projet de re‐ cherche Pronunciation in Progress : French Schwa and Liaison Pro 2 F à l’université de Vienne (2018-2022 ; https: / / pro2f.univie.ac.at/ , Kamerhuber/ Horvath/ Pustka 2020, Heiszenberger et al. 2020, Pustka/ Heiszenberger/ Courdès-Murphy, dans ce volume). Par ailleurs, deux autres programmes de création de corpus phoné‐ tiques et phonologiques pour le FLE ont vu le jour : PhoDiFLE (Landron et al. 2010), qui à ma connaissance ne comprend pas de locuteur L1 de l’allemand, et COREIL, qui pour sa part en comprend 8 (Delais-Roussarie/ Santiago/ Yoo 2015). Dans les pays germanophones, parallèlement aux projets IPFC-allemand et Pro 2 F, un vaste projet longitudinal sur le plurilinguisme Mehrsprachigkeitsent‐ wicklung im Zeitverlauf MEZ (2014-2019 ; https: / / www.mez.uni-hamburg.de) a été réalisé à l’université de Hambourg. L’on y étudie entre autres la prosodie, le VOT (voice onset time) et le dévoisement final chez les apprenant.e.s bilin‐ gues allemand-turc et allemand-russe (Gabriel/ Stahnke/ Thulke 2015, Gabriel/ Ku‐ pisch/ Seoudy 2016, Gabriel/ Krause/ Dittmers 2018, Özaslan/ Gabriel 2019, Gabriel/ Grünke dans ce volume). En phonétique, le projet binational Individualized Feedback for Computer-Assisted Spoken Language Learning IFCASL (2013-2016 ; http: / / www.ifcasl.org), affilié aux universités de Sarrebruck et de Nancy, étudie notamment la question des pauses et de la fluidité (Trouvain et al. 2013, Fauth et al. 2014, Trouvain et al. 2016, Trouvain/ Fauth/ Möbius 2016, Trouvain dans ce volume). La question du voisement des obstruantes en français avait déjà été analysée par Schmid 2012 dans une étude-pilote auprès de locuteurs suisse alémaniques. Un premier objectif de ce volume, intitulé La prononciation du français langue étrangère : perspectives linguistiques et didactiques, sera donc de réunir de nouveaux résultats sur l’interphonologie du français afin de fournir une 8 Elissa Pustka (Vienne) <?page no="9"?> base scientifique pour l’enseignement de la prononciation du FLE qui permette de sensibiliser les (futur.e.s) enseignant.e.s de français aux problèmes des ap‐ prenant.e.s (voir les contributions de Pustka/ Heiszenberger/ Courdès-Murphy, Gabriel/ Grünke et Trouvain dans ce volume). La contribution de Wurzer/ Wolf fournit par ailleurs de premiers résultats d’un projet de thèse en cours de Wurzer sur la perception des normes du français par les apprenant.e.s autrichien.ne.s. Étant donné que dans le domaine germanophone le nombre de chercheurs travaillant sur ces questions est encore assez restreint, le volume comprend également des contributions sur l’acquisition du français par des apprenant.e.s d’autres L1 : l’anglais irlandais (Chamot/ Racine/ Regan/ Detey dans ce volume) et l’espagnol mexicain (Santiago/ Mairano dans ce volume). Finalement, Trou‐ vain (dans ce volume) expose le potentiel didactique des corpus phonétiques d’apprenant.e.s pour l’enseignement du français. Les chercheurs impliqués dans les projets de recherche sur la prononciation du FLE ont commencé tout récemment à publier des articles destinés aux ensei‐ gnant.e.s de français (Pustka 2020, Heiszenberger/ Jansen 2020, Gabriel/ Grünke/ Schlaak 2020, Pustka 2021a/ b, Heiszenberger 2021, Heiszenberger/ Trouvain 2021, Bäumler/ Wagenpfeil 2021). Ils communiquent ainsi non seulement leurs résultats de recherche, mais aussi des conseils et exercices développés sur cette nouvelle base et souvent testés en classe au préalable. Dans les numéros spéciaux de ces revues pratiques, l’on trouve également des articles de practicien.ne.s aux niveaux scolaire et/ ou universitaire (Di Luca 2020, Le Bescont 2021). Cependant, une didactique empirique étudiant l’efficacité de ces méthodes n’a pas encore vu le jour, notamment pour le FLE dédié aux apprenant.e.s germanophones (L1). Il n’existe que quelques études pionnières dans ce domaine de recherche en émergence portant sur d’autres premières langues, en l’occurrence l’anglais (Sturm 2013) et l’italien (Schmid/ Rajic dans ce volume). Ce qu’on observe davantage dans le domaine de la didactique sont des études historiques (Galazzi 2010), notamment sur la prononciation dans les manuels de FLE (Reimann 2016). De plus, les sondages effectués auprès d’enseignant.e.s de français quant à la prononciation se sont multipliés durant ces dernières années en Allemagne et en Autriche (Reimann 2017, Gabriel/ Thiele 2017, Abel 2018, Horvath et al. 2019). Un deuxième objectif de ce volume a donc été d’inciter des chercheurs à mener de nouvelles études en didactique, notamment sur la prise en compte de la prononciation dans les manuels (voir Fäcke, Chalier et Kondo dans ce volume). On y trouve également un aperçu de différentes méthodes didactiques issues de divers pays. Elles vont de l’alphabet phonétique international API développé en Europe à la fin du 19 ème siècle (Durand/ Lyche dans ce volume) aux méthodes mises en place dans le cadre des recherches 9 Introduction <?page no="10"?> sur l’allemand langue étrangère (Valman dans ce volume) en passant par la méthode verbo-tonale fondée en Croatie et en France (Alazard-Guiu/ Massa dans ce volume). Mordellet-Roggenbuck (dans ce volume) présente ensuite non seulement des recommandations didactiques concernant les phénomènes de prononciation du français qui devraient être enseignés en priorité, mais également des méthodes adéquates en fonction de l’âge des apprenant.e.s. Finalement, la contribution d’Abel (dans ce volume) est dédiée à un défi qui suscite actuellement de plus en plus d’intérêt : la question de l’évaluation. Ainsi, le présent volume fournit une contribution fondamentale à une didac‐ tique de la prononciation du FLE naissante, aussi bien pour les recherches à venir que pour la pratique de l’enseignement. Vienne, le 30 avril 2021, Elissa Pustka Remerciements Je tiens à remercier les 36 relecteurs internationaux qui ont permis une éva‐ luation par les pairs en double aveugle (double blind peer review). Chaque article a été évalué par au moins deux relecteurs ainsi que par l’éditrice du volume. Mes remerciements s’adressent en particulier à Christoph Gabriel, qui a assuré le processus d’évaluation anonyme pour l’article dont je suis moi-même co-auteure. Merci finalement à Marc Chalier pour la relecture de cette introduction. Références Abel, Clémentine (2018) : Ausspracheschulung : Erhebung der Kompetenzen, Überzeu‐ gungen und Praktiken von Französischlehrkräften : Entwicklung eines bedarfsbezogenen Fördermoduls, Tübingen : Narr. Bäumler, Linda/ Wagenpfeil, Cornelia (2021) : « Vrais amis du sens-faux amis du son ? Sportlich durch die Welt der Internationalismen », in : Der Fremdsprachliche Unterricht Französisch 170, 30-36. Bäumler, Linda/ Hirdina, Anja/ Trosbach, Raimund (2020) : « Lernaufgaben zur Lautschrift : ein Praxisbericht », in : französisch heute 51.1, 22-26. Beyer, Franz [1888] ( 6 1932) : Französische Phonetik für Lehrer und Studierende, Cöthen: Schulze. 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Methodik und Hilfsmittel für Studierende und Lehrer der französischen Sprache mit Rücksicht auf die Anforderungen der Praxis, Hanovre : Meyer. 15 Introduction <?page no="17"?> 1 Cette recherche a été soutenue par le fond national de recherche autrichien FWF (projet FWF P-29879) : Pronunciation in Progress : French Schwa and Liaison Pro 2 F (https: / / pro2f.univie.ac.at). Tout d’abord, nous souhaitons exprimer notre profonde reconnaissance à notre collège-lycée partenaire pour l’excellente collaboration ainsi qu’à tous les élèves pour leur participation active et engagée. Nous adressons également nos remerciements à Daphné Baudry, Julia Gusterer, Barbara Huber, Julia Horvath et Julia Kamerhuber qui ont effectué l’enquête de terrain. Nos remerciements s’adressent aussi à Léonore Troehler, Johanna Himmer, Romana Schneider, Linda Schwärzler et Angelika Steinringer qui ont transcrit et annoté les données ainsi qu’à Linda Bäumler, Julia Horvath, Julia Kamerhuber et Léonore Troehler et qui ont aidé à la correction des transcriptions et annotations. Comment enseigner le schwa et la liaison ? Ce que nous apprend l’analyse d’un corpus de parole de 145 élèves autrichiens Elissa Pustka, Elisabeth Heiszenberger, Léa Courdès-Murphy (Vienne) 1 Introduction 1 Le schwa et la liaison sont les deux phénomènes les plus étudiés de la phonologie du français (cf. Lyche 2016). Dans les deux cas a lieu une alternance : concernant le schwa, il s’agit d’une alternance entre une voyelle et zéro (1) et, dans le cas de la liaison, d’une alternance entre une consonne et zéro (2) : (1) s(e)ra [səʁa]~[sʁa] (2) les amis [lezami], mais les copains [lekɔpɛ̃] De plus, les deux phénomènes ont en commun que le segment en question possède un équivalent orthographique (respectivement <e> et <s> dans les exemples (1) et (2)) qui est généralement le point de départ de l’apprentissage des langues étrangères. La principale difficulté rencontrée par les élèves est que ce segment peut rester sans réalisation. En outre, les apprenant.e.s plus avancé.e.s doivent finalement découvrir puis maîtriser le conditionnement sociolinguis‐ tique et pragmatique des schwas et des liaisons variables. Jusqu’à présent, la <?page no="18"?> plupart des études sur le développement de la compétence sociolinguistique se concentrent sur les apprenant.e.s avancé.e.s étudiant le français à l’université. L’objectif de cette contribution est double. Premièrement, nous souhaitons étudier le comportement du schwa et de la liaison chez des apprenant.e.s moins avancé.e.s apprenant le français à l’école. Tout au long de nos analyses, nous nous demanderons si cette variation peut être acquise de façon implicite à partir de l’input limité en classe ou si une exposition plus importante à des matériaux authentiques et une instruction explicite sont nécessaires. Deuxièmement, nous tenterons de guider les (futur.e.s.) professeur.e.s de français en leur exposant, à partir d’une large base empirique actuelle, les points sur lesquels insister dans leur l’enseignement. Ces conseils s’appuient sur les premiers résultats du projet de recherche Pronunciation in Progress : French Schwa and Liaison (2018- 2022) qui vise à étudier la prononciation française de 145 élèves autrichiens (L1 allemand). Son sigle, Pro 2 F, est composé des débuts des mots centraux qui composent son titre (soulignés ci-dessus) et se lit [pʁɔf], comme l’abréviation familière prof en français pour le mot professeur, soulignant ainsi son potentiel d’application didactique. Dans ce travail, nous présenterons en premier lieu (cf. section 2) l’état des connaissances actuelles concernant la (non-)réalisation du schwa et de la liaison tant chez les francophones natifs que chez les apprenant.e.s. Nous détaillerons ensuite (cf. section 3) la méthodologie d’enquête du projet de recherche Pro 2 F en décrivant les participant.e.s, les types de tâches enregistrées ainsi que le protocole de transcription et de codage. Nous poursuivrons par un examen détaillé des observations des taux de réalisation du schwa et de la liaison menées sur notre propre corpus d’étude (cf. section 4) avant de conclure et de discuter ces résultats. 2 État de l’art 2.1 La norme-cible de la prononciation du français Étant donné que le schwa et la liaison sont des phénomènes soumis à une forte variation en français langue première (L1), la prononciation à enseigner ne va pas de soi. Une norme de référence, certes artificielle, est néanmoins présentée dans les manuels de prononciation (Pustka 2 2016 : 14-15). Pour le français, les trois manuels de prononciation les plus souvent cités sont Martinon 1913, Grammont 1914 et Fouché 1959. Dans le domaine de la liaison, l’article de Delattre 1947 fait encore figure de référence aujourd’hui. Une nouvelle approche est de chercher la norme de façon empirique à partir des représentations et perceptions des francophones natifs (Chalier 2019). Ceux-ci considèrent 18 Elissa Pustka, Elisabeth Heiszenberger, Léa Courdès-Murphy (Vienne) <?page no="19"?> généralement les présentateurs de radio et de télévision comme des modèles. À l’heure actuelle, il n’existe toutefois qu’une seule étude sur la liaison en lecture chez les présentateurs (Pustka/ Chalier/ Jansen 2017). Une étude comparable est celle de Pustka 2015 sur la liaison dans des livres-audio pour enfants, lu par des comédiens. De plus, on peut se référer aux productions de locuteurs et locutrices non-professionnel.le.s décrites dans le cadre de la phonologie de corpus (Durand/ Gut/ Kristoffersen 2014). La liaison n’a toutefois pas encore été étudiée dans des tests de perception où ces données de production doivent être évaluées. 2.1.1 Le schwa Concernant le schwa, les manuels de référence fournissent de longues listes de règles et d’exceptions. Ceux-ci dégagent trois grands facteurs pour expliquer leur (non-)réalisation : (i) la longueur du mot (monosyllabique vs polysyllabique) et, pour les mots polysyllabiques, la position dans le mot (syllabe initiale, interne ou finale), (ii) la position dans le groupe accentuel (début, milieu ou fin) ainsi que (iii) le contexte gauche (après une ou deux consonnes). Le tableau 1 montre que, dans les trois manuels, les mêmes régularités émergent : après une seule consonne, le schwa tombe - sauf dans les clitiques (monosyllabiques) et en syllabe initiale de mots polysyllabiques où il est variable ; en revanche, après deux consonnes, le schwa est réalisé - sauf en syllabe finale devant consonne où il est variable et en finale absolue où il est élidé. Les quelques petites divergences constatées entre ces trois auteurs concernent des exceptions lexicales. À titre d’exemple, Fouché 1959 considère que le schwa peut être prononcé dans un s(e)cret à cause des deux consonnes qui le suivent, et Martinon 1913 note en syllabe interne quelques exceptions comme appart(e)ment qu’il ne considère cependant pas comme correctes. Concernant la position finale devant consonne, tous admettent que la réalisation du schwa après un groupe obstruante-liquide est variable (3) : (3) quatr(e) [katʁə]/ [katʁ̩]/ [katʁ̥]/ [kat]) Pour ce qui est des autres groupes consonantiques, les avis divergent : en opposition aux deux autres, Fouché 1959 admet que l’élision est ici de règle (4) : (4) il rest(e) debout [il.ʁɛst.də.bu] 19 Comment enseigner le schwa et la liaison ? <?page no="20"?> Début de groupe Après une consonne Après deux consonnes Clitique Mot polysyllabique Clitique Mot polysyllabique Syllabe initiale Syllabe interne Syllabe finale Fin de groupe Syllabe initiale Syllabe interne Syllabe finale Fin de groupe Manuel ##C_#C V#C_#C V#C_C VC_C VC_#C VC_## VC#C_#C V#CC_C VCC_C VCC_#C VCC_## Grammont 1914 [ə]/ ∅ [ə]/ ∅ ∅ ∅ ∅ --- [ə] [ə] [ə] [ə]/ ∅ --- Martinon 1913 [ə]/ ∅ [ə]/ ∅ ∅ ∅ ∅ ∅ [ə] [ə] [ə] (/ ∅) [ə]/ ∅ ∅ Fouché 1959 [ə]/ ∅ [ə]/ ∅ ([ə]/ ) ∅ ∅ ∅ ∅ [ə] [ə] [ə] [ə]/ ∅ ∅ Tab. 1 : Le comportement du schwa selon les manuels classiques (encadré en gras : classification remise en cause par la recherche actuelle au profit de [ə]/ ∅). Ces dernières décennies, la phonologie de corpus a légèrement modifié mais aussi précisé ces propos. Le point le plus discuté est certainement la réalisation fréquente du schwa en syllabe initiale, voire sa stabilisation dans un nombre important de mots : p. ex. depuis, relation, secrétaire. Dans d’autres mots et groupes figés, en revanche, c’est la variante sans schwa qui s’est (presque) stabilisée : p. ex. d(e)mi, p(e)tit, s(e)maine, s(e)ra ; je ne sais pas [ʃepa], qu’est-c(e) que/ qui, tout l(e) temps (cf. Hansen 1994, Pustka 2007). Des travaux plus récents ont également permis de montrer que les contextes variables sont fortement influencés par des facteurs sociolinguistiques classi‐ ques. Ainsi, des études telles que celle d’Hansen 2000 ou encore de Lyche 2016 établissent que le genre et le niveau d’éducation n’influencent pas l’élision du schwa, en revanche l’âge et l’origine géographique jouent un rôle très important. En effet, d’une part, les jeunes locuteurs élident plus fréquemment des schwas variables que leurs ainés et, d’autre part, dans le nord de la France le schwa est plus souvent élidé que dans la Sud de la France (cf. Lyche 2016), mais moins 20 Elissa Pustka, Elisabeth Heiszenberger, Léa Courdès-Murphy (Vienne) <?page no="21"?> fréquemment qu’au Canada (cf. Côté 2012). Cependant, le facteur explicatif le plus important semble être la présence ou l’absence d’un support graphique. Plusieurs études ont souligné la grande différence entre les tâches de lecture et de parole spontanée : selon Hansen 1994/ 2000 et Lyche 2016, les francophones réalisent le schwa considérablement plus fréquemment en lecture qu’en parole spontanée. En lecture, entre seulement 0 % et 23 % des schwas sont élidés dans les contextes variables (clitiques et première syllabe de mots polysyllabiques). Ce bref survol de l’état de l’art sur le schwa en français de référence montre donc qu’un petit nombre de régularités et d’exceptions lexicales se cachent derrière la variation qui peuvent donc facilement être traduites en règles normatives pour la production. En ce qui concerne la perception, en revanche, on ne peut pas nier que la variation régionale constitue un véritable défi. À titre d’exemple, le schwa est bien plus fréquent (mais pas catégorique) dans le Sud de la France (cf. Pustka 2007) et très rare (mais non exclu) au Québec (cf. Côté 2012). 2.1.2 La liaison La tripartition en liaisons obligatoires, facultatives et interdites proposée par Delattre 1947 est encore aujourd’hui une référence incontournable (même si celle-ci a été modifiée à la lumière de la phonologie de corpus). Dans la phrase nominale, par exemple, une liaison doit obligatoirement être réalisée entre un déterminant et un substantif (5), elle est toutefois facultative après un substantif au pluriel (6), et elle est interdite après un substantif au singulier (7) : (5) vos enfants [vo.zɑ͂.fɑ͂] (6) des soldat(s) anglais [de.sɔl.da.zɑ͂.ɡlɛ]/ [de.sɔl.da.ɑ͂.ɡlɛ] (7) un soldat anglais [œ͂.sɔl.da.ɑ͂.ɡlɛ] Nous ne reproduisons pas ses tableaux ici car ils ont subi de nombreuses modifications à la lumière de la phonologie de corpus, notamment suite aux études d’Ågren 1971 et de De Jong 1994, et surtout grâce aux résultats du programme de recherche international Phonologie du Français Contemporain PFC (projet-pfc.net, Durand/ Laks/ Lyche 2002). En partant de ces résultats empiriques, Pustka (2011) 2 2016 propose dans son manuel de phonologie du français destiné aux étudiant.e.s germanophones de nouveaux tableaux normatifs pour les liaisons obligatoires (cf. tableau 2), fréquentes, rares et interdites. Son message le plus important est le suivant : la liaison facultative est, dans la plupart des contextes, tellement rare et de style si soutenu qu’on peut s’en passer dans l’enseignement du FLE, surtout au niveau 21 Comment enseigner le schwa et la liaison ? <?page no="22"?> scolaire. Une toute petite partie d’entre elle est, en revanche, si répandue qu’elle devrait être enseignée dès le début de l’apprentissage. Domaine Contexte Exemples Phrase nominale DET + SUBST les [z]amis, un [n]ami ADJ + SUBST petit [t]ami, deux [z]amis Phrase verbale PRON CL + V vous [z]avez, il y en [n]a V + PRON CL allez-[z]y, dit-[t]il Phrase prépositionnelle PREP mono + SUBST en [n]avril Phrase adverbiale ADV mono + ADJ très [z]aimable Mots composés et groupes figés de temps [z]en temps, Jeux [z]Olympiques Tab. 2 : La liaison obligatoire (selon Pustka 2 2016 : 161). Delattre (1947 : 43-44) classifie également la totalité des contextes du tableau 2 comme des liaisons obligatoires. Les études de corpus auprès de francophones natifs, en revanche, montrent que la liaison n’y est pas réalisée à 100 % en parole spontanée. On y observe une grande variabilité en lien avec des facteurs sociolinguistiques (p. ex. l’âge) ainsi qu’avec la variation lexicale (Durand et al. 2011) qui rend la création de règles normatives pour la liaison plus difficile que pour le schwa. Ceci est dû à un conditionnement prosodique et lexical. Ainsi, alors qu’une réalisation *[leami] pour les amis [lezami] ne peut pas être rencontrée en français, chez une amie [ʃeynami] peut tout à fait s’entendre. On constate donc la régularité suivante : alors que la liaison est toujours réalisée après les prépositions monosyllabiques quand elles sont suivies du pronom monosyllabique elle(s) (8) des non-réalisations peuvent être observées devant un groupe nominal (9) : (8) chez elle [ʃe.zɛl] (9) che(z) une amie [ʃe.y.na.mi] Cette différence se manifeste avec des taux de non-réalisation différents en fonction de la préposition : dans le corpus PFC, en liaisonne pratiquement toujours, dans à 95 %, mais chez seulement à 88 % (Durand/ Lyche 2008 : 44). Les adverbes présentent une variation lexicale encore plus importante, la liaison étant réalisée de manière presque catégorique après très (97 %), souvent après tout (83 %) et plus (64 %), de façon très variable après bien (43 %) et rarement 22 Elissa Pustka, Elisabeth Heiszenberger, Léa Courdès-Murphy (Vienne) <?page no="23"?> après assez (5 %), pas (1 %) et toujours (0 %) (Mallet 2008 : 252, 281). Concernant les adjectifs préposés, les études menées sur la base du corpus PFC confirment les résultats de travaux antérieurs en expliquant que ces mots sont en grande partie évités devant des substantifs commençant par une voyelle et que s’ils s’y retrouvent tout de même, la liaison n’y est pas forcément réalisée (Durand/ Lyche 2008 : 45-46, Durand et al. 2011 : 43-45). Ces résultats tirés du corpus PFC proviennent bien évidemment de locuteurs et locutrices francophones non professionnel.le.s de la parole publique (cf. section 2.1). L’étude de la lecture du texte PFC par des présentateurs de radio et de télévision dans Pustka/ Chalier/ Jansen 2017 montre que les taux de réalisation après la préposition dans (dans le contexte dans une impasse stupide) et l’adverbe très (très inquiet) atteignent 100 %. La réalisation systématique de la liaison après l’adverbe très se confirme dans le corpus de livres-audio de Pustka 2015 où, en outre, les taux de réalisation sont également très élevés pour les autres adverbes (entre 83 % et 90 %), mis à part pas avec 37 %. De plus, le taux de réalisation chez les présentateurs de Pustka/ Chalier/ Jansen 2017 s’élève à 100 % après grand en lecture (grand émoi, grand honneur) ainsi qu’à 90 % en parole spontanée pour les adjectifs préposés en général (exceptions : fort / / accent, léger / / accent belge). Ces résultats justifient la simplification didactique du traitement de la liaison après les adjectifs ainsi qu’après les prépositions et les adverbes monosyllabiques (hormis pas) comme obligatoires en cours de français. En plus de ces contextes, la liaison est assez fréquente après c’est, est, quand et dont - même si les taux de réalisation observés dans les différents corpus divergent (cf. tableau 3). 23 Comment enseigner le schwa et la liaison ? <?page no="24"?> 2 Dans sa classification à des fins didactiques, Delattre 1947 classifie le c’est impersonnel parmi les contextes de réalisation obligatoires alors qu’il précise dans une autre publication : « La liaison est pour le moins très fréquente. (Dans l’enseignement on peut la compter comme obligatoire.) » (Delattre 1956 : 51). 3 Le premier chiffre provient de Mallet 2008, le second de Durand/ Lyche 2008. Les chiffres se basent sur la totalité du corpus PFC qui est le résultat d’un travail collectif (cf. section 1). Contexte Delattre 1947 Ågren 1973 De Jong 1994 Corpus PFC Pustka 2015 Pustka/ Chalier/ Jansen 2017 Intui‐ tion Radio Parole spontané Parole spon‐ tanée + lecture Livresaudio Parole spontané Lecture c’est + OBL 2 --- --- 28 %, 30 % 3 87 % --- --est + FAC 97 % 69 % 44 %, 50 % 86 % 50 % 100 % quand + OBL --- 96 % 78 % 93 % --- --dont + FAC --- 95 % --- --- --- --- Tab. 3 : Réalisation de la liaison fréquente. Face à cette variation se pose la question du traitement de la liaison dans ces contextes dans l’enseignement du français. La solution la plus facile est certainement d’enseigner ces liaisons dès le début de l’apprentissage comme si elles étaient obligatoires (Pustka 2 2016 : 162). Étant donné que les programmes scolaires prévoient aussi un enseignement de la variation socio-stylistique, une alternative serait d’envisager d’enseigner au moins la forme est comme variable : « Pour la forme verbale est, une règle stipulant que la liaison est obligatoire en lecture, mais facultative en conversation semble adéquate » (Pustka/ Chalier/ Jansen 2017 : 113). Il faut souligner qu’au niveau de la perception, les apprenant.e.s vont forcément être confrontés à la variation en écoutant leur professeur.e de français et/ ou l’assistant.e de langues et des matériaux sonores ou audio-visuels. Pour ce qui est de la liaison rare, les manuels traditionnels germanophones témoignent d’une certaine crainte que les étudiant.e.s en réalisent trop. De 1888 à 2016, ils donnent de manière unanime le conseil suivant : les élèves devraient se concentrer sur les liaisons obligatoires (cf. Pustka 2015 : 48). Quand on examine les manuels scolaires les plus répandus en Allemagne, on constate que la liaison après les déterminants et les pronoms clitiques (p. ex. les [z]amis, nous [z]avons) est enseignée dès les premières semaines dans le cadre de l’enseignement de la grammaire. La liaison après les prépositions et les adverbes (p. ex. chez [z]elle, 24 Elissa Pustka, Elisabeth Heiszenberger, Léa Courdès-Murphy (Vienne) <?page no="25"?> très [z]intéressant) est en revanche négligée. Seul le manuel Découvertes note également la liaison après c’est, en s’abstenant pourtant de préciser que celle-ci est variable (Pustka 2021). 2.2 L’interlangage des apprenant.e.s Durant les deux dernières décennies, plusieurs études dédiées à la (non-)réali‐ sation du schwa et de la liaison chez les apprenant.e.s du français ont vu le jour. Étant donné que rares sont les publications portant sur des apprenant.e.s ayant comme langue maternelle l’allemand (Pustka 2015, Pustka/ Forster/ Kamerhuber 2018, Isely et al. 2018), nous prenons également en compte d’autres études portant sur des populations d’apprenant.e.s de L1 diverses. 2.2.1 Le schwa Il n’existe que peu d’études examinant le comportement du schwa chez les ap‐ prenant.e.s du FLE (Andreassen/ Lyche 2018, Isely et al. 2018, Thomas 2002/ 2004, Uritescu et al. 2002/ 2004). Ces travaux se sont basés sur un nombre relativement restreint de témoins (entre 8 et 12), excepté l’étude de Thomas 2004 comprenant 87 étudiant.e.s. De plus, la plupart de ces travaux se limitent généralement à des descriptions d’apprenant.e.s déjà avancé.e.s qui apprennent le français à l’université ou en immersion ou qui ont passé de longs séjours à l’étranger. Ajoutons que les effectifs de locuteurs dans ces enquêtes sont trop faibles pour en tirer des conclusions fiables. De même, l’influence de la L1 sur l’apprentissage du FLE n’a que trop peu été étudié. Au commencement du projet Pro 2 F et mis à part notre propre étude-pilote dans le cadre du projet IPFC-allemand/ Vienne (Pustka/ Forster/ Kamerhuber 2018), il n’existait que deux publications ayant pour objet le schwa chez les apprenant.e.s du français (Uritescu et al. 2002/ 2004, Thomas 2002/ 2004). Toutes les deux portent sur des apprenant.e.s anglophones (au Canada). Deux autres études publiées entre-temps font également partie du projet Interphonologie du Français Contemporain (cblle.tufs.ac.jp/ ipfc/ , Racine et al. 2012) : IPFC-Norvège (Andreassen/ Lyche 2018) et IPFC-allemand/ Suisse alémanique (Isely et al. 2018). Jusqu’à présent, les apprenant.e.s qui ont fait l’objet d’une étude ont pour L1 l’anglais, l’allemand et le norvégien, toutefois, les travaux ne mettent pas en avant des particularités dues à la L1. La majorité des auteur.e.s contrastent parole spontanée et lecture, les taux de réalisation du schwa étant généralement plus élevés en lecture, comme chez les locuteurs et locutrices L1. Le tableau 4 résume les résultats quantitatifs de ces études dans trois contextes variables : dans les clitiques (au début et au milieu du groupe accentuel) et dans la première syllabe de mots polysyllabiques. 25 Comment enseigner le schwa et la liaison ? <?page no="26"?> Étude Échantillon Tâche(s) Clitiques Mots polysyl‐ labiques ##Cə#C p. ex. L(e) village J(e) sais pas V#Cə#C p. ex. dans l(e) coin V#CəC p. ex. ch(e)mise % N % N % N Uritescu et al. 2002, 2004 L1 anglais 8 étudiants (lycée) (après immer‐ sion) Parole spontanée 96 % 605 94 % 376 91 % 181 Lecture 97 % 75 98 % 85 84 % 19 Thomas 2002, 2004 L1 anglais 87 étudiants (université) Parole spontanée --- 78 % 5419 --- Lecture --- 100 % 3132 --- Kamerhuber 2017, Pustka/ Forster/ Kame‐ rhuber 2018 L1 allemand (Autriche) 12 étudiants (université) Lecture 92 % 106 --- 22 % 60 Andreassen & Lyche 2018 L1 norvégien 8 étudiants (université) 8 élèves (lycée) Parole spontanée 98 % 677 99 % 329 98 % 41 87 % 177 88 % 698 86 % 70 Isely et al. 2018 L1 allemand (Suisse) 9 étudiants (université) Parole spontanée et lecture 66 % 277 67 % 787 85 % 228 Parole spontanée 69 % (1354) 80 % 148 lecture 96 % (400) 92 % 80 Tab. 4 : Taux de réalisation du schwa variable chez les apprenant.e.s du français. Pour les trois contextes considérés, les résultats montrent que les apprenant.e.s tendent à plus souvent réaliser le schwa variable que ne le font les locuteurs et locutrices L1 avec des taux de réalisation pour la plupart entre 78 % et 98 %, à l’exception de l’étude d’Isley et al. (2018) (66/ 67 %). Il semble donc que les apprenant.e.s s’appuient sur la graphie et/ ou manquent de contact avec des matériaux authentiques et/ ou d’instruction sociolinguistique. Le taux surprenant de seulement 22 % chez les étudiant.e.s autrichien.ne.s dans le corpus IPFC-Autriche (Kamerhuber 2017, cf. aussi Pustka/ Forster/ Kamerhuber 2018) s’explique par le fait que c’est la seule étude à prendre en compte la qualité de la voyelle qui est très souvent prononcée de façon erronée : en effet, 58 % 26 Elissa Pustka, Elisabeth Heiszenberger, Léa Courdès-Murphy (Vienne) <?page no="27"?> 4 Nous avons laissé de côté dans le Tableau 5 la catégorie V + PRON CL qui n’apparaît que dans De Moras 2011 (avec 76 %-90 % de réalisations). des étudiant.e.s autrichien.ne.s réalisent [e]/ [ɛ] à la place du schwa en première syllabe de mots polysyllabiques. Thomas 2002 attire l’attention sur la variation lexicale qu’il observe chez les apprenant.e.s : ainsi le taux de réalisation varie-t-il de 0 % (chang(e)ment, jug(e)ments), en passant par 2 % (certain(e)ment) et 10 % (boul(e)versement) jusqu’à 58 % (enn(e)mis) et 78 % (vign(e)ron). Les deux derniers mots présentent cependant des cas particuliers : la prononciation d’ennemis avec schwa est probablement influencée par le mot correspondant anglais enemy [ˈenəmi] ; la prononciation de vigneron s’explique par la réalisation de <gn> comme / nj/ et non / ɲ/ (ce qui est également répandu parmi un bon nombre de francophones natifs ; cf. Lyche 2010 : 153). Il s’agit donc probablement d’un contexte situé après deux consonnes (où le schwa se prononce ; cf. section 2.2.1) et non après une seule. De plus, les participant.e.s de l’étude élident le schwa dans 10 % des cas dans le groupe figé c(e) qui alors qu’ils ne le font qu’à 0,1 % dans tous les autres cas de clitiques après une seule consonne. Les études précédentes montrent que quel que soit leur niveau d’appren‐ tissage, les apprenant.e.s de FLE réalisent plus de schwas variables que les locuteurs natifs. Cependant, la (non-)réalisation du schwa semble être fortement dépendante de l’item. Outre l’élision du schwa, une autre grande difficulté se pose aux apprenant.e.s de FLE, à savoir la prononciation du timbre exact de la voyelle. Il semble donc nécessaire d’adapter l’enseignement de la prononciation et des correspondances graphème-phonème à la L1 d’origine des apprenant.e.s. 2.2.2 La liaison Le comportement de la liaison chez les apprenant.e.s du français attire beaucoup plus l’intérêt des chercheurs que le schwa. En effet, plusieurs thèses sont dédiées à ce sujet (Mastromonaco 1999, De Moras 2011, Barreca 2015, Harnois-Del‐ piano 2016) ainsi que deux numéros spéciaux de revues (Racine/ Detey 2015, Howard/ Ågren 2019). Alors qu’à l’origine la majorité des travaux se concentrait sur des apprenant.e.s ayant l’anglais comme L1, comme dans le cas du schwa (cf. section 2.1.1), les populations étudiées se sont à présent diversifiées. Étant donné que cette contribution met l’accent sur les contextes de liaison à enseigner, nous limitons la présentation de l’état de l’art aux liaisons obligatoires et fréquentes. Les tableaux 5 4 à 7 montrent que les résultats des études existantes diffèrent de manière considérable. 27 Comment enseigner le schwa et la liaison ? <?page no="28"?> 5 Howard 2005 fournit les taux pour chacun de ses 12 locuteurs individuellement. Nous reproduisons ici le taux minimum et maximum. 6 Nous reproduisons ici les résultats du premier et du quatrième des quatre enregistre‐ ments de Barreca 2015. 7 Nous ne reproduisons pas ici les résultats d’Harnois-Delpiano 2016 qui, dans son étude longitudinale, traite uniquement deux contextes : DET + SUBST (un : 48 %-67 %, trois : 28 %-54 %) et ADJ + SUBST (petit : 3 %-30 %, gros : 16 %-25 %, grand : 5 %-10 %). Contexte Mastromonaco 1999 Thomas 2002, 2004 Howard 2005 Pustka 2015 Barreca 2015 Parole spon‐ tanée Parole spon‐ tanée + lecture Parole spon‐ tanée Parole spon‐ tanée Répétition + lecture + pa‐ role spon‐ tanée DET + 93 % (56/ 60) 96 % (n= 2351) 70-97 % 5 3 non-réa‐ lisations DET + SUBST : 79 %-90 % 6 ADJ + SUBST 100 % (5/ 5) 50 % (n = 348) 0-50 % 96 % 48 %-53 % PRON CL + V 100 % (10/ 10) 96 % (n = 821) 80 %-100 % 1 non-réa‐ lisation PRON + V : 78 %-83 % PREP mono + 100 % (7/ 7) 96 % (n = 663) 73 %-100 % 100 % PREP + nom propre : 75 %-94 % ADV mono+ TOUS 90 % (9/ 10) 85 % (n = 387) (sans pas) 0-100 % 0-100 % selon le le‐ xème ADV + ADJ : 65 %-88 % très --- --- --- 89 % (n = 28) --- Constructions figées 100 % (7/ 7) --- 40 %-100 % --- 49 %-63 % Tab. 5 : La liaison obligatoire chez les apprenant.e.s en parole spontanée (et d’autres tâches). 7 Les résultats montrent qu’en parole spontanée (cf. tableau 5) les étudiant.e.s ont une assez bonne maîtrise de la liaison obligatoire avec des taux de réalisation se situant entre 85 % et 100 %. Racine/ Detey (2015 : 11) avaient déjà formulé dans l’introduction de leur numéro spécial : « (…) les liaisons ‘obligatoires’ ne semblent pas poser de problèmes aux apprenants avancés. » (cf. également Howard/ Ågren 2019 : 5). La lecture fournit des résultats semblables (cf. tableau 6 et 7). Nous soulignons que les résultats des quatre enquêtes présentées dans le tableau 7 peuvent particulièrement bien être comparées entre eux puisqu’il s’agit toujours de la 28 Elissa Pustka, Elisabeth Heiszenberger, Léa Courdès-Murphy (Vienne) <?page no="29"?> 8 Nous reproduisons ici les résultats du premier et du troisième des trois enregistrements de De Moras 2011. lecture du texte PFC. On constate ici une grande différence entre les élèves de niveau A2 et les étudiant.e.s des autres enquêtes, les taux de réalisation étant beaucoup plus faibles chez ces premiers. Mastro‐ monaco 1999 Ho‐ ward 2005 De Moras 2011 8 IPFC‐japonais (Detey/ Kawa‐ guchi/ Kondo 2015) IPFC‐ alle‐ mand/ Munich (Pustka 2015) IPFC‐norvé‐ gien (An‐ dreassen/ Lyche 2015) IPFC‐ alle‐ mand/ Vienne (Forster 2017, Pustka/ Forster/ Kame‐ rhuber 2018) Sans séjour Avec séjour Elèves A2 Etu‐ diants B1/ B2 DET + [z] 96 % 68 %- 74 % art. déf. + nom : 68 %- 74 %, art. indéf. + nom : 62 %- 74 % 73 % 88 % 100 % 39 % 89 % 88 % [n] 50 % 100 % ADJ + SUBST 100 % 70 %- 81 % adj. qual. + nom : 49 %- 57 % 50,0 % 93 % 96 % --- --- 63 % PRON CL + V [z] 98 % --- --- 92 % 92 % 100 % 83 % 100 % 86 % [n] 17 % 94 % PREP mono + 95 % 73 %- 76 % prép.+ nom : 73 %- 76 % 100 % 100 % 100 % --- --- 100 % ADV mono+ TOUS 75 % --- --- --- --- --- --- --- --très --- 40,0 % 57 % 89 % 31 % Constructions figées --- 63 %- 72 % 63 %- 72 % en effet : 89 % Jeux‐ Olympi‐ ques : 30 % en effet : 67 % Jeux‐ Olympi‐ ques : 57 % 58 % (7/ 12) --- --- 8 % Tab. 6 : La liaison obligatoire chez les apprenant.e.s en lecture. 29 Comment enseigner le schwa et la liaison ? <?page no="30"?> 9 En raison du manque de données, nous ne faisons pas figurer le pronom relatif dont + dans le Tableau 10. 10 Mastromonaco (1999 : 172) n’indique pas le nombre de syllabes des conjonctions, donnant comme exemples et et mais. Concernant la liaison fréquente, les taux de réalisation s’avèrent assez élevés en lecture et beaucoup plus faibles en parole spontanée (cf. tableau 7 9 ). À l’instar des francophones natifs, les apprenant.e.s avancés possèdent donc une certaine compétence socio-stylistique (cf. tableau 3). À y regarder de plus près, on constate toutefois quelques différences. Ainsi, après la forme verbale impersonnelle c’est, les taux varient-ils entre 43 % et 78 % chez les apprenant.e.s, mais seulement autour de 28 % et 30 % chez les natifs. On peut supposer que cela est dû au fait que la liaison a pendant longtemps été considérée comme obligatoire dans ce contexte (cf. Delattre 1947 dans la section 2.1.2) et a donc probablement été enseignée comme telle. Après la conjonction quand, les taux reportés par Thomas 2002/ 2004 et Howard 2005 sont en revanche beaucoup plus faibles que chez les natifs. Contexte Mastromonaco 1999 Thomas 2002, 2004 Howard 2005 Pustka 2015 Detey / Kawa‐ guchi/ Kondo 2015 Parole spon‐ tanée lec‐ ture Parole spon‐ tanée + lecture Parole spon‐ tanée Parole spon‐ tanée lecture c’est + 78 % (7/ 9) 98 % (48/ 49) 66 % (n = 1297) --- 43 % (n = 23) --est + --- --- 38 % (n = 16) 80 %-71,4 % CONJ mono + TOUS 29 % (2/ 7) 10 --- --- 0 %-37 % puis + mais : 0 % --quand --- --- 41 % (n = 64) 0 %-17 % 80 % --- Tab. 7 : La liaison fréquente chez les apprenant.e.s (parole spontanée et lecture). En conclusion, les études précédentes montrent que les liaisons obligatoires ne semblent pas poser de problèmes aux apprenant.e.s avancé.e.s mais aux apprenant.e.s moins avancé.e.s. Cependant, même les apprenant.e.s avancé.e.s rencontrent des difficultés face aux liaisons fréquentes et tendent à en réaliser moins que ce qui est relevé chez les locuteurs natifs, et ce notamment en parole spontanée. 30 Elissa Pustka, Elisabeth Heiszenberger, Léa Courdès-Murphy (Vienne) <?page no="31"?> 3 Méthode Afin d’analyser le comportement de la liaison et du schwa ainsi que les trajectoires d’apprentissage chez les apprenant.e.s de FLE moins avancé.e.s, et ce notamment chez des élèves, largement négligé.e.s jusqu’à présent, le projet de recherche Pro 2 F (cf. section 1) fournit un corpus de grande taille. Celui-ci repose sur la méthodologie du programme de recherche international (Inter-)Phonologie du Français Contemporain (I)PFC (cf. Durand/ Laks/ Lyche 2002, www.projet-pf c.net ; Detey/ Kawaguchi 2008, Racine et al. 2012, http: / / cblle.tufs.ac.jp/ ipfc/ ). Le projet de recherche Pro 2 F reprend cette méthodologie en collectant pour la première fois des données de mineurs qui apprennent le français en contexte scolaire. Il est donc représentatif de la majorité des apprenant.e.s, d’où son impact pour la didactique du FLE. 3.1 Participant.e.s 145 élèves autrichiens, âgés de 12 à 18 ans, ont été enregistrés dans le cadre du projet de recherche Pro 2 F. Ces élèves sont issus d’un collège-lycée viennois et ont commencé à l’âge de 12 ans à apprendre le français qui est leur deuxième langue étrangère après l’anglais. Ainsi, les participant.e.s sont des apprenant.e.s débutant.e.s ou intermédiaires se situant selon les programmes scolaires offi‐ ciellement entre les niveaux A1 et B1 du CECRL (Cadre européen commun de référence pour les langues, Conseil de l’Europe 2001). Tous apprennent le français en prenant appui sur les séries de manuels scolaires autrichiens Bien fait ! (Luner et al. 2014) et Parcours plus (Wlasak-Feik et al. 2016). Il faut souligner ici que ces manuels ne traitent de la prononciation que de manière très marginale contrairement aux manuels utilisés en Allemagne (cf. section 2.1). Ni la liaison ni le schwa n’y sont mentionnés. 3.2 Corpus Dans le cadre du projet de recherche Pro 2 F, les enregistrements des apprenant.e.s autrichien.ne.s comprennent sept tâches : • la lecture de la liste de mots PFC • la lecture d’une liste de mots spécifique basée sur le projet IPFC et complétée par des contextes pour le schwa et la liaison • la répétition de ces contextes pour le schwa et la liaison sur la base d’un enregistrement d’un présentateur de radio parisien • la lecture du texte PFC • la lecture d’un texte supplémentaire basé sur le manuel scolaire des élèves (niveau A1) 31 Comment enseigner le schwa et la liaison ? <?page no="32"?> • la lecture d’un texte en allemand (« Nordwind und Sonne » ‘La bise et le soleil’) et • un entretien mené par une Française originaire de la France septentrio‐ nale. L’entretien a systématiquement été adapté au niveau des élèves (A1-A2 ou B1) et se basait, d’une part, sur le protocole d’entretien du projet IPFC (questions sur les voyages et le rapport avec la langue française) et, d’autre part, sur les thèmes abordés dans le manuel scolaire utilisé (école, loisirs, famille, etc.). Étant donné que le texte PFC est d’un niveau grammatical et lexical assez élevé, nous avons laissé le choix aux élèves de première année de le lire ou non. En plus des tâches énumérées ci-dessus, les élèves ont rempli un questionnaire socio-démographique (en allemand), basé sur les questionnaires des projets PFC et IPFC. La méthodologie adoptée a auparavant été vérifiée sous l’angle psychologique et juridique par l’inspection scolaire de la ville de Vienne. Les 145 élèves participants ainsi que leurs parents ont signé un consentement de participation. Le travail de terrain s’est déroulé entre novembre 2017 et avril 2018. Les enregistrements se sont faits avec un enregistreur ZOOM H4n (44.1kHz/ 16 Bit, mono). 3.3 Transcription et codage Le corpus Pro 2 F contient au total 108 heures et 45 minutes de parole enregis‐ trée. Ces enregistrements ont été transcrits orthographiquement sous PRAAT (Boersma/ Weenink 2020, www.fon.hum.uva.nl/ praat/ ) suivant les conventions de transcription du projet PFC adaptées aux élèves autrichiens. En suivant la procédure du projet PFC, nous dupliquons dans PRAAT la tire de transcription pour y intégrer un codage (alpha-)numérique. Les systèmes de codage sont également basés sur ceux du programme PFC, mais adaptés aux besoins du projet Pro 2 F (cf. Kamerhuber/ Horvath/ Pustka 2020 pour une première version du codage schwa et Heiszenberger et al. 2020 pour le codage liaison). Comme ces changements n’affectent que des variantes supplémentaires observées chez les apprenant.e.s qui ne seront pas traitées par la suite (p. ex. réduction vocalique dans intéressant [ɛ̃təʁɛsɑ̃]/ [ɛ̃tʁɛsɑ̃] pour [ɛ̃teʁɛsɑ̃]), nous ne rentrons pas ici dans ces détails méthodologiques. Dans l’analyse qui suit, nous nous limitons à la question phonologique de la présence ou de l’absence du segment. Nous faisons donc abstraction de la qualité phonétique du schwa ([ə]/ [e]/ [ɛ]) et de la liaison (notamment [z]/ [s]). Afin de nous concentrer sur les contextes à enseigner, nous écartons ici les cas de rupture du mot suivant, d’alternance codique ainsi que d’erreurs de lecture et de grammaire (où la liaison manque particulièrement souvent). 32 Elissa Pustka, Elisabeth Heiszenberger, Léa Courdès-Murphy (Vienne) <?page no="33"?> 11 Les autres constructions figées sont qu’est-ce que (5 occ.), est-ce que (1 occ.) et Notre-Dame (5 occ.). 4 Résultats 4.1 Le schwa Au total, le corpus Pro 2 F contient 70 455 contextes codés pour le schwa pour lesquels nous relevons 51 % d’élisions : les entretiens guidés contiennent 28 275 contextes codés (55 % d’élisions), le texte PFC 21 814 contextes (43 % d’élisions), le texte Pro 2 F 11 984 contextes (51 % d’élisions) et la liste de mots Pro 2 F 8 382 contextes (61 % d’élisions). Pour l’analyse, nous avons choisi quatre contextes d’étude (cf. tableau 14) qui peuvent clairement être classés d’après l’état de l’art : deux contextes où l’élision du schwa est attendue et deux autres où le schwa doit être réalisé. Pour ces contextes, le corpus fournit suffisamment de données permettant une analyse détaillée prenant en compte la variation lexicale et la progression de la 1 ère à la 6 ème année d’apprentissage. Contexte Parole spon‐ tanée Lecture Texte PFC Texte Pro 2 F Liste Pro 2 F Élision obliga‐ toire Syllabe interne après une con‐ sonne, p. ex. bêt(e)ment 86 % (683/ 794) 80 % (460/ 576) 86 % (116/ 135) 53 % (212/ 403) Finale absolue, p. ex. profond(e) 98 % (1835/ 1866) 97 % (678/ 698) 95 % (744/ 781) 93 % (4350/ 4700) Réalisa‐ tion obli‐ gatoire Syllabe interne après deux con‐ sonnes, p. ex. gouverne‐ ment 93 % (881/ 950) sans construc‐ tions figées : 30 % (25/ 83) parce que : 99 % (850/ 855) : autres cons‐ tructions fi‐ gées 11 : 55 % (6/ 11) 52 % (37/ 71) 93 % (406/ 437) sans cons‐ tructions fi‐ gées : 81 % (116/ 144) parce que : 97 % (290/ 297) 75 % (120/ 159) Clitique après deux consonnes, p. ex. au cours de 0,1 % (1/ 762) 0,1 % (2/ 1986) 0,3 % (2/ 638) 0 % (0/ 27) Tab. 8 : Le taux d’élision du schwa dans le corpus Pro 2 F. 33 Comment enseigner le schwa et la liaison ? <?page no="34"?> 4.1.1 Élision du schwa obligatoire En ce qui concerne l’élision obligatoire du schwa en finale absolue après une consonne, le taux d’élision atteint 98 % en parole spontanée et entre 93 % et 97 % en lecture (cf. tableau 14). Les élèves autrichiens n’ont donc guère de problèmes avec l’élision obligatoire dans ce contexte. En parole spontanée, les seuls contextes pour lesquels on note des schwas réalisés sont les cas où les élèves les plus avancés (20 occurrences sur 32 entre la 4 ème et la 6 ème année d’apprentissage) répètent un mot que l’enquêtrice native avait prononcé précédemment dans sa question avec un schwa prépausal caractéristique du français parisien (cf. Hansen 1997), p. ex. E : Et qu’est-ce que tu aimes à Vienne ? 615 : À Vienne ? . Concernant la lecture du texte PFC, le schwa est le plus souvent réalisé (22 au total) à la fin des mots profonde (9 occ. sur 107) et stupide (6 occ. sur 129), donc après la plosive sonore [d]. Cette tendance se retrouve également dans la liste de mots, où la plupart des schwas sont également réalisés après [d], en l’occurrence dans les mots Andes et Inde. Ajoutons que pour ces mots le schwa final est, la plupart du temps, réalisé comme un [e]. Contrairement à la parole spontanée, les réalisations du schwa final en lecture se rencontrent principalement chez les élèves lors de leurs trois premières années d’apprentissage. En ce qui concerne l’élision obligatoire du schwa en syllabe interne après une seule consonne, les taux d’élision sont considérablement plus faibles et ce particulièrement en lecture. Dans l’entretien guidé, le schwa est réalisé dans 112 cas. On note cependant ici un conditionnement lexical intéressant. En effet, parmi ces 112 cas, ce sont surtout les mots : all(e)mand(e)(s), prom(e)nade(s) et aim(e)rais qui sont réalisés avec un schwa. De même que pour promenade(s), les mots suivants apparaissent systématiquement avec un schwa interne dans le corpus : le verbe recevoir sous différentes formes, boulangerie et mangerons. Les mots suivants y figurent de manière conséquente sans schwa : seul(e)ment, ar‐ rondiss(e)ment(s) (27 occ.), Croqu(e)-Monsieur/ Croqu(e)-Madame et méd(e)cin(s). Nous n’observons pas dans ce contexte d’effet général du niveau d’apprentis‐ sage. Dans certains mots seulement, la réalisation avec schwa a lieu surtout chez les élèves lors de leur trois premières années d’apprentissage : allemand(e)(s) (27/ 30) et promenade (12/ 19). La forme aimerais, en revanche, n’apparaît que chez les élèves dans leur trois dernières années d’apprentissage (bien qu’enseignée dès la 1 ère année). Dans la lecture du texte PFC, le schwa interne est particulièrement souvent réalisé dans la forme du conditionnel indiqueraient - mot avec une seule 34 Elissa Pustka, Elisabeth Heiszenberger, Léa Courdès-Murphy (Vienne) <?page no="35"?> 12 Le nombre absolu de codages inférieurs au nombre de témoins s’explique d’un côté par le fait que le texte PFC n’est pas lu par tous les élèves de première année et, d’un autre côté, par des erreurs de lecture. De plus, le <e> y est prononcé dans 7 cas par une autre voyelle que le schwa ou [e]/ [ɛ]. réalisation sans schwa (par un élève de 6 ème année). 12 Les autres cas impliquant très régulièrement un schwa réalisé sont bêtement et détachement, où le schwa se trouve également à la frontière de morphème (devant -ment), ainsi que qu’est-ce qui et trente-six. Dans la lecture du texte Pro 2 F, le schwa est prononcé 19 fois dans heureusement, donc également devant le suffixe -ment. La lecture de la liste de mots confirme ce constat avec 17 réalisations d’heureusement avec voyelle. Par ailleurs, nous y trouvons 43 réalisations de schwa dans maintenant. Pour revenant (donc après le préfixe re-), le schwa interne ne chute que dans 3 cas. Tout comme en parole spontanée, les résultats en lecture nous indiquent que le schwa interne est majoritairement réalisé par les élèves en début d’apprentissage (de la première à la troisième année d’étude) - mis à part revenant, où les réalisations se répartissent de manière égale sur tous les niveaux. 4.1.2 Réalisation du schwa obligatoire En ce qui concerne la réalisation obligatoire du schwa en syllabe interne après deux consonnes, le schwa est élidé en parole spontanée dans 30 % des cas et en lecture entre 52 % et 81 % des cas. Ce contexte pose donc des problèmes aux apprenant.e.s. En termes de contextes linguistiques, dans les entretiens guidés, les 30 % d’élision concernent en grande partie le mot appart(e)ment(s) ; nous relevons également des élisions dans gouvern(e)ment et dans 5 adverbes en -ment (correct(e)ment, direct(e)ment, exact(e)ment, just(e)ment, probabl(e)ment). En lecture, nous retrouvons les mêmes mots : gouvern(e)ment dans le texte PFC (37 occ. sans schwa) ainsi qu’appart(e)ment dans le texte Pro 2 F (115 occ. sans schwa) et dans la liste de mots (110 occ. sans schwa). Dans ce contexte phonotactique, nous n’observons pas d’effet du niveau de compétence. En revanche, en ce qui concerne les clitiques après deux consonnes, le schwa ne s’élide que très rarement dans le corpus, ce qui est conforme à la norme de prononciation : on ne trouve que 5 cas d’élision dans la totalité du corpus. Ces cas se répartissent de la manière suivante : 1 en parole spontanée (c(e) que), 2 dans le texte PFC (gloir(e) d(e), risqu(ent) d(e)) et 2 dans le texte Pro 2 F (bord d(e) la mer, 2 occ. ; schwa en question en gras). Ces occurrences ont été produites par des élèves en 1 ère , 4 ème , 5 ème et 6 ème année d’apprentissage du français. 35 Comment enseigner le schwa et la liaison ? <?page no="36"?> 4.2 La liaison Au total, le corpus Pro 2 F contient 14 179 contextes codés pour la liaison, dont 37 % des cas font état d’une consonne liaisonnante : les entretiens guidés contiennent 4 549 contextes codés (dont 45 % de réalisations), le texte PFC 3 430 contextes (26 % de réalisations), le texte Pro 2 F 4 486 contextes (32 % de réalisations) et la liste de mots Pro 2 F 1 714 contextes (46 % de réalisations). Dans cette section, nous détaillons les résultats de l’analyse du corpus Pro 2 F en nous concentrons tout d’abord sur les liaisons obligatoires puis sur les liaisons fréquentes. 4.2.1 Liaison obligatoire Concernant la liaison obligatoire (cf. tableau 15), nous constatons avec surprise que les taux de réalisation sont moins élevés en lecture qu’en parole spontanée - contrairement à ce qui s’observe chez les natifs et les apprenant.e.s les plus avancé.e.s étudiés jusqu’à maintenant (cf. section 2). Nous présenterons par la suite d’abord les résultats pour la parole spontanée pour ensuite en venir aux tâches de lecture. Lorsque l’on se concentre sur les mots liaisonnants les plus fréquents (10 occurrences ou plus) en parole spontanée, on note des taux de réalisation de la liaison relativement faibles après les mots suivants : mon, très, ils, un, deux, trois, neuf, en, États-Unis et de temps en temps (cf. tableau 15). On constate en revanche des résultats plus élevés pour les autres déterminants et pronoms. Les résultats du corpus confirment donc qu’il existe des différences importantes entre les mots liaisonnants. À titre d’exemple, les élèves réalisent la liaison après mes dans 95 % des cas, mais seulement dans 62 % des cas après mon. Le faible taux de réalisation observé après le déterminant possessif mon touche principalement deux contextes : mon / / ami(e) (15/ 33) et mon / / anniversaire (23/ 62). Alors que l’absence de liaison dans mon / / ami(e) se rencontre particulièrement dans le discours des élèves lors de leur trois premières années d’apprentissage, mon / / anniversaire apparaît également chez les élèves les plus avancés. Tandis que le pourcentage de réalisation est considérablement plus élevé au pluriel - mes (95 %) - la majeure partie des cas où une absence de liaison est constatée a pour contexte droit le mot ami(e)s : mes / / ami(e)s (17/ 363). Pour ce qui est des déterminants numéraux, les taux de réalisation varient entre 81 % et 83 % après vingt, deux et trois et 100 % après six et dix. Les non-réalisations les plus fréquentes sont relevées dans deux / / heures (10/ 50), neuf [f] ans (11/ 15) et neuf [f] heures (9/ 16) réalisés avec la consonne finale fixe [f] au lieu de la consonne de liaison [v]. Concernant l’adverbe très (63 % de liaison), on constante qu’il est réalisé 27 fois sans liaison quand il est suivi d’un adjectif commençant par une 36 Elissa Pustka, Elisabeth Heiszenberger, Léa Courdès-Murphy (Vienne) <?page no="37"?> voyelle (dont 13 fois devant intéressant). Ce problème concerne tous les niveaux d’étude. Dans le cas de la préposition en, les erreurs concernent trois contextes droits : les noms de pays (14/ 64 ; p. ex. en / / Italie, 4/ 18) ainsi que les substantifs désignant les saisons (en / / été, 6/ 37 ; en / / hiver, 2/ 13) et les mois (en / / août, 1/ 2 ; en / / octobre, 2/ 3). Ce phénomène s’observe chez les élèves issus de toutes les années d’apprentissage (en première année, on ne trouve qu’une seule occurrence de ce contexte : en[n] Espagne avec une liaison (sans enchaînement). Pour ce qui est des déterminants et des pronoms, les taux d’élision sont en général assez élevés, entre 91 % et 95 % (cf. tableau 15), s’approchant ainsi davantage de la réalisation catégorique des natifs. Seul le pronom personnel ils (67 %) et le déterminant indéfini un (83 %) font exception (cf. supra). Quand on s’intéresse de plus près aux contextes posant problème aux apprenant.e.s, à savoir après les articles les et des ainsi qu’après les pronoms clitiques sujet nous et on, les occurrences nous / / allons (14/ 94 sans liaison) et nous / / avons (7/ 141 sans liaison) sont les plus fréquentes. Les autres erreurs observées se répartissent sur une multitude de contextes droits. Toutes les non-réalisations de liaison obligatoire dans ces contextes ont en commun qu’elles ne se limitent pas aux débutants. En lecture, commençons notre analyse par le contexte entre un adjectif et un substantif au singulier pour lequel le texte PFC fournit deux cas : grand émoi et grand honneur. Les élèves du corpus Pro 2 F n’y réalisent la liaison que dans 29 % des cas. Concernant l’adverbe monosyllabique très, le texte PFC fournit le contexte très inquiet. Nos apprenant.e.s n’y réalisent la liaison qu’à 29 %. Il est intéressant de constater qu’ils produisent considérablement plus souvent la liaison dans la lecture du texte Pro 2 F (50 %) et dans la liste de mots Pro 2 F (64 %) dans le contexte très intéressant, c’est-à-dire avec un adjectif connu et familier. Concernant la préposition dans dans le contexte dans une impasse stupide (texte PFC), on observe 49 % de réalisation de la liaison chez les élèves autrichien.ne.s. Cependant, contrairement au cas de très (cf. supra), le fait que le vocabulaire soit connu n’influe pas sur le taux de réalisation de la liaison : dans le contexte dans une colonie de vacances du texte Pro 2 F, le taux de réalisation est de 50 %. Les derniers contextes directement comparables sont les constructions figées États-Unis et en effet. Ici, nos apprenant.e.s affichent des taux de réalisation de la liaison très faibles : respectivement 48 % et 18 % de liaisons réalisées pour États-Unis et en effet. 37 Comment enseigner le schwa et la liaison ? <?page no="38"?> 13 Le tableau ne contient pas le contexte en a vu du texte PFC où en est un pronom objet (87,24 %). 14 Pour on, le tableau comprend uniquement le contexte devant verbe on est et non le deuxième contexte apparaissant dans le texte PFC, où on est suivi d’un autre pronom : on en a vu (96,36 %). Classe de mots Mot Parole spontanée Lecture Texte PFC Texte Pro 2 F Liste Pro 2 F N % N % N % N % DET+ SUBST déf. les 108 94 % 225 53 % --- --- --- --des 169 93 % 62 69 % 256 59 % --- --indéf. un 46 83 % --- --- --- --- --- --quelques 10 80 % 124 23 % --- --- --- --poss. mes 374 95 % --- --- --- --- --- --mon 111 62 % --- --- --- --- --- --son 3 67 % 122 31 % 136 35 % --- --num. un --- --- --- --- --- --- --- --deux 68 79 % --- --- --- --- --- --trois 30 83 % --- --- --- --- --- --six 55 100 % --- --- --- --- --- --huit 97 99 % --- --- --- --- --- --neuf + ans 15 73 % --- --- 145 100 % neuf + heures 16 69 % --- --- --- --- --- --dix 40 100 % --- --- --- --- --- --premier --- --- --- --- 143 92 % 144 79 % ADJ + + SUBST SG. 4 50 % 245 29 % --- --- --- --- + SUBST PL 5 0 % PRON CL sujet 13 + verbe nous 274 90 % 127 80 % --- --- --- --on 120 94 % 135 14 59 % --- --- --- --- 38 Elissa Pustka, Elisabeth Heiszenberger, Léa Courdès-Murphy (Vienne) <?page no="39"?> 15 Dans le cas de chez, le nombre d’occurrences est supérieur au nombre de locuteurs car 6 personnes répètent le mot, notamment dans un but d’autocorrection. ils 18 67 % --- --- 420 54 % --- --tout 2 100 % 125 17 % --- --- --- --- PREP + PRON (elle) chez 17 82 % --- --- 148 53 % 148 15 75 % PREP + DET dans 78 83 % 106 49 % 123 50 % --- --- PREP + nom propre (pays) en 64 78 % --- --- 107 59 % --- --- PREP + SUBST SG (saisons, mois) en 55 20 % --- --- --- --- --- --- PREP & DET (aux) + + SUBST PL 1 100 % --- --- 134 34 % --- --- + nom propre 23 96 % --- --- --- --- --- --- ADV mono + ADJ très 73 63 % 75 29 % 140 50 % 140 64 % Constructions figées États-Unis 44 68 % --- --- 145 56 % 147 54 % de temps en temps 25 88 % --- --- 141 48 % 140 47 % plus ou moins 2 100 % --- --- --- --- --- --en effet --- --- 104 48 % --- --- --- --- Jeux Olym‐ piques --- --- 102 18 % 128 2 % 136 22 % accent aigu --- --- --- --- --- --- 138 23 % c’est-à-dire --- --- --- --- --- --- 143 40 % Comment allez-vous ? --- --- --- --- --- --- 136 10 % Mesdames et Messieurs --- --- --- --- --- --- 133 12 % tout à coup --- --- --- --- --- --- 143 70 % Tab. 9 : Le taux de la réalisation de la liaison dans le corpus Pro 2 F. 39 Comment enseigner le schwa et la liaison ? <?page no="40"?> 16 Dans six cas, les élèves réalisent pas au lieu de plus. 4.2.2 Liaison fréquente Détaillons à présent les contextes pour lesquels la liaison est variable mais très fréquente chez les locuteurs natifs (cf. section 2.1). Ceci s’observe autant en parole spontanée qu’en lecture. Prenons l’exemple du contexte gauche le plus fréquent c’est. Les élèves autrichiens du projet Pro 2 F réalisent seulement 17 % de liaisons après c’est en parole spontanée et 24 % en lecture (cf. tableau 16). Classe de mots Mot Parole spontanée Lecture Texte PFC Texte Pro 2 F Liste Pro 2 F N % N % N % N % VERBE + c’est + 247 17 % --- --- 135 24 % --- --est + 147 9 % 243 16 % 264 10 % --- --- ADV mono plus + ADJ 16 63 % --- --- 125 17 % --- --- (ne…) plus --- --- 121 16 10 % CONJ mono + quand 14 14 % --- --- 438 18 % --- --- Tab. 10 : Le taux de réalisation de la liaison fréquente dans le corpus Pro 2 F. 5 Discussion et conclusion L’objectif de cet article était double. Premièrement, nous souhaitions étudier le comportement du schwa et de la liaison chez des apprenant.e.s moins avancé.e.s apprenant le français à l’école. À cette occasion, nous avons cherché à savoir si la variation inhérente à ces phénomènes peut être acquise de façon implicite sur la base de l’input limité en classe ou si une exposition plus importante à des matériaux authentiques et une instruction explicite sont nécessaires. Deu‐ xièmement, nous cherchions à guider les (futur.e.s.) professeur.e.s. de français en leur exposant, à partir d’une large base empirique actuelle, les points sur lesquels insister dans leur l’enseignement. Nos analyses se sont basées sur un examen de la prononciation du français chez 145 élèves autrichiens (12-18 ans, niveau de langue : A1-B1) en parole spontanée et en lecture compris dans le corpus Pro 2 F. Nous avons mis en exergue, d’une part, les points d’acquisition du 40 Elissa Pustka, Elisabeth Heiszenberger, Léa Courdès-Murphy (Vienne) <?page no="41"?> schwa et de la liaison quasi-automatique chez les jeunes apprenant.e.s du FLE et, d’autre part, les points qui nécessitent au contraire une instruction explicite. Pour ce qui est du schwa, la non-réalisation en finale après une consonne (p. ex. profond(e)) semble relativement bien acquise. Le taux d’élision atteint 98 % en parole spontanée et entre 93 % et 97 % en lecture. En parole spontanée, seuls les élèves les plus avancés en 4 ème et 6 ème année d’apprentissage ont réalisé un schwa dans ce contexte. Rappelons toutefois que ces schwas ont été produits au sein de séquences répétées par les élèves et initialement produites par l’enquêtrice avec un schwa prépausal caractéristique du français parisien (cf. Hansen 1997), p. ex. E : Et qu’est-ce que tu aimes à Vienne ? 615 : À Vienne ? . Ces occurrences de schwa peuvent donc être considérées comme des indices d’une compétence sociolinguistique chez les élèves en question. En lecture, des schwas réalisés apparaissent surtout après la plosive sonore [d] ( p. ex. stupide). Une explication pourrait être que le schwa est prononcé dans ces cas pour éviter l’assourdissement de cette consonne, caractéristique de l’allemand (p. ex. stupide *[stypit], comme en all. Rad [ʁat] ‘vélo’). Une seconde explication serait que certains mots ne sont pas reconnus par les élèves. Ceci est probablement le cas des mots And(e)s ou Ind(e) où le schwa final est, la plupart du temps, réalisé comme un [e]. En syllabe interne, l’élision du schwa ne pose également pas de soucis majeurs aux élèves autrichiens, à l’exception de certains mots tels que all(e)mand(e)(s), prom(e)nade(s) ou aim(e)rais. Étant donné nos observations de la forme verbale aimerais en parole spontanée, on pourrait supposer que les élèves mémorisent cette forme conjuguée difficile de manière plus transparente en maintenant la voyelle. Pour ce qui est de la réalisation obligatoire du schwa, les résultats montrent que, dans les clitiques après deux consonnes, le taux de réalisation du schwa est aussi élevé que celui observé chez les locuteurs natifs (voir section 2.1.1). En revanche, les élèves élident beaucoup de schwas en syllabe interne qui devraient être prononcés comme dans des mots internationaux à l’instar de gouvernement et appartement. Ici, deux facteurs pourraient entrer en jeu : le fait qu’il s’agit de mots internationaux avec des formes identiques ou semblables sans schwa en allemand et/ ou en anglais, et la présence du suffixe -ment. Il semble donc que les correspondances graphème-phonème de la L1 et de la L2 joue un rôle majeur dans l’apprentissage du FLE. Ceci est d’autant plus vrai pour le schwa étant donné que le graphème <e> ne correspond ni en allemand ni en anglais à une voyelle arrondie. Il ne faut donc pas seulement maîtriser les règles d’élision et de réalisation de cette voyelle, mais il est également nécessaire d’apprendre sa prononciation ainsi que de recevoir une instruction explicite des correspondances graphème-phonème. 41 Comment enseigner le schwa et la liaison ? <?page no="42"?> Concernant la liaison obligatoire, nous constatons avec surprise que les taux de réalisation sont moins élevés en lecture qu’en parole spontanée - contrairement à ce qui s’observe chez les natifs et les apprenant.e.s les plus avancé.e.s étudiés jusqu’à maintenant (cf. section 2). Cela suggère non seulement une compétence sociolinguistique encore peu développée à ce niveau d’apprentissage, mais également des problèmes de déchiffrage des mots ainsi qu’un manque général de fluidité qui diminue au fil du temps. En parole spontanée, comme dans les études précédentes portant sur des apprenant.e.s plus avancé.e.s (cf. section 2.2), les taux de réalisation observés chez les élèves autrichiens s’approchent de ceux des locuteurs natifs après les déterminants et les pronoms. Ici, seule la liaison en [n] après les voyelles nasales pose problème (mon, un). D’autres cas problématiques concernent la préposition monosyllabique en, l’adverbe monosyllabique très, les numéraux deux, trois et neuf et les constructions figées. Dans le cas particulier de très, les étudiant.e.s germanophones avancé.e.s de Pustka 2015 sont, en revanche, clairement meilleurs (89 %) que les élèves du corpus Pro 2 F (63 %). En lecture, non seulement les taux globaux restent loin derrière les natifs et les apprenant.e.s plus avancé.e.s (cf. supra), mais cela se confirme contexte par contexte quand on regarde de plus près la lecture du texte PFC pour lequel les projets IPFC-japonais (Detey/ Kawaguchi/ Kondo 2015) et IPFC-allemand Allemagne (Pustka 2015) et Autriche (Pustka/ Forster/ Kamerhuber 2018) four‐ nissent un certain nombre de résultats strictement comparables (cf. tableau 6, section 2.2). Concernant l’adverbe monosyllabique très, par exemple, le texte PFC fournit le contexte très inquiet. Nos apprenant.e.s n’y réalisent la liaison qu’à 29 %, contrairement à 40 %/ 57 % chez les étudiant.e.s japonais.es et à 89 % chez les étudiant.e.s allemand.e.s ; les étudiant.e.s autrichien.ne.s y produisent un taux considérablement plus bas, avec 31 %. Il est intéressant de constater qu’avec un adjectif connu et familier, la liaison après très est nettement plus fréquente. Ainsi, dans la séquence très intéressant, la liaison est réalisée respectivement à hauteur de 50 % et 64 % dans le texte Pro 2 F et dans la liste de mots. Ces diffé‐ rences considérables montrent qu’il faudrait multiplier le nombre d’occurrences étudiées par témoin afin d‘obtenir des résultats fiables. En revanche, en ce qui concerne les liaisons variables mais très fréquentes, les élèves en réalisent autant en parole spontanée qu’en lecture. Toutefois, ils en réalisent moins que ce qui a été observé chez les apprenant.e.s avancé.e.s des études précédentes où les taux varient entre 43 % et 78 % en parole spontanée ; pour la lecture, Mastromonaco 1999 rapporte même 98 % (cf. section 2.2). À titre de comparaison ce taux de réalisation s’élève à 28 %-30 % chez les natifs toutes tâches confondues dans le 42 Elissa Pustka, Elisabeth Heiszenberger, Léa Courdès-Murphy (Vienne) <?page no="43"?> corpus PFC, et dans le corpus de livres-audio pour enfants de Pustka 2015, il est de 87 % (cf. section 2.1). Le schwa et la liaison sont des phénomènes qui touchent une très grande part du lexique français. Les résultats de cette présente étude permettent de mieux appréhender le type d’instruction à mettre en place afin que les apprenant.e.s de FLE puissent, à terme, maîtriser ces phénomènes. Ainsi, l’apprentissage du vocabulaire pourrait être accompagné d’une transcription en API, p. ex. allemand [almɑ̃] (avec élision du schwa interne), neuf heures [nœvœʁ] (avec liaison en [v]). De plus, il semble crucial d’introduire un enseignement explicite des règles de prononciation ou de l’élargir à davantage de contextes (cf. Pustka 2020, Heiszenberger/ Jansen 2020). 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Alors qu’elle végétait, à l’époque, dans l’ombre d’autres disciplines linguistiques, l’étude des capacités de prononciation de locuteurs qui parlent régulièrement plusieurs langues constitue aujourd’hui un domaine de recherche bien établi (cf. Archibald 1998 ; Bohn/ Munro 2007 ; Trouvain/ Gut 2008 ; Mennen/ De Leeuw 2014 ; Gabriel/ Kireva 2014 ; Avanzi et al. 2015). Dès le tournant du millénaire, la recherche a accordé de plus en plus son attention à la parole non native, et ce, en prenant en considération toute la gamme de potentielles influences translinguistiques et en établissant la distinction entre l’apprentissage phonologique d’une seconde langue (L2) et celui d’une troisième (L3 ; cf. Marx/ Mehlhorn 2010). En d’autres mots : on a commencé à distinguer entre l’apprentissage « classique » d’une langue étrangère, où les effets de transfert qu’on retrouve dans la parole non native sont dus à une seule source, c’est-à-dire à la L1 des apprenant.e.s, et les contextes dans lesquels une langue donnée est apprise (ou acquise) comme une langue étrangère supplémentaire après l’apprentissage d’une première langue étrangère. Jusqu’à nos jours, la plupart des études conduites dans le domaine de la phonologie L3 se concentrent sur l’apprentissage consécutif de différentes langues étrangères (cf. Cabrelli Amaro et al. 2015 ; Cabrelli Amaro/ Wrembel 2016). C’est ainsi que Llama et al. (2010) ont analysé la production d’occlusives sourdes initiales en espagnol comme L3 chez des apprenant.e.s anglophones qui avaient appris auparavant le français (L2) ainsi que la condition inverse avec l’espagnol étant la L2 et le français la L3. Les auteur.e.s ont trouvé une influence de la L2 sur la L3, ce qui plaide en faveur du statut prépondérant de la L2 (angl. L2 status factor ; cf. Bardel/ Falk 2007). Ce point de vue a été étayé par Wrembel (2010) qui a trouvé une influence de l’allemand (L2) sur l’anglais (L3) chez des apprenant.e.s <?page no="48"?> polonais.es. Dans un travail ultérieur, cependant, la même auteure (Wrembel 2014) a étudié le délai d’établissement du voisement (angl. voice onset time (VOT)) chez des jeunes polonais.es apprenant l’anglais comme L2 et l’allemand ou le français comme L3 et a trouvé des valeurs intermédiaires entre celles de la L1 et de la L2 dans les deux langues étrangères (soit l’anglais et l’allemand, soit l’anglais et le français). Notons que de tels résultats remettent en cause le statut prédominant de la L2. Les scénarios d’acquisition autres que l’apprentissage consécutif de plusieurs langues étrangères ont longtemps été ignorés dans la recherche phonologique : les premières études empiriques qui portent sur l’acquisition d’une L3 dans des contextes plurilingues et qui incluent expressément les langues de migration ou d’origine (angl. heritage languages, HL ; cf. Valdés 2000 ; Montrul 2018) n’ont été publiées qu’à partir du milieu des années 2010. La présente contribution vise à compléter le tableau en abordant la question de savoir si les apprenant.e.s germano-turc/ que.s du FLE (L3) sont avantagé.e.s par rapport aux monolingues allemand.e.s, non seulement au niveau segmental, mais aussi au niveau prosodique. Comme nous le soulignerons, le turc est prosodiquement plus proche du français que de l’allemand, ce qui pourrait se traduire par un avantage pour les apprenant.e.s qui parlent le turc comme langue d’origine en même temps que l’allemand. Outre cette raison purement linguistique, on ne saurait trop insister sur la pertinence sociétale de l’étude de l’apprentissage du français langue étrangère (FLE) chez les bilingues ger‐ mano-turc/ que.s : le recensement de 2018 a documenté plus de 2,7 millions d’Allemand.e.s d’origine turque (3,4 % de la population totale) et, dans la tranche d’âge concernée de 10 à 20 ans, 440 000 personnes ont déclaré avoir un passé migratoire respectif (5,8 % de cette partie de la population ; cf. Statis‐ tisches Bundesamt 2018 : 63). Les compétences linguistiques de la population germano-turque ne sont pas précisément documentées, mais selon le dernier recensement, le turc est la langue prédominante dans 1,4 % des ménages allemands (cf. Statistisches Bundesamt 2018 : 485). Notre contribution s’organise comme suit. Dans la section 2, nous résumerons les résultats d’études récentes sur l’apprentissage de la prononciation du FLE dans le contexte plurilingue en Allemagne. Ensuite, la section 3 sera consacrée à la description des langues de notre échantillon, c’est-à-dire l’allemand, le français et le turc, d’un point de vue intonatif. La section 4 exposera notre étude empirique portant sur des données de productions et de perception. Après en avoir présenté la méthodologie (4.1), nous exposerons les résultats obtenus (4.2). Dans un premier temps, nous présenterons les résultats de l’analyse intonative d’un petit corpus de parole lue (4.2.1). Dans un deuxième temps, nous aborderons 48 Christoph Gabriel, Jonas Grünke (Mayence) <?page no="49"?> la perception des mêmes données au moyen d’une tâche d’évaluation du degré d’accent étranger mise en œuvre avec (i) des juges natifs issus de divers pays francophones et (ii) de (futur.e.s) professeur.e.s du FLE allemand.e.s. La section 5, enfin, propose une brève discussion des résultats et indique quelques directions pour la recherche future. 2 L’apprentissage de la prononciation française par des apprenant.e.s plurilingues Dans leurs études sur les propriétés temporelles de l’anglais, du français et de l’espagnol comme langues étrangères chez des apprenant.e.s bilingues allemand-chinois et allemand-turc, Gabriel/ Rusca-Ruths (2015) et Gabriel et al. (2015) ont constaté de légers indices d’un avantage bilingue. Leurs mesures du rythme prosodique ont révélé que les apprenant.e.s plurilingues qui font preuve d’un degré élevé de conscience phonologique et interlinguistique et qui affichent une attitude positive à l’égard de leur langue d’origine et de la langue étrangère respective ont obtenu des résultats plus proches de la cible que leurs pairs monolingues. Ceci, à son tour, suggère que certains facteurs extralinguistiques peuvent faciliter le transfert positif de la langue d’origine vers la L3. Enfin, les mesures de VOT faites par Gabriel et al. (2016) suggèrent qu’en plus de la conscience phonologique et des attitudes des apprenant.e.s, l’enseignement de la prononciation en classe de FLE joue un rôle important : ni les apprenant.e.s bilingues (allemand.e.s-chinois.es) ni les apprenant.e.s allemand.e.s monolin‐ gues n’atteignent des valeurs cibles pour les occlusives en FLE, tandis que la majorité des apprenant.e.s monolingues chinois.es (enregistré.e.s à Pékin) à qui les enseignants chinois ont explicitement signalé d’éviter l’aspiration des occlusives / p t k/ en français, produisent des valeurs de VOT similaires à celles du groupe de contrôle monolingue français. La production d’occlusives en termes de VOT a également été abordée par Llama/ López-Morelo (2016). Les auteures ont analysé des données recueillies auprès de locuteurs bilingues espagnol-anglais qui avaient participé à un programme d’immersion en français au Canada anglophone et ont montré que les valeurs de VOT produites par les bilingues en français L3 étaient influencées par l’anglais, bien que leur langue d’origine, l’espagnol, ne montre pas cette influence. Ce résultat suggère que la langue environnante (l’anglais), qui est aussi la langue de l’enseignement scolaire, surpasse la langue d’origine (l’espagnol) comme base de transfert positif vers la langue étrangère (le français). Cette opinion est appuyée par les travaux de Gabriel et al. (2018a) et de Dittmers et al. (2018) qui étudient la production des occlusives sourdes et sonores anglais, français et russe comme langues 49 L’intonation en français L3 chez des apprenant.e.s bilingues allemand-turc <?page no="50"?> 1 Bien que le r turc soit réalisé comme une vibrante battue alvéolaire (typiquement dévoisée en fin de mot ; cf. Göksel/ Kerslake 2005 : 9), les réalisations des apprenant.e.s en FLE correspondent à des fricatives uvulaires et sont donc conformes à la langue cible. étrangères produites par de jeunes bilingues turc-allemand et russe-allemand : alors que pour / p t k/ , les multilingues produisent en français L3 des valeurs de VOT plus proches de la langue cible que les apprenant.e.s monolingues allemand.e.s, ils/ elles ne réussissent pas à pré-voiser / b d ɡ/ . Pourtant, leurs langues d’origine respectives (le turc et le russe) ont conservé ce trait qui aurait donc pu être positivement transféré vers le français. Un effet positif du turc sur l’apprentissage de l’anglais et du français a également été constaté par Ösazlan/ Gabriel (2019). Les auteur.e.s ont montré que les apprenant.e.s bilingues allemand-turc réussissaient mieux à éviter le transfert négatif du dévoisement final (all. Auslautverhärtung) vers les langues étrangères que les apprenant.e.s al‐ lemand.e.s monolingues. Ce processus, qui neutralise le contraste de voisement entre occlusives et fricatives sourdes et sonores en position de coda syllabique (p. ex., Kind [kɪnt] ‘enfant’ vs Kinder [ˈkɪn.dɐ] ‘enfants’), mène couramment à des erreurs de segmentation dans l’anglais et le français des apprenant.e.s monolingues telles que angl. bad ‘mauvais’, prononcé avec un / d/ final dévoisé (donnant *[bæt]) ou fr. gaz, prononcé avec une réalisation sonore du / z/ final (*[ɡas]). L’étude de Gabriel et al. (2021), finalement, a mis en évidence que les apprenant.e.s bilingues allemand-turc arrivent également à éviter, dans la plupart des cas, le transfert négatif d’une autre règle phonologique de l’allemand vers le FLE : lorsque les monolingues tendent à vocaliser le / ʁ/ français en position de coda syllabique selon le modèle de l’allemand (ce qui donne des productions comme [kʏlˈtyɐ̯] (culture), calquées sur l’allemand Kultur [kʊlˈtuɐ̯]), les plurilingues semblent se pencher plutôt sur le turc (où le r maintient son caractère consonantique en position finale : kültür [kyltyɾ̥]) et, par conséquent, tendent à prononcer correctement culture [kyltyʁ]. 1 Reste à souligner, pour finir, que la présence ou l’absence du transfert négatif de la vocalisation du r a un impact sur le rythme prosodique, c’est-à-dire sur la distribution des intervalles vocaliques et consonantiques (cf. Abercrombie 1967 ; Pike 1945 ; Auer/ Uhmann 1988 ; Ramus et al. 1999 ; White/ Mattys 2007 ; Kinoshita/ Sheppard 2011). C’est ainsi que dans l’étude de Gabriel et al. (2021) les données produites par les apprenant.e.s plurilingues sont caractérisées par une variabilité vocalique moins élevée (et plus conforme à celle du français natif) que celles des apprenant.e.s monolingues. Cela signifie que le rythme des données du premier groupe est également plus conforme à celui de la langue cible. En résumé, les recherches sur l’apprentissage de la prononciation du FLE dans le contexte plurilingue ont mis en évidence certains signes d’un avantage 50 Christoph Gabriel, Jonas Grünke (Mayence) <?page no="51"?> 2 Cf., p. ex., Wattendorf et al. (2014) qui ont constaté que les bilingues précoces diffèrent des bilingues tardifs dans le traitement linguistique d’une L3. 3 C’est ainsi que les tons de frontière permettent de distinguer, par exemple, les interro‐ gations totales (qui se terminent par un ton ascendant H%) et les déclaratives (avec une descente finale, L% ; cf., p. ex., Féry 1993). bilingue au niveau de la phonologie segmentale. De tels résultats vont au-delà non seulement d’un « avantage bilingue » général souvent mentionné dans la littérature 2 , mais aussi au-delà des propriétés générales de la parole non native telles qu’un débit de parole plus lent (cf. Gut et al. 2008 : 10-11), un registre tonal réduit (cf. Jenner 1976 ; Mennen 2008 : 55) et une utilisation moins variable de la fréquence fondamentale (cf. Zimmerer et al. 2014). 3 Les systèmes intonatifs du français, du turc et de l’allemand : similarités et différences En ce qui concerne l’intonation, c’est-à-dire l’utilisation systématique de la fréquence fondamentale (F0) mesurée en hertz (Hz), le français et le turc sont assez semblables, tandis que l’allemand diffère considérablement de ces deux langues. En tant que « langue de mots » typique (cf. Caro Reina/ Szczepaniak 2014), l’allemand présente un système intonatif essentiellement basé sur la position des syllabes métriquement fortes du mot lexical ( Jun 2014). Ainsi les contours de F0 allemands sont-ils déterminés de manière décisive par les deux caractéristiques suivantes : 1. Les syllabes toniques (spécifiées comme telles au niveau lexical) sont marquées par des mouvements tonals locaux (accents de hauteur ou tonals ; angl. pitch accents). Ceci permet des paires minimales comme Tenor ‘ténor’ vs Tenor ‘teneur (d’un texte)’. 2. Différents signifiés pragmatiques (comme, par exemple, l’évidence ou l’étonnement) et la modalité de la phrase sont exprimés par des mou‐ vements tonals associées aux limites des phrases prosodiques (tons de frontière ; angl. boundary tones). 3 Contrairement à cela, l’accentuation lexicale des mots manque en français, ce qui a mené Rossi (1980) à le qualifier de « langue sans accent ». Au lieu de cela, le français présente un système intonatif basé sur le phrasé prosodique qui dépend essentiellement de la répartition de la parole en unités plus petites. Le fait que l’intonation française s’appuie entièrement sur la distribution de frontières prosodiques dans la chaîne parlée a également été reflété dans la terminologie scientifique : c’est ainsi que le français s’est vu attribuer, dans 51 L’intonation en français L3 chez des apprenant.e.s bilingues allemand-turc <?page no="52"?> la terminologie de Jun (2014), la dénomination d’une « langue basée sur les confins » (angl. edge-based language). Les contours intonatifs du français sont réalisés par des excursions de F0 qui se produisent (obligatoirement) à la fin et (facultativement) au début des groupes rythmiques, appelés « phrases accentuelles » (PA, angl. accent phrase, cf. Jun/ Fougeron 2000 ; Delais-Roussarie et al. 2015) ou « syntagmes accentuels », d’après la terminologie proposée par Kaminskaïa (2009). Le schéma (ou : gabarit) sous-jacent et ses possibles réalisations de surface sont illustrés par les syntagmes présentés au Tableau 1 : la montée finale obligatoire, symbolisée « LH* » (angl. low tone and high pitch accent), est ancrée à la frontière droite de la phrase accentuelle et réalisée sur la dernière syllabe de celle-ci. Plus la phrase accentuelle est longue, plus il est probable que s’y produit, en sus du contour F0 ascendant final, une montée initiale (facultative), symbolisée « aLHi » (angl. (left-)aligned low tone plus initial high tone). transcription en API forme de surface dérivée de / aLHi LH*/ contour de F0 schématisé culte [ ˈkylt ] [L H ] culture [kyl ˈtyʁ ] [L H ] culturel [kylty ˈʁɛl ] [L H ] culturellement [ ˌkyl tyʁɛl ˈmɑ̃ ] [L H L H ] culturellement actif [ ˌkyl tyʁɛlmɑ̃ ak ˈtif ] [L H L H ] Tab. 1 : Réalisations de surface du gabarit sous-jacent / aLHiLH*/ dans la phrase accen‐ tuelle française d’après Delais-Roussarie et al. (2015 : 70). Les syllabes accentuées (finales et initiales) sont marquées par des tons hauts (H) indiqués en caractères gras. Le turc, enfin, occupe une position intermédiaire entre l’allemand et le français. Ceci se manifeste dans le fait que dans le cas non-marqué les mots turcs portent un accent tonal haut sur la dernière syllabe. Göksel/ Kerslake (2005 : 26) appellent ce type de mots, qui constituent la plus grande partie du vocabulaire turc, les « racines régulières » (angl. regular roots). Si celles-ci sont complétées, conformément à la structure agglutinante de la langue turque, par des suffixes (accentués), l’accent tonique se déplace régulièrement vers la dernière syllabe, comme l’illustrent les exemples suivants : 52 Christoph Gabriel, Jonas Grünke (Mayence) <?page no="53"?> müdür ‘directeur’ [my ˈdyɾ̥ ] müdürlük ‘direction’ [mydyɾ ˈlyk] müdürlüğümüz ‘notre direction’ [mydyɾlyː ˈmyz] müdürlüğümüzden ‘de notre direction’ [mydyɾlyːmyz ˈdæn] Tab. 2 : Réalisation de surface du mot phonologique turc. L’accent final est marqué en caractères gras. De plus, la première syllabe de ces mots prosodiques (composés de racines et d’éventuels suffixes) est normalement marquée par un ton initial bas (L) (Özge/ Bozsahin 2010 : 140-144 ; Kamalı 2011 ; İpek/ Jun 2013). Cela constitue un parallèle frappant avec le ton bas initial (aL) et le mouvement ascendant final, (L)H*, de la phrase accentuelle française, comme nous l’avons décrite ci-dessus. Pourtant, le turc présente également un nombre bien défini d’exceptions à ce schéma général, qui suivent plutôt le modèle de l’intonation allemande, basé sur les mots : notamment, ce que Göksel/ Kerslake (2005 : 27) appellent les « racines irrégulières » (angl. irregular roots), c’est-à-dire, quelques toponymes tels que Ankara, accentué sur la syllabe initiale, et İstanbul (accentué sur la pénultime) ou certains emprunts lexicaux tels que lokanta ‘café, restaurant’ (< italien locanda) ainsi que les suffixes inaccentuables, comme, par exemple, l’affixe négatif -m(A)qui bloque le déplacement de l’accent vers la droite et produit, en revanche, des formes verbales telles que gel[ NÉG m]iyorsunuz ‘vous ne venez pas’ ou kal[ NÉG ma]dınız ‘vous n’êtes pas resté.e.s’. Par contre, les formes positives correspondantes présentent une proéminence finale régulière, c’est-à-dire geliyorsunuz ‘vous venez’, kaldınız ‘vous êtes resté.e.s’). Ainsi ces exceptions peuvent-elles même donner lieu à des contrastes sémantiques exprimées uniquement à travers la position de l’accent tonique, p. ex., dans benim ‘mon’ (ben ‘moi’ + suffixe possessif) vs benim ‘c’est moi’ (ben ‘moi’ + suffixe copulatif) ou bien dans ordu ‘armée’ vs Ordu (toponyme, ville située aux bords de la mer Noire), ce qui est illicite en français. 4 Étude empirique Il est raisonnable de supposer que les similarités entre le turc et le français dans le domaine prosodique ébauchées ci-dessus - absence (partielle) d’un accent lexical et système intonatif basé sur le phrasé - devraient faciliter l’apprentis‐ sage de l’intonation du FLE par des apprenant.e.s bilingues allemand-turc. Contrairement aux apprenant.e.s monolingues allemand.e.s, les bilingues de‐ 53 L’intonation en français L3 chez des apprenant.e.s bilingues allemand-turc <?page no="54"?> vraient profiter des parallèles existants entre l’une de leurs langues natives et la langue cible. Ainsi devraient-ils, à travers le transfert positif des caractéristiques mélodiques du turc vers le français, obtenir des rendements plus proches de la cible française que leurs condisciples monolingues. Nous visons donc à vérifier l’hypothèse suivante : Hypothèse : Les apprenant.e.s bilingues allemand-turc profitent des ressemblances des systèmes intonatifs français et turc et produisent l’intonation du FLE d’une manière plus conforme à la langue cible (transfert positif du turc sur le français). Pour corroborer cette hypothèse, nous analysons un petit corpus de parole lue sous un angle intonatif ; les mesures sur lesquelles se base notre analyse sont exposées dans la section 4.1.1, ci-dessous. Un deuxième objectif de notre enquête est de déterminer si les « meilleures » réalisations produites par les apprenant.e.s, c’est-à-dire celles qui sont le plus proches du modèle mélodique du français, sont reconnues comme telles par les auditeur/ trice.s. En d’autres mots : nous sommes intéressés à savoir si l’effort indéniable d’acquérir la prosodie du FLE d’une manière conforme à la langue cible vaut vraiment la peine. À cette fin, nous incluons dans notre étude aussi la perception, que nous abordons au moyen d’une tâche d’évaluation du degré d’accent étranger mise en œuvre avec des juges natif/ ve.s et non natif/ ve.s. Dans ce qui suit, nous exposons, dans un premier temps, la méthodologie de notre étude empirique (cf. section 4.1), avant de présenter, dans un deuxième temps, les résultats des mesures phonétiques et de la tâche d’évaluation effectuées (cf. section 4.2). 4.1 Méthodologie Dans ce qui suit, nous allons expliquer d’abord le déroulement de la collecte et de l’analyse des données de production (cf. section 4.1.1), avant d’aborder, dans un deuxième temps, la procédure de l’expérimentation réalisée pour le côté perceptif, ses participant.e.s et l’analyse des évaluations recueillies (cf. section 4.1.2). 4.1.1 Production Collecte de données. Pour vérifier notre hypothèse, nous avons analysé un petit corpus de données lues par deux groupes d’apprenant.e.s du FLE : • 8 apprenant.e.s allemand.e.s monolingues (dont 4 locuteurs masculins ; groupe M) • 6 apprenant.e.s bilingues allemand-turc (dont 3 locuteurs masculins ; groupe B). 54 Christoph Gabriel, Jonas Grünke (Mayence) <?page no="55"?> 4 Le Gymnasium est un établissement d’enseignement secondaire allemand (et autrichien) qui équivaut approximativement au collège et lycée français. Tous les participant.e.s sont né.e.s en Allemagne. Parmi le groupe B, quatre personnes avaient au moins un parent né en Allemagne ; il s’agit donc d’immigré.e.s de seconde ou troisième génération qui parlent le turc en tant que langue d’origine. Au moment des enregistrements, tous les participant.e.s de notre échantillon fréquentaient le Gymnasium  4 en Allemagne, étaient âgés de 15 à 17 ans et en étaient à leur troisième année d’études en FLE. Le groupe de contrôle monolingue français (F-L1) était composé de trois locutrices originaires du nord de la France (âgées de 21 à 23 ans). Au moment de la collecte des données, elles étaient étudiantes en échange à l’université de Mayence (Allemagne). Elles avaient suivi des cours d’anglais pendant huit ans à l’école, mais n’avaient pas de connaissances avancées d’autres langues étrangères. Leur maîtrise de l’allemand étant très faible, les instructions pendant la session d’enregistrement ont été données en français. Les données des deux groupes d’apprenant.e.s ont été recueillies en Alle‐ magne du Nord en 2016 dans le cadre du projet MEZ (Mehrsprachigkeitsent‐ wicklung im Zeitverlauf ‘Une perspective longitudinale sur le développement multilingue’ ; cf. www.mez.uni-hamburg.de et Brandt et al. 2017) ; les données de contrôle françaises (F-L1) ont été enregistrées en 2018 à l’université de Mayence. Les participant.e.s ont lu à haute voix un récit bref, tiré d’un manuel scolaire : « Amandine fait du sport » (147 mots ; cf. Jouvet 2006). Les enregistrements ont été transcrits sur les niveaux orthographique et segmental en utilisant les logiciels EasyAlign (Goldman 2011) et Praat (Boersma/ Weenink 2018). Les erreurs commises par l’outil de segmentation automatique ont été corrigées ma‐ nuellement. Après avoir écarté tout passage caractérisé par de fortes disfluences verbales, le corpus à analyser consistait en 5 phrases par participant.e se prêtant à des analyses plus approfondies. Analyse des données. Pour l’analyse intonative, nous nous sommes servis du logiciel ANALOR (Avanzi et al. 2008a ; Avanzi et al. 2008b ; Delais-Rous‐ sarie/ Feldhausen 2014 ; Martin 2015 : 41-43), qui attribue à chaque syllabe des valeurs de proéminence comprises entre 0 (« non proéminent ») et 10 (« proéminence la plus élevée possible ») en fonction des paramètres considérés comme pertinents pour le marquage de proéminences en français : notamment, (1) la durée relative des syllabes, (2) la moyenne de F0 relative, (3) l’amplitude du contour F0 et (4) la présence ou absence de pauses silencieuses adjacentes. Plus la valeur de proéminence attribuée par ANALOR à une syllabe finale d’un mot est élevée, plus forte est considérée la frontière de la phrase respective. Sur la base des valeurs assignées à chaque syllabe par ANALOR, nous avons déterminé 55 L’intonation en français L3 chez des apprenant.e.s bilingues allemand-turc <?page no="56"?> 5 Bien que le questionnaire ait été adressé, en théorie, à tout type de locuteur/ trice natif/ ve du français, finalement, la plupart des participant.e.s natif/ ve.s étaient des étudiant.e.s. Ceci se reflète aussi bien dans la moyenne d’âge que dans le grand nombre de personnes ayant suivi un cursus universitaire en lettres modernes, linguistique ou sciences du langage. 6 Au moment de la collecte des données, 3 participant.e.s demeuraient temporairement en France afin d’y effectuer un stage Erasmus+. des scores de déviation pour chaque apprenant en soustrayant celles-ci de la valeur moyenne atteinte par le groupe de contrôle français (F-L1). Ensuite, nous avons calculé la moyenne de ces écarts pour obtenir un score de déviation par chaque phrase et chaque participant.e. Plus le score de déviation obtenu par un.e apprenant.e était faible, plus son intonation était proche de la cible native. 4.1.2 Perception : une tâche d’évaluation du degré d’accent Participant.e.s et conception de la tâche. La seconde partie de l’étude con‐ sistait en une tâche d’évaluation du degré d’accent effectuée en ligne avec deux groupes de juges, 130 (futur.e.s) professeur.e.s de FLE germanophones (groupe P) et 85 locuteur/ trice.s natif/ ve.s français.es, issu.e.s de France et du Canada (groupe N). 5 Les informations linguistiques et sociales sur les participant.e.s sont résumées dans le Tableau 3. Groupe P : (futur.e.s) professeur.e.s de FLE N : natif/ ve.s français.es Nombre 130 85 L1 allemand français Lieu de résidence (habituel) Allemagne (114) 6 Autriche (16) Canada (50) France (35) Âge 18-63 moyenne 26,78 médiane 24 76 % ayant moins de 30 ans 18-58 moyenne 25,56 médiane 22 80 % ayant moins de 30 ans Profession/ plus haut niveau de for‐ mation atteint 42 (32,3 %) professeur.e.s de FLE dans différents types d’écoles (surtout Gymnasium), 88 (67,7 %) étudiant.e.s de français (en formation d’ensei‐ gnant.e.s) 28 (33 %) diplôme universitaire, 55 (65 %) baccalauréat/ diplôme d’études collégiales (ou com‐ parable) 2 (2 %) brevet d’études 86 % ont suivi un cursus uni‐ versitaire en lettres modernes, linguistique ou sciences du langage 56 Christoph Gabriel, Jonas Grünke (Mayence) <?page no="57"?> Période de la col‐ lecte des données Août - octobre 2019 Septembre 2019 - janvier 2020 Tab. 3 : Les participant.e.s de la tâche d’évaluation du degré d’accent La partie principale de la tâche en ligne, créée avec SoSci Survey (https: / / www.so scisurvey.de/ ), consistait en une évaluation des 14 réalisations de la phrase-cible 1 (Le chat s’appelle Amandine), lues par les apprenant.e.s des groupes B et M (cf. ci-dessus). Ce choix est motivé comme suit. Premièrement, pour éviter que les participant.e.s ne perdent leur capacité d’attention, nous devions nous limiter à l’évaluation d’une seule phrase par apprenant.e. Deuxièmement, une phrase non complexe a été sélectionné en raison des caractéristiques de l’intonation française (cf. section 3, ci-dessus), dont l’unité de base est la phrase accentuelle (variable) plutôt que le mot (fixe). La répartition du discours en unités intonatives est donc d’autant plus variable que la phrase respective est longue et complexe. Cela signifie qu’il est difficile de déterminer le contour d’un modèle natif pour l’intonation d’éléments complexes, ce qui complique la comparaison des données de l’apprenant.e avec les données natives. Les énoncés courts, en revanche, tels que la phrase choisie Le chat s’appelle Amandine, sont phrasés nécessairement de manière plus uniforme et se prêtent donc plus à des comparaisons. Dans le cadre de la tâche d’évaluation proprement dite, les participant.e.s ont été prié.e.s d’évaluer l’intonation de la phrase en ne considérant que la mélodie des enregistrements (présentés en données brutes sans aucune manipulation et dans un ordre aléatoire) et en ignorant, dans la mesure de leur possible, le niveau segmental, c’est-à-dire, les sons mal prononcés. Au début et au milieu de la tâche, les deux groupes avaient la possibilité d’écouter 3 exemples de réalisations natives de la phrase cible pour s’orienter, mais seulement les participant.e.s du groupe P ont été encouragé.e.s explicitement à les écouter attentivement et de les comparer avec les réalisations non natives. Pour le groupe P (les (futur.e.s) professeur.e.s germanophones), l’échelle appliquée s’étendait de 1 (« perfekt » ‘parfait, impeccable’) à 6 (« grauenhaft » ‘horrible’) en correspondance aux notes scolaires allemandes ; pour le groupe N, cette échelle a été inversée, s’étendant ainsi de 1 « horrible » à 6 « impeccable ». Signalons que la version française a été reconvertie dans l’échelle allemande aux fins de l’analyse (cf. ci-dessus). Pendant toute la tâche, les participant.e.s pouvaient naviguer en avant et en arrière pour comparer les réalisations et modifier leurs évaluations. Chaque production a été présentée individuellement sur l’écran de la manière montrée dans la Figure 1. 57 L’intonation en français L3 chez des apprenant.e.s bilingues allemand-turc <?page no="58"?> 7 Il est évident que la conception de ce qui représente une « bonne prononciation » est aussi subjective que la notion d’une « prononciation standard ». Fig. 1 : Exemple d’un élément du test en ligne En plus, la tâche d’écoute contenait un bref questionnaire portant sur les données biographiques de base qui incluait aussi des questions sur la conscience métalinguistique afin de pouvoir estimer ultérieurement l’effet des facteurs extralinguistiques, tels que, par exemple, l’intérêt pour la phonétique/ phono‐ logie et les connaissances respectives, sur l’exactitude des évaluations. Cette partie était adaptée aux deux groupes de participant.e.s : les répondant.e.s du groupe P ont été appelé.e.s à auto-évaluer leurs connaissances en phonétique et phonologie du français, à indiquer s’ils pensaient qu’il s’agissait d’un élément clé de la formation d’enseignant.e.s, s’ils se sentaient suffisamment préparé.e.s pour enseigner la prononciation à l’école, et enfin, s’ils considéraient qu’il était important pour eux et leurs élèves d’avoir une bonne prononciation 7 . Les réponses données dans cette partie ont été intégrées postérieurement dans le calcul d’une valeur « phono » pour chaque participant.e, exprimant le degré in‐ dividuel de connaissances en phonétique/ phonologie ainsi que de sensibilisation et d’intérêt pour ce domaine. Pour ce faire, les taux de consentement aux cinq énoncés mentionnés, exprimés sur une échelle de 1 à 6, ont été additionnés et la somme a été diminuée de 5, ce qui a donné des valeurs comprises entre 0 (« très conscient de la phonétique/ phonologie ») et 25 (« complètement ignorant »). Quant aux résultats, les valeurs obtenues s’étendaient de 0 à 16 (moyenne 5,13). Il est intéressant de noter, cependant, que les étudiant.e.s ont une moyenne légèrement plus basse (4,93) que les professeur.e.s en fonction (5,55). C’est probablement lié au fait que, contrairement aux étudiant.e.s, les professeur.e.s 58 Christoph Gabriel, Jonas Grünke (Mayence) <?page no="59"?> n’étaient pas actuellement en contact avec la phonétique et la phonologie et qu’ils ont peut-être oublié certaines connaissances explicites dont ils avaient disposé pendant leurs études. Pourtant, cette différence n’est pas significative (t (62.626) = 0.920, p = 0.361). Dans le cas du groupe N, cette partie du questionnaire a dû être restreinte à la suivante question à choix multiples, puisque nous ne pouvions pas nous attendre à ce que les natif/ ve.s aient en général des connaissances de phonétique et phonologie (cf. note de bas de page 6) : (1) Avez-vous des connaissances en phonétique/ phonologie ? a. Je ne sais pas de quoi il s’agit. b. Je sais de quoi il s’agit, mais je n’ai pas vraiment des connaissances. c. J’ai quelques connaissances. d. J’ai des bonnes connaissances. Méthode/ Procédure d’analyse. Pour ce qui est de la partie principale de la tâche d’évaluation, nous avons calculé des moyennes individuelles pour chaque phrase ainsi que des moyennes globales pour les groupes M et B. Ces valeurs, issues de la tâche d’évaluation du degré d’accent, ont été comparées aux scores de déviation calculés pour les phrases respectives (cf. ci-dessus). Afin de déterminer si les enseignant.e.s en fonction ou les participant.e.s ayant une conscience métalinguistique élevée ont mieux évalué l’intonation des apprenant.e.s que les étudiant.e.s ou les participant.e.s ayant une conscience métalinguistique moindre, nous avons normalisé (en calculant la cote z) les notes individuelles données par chaque évaluateur. Cette procédure nous a permis de voir quel.le.s apprenant.e.s étaient évalué.e.s mieux ou moins bien en relation à la moyenne en tenant compte de l’échelle individuelle de chaque juge, c’est-à-dire, de voir qui a été perçu comme étant un « bon » ou un « mauvais » élève. Elle nous a également permis de supprimer la variation résultant des différents degrés de rigueur des juges dans leurs évaluations. Par la suite, nous avons normalisé les scores de déviation de chaque appre‐ nant.e, ce qui nous a permis de voir sur une échelle neutre quel.le.s apprenant.e.s avaient une intonation plus proche de la langue cible que la moyenne. Finalement, nous avons calculé un score d’exactitude pour chaque évalua‐ teur/ trice.s en soustrayant les deux valeurs z susmentionnées et avons déterminé la moyenne de ces écarts. Par conséquent, les évaluateur/ trice.s ayant un score d’exactitude numériquement bas sont considéré.e.s comme étant plus aptes à évaluer l’intonation des apprenant.e.s que ceux/ celles qui présentent un score d’exactitude élevé. 59 L’intonation en français L3 chez des apprenant.e.s bilingues allemand-turc <?page no="60"?> 4.2 Résultats 4.2.1 Production Les résultats montrent que le groupe bilingue turc-allemand (B) ne se comporte pas de manière radicalement différente du groupe monolingue allemand (M). Le Tableau 4 présente les scores de déviation des apprenant.e.s par rapport aux valeurs moyennes atteintes par le groupe de contrôle français, séparément pour les cinq phrases et calculées sur la base des données d’ANALOR. M1 M2 M3 M4 M5 M6 M7 M8 Ø 1 0,42 0,32 1,21 1,02 0,55 0,30 0,48 0,88 0,65 2 0,47 0,88 1,30 0,35 0,39 0,84 1,02 0,86 0,77 3 1,39 1,43 0,82 1,07 1,24 1,15 0,58 1,27 1,12 4 1,11 0,97 1,96 0,72 0,60 1,06 0,64 1,98 1,13 5 0,54 0,37 0,36 1,07 0,16 0,34 0,52 1,35 0,59 0,89 0,96 1,16 0,84 0,73 0,86 0,67 1,27 0,92 B1 B2 B3 B4 B5 B6 Ø 1 1,03 0,44 0,38 0,77 0,89 0,33 0,64 2 0,49 0,41 0,56 0,61 0,72 1,42 0,70 3 0,81 0,73 0,67 1,01 0,70 1,55 0,91 4 1,23 1,66 0,98 2,27 1,27 0,68 1,35 5 0,39 0,89 0,53 1,14 0,44 1,32 0,79 0,82 0,81 0,65 1,14 0,82 1,15 0,90 Tab. 4 : Scores de déviation des cinq phrases lues (1-5) par chaque apprenant.e, basés sur les valeurs de proéminence attribuées par ANALOR à chaque syllabe, et moyenne (Ø). Tableau supérieur : groupe M, tableau inférieur : groupe B. La différence entre les scores de déviation moyennes de 0,92 (M) et 0,90 (B) n’est pas significative (ANOVA (F(1, 69) = 0.063, p = 0.803). Cela signifie que, contrairement à nos hypothèses, les deux groupes ont obtenu des résultats presque identiques. En général, les productions ratées semblent être le résultat d’une interprétation erronée des montées finales des phrases accentuelles 60 Christoph Gabriel, Jonas Grünke (Mayence) <?page no="61"?> françaises prises par les apprenant.e.s par des accents toniques sur la syllabe finale de mot. Cette production fautive d’accents toniques supplémentaires est décelable dans la représentation graphique des scores de déviation moyennes des appre‐ nant.e.s dans la phrase 1 Le chat s’appelle Amandine (Fig. 1). Le groupe M affiche un score de déviation particulièrement élevé sur la syllabe -pelle [pɛl], indiquant une frontière prosodique non conforme à la langue cible placé devant le mot Amandine. Bien que l’écart-type entre les scores de déviation des deux groupes mesurés pour cette syllabe ne corresponde pas à une différence significative, ce trait semble être absent de la production des bilingues, qui, en revanche, affichent un score de déviation légèrement plus élevé sur le chat ; cf. Fig. 2. Fig. 2 : Scores de déviation moyens des réalisations de la phrase 1 produites par les apprenant.e.s M (gris foncé) et B (gris clair). Pour résumer, les résultats montrés dans le Tableau 2 indiquent que les deux groupes d’apprenant.e.s n’ont pas encore acquis l’unité de base de l’intonation française, à savoir la phrase accentuelle, qu’ils soient bilingues et parlent le turc comme langue d’origine ou qu’ils aient été élevé.e.s comme monolingues allemand.e.s. 4.2.2 Perception Dans ce qui suit, nous considérons les résultats selon les deux groupes de juges. Auprès du groupe P, les productions des apprenant.e.s ont obtenu une évaluation moyenne de 3,01 (sur une échelle « allemande », de 1 à 6). La moyenne d’évaluation pour le groupe M (2,92) révèle que leur intonation est perçue comme étant légèrement plus proche de la cible que celle des bilingues (groupe B, moyenne : 3,14), quoique les scores de déviation reflétant la production des deux groupes soient pratiquement identiques (0,64 contre 0,65). Auprès du groupe N, l’évaluation moyenne était légèrement inférieure (3,12). Ceci vaut également pour les moyennes des deux groupes d’apprenant.e.s (M : 2,97 ; B : 3,33) (cf. Fig. 3). Comme on sait que le rythme du français parlé au Québec diffère légèrement 61 L’intonation en français L3 chez des apprenant.e.s bilingues allemand-turc <?page no="62"?> de celui du français hexagonal (cf. Tennant 2012), nous avons vérifié aussi si l’origine des juges natif/ ve.s avait un effet sur leurs évaluations. Toutefois, les moyennes attribuées aux deux groupes d’apprenant.e.s par les Canadien.ne.s (M : 2,97 ; B : 3,37) étaient pratiquement identiques à celles attribuées par les Français.es (M : 2,97 ; B : 3,28) et il n’y avait pas de différences statistiquement significatives (t (66.285) = -0.015, p = 0.988 ; t (71.297) = -0.647, p = 0.520). Pourtant, il est intéressant de noter tant le groupe P comme le groupe N aient évalué les réalisations des apprenant.e.s bilingues comme légèrement moins ciblées en comparaison à celles des monolingues (les différences entre les moyennes sont statistiquement significatives ; groupe P : t (249.7) = 2.771, p = 0.006 ; groupe N : t (167.62) = 3.717, p < 0.001) bien qu’il n’y ait pas de différence significative entre les scores de déviation. Ceci suggère que d’autres facteurs pourraient également entrer en jeu, de manière que quelques évaluateur/ trice.s ont pris en compte, au moins partiellement, des facteurs autres que la mélodie de la phrase comme, par exemple, le débit de parole ou des erreurs segmentales. Fig. 3 : Évaluations par les (futur.e.s) professeur.e.s (à gauche) et les natif/ ve.s franco‐ phones (à droite) Ces facteurs ne sont pas contrôlables sans procéder à une manipulation des données brutes. Ce qui est en fait plus important que les évaluations moyennes attribuées aux deux groupes d’apprenant.e.s, c’est de savoir si les juges ont la capacité de reconnaître les « bonnes » et les « mauvaises » réalisations. Le Tableau 4 reprend donc les scores de déviation et présente les notes moyennes pour la première phrase de chaque apprenant.e. 62 Christoph Gabriel, Jonas Grünke (Mayence) <?page no="63"?> (futur.e.s) professeur.e.s (P) natif/ ve.s français.es (N) dévia‐ tion étendue moyenne écart-type étendue moyenne écart-type M1 0,42 1-6 3,26 1,09 1-6 3,67 0,97 M2 0,32 1-6 2,72 0,99 1-5 2,86 1,03 M3 1,21 1-6 3,24 1,11 1-5 3,00 1,07 M4 1,02 2-6 4,40 0,98 2-6 4,44 0,87 M5 0,55 1-5 2,35 0,93 1-5 2,16 0,99 M6 0,3 1-5 1,69 0,78 1-4 1,78 0,79 M7 0,48 1-5 2,62 0,91 1-5 2,62 0,96 M8 0,88 1-6 3,06 1,02 1-6 3,22 1,17 B1 1,03 1-5 3,04 1,05 1-6 3,84 1,09 B2 0,44 1-6 3,12 1,24 1-6 3,44 1,21 B3 0,38 1-6 3,73 1,26 1-6 3,53 1,08 B4 0,77 1-6 3,92 1,15 1-6 3,95 0,99 B5 0,89 1-6 3,48 1,27 1-6 3,53 1,12 B6 0,33 1-4 1,56 0,72 1-4 1,71 0,78 Tab. 5 : Évaluations données par les deux groupes Comme le montre le graphique donné ci-dessus (Fig. 3), les évaluateur/ trice.s ont généralement réussi à reconnaître les « bons » et les « mauvais » élèves par rapport aux monolingues et à exprimer dans leurs évaluations les différences qu’ils perçoivent : par exemple, les deux « meilleurs » apprenants, M6 et B6, ont également obtenu les meilleures notes. Néanmoins, d’autres facteurs semblent également entrer en jeu, puisque les apprenant.e.s ayant les scores de déviation les plus élevés (M3, B1, M4, B5) ne sont que partiellement identiques aux apprenant.e.s les moins bien notés (M4, B4, B3, B5 dans le groupe P et M4, B4, B1, M1 dans le groupe N). Les valeurs d’exactitude calculées pour les évaluateur/ trice.s du groupe P selon la méthodologie expliquée ci-dessus allaient de 0,56 à 1,31 et présentaient une moyenne de 0,87. La moyenne des 42 enseignant.e.s en service n’étant pas 63 L’intonation en français L3 chez des apprenant.e.s bilingues allemand-turc <?page no="64"?> différente de celle des enseignant.e.s en formation (0,873 vs 0,879), nous con‐ cluons que l’expérience d’enseignement n’améliore pas de manière significative la capacité d’évaluer si la production d’un.e apprenant.e est ou non conforme à une cible native donnée. Pour ce qui est des connaissances en phonétique et phonologie, comme nous avons déjà vu dans la section 4.1.2, les valeurs « phono » calculées pour le groupe P (enseignant.e.s germanophones) vont de 0 à 16 sur une échelle de 0 à 25 (moyenne : 5,13). Ces valeurs numériquement plutôt basses signifient que les juges du groupe P possèdent généralement d’assez bonnes connaissances en phonétique et phonologie et considèrent qu’il s’agit d’un sujet important qui a une grande pertinence pour leur propre prononciation et celle de leurs élèves. Néanmoins, ces capacités semblent ne pas avoir affecté la précision des évaluations, puisqu’aucune corrélation n’a pu être trouvée entre les valeurs « phono » et les valeurs d’exactitude (groupe P : r = 0,059). Similairement, les valeurs d’exactitude des juges natif/ ve.s (groupe N) s’étendaient de 0,42 à 1,49 et présentaient une moyenne de 0,86 - ce qui les rend pratiquement identiques à celles du groupe P. Bien que les evaluateur/ trice.s du groupe natif aient indiqué, eux et elles aussi, de disposer en général d’assez bonnes connaissances en phonétique et phonologie (cf. Tab. 5), cela ne les a pas aidé à évaluer de manière plus exacte l’intonation des apprenant.e.s, puisqu’aucune corrélation n’a été trouvée entre les valeurs d’exactitude et le niveau de connaissances en phonétique et phonologique indiqué (r = -0,170). Niveau de connaissances n Valeur d’exactitude moyenne 1 : Je ne sais pas de quoi il s’agit. 3 0,83 2 : Je sais de quoi il s’agit, mais je n’ai pas vraiment des connaissances. 8 0,96 3 : J’ai quelques connaissances. 37 0,87 4 : J’ai des bonnes connaissances. 37 0,83 Tab. 6 : Réponse à la question (1), portant sur le niveau de connaissances en phonétique et phonologie, numéro de personnes ayant donné cette réponse et valeur d’exactitude moyenne correspondante. En résumé, nous pouvons donc constater qu’il ne suffit pas d’avoir de bonnes connaissances théoriques en phonétique et phonologie pour réussir à évaluer de manière plus précise l’intonation d’un.e apprenant.e. Il est probable que 64 Christoph Gabriel, Jonas Grünke (Mayence) <?page no="65"?> cela s’explique, au moins en partie, par le fait que les thèmes de phonétique et phonologie enseignés tant aux enseignant.e.s en formation comme aux étu‐ diant.e.s de linguistique dans le cadre de leurs études universitaires ne touchent souvent que le niveau segmental tandis que les aspects suprasegmentaux tels que l’intonation sont laissés de côté. 5 Discussion et conclusion Dans la présente étude, nous avons analysé un petit corpus de parole lue produit par des apprenan.t.e.s germanophones monolingues et bilingues (alle‐ mand-turc). La comparaison de l’intonation des deux groupes, effectuée au moyen de valeurs de proéminence attribuées à chaque syllabe par le logiciel ANALOR, n’a pas révélé de différences significatives. Cependant, les deux groupes d’apprenant.e.s diffèrent des locuteur/ trice.s natif/ ve.s surtout par la production fautive d’accents toniques supplémentaires sur les syllabes finales des mots lexicaux. Cela implique que les deux groupes d’apprenant.e.s n’aient pas encore acquis l’unité de base de l’intonation du français, à savoir la phrase accentuelle. En résumé, les résultats de notre étude empirique montrent que, contraire‐ ment aux résultats des études précédentes sur différents aspects de phonologie segmentale, comme, p. ex., le délai d’établissement du voisement (cf. l’état de l’art dans la Section 2), les apprenant.e.s germano-turc/ que.s du FLE ne bénéficient guère de leur arrière-plan plurilingue en ce qui concerne la maîtrise de l’intonation de la langue cible - contre notre attente. Comme l’ont montré les analyses effectuées sur un petit corpus de parole lue, notre hypothèse d’un transfert positif de la langue d’origine vers le FLE ne pouvait être corroborée que dans une mesure très limitée, puisque les mélodies légèrement plus proches de la langue cible produites par les bilingues ne correspondaient pas à des différences significatives. Un avantage bilingue général (Wattendorf et al. 2014) n’a pas non plus pu être confirmé. La raison en est, semble-t-il, le fait que non seulement les apprenant.e.s monolingues allemand.e.s, mais aussi les bilingues mésinterprètent le mouvement F0 ascendant en position finale de la phrase accentuelle du français comme accent final de mot (transfert négatif de l’allemand vers le français). La tâche d’évaluation du degré d’accent a néanmoins révélé que l’intonation des monolingues (groupe M) est perçue comme étant légèrement plus proche de la cible native et par les évaluateur/ trice.s natif/ ve.s et par les futur.e.s profes‐ seur.e.s. Puisque cette différence ne correspond pas aux valeurs de proéminence mesurées dans les productions des deux groupes, d’autres facteurs, tels que le 65 L’intonation en français L3 chez des apprenant.e.s bilingues allemand-turc <?page no="66"?> débit de parole ou de petites erreurs segmentales, doivent en être responsables. Par conséquent, de tels facteurs devraient être pris en considération dans de futures études. Cependant, notre étude a montré que les productions plus proches de la langue cible sont reconnues comme telles par les enseignant.e.s du FLE germanophones ainsi que par des juges natif/ ve.s. Toutefois, les connaissances en phonétique et phonologie semblent ne pas avoir affecté la précision des évaluations. Ceci pourrait s’expliquer par le fait que dans la plupart des cas la prosodie ne fait pas partie des connaissances fondamentales enseignées dans les cours de linguistique universitaires. Les connaissances auto-évaluées en phonétique et phonologie se réfèrent donc probablement plutôt au niveau segmental. Par conséquent, il n’est guère surprenant que la formation prosodique joue aussi un rôle plutôt marginal dans l’enseignement du FLE à l’école (cf. aussi Ga‐ briel/ Thiele 2017 et Abel 2019). Cependant, nos résultats ont clairement montré que les réalisations plus conformes au modèle natif sont reconnues comme telles par les évaluateur/ trice.s (natif/ ve.s et non natif/ ve.s). C’est ainsi que l’enseignement de la prosodie devrait être intensifié en classe - non seulement au niveau du contraste entre la langue d’enseignement scolaire (l’allemand) et la langue étrangère (le français), mais aussi concernant les langues d’origine très répandues en Allemagne comme le turc. Pour répondre à la question de savoir si la langue d’origine fournit une base pour un transfert positif ou si elle est prosodiquement influencée par la langue sociétale (l’allemand), de futures études devraient également inclure des analyses prosodiques de données de la parole turque produites par les apprenant.e.s multilingues. En fin de compte, il serait également souhaitable de valider les résultats obtenus dans le cadre de notre étude sur une plus grande base de données. Remerciements Nous remercions Elissa Pustka et deux relecteur/ trice.s anonymes pour leurs commentaires et suggestions sur une version antérieure de cet article. Nous sommes également redevables à Yannic Klamp (Mayence), Bénédict Wocker (Mayence) et Nils Karsten (Amsterdam) pour leur soutien dans la préparation des données brutes ainsi qu’à Élisabeth Delais-Roussarie (Nantes) et Ingo Feldhausen (Nancy) pour leur aide avec le logiciel ANALOR. Finalement, nous tenons à remercier le Bundesministerium für Wissenschaft und Forschung (BMBF) (Ministère fédéral de la Science et de la Recherche) pour le soutien financier du projet MEZ (2014-2019), dans le cadre duquel furent relevés les données des 66 Christoph Gabriel, Jonas Grünke (Mayence) <?page no="67"?> apprenant.e.s. Il va sans dire que toute erreur restante est de la responsabilité des auteurs. Références Abel, Clémentine (2019) : Ausspracheschulung. Erhebung der Kompetenzen, Überzeu‐ gungen und Praktiken von Französischlehrkräften, Tübingen : Narr. Abercrombie, David (1967) : Elements of general phonetics, Edinburgh : Edinburgh University Press. Archibald, John (1998) : Second language phonology, Amsterdam : Benjamins. Auer, Peter/ Uhmann, Susanne (1988) : « Silben- und akzentzählende Sprachen. Literatu‐ rüberblick und Diskussion », in : Zeitschrift für Sprachwissenschaft 7, 214-259. Avanzi, Mathieu/ Lacheret-Dujour, Anne/ Victorri, Bernard (2008a) : « ANALOR. 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Un grand merci aussi à tous/ toutes nos participant.e.s, car sans leur soutien, cette étude n’aurait pas été possible. 3 Par variétés régionales, nous entendons toute variété géographique, qu’elle soit utilisée en France ou hors de France. 4 Le titre de l’article de Weber (2006) Pourquoi les Français ne parlent-ils pas comme je l’ai appris ? est un exemple des interrogations que cette rencontre pourrait faire surgir chez les apprenant.e.s. Les accents natifs et non-natifs du français Une étude perceptive auprès d’apprenant.e.s du FLE Karoline Wurzer 1 , Johanna Wolf (Salzbourg) 1 Introduction 2 En théorie, l’inclusion des variétés régionales dans l’enseignement du FLE ne devient pertinente qu’à un niveau très élevé - du moins si l’on croit le CECRL, le cadre européen commun de référence pour les langues (cf. Falkert 2019). Celui-ci ne décrit aucun lien entre l’apprenant.e et les variétés régionales 3 du français du niveau A1 à B2. Ce n’est qu’au niveau C1 que la description de la compétence sociolinguistique y fait explicitement référence : « Peut recon‐ naître un large éventail d’expressions idiomatiques et dialectes et apprécier les changements de registres ; peut devoir toutefois confirmer tel ou tel détail, en particulier si l’accent n’est pas familier. » (Conseil de l’Europe 2001 : 95). Cependant, admettons que les apprenant.e.s soient mis.e.s en contact avec des francophones d’une variété non-standard avant d’atteindre le niveau C1 : comment vivront-ils/ elles le décalage entre le français qu’ils/ elles entendent et celui qu’ils/ elles ont appris ? Est-ce que leur ignorance des variétés du français ne rendrait pas leurs premiers échanges encore plus problématiques, étant confronté.e.s à des difficultés qu’ils/ elles ne soupçonnaient pas ? 4 Suivant la théorie que la fréquence serait nécessaire à l’acquisition des unités linguistiques <?page no="74"?> 5 La présente enquête se penche sur la prononciation plutôt que sur le lexique, la syntaxe ou d’autres domaines. Cela s’explique par le fait qu’un accent marqué - qu’il soit natif (cf. Goh 1999) ou non-natif (cf. Gallego 1990) - est souvent une des (ou même la) source(s) principale(s) d’incompréhension. 6 Nous emploierons ce terme pour désigner les personnes ayant le français comme L1 ou L2. 7 Cf. p. ex. Pustka (2010), qui traite de la perception de la variété la plus connue de France, l’accent du Midi (ou méridional), par des témoins de Paris et de Toulouse. 8 Exemple : En 2016, une nouvelle a rapidement fait le tour du monde (francophone) : Selon un rapport de l’ONU de 2016, « Paris n’est plus la première ville francophone du monde » (L’Express 2019) : désormais, Kinshasa, capitale de la République démocratique du Congo, compte plus d’habitants que l’agglomération parisienne. (cf. Bybee 2001, Ellis 2002), ne pas être familiarisé.e plus tôt avec les accents 5 régionaux pourrait alors entraver sérieusement la conversation avec la bonne majorité, voire la totalité des francophones 6 . Si cela concerne aussi des régions françaises (puisque la variation géographique y est également présente 7 ), cela serait particulièrement regrettable en ce qui concerne le Québec, l’Afrique subsaharienne et le Maghreb puisque ces espaces francophones hors de France ont beaucoup de poids démographique 8 . La question de l’intégration de la variation régionale dans l’enseignement du FLE dans les pays non-francophones (germanophones ou autres) est donc très pertinente. En parlant de francophonie, la question de définition de personne native survient rapidement et on constate que ce concept n’est pas très clair. En général, les Français.e.s, les Québécois.e.s, les Belges francophones et les Suisses romand.e.s parlent le français comme L1 alors que le français est la L2 pour la plupart des personnes du Maghreb et de l’Afrique subsaharienne francophone (cf. les contributions concernant le Maghreb et l’Afrique subsaharienne dans Reutner 2017. Dans ce qui suit, nous regrouperons ces deux groupes (L1 et L2), que nous appellerons francophones ou natifs, et les mettrons en contraste avec un troisième groupe (FLE ; Français Langue Étrangère) : les personnes apprenant le français à l’école comme langue étrangère et vivant dans une région où le français ne sert pas comme langue d’usage, c’est-à-dire qu’il n’est ni langue véhiculaire ni vernaculaire. Nous affirmons qu’il est crucial d’intégrer la variation dans l’enseignement du FLE ; cependant, avant d’entrer dans la conception didactique des moyens de sensibilisation possibles, il faut une prise de conscience préalable de l’état des choses actuelles. Contrairement à l’anglais (p. ex. Carrie 2017 ; Ladegaard/ Sachdev 2006 ; Rindal 2010), il n’existe que très peu d’études traitant de la perception des variétés régionales du français par des apprenant.e.s (Bergeron/ Trofimovich 2019 ; Hume/ Lepicq/ Bourhis 1993 ; Neufeld 1980). 74 Karoline Wurzer, Johanna Wolf (Salzbourg) <?page no="75"?> 9 Pour une explication détaillée des différents types de normes - surtout des normes dites évaluatives ou subjectives et des normes fantasmées -, voir Baggioni/ Moreau (1997 : 217-223). 10 Inclure des enregistrements de quelques apprenant.e.s sera particulièrement intéressant car, même si des travaux de recherche comme ceux de Flege (1984), Park (2013), Vieru, Boula de Mareüil et Adda-Decker (2011) ou Atagi et Bent (2017) montrent que les francophones (de nationalité française notamment) sont très sensibles à la présence d’accents non-natifs, il faut constater qu’il ne s’agissait dans ces études que de distinguer des apprenant.e.s d’un groupe de Français.e.s plus ou moins homogène. On peut donc remettre en cause la généralisabilité des résultats : il est bien possible (nous dirons même assez probable) que, si des variétés natives sont incluses parmi les extraits sonores, les participant.e.s, et notamment ceux et celles ayant un moindre degré de familiarité des variétés du français hors de France et des accents non-natifs, ne seront pas capables de distinguer nettement entre variétés régionales et variétés non-natives. Cette étude vise donc à élargir l’éventail des travaux d’investigation sur ce sujet. Dépassant la question de la compréhension, nous tenterons d’analyser la façon qu’ont les francophones L1-L2 et les apprenant.e.s FLE de percevoir les variétés régionales. Nous interrogerons deux types de normes : les normes explicites sur lesquelles s’appuie consciemment une personne pour décrire la variété la plus correcte ou la plus belle du français ; et les normes implicites, soit les critères inconscients rapprochant ou non une variété de ce même idéal. 9 Nous supposons que l’évaluation de stimuli de différentes variétés sera influencée par des stéréotypes et que l’analyse de ces évaluations révèlera les attitudes perceptives inconscientes des participant.e.s. Si les évaluations des francophones s’avèrent plus stéréotypées que celles des apprenant.e.s - c’est-à-dire moins tolérantes aux variétés s’éloignant de l’idéal commun du français parisien -, il faudra réfléchir à des mesures poussant les francophones à percevoir de façon positive la diversité des variétés francophones, que ce soit leur propre variété ou les variétés des autres francophones. Par contre, dans le cas où les apprenant.e.s montrent des évaluations plus négatives que les francophones, il faudra développer des méthodes de sensibilisation dans le contexte du FLE. Ces réflexions nous amènent à formuler la question suivante, qui nous guidera à travers ce projet et à laquelle nous essayerons de répondre à la fin de cet article (section 6, Discussion) : Qu’est-ce que les évaluations révèlent sur les normes implicites des francophones et des apprenant.e.s ? Les normes implicites convergent-elles avec les normes explicites ? L’enjeu de ce travail consiste à analyser les évaluations de stimuli natifs et non-natifs 10 par (1) un groupe natif et (2) un groupe d’apprenant.e.s (élèves et étudiant.e.s germanophones de FLE). Le but est de pouvoir comparer leurs connaissances des variétés régionales ainsi que leurs représentations mentales 75 Les accents natifs et non-natifs du français <?page no="76"?> 11 Dans le questionnaire, nous avons utilisé le concept du beau français pour désigner l’exemplarité pour que les élèves comprennent plus facilement la question. (explicites et implicites) des normes de prononciation (cf. aussi Chalier à paraître pour la perception des normes dans la francophonie et Pustka/ Chalier/ Jansen 2017 pour les représentations de normes de prononciation). Dans le cadre de cet article, nous tenterons donc de répondre aux quatre questions de recherche suivantes : 1. Les évaluations du degré d’accent, de la compréhensibilité, du caractère exemplaire (beau français) 11 et de l’acceptabilité d’un accent se distin‐ guent-elles en fonction du niveau de maîtrise du français (juges natifs/ na‐ tives vs apprenant.e.s débutant.e.s vs apprenant.e.s intermédiaires) ? 2. Est-ce que la capacité à déterminer si un accent est natif ou non-natif dépend du niveau de langue de la personne qui le juge ? 3. Est-ce que la capacité à identifier correctement l’origine géographique d’un accent dépend du niveau de langue de la personne qui l’entend ? 4. Quelles sont les attitudes explicites des apprenant.e.s envers les variétés régionales ? 2 La variation dans l’espace francophone : un défi pour le FLE 2.1 Quel français de référence ? Dans le contexte d’apprentissage d’une langue étrangère, il se pose souvent la question de savoir quelle norme enseigner (cf. Chalier à paraître ; Chalier dans ce volume). Cela est particulièrement pertinent pour le cas du français, du moins depuis que le mythe d’uniformité du français commence à céder, quoique lentement, pour une conception du français comme langue hétérogène (cf. Valdman 2000). Alors que « la langue écrite connaît, depuis le milieu du XIX e siècle au moins, une norme grammaticale de référence explicite et quasiment fixe » (Laks 2002 : 5), tel n’est pas le cas de l’oral, qui se caractérise justement par « l’absence d’une norme stable, explicite et parfaitement définie » (Laks 2002 : 5). Cependant, si la notion de français standard (tout comme la notion de français de référence, cf. Laks 2002 ; Lyche 2010 ; Morin 2000) renvoie souvent à une norme idéale et construite, Detey et Le Gac (2008 : 485) montrent qu’elle n’est « pas une simple construction doxique, mais qu’elle existait au niveau des représentations linguistiques dans l’esprit des locuteurs-auditeurs natifs ». Hors de France, la situation s’avère également complexe : étant donné que la question de norme (pédagogique, sociale, etc.) est loin d’être résolue dans la 76 Karoline Wurzer, Johanna Wolf (Salzbourg) <?page no="77"?> 12 Nous employons le concept de couche sociale pour renvoyer à l’origine, le niveau de scolarité, le type de travail et en général toute caractéristique sociale et économique d’une personne. 13 Seul dans le cas de l’attribut instruit, les stimuli de France ont obtenu des évaluations similaires aux stimuli québécois. 14 Nous tenons à préciser que, tout comme l’on aurait des problèmes à définir (en termes d’usage réel) un français de France (le français standard étant surtout une notion mentale souvent idéalisée), il n’existe pas non plus un français québécois à proprement parler : tout en sachant qu’il s’agit, notamment dans le cas du Québec, mais également en ce qui concerne l’Afrique subsaharienne, le Maghreb et la Belgique, de paysages linguistiques hétérogènes et que parler de la variété québécoise/ belge etc. signifie adopter une perspective réduite, les restrictions méthodologiques (il s’agissait notamment de limiter la durée de l’étude perceptive) nous ont empêché de couvrir toute la gamme de ces variétés. Nous étions donc forcées de choisir, tant que possible, un échantillon plus ou moins représentatif, chose qui doit être prise en considération lors de l’interprétation des données. francophonie, décider quelle norme enseigner devient encore plus difficile : au Québec, région francophone souvent considérée comme la plus « autonome » de la norme hexagonale (cf. Pöll 2006 : 160), l’on trouve, depuis une quarantaine d’années, une sorte de norme endogène, souvent appelée « français standard d’ici » ou « français québécois standard » et (assez) valorisée, qui s’utilise dans des situations formelles, notamment par les couches supérieures 12 (cf. Auger/ Valdman 1999, Pöll 2006, Valdman 2000), et qui bénéficie désormais, dans l’imaginaire des Québécois.e.s, non seulement d’un prestige latent, mais aussi « d’un prestige manifeste similaire à celui du français parisien » (Pustka et al. 2019 : 41 ; cf. aussi Chalier à paraître). Ces résultats sont congruents avec ceux de Šebková, Reinke et Beaulieu (2020) : dans leur étude, les juges québécois.e.s ont également montré une préférence claire pour les stimuli provenant du Québec, non seulement en ce qui concerne les attributs liés à la solidarité (sympathique, dynamique, sociable), mais aussi les attributs liés au statut (professionnel, instruit  13 , apte à diriger). En outre, les stimuli québécois ont également été jugés plus compréhensibles et plus corrects que les stimuli de personnes de France, d’Algérie, d’Haïti et du Cameroun. Les participant.e.s québécois.e.s exprimaient enfin une nette préférence pour leurs compatriotes québécois.e.s dans le contexte amical, professionnel et publique. Cependant, les réponses des participant.e.s québécois.e.s de Kircher (2012) révélaient uniquement un prestige latent (dimension de solidarité) du français québécois 14 , et un prestige manifeste (dimension de statut) du français hexa‐ gonal. Les stimuli utilisés dans Kircher (2012) représentent des locuteurs (mas‐ culins uniquement) parlant une variété représentative de la classe moyenne. 77 Les accents natifs et non-natifs du français <?page no="78"?> Comme l’a révélé Chalier (2018), les accents faiblement marqués sont perçus de manière différente que les accents fortement marqués : si une « norme de prononciation du français québécois diatopiquement faiblement marquée » (Chalier 2018 : 132) est considérée de loin comme la « plus apte à être appris[e] aux immigrants arrivant au Québec » (Chalier 2018 : 132), l’accent québécois fortement marqué obtient des évaluations beaucoup moins favorables que le français parisien. En outre, s’il n’est pas question de choisir la variété que les immigrants au Québec devraient apprendre (voir ci-dessus), mais d’évaluer le niveau de justesse (Comment évalueriez-vous la façon de parler des intellectuels de chacun de ces quatre enregistrements ? ), les participant.e.s de Chalier (2018) ne font pas de différence entre les stimuli de France, de Suisse et l’accent québécois faiblement marqué. L’accent québécois fortement marqué reste cependant jugé plus strictement. Il est intéressant de constater que certaines « prononciations typiques, remarquées par les Français et perçues comme étant des caractéristiques de l’‘accent’ québécois, passent inaperçues chez une majorité de Québécois qui n’en ont tout simplement pas conscience » (Reinke/ Ostiguy 2016 : 105). On peut résumer que les Québécois.e.s ont, à l’heure actuelle, des représentations beaucoup plus favorables envers leur langue qu’il y a quelques décennies. Cependant, cela n’est valable que pour une variété faiblement marquée et le français hexagonal (ou un français pan-européen) garde un certain prestige manifeste au Québec. La littérature concernant les autres pays francophones est beaucoup plus limitée. En ce qui concerne la Belgique ainsi que la Suisse, Pöll (2006 : 233) constate un « tiraillement » linguistique : [L]es Belges francophones et les Romands restent assez fortement attachés à une norme exogène, celle de l’Hexagone, mais ne renoncent pas pour autant au désir de marquer leurs distances, de souligner leur altérité tout en se définissant comme francophones à part entière. Ces constats semblent toujours être d’actualité, comme l’indique, plus récem‐ ment, Francard (2017 : 197) : [D]ans l’imaginaire linguistique des Belges francophones, il existe une norme de référence - qu’ils assimilent au français ‘de France’ ou ‘de Paris’ - et dont ils ne possèderaient pas une maîtrise suffisante pour pouvoir revendiquer la même légitimité linguistique que celle de leur ‘grand voisin’. 78 Karoline Wurzer, Johanna Wolf (Salzbourg) <?page no="79"?> En même temps, les Belges francophones revendiqueraient, pour des raisons liées à l’identité notamment, la spécificité de leur variété, pas homogène non plus d’ailleurs (cf. Francard 2017). Pour le cas de la Suisse romande, Chalier (à paraître) a révélé, outre le prestige manifeste et incontesté du français parisien, l’apparition de deux variétés endogènes qui semblent également bénéficier d’un prestige manifeste (présentateurs et présentatrices de journaux télévisés suisses et locuteurs et locutrices de la variété genevoise), mais qui s’avèrent s’orienter vers la norme septentrionale. L’étude de Didelot (2019) montre, quant au degré de convenance pour un poste de chargé.e de communication, d’enseignant.e de physique et d’ensei‐ gnant.e de français, que les témoins suisses et français.e.s évaluent le mieux les stimuli parisiens (région d’Île-de-France), suivi des stimuli suisses (juges suisses) ou des stimuli non-natifs germanophones (juges français.e.s). Les voix non-natives italiennes, hispanophones et japonaises sont évaluées moins favorablement et les voix de la Côte d’Ivoire obtiennent les pires jugements. Ces résultats montrent que, si les Suisses (expert.e.s ainsi que non-expert.e.s d’ailleurs) évaluent le plus positivement les stimuli parisiens, ils/ elles accordent des jugements également très positifs (et plus positifs que les témoins français.e.s expert.e.s) aux Suisses romand.e.s, montrant ainsi une attitude favorable non seulement envers la variété parisienne, mais aussi envers leur propre variété. En Afrique francophone, le français coexiste avec des langues locales, régio‐ nales et nationales - elles-mêmes souvent inégales -, et s’emploie surtout dans les domaines officiels. De plus, le français (ou bien une forme basilectale ou mésolectale du français) peut également être utilisé là où les autres langues ne sont pas « en mesure de satisfaire l’ensemble des besoins communicatifs de la communauté » (Manessy et al. 2002 : 44), ce qui est moins fréquent quand le français coexiste avec une autre langue dominante (comme le wolof au Sénégal). Dans ces pays, le français enseigné à l’école ne suit pas nécessairement la norme hexagonale, mais représente souvent une forme mésolectale (cf. Manessy et al. 2002). Une étude de perception de vaste étendue a été menée par Moreau et al. (2007) auprès de francophones de plusieurs pays (France, Belgique, Québec, Suisse, Tunisie et Sénégal). Les résultats ont montré, entre autres, que les francophones hiérarchisent, de manière différente selon le pays, ces variétés mentionnées. Ils suggèrent également l’ « absence de modèle unique » (Moreau et al. 2007 : 25, 32) et une « tendance à mieux évaluer les siens » (Moreau et al. 2007 : 25, 32, 37). De plus, les stimuli québécois sont généralement évalués de manière considérablement plus négative que les stimuli français, suisses et 79 Les accents natifs et non-natifs du français <?page no="80"?> 15 Wachs (2011) renvoie à des questions qui sont à la base de nombreux colloques, comme elle dit : Quel français enseigner ? Faut-il continuer à n’enseigner que la variété normée ? Faut-il enseigner les variétés de prononciation ? Faut-il enseigner les registres de langue avec ses variétés phonétiques, syntaxiques, lexicales ? belges par tous/ toutes les participant.e.s sauf les Québécois.e.s. Enfin, il existe une différence importante entre les juges du Sénégal et de la Tunisie : alors que les Sénégalais.e.s préfèrent les voix du Sénégal, les participant.e.s de la Tunisie favorisent les voix de la francophonie européenne. 2.2 Qu’en pensent les apprenant.e.s ? Comment donc savoir quelle norme enseigner en FLE et quelle place accorder à la variation ? Il est intéressant de noter que les apprenant.e.s manifestent souvent une position claire à cet égard, du moins en ce qui concerne la production. Voici l’exemple de Wachs (2011 : 191) : Si on pose ces questions 15 aux apprenants de français, ils répondent dans leur grande majorité qu’ils veulent parler ‘le bon français’ et ‘bien le prononcer’, c’est-à-dire parler le ‘français de référence’ : un français non marqué, non stigmatisant. Detey et Le Gac (2008 : 476) ont également dévoilé le souhait d’élèves d’ap‐ prendre et d’enseignant.e.s d’enseigner une variante qu’ils/ elles appellent le français standard. Il est encore plus intéressant de voir que, malgré leur proximité géographique et une probabilité élevée d’entrer en contact avec des francophones du Québec, les anglophones du Canada (cf. Hume/ Lepicq/ Bourhis 1993) et même les im‐ migrant.e.s vivant au Québec (cf. Bergeron/ Trofimovich 2019) donnent des jugements plus favorables au français standard qu’au français québécois. Cela s’explique probablement par le fait que, dans l’enseignement du français en Amérique du Nord, une norme européenne continue à prévaloir : malgré une tendance à inclure plus de contenu (culturel) lié au Québec observée entre 1960 et 2010 (cf. Chapelle 2014), les manuels transmettent toujours majoritairement la norme parisienne (cf. aussi Wagner 2015). Dans cette même voie, beaucoup de professeurs de FLE considèrent le français du Québec comme « moins authentique » et « inapproprié » pour l’enseignement du français (cf. Wernicke 2016). Mettre l’accent sur une variété que l’on appellera standard risque de conduire les apprenant.e.s à avoir « une vision confuse et réductrice de la langue » et à être surmené.e.s quand on leur présente des variétés (cf. Merlo 2011 : 27). Neufeld a déjà démontré en 1980 que les apprenant.e.s avancé.e.s - quoique pouvant émettre un jugement discriminatoire envers les stimuli d’apprenant.e.s - avaient 80 Karoline Wurzer, Johanna Wolf (Salzbourg) <?page no="81"?> 16 Les stimuli proviennent de deux actrices québécoises, qui ont été instruites de lire des phrases avec et sans traits québécois. Les auteurs ne donnent pas d’informations supplémentaires concernant les locutrices. 17 Il suffit d’observer les manuels de FLE puisque « la variation diatopique n’y est introduite qu’à des doses homéopathiques » (Pöll 2006 : 15 ; 2000). Cependant, la situation peut se présenter différemment dans le contexte du FLE aux États-Unis et au Canada, où les manuels tendent un peu plus à se référer au Québec et emploient du lexique québécois quand cela facilite la compréhension des élèves (cf. Auger/ Valdman 1999 : 408). manifesté des problèmes pour affirmer si une personne était un.e Francophone du Canada ou un.e Francophone d’un autre pays. Utilisant la technique du matched guise, Bergeron et Trofimovich (2019) ont fait un constat similaire : même des apprenant.e.s du français habitant au Québec depuis plusieurs années étaient incapables de différencier les stimuli québécois des stimuli français, confondant surtout les registres formels du français québécois avec le français de France. De plus, ces auteures ont constaté des réactions négatives envers le français parlé au Québec 16 . A notre connaissance, il n’existe pas d’étude traitant de la perception des autres variétés francophones par des apprenant.e.s de français, d’où la nécessité de travaux sur ce sujet. 2.3 Comment intégrer la variation dans l’enseignement du FLE ? Comme nous l’avons évoqué précédemment, on peut imaginer que les atti‐ tudes négatives résultent, du moins partiellement, de la pratique courante de l’enseignement du FLE 17 . L’intégration de la variation pourrait faire croître la conscience des apprenant.e.s de l’importance du français comme langue internationale, augmentant ainsi leur motivation (cf. Fox 2002 : 201). En outre, les résultats de Baker et Smith (2010) suggèrent que l’exposition à d’autres variétés améliore la perception non seulement de ces variétés, mais aussi de la variété dite « standard ». À première vue, faire entrer la variation en classe de FLE paraît donc crucial. Pour cela, l’on pourrait s’inspirer, surtout pour les niveaux supérieurs, du projet PFC (cf. Durand/ Laks/ Lyche 2002 ; accessible sur www.projet-pfc.net), qui offre des extraits sonores comparables de différentes variétés du français, ou bien des sources audiovisuelles infinies qu’offrent des plateformes comme Youtube (cf. Maizonniaux 2019 et Manić-Matić 2016 pour des exemples didactiques). En même temps, afin de ne pas en demander trop aux apprenant.e.s, il faudra limiter l’exposition à la variation au domaine perceptif et n’imposer aux apprenant.e.s qu’une seule variante productive (Auger/ Valdman 1999) : Valdman 81 Les accents natifs et non-natifs du français <?page no="82"?> 18 Cf. Munro/ Derwing (1995) pour la différence entre les concepts accentedness - compre‐ hensiblity - intelligibility. (2000) propose, pour le contexte du FLE, le concept de norme pédagogique, qui devrait être choisie selon trois facteurs : • des facteurs linguistiques (la « norme pédagogique doit refléter le com‐ portement observable des locuteurs de la langue cible » ; p. 657), • des facteurs épilinguistiques (elle devrait correspondre à ce que les francophones trouvent approprié pour les apprenant.e.s) et • des facteurs acquisitionnels (cette norme pédagogique devrait être facile à apprendre). Quant à la perception, les discussions portent souvent sur la question de savoir quel serait le niveau idéal pour commencer à présenter aux élèves des documents authentiques de la francophonie (cf. Auger/ Valdman 1999 ; Salien 1998). Contrairement à Salien, qui déconseille fortement d’intégrer les variétés au niveau débutant et propose de ne pas y exposer les apprenant.e.s avant les études supérieures : At any rate, it would not be appropriate to teach dialects at the early stages of a language program. Upon mastering the basic structures of French grammar, students are ready to be exposed to the Québécois language and culture. The best level for this introduction appears to be the fourth semester of college, preferably in a reading and conversation class. (Salien 1998 : 100) Auger et Valdman (1999) recommandent l’intégration des variétés régionales dès le début : If we truly wish to acquaint American learners of FFL [French as a Foreign Language] with the linguistic particularisms of non-Hexagonal francophones, especially those of neighboring communities, we must begin early on, even in beginning secondary school courses. (Auger/ Valdman 1999 : 408) 3 L’influence du profil des juges sur la perception Nous profiterons, dans ce chapitre, des résultats d’études s’intéressant à la perception d’accents non-natifs pour en déduire des variables potentiellement pertinentes pour la perception d’accents natifs. Il va de soi que la perception du degré d’accent (tout comme la perception du degré de compréhensibilité et l’intelligibilité 18 ) dépend du locuteur ou de la locutrice et de sa qualité de voix. En outre, le profil des juges - auditeurs 82 Karoline Wurzer, Johanna Wolf (Salzbourg) <?page no="83"?> et auditrices (listener effects) - a également un impact considérable sur les évaluations, ce qui renvoie au constat que la communication ne peut fonctionner que si les deux côtés font un effort (cf. Rubin 1992). Nous pouvons constater que les résultats sont souvent mixtes : ainsi, dans Hsieh (2011), Saito, Trofimovich, Isaas et Webb (2017) et Thompson (1991), les experts tendaient à donner des jugements plus indulgents que les participant.e.s sans expérience en FLE/ linguistique alors que Lappin-Fortin (2018) et Isaacs et Thomson (2013) n’ont pas observé une différence nette entre ces deux groupes de juges. Même bilan quant à l’effet de familiarité avec un accent : les uns constatent une corrélation positive avec le jugement d’accent, de compréhensibilité et/ ou d’ac‐ ceptabilité (Baese-Berk/ Bradlow/ Wright 2013, Ballard/ Winke 2017, Gass/ Varonis 1984), d’autres non (Fuse/ Navichkova/ Alloggio 2018, Munro/ Derwing/ Morton 2006) et d’autres encore obtiennent des résultats plus nuancés. D’après Kennedy et Trofimovich (2008), le fait d’être familier/ familière avec un accent facilite la com‐ préhension, mais n’influe pas sur les jugements d’accent et de compréhensibilité. En outre, Rubin (1992) et Kang et Rubin (2009) ont révélé un effet de reverse linguistic stereotyping, suggérant que le fait d’assimiler une personne à un certain groupe (ethnique) influence la perception des traits linguistiques de ce même locuteur ou de cette même locutrice : lorsque les participant.e.s voient une photo d’un locuteur natif ou d’une locutrice native appartenant à une minorité visible, ils/ elles croient percevoir un accent non-natif. La majorité des études s’appuient sur la façon qu’ont des juges natifs/ natives de percevoir les stimuli natifs et non-natifs ; parmi celles qui placent des apprenant.e.s dans le rôle de juges, la plupart compare simplement un groupe natif à un autre groupe non-natif, mais sans résultats univalents jusque-là : si Fayer et Krasinski (1987), Gordon (2018) et Kang, Rubin et Kermad (2019) démontrent que les apprenant.e.s sont plus stricts que les juges natifs/ natives, d’autres n’ont pas noté cet écart (Kim 2009, Xi/ Mollaun 2011, Zhang/ Elder 2011). Par contre, le niveau de maîtrise de la langue étrangère (cf. Schoonmaker-Gates 2012, Wilkerson 2010) et le temps passé dans un pays cible (cf. Flege 1988, Schoonmaker-Gates 2012) semblent avoir un effet incontestable sur la capacité de discriminer la prononciation native et non-native et d’évaluer le degré d’accent. 4 Méthodes 4.1 Enregistrements Suivant les résultats d’une étude pilote, menée auprès de 12 apprenant.e.s (ayant le niveau A2 et étant âgés de 12 à 15 ans), les réalisations de corpus préexistants tels que PFC (cf. Durand/ Laks/ Lyche 2002) contiennent, au niveau lexical et 83 Les accents natifs et non-natifs du français <?page no="84"?> 19 Voir tableau 1 pour plus d’informations sur les locuteurs et locutrices retenu.e.s. 20 Dans Woehrling et Boula de Mareüil (2006 ; stimuli et témoins natifs/ natives), le mode de production n’affectait pas les résultats. Quand il est question d’évaluer des stimuli non-natifs, les productions spontanées sont perçues plus positivement que les productions de lecture (cf. Thompson 1991). Cependant, Munro et Derwing (1994) suggèrent que cela est dû à une fréquence élevée de phones difficiles à prononcer : Ainsi, la perception des stimuli produits spontanément ne se distinguait pas de celle des stimuli non-natifs lus (un extrait de la parole spontanée du locuteur ou de la locutrice servant comme texte). Malgré les inconvénients que la lecture entraine (notamment un manque d’authenticité), celle-ci présente le grand avantage de générer des productions comparables et homogènes : « Malgré́ leur caractère artificiel, les échantillons de lecture présentent la meilleure base pour une expérience. (…) le grand avantage des stimuli lus est que les données sont comparables dans les détails, car chaque locuteur prononce exactement les mêmes mots et présente ainsi les variantes des mêmes variables. » (Pustka 2007 : 221 ; voir également Jilka et al. 2008 en général sur le choix de stimuli et la méthodologie). En outre, Widera (2004) a montré que les productions spontanées ne sont pas nécessairement toujours perçues comme étant plus vivantes que les stimuli de lecture, mais que les jugements de vivacité dépendent plutôt des locuteurs et locutrices, des auditeurs et auditrices et des choix méthodologiques. 21 Des manipulations acoustiques minimales ont été effectuées afin d’égaliser les docu‐ ments au niveau du volume, de réduire les bruits de fond et de rajuster minimalement les syntaxique, beaucoup de difficultés pour des apprenant.e.s peu avancé.e.s. Les stimuli utilisés pour la présente étude ont donc été tirés d’un corpus de données orales composé aux fins de cette enquête. 50 locuteurs et locutrices (francophones et apprenant.e.s 19 ), qui ont été recruté.e.s grâce à nos contacts personnels et professionnels ainsi qu’une plateforme de réseau social, ont fait, sous leur propre responsabilité et majoritairement avec leur portable, plusieurs enregistrements sonores et ont ensuite répondu à un questionnaire socio-démographique au sujet de leur environnement linguistique. Tout en sachant que la lecture d’un texte peut manquer d’authenticité, la tâche de lecture a été choisie au détriment de la parole spontanée pour des raisons de comparabilité et de contrôlabilité des données obtenues 20 . Il s’agissait d’un petit texte contenant des difficultés phonétiques, mais avec un vocabulaire et une syntaxe de base. Le voici : Je vous présente ma sœur. Elle s’appelle Camille Dumont. Camille vient de Toulouse. Elle est gentille et très sportive. Comme son voisin Antoine, elle aime beaucoup voyager, alors, l’été dernier, elle est partie à Genève avec lui. Ils ont adoré la Suisse ! Cette année, le 18 juillet, les deux amis vont partir pour faire le tour du monde ensemble. Les enregistrements ont été retenus en intégralité, sous la forme de documents audio d’une durée de 15 à 30 secondes, avec la majorité durant entre 20 et 25 secondes 21 . 84 Karoline Wurzer, Johanna Wolf (Salzbourg) <?page no="85"?> pauses jugées inhabituellement longues et les passages jugés inhabituellement lents. Il ne s’agissait surtout pas de manipuler l’accent ; ces changements visaient plutôt l’usage individuel. Dans un souci d’authenticité, nous avons conduit des tests pilotes qui ont montré que les extraits ne sonnaient ni artificiels ni manipulés. 22 Nous partons du point de vue que tout le monde a un accent (cf. Lippi-Green 2012). Nous ne prétendons pas que nos Français.e.s parlent un ‘français standard parfait’ (à lire p. ex. Detey/ Le Gac 2008 qui essaient de trouver un locuteur parlant un français généralement perçu comme standard). Cependant, le haut niveau de scolarité garantit une certaine homogénéité dans les productions linguistiques (cf. Boughton 2015). Dans notre corpus, il s’agit donc tout simplement de locuteurs et locutrices, certes d’une couche sociale élevée, que les apprenant.e.s pourraient facilement rencontrer dans la rue lors de leur voyage en France. 4.2 Stimuli Seulement les productions de 22 personnes ont été choisies comme stimuli pour l’étude de perception (plus deux qui servaient d’exemples d’essai). Tout en essayant de respecter le continuum entre un accent fort et un accent faible, plu‐ sieurs critères ont été considérés pour la sélection : la qualité des enregistrements sonores, la qualité de voix (les locuteurs et locutrices susceptibles d’engendrer des évaluations négatives à cause de leur voix ont été omis.e.s), un niveau de scolarité comparable, et la répartition des groupes : trois locuteurs et locutrices de chacune des variétés natives utilisées (France 22 , Belgique, Québec, Maghreb, Afrique subsaharienne) et sept apprenant.e.s de différentes L1 ; au moins un homme et au moins une femme par groupe. Les tableaux suivants montrent les caractéristiques les plus importantes des francophones (tableau 1) et des apprenant.e.s (tableau 2). Code Variété Age Sexe Origine (vécu le plus de temps à) Forma‐ tion ce161211 Belgique 27 f Belgique, Brabant-Wallon université ce1907521 Belgique 21 m Belgique, Namur université me07074 Belgique 23 f Belgique, Bruxelles (Brabant Wallon) université aa291017 France 61 f France, Dordogne université ce290305 France 28 f France, Centre-Val-de-Loire université mm15077 France 27 m France, Lorraine université 85 Les accents natifs et non-natifs du français <?page no="86"?> be050590 Maghreb 30 f Maroc université ka05025 Maghreb 30 m Maroc, Laayoune université ra200542 Maghreb 64 f Algérie, Bibans (Algérie, Algérois) université aa311005 Afrique sub‐ saharienne 30 m Madagascar, Tananarive université ma160502 Afrique sub‐ saharienne 34 m Mali, Mopti université me2308107 Afrique sub‐ saharienne 22 f Cameroun, Douala (Belgique, Namur) bac ge210316 Québec 40 f Canada, Québec université he1505327 Québec 23 m Canada, Québec université mn22081640 Québec 23 m Canada, Québec (Sherbrooke) collège Tab. 1 : Aperçu des locuteurs et locutrices francophones Code L1 Age Sexe Origine Forma‐ tion Niveau de fran‐ çais* be02023 Allemand 22 f Allemagne, Bade-Wurtemberg bac C1 dr120511 Allemand 29 f Allemagne, Bade-Wurtemberg université B2 er210617 Espagnol 36 m Pérou, Lima université C1 ha2906950 Polonais 42 f Pologne, Basse-Silésie université C2 ma25037 Grec 29 f Grèce, Attique université C1 ro040325 Espagnol 21 m Mexique, Monterrey bac B1 ta1510542 Anglais 54 m États-Unis, Tennessee université C2 Tab. 2 : Aperçu des apprenant.e.s (*auto-évaluation) Le lecteur attentif/ la lectrice attentive se demandera peut-être pourquoi cer‐ taines régions francophones (comme l’accent méridional, le français de Suisse 86 Karoline Wurzer, Johanna Wolf (Salzbourg) <?page no="87"?> 23 Malheureusement, cette participante n’a pas précisé sa nationalité. 24 Les participant.e.s devaient également évaluer des productions spontanées (description d’une image) ; ces résultats seront analysés dans une future étude. ou les créoles des DOM) ont été omises : cela s’explique par la nécessité de limiter la durée de l’étude de perception (afin de réduire un manque de concentration chez les participant.e.s), par la présence d’une situation linguistique comparable dans le cas de la Suisse et de la Belgique (cf. Pöll 2006) et, enfin, par le nombre limité de locuteurs et locutrices de ces régions qui ont pu être recruté.e.s pour notre enquête. 4.3 Juges L’analyse de l’étude de perception se basait sur les réponses de 73 personnes (natives et non-natives). Celles-ci ont été sélectionnées dans un total de 127 participant.e.s recruté.e.s : seulement les apprenant.e.s germanophones ayant indiqué leur niveau de maîtrise du français au niveau A1-A2 (n=31) ou B1-B2 (n=32) ainsi que les francophones non-expert.e.s (n=10) ont été retenu.e.s (total : n=73 ; 61 femmes, 11 hommes, 1 divers). Les apprenant.e.s du groupe A (niveaux A1-A2) ont en moyenne 16 ans (écart-type = 2.05), ceux du groupe B (niveaux B1-B2) 17 ans (écart-type = 1.45) et les participant.e.s francophones 37 ans (écart-type = 7.21). L’âge moyen du premier contact des apprenant.e.s avec le français est 13 ans (écart-type = 0.95). Les apprenant.e.s, dont 62.9 % ont appris le français comme deuxième langue étrangère (après l’anglais), 27.4 % comme troisième et 9.7 % comme quatrième, sont originaires des régions de Salzbourg, Haute-Autriche, Tyrol et Tyrol du Sud. Les participant.e.s francophones (non-expert.e.s, mais diplômé.e.s de l’ensei‐ gnement supérieur) représentent, dans la mesure du possible, le panorama des variétés natives pertinentes pour notre enquête : quatre Français.e.s, deux Belges, trois Canadien.ne.s (dont deux Québécois.e.s et un Acadien), et une personne de l’Afrique Subsaharienne 23 . 4.4 Étude de perception Les participant.e.s ont rempli un questionnaire en ligne d’une durée d’une heure environ sous leur propre responsabilité, consistant en une partie perceptive (env. 45 minutes 24 ) et en une partie biographique (env. 15 minutes) ciblant leur environnement linguistique, leurs attitudes envers la variation régionale, leur développement de l’apprentissage etc. Afin de faciliter le travail aux apprenant.e.s débutant.e.s, le questionnaire était disponible en français et en allemand. Tout au début du questionnaire figurait le texte que les participant.e.s allaient entendre de diverses voix. En ce qui concerne la première partie, à part les deux premiers 87 Les accents natifs et non-natifs du français <?page no="88"?> 25 Dans l’étude présente, deux sur trois personnes du Maghreb et une sur trois personnes de l’Afrique subsaharienne considéraient le français comme (une de) leur(s) L1. Sachant que les concepts de langue maternelle, L1, L2, langue étrangère (privilégiée) etc. peuvent se révéler assez complexes dans ces régions, nous n’avons pas pris en compte ces stimuli pour l’analyse quantitative de cette question. Cependant, ces jugements pouvant révéler des détails intéressants concernant les représentations des participant.e.s de ces concepts, les réponses seront examinées dans le cadre d’une future étude. extraits qui servaient d’exemples d’essai, les documents sonores ont été présentés aux auditeurs et auditrices dans un ordre aléatoire et différent pour chacun.e des participant.e.s. Nos juges étaient chargé.e.s d’écouter chaque extrait une fois (si nécessaire, il était permis de le réécouter une fois), de décider s’il s’agissait d’un.e francophone natif/ native ou bien d’un.e apprenant.e (jugement binaire) 25 et ensuite de répondre, sur une échelle allant de 1 à 9, à des questions ciblant le degré d’accent, la compréhensibilité, le caractère exemplaire (= ‘beau français’) et l’acceptabilité comme modèle pour des apprenant.e.s (voir tableau 3). Si la case locuteur natif/ locutrice native a été cochée, les participant.e.s devaient encore indiquer l’origine supposée de la personne entendue parmi une liste contenant comme options France, Québec, Suisse, Belgique, Maghreb, Afrique subsaharienne, Autre et Je ne sais pas (afin d’éviter des réponses aléatoires). Les questions du tableau 3 représentent les questions auxquelles les juges devaient répondre concernant chaque stimulus ; le tableau 4 présente trois questions du questionnaire concernant les attitudes des participant.e.s : Question Options de réponse S’agit-il d’un locuteur natif/ d’une locutrice na‐ tive ? □ oui □ non En êtes-vous sûr(e) ? □ oui □ non L’accent du locuteur/ de la locutrice est-il fort, faible ou non-existent ? • 1 (= pas d’accent) • … • 9 (= accent très fort) Était-ce plutôt facile ou difficile pour vous de comprendre le locuteur/ la locutrice ? • 1 (= très facile) • … • 9 (= impossible) Dans quelle mesure êtes-vous d’accord avec cha‐ cune des affirmations suivantes ? 1. Je trouve que c’est du beau français. 2. La personne est un modèle approprié pour des apprenant.e.s de français. • 1 (= tout à fait d’accord) • … • 9 (= pas du tout d’accord) 88 Karoline Wurzer, Johanna Wolf (Salzbourg) <?page no="89"?> D’après vous : d’où vient le locuteur/ la locutrice ? • Je ne sais pas • France • Suisse • Belgique • Québec/ Canada • Maghreb (Algérie, Maroc, Tu‐ nisie) • Afrique subsaharienne (Afrique noire) • Autre : Tab. 3 : Extrait du questionnaire (étude de perception) Question Options de réponse Étiez-vous conscient(e) du fait que le français (comme langue maternelle) se prononce différemment selon les pays (Ca‐ nada, Belgique, Suisse, Afrique,…) avant de participer à cette étude ? □ non □ oui Tous les Français et francophones devraient parler le même français, le français standard. Il ne devrait pas y avoir de variétés ou de dialectes. □ je suis d’accord □ je ne suis pas d’accord Dans l’enseignement du FLE (Français Langue Étrangère), il suffit que les apprenant.e.s apprennent le français de France. □ je suis d’accord □ je ne suis pas d’accord Tab. 4 : Extrait du questionnaire (questions visant les attitudes des participant.e.s envers la variation) L’autorisation de l’usage des stimuli et des réponses du test de perception suivent la législation (autrichienne dans notre cas) relative à la protection des données personnelles. Une étude pilote a été menée auprès de 14 personnes (8 natives et 6 non-na‐ tives germanophones de différents niveaux), assurant que les échantillons étaient bien choisis et que le questionnaire était clair et précis. 89 Les accents natifs et non-natifs du français <?page no="90"?> 5 Résultats En ce qui concerne l’analyse des données, nous procédons de la manière suivante (suivant ainsi l’ordre de nos questions de recherche, cf. section 1, Introduction) : 1. Examen des évaluations de l’accent, de la compréhensibilité, du caractère exemplaire et de l’acceptabilité comme modèle par les juges en fonction de leur niveau de maîtrise du français (question 1) 2. Présentation des résultats des participant.e.s quant à la discrimination des stimuli de francophones et d’apprenant.e.s ainsi que l’identification de l’origine des stimuli natifs (questions 2 et 3) 3. Analyse des questions visant les attitudes des participant.e.s envers la variation du français en général et envers l’enseignement de la variation en classe de FLE (question 4) 5.1 Accent, compréhensibilité, caractère exemplaire et acceptabilité Le tableau 5 donne les moyennes des notes d’évaluation (échelles entre 1 et 9) ainsi que les écarts-types des trois groupes d’auditeurs et auditrices (apprenant.e.s débutant.e.s, apprenant.e.s intermédiaires et francophones) pour les quatre concepts (accent, compréhensibilité, beau français, acceptabilité comme modèle pour des apprenant.e.s). Tous stimuli confondus, le tableau 5 montre que, excepté le degré d’accent, les évaluations des juges francophones sont plus indulgentes que celles des apprenant.e.s. En général, l’on note une assez grande variabilité des évaluations pour toutes les dimensions et tous les groupes de juges (écart-type fluctuant entre 1.39 et 2.41), ce qui s’explique par le fait que les valeurs moyennes se calculent sur la base des évaluations de la totalité des stimuli. Les évaluations portées sur la compréhensibilité sont, pour chacun des groupes de témoins (= juges), meilleures que les autres évaluations et les écarts-types correspondants sont les moins élevés. Si, en moyenne, les participant.e.s francophones donnent des jugements d’accent assez élevés, leurs évaluations du caractère exemplaire et, à un moindre degré, celles de l’acceptabilité comme modèle pour des apprenant.e.s de français sont beaucoup plus favorables (3.83 vs 2.09 et 2.82). En revanche, les jugements du caractère exemplaire et de l’acceptabilité comme modèle des apprenant.e.s dépassent leurs jugements du degré d’accent (débutant.e.s : 3.48 et 3.68 vs 3.32 ; intermédiaires : 3.71 et 3.78 vs 3.5). 90 Karoline Wurzer, Johanna Wolf (Salzbourg) <?page no="91"?> Témoins débutant.e.s (A1-A2) Témoins intermédiaires (B1-B2) Témoins francophones moyenne écart-type moyenne écart-type moyenne écart-type Accent 3.32 2.30 3.5 2.23 3.83 2.31 Compréhen‐ sibilité 2.70 1.76 2.45 1.68 1.95 1.39 Beau français (caractère exemplaire) 3.48 2.34 3.71 2.35 2.09 1.50 Acceptabilité comme modèle 3.68 2.41 3.78 2.40 2.82 2.09 Tab. 5 : Valeur moyenne et écart-type des évaluations des trois groupes de témoins (= juges) pour chacune des questions (accent : 1 = pas d’accent … 9 = accent fort | compréhensibilité: 1 = facile à comprendre … 9 = impossible de comprendre | beau français & acceptabilité comme modèle : 1 = tout à fait d’accord… 9 = pas du tout d’accord ; cf. section 4.4) En général, l’on constate que les auditeurs et auditrices n’ont pas usé de l’échelle entière (1-9), montrant une préférence évidente pour les niveaux bas (représentant des évaluations positives). La figure 1 montre les évaluations moyennes des stimuli avec intervalle de confiance de 95 % par groupe de témoins et par concept. Les résultats suggèrent que l’origine des stimuli joue un rôle crucial dans les évaluations. Si le groupe de Belgique est évalué de manière similaire à celui de France, les évaluations des groupes du Québec, du Maghreb et de l’Afrique subsaharienne sont plus comparables à celles du groupe d’apprenant.e.s : 91 Les accents natifs et non-natifs du français <?page no="92"?> Fig. 1 : Diagramme à barres avec barres d’erreurs (= 95 % intervalle de confiance) pour les évaluations moyennes des stimuli en fonction de leur origine, par groupe de témoins (compr. = compréhensibilité, exempl. = caractère exemplaire (beau français), accept. = acceptabilité comme modèle pour des apprenant.e.s) Pour vérifier l’impression que l’origine des stimuli joue un rôle important sur la perception de leur langue ainsi que pour examiner l’influence du type de question sur les évaluations, une analyse à modèle linéaire à effets mixtes a été effectuée (dans R et à l’aide du paquet lmerTest ; R Core Team 2020 ; Kuznetsova/ Brockhoff/ Christensen 2017). Nous avons introduit les évaluations (1-9) comme variable dépendante et le niveau de langue des témoins (A1-A2, B1-B2, L1), l’origine des stimuli (France, Belgique, Québec, Maghreb, Afrique subsaharienne, apprenant.e.s) et le type de question (accent, compréhensibilité, exemplarité et acceptabilité) comme effets fixes. Un terme d’interaction a été ajouté pour chacune des combinaisons de ces variables. Afin de tenir compte du fait que chaque témoin ait jugé plusieurs enregistrements et que chaque stimulus ait été évalué plusieurs fois (quatre types de questions considérés ici) par chaque juge - ce qui entraîne une dépendance des évaluations les unes des autres qui empêche l’usage d’un 92 Karoline Wurzer, Johanna Wolf (Salzbourg) <?page no="93"?> 26 Résidus : erreurs (différence entre les valeurs observées et les valeurs prédites). Normalité des résidus : la distribution des résidus suit la loi normale. 27 Homoscédasticité : la variance des résidus est la même pour chacune des valeurs observées. 28 L’inspection visuelle a été préférée à des tests statistiques puisque l’application du modèle linéaire à effets mixtes ne requiert pas que les données soient exacte‐ ment gaussiennes et homoscédastiques (ce qui est d’ailleurs impossible). Il convient mieux d’estimer visuellement le respect approximatif des hypothèses (cf. http: / / per so.ens-lyon.fr/ lise.vaudor/ non-respect-des-hypotheses-du-modele-lineaire-anova-regr ession-cest-grave-docteur/ ). 29 Niveau des témoins ✕ origine des stimuli F(10, 7340.0) = 5.32, p<0.001 ; origine des stimuli ✕ type de question F(15, 7340.0) = 16.56, p<0.001 ; niveau des témoins ✕ type de question F(6, 7340.0) = 13.10, p<0.001. modèle de régression ‘ordinaire’ -, nous avons ajouté des intercepts aléatoires pour les témoins et les stimuli. La normalité des résidus 26 et l’homoscédasticité 27 ont été examinées visuellement 28 par l’inspection des résidus contre les valeurs prédites. Les composantes du modèle ont été estimées appliquant une analyse de variance au modèle (type III, approximation de Satterthwaite). Curieusement, seulement le type de question s’est révélé significatif (F(3, 7340.0) = 127.96, p<0.001) alors que ni le niveau des témoins (F(2, 82.7) = 0.86, p>.05) ni l’origine des stimuli (F(5, 16.0) = 2.77, p>.05) ont eu un effet significatif. Cependant, le fait que toutes les interactions soient significatives 29 montre que les variables dépendent les unes des autres : ainsi, le type de question influe de manière significativement différente sur les évaluations selon le niveau des témoins et selon l’origine des stimuli. 5.2 Les connaissances des variétés du français des participant.e.s Afin de déterminer les connaissances et compétences perceptives des juges, d’un coté en matière d’accent étranger et de l’autre en ce qui concerne les variétés du français dans l’espace francophone, deux scores (= pourcentages des réponses correctes) ont été calculés pour chacun.e des participant.e.s. Le premier (score 1) représente le nombre de stimuli identifiés correctement comme natifs (L1) ou non-natifs (FLE) (→ S’agit-il d’un locuteur natif/ d’une locutrice native ? ) et le deuxième (score 2) symbolise le taux de réussite quant à l’origine des stimuli (→ D’où vient le locuteur/ la locutrice ? ). Comme nous l’avons déjà précisé, définir les concepts de langue première (L1), langue seconde (L2) et langue étrangère (FLE) en Afrique subsaharienne et au Maghreb se révèle assez complexe ; le score 1 ne se calcule donc qu’à la base des stimuli français, belges, québécois et des apprenant.e.s : 93 Les accents natifs et non-natifs du français <?page no="94"?> 30 Des tests t pour échantillons indépendants donnent le même résultat ; cependant, le test U de Mann-Whitney a été jugé plus approprié étant donné que les conditions d’application pour des tests t ne sont pas remplies. score 1= score 2= nombre de stimuli qui ont été correctement identifiés comme natifs ou non-natifs nombre de stimuli dont l’origine a été correctement identifiée nombre total des stimuli français,belges,québécois et des apprenant.e.s nombre total des stimuli français, belges et québécois score 1= score 2= nombre de stimuli dont l’ origine a été correctement identifiée nombre de stimuli qui ont été correctement identifiés comme natifs ou non-natifs nombre total des stimuli français, belges, québécois et des apprenant.e.s nombre total des stimuli français, belges et québécois En ce qui concerne le score 2, nous avons procédé de la manière suivante : quand un.e juge a deviné correctement l’origine d’un stimulus français, belge ou québécois, il/ elle recevait un point. Cependant, quand un.e juge a choisi une origine incorrecte ou bien quand il/ elle a indiqué auparavant qu’il ne s’agissait pas d’une personne native (mais que la personne étaient en réalité française, belge ou québécoise et que le/ la participant.e n’avait donc pas la possibilité de choisir une origine), il/ elle recevait zéro points. Nous avons décidé de ne pas soustraire le nombre de tels cas du nombre total des stimuli français, belges et québécois dans le dénominateur : La raison de ce choix est que ne pas compter les cas où un stimulus natif a été perçu comme non-natif auraient résulté en un score trop optimiste puisque seulement les stimuli univoques auraient été comptés. Le score 1, présenté dans le tableau 6, montre les scores moyens des trois groupes de juges quant à l’identification correcte des stimuli natifs (français, belges, québécois uniquement) et non-natifs et représente donc les réponses à la question S’agit-il d’un locuteur natif/ d’une locutrice native ? Pour donner un exemple d’interprétation, les juges débutant.e.s ont, en moyenne, correctement classifié 64.82 % des stimuli (soit env. 10 sur 16) comme provenant d’une personne native ou non-native. En revanche, le score 2 se réfère à l’identification correcte de l’origine des stimuli natifs (français, belges, québécois) : ainsi, un score de 19.71 % signifie que le groupe des témoins débutant.e.s a coché la réponse correcte à la question D’après vous : d’où vient le locuteur/ la locutrice ? dans 19.71 % des cas en moyenne. Les résultats suggèrent que les deux scores ne varient que très peu selon les niveaux de maîtrise des témoins apprenant.e.s, et que la seule différence pertinente est celle entre les apprenant.e.s et les francophones. Cette hypothèse est confirmée par des tests U de Mann-Whitney 30 : seulement la différence entre juges francophones et chacun des deux groupes d’apprenant.e.s se révélait 94 Karoline Wurzer, Johanna Wolf (Salzbourg) <?page no="95"?> 31 Score 1 : A1-A2 U=31.0, p<0.001 ; B1-B2 U=41.0, p<0.001. Score 2 : A1-A2 U=6.5, p<0.001 ; B1-B2 U=10.0, p<0.001. significative 31 . Ce ne sont que des tendances légères qui suggèrent que les débutant.e.s ont plus de difficultés à discriminer les stimuli natifs et non-natifs et qu’ils discernent moins souvent l’origine exacte des stimuli francophones. Témoins débutant.e.s (A1-A2) Témoins intermédiaires (B1-B2) Témoins francophones moyenne écart-type moyenne écart-type moyenne écart-type Score 1 : L1 vs FLE 64.82 % 8.8 67.58 % 6.86 81.25 % 10.1 Score 2 : Origine 19.71 % 10.91 21.7 % 10.5 58.89 % 14.63 Tab. 6 : Pourcentage moyen et écart-type des deux scores calculés, par groupe de juges On constatera que les écarts-types des deux scores sont assez élevés (d’où les différences non-significatives entre les groupes d’apprenant.e.s) : cela signale que, malgré leur homogénéité (cf. 4.3), les groupes d’apprenant.e.s, mais aussi le groupe natif contiennent des personnes ayant plus et d’autres ayant moins d’expérience (ou une meilleure intuition) quant aux variétés régionales. Pour tenir compte des différences d’évaluation en fonction de l’origine des stimuli, le tableau 7 présente le score 1 des trois groupes de témoins en fonction de l’origine des stimuli et permet donc une vue plus différenciée des résultats : Origine des stimuli Témoins débutant.e.s (A1-A2) Témoins intermédiaires (B1-B2) Témoins francophones France (n=3) 90.32 % 91.67 % 100 % Belgique (n=3) 92.47 % 89.58 % 100 % Québec (n=3) 33.33 % 37.5 % 93.33 % Apprenant.e.s (n=7) 64.98 % 68.3 % 62.86 % Tab. 7 : Identification correcte des stimuli natifs vs non-natifs (score 1) selon l’origine des stimuli, par groupe de juges 95 Les accents natifs et non-natifs du français <?page no="96"?> Les stimuli français et belges ont été reconnus correctement comme natifs par 90.32/ 91.67/ 100 % (stimuli français) et 92.47/ 89.58/ 100 % (stimuli belges) des participant.e.s. Les juges francophones montraient le taux d’identification le plus bas pour le groupe des apprenant.e.s (62.86 % ; cela signifie qu’en moyenne 37.14 % des stimuli non-natifs ont été faussement identifié.e.s comme natifs). Si les apprenant.e.s obtenaient des scores similaires (même un peu plus élevés) à ceux des juges francophones en ce qui concerne l’identification des appre‐ nant.e.s (64.98/ 68.3 % vs 62.86 %), ils/ elles avaient visiblement beaucoup plus de difficultés à identifier les Québécois.e.s comme natifs/ natives (identifié.e.s correctement dans seulement 33.33/ 37.5 % des cas en moyenne). Parmi les groupes d’apprenant.e.s, l’on ne constate, une fois de plus, que très peu de différences. Cependant, il existe un écart notable entre les apprenant.e.s et les francophones, surtout en ce qui concerne la perception des Québécois.e.s. À première vue, nous avons constaté que certains stimuli sont correctement perçus par une grande partie des trois groupes de juges alors que d’autres semblent avoir été plus difficiles pour les témoins. Cependant, il faudra des analyses détaillées afin de découvrir d’éventuels schémas pertinents quant aux stimuli individuels qui puissent expliquer les résultats. 5.3 Attitudes envers la variation du français L’analyse de la question Étiez-vous conscient(e) du fait que le français (comme langue maternelle) se prononce différemment selon les pays (Canada, Belgique, Suisse, Afrique,…) avant de participer à cette étude ? (question qui apparaissait avec d’autres questions à la fin du questionnaire, cf. section 4.4) montre que presque tous/ toutes les juges étaient déjà conscient.e.s de la variation régionale auparavant ; seulement 6.45 % des apprenant.e.s débutant.e.s, 9.38 % des apprenant.e.s intermédiaires et 0 % des francophones ont répondu que non. La situation se présente plus nuancée quant aux deux questions figurant dans le tableau 8. Celui-ci donne les pourcentages des participant.e.s ayant indiqué être d’accord ou ne pas être d’accord avec les deux citations qui visent à dévoiler les attitudes explicites des participant.e.s : 96 Karoline Wurzer, Johanna Wolf (Salzbourg) <?page no="97"?> Question Attitude Témoins débutant.e.s (A1-A2) Témoins intermédiaires (B1-B2) Témoins franco‐ phones Tous les Français et Francophones devraient parler le même français, le français stan‐ dard. Il ne devrait pas y avoir de va‐ riétés ou de dia‐ lectes. POUR 6.45 % 3.45 % 0.0 % CONTRE 93.55 % 96.55 % 100.0 % Dans l’enseigne‐ ment du FLE (Français Langue Étrangère), il suffit que les ap‐ prenant.e.s ap‐ prennent le fran‐ çais de France. POUR 86.67 % 55.17 % 10.0 % CONTRE 13.33 % 44.83 % 90.0 % Tab. 8 : Attitudes envers la variation du français et l’enseignement de la variation (cf. section 4.4) : pourcentages par groupe de juges Si les participant.e.s convergent en grande partie dans leurs réponses à la ques‐ tion 1 (les témoins francophones et presque tous les apprenant.e.s (93.55/ 96.55 %) rejetant l’idée que tous les Français.e.s et francophones devraient parler le même français), la réponse à la question 2 dépend largement du niveau de maîtrise du français : alors que 90 % des participant.e.s francophones favorisent l’enseignement des variétés du français hors de France en classe de FLE et que 44.83 % des apprenant.e.s intermédiaires partagent cet avis, 86.67 % des apprenant.e.s débutant.e.s sont d’avis qu’il suffit d’apprendre le français de France. 6 Discussion Afin de pouvoir répondre à nos questions de recherche, nous avons demandé à nos participant.e.s (francophones et apprenant.e.s) d’évaluer six groupes de stimuli : des apprenant.e.s de français et des francophones originaires de France, de Belgique, du Québec, du Maghreb et de l’Afrique subsaharienne. Les évaluations concernant le degré d’accent, la compréhensibilité, le caractère exemplaire (beau français) et l’acceptabilité comme modèle ont été comparées entre les juges apprenant.e.s (subdivisé.e.s en deux groupes en fonction de 97 Les accents natifs et non-natifs du français <?page no="98"?> leur maîtrise du français : débutant.e.s et intermédiaires) et les témoins franco‐ phones. Par la suite, l’analyse de deux scores, calculés séparément pour chacun.e des participant.e.s et représentant le nombre total des stimuli identifié.e.s correctement comme natifs ou non-natifs ainsi que le taux de réussite quant à l’identification de l’origine des stimuli, permettait d’évaluer le niveau de connaissances préalables, les intuitions et les impressions subjectives de nos juges. Finalement, les attitudes et représentations mentales des participant.e.s quant à la variation régionale ont été examinées moyennant l’analyse des réponses à certaines questions du questionnaire. La première question de recherche visait à savoir si les apprenant.e.s inter‐ médiaires se distinguaient des apprenant.e.s débutant.e.s et des francophones quant à la perception d’extraits sonores de francophones et d’apprenant.e.s. Contrairement à nos attentes, les résultats ne révèlent pas de nette différence entre les niveaux, mais on constate tout de même des tendances démontrant que les juges apprenant.e.s diffèrent dans leurs évaluations des quatre dimensions par rapport aux témoins francophones. Si toutes les évaluations tendent à se situer en bas de l’échelle 1-9, indiquant ainsi des jugements plutôt positifs en général, l’on discerne que la compréhen‐ sibilité est la dimension la plus positivement évaluée (cf. aussi Munro/ Derwing 1995), résultat d’ailleurs peu surprenant vu que les participant.e.s connaissaient déjà le texte. En outre, on constate une légère tendance suggérant que les juges fran‐ cophones évaluent de manière un peu plus stricte que les apprenant.e.s le degré d’accent des stimuli natifs (mais non des stimuli non-natifs). À titre de comparaison, pour ce qui est des études examinant les évaluations de stimuli non-natifs, les uns ont constaté que les apprenant.e.s jugeaient plus strictement (cf. Fayer/ Krasinski 1987 ; Gordon 2018 ; Kang/ Rubin/ Kermad 2019) tandis que d’autres n’ont pas révélé de telle différence (cf. Kim 2009 ; Xi/ Mollaun 2011 ; Zhang/ Elder 2011). En revanche, les apprenant.e.s évaluent plus négativement l’exemplarité (beau français) et l’acceptabilité des stimuli. En général, on note des écarts-types très larges, qui suggèrent une grande variabilité des évaluations dans les groupes ; étant donné que celle-ci est plus importante que la variance entre-groupes, il est vivement déconseillé d’en tirer des conclusions précipitées. Enfin, les stimuli belges sont jugés de manière similaire que les stimuli fran‐ çais alors que les évaluations des stimuli du Maghreb, de l’Afrique subsaharienne et du Québec sont plus proches de celles des stimuli non-natifs. À première vue, cela contraste avec les résultats de Chalier (à paraître), Pustka et al. (2019) et Šebková, Reinke et Beaulieu (2020), qui ont dégagé un prestige non seulement 98 Karoline Wurzer, Johanna Wolf (Salzbourg) <?page no="99"?> latent, mais aussi manifeste (d’une certaine variété) du français du Québec. Notre intention ayant été d’analyser la perception d’apprenant.e.s, nous n’avons inclus que 10 juges francophones, un nombre trop réduit pour analyser en détail les évaluations en fonction de l’origine des juges francophones, ce qui empêche donc une comparaison de nos résultats avec les études mentionnées. Ce qui est intéressant, c’est que, notamment dans le cas du Québec, mais aussi pour ce qui est de l’Afrique subsaharienne, les francophones évaluent les stimuli de manière beaucoup plus positive quant à l’exemplarité (beau français) et l’acceptabilité comme modèle pour des apprenant.e.s comparé à la dimension du degré d’accent. Si ces évaluations (exemplarité et acceptabilité) diffèrent toujours de celles des stimuli français et belges, elles montrent tout de même une certaine prise de conscience et des attitudes pas si négatives que cela des francophones envers ces variétés comparé aux juges apprenant.e.s. Il est intéressant de comparer les données aux résultats de Didelot (2019), qui a obtenu des évaluations très positives de témoins francophones (suisses et français.e.s) pour les locuteurs et locutrices parisien.ne.s, suisses romand.e.s et germanophones, des évaluations moins favorables pour les autres groupes d’apprenant.e.s (italien, hispanophone et japonais) et des évaluations assez mauvaises pour les stimuli de la Côte d’Ivoire (pour la dimension degré de convenance pour un poste de chargé d’enseignant de français). Ayant analysé la perception des stimuli de la Côte d’Ivoire, elle constate que « cette variété semble tellement éloignée de la norme dans l’imaginaire collectif européen qu’elle est d’ailleurs considérée comme non native par près de 70 % de nos auditeurs » (Didelot 2019 : 120). Cependant, il faudra analyser de manière précise les stimuli natifs et non-natifs de Didelot (2019) et de l’enquête présente afin de pouvoir comparer les résultats des deux études (le niveau de maîtrise du français des apprenant.e.s - C1 dans le cas de Didelot et B1-C2, mais majoritairement également C1, dans notre travail - n’étant pas nécessairement un bon prédicteur du degré d’accent, cf. Cook 1999). Car, comme l’a montré Chalier (2018) pour le cas du Québec, le fait qu’il s’agisse d’un accent régional faiblement ou fortement marqué peut nettement influencer les évaluations. Quant à la deuxième question de recherche (Est-ce que la capacité à déterminer si un accent est natif ou non-natif dépend du niveau de langue de la personne qui le juge ? ), nous avons prédit, à la base de la littérature antérieure (Schoon‐ maker-Gates 2012 ; Wilkerson 2010), que le niveau de maîtrise de français influera sur la capacité de discriminer ces deux groupes. Sachant que les juges avaient une chance de 50 % de deviner correctement le statut natif/ non-natif des stimuli, les scores de 64.82 % (A1-A2) et 67.58 % (B1-B2) indiquent que les apprenant.e.s ne répondent pas au hasard, mais ont tout de même des difficultés 99 Les accents natifs et non-natifs du français <?page no="100"?> 32 D’un côté, cela est certainement dû au fait que nous ayons intentionnellement inclus parmi les stimuli non-natifs des apprenant.e.s du niveau expérimenté (C1-C2) ; de l’autre côté, des entretiens informels spontanés avec quelques participant.e.s de l’étude pilote ont révélé des représentations mentales stéréotypées qui, faute de connaissances des variétés, semblent avoir mené les participant.e.s à identifier des personnes avec un fort accent hispanique comme natives (du Maghreb ou de l’Afrique subsaharienne). Il faudrait toutefois des analyses détaillées pour confirmer cette hypothèse. à différencier les stimuli natifs et non-natifs. Étant donné que les témoins de l’étude présente devaient reconnaître des stimuli francophones ‘non-standard’ comme natifs, cela est peu étonnant. En outre, même les juges francophones n’ont pas réussi à identifier correctement le statut français L1 ou français langue étrangère de tous les stimuli (81.25 %). Cela s’explique dans notre cas en grande partie par l’attribution erronée de plusieurs apprenant.e.s (cf. 4.1) au groupe des stimuli natifs 32 , comme le montre un regard sur le tableau 7 (représentant le score 1 des groupes de témoins, en fonction de l’origine des stimuli). Pour ce qui est du score 2 (deviner l’origine des stimuli natifs) et donc de la troisième question de recherche (Est-ce que la capacité à identifier correc‐ tement l’origine géographique d’un accent dépend du niveau de langue de la personne qui l’entend ? ), l’on pouvait s’attendre à ce que la tâche présente des difficultés considérables pour les apprenant.e.s de tous les niveaux (cf. Bergeron/ Trofimovich 2019 ; Neufeld 1980). En effet, comparé au score 1, le taux de réussite des apprenant.e.s tombe considérablement (A1-A2 : 19.71 %, B1-B2 : 21.7 %, francophones : 58.89 %), ce qui s’explique d’un côté par un manque de connaissances en matière de variation régionale, de l’autre côté par notre choix méthodologique conservatif quant au score 2 (cf. 5.2). À titre de comparaison, les francophones montrent aussi des difficultés à choisir la bonne origine des stimuli, mais identifient tout de même correctement la provenance de la majorité des stimuli (58.89 %). Cela confirme les résultats d’Avanzi et Boula de Mareüil (2017), qui ont fait choisir l’origine de stimuli français, belges et suisses à des participant.e.s de ces trois régions et ont obtenu un score de 60 %. À première vue, le score 2 de nos apprenant.e.s peut paraitre assez faible. Cependant - et cela est également valable pour le score 1 - faute d’études d’une aussi large étendue que la nôtre (rappelons que nous avons inclus comme stimuli des francophones de plusieurs régions ainsi que des apprenant.e.s de différents L1), ces résultats ne peuvent être directement comparés à des enquêtes antérieures comme celles de Neufeld (1980) ou Bergeron et Trofimovich (2019) : dans ces études, les participant.e.s ne devaient écouter que des stimuli natifs et, de plus, n’avaient à choisir qu’entre trois options (France, Québec et autre). L’interprétation des résultats doit donc se faire au vu des difficultés imposées à 100 Karoline Wurzer, Johanna Wolf (Salzbourg) <?page no="101"?> 33 D’ailleurs, si la question était intentionnellement assez ouvertement formulée, cela nous empêche d’interpréter si les participant.e.s basent leur décision sur leurs opinions ou leur perception concernant la production, ou bien s’ils se réfèrent au niveau débutant, intermédiaire ou avancé. nos participant.e.s : la différenciation entre un grand nombre de variétés (France, Belgique, Suisse, Québec, Maghreb, Afrique subsaharienne, autre) en plus de la discrimination entre stimuli natifs et non-natifs. Prenant en considération que le taux de réussite au hasard s’élève à 8.33 % pour chaque stimulus, l’on peut tout de même suggérer que même les apprenant.e.s n’ont pas répondu à ces questions accidentellement ou sans réflexion. Quant à la conscience et les attitudes de nos participant.e.s envers la variation régionale (quatrième question de recherche), nous nous attendions, suivant Merlo (2011), à un manque de connaissances ainsi que des attitudes plutôt négatives envers les variétés natives de la part des apprenant.e.s. Bien au contraire, nous avons constaté que presque tous/ toutes les apprenant.e.s (et, ce qui est moins surprenant, la totalité des francophones) étaient conscient.e.s de l’hétérogénéité de la langue française avant de participer à cette enquête. De même, au niveau normatif, presque tous/ toutes les apprenant.e.s convergent avec les participant.e.s francophones, rejetant la position en faveur d’un français standard homogène parlé par tous/ toutes les francophones. Par contre, alors que les francophones favorisent l’intégration de la variation en classe de FLE, moins de la moitié des apprenant.e.s intermédiaires partagent ce point de vue et presque tous/ toutes les apprenant.e.s débutant.e.s le rejettent : ils/ elles sont plutôt d’avis qu’apprendre le « français de France » suffit dans l’enseignement du FLE. Cela s’explique peut-être par le fait que les apprenant.e.s soient surmené.e.s au début de l’apprentissage, mais s’habituent à la langue au fil du temps et aient alors plus de capacités pour apprendre plus qu’une variété 33 . Intéressons-nous maintenant à notre question subordonnée : Qu’est-ce que les évaluations révèlent sur les normes implicites des francophones et des appre‐ nant.e.s ? Les normes implicites convergent-elles avec les normes explicites ? Alors que les réponses explicites du questionnaire ont montré des attitudes généralement positives des francophones ainsi que des apprenant.e.s envers les variétés du français et l’enseignement de ces variétés, l’analyse des évaluations du degré d’accent, du caractère exemplaire et de l’acceptabilité comme modèle pour des apprenant.e.s montre des différences considérables entre les stimuli français et belges d’un côté et québécois, maghrébins, africains subsahariens et non-natifs de l’autre. Nous avançons que cette différence entre réponses explicites et implicites est due au fait que ces dernières soient plus influencées par les stéréotypes inconscients. Cela explique la nécessité de les examiner 101 Les accents natifs et non-natifs du français <?page no="102"?> séparément (cf. Chalier à paraître). S’il est aisément possible de demander à des personnes leur avis sur tel ou tel sujet, les représentations cognitives ne deviennent visibles qu’à travers un comportement spontané (dans notre cas, les évaluations du caractère exemplaire et de l’acceptabilité comme modèle pour des apprenant.e.s du FLE). Analysant les jugements présentés dans la figure 1, nous voyons de manière très explicite que les stimuli français et belges obtiennent les meilleures évalua‐ tions dans toutes les dimensions et par tous les groupes de juges. Cela signifie que les participant.e.s sont d’avis que les Français.e.s et Belges de notre étude… • n’ont presque pas d’accent ; • sont très facilement compréhensibles ; • parlent du « beau français » ; • seraient de très bons modèles pour des apprenant.e.s de FLE. Considérant que les stimuli belges sont jugés de manière très similaire au groupe des Français.e.s ouvre deux possibilités d’interprétation (qui ne s’excluent pas) : soit nous avons affaire à une conception eurocentrique de la norme, soit les similarités résultent des difficultés des participant.e.s à différencier les stimuli français et belges. Il faudra des analyses détaillées pour pouvoir répondre à cette question. Si les témoins francophones ont généralement évalué l’accent de manière plus négative que le caractère exemplaire (beau français) et l’acceptabilité comme modèle pour des apprenant.e.s, montrant ainsi une certaine tolérance envers des variétés qu’ils/ elles considèrent comme divergentes (sur la dimension de l’accent), les jugements d’acceptabilité (plus négatifs pour les stimuli du Québec, de l’Afrique subsaharienne et du Maghreb ainsi que pour les apprenant.e.s que pour les groupes de France et de Belgique) dévoilent toutefois leur préférence pour un modèle si non exclusivement hexagonal, alors eurocentrique natif, à présenter aux apprenant.e.s du FLE. Les participant.e.s apprenant.e.s démon‐ trent non seulement, eux/ elles aussi, une claire préférence pour les variétés natives européennes, mais jugent bien plus sévèrement que les participant.e.s francophones les stimuli du Québec, de l’Afrique subsaharienne et du Maghreb en ce qui concerne le caractère exemplaire (beau français) et l’acceptabilité comme modèle pour des apprenant.e.s. D’ailleurs, il est intéressant de noter que l’écart important entre les apprenant.e.s débutant.e.s et intermédiaires quant à la question s’il suffit que l’on enseigne aux apprenant.e.s « le français de France » (rappelons-nous que les intermédiaires se présentaient beaucoup plus ouvert.e.s que les débutant.e.s au sujet de l’ouverture de l’enseignement vers la variation régionale) ne se reflète pas dans les évaluations de l’acceptabilité : 102 Karoline Wurzer, Johanna Wolf (Salzbourg) <?page no="103"?> ainsi, même si plusieurs participant.e.s intermédiaires indiquent être d’accord avec l’intégration des variétés en classe de FLE, ils/ elles continuent à croire (du moins de manière implicite) qu’un bon modèle pour des apprenant.e.s. ne peut être autre qu’un locuteur / qu’une locutrice français.e (ou belge). Finalement, force est de constater que les évaluations du caractère exemplaire (beau français) ressemblent beaucoup à celles de l’acceptabilité, ce qui suggère que les réactions subjectives des participant.e.s (à quel point il s’agit de beau français) influent sur leur jugement concernant le type de locuteur/ locutrice qui convient comme modèle pour les apprenant.e.s (ou vice versa). 7 Conclusion Dans le cadre de cette étude, nous nous intéressions à la perception des apprenant.e.s de stimuli natifs (francophones de différentes régions) et non-na‐ tifs et comparions leurs connaissances des variétés régionales ainsi que leurs représentations mentales quant aux normes de prononciation à celles de juges francophones. Les résultats de cette enquête présentent des tendances suggérant que les apprenant.e.s se distinguent des francophones quant à la perception et évaluation de différentes variétés natives (cf. figure 1), et qu’il leur manque des connaissances en matière de variétés régionales (cf. tableau 6). En outre, nous avons constaté chez les apprenant.e.s des représentations mentales de normes (du moins en partie) contradictoires (ou plutôt nuancées ? ) : ainsi, si nous avons montré que la plupart des apprenant.e.s semblent avoir une conception ouverte envers la variation régionale (résultat qui contraste avec les travaux précédents ; cf. p. ex. Bergeron/ Trofimovich 2019 ; Merlo 2011), leurs évaluations du caractère exemplaire et de l’acceptabilité des stimuli reflètent une vision monocentrique du français. Par ailleurs, alors que les apprenant.e.s du niveau débutant trouvent suffisant de se concentrer sur une variété, une partie non négligeable des élèves du niveau intermédiaire ont exprimé une position favorable à l’intégration de la variation diatopique en classe de FLE. Pour ce qui est des implications pédago‐ giques, l’on pourrait donc en déduire que l’exposition des apprenant.e.s (à partir du niveau B) aux variétés répondrait aux souhaits de plusieurs apprenant.e.s. De plus, cela élargirait leur horizon (culturel) et améliorerait certainement leurs capacités de compréhension vis-à-vis de ces variétés (cf. Bybee 2001 ; Ellis 2002). Nonobstant, force est de constater (pas seulement dans l’étude présente) que les témoins francophones montrent une préférence pour certaines variétés et dévaluent d’autres. Il est assez improbable que les attitudes des apprenant.e.s changent tant qu’une grande partie des francophones garde leur perception 103 Les accents natifs et non-natifs du français <?page no="104"?> 34 Notons surtout le cas des Québécois.e.s, qui semblent valoriser désormais, en plus du français septentrional, une norme endogène, faisant ainsi preuve d’une conception bicentrique du français (cf. Chalier à paraître). traditionnelle (quoique atténuée) du français comme langue monocentrique 34 , orientée vers l’usage (idéalisé) de la France (septentrionale). Nous insistons donc sur le fait que la discussion concernant l’évaluation positive des variétés du français dans l’espace francophone devrait d’abord s’appuyer sur les attitudes des francophones eux-mêmes/ elles-mêmes (en France et hors de France). Notre conclusion est donc la suivante : si faire écouter aux apprenant.e.s de façon guidée les diverses voix de la francophonie les aidera sûrement à améliorer leur compréhension des variétés diatopiques, il faudrait espérer d’abord un change‐ ment des représentations mentales implicites des francophones natifs/ natives (une attitude positive et un sentiment de légitimité quant aux variétés régionales d’au moins la majorité des francophones) pour pouvoir changer, de manière efficace, d’abord les attitudes des enseignant.e.s non-natifs/ non-natives de FLE, et ensuite les attitudes des apprenant.e.s envers les variétés. Après tout, il est plus que désirable que les inégalités - dans ce cas celles qui résultent d’un accent régional - disparaissent aussitôt que possible. Bien évidemment, notre étude connaît des limites : premièrement, dû aux restrictions liées à la pandémie de COVID-19, les participant.e.s ont effectué le test de perception sous leur propre responsabilité, rendant ainsi tout contrôle de la part des chercheuses impossibles. Ensuite, par souci de réduire la durée nécessaire pour effectuer le test de perception à une soixantaine de minutes, nous n’avons inclus que trois personnes par variété. Puisqu’il n’est pas possible de contrôler parfaitement leur représentativité, il faudrait inclure, dans une étude future, plus de locuteurs/ locutrices par variété, risquant toutefois d’ob‐ tenir des réponses influencées par un effet de fatigue. En outre, les apprenant.e.s forment un groupe assez homogène au niveau de l’âge, mais où les femmes constituent la grande majorité. On ne peut donc pas extrapoler les résultats de leurs évaluations. Le groupe des juges francophones est, a contrario, assez hétérogène ; cependant, vu le nombre limité de personnes par origine, analyser leurs évaluations en fonction de leur origine n’aurait pas donné de résultats fiables. Il sera donc pertinent, dans une future étude, d’inclure plus de témoins francophones de différentes régions. Avec ces premiers résultats nous avons donné une vue d’ensemble sur la perception d’apprenant.e.s du français de plusieurs variétés natives et sur leurs représentations cognitives. Nos résultats suggèrent que chaque individu dispose d’une norme implicite avec laquelle chaque variété est inconsciemment con‐ trastée pendant que l’input linguistique est traité mentalement. La construction 104 Karoline Wurzer, Johanna Wolf (Salzbourg) <?page no="105"?> de cette norme est souvent guidée par des stéréotypes ancrés dans le savoir culturel et épistémique, ce qui a un effet sur les évaluations des accents (cf. Boughton 2006 : 278 ; Preston 1996, 1999 : 369-370). Même s’il faudra plus d’études à ce sujet, les résultats peuvent déjà servir comme point de départ pour de futures enquêtes qui devraient par ailleurs non seulement se concentrer sur la variation régionale, mais aussi élargir ce domaine en analysant le statut de la variation sociale et stylistique dans l’enseignement du FLE. Références Atagi, Eriko/ Bent, Tessa (2017) : « Nonnative accent distrimination with words and sentences », dans : Phonetica 74, 173-191. Auger, Julie/ Valdman, Albert (1999) : « Letting French students hear the diverse voices of Francophony », dans : The Modern Language Journal 83, 403-412. Avanzi, Mathieu/ Boula de Mareüil, Philippe (2017) : « Identification of regional French accents in (northern) France, Belgium, and Switzerland », dans : Journal of Linguistic Geography 5, 17-40. Baese-Berk, Melissa M./ Bradlow, Ann R./ Wright, Beverly A. 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Sur le plan proso‐ dique, à la différence du reste des langues romanes, l’accentuation en français n’est pas lexicalement distinctive. La structure accentuelle dans cette langue relève des interactions complexes avec la structure mélodique (intonation) et les autres niveaux linguistiques (la syntaxe, la pragmatique et le discours en général). En outre, le français a un système orthographique opaque : les correspondances entre graphèmes et phonèmes sont peu consistantes. Ainsi, un graphème peut être associé à plusieurs phonèmes : <s> peut correspondre aux phonèmes / s/ ou / z/ dans les mots saule et rosé respectivement. Mais un phonème peut aussi correspondre à différents graphèmes : / o/ est associé aux graphèmes <o>, <au> ou <eau> dans les mots haricot, haut ou peau. La prononciation du français L2 a été étudiée à partir des erreurs de pro‐ nonciation relevées dans la production orale des apprenants et des difficultés pour discriminer/ identifier auditivement certains phénomènes sonores. Dans la plupart des recherches, les spécialistes en phonétique et didactique étudient non seulement le transfert de la langue maternelle (L1) des apprenants dans l’acquisition des nouveaux sons en français L2 (cf. toutes les recherches com‐ pilées par Detey et al. 2016b), mais également l’impact de l’âge auquel les élèves commencent l’apprentissage de cette langue (Birdsong 2007), les effets de différentes techniques de classe (Inceoglu 2014 ; Alazard-Guiu et al. 2018), <?page no="114"?> les aptitudes musicales (Miras 2013), les effets des gestes corporels (Zhang et al. 2020), entre autres facteurs. Cependant, le rôle que peuvent jouer les systèmes orthographiques de la L1 et de la L2 a été plutôt délaissé dans les recherches, qu’elles soient en français L2 (Detey/ Nespoulous 2008 ; Santiago 2018) ou dans d’autres L2 en général (Mairano et al. 2018 ; Bassetti 2017). Or, les formes orthographiques ont une dimension visuelle très importante chez les apprenants d’une L2, si bien que les graphèmes de la L1 et de la L2 peuvent interférer avec l’acquisition des nouveaux sons de la langue cible (Bassetti 2017 ; Detey 2005). Dans cette contribution, nous explorons le rôle que peuvent jouer, outre la phonologie de la L1 et le niveau de langue, l’orthographe dans la prononciation en FLE chez les hispanophones du Mexique. Pour ce type d’apprenants, l’appren‐ tissage de la L2 se développe surtout avec les interactions entre les membres de la salle de classe (d’autres apprenants hispanophones) et les matériels utilisés par les enseignants. Dans ce type de contexte d’apprentissage formel, les apprenants mexicains sont confrontés à une quantité d’input oral de la L2 plus limitée que les locuteurs apprenant le français dans un pays où cette langue est parlée par la communauté linguistique. En outre, les interactions orales avec des franco‐ phones natifs sont quasi-inexistants pour les étudiants universitaires apprenant le FLE au Mexique. Dans un tel contexte, les apprenants sont confrontés à l’input écrit pour développer des compétences orales, y compris l’apprentissage de la prononciation. Dans la plupart des activités consacrées à la didactique de la pro‐ nonciation, les enseignants au Mexique emploient non seulement du matériel (audio-)visuel comme les chansons, des enregistrements oraux, des extraits de radio/ télévision ou des exercices de discrimination, mais également du matériel écrit expliquant les règles portant sur les correspondances entre graphèmes et phonèmes, l’emploi des textes écrits pour leur oralisation ou la répétition des mots à partir de leurs représentations orthographiques. En conséquence, les apprenants peuvent développer un système de règles phonologiques de la L2 à partir de deux types d’input : oral et écrit. Notre contribution a un double objectif. D’une part, nous comparons la qualité acoustique des voyelles orales moyennes / e/ , / ɛ/ , / ə/ , / ø/ , / œ/ produites par 27 apprenants mexicains universitaires (originaires de la ville de Mexico) et par 10 locuteurs francophones natifs (originaires de la région parisienne). D’autre part, nous discutons du rôle de l’input écrit dans l’acquisition de la prononciation en FLE afin que les enseignants puissent concevoir des séquences/ techniques pédagogiques mieux adaptées à ce type d’apprenants tout en considérant le rôle de l’orthographe en salle de classe. Ce dernier point s’appuie sur les recherches montrant que l’acquisition de la phonologie d’une L2 dépend, non seulement 114 Fabián Santiago (Paris), Paolo Mairano (Lille) <?page no="115"?> des facteurs perceptifs, mais également des facteurs visuels dont l’orthographe (Bassetti 2017 ; Detey 2005 ; Hardison 2007). 2 Les problèmes de prononciation du FLE chez les hispanophones 2.1 Les études précédentes Le français hexagonal est un système linguistique qui comprend 16 phonèmes vocaliques et 20 phonèmes consonantiques (Léon 2009 ; Lauret 2007). Pour le français parisien (variété enseignée principalement au Mexique), il est généra‐ lement admis que les locuteurs articulent 14 voyelles (Fougeron/ Smith 1993). Comparé à l’espagnol de la ville de Mexico, langue qui contient 5 voyelles et 17 consonnes (Avelino 2018 ; Hualde 2005), le français s’avère un système plus complexe quant aux nombre et type de phonèmes. Les didacticiens du FLE et les chercheurs en général ayant étudié la prononciation des apprenants hispanophones trouvent que ces derniers rencontrent les difficultés suivantes : 1. la distinction des voyelles / u/ ~/ y/ (Racine 2012) ou bien / e/ ~/ ɛ/ et / ø/ ~/ œ/ (Kartushina/ Frauenfelder 2014, Dewarte et al. 2020, Tomé 1995) ; 2. la prononciation des voyelles nasales (Bustamante et al. 2014) et leur discrimination auditive (Bustamante et al. 2018) ; 3. le voisement de certains segments consonantiques comme le / z/ (Santiago 2018), le / ʒ/ et le / v/ (Tomé 1996 ; Dewarte et al. 2018) ; 4. l’acquisition de la liaison (Racine 2016) ; 5. l’articulation du trait [+occlusif] des consonnes / b/ , / d, / ɡ/ en position intervocalique (Tomé 1996, Companys 1966) ; 6. la production des groupes accentuels (Barquero 2012 ; Santiago/ De‐ lais-Roussarie 2015) ; 7. la production des contours mélodiques similaires à ceux produits par les natifs à la fin des énoncés interrogatifs (Santiago/ Delais-Roussarie 2015). Certaines de ces difficultés ont été examinées avec l’étude de données orales re‐ présentatives (nombre suffisant de participants et d’occurrences) en comparant des productions contrôlées et spontanées (Racine 2016, Santiago/ Delais-Rous‐ sarie 2015). D’autres études ont plutôt analysé des données orales obtenues dans des situations très contrôlées, i.e., la production orale de logatomes, des mots isolés ou via l’oralisation des phrases ou des textes (Kartushina/ Frauenfelder 2014 ; Barquero 2012 ; Bustamante 2014). Par ailleurs, très peu d’études ont analysé la perception des sons en français L2 chez les apprenants hispanophones (Kartushina/ Frauenfelder 2014 ; Bustamante 2018) et les effets de l’accent 115 La prononciation des voyelles / e/ , / ɛ/ , / ə/ , / ø/ , / œ/ en FLE chez les hispanophones <?page no="116"?> étranger des hispanophones chez les francophones natifs (Mairano/ Santiago 2020). Pour ce qui est de l’acquisition des voyelles moyennes / e/ , / ɛ/ , / ə/ , / ø/ , / œ/ en FLE, rares sont les études qui abordent la question. Par exemple, Levy/ Strange (2008) ont montré que les anglophones (sans aucune connaissance du français) ont des difficultés pour discriminer la paire / u/ ~/ œ/ . Ces auteurs ont montré que le seuil de perception chez les anglophones est contraint par leur L1 ne leur permettant pas de distinguer correctement ces deux segments. Kamiyama/ Vaissière (2009) ont également montré que les apprenants japonais ont des difficultés pour produire et discriminer la paire / ø/ ~/ u/ . Les auteurs expliquent que le transfert de la L1 des japonophones peut être activé sur le plan de la production et de la perception. Enfin, des études plus récentes ont exploré les facteurs qui motivent la production ou la chute du schwa / ə/ en FLE chez des apprenants germanophones (cf. Pustka et al. dans ce volume). Quant à l’acquisition de ces voyelles chez des hispanophones, à notre connaissance, seulement une étude expérimentale s’est focalisée sur cet aspect. Kartushina/ Frauenfelder (2014) ont analysé la production et la perception des voyelles / e/ ~/ ɛ/ et / ø/ ~/ œ/ chez 14 apprenants espagnols. À partir d’un protocole expérimental contrôlé (tâche de répétition de mots, tâche de dénomination et tâche d’identification), les auteurs trouvent que les apprenants hispanophones réussissent mieux à identifier / e/ ~/ ɛ/ que / ø/ ~/ œ/ , montrant que l’acquisition du trait d’aperture permettant d’opposer ces voyelles est plus difficile pour la dernière paire. Dans notre étude, nous poursuivons cette piste de recherche. A la différence des travaux de Kartushina/ Frauenfelder (2014), nous nous focalisons ici sur l’acquisition du trait d’arrondissement permettant de distinguer les voyelles orales moyennes en analysant des données de parole contrôlée et spontanée. En outre, nous explorons le rôle que peut jouer l’orthographe pour l’acquisition du contraste d’arrondissement des lèvres pour ces voyelles. Dans les sections suivantes, nous récapitulons nos hypothèses. 2.2 Le cas des voyelles / e/ , / ɛ/ , / ə/ , / ø/ , / œ/ en FLE En français, le trait de labialisation (arrondissement des lèvres) permet d’opposer plusieurs paires de voyelles : / i/ ~/ y/ (lit vs lu), / e/ ~/ ø/ (ces vs ceux), / ɛ/ ~/ œ/ (père vs peur). Dans cette langue, il existe quatre degrés d’aperture (ouverture de la cavité buccale) qui permettent de classifier les voyelles en quatre catégories : fermées / i/ , / y/ , / u/ , semi-fermées / e/ , / ø/ , / o/ , semi-ouvertes / ɛ/ , / œ/ , / ɔ/ et ou‐ verte / a/ . Le système vocalique espagnol est plus simple que le système vocalique français. D’une part, le trait [+arrondie] n’est pas pertinent pour opposer les voyelles espagnoles : seules les voyelles postérieures / o/ , / u/ s’articulent 116 Fabián Santiago (Paris), Paolo Mairano (Lille) <?page no="117"?> avec les lèvres arrondies tandis que les voyelles antérieures / i/ , / e/ ainsi que la voyelle centrale / a/ s’articulent sans arrondir les lèvres. Autrement dit, l’arrondissement des lèvres n’est pas distinctif dans cette langue. D’autre part, il existe seulement trois degrés d’aperture : deux voyelles fermées / i/ , / u/ , deux voyelles moyennes / e/ , / o/ et une voyelle ouverte / a/ . Il faut par ailleurs considérer que les voyelles dépourvues d’un accent lexical en espagnol mexicain peuvent être articulées avec un dévoisement ou réduction temporelle extrême, surtout devant / s/ (Hualde 2015). Dans ce dernier cas, les voyelles peuvent être élidées complètement : pesos peut être articulé pes(o)s. En outre, cet affaiblissement vocalique n’entraîne pas l’articulation d’une voyelle centrale du type schwa comme dans certaines langues germaniques (i.e., anglais, allemand) ni l’articulation d’un schwa comme en français. La Figure 1 illustre les trapèzes vocaliques du français parisien et de l’espagnol de la ville de Mexico récapitulant cette analyse contrastive. Notons que les trois voyelles nasales françaises de cette variété (/ ɑ̃/ , / ɛ̃/ , / ɔ̃) sont absentes dans cette figure. Fig. 1 : Trapèzes vocaliques du français parisien (Fougeron/ Smith 1993) et de l’espagnol de la ville de Mexico (Avelino 2018) Pour le cas qui nous occupe, les apprenants hispanophones doivent apprendre deux gestes articulatoires distinctifs en FLE : la labialisation (arrondies vs non arrondies) et deux degrés d’aperture (semi-fermée vs semi-ouverte). Selon Fougeron/ Smith (1993), les phonèmes / e/ et / ɛ/ s’opposeraient par un trait d’aperture et suivraient une distribution partiellement complémentaire en français. Ces deux phonèmes s’opposent en syllabe ouverte en position finale du mot permettant de distinguer des paires minimales telles que gué [ɡe] vs guet [ɡɛ] ou nez [ne] vs naît [nɛ]. Dans le reste des cas, le son [ɛ] est le plus fréquemment observé en syllabe fermée et [e] en syllabe ouverte : servir [sɛʁviʁ] vs sévir [seviʁ]. Néanmoins, l’opposition de ces phonèmes en syllabe ouverte n’est plus attestée dans différentes variétés du français (Detey et al. 2016a), si 117 La prononciation des voyelles / e/ , / ɛ/ , / ə/ , / ø/ , / œ/ en FLE chez les hispanophones <?page no="118"?> bien que la prononciation des suites je mangerai vs je mangerais ou épée vs épais serait pratiquement la même chez la plupart des locuteurs francophones. Gendrot/ Audibert (2019) ont montré que les voyelles [e] et [ɛ] en position finale de mot occupent des zones très proches dans l’espace acoustique en français hexagonal standard. Selon ces auteurs, leurs propriétés perceptives seraient donc quasi-identiques. Selon Fougeron/ Smith (1993), les phonèmes / ø/ et / œ/ connaissent également une certaine distribution complémentaire. La voyelle / œ/ est toujours pro‐ noncée [œ] suivie des phonèmes / ʁ/ , / f/ , / v/ , / j/ ou devant / bl/ comme dans les mots sœur, veuf, neuve, feuille ou meuble. La voyelle / ø/ est toujours prononcée [ø] devant / z/ ou en position finale de mot : feu, creuse. Des paires minimales telles que jeûne [ʒøn] vs jeune [ʒœn] permettent de considérer que le trait d’aperture est distinctif pour ces deux phonèmes. En revanche, leur alternance n’entraîne aucun changement de sens dans la plupart des cas : rajeunir peut être prononcé [ʁaʒøniʁ] ou [ʁaʒœniʁ], dégueuler peut être prononcé [deɡøle] ou [deɡœle]. Enfin, le phonème / ə/ (mieux connu sous les noms de schwa ou e caduc) ne fait pas exception. Les descriptions de cette voyelle sont sujettes à controverses. D’une part, cette voyelle peut ou non être réalisée. Plusieurs facteurs condition‐ nent sa réalisation ou son absence dans la parole : des règles phonologiques, des facteurs sociolinguistiques, des facteurs régionaux, entre autres (cf. Pustka/ Heiszenberger/ Courdès-Murphy dans ce volume). Lorsqu’il est réalisé, le schwa permettrait de distinguer certaines paires minimales comme je [ʒə] vs jeu [ʒø]. En revanche, les caractéristiques acoustiques/ perceptives du schwa, quand il est prononcé, font également débat. Pour certains auteurs, la prononciation du schwa s’apparente à celle de la voyelle / ø/ , pour d’autres plutôt à la voyelle / œ/ , et pour d’autres, le schwa a un timbre propre qui se distingue des deux premières (Bürki et al. 2008). Fougeron et al. (2007) montrent que le schwa a un degré intermédiaire d’aperture entre les voyelles semi-fermées et semi-ouvertes, un degré intermédiaire d’arrondissement et elle est plutôt articulée comme une voyelle antérieure. Quoi qu’il en soit, les apprenants de FLE sont confrontés à plusieurs pro‐ blèmes lors de l’apprentissage de la prononciation des voyelles / e/ ~/ ɛ/ et / ø/ ~/ œ/ se distinguant par le trait d’aperture. D’une part, ils peuvent être confrontés à des descriptions un peu contradictoires affirmant que ces voyelles permettent d’opposer quelques paires minimales, alors que dans l’immense majorité des cas, les locuteurs natifs ne font plus la distinction entre ces segments. D’autre part, même si une telle distinction est maintenue chez certains locuteurs francophones natifs, la variabilité dans leur prononciation est très importante. 118 Fabián Santiago (Paris), Paolo Mairano (Lille) <?page no="119"?> Devant ce scénario où l’exception semblerait plutôt être la règle, certains didacticiens comme Lauret (2007) ou Tomé (1996) proposent de réduire l’in‐ ventaire phonologique des voyelles moyennes du français à trois segments pour des raisons pédagogiques et de simplicité. Chez ces auteurs, les voyelles [e] et [ɛ] sont deux variantes de la voyelle / E/ , alors que / ø/ et / œ/ le sont de la voyelle / Œ/ , la voyelle / ə/ étant classée dans une catégorie à part. No‐ tons que cette classification comprend l’exclusion du trait d’aperture (voyelle semi-fermée vs semi-ouverte), mais maintient le trait d’arrondissement des lèvres. Dans les lignes qui suivent, nous allons suivre cette approche pour deux raisons. D’une part, la distinction entre / E/ ~/ Œ/ est maintenue dans la plupart des contextes, que la syllabe soit ouverte (ces/ ceux, dé/ deux, fée/ feux) ou fermée (mer/ meurt, serre/ sœur, père/ peur). D’autre part, l’opposition / E/ ~/ ə/ permet de distinguer les suites j’ai mangé/ je mangeais, c’est lui/ celui ou il serrait/ il serait. 2.3 La question de l’orthographe Un système d’orthographe a comme premier objectif de représenter les pho‐ nèmes d’une langue (Catach 1991). Un système idéal serait celui où les corres‐ pondances entre graphèmes et phonèmes sont biunivoques : chaque phonème correspond à un seul graphème. Pour des raisons que nous n’aborderons pas ici (par manque de place), les systèmes d’écriture des langues sont loin d’arriver à un tel degré de correspondance. De manière générale, le système orthographique de l’espagnol est considéré, dans toutes ses variétés, comme un système relativement transparent : les correspondances entre graphèmes et phonèmes sont quasi biunivoques à l’exception de quelques cas (Hualde 2015). Pour ce qui en est de la voyelle espagnole / e/ , elle correspond à un seul graphème <e> ; laquelle peut contenir un accent aigu <é> signalant la présence de l’accent lexical : par exemple, dans les mots <bebé> (bébé), <trébol> (trèfle) et <médico> (médecin). Le français, a contrario, dispose d’un système d’orthographe relativement opaque (Catach 1991) : 1. un phonème peut correspondre à différents graphèmes (/ o/ peut être associé aux suites <o>, <au> ou <eau>) ; 2. un graphème peut correspondre à différents sons (<s> se prononce [s] dans le mot sel, mais [z] dans le mot base) ; 3. certaines lettres ne sont pas prononcées (<ent> dans le mot mangent). Les phonèmes qui nous intéressent ici ont des correspondances orthographiques très variées en français. Le coût cognitif pour les apprenants est donc très élevé 119 La prononciation des voyelles / e/ , / ɛ/ , / ə/ , / ø/ , / œ/ en FLE chez les hispanophones <?page no="120"?> lorsqu’ils doivent apprendre à faire des associations entre les graphèmes et les sons correspondants en FLE : 1. la voyelle / E/ est associée aux graphèmes suivants : <e> + consonne(s) en fin de mot (les, manger, et…), <é> (décidé, parlé…), <è> (père, dès), <ê> (fête, bête), <ai> (mai, dirai…, fais, mangeraient, à l’exception du mot faisait prononcé avec la voyelle [ə], <eC 1 C 2 > avec C 1 ≠ <n, m> (espérer, contexte) ; 2. la voyelle / Œ/ correspond aux graphèmes suivants : <eu> (deux, feu, peur, neuf…), <œu> (sœur, œuf…) ; 3. la voyelle / ə/ correspond à la lettre <e> non suivie d’une consonne à l’intérieur de la même syllabe : premier, dedans. 3 La présente étude 3.1 Objectifs Notre premier objectif est d’analyser la production des voyelles moyennes / e/ , / ɛ/ , / ə/ , / ø/ , / œ/ en FLE par des locuteurs hispanophones. Selon les études analysées dans les premières sections, l’acquisition des traits d’ar‐ rondissement et d’aperture en FLE serait une difficulté pour les apprenants hispanophones mexicains. Dans la présente étude exploratoire, nous exami‐ nerons seulement l’acquisition du trait d’arrondissement et laisserons pour une future recherche la question du trait d’aperture. Notons que ce dernier trait n’est pas exploité de manière exhaustive pour opposer les voyelles en question selon les études examinées en français L1 dans les premières sections. De plus, nous optons pour étudier un trait qui semble être plus important dans l’enseignement du FLE : les voyelles [±arrondies] permettent d’opposer, sans l’ombre d’un doute, plusieurs paires minimales. Pour ce faire, nous regrou‐ pons les voyelles / e/ , / ɛ/ , et / ø/ , / œ/ sous les catégories / E/ et / Œ/ , mais nous conservons dans une catégorie à part le schwa / ə/ . Cela nous permet d’étudier l’acquisition du trait d’arrondissement qui distingue / E/ ~/ Œ/ ~/ ə/ sans tenir compte du trait d’aperture. Nous prédisons que les voyelles / Œ/ et / ə/ seraient systématiquement articulées comme / E/ , puisque dans la L1 des apprenants, le trait d’arrondissement n’est pas distinctif. En revanche, les étudiants ayant un niveau intermédiaire devraient avoir moins de difficultés que les débutants pour articuler ce trait. Ensuite, notre deuxième objectif est de comparer l’influence de l’orthographe dans la prononciation de ces voyelles. Différentes études ont démontré que l’orthographe a une influence sur l’acquisition de la prononciation d’une L2 120 Fabián Santiago (Paris), Paolo Mairano (Lille) <?page no="121"?> (Detey/ Nespoulous 2008 ; Mairano et al. 2018 ; Santiago 2018 ; Bassetti 2017). La voyelle / ə/ étant associée en français au graphème <e>, et le graphème <e> étant systématiquement prononcé [e] en espagnol, nous émettons l’hypothèse que cette graphie peut activer un effet inter-orthographique chez les apprenants, c’est-à-dire un mécanisme de transfert des correspondances entre graphèmes et phonèmes de la L1 sur la L2. En effet, le graphème <e> associé au schwa entraînerait l’activation des correspondances des graphèmes et phonèmes de la L1 des apprenants ayant comme résultat la prononciation de la voyelle [e] au lieu de [ə]. Nous émettons aussi comme hypothèse que cet effet serait plus important dans la tâche de lecture que dans la production orale spontanée, puisque la présence de la forme écrite renforcerait ce transfert. En revanche, les graphèmes correspondant à la voyelle / E/ en français étant congruents aux correspondances graphèmes-phonèmes de la voyelle / e/ dans la L1 des apprenants (à l’exception du digraphe <ai>), l’influence des formes orthographiques serait en faveur de la prononciation d’une voyelle [e] ou éventuellement de la voyelle [ɛ]. Quant aux graphèmes correspondant à la voyelle / Œ/ , nous prédisons que les apprenants ne seraient pas influencés par les incongruences des associations entre graphèmes et sons de la langue cible : les graphèmes étant systématiques et exploitant des digraphes très rares ou inexistants dans leur L1 (<eu> et <œu>), les apprenants ne devraient pas être influencés par les correspondances graphèmes-phonèmes de la langue native. Bien au contraire, la présence d’un tel digraphe pourrait être un facteur positif qui associerait mémoire auditive et visuelle. Le cas échéant, si / Œ/ représente un problème dans sa prononciation, nous aurons affaire à un mécanisme du transfert plutôt phonologique : la voyelle / Œ/ serait articulée comme la voyelle / e/ de leur L1 confirmant ainsi que le trait d’arrondissement représente une difficulté indépendamment de ses correspondances orthographiques. 3.2 Le corpus L’analyse de nos données a été faite sur le corpus Interphonologie du Français Contemporain (Racine et al. 2012), et plus particulièrement à partir du sous-projet Espagnol du Mexique (Santiago 2018). Le sous-ensemble de ce corpus contient la production orale de 27 étudiants hispanophones adultes originaires de la Ciudad de México, au Mexique. Parmi ces étudiants, 9 étudiants avaient le niveau A2+ et 18 le niveau B1(+). Le protocole de ce corpus comprend la réalisation de cinq tâches : répétition et lecture de mots isolés, lecture à haute voix d’un texte, entretien semi-dirigé et interaction entre deux étudiants. Pour la présente étude, 121 La prononciation des voyelles / e/ , / ɛ/ , / ə/ , / ø/ , / œ/ en FLE chez les hispanophones <?page no="122"?> nous avons étudié un sous-ensemble des données orales collectées dans la tâche de lecture et dans l’interaction orale entre deux apprenants. Comparer ces deux tâches nous a permis d’examiner les effets de l’input écrit (lecture), et plus particulièrement, les effets des graphèmes sur la prononciation des sons par rapport à la conversation libre où les formes orthographiques sont absentes. Le texte lu à haute voix par les participants consiste en une courte histoire contenant 398 mots (3 minutes de parole en moyenne). Durant la tâche d’interaction orale, deux apprenants mexicains ont parlé en français de plusieurs sujets (dernier film vu, dernières vacances, etc.) pendant dix minutes. Nous avons analysé la production orale des trois premières minutes de cette tâche où la moyenne de mots produits est 900. Afin de pouvoir comparer la production de ces voyelles avec une norme, nous avons retenu la production orale de la lecture oralisée par 10 locuteurs natifs du français (français L1) du même texte. 3.3 Les annotations, les analyses acoustiques et les métriques Les données, entièrement transcrites suivant les normes de l’orthographe con‐ ventionnelle, ont été segmentées en unités inter-pausales prenant comme seuil la présence d’une pause silencieuse >200 ms. Ensuite, ces unités inter-pausales ont été segmentées en mots, syllabes et phonèmes de manière automatique avec le logiciel EasyAlign (Goldman 2011). En parole spontanée, il est normal que plusieurs segments soient produits avec une réduction temporelle extrême entraînant parfois leurs élisions. Le logiciel EasyAlign fait un alignement forcé entre les phonèmes théoriques (canoniques) et le signal de parole, ce qui résulte en plusieurs erreurs de segmentation. Pour pallier ce problème, le premier auteur a vérifié la segmentation automatique faite pour les voyelles en question. Lorsque la segmentation d’une voyelle n’était pas associée à des formants visibles dans le signal de parole, une segmentation de 20 ms était attribuée aux segments environnants (contexte gauche et droit) de ladite voyelle. Un script Praat a été utilisé pour extraire les formants (F1, F2 et F3) aux noyaux vocaliques des phonèmes segmentés dans l’ensemble du corpus. Ces valeurs formantiques permettent de mesurer et de comparer le degré d’aperture (F1), de centralisation (F2) et d’arrondissement des lèvres (F2 et F3). Dans la Figure 2, nous illustrons les valeurs de F1-F2-F3 d’un locuteur natif (à gauche) et d’un apprenant hispanophone (à droite) pour le mot le [lə] dans la suite le maire, extrait de la tâche de lecture. Cette figure illustre que les valeurs formantiques du schwa sont équidistantes pour le locuteur natif. Cela suggère que ce phonème est réalisé comme une voyelle centrale avec un certain arrondissement des lèvres. En revanche, les valeurs de F2 et F3 de la voyelle de l’étudiant hispanophone sont plus élevées que celles du locuteur natif. Les valeurs de F2-F3 plus élevées 122 Fabián Santiago (Paris), Paolo Mairano (Lille) <?page no="123"?> suggèrent que la voyelle n’est pas centralisée et que le geste articulatoire des lèvres correspond plutôt à une voyelle non arrondie et non centralisée [e]. Fig. 2 : Spectrogrammes du mot le en français L1 (à gauche) et FLE (à droite) Comme dit préalablement, le schwa peut être réalisé ou non. Dans cette étude exploratoire, nous analysons les propriétés articulatoires du schwa en FLE lorsque cette voyelle est articulée dans les contextes suivants : (i) à l’intérieur du mot (premier, mercredi…) et (ii) produite dans des mots clitiques (ce, le, ne, me, je…). Dans cette analyse, nous laissons de côté les facteurs déterminant la réalisation du schwa ou son absence en FLE. Autrement dit, nous n’analysons les propriétés acoustiques du schwa que lorsqu’il est réalisé. Pour ce faire, nous avons écarté toutes les voyelles ayant une durée inférieure à 20 ms. La qualité acoustique des schwas a donc été examinée dans tout tronçon de parole > 20 ms présentant une structure formantique visible. Le Tableau 1 récapitule le nombre total de voyelles analysées dans cette étude par catégorie (14 796 voyelles au total). Français L1 Français L2 / Œ/ 219 483 / ə/ 605 3669 / E/ 1766 8054 Tab. 1 : Nombre de voyelles analysées dans le corpus. 123 La prononciation des voyelles / e/ , / ɛ/ , / ə/ , / ø/ , / œ/ en FLE chez les hispanophones <?page no="124"?> Enfin, pour comparer la réalisation des voyelles entre les groupes et les tâches, nous avons utilisé la métrique Pillai Scores (Nycz/ Hall-Lew 2013 ; Mairano et al. 2019). Cette analyse permet de mesurer le degré de chevauchement (overlap) des voyelles appartenant à différentes catégories dans l’espace acoustique chez les locuteurs (Nycz/ Hall-Lew 2013 : 5). Le degré de chevauchement dans l’espace acoustique affecte la perception auditive de deux catégories putatives, et par conséquent la reconnaissance de mots différents (du type dé vs deux). La Figure 3 illustre trois distributions théoriques délimitées par des cercles montrant différents types de chevauchement sur un plan bidimensionnel. Fig. 3 : Valeurs Pillai de trois distributions théoriques. Une valeur Pillai proche de 1 indiquerait une séparation complète entre les membres de chaque catégorie suggérant que ces derniers ont des qualités acoustiques/ perceptives complètement différentes. Un exemple ici serait de comparer les propriétés acoustiques des voyelles françaises / i/ ~/ a/ . En revanche, une valeur Pillai proche de 0 indique que les deux distributions sont complète‐ ment chevauchées suggérant que les membres de ces deux catégories peuvent être vus comme les membres d’une seule catégorie, comme par exemple le cas des voyelles françaises / ø/ ~/ ə/ ou / e/ ~/ ɛ/ . Enfin, une valeur moyenne de 0,50 indique que les catégories sont partiellement chevauchées, comme par exemple les voyelles / ɛ/ ~/ a/ . Les valeurs Pillai sont obtenues via des tests statistiques MANOVA maniant différents types de variables dépendantes continues, en l’occurrence, les valeurs formantiques F1, F2 et F3. Les valeurs Pillai obtenues permettent d’examiner dans quelle mesure les voyelles ciblées dans notre étude se chevauchent ou pas dans un plan tridimensionnel selon les différents groupes (natifs vs apprenants), les tâches (lecture vs parole spontanée) et le niveau de langue (A2(+) vs B1(+)). Pour les données des apprenants de notre étude, nous 124 Fabián Santiago (Paris), Paolo Mairano (Lille) <?page no="125"?> assumons que plus les catégories se chevauchent, plus important est la difficulté pour articuler des voyelles différentes. 3.4 Résultats La Figure 4 illustre les distributions des voyelles / Œ/ , / E/ , / ə/ sur les plans F1 ✕ F2 et F2 ✕ F3 respectivement selon les locuteurs natifs et les apprenants (valeurs normalisées avec une approche Lobanov). Ces figures montrent plu‐ sieurs patrons. Sur les plans F1 ✕ F2 et F2 ✕ F3, et sans aucun étonnement, nous constatons que les voyelles / E/ et / ə/ occupent deux zones différentes dans l’espace acoustique en français L1. Ce même patron est observé lorsqu’on compare la distribution des voyelles / E/ ~/ Œ/ . Dans les deux cas, les ellipses ne se chevauchent que partiellement. En revanche, un chevauchement important est observé pour les voyelles / Œ/ et / ə/ , notamment sur le plan F2 ✕ F3 où tous les membres de la catégorie / Œ/ sont pratiquement distribués dans le même espace acoustique du schwa. Cela suggère que les timbres du schwa et de la voyelle / Œ/ sont quasi-identiques dans nos données des locuteurs natifs : les deux voyelles sont articulées avec un arrondissement des lèvres. La production des apprenants hispanophones montre une autre tendance. Les voyelles / E/ et / ə/ semblent occuper la même zone acoustique, d’autant sur le plan F2 ✕ F3 : le schwa en FLE est articulé comme une voyelle plutôt antérieure et non labialisée, tout comme la voyelle / E/ . Cependant, nous observons que les hispanophones ont une tendance à produire la paire / E/ ~/ Œ/ avec des traits articulatoires différents. En effet, les ellipses ont une tendance à ne pas se chevaucher, suggérant que les hispanophones arrivent à produire la voyelle / Œ/ avec le trait de labialisation et avec une certaine centralisation. Enfin, notons que les voyelles / Œ/ ~/ ə/ occupent des zones acoustiques différentes, ce qui contraste avec la production des natifs. 125 La prononciation des voyelles / e/ , / ɛ/ , / ə/ , / ø/ , / œ/ en FLE chez les hispanophones <?page no="126"?> Fig. 4 : Ellipses de dispersion intégrant 66 % des voyelles / E/ , / Œ/ , / ə/ analysées dans notre corpus en français L1 et en FLE. Valeurs Pillai / E/ ~ / ə/ / E/ ~ / Œ/ / Œ/ ~ / ə/ Français L1 0.49 0.27 0.18 Français L2 0.06 0.13 0.13 Tab. 2 : Valeurs Pillai obtenues via des tests statistiques MANOVA Le Tableau 2 rapporte les valeurs Pillai en comparant les trois paires de voyelles dans les deux groupes. Selon ces résultats, les valeurs Pillai du degré de chevauchement entre les voyelles / E/ ~/ ə/ en français L1 est de 0,49, alors qu’en français L2 il est de 0,06. Cela confirme que ces deux voyelles en français L2 sont quasi-identiques. Dans la Figure 5, nous illustrons la distribution de ces voyelles dans les deux groupes sur le plan F1 ✕ F2. Nous pouvons observer que dans le cas du français L1, ces deux voyelles se dispersent dans deux zones clairement identifiables, alors qu’en français L2, les deux voyelles sont pratiquement chevauchées. La paire / E/ ~/ Œ/ a une valeur Pillai de 0,27 en français L1, alors qu’en français L2, elle est de 0,13. Cela suggère que pour les deux groupes, ces deux voyelles se distribuent dans deux zones différentes, même si un chevauchement est observé (la valeur Pillai relativement faible est due au nombre non équilibré des voyelles collectées). Enfin, les valeurs Pillai pour la paire / Œ/ ~/ ə/ , cette fois-ci, semblent suggérer que pour les deux groupes, ces voyelles occupent des zones acoustiques différentes, mais avec 126 Fabián Santiago (Paris), Paolo Mairano (Lille) <?page no="127"?> un chevauchement relativement plus important. Les tests statistiques montrent qu’il n’y a aucun effet de la tâche réalisée, ni du niveau des apprenants. Fig. 5 : Distribution des toutes les occurrences des voyelles / E/ , / Œ/ , / ə/ sur les plans F1 ✕ F2 en français L1 et en FLE 4 Discussion Cette étude exploratoire montre trois tendances. Premièrement, les dispersions des voyelles / E/ et / ə/ en FLE chez les hispanophones occupent pratiquement la même zone dans leur espace acoustique F1 ✕ F2 ✕ F3. Les voyelles / E/ et le schwa / ə/ sont produites systématiquement avec les mêmes gestes articulatoires chez les apprenants mexicains : voyelles moyennes sans aucun trait de centra‐ lisation ni d’arrondissement des lèvres. La si faible valeur Pillai (0,06) suggère que les auditeurs natifs pourraient ne percevoir aucune différence entre les deux réalisations suivantes par nos locuteurs mexicains : le film que j’ai vu vs les films que j’ai vus, ni entre la suite j’ai fait du sport vs je fais du sport (exemples tirés de notre corpus par deux apprenants hispanophones). Deuxièmement, les valeurs Pillai montrent que les voyelles / E/ et / Œ/ sont deux phonèmes clairement différents pour les apprenants, contrairement à la paire / E/ ~/ ə/ . Troisièmement, nos résultats montrent également que ni le niveau de langue, ni la tâche n’ont d’incidence dans la distribution acoustique de ces voyelles. 127 La prononciation des voyelles / e/ , / ɛ/ , / ə/ , / ø/ , / œ/ en FLE chez les hispanophones <?page no="128"?> Tout ceci confirme, sans aucun étonnement, l’influence de la phonologie de la L1 des apprenants sur le voyelle / ə/ : comme suggéré par Detey (2016b), les hispanophones ont des difficultés à produire une voyelle centrale/ arrondie. En revanche, et cela est très intriguant, nous observons que ce n’est pas le cas pour la voyelle / Œ/ . Que les apprenants articulent / ø/ ou / œ/ , nos résultats montrent que ces voyelles ont une tendance à occuper une zone acoustique différente de la voyelle / E/ . Autrement dit, les suites j’ai des sœurs vs j’ai deux sœurs seraient prononcées avec deux voyelles clairement distinctes. Les voyelles françaises / ø/ , / œ/ , / ə/ ne faisant pas partie du répertoire voca‐ lique de l’espagnol, plusieurs auteurs proposent qu’elles représentent une diffi‐ culté pour les apprenants hispanophones (Kartushina/ Frauenfelder 2014, Tomé 1996), si bien qu’ils les produisent avec une voyelle [e], [ɛ] ou même comme la voyelle [ɔ] (Detey 2016b). Cependant, certains de nos apprenants hispanophones mexicains (niveau A2 et B1) sont capables d’articuler les voyelles / e/ ou / ɛ/ avec des gestes articulatoires différents des voyelles / ø/ ou / œ/ . Comme les voyelles / ø/ , / œ/ , / ə/ ont des caractéristiques acoustiques et per‐ ceptives très similaires en français L1, elles devraient représenter le même degré de difficulté pour les apprenants. Selon les modèles en acquisition de la phonologie d’une L2 (Flege 1995), la production des voyelles de la langue cible ayant des qualités acoustiques différentes des voyelles de la L1 ne devraient pas représenter un problème majeur pour les apprenants. Cela se confirme dans notre étude pour le cas des voyelles / ø/ ou / œ/ . Contrairement aux observations de Tomé (1995) et Detey (2016b), les apprenants hispanophones mexicains sont capables d’articuler ces voyelles différemment de leur voyelle native / e/ . Pourquoi n’est-ce néanmoins pas le cas du schwa / ə/ , alors que cette voyelle a des traits acoustiques très similaires à / ø/ ou / œ/ ? Comment expliquer donc que les hispanophones ne confondent pas les paires serre/ soeur ou l’air/ l’heure, mais qu’ils aient des difficultés à prononcer différemment la paire j’ai/ je ? Nous proposons que l’influence de l’orthographe puisse expliquer de tels résultats. Comme le schwa est associé à la graphie <e>, il est fort probable que les apprenants se voient influencés négativement par les correspondances graphèmes-phonèmes de leur L1 : en espagnol, le graphème <e> ne correspond qu’à la voyelle / e/ . Ce n’est pas le cas des phonèmes / ø/ ou / œ/ : ces derniers étant associés majoritairement au digraphe <eu>. Ce graphème ayant une correspondance très systématique avec les voyelles / ø/ et / œ/ et étant quasiment absent de leur L1, ne pose pas d’ambiguïté aux apprenants hispanophones pour les distinguer de / e/ . Les apprenants peuvent donc bénéficier d’un appui visuel pour réaliser qu’il s’agit des deux voyelles. A contrario, produire deux voyelles distinctes quand celles-ci sont associées aux mêmes graphèmes (<e>, qui en 128 Fabián Santiago (Paris), Paolo Mairano (Lille) <?page no="129"?> français peut indiquer / e/ ou / ə/ ) peut activer un mécanisme de transfert pho‐ nologique négatif en raison d’une association graphème-phonème provenant de leur L1. Par ailleurs, ce mécanisme est activé en dehors de la présence de l’écrit. En effet, nos résultats ont montré que l’assimilation du schwa avec la voyelle / E/ est aussi observée en parole spontanée, et ce, même chez les étudiants ayant un niveau intermédiaire. Cette dernière analyse peut être appliquée au succès de l’opposition / E/ ~/ Œ/ en FLE. L’acquisition de l’opposition de ces deux dernières voyelles peut être favorisée par la congruence entre graphèmes et phonèmes dans la langue cible. 5 Conclusion Cette étude exploratoire essaie de souligner l’importance du rôle des correspon‐ dances entre graphèmes et phonèmes dans l’apprentissage de la prononciation du FLE. Comme il a été montré par Santiago (2018), les effets de l’orthographe en français L2 chez les apprenants hispanophones peuvent être attestés aussi dans l’articulation des sons / z/ ou / u/ . Notre étude va dans ce même sens. Les enseignants du FLE pourraient utiliser de tels résultats pour envisager des activités didactiques plus appropriées pour que les apprenants hispanophones prennent conscience de ces effets et puissent améliorer la prononciation des phonèmes tout en se servant des représentations orthographiques. Ainsi, les praticiens pourraient utiliser des représentations écrites des pho‐ nèmes mieux adaptées pour les apprenants, comme c’est le cas du schwa. L’em‐ ploi, par exemple, des symboles de l’Alphabet Phonétique International (API) pourrait pallier le problème des incongruences entre graphèmes et phonèmes de la langue cible. Par exemple, au lieu d’utiliser les conventions orthographiques conventionnelles pour les suites du type je te le dis ou je viens mercredi, les enseignants pourraient modifier l’input écrit avec des représentations plus claires des phonèmes à enseigner : jə tə lə dis, jə viens mercrədi. Cela pourrait éviter un conflit des correspondances graphèmes-phonèmes de leur L1 avec celles de la langue cible, desquelles résultent des erreurs de prononciation. Bien que cette proposition ne soit aucunement innovatrice (l’invention de l’API en 1888 avait ce propos), il n’est pas inutile de rappeler à tous les spécialistes en didactique que la prononciation des apprenants n’est pas seulement une ques‐ tion de perception, mais qu’elle peut être fortement corrélée à l’orthographe : les apprenants entendent aussi avec les yeux. 129 La prononciation des voyelles / e/ , / ɛ/ , / ə/ , / ø/ , / œ/ en FLE chez les hispanophones <?page no="130"?> Références Alazard-Guiu, Charlotte/ Santiago, Fabián/ Mairano, Paolo (2018) : « L’incidence de la correction phonétique sur l’acquisition des voyelles en langue étrangère : étude de cas d’anglophones apprenant le français », in : Actes des 32e Journées d’études sur la parole, juin 2018, Aix-en-Provence, France, 116-124. Avelino, Heriberto (2018) : « Mexico City Spanish », in Journal of the International Phonetic Association 48.2, 223-230. 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Cette recherche a bénéficié du soutien du Fonds National Suisse de la Recherche Scientifique (projet n o 169707). Une ou des immersion(s) ? Regard sur l’acquisition de la compétence sociolinguistique par des apprenants anglophones irlandais de FLE Mathilde Chamot, Isabelle Racine, Vera Regan, Sylvain Detey 1 Introduction 1 Depuis une vingtaine d’années, le contexte dans lequel se déroule l’apprentis‐ sage d’une langue étrangère a fait l’objet de très nombreuses études (pour une revue, Regan 2013 et Geeslin/ Long 2014), ce qui reflète une prise de conscience de l’importance des aspects sociaux et situationnels dans le domaine de l’acquisition d’une langue étrangère (cf. Atkinson 2002, Ortega 2011). Dans cette optique, il a notamment été montré qu’être « dans le bain » (Regan 1995), en plus de fournir une quantité massive d’input, favorise l’accès à une langue réelle, telle qu’elle est pratiquée par ses usagers. Dans le cas des étudiants universitaires, de nombreuses études se sont donc penchées sur l’effet d’un séjour dans un pays - ou une région - où la langue cible est la (ou l’une des) langue(s) en usage. Ces travaux, qui comparent le plus souvent les performances des apprenants avant leur départ et au terme de leur séjour, ont montré qu’ils ont généralement tendance à progresser (pour une revue, voir p. ex. Campbell 2015) : ils s’expriment plus aisément (Freed 1995, Kinginger 2009) et utilisent davantage de variantes sociolinguistiques (Regan et al. 2009). Récemment, comme le relève Coleman (2015), les recherches dans ce domaine ont pris une nouvelle tournure : les chercheurs se sont en effet intéressés de plus près à ce qui se passe durant le séjour, en observant la <?page no="134"?> 2 Nous précision d’emblée que l’étude expérimentale présentée dans ce travail a été réalisée dans le cadre du mémoire de maîtrise en français langue étrangère de la première auteure. Sa portée et son caractère exploratoire donc sont à remettre dans ce contexte. socialisation des apprenants pendant leur séjour, avec l’idée que leur progression est fortement liée à leur degré d’implication socio-langagière avec des natifs (voir p. ex. Freed et al. 2004 ; Isabelli-García 2006 ; Diao et al. 2011 ; Kennedy Terry 2017 ; Mitchell et al. 2017 ; Kennedy Terry à paraître). Toutefois, comme le soulignent Gautier/ Chevrot (2015), les recherches qui ont examiné comment le degré - et le type - de socialisation des apprenants durant leur séjour agit, de manière précise, sur l’usage des variantes sociolinguistiques sont encore peu nombreuses. C’est précisément sur ce lien que nous souhaitons nous pencher dans ce chapitre. L’étude expérimentale 2 qui y est présentée vise à examiner si l’acqui‐ sition de la compétence sociolinguistique chez des apprenants anglophones irlandais de français langue étrangère (ci-après FLE) est influencée par le degré de contacts et d’interactions qu’ils ont pu avoir avec des locuteurs natifs durant leur séjour en milieu francophone. Pour ce faire, deux évaluateurs ont procédé à une analyse qualitative fine du contenu des entretiens menés par une enquêtrice avec 9 étudiants en 4 ème année de français dans une université de Dublin et ont réparti les apprenants en deux groupes : un groupe de 5 participants dont les propos laissent entrevoir un haut degré de socialisation avec des natifs et un groupe de 4 participants qui affirment avoir eu beaucoup moins de contacts et d’interactions avec des natifs. Trois variables sociolinguistiques ont ensuite été examinées dans les productions des apprenants : la première est morphosyntaxique (présence/ absence du ne de négation), alors que les deux autres sont phoniques (maintien/ chute du schwa dans le pronom je suivi d’un mot à initiale consonantique ainsi que du / l/ dans les pronoms il et ils suivis d’un mot à initiale consonantique). Dans ce qui suit, nous commencerons par définir la notion de compétence sociolinguistique en langue étrangère avant d’examiner les enjeux qu’elle pose en termes pédagogiques (section 2). Nous proposerons ensuite un bref historique des travaux portant sur l’acquisition de cette compétence, notamment des facteurs qui influencent son appropriation par les apprenants (section 3). Après avoir présenté notre étude expérimentale (section 4), les résultats seront discutés (section 5) à la lumière des propos tenus par les apprenants dans ces mêmes conversations, propos qui fournissent un certain nombre de pistes explicatives quant à l’emploi des variantes, mais également quant aux représentations que 134 Chamot, Racine, Regan, Detey <?page no="135"?> 3 Citation originale : « to communicate fully with others in a manner which respects their humanity as social beings » (notre traduction). les participants ont de leur usage. Nous conclurons (section 6) en proposant quelques pistes pédagogiques. 2 Compétence sociolinguistique en langue étrangère et enjeux pédagogiques La compétence sociolinguistique est une notion qui a émergé dans les années 1990 en marge du courant variationniste de la sociolinguistique. Lyster (1994) la définit comme la capacité à reconnaître et produire un discours socialement approprié à la situation dans laquelle se déroule l’interaction, notamment en termes de variétés et de registres. Une manière d’étudier cette compétence passe par l’examen de phénomènes variationnels (pour le français, voir Gadet 2007). Ainsi, si un locuteur dispose de plusieurs formes pour exprimer un même contenu (p. ex. « Ferme la fenêtre ! » : [fɛʁmlafnɛtʁ] ou [fɛʁmlafənɛtʁ], soit sans ou avec réalisation du schwa), on peut se demander comment il choisit la forme la plus appropriée au contexte interactionnel et quels sont les facteurs qui influencent ce choix. Ce n’est que depuis les années 1990 que l’étude de ces aspects s’est étendue aux apprenants de langue étrangère (cf. Mougeon et al. 2002), ces travaux se plaçant, comme le soulignent Howard et al. (2013), dans la continuité du travail initié par Adamson/ Regan (1991). Pour Tyne (2012), le changement de perspective majeur a consisté à consi‐ dérer le fait de disposer de plusieurs variantes pour une seule et même variable comme un aspect positif de la compétence d’un apprenant. Il relève en outre que cela ne s’applique généralement qu’aux apprenants avancés car, même si les apprenants débutants peuvent être conscients des phénomènes variables, la variation sociolinguistique n’est traditionnellement pas envisagée avant que les bases linguistiques ne soient posées (pour un historique plus complet, voir par exemple Mougeon et al. 2002 et Regan 2013). Toutefois, bien que sa prise en compte dans l’enseignement/ apprentissage soit très complexe, Tyne (2009) estime que la variation sociolinguistique ne doit pas être considérée comme « la cerise sur le gâteau », mais bien comme faisant partie intégrante du gâteau. Comme le soulignent Regan et al. (2009), elle est l’élément indispensable qui permet aux apprenants de « pleinement communiquer avec les autres d’une manière qui respecte leur humanité en tant qu’êtres sociaux » 3 . La compétence sociolinguistique est donc, pour Tyne (2012), une composante de la compétence communicative au sens où Hymes (1972) l’entend, soit l’ensemble des savoirs et 135 Une ou des immersion(s) ? <?page no="136"?> des savoir-faire indispensables pour communiquer. Une attention particulière doit donc être accordée à son appropriation, sans laquelle les apprenants ren‐ forcent leur isolement linguistique, comme le font remarquer Dewaele/ Regan (2002). Une manière d’examiner l’acquisition de cette compétence sociolinguistique par des apprenants consiste à mener des études portant sur les mêmes élé‐ ments variables que ceux utilisés par les natifs (cf. Rehner/ Mougeon 1999). Si de nombreux travaux ont été menés depuis les années 1990 sur la manière dont les apprenants s’approprient ces phénomènes variables, il est intéressant de constater - et ce n’est probablement pas un hasard, comme le souligne Tyne (2012) - qu’un grand nombre de ces études concerne le français langue étrangère. Comme le relève cet auteur, la compétence sociolinguistique prend comme point d’ancrage la dimension variationnelle de la langue, à savoir que la langue n’est pas une structure figée mais est amenée à varier selon des facteurs historiques, géographiques et socioculturels. S’il s’agit là, pour Gadet (2007), d’une caractéristique commune à toutes les langues, l’acceptation et la conscientisation de cette variabilité revêt un caractère particulier pour le français, l’une des langues que Regan et al. (2009) considèrent comme l’une des plus normatives d’Europe. Gadet (2007 : 31) relève en effet que les locuteurs du français adhèrent fortement à l’idéologie d’une langue standard ainsi qu’à la représentation d’une langue « unique, immuable et homogène », considérée comme parachevée dans sa forme écrite. Blanche-Benveniste (2003) souligne que cette valorisation à l’extrême de l’écrit a pour conséquence une dévalorisation des formes orales, moins acceptées car considérées souvent comme populaires et reléguées au rang de « curiosités marginales ». Dans ce contexte, on comprend dès lors aisément qu’acquérir cette compétence sociolinguistique représente un défi de taille pour les apprenants de français et dépend fortement du contexte d’apprentissage/ acquisition, comme le soulignent Howard et al. (2013). Si, ainsi que le relève Detey (2017), depuis plusieurs décennies, les notions de norme et de standard, à l’oral, ont été bien analysées et déconstruites par les linguistes (voir p. ex. Laks 2002 ; Detey et al. 2016 ; Chalier 2018), notamment par le travail effectué en linguistique de corpus (pour une revue récente des grands corpus oraux, voir Avanzi et al. 2016), basé sur des observables répondant à des exigences méthodologiques solides, la question « quel français oral enseigner ? » ne va pas de soi. Detey (2017) souligne en effet la nécessité de bien garder à l’esprit que l’introduction de la variation en classe de langue étrangère « ne peut s’effectuer que de manière construite et raisonnée », qui passe par la prise 136 Chamot, Racine, Regan, Detey <?page no="137"?> en compte « du profil des apprenants, de leur stade d’apprentissage et de leurs objectifs ». Or, même si, depuis quelques années, les initiatives fleurissent afin de tirer profit des ressources issues des grands corpus oraux de français dans le domaine de l’enseignement/ apprentissage (cf. par exemple le travail effectué dans le projet PFC, avec le sous-projet PFC-EF, Detey et al. 2010 et 2016, ou sur les corpus Fleuron, André 2019, et CLAPI-FLE, Etienne/ Jouin 2019), le constat de Detey (2017) reste de mise : Très peu d’enseignants ont une idée (socio)linguistiquement informée de ce qu’est la variation linguistique en français parlé et de ses enjeux pour l’apprentissage, et très peu de dispositifs semblent disponibles pour combler ce manque (…). (Detey 2017 : 106) Outre les nombreux articles pointant le fait que le français enseigné en classe de langue est très éloigné de celui pratiqué par les locuteurs natifs (Weber 2006 ; Waugh/ Fonseca-Greber 2002 ; Vialleton/ Lewis 2014), on peut mentionner, à titre illustratif, la proportion inverse observée par Giroud/ Surcouf (2016), en termes de taux de chute du schwa, entre les productions d’un corpus de français oral (79 % de chute du schwa) et un corpus constitué de parole issue de méthodes de français langue étrangère (21 % de chute du schwa). Mougeon et al. (2010) étaient déjà parvenus à un constat similaire après avoir examiné la fréquence des variantes informelles dans le discours des enseignants et dans le matériel pédagogique utilisé en classe de langue : les variantes formelles prédominent largement, y compris dans des contextes où elles ne devraient clairement pas apparaître (p. ex. une conversation entre deux amis). Les apprenants sont donc très minimalement exposés aux variantes informelles dans le contexte de la classe de langue. 3 Contextes d’apprentissage/ acquisition et degré de socialisation : deux facteurs prépondérants À la lumière de ce que nous avons vu précédemment, il n’est donc pas surprenant de constater que le contexte d’apprentissage/ acquisition ait été la variable la plus étudiée jusqu’ici (pour une revue, voir Regan 2013 et Geeslin/ Long 2014). Les chercheurs ont examiné l’appropriation de la compétence sociolinguistique par les apprenants dans des contextes variés, situés sur un continuum allant de ‘guidé’ à ‘libre’ (cf. Tyne 2009), incluant le séjour à l’étranger (voir p. ex. Regan et al. 2009 et Howard 2012 pour les apprenants irlandais de français langue étran‐ gère) et l’immersion, qui a notamment été étudiée dans le contexte canadien (cf. 137 Une ou des immersion(s) ? <?page no="138"?> Mougeon et al. 2010). Howard et al. (2013) soulignent que ces travaux, portant sur plusieurs phénomènes variables (p. ex. omission du ne de négation, liaisons facultatives, effacement du schwa, chute du / l/ dans les pronoms, alternance on/ nous et tu/ vous, expressions lexicales, etc.), ont permis d’établir la hiérarchie suivante en termes de contexte favorisant le développement de la compétence sociolinguistique : apprentissage en contexte naturel > séjour à l’étranger > immersion > classe de langue Regan (2003) et Mougeon et al. (2010) mettent toutefois en évidence que, même si le contexte naturel favorise l’apparition de variantes informelles, il ne suffit manifestement pas : toutes les études montrent en effet des taux d’utilisation des variantes informelles beaucoup plus bas que ceux observés chez les natifs. Le contexte n’est toutefois pas la seule variable qui intervient. Un autre aspect du changement de perspective amorcé dans les années 1990 a été, comme le souligne Regan (2013), de considérer la variation sociolinguistique dans une perspective multifactorielle : de nombreux facteurs linguistiques et extralinguistiques - et non un seul - se combinent pour expliquer le choix d’une variante ou d’une autre. Elle mentionne que les études récentes considèrent de plus en plus souvent que cette variation, pour reprendre les termes de Tyne (2009), fait partie « du gâteau » et que, puisque la compétence sociolinguistique implique de faire des choix, elle joue un rôle majeur dans la construction de l’identité de l’apprenant et dans la manière dont il interagit et établit des relations avec ses interlocuteurs. Comme le souligne Regan (2013), certains apprenants sont à ce titre plus actifs que d’autres dans la recherche de contacts avec les natifs. Suite à ce changement de perspective, il n’est donc pas surprenant que les chercheurs se soient récemment penchés sur ce qui se passe pendant le séjour à l’étranger - contexte qui semble assez favorable à l’appropriation de la compétence sociolinguistique -, en examinant de manière plus détaillée le réseau social établi par les apprenants (cf. notamment Mitchell et al. 2017). L’hypothèse serait ainsi que plus le degré de socialisation - et par conséquent le degré d’implication socio-langagière - avec des locuteurs natifs est important, plus les apprenants progressent dans leur maîtrise de l’usage des variantes sociolinguistiques (cf. Freed et al. 2004 ; Isabelli-García 2006 ; Diao et al. 2011). Concernant les étudiants universitaires, Coleman (2015) résume cela à trois 138 Chamot, Racine, Regan, Detey <?page no="139"?> 4 Citation originale : « Who do they eat with ? », « Who do they drink with ? » et « Who do they sleep with ? » (notre traduction). questions fondamentales à se poser dans le cadre d’un séjour : « Avec qui mangent-ils ? », « Avec qui boivent-ils ? » et « Avec qui couchent-ils ? » 4 . De manière plus concrète, Dewaele/ Regan (2002) ont ainsi par exemple observé que les apprenants néerlandophones extravertis, qui sont plus enclins à interagir avec des natifs et éprouvent également moins d’anxiété langagière, font davantage chuter le ne de négation que ceux qui le sont moins. De manière identique, Kennedy Terry (2017) et Kennedy Terry (à paraître) montrent que les apprenants anglophones de FLE ayant des interactions avec des natifs d’une durée estimée à 10-20 heures par semaine ont un taux de chute du / l/ dans les pronoms il et ils et un taux de chute du schwa dans les monosyllabes significativement plus élevés que ceux dont le degré d’interaction en langue cible est moindre. Ces éléments étant liés à la personnalité de l’apprenant, les auteurs de ces trois études pointent cependant la forte variabilité individuelle qui caractérisent leurs résultats. Howard (2012) suggère qu’une approche plus ethnolinguistique, et moins centrée sur un groupe d’apprenants mais qui prend davantage en compte l’individu, pourrait être bénéfique. Le lien entre ces deux variables n’est en effet pas aisé à démontrer de manière précise et encore moins à quantifier, comme le soulignent Gautier/ Chevrot (2015). Dans une étude longitudinale portant sur 7 apprenants anglophones de FLE, suivis pendant trois mois lors d’un séjour dans une université française, ces auteurs montrent premièrement que, d’une manière générale, les étudiants américains semblent éprouver des difficultés à nouer des contacts avec des locuteurs natifs puisque le réseau social de seulement deux d’entre eux intègre aussi des natifs en plus des anglophones. Mais, de manière intéressante, cette étude montre que, même lorsque les contacts sont majoritairement avec des anglophones, la densité du réseau joue un rôle. En effet, seuls les apprenants ayant développé un réseau moins dense, soit des contacts avec un plus grand nombre de personnes évo‐ luant dans des sphères différentes, qu’ils soient francophones ou anglophones, voient leur usage des variantes formelles diminuer. En revanche, pour les deux locuteurs qui interagissent en anglais et uniquement avec un petit nombre de personnes, et de surcroît toujours les mêmes - ce que les auteurs nomment un réseau dense -, une augmentation du taux d’utilisation des variantes formelles, à savoir qu’ils produisent davantage de liaisons facultatives et conservent plus souvent le ne de négation, est observée. Les auteurs pointent cependant eux aussi une très forte variabilité individuelle dans leurs résultats et suggèrent 139 Une ou des immersion(s) ? <?page no="140"?> 5 Sur les 15 étudiants de 4 ème année enregistrés à Dublin, 5 n’étaient pas partis en séjour dans une région francophone lors de leur troisième année d’études et l’un d’entre eux a effectué son séjour à Toulouse. Comme l’une des variables examinées est la chute du schwa, cet apprenant a été exclu de l’étude - la chute du schwa étant nettement moins fréquente dans les variétés méridionales (cf. Coquillon/ Durand 2010). Les résultats obtenus seront donc à considérer à la lumière du nombre restreint de participants examinés (9 au total). d’examiner également la conscience linguistique des apprenants quant à la valeur stylistique portée par les variantes. 4 Etude expérimentale L’étude présentée ici se situe dans la continuité de ces travaux puisqu’elle vise à examiner l’interaction entre le degré de socialisation de l’apprenant lors de son séjour dans une région francophone et le contexte d’apprentissage/ acquisition ainsi que l’effet de cette interaction sur la compétence sociolinguistique. Par degré de socialisation, nous entendons à la fois l’attitude des apprenants, à savoir leur volonté à établir des contacts sociaux durant leur séjour et donc à interagir avec des locuteurs natifs, ainsi que le degré et le type de contacts établis pendant leur séjour. Cette étude poursuit en outre, de manière modeste, la lignée des travaux réalisés depuis de nombreuses années par Regan et collègues sur les apprenants irlandais de français langue étrangère. Ainsi, dans le cadre du projet InterPhonologie du Français Contemporain (ci-après IPFC, Detey/ Kawaguchi 2008 ; Racine et al. 2012 ; Detey et al. 2016), qui vise à collecter et analyser un vaste corpus d’apprenants de différentes langues premières, nous avons eu l’occasion d’enregistrer, en novembre 2018, 22 apprenants irlandais, en 2 ème (5 étudiants), 3 ème (2 étudiants) et 4 ème année (15 étudiants) de Bachelor de français dans une université de Dublin. De manière peu surprenante, il est très vite ressorti, lors des entretiens guidés, que, parmi les 9 étudiants ayant passé toute - ou une partie de - leur 3 ème année universitaire en milieu francophone 5 , tous n’avaient pas tiré profit de la même manière de ce séjour. Comme nous le verrons dans la présentation de la méthodologie de l’étude (section « Participants »), une procédure de sélection a été appliquée afin de les répartir en deux groupes : profité+ et profité-. Afin d’examiner l’effet du degré de socialisation de ces deux groupes d’appre‐ nants sur la compétence sociolinguistique, trois variables ont été sélectionnées sur la base des observations de Regan et al. (2009). Outre le fait qu’elles ont toutes les trois fait l’objet d’un grand nombre de travaux, elles semblent en effet particulièrement représentatives de différents stades d’acquisition de la 140 Chamot, Racine, Regan, Detey <?page no="141"?> 6 Citation originale : « long-established [variant] that [is] now quite advanced in the process of language change » (notre traduction). 7 Outre le fait qu’il s’agit de contextes aisés à éliciter dans la tâche de conversation guidée de notre protocole de collecte de données, le choix de limiter notre examen à ces contextes précis (je et il(s) devant initiale consonantique) est motivé par le fait qu’ils ont déjà fait l’objet de plusieurs études antérieures (cf. entre autres Isely et al. 2018 ; Isely et al. 2019 ; Howard 2012 ; Kennedy Terry 2017 ; Kennedy Terry à paraître). Leur pertinence pour examiner l’émergence de formes variables chez les apprenants de FLE n’est donc plus à démontrer. Deux éléments peuvent encore être soulignés pour justifier notre choix : ces structures sont d’une part très fréquentes et d’autre part, la chute du schwa et/ ou de la liquide / l/ y est également très fréquente chez les natifs (cf. Malécot 1976 ; Laks 1980 ; Ashby 1984 ; Hansen 1994 ; Hansen 2000 ; Racine/ Grosjean 2002 ; Racine 2008 ; Liégeois et al. 2012) et donc dans l’input des apprenants. 8 Pour des raisons de longueur de l’article, il ne nous est pas possible de présenter un état de l’art complet de chacune des variables examinées. Nous renvoyons le lecteur aux travaux cités, qui présentent des revues détaillées de la littérature pour ces trois variables. compétence sociolinguistique. La première, l’omission du ne de négation, dont nous avons déjà fait mention en relatant l’étude de Gautier/ Chevrot (2015), relève de la morphosyntaxe (cf. Gadet 2007) et a déjà été beaucoup étudiée par Regan et collègues dans ce même contexte (voir notamment Regan et al. 2009). Elle est qualifiée par Howard et al. (2013) de « variante établie depuis longtemps et qui est à présent bien avancée dans le processus de changement linguistique » 6 et contraste avec des variantes moins bien établies, comme la chute du / l/ par exemple (cf. Howard 2012), les apprenants paraissant être sensibles à ces différences de statut, selon Regan et al. (2009). Les deux autres variables testées dans notre étude se situent sur le plan phonique (Gadet 2007) et appartiennent donc à cette deuxième catégorie, celle des variables dont le statut est moins stable : la chute du schwa dans le pronom de première personne je devant une initiale consonantique (p. ex. j(e) viens) ainsi que celle du / l/ dans les pronoms de troisième personne singulier il et pluriel ils devant une initiale consonantique (p. ex. i(l) dort ou i(l)s sortent) 7 . Si ces trois variables ont déjà fait l’objet de nombreuses études (voir entre autres Thomas 2002 ; Regan et al. 2009 ; Mougeon et al. 2010 ; Howard 2012 ; Gautier/ Chevrot 2015 ; Isely et al. 2018 ; Kennedy Terry 2017 ; Kennedy Terry à paraître 8 ), elles n’ont encore jamais, à notre connaissance, été examinées conjointement, l’étude d’Howard (2012), portant sur 5 apprenants anglophones irlandais de FLE incluant le ne de négation et la chute du / l/ dans le pronom il, mais pas le schwa. Il a ainsi montré une différence dans l’acquisition des 5 variables sociolinguistiques qu’il a examinées au total, l’omission du ne étant beaucoup plus présente que la chute du / l/ . Il relève toutefois l’extrême variabilité qui ressort de ses données, variabilité qu’il 141 Une ou des immersion(s) ? <?page no="142"?> suppose liée au nombre et au type de contacts et d’interactions avec des natifs. Il n’a toutefois pas été en mesure de différencier les 5 apprenants examinés dans son étude sur ce plan, ce que nous avons en revanche pu faire avec nos données. Ainsi, sur la base des travaux précédents, on peut donc s’attendre d’une part à une hiérarchisation dans l’appropriation de ces trois variables, avec davantage de variantes pour le ne de négation que pour les deux autres. D’autre part, les apprenants du groupe profité+ devraient être plus à l’aise dans la maîtrise de ces variations que le groupe profité-, avec néanmoins des variations individuelles semblables à celles observées dans les études précédentes. 4.1 Méthode 4.1.1 Participants Les 9 participants (8 femmes et 1 homme), tous en dernière année d’études (4 ème année), étaient âgés de 21 ou 22 ans et chacun d’entre eux étudiait le français ainsi qu’une autre branche dans le cursus de Bachelor d’une université de Dublin. Ils avaient tous comme première langue l’anglais et leur L2 était le gaélique irlandais, appris dès leur entrée à l’école primaire. Le français intervenait donc comme L3. Avant leur entrée à l’université, les 9 participants avaient tous suivi des cours de français durant environ cinq ans à l’école secondaire. Huit d’entre eux avaient passé entre 6 et 10 mois de leur 3 ème année d’université dans une université francophone française (6 participants) ou canadienne (2 participants) et étaient hébergés dans des résidences d’étudiants. Seule une participante a effectué son séjour en France en qualité de jeune fille au pair et résidait donc en famille d’accueil. Ces 9 participants ont été répartis en deux groupes distincts de la manière suivante. La tâche de conversation guidée, qui est l’une des six tâches du protocole IPFC (pour des détails sur le déroulement de cette tâche et sur le protocole de collecte des données, voir Racine et al. 2012), s’est rapidement révélée très intéressante en termes de contenu. L’un des objectifs de cet entretien étant de questionner les apprenants sur leur apprentissage du français, l’importance du séjour effectué en milieu francophone durant la 3 ème année a émergé comme élément central dès les deux premiers entretiens, avec, en point de mire, un déroulement très différent du séjour de ces deux premiers apprenants. L’enquêtrice a donc d’emblée tenté de mieux comprendre ce phénomène en orientant la discussion vers les aspects liés au type et au degré de socialisation avec des natifs. Les 7 autres entretiens ont été menés de la 142 Chamot, Racine, Regan, Detey <?page no="143"?> 9 A noter que, pour les étudiants de 2 ème , de 3 ème ainsi que pour ceux de 4 ème année qui n’ont pas effectué de séjour, ce sont donc d’autres aspects de l’apprentissage qui ont émergé des entretiens. 10 Les extraits ont été transcrits selon les conventions de transcription adoptées dans le projet IPFC et développées spécifiquement pour la parole non native (cf. Racine et al. 2011). même manière 9 . Chaque entretien durant entre 20 et 30 minutes, pour ces 9 apprenants, de précieuses informations concernant les liens tissés, la quantité et le type d’interactions ainsi que l’identité de leurs interlocuteurs privilégiés ont été collectées. Une analyse qualitative fine du contenu a ensuite été effectuée, de manière individuelle, par deux juges. Il est évidemment indispensable de préciser ici que l’évaluation a été menée uniquement sur la base du contenu (transcription orthographique) - et non de la forme - des propos tenus. Deux groupes distincts ont ainsi émergé : le groupe profité+, avec 5 participants dont les propos laissent entrevoir un haut degré de socialisation avec des natifs, et le groupe profité-, constitué de 4 participants qui ont affirmé avoir très peu profité de leur séjour en termes de contacts et d’interactions avec des natifs. Il est intéressant de constater que la mise en commun des évaluations a révélé un classement quasi-identique par les deux juges des 9 apprenants dans les deux groupes, profité+ et profité-. Une discussion n’a été menée entre les deux juges que pour un seul des 9 apprenants. Afin d’illustrer cette procédure de sélection, nous présentons un extrait 10 représentatif de chacun des deux groupes. Le premier, représentant le groupe profité+, est celui d’une participante qui a effectué un séjour de 9 mois à Paris, séjour marqué par des grèves d’étudiants pendant lesquelles les cours universitaires ont été suspendus : j’ai fait des amis avant ça français et je n’ai pas je ne les ai pas vus à aux cours et donc j’ai dû euh les envoyer des messages pour rencontrer pour se voir et ça (m’aidait/ m’a aidée) parce que j’ai paj’ai passé le temps de de parler avec mes amis au lieu de être à côté d’eux en classe. […] <oui> et jj’ai appris des choses euh par exemple des choses qu’on dit euh à l’oral avec des amis au lieu ddu cours […] et j’ai jamais entendu avant ça mais ça je ne pouvais pas apprendre aux cours mais mes amis m’a m’a appris m’a enseigné [rires] avec des amis c’est un autre langue complètement [rires] et c’est c’est bon d’apprendre les deux Le deuxième extrait, illustrant le groupe profité-, est celui d’une participante qui a également passé 9 mois à Paris, sans pour autant côtoyer de locuteurs francophones pendant son séjour : 143 Une ou des immersion(s) ? <?page no="144"?> 11 Nous sommes bien sûr conscients qu’une analyse qualitative du contenu des entretiens est plus imprécise que l’analyse quantitative systématique menée par exemple par Gautier/ Chevrot (2015) ou par Kennedy Terry (2017) et Kennedy Terry (à paraître). Nous tenons toutefois à souligner que, dans le cadre de la recherche présentée ici, l’importance du déroulement du séjour a en quelque sorte émergé en cours d’étude, pour un sous-groupe des 22 participants enregistrés à Dublin. Si cet aspect avait été ciblé dès le départ, nous aurions eu recours à d’autres moyens pour examiner cette question de socialisation, en tentant notamment aussi de quantifier les interactions des apprenants. Il conviendra donc de considérer les résultats obtenus en gardant cet aspect à l’esprit. j’ai passé mon temps avec euh les autres (Irlandais/ Irlandaises) au lieu de Français et alors mon français euh n’est mh n’était n’a n’a pas été euh amélioré beaucoup Une fois ces deux groupes déterminés 11 , l’examen de la compétence sociolin‐ guistique des apprenants a pu commencer. 4.1.2 Matériel Comme cette étude s’inscrivait dans l’élaboration d’un nouveau volet IPFC-an‐ glais (cf. Tennant 2016), en Irlande, la collecte de données menée à Dublin comprenait, outre un questionnaire biographique, les six tâches définies par le protocole IPFC (cf. Racine et al. 2012). Notre étude se base néanmoins unique‐ ment sur les productions des apprenants dans la tâche de conversation guidée menée entre chacun des participants et l’enquêtrice. Outre son intérêt, expliqué ci-dessus, en termes de contenu, cette tâche était également intéressante en termes de forme puisque susceptible de faire émerger spontanément deux des trois variables ciblées : la chute du ne de négation et la chute du schwa dans je suivi d’une consonne, les apprenants parlant spécifiquement de leur propre expérience en milieu francophone. Concernant la variable de la chute du / l/ dans les pronoms il et ils, une activité supplémentaire a dû être ajoutée dans la tâche de la conversation guidée, afin de faire émerger cette structure avec un nombre suffisant d’occurrences. Cette activité supplémentaire consistait à décrire très simplement deux planches de bandes dessinées, l’une pour le il et l’autre pour le ils. Ces deux planches ont été sélectionnées selon des critères précis, tels que la mise en scène des personnages masculins, la non-présence de dialogues et la représentation d’actions se traduisant par des verbes à initiale consonantique (p. ex. : se lever, tomber, marcher, crier, traverser, etc.). Cette tâche supplémentaire a été testée préalablement lors d’une phase de prétest du protocole quelques semaines avant la récolte de données en Irlande. 144 Chamot, Racine, Regan, Detey <?page no="145"?> 12 Pour des raisons de clarté, les résultats et les graphes sont présentés en pourcentages, bien que les modèles mixtes aient été effectués à partir des données brutes. 4.1.3 Procédure La récolte de données s’est effectuée à Dublin dans un intervalle de deux semaines, en novembre 2018, par une enquêtrice suisse francophone native - la première auteure -, elle-même étudiante universitaire, qui ne connaissait pas les étudiants prenant part à cette étude. Pour chaque participant, cinq des six tâches que compte le protocole IPFC ont été effectuées individuellement avec l’enquêtrice, alors que la tâche de conversation libre a été systématiquement effectuée par deux participants sans la présence de l’enquêtrice. La durée totale, pour chaque participant, était d’environ 1h45. 4.1.4 Analyse des données Dans la présente étude, nous avons uniquement exploité le contenu de la tâche de conversation guidée entre les participants et l’enquêtrice, car cette tâche permettait, pour rappel, d’explorer leur expérience en milieu francophone d’une part, et d’obtenir des occurrences des trois variables à examiner d’autre part. Les entretiens ont été transcrits orthographiquement dans le logiciel Praat (cf. Boersma/ Weenink 2019) par l’enquêtrice selon les conventions établies spécifiquement pour le projet IPFC (cf. Racine et al. 2011). Une vérification des transcriptions a ensuite été effectuée par une autre personne native du français. Pour chacun des 9 participants, sur la base de cette transcription, les occurrences de chaque variable ont ensuite été repérées et, sur une base auditive, leur réalisation a été annotée par l’enquêtrice de la manière suivante : avec ou sans présence du ne de négation, avec ou sans présence du schwa dans le pronom je suivi d’un verbe à initiale consonantique (je_C), avec ou sans présence du / l/ dans les pronoms il et ils suivis d’un verbe à initiale consonantique (il(s)_C). Au total, 642 occurrences ont été analysées, dont 155 pour le ne de négation, 287 pour le schwa dans la structure je_C et 200 pour il(s)_C. Des analyses statistiques (modèles mixtes et corrélations) ont ensuite été réalisées par le biais du logiciel R Studio 12 . 4.2 Résultats Nous avons examiné le rôle de la socialisation avec les natifs (groupe profité+ vs profité-) sur le maintien ou la chute de trois éléments variables, le ne de négation (avec vs sans omission du ne), le schwa dans la structure je_C (avec vs sans chute du schwa), le / l/ dans la structure il(s)_C (avec ou sans chute du / l/ ). Nous présentons tout d’abord les résultats globaux des trois structures, puis les 145 Une ou des immersion(s) ? <?page no="146"?> résultats globaux par groupe avant de nous intéresser à la manière dont variables et groupes se combinent. 4.2.1 Variables sociolinguistiques Sur la base des travaux précédents (Regan et al. 2009 ; Howard 2012 ; Howard et al. 2013), une hiérarchisation dans l’acquisition des trois variables était attendue, avec des taux d’omission plus élevés pour le ne de négation, variante la mieux établie en comparaison avec les deux autres. Le Tableau 1 (ci-dessous), qui présente, pour l’ensemble des apprenants, le taux de chute ainsi que le nombre de chute et le nombre total d’occurrences pour chacune des trois structures, montre en effet un taux de chute significativement plus élevé pour le ne de négation, de 61.29 % que pour les deux autres structures, avec pour le schwa dans je_C, un taux de chute de 16.38 % et de 18.50 % pour / l/ dans il(s)_C (F (2, 632.44) = 80.25, p < 0.001). Les analyses post-hoc montrent que le ne de négation se distingue des deux autres structures (p < 0.001 à chaque fois), qui ne se distinguent pas entre elles (n. s.). ne je_C il(s)_C 61.29 % (95/ 155) 16.38 % (47/ 287) 18.50 % (37/ 200) Tab. 1 : Taux de chute du ne, du schwa et du / l/ (en %) et nombre de chutes et d’occurrences totales dans les trois structures (ne, je_C, il(s)_C) pour les 9 participants, sans distinction entre les deux groupes (profité+; profité-) Ces résultats permettent de confirmer l’existence d’une hiérarchie dans l’acqui‐ sition des variables sociolinguistiques entre des variables bien établies et celles qui le sont moins. On peut également relever que, dans la deuxième catégorie, il s’agit de variables touchant le niveau phonique et dont les locuteurs natifs sont eux-mêmes généralement peu conscients, notamment car elles ne se marquent pas dans la graphie, qui est très souvent considérée comme la forme parachevée de la langue (cf. Gadet 2007). 4.2.2 Socialisation avec les natifs Les travaux précédents (cf. Freed et al. 2004 ; Diao et al. 2011 ; Regan 2013 ; Coleman 2015, Gautier/ Chevrot 2015 ; Kennedy Terry 2017 ; Kennedy Terry à paraître) ayant montré que le degré de socialisation avec des natifs semblait avoir un effet sur la progression de la compétence sociolinguistique, nous avons fait l’hypothèse que les apprenants du groupe profité+ devraient avoir un taux global de chute, toutes variables confondues, plus important que ceux du groupe 146 Chamot, Racine, Regan, Detey <?page no="147"?> profité-. Le Tableau 2, ci-dessous, reflète cette distinction, avec un taux global de chute, toutes structures confondues, de plus du double pour les apprenants du groupe profité+ que pour ceux du groupe profité- (34.70 % vs 15.42 %). Groupe profité+ Groupe profité- 34.70 % (144/ 415) 15.42 % (35/ 227) Tab. 2 : Taux global de chute (en %) et nombre de chutes et d’occurrences totales pour les 5 participants du groupe profité+ et pour les 4 participants du groupe profité-, sans distinction entre les trois structures (ne, je_C, il(s)_C) Bien que la différence entre les deux groupes s’élève à 19.28 %, elle n’est toutefois pas significative (F (1, 7.35) = 3.38, n. s.), ce qui peut paraître surprenant à première vue, mais pourrait être expliqué par le fait que le comportement des deux groupes diffère selon la variable examinée, ce qui nécessite d’examiner l’interaction entre le degré de socialisation et les structures. 4.2.3 Variables sociolinguistiques et socialisation avec les natifs Comme nous venons de le voir, l’analyse statistique ne nous permet pas de conclure que le degré de socialisation a un impact sur le taux de chute global, toutes variables confondues. Nos résultats montrent cependant qu’il interagit de manière significative avec les structures examinées (F (2, 631.41) = 4.86, p < 0.01). Ainsi, comme l’illustre la Figure 1, ci-dessous, le fait d’avoir profité ou non de son séjour n’influence pas de manière identique la chute de chacun des éléments examinés. 147 Une ou des immersion(s) ? <?page no="148"?> 17 fait d’avoir profité ou non de son séjour n’influence pas de manière identique la chute de chacun des éléments examinés. Fig. 1 : Taux global de chute (en %) en fonction du groupe (profité+ et profité-) et de la structure examinée (ne, je_C, il(s)_C). Nos résultats montrent donc un profil très différent pour chacune des variables examinées, avec une différence claire entre la variable morphosyntaxique (ne) par rapport aux deux variables phoniques (je_C et il(s)_C). Si, sur le plan statistique, l’interaction est significative, le petit nombre d’apprenants par groupe (5 dans le groupe profité+ et 4 dans le groupe profité-) ainsi que le petit nombre d’occurrences pour chacune des trois structures testées nous fait atteindre les limites de l’outil statistique. En effet, malgré des taux de chute très différents entre les deux groupes pour la chute du schwa - profité+ = 25% (44/ 176 occurrences) contre seulement 2.70% (3/ 111) pour le groupe profité- - et pour la chute du / l/ - avec respectivement 26.81% (37/ 138) vs 0% (0/ 62) - les analyses statistiques post-hoc n’atteignent pas le seuil de significativité minimal (n. s.). Ce profil diffère toutefois pour l’omission du ne de négation, pour lequel les 0 10 20 30 40 50 60 70 80 "ne" "je_C" "il(s)_C" Taux de chute (en %) profité+ profité- Fig. 1 : Taux global de chute (en %) en fonction du groupe (profité+ et profité-) et de la structure examinée (ne, je_C, il(s)_C) Nos résultats montrent donc un profil très différent pour chacune des variables examinées, avec une différence claire entre la variable morphosyntaxique (ne) par rapport aux deux variables phoniques (je_C et il(s)_C). Si, sur le plan statistique, l’interaction est significative, le petit nombre d’apprenants par groupe (5 dans le groupe profité+ et 4 dans le groupe profité-) ainsi que le petit nombre d’occurrences pour chacune des trois structures testées nous fait atteindre les limites de l’outil statistique. En effet, malgré des taux de chute très différents entre les deux groupes pour la chute du schwa - profité+ = 25 % (44/ 176 occurrences) contre seulement 2.70 % (3/ 111) pour le groupe profité- - et pour la chute du / l/ - avec respectivement 26.81 % (37/ 138) vs 0 % (0/ 62) - les analyses statistiques post-hoc n’atteignent pas le seuil de significativité minimal (n. s.). Ce profil diffère toutefois pour l’omission du ne de négation, pour lequel les taux de chute dans les deux groupes sont très proches : 62.38 % (63/ 101 occurrences) pour le groupe profité+ vs 59.26 % (32/ 54 occurrences) pour le groupe profité-. Cette difficulté à appuyer nos résultats par le biais de l’outil statistique est révélateur d’un autre aspect caractéristique de nos données, outre la taille de notre corpus : la forte variation individuelle dans les taux d’omission des différentes variables testées, phénomène qui a, comme nous l’avons vu dans la section 3, été souligné à plusieurs reprises par les chercheurs dans les études antérieures (voir notamment Rehner/ Mougeon 1999 ; Dewaele/ Regan 2002 ; Regan 2003 ; Howard 2012 ; Gautier/ Chevrot 2015 ; Kennedy Terry 2017 ; Kennedy Terry à paraître). Il va dès lors de soi qu’examiner des phénomènes 148 Chamot, Racine, Regan, Detey <?page no="149"?> 13 Il nous paraît utile de préciser ici que, si nous effectuons des analyses statistiques ‘à l’ancienne’ (ANOVA à deux facteurs classique, sans modèles mixtes ou chi-carrés), les différences de taux de chute pour le schwa et pour le / l/ entre les deux groupes dans les analyses post-hoc sont significatives, ce qui n’est pas surprenant puisque les modèles mixtes sont calculés à partir des données brutes et prennent donc davantage en compte la variabilité individuelle, cet aspect s’étant encore renforcé dans les développements récents de ces modèles. Nous avons cependant préféré proposer, de manière très honnête, un traitement statistique en phase avec les tendances actuelles (modèles mixtes), tout en soulignant la difficulté d’appliquer cette approche dans des études portant sur des éléments caractérisés par une importante variabilité individuelle et de surcroît, dans des corpus de taille modeste. soumis à la variation individuelle et de surcroît dans un corpus de petite taille n’est pas compatible avec une validation statistique, notamment dans les analyses à un niveau post-hoc 13 . Ainsi, même si nos résultats sont à considérer avec toute la prudence nécessaire et demandent à être consolidés par une étude sur un corpus plus large, il nous semble que la différence entre les structures examinées en fonction des deux groupes, avec d’un côté la variable morphosyntaxique et de l’autre les deux variables phoniques est tout de même intéressante à approfondir. Nous avons donc examiné, pour chaque apprenant individuellement, le taux de chute de chaque variable et calculé un coefficient de corrélation (Pearson) : si le taux de chute du ne ne semble corrélé ni avec le taux de chute du schwa dans la structure je_C (r = 0.16), ni avec celui du / l/ dans il(s)_C (r = 0.08), il existe un lien très fort entre les taux de chute dans les deux variables phoniques (r = 0.97). Comme on le voit dans la Figure 2, ci-dessous, ce résultat suggère que, même s’il y a une variabilité individuelle importante au sein des deux groupes, l’appropriation des deux variables phoniques - bien moins établies que le ne, on le rappelle - semble se faire de manière parallèle, au même moment et de manière plus marquée chez les apprenants déclarant avoir tiré profit de leur séjour, ce qui n’est pas le cas pour l’omission du ne, variable considérée dans la littérature comme beaucoup mieux établie (cf. Figure 3). 149 Une ou des immersion(s) ? <?page no="150"?> déclarant avoir tiré profit de leur séjour, ce qui n’est pas le cas pour l’omission du ne, variable considérée dans la littérature comme beaucoup mieux établie (cf. Figure 3). Fig. 2 : Taux de chute (en %) pour les 2 variables phoniques (je_C en gris foncé et il(s)_C en gris clair) pour chacun des 5 apprenants du groupe profité+ (de PRO+1 à PRO+5, à gauche de la barre pointillée) et pour chacun des 4 apprenants du groupe profité- (de PRO-1 à PRO-4, à droite de la barre pointillée). Fig. 3 : Taux de chute (en %) pour la variable morphosyntaxique (ne) pour chacun des 5 apprenants du groupe profité+ (de PRO+1 à PRO+5, à gauche de la barre pointillée) et pour chacun des 4 apprenants du groupe profité- (de PRO-1 à PRO-4, à droite de la barre pointillée). 5. Discussion 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 PRO+1 PRO+2 PRO+3 PRO+4 PRO+5 PRO-1 PRO-2 PRO-3 PRO-4 Taux de chute (en %) "je_C" "il(s)_C" 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 PRO+1 PRO+2 PRO+3 PRO+4 PRO+5 PRO-1 PRO-2 PRO-3 PRO-4 Taux de chute (en %) PRO+2 PRO+3 PRO+4 Profité PRO-2 PRO-3 Profité- Profité Profité- Fig. 2 : Taux de chute (en %) pour les 2 variables phoniques (je_C en gris foncé et il(s)_C en gris clair) pour chacun des 5 apprenants du groupe profité+ (de PRO+1 à PRO+5, à gauche de la barre pointillée) et pour chacun des 4 apprenants du groupe profité- (de PRO-1 à PRO-4, à droite de la barre pointillée) 19 déclarant avoir tiré profit de leur séjour, ce qui n’est pas le cas pour l’omission du ne, variable considérée dans la littérature comme beaucoup mieux établie (cf. Figure 3). Fig. 2 : Taux de chute (en %) pour les 2 variables phoniques (je_C en gris foncé et il(s)_C en gris clair) pour chacun des 5 apprenants du groupe profité+ (de PRO+1 à PRO+5, à gauche de la barre pointillée) et pour chacun des 4 apprenants du groupe profité- (de PRO-1 à PRO-4, à droite de la barre pointillée). Fig. 3 : Taux de chute (en %) pour la variable morphosyntaxique (ne) pour chacun des 5 apprenants du groupe profité+ (de PRO+1 à PRO+5, à gauche de la barre pointillée) et pour chacun des 4 apprenants du groupe profité- (de PRO-1 à PRO-4, à droite de la barre pointillée). 5. Discussion 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 PRO+1 PRO+2 PRO+3 PRO+4 PRO+5 PRO-1 PRO-2 PRO-3 PRO-4 Taux de chute (en %) "je_C" "il(s)_C" 0 10 20 30 40 50 60 70 80 90 100 PRO+1 PRO+2 PRO+3 PRO+4 PRO+5 PRO-1 PRO-2 PRO-3 PRO-4 Taux de chute (en %) Profité Profité- PRO+2 PRO+3 PRO+4 Profité PRO-2 PRO-3 Profité- Fig. 3 : Taux de chute (en %) pour la variable morphosyntaxique (ne) pour chacun des 5 apprenants du groupe profité+ (de PRO+1 à PRO+5, à gauche de la barre pointillée) et pour chacun des 4 apprenants du groupe profité- (de PRO-1 à PRO-4, à droite de la barre pointillée) 150 Chamot, Racine, Regan, Detey <?page no="151"?> 14 A noter que ce taux, calculé sur la base des productions de 10 natifs jeunes suisses romands, correspond à peu près à celui observé par Hansen/ Malderez (2004) sur un corpus plus large, avec, pour les plus jeunes locuteurs parisiens (15-23 ans), un taux d’omission du ne de 95.4 %. 5 Discussion Dans cette étude, nous avons tenté d’ouvrir une fenêtre sur ce qui se passe lors d’un séjour linguistique, en termes de degré de socialisation avec des natifs (cf. Freed et al. 2004 ; Diao et al. 2011 ; Regan 2013 ; Coleman 2015 ; Gautier/ Chevrot 2015 ; Kennedy Terry 2017 ; Mitchell et al. 2017 ; Kennedy Terry à paraître) afin de mieux comprendre l’effet de ce facteur sur l’appropriation de la compétence sociolinguistique par les apprenants. Pour ce faire, nous avons examiné l’usage de plusieurs variables sociolinguistiques bien connues et étudiées, dans le discours d’apprenants ayant, pour certains, profité de leur séjour pour avoir beaucoup de contacts avec des natifs (groupe profité+), alors que pour d’autres, ces contacts sont demeurés très réduits (groupe profité-). Nous avons ainsi analysé la production de formes négatives (présence/ absence du ne), variable morphosyntaxique bien établie et thématisée (cf. Howard et al. 2013), ainsi que celle de formes avec des variations phoniques possibles (présence/ absence du schwa dans les formes je_C ainsi que du / l/ dans il(s)_C), qui représentent des variations moins bien établies (cf. Howard 2012), dont les locuteurs natifs sont moins conscients. Nos résultats, bien qu’à prendre avec prudence en raison de la taille mo‐ deste du corpus examiné, montrent toutefois des tendances intéressantes. Tout d’abord, nous avons pu confirmer la hiérarchie déjà mentionnée par Regan et al. (2009), Howard (2012) et Howard et al. (2013) dans l’acquisition de ces trois variables, l’omission du ne de négation étant beaucoup plus présente dans les productions des 9 apprenants que la chute du schwa ou du / l/ . A l’instar des études précédentes qui ont comparé l’usage de variantes informelles dans des productions d’apprenants et de natifs, on peut toutefois constater que le taux d’omission du ne de négation reste très inférieur à celui de locuteurs natifs dans le même type d’entretiens guidés. A titre comparatif, nous pouvons mentionner ici le taux de chute du ne, calculé par Isely et al. (2019), de 10 locuteurs natifs suisses romands, d’une tranche d’âge identique à celle des 9 apprenants de l’étude, dans une tâche d’entretien guidé très similaire à celle de la présente étude : 98.84 % 14 , soit un taux de chute nettement plus élevé que celui observé chez les 9 apprenants (61.29 %). Nous montrons en outre que, si le degré de socialisation avec des natifs ne semble pas avoir un impact majeur sur l’appropriation de la variation liée au 151 Une ou des immersion(s) ? <?page no="152"?> ne de négation, il paraît jouer un rôle plus important dans l’appropriation de la variation sur le plan phonique (chute du schwa et du / l/ ). Ce résultat est toutefois à considérer avec précaution car nous n’avons pas réussi, avec la statistique actuelle (modèles mixtes) à le valider, en raison de la forte variabilité individuelle présente pour ces phénomènes de variation. Néanmoins, lorsque l’on observe le comportement individuel des 9 apprenants pour chacune des trois variables, on peut constater un début d’appropriation parallèle et simultané pour les deux variables phoniques, avec des pourcentages de chute allant de 2.78 % à 52.63 % pour le schwa et de 5.88 % à 50 % pour le / l/ dans le groupe profité+. Le parallélisme se constate de la manière suivante : l’apprenant PRO+1 fait très peu chuter le schwa et le / l/ (2.78 % et 5.88 %), alors que l’apprenant PRO+5 a un taux de chute beaucoup plus élevé pour les deux variables (52.63 % et 50 %). En revanche, dans le groupe profité-, la chute de ces deux éléments est quasi-inexistante : pour le schwa, les taux vont de 0 % à 7.14 %, alors qu’il n’y a aucune chute du / l/ dans ce groupe. Les coefficients de corrélation calculés entre les taux de chute des trois variables montrent que ce parallélisme n’est par contre pas présent pour l’omission du ne de négation, pour lequel le profil d’appropriation semble très différent, avec un impact mineur du degré de socialisation des apprenants avec des natifs durant leur séjour. Une première piste permettant d’expliquer cette différence entre la variable morphosyntaxique et les deux variables phoniques, que nous avons déjà abordée dans l’introduction, est liée à leur différence de statut (variantes bien établies, « bien établie dans le processus de changement linguistique », selon Howard et al. 2013), élément auquel les apprenants paraissent sensibles (Regan et al. 2009 ; Howard 2012). On peut ainsi supposer qu’une variable bien établie, dont la variation se situe sur le plan morphosyntaxique de surcroît, est davantage thématisée dans l’enseignement/ apprentissage que les deux autres. Dans le cas du groupe profité- par exemple, cette variable pourrait être déjà en voie d’acquisition d’après l’expérience d’apprentissage dans le contexte de la salle de classe et être par conséquent beaucoup moins dépendante du contact avec des locuteurs natifs. Les taux d’omission du ne de négation obtenus par Howard (2012) au Temps 1, soit juste avant le départ pour un séjour d’un an en France montraient toutefois une variabilité individuelle extrême : deux des cinq apprenants examinés avaient des taux très élevés (82 % et 90 %), l’un avait un taux très bas (13 %), alors que les trois autres maintenaient systématiquement le ne. Une analyse fine du matériel pédagogique utilisé en Irlande et des pratiques et représentations des enseignants devrait ainsi être menée afin de mieux comprendre ces résultats. 152 Chamot, Racine, Regan, Detey <?page no="153"?> Le contenu des entretiens avec les apprenants fournit également des pistes d’interprétation possibles concernant cette différence entre les trois structures examinées. Il est en effet intéressant de constater que l’omission du ne de négation a été thématisée spontanément à plusieurs reprises par les apprenants lors des entretiens, alors qu’ils ne font aucune mention de la variation phonique, ni pour le schwa, ni pour le / l/ . L’analyse qualitative du contenu des entretiens a ainsi permis de compléter les résultats obtenus sur la base de l’observation des réalisations des apprenants. Cette analyse fait émerger un autre phénomène intéressant dans le cas du ne de négation, à savoir le statut conféré à cette variable et les représentations qui y sont liées. En effet, bien qu’elle soit établie depuis longtemps et connue des natifs (cf. Armstrong/ Smith 2002 ; Regan et al. 2009), la chute du ne de négation est communément perçue comme relevant d’un style de langue familier et est « l’un des stéréotypes les plus fréquemment soulignés comme signe d’un discours négligé » (Gadet 1989 : 127). Il est donc envisageable de penser que cette variable fait probablement aujourd’hui encore l’objet de débat sur le ‘bien parler’ et sur la forme correcte ou incorrecte de la négation dans la langue orale. Tyne (2012), après avoir rapporté que les travaux portant sur les apprenants guidés ont systématiquement montré une tendance à être « trop formels », se demande en effet « s’il est vraiment souhaitable qu’ils ne le soient pas », les récits d’apprenants qui se sont vus corrigés par des natifs lorsqu’ils emploient des formes qu’il qualifie d’« ordinaires de la langue cible » étant « légion ». Ce sont donc davantage les représentations des enseignants eux-mêmes qui posent problème et renvoient à ce que souligne Detey (2017) et que nous avions mentionné au début de ce chapitre (cf. section 2), à savoir que peu d’enseignants ont une idée « (socio)linguistiquement informée de ce qu’est la variation linguistique en français oral ». Nos données font écho à ces observations. L’une des participantes du groupe profité+ (PRO+3), qui a séjourné 8 mois à Montréal, explique ainsi s’être vue explicitement corrigée dans sa manière de parler une fois de retour en classe dans son université à Dublin. Si elle thématise ici davantage la prononciation et donc l’accent québécois, elle l’associe avec le fait de faire chuter des mots, ce qu’elle place sur le même plan que des « erreurs », l’ensemble de ces éléments pouvant, selon elle, nuire à l’intelligibilité du message : parce que quand j’ai retourne en Irlande j’étais dans les cours et j’ai remarqué que je parle avec une accent un peu différent que les autres mais aussi j’ai gardé mon accent de français standard parce que quand je fais des *orals* des examens *orals* c’est important que je fais pas des erreurs que je chute pas des mots parce que ça 153 Une ou des immersion(s) ? <?page no="154"?> dérange la compréhension […] il y a j’ai eu une prof qui m’a dit ‘tu peux pas dire ça tu dois prononcer comme ça’ Nos données révèlent en outre que les apprenants sont pleinement conscients de la différence des variantes utilisées par les natifs en contexte naturel et celles privilégiées par les enseignants en classe de langue et que, dans le cadre de leurs études, ils doivent se conformer aux attentes des enseignants. L’une des participantes a en effet mentionné que maintenant qu’elle est de retour à Dublin après un séjour, elle souhaite demander l’avis d’un enseignant de son université car elle ne sait pas si elle peut supprimer les ne de négation dans le contexte de ses études universitaires en français langue étrangère. Cette conscience de la différence et des attentes n’est toutefois pas l’apanage des 5 apprenants du groupe profité+. Une des apprenantes du groupe profité-, qui a séjourné à Angers pendant 10 mois (PRO-2), exprime son malaise de s’être habituée à des formes qui ne sont pas acceptées dans le contexte de la classe de langue. Elle cite l’exemple précis de l’omission du ne de négation, qu’elle pratique à un taux de 69.23 % au cours de l’entretien, ce qui ne l’empêche pas d’en avoir une représentation négative : Pendant ma deuxième année […] les profs ont toujours dit ‘ne blabla pas’ ou ‘ne pas’ et en France toujours il dit ‘je sais pas’ et c’est un mal chose probablement pour mes études mais j’ai l’habitude maintenant de ne pas dire le ‘ne’ Ces exemples font écho aux constatations de Coveney (1998), qui, dans une étude portant sur la conscience de natifs et de non-natifs des contraintes liées à l’omission du ne, a montré que les apprenants anglophones semblent avoir une conscience plus marquée de ces contraintes que les natifs. Il suggère donc que, à un stade très avancé de l’apprentissage, les apprenants surveillent davantage leur discours que les natifs, ce qui pourrait se profiler dans le futur de nos apprenants au vu des observations ci-dessus. Certains apprenants ont toutefois des représentations positives de l’omission du ne de négation. L’une des participantes, qui a séjourné 6 mois à Paris (PRO+1) et dont le taux de chute du ne est le plus élevé de notre corpus (95 %), se représente le fait de conserver le ne de négation comme un trait langagier la catégorisant comme une non native : Je crois que [pour] les gens c’est plus évident que tu es une étrangère si tu dis ‘je ne ne ne’ Il est intéressant de constater que cette participante est la seule qui a fait un séjour en tant que jeune fille au pair et qui ne vivait donc pas dans une résidence d’étudiants mais dans une famille issue d’une classe sociale plutôt aisée. Elle 154 Chamot, Racine, Regan, Detey <?page no="155"?> a beaucoup côtoyé les grands-parents des enfants dont elle s’occupait, couple qui semble représenter pour elle un modèle d’usage ‘correct’ de la langue. Le fait qu’ils omettent le ne de négation semble appuyer sa réflexion qu’il s’agit là d’une variante « ordinaire » pour reprendre les termes de Tyne (2012). Cette réflexion reflète par ailleurs l’importance que peut représenter l’appar‐ tenance à la communauté de locuteurs francophones pour les apprenants et renvoie à l’implication sociale que revêt l’usage de l’une ou l’autre des variantes. Si, d’une part, la chute du ne semble considérée comme peu adéquate par les apprenants dans le cadre de leurs études universitaires, le maintien de cet élément est d’autre part envisagé comme un élément catégorisant le locuteur comme étranger et ne lui permettant pas de s’identifier à la communauté de locuteurs de la langue cible. L’importance de l’implication de la variation sociale et stylistique chez les locuteurs a été soulignée par Labov (1972), qui oppose « sens référentiel » (angl. referential meaning) et « signification sociale » (angl. social significance). Les extraits ci-dessus illustrent que la variation autour du ne peut revêtir une signification et une valeur sociales importantes pour les participants, ce qui les amène à ajuster et à reconsidérer son usage en fonction de celles-ci. 6 Conclusion Ainsi, si être « dans le bain » (Regan 1995) est nécessaire pour s’approprier la compétence sociolinguistique, il semble toutefois urgent de parvenir à réconci‐ lier le contexte guidé avec la réalité des usages. Les apprenants ne devraient en effet pas être tiraillés entre des variantes qu’ils se sont appropriées lors d’un séjour linguistique et qui peuvent parfois aller jusqu’à leur conférer un sentiment d’appartenance à la communauté des locuteurs natifs et le rejet et la dévalorisation de ces mêmes variantes dans le contexte universitaire, si elles sont employées de manière appropriée. Si l’objectif de pouvoir utiliser un type de discours adéquat au contexte implique justement de pouvoir différencier les contextes, les apprenants ne devraient pas se heurter à des représentations erronées de la part des enseignants sur les usages réels en vigueur dans la langue orale, ou en tout cas des injonctions pédagogiques trop restrictives et potentiellement entravantes. Ainsi, comme le soulignent Dewaele et Regan (2002), un enseignement explicite de la variation sociolinguistique en classe de langue (cf. notamment Lyster 1994), combiné par exemple aux ressources pédagogiques récentes issues des grands corpus oraux de français (cf. notamment Detey et al. 2010 ; Detey et al. 2016 ; André 2019 ; Etienne/ Jouin 2019), constitue une piste intéressante. Elle 155 Une ou des immersion(s) ? <?page no="156"?> a l’avantage de permettre à des étudiants qui n’ont pas l’opportunité d’effectuer un séjour en milieu francophone de tout de même développer leur compétence sociolinguistique. Toutefois, cette piste ne suffit pas. Les remarques de Detey (2017) mentionnées dans l’introduction prennent en effet ici tout leur sens. L’introduction de la variation en classe de langue étrangère ne peut en effet s’effectuer que « de manière construite et raisonnée » en fonction « du profil des apprenants, de leur stade d’apprentissage et de leurs objectifs » et devra passer également par une meilleure formation des enseignants dans ce domaine ainsi que par le développement de dispositifs adéquats. Références Adamson, Hugh D./ Regan, Vera (1991) : « The acquisition of community speech norms by Asian immigrants learning English as a second language », in : Studies in Second Language Acquisition 13, 1-22. André, Virginie (2019) : « Des corpus oraux et multimodaux authentiques pour acquérir des compétences langagières », in : Gajo, Laurent et al. (eds.) : Variation, plurilinguisme et évaluation en français langue étrangère, Berne : Lang, 209-233. 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Parmi les études phonétiques sur l’acquisition des langues étrangères, nous citons à titre d’exemple des travaux sur les voyelles anglaises (Busà 1995, Sisinni/ Grimaldi 2010) et sur l’intonation de l’allemand (Stella 2013). Des recherches sur le français langue étrangère chez les apprenants italophones ont analysé, par exemple, la réalisation de groupes de consonnes (D’Apolito/ Gili Fivela 2009) ou de consonnes rhotiques (De Paolis 2019) ; quelques traits typiques de la prononciation du français par les italophones sont mentionnés par Maturi (2014 : 151-152) et par Murano/ Pa‐ ternostro (2016 : 152-154). En ce qui concerne les voyelles nasales du français, leur acquisition a été examinée chez des apprenants japonais et espagnols (cf. Detey/ Racine/ Kawaguchi 2014 et Detey/ Racine 2015) ainsi que chez des locuteurs anglophones (Garrot 2006), tandis qu’une étude sur la réalisation des voyelles nasales par des apprenants italophones universitaires et préscolaires a été menée dans le cadre du projet Interphonologie du Français Contemporain (IPFC) par Floquet (2017). Notre contribution a donc comme premier but celui d’élargir les connaissances concernant ce groupe particulier d’apprenants ; en outre, elle entend également vérifier l’efficacité de l’enseignement explicite de la prononciation en classe (cf. Ruellot 2014 et en général Thomson/ Derwing 2015), selon la méthodologie adoptée dans une étude précédente (Schmid/ Pedrazzini 2016). Pour cela, une expérience didactique a été faite avec une classe d’appre‐ nants italophones du français. Notre contribution est structurée comme suit. La section 2 présente une analyse contrastive des systèmes vocaliques de l’italien et du français afin de formuler des hypothèses sur la difficulté de prononciation des voyelles nasales du français, en tenant compte aussi des prédictions de certains modèles <?page no="164"?> 1 La même étude sera publiée prochainement aussi en italien (Schmid/ Rajic sous presse). 2 Il est vrai que l’inventaire phonématique de l’italien standard a un status virtuel du moment que « tout le monde a un accent » (Crocco 2017). Par exemple, les variétés régionales parlées en Sicile et en Sardaigne possèdent un système pentavocalique / i ɛ a ɔ u/ , et dans nombre de régions les timbres des voyelles moyennes / e ɛ/ et / ɔ o/ montrent une distribution différente par rapport à celle de l’italien standard. Ceci est le cas de la variété parlée dans le Canton du Tessin en Suisse (donc la L1 des locuteurs analysés dans la présente étude) qui coïncide dans les grandes lignes avec l’italien régional de Milan. Il est important de signaler, pourtant, que la L1 des sujets analysés ne contient guère de voyelles nasales avec un statut de phonème ; en italien, la nasalisation des voyelles orales avant consonne nasale est un phénomène purement casuel et individuel (Schmid 1999 : 149). théoriques sur la prononciation de la L2. En outre, nous menons une brève discussion sur l’efficacité de l’enseignement explicite de la prononciation pour l’acquisition d’une deuxième langue. Dans la section 3, nous décrivons les participants, le corpus et la méthode utilisée pour la récolte et le traitement des données, ainsi que l’expérience menée dans une école de commerce située en Suisse italienne. La section 4 expose les résultats d’abord sous un angle qualitatif à travers une typologie des erreurs produites par les élèves, en illustrant à l’aide de quelques spectrogrammes les différentes manières dont les voyelles nasales du français ont été réalisées ; par la suite, nous présenterons également une description quantitative de ces types de réalisation afin de vérifier l’impact de l’instruction phonétique sur la prononciation des élèves. 1 2 L’acquisition des voyelles nasales du français 2.1 Analyse contrastive entre l’italien (L1) et le français (L2) En comparaison avec les sept voyelles de l’italien, la langue française possède un système beaucoup plus complexe, composé de seize phonèmes vocaliques selon la norme orthoépique traditionnelle (ou de quatorze phonèmes selon la norme de l’usage). Comme l’on peut voir dans le tableau 1, le français standard a en commun avec l’italien standard les sept voyelles / i e ɛ a ɔ o u/ , 2 auxquelles s’ajoutent les trois voyelles orales arrondies / y ø œ/ , les quatre voyelles nasales / ɑ̃ ɔ̃ ɛ̃ œ̃/ , la voyelle postérieure ouverte / ɑ/ et le schwa / ə/ (Léon 2007 5 : 115 ; dans une perspective comparative avec l’italien cf. Mioni 1973 : 98-100, Arcaini 2000 : 25-79 et Maturi 2014 : 130-131). 164 Stephan Schmid, Kristijan Rajic (Zurich) <?page no="165"?> i y u e ø ə o ɛ ɛ̃ œ œ̃ ɔ ɔ̃ a ɑ ɑ̃ Tab. 1 : Le système vocalique du français en comparaison avec celui de l’italien Les quatre voyelles nasales du français standard, marquées en gras dans le tableau 1, peuvent être illustrées par les lexèmes suivants : (1) a. langue [lɑ̃ɡ], vent [vɑ̃] b. pont [pɔ̃] c. vin [vɛ̃], peindre [pɛ̃dʁ] d. brun [bʁœ̃] Parmi les voyelles orales, on le sait, le français ‘de référence’ (Detey/ Lyche 2016 : 25) a désormais remplacé le phonème / ɑ/ par / a/ (Hansen 2014 ; cf. Fougeron/ Smith 1999 : 78). Parmi les quatre voyelles nasales, il est également bien connu que dans le français de référence le phonème / œ̃/ est remplacé par / ɛ̃/ (Detey/ Lyche 2016 : 25 ; cf. Fougeron/ Smith 1999 : 79 ; Hansen 2001 : 33-34). En ce qui concerne l’enseignement du français comme langue seconde, il est raisonnable d’adopter le système vocalique du français de référence (donc : la norme de l’usage ‘parisienne’) comme modèle à proposer aux apprenants dans la plupart des situations. Dans le cas de l’enseignement du français comme langue nationale en Suisse, néanmoins, une approche plus variationniste s’impose. En effet, des recherches empiriques ont démontré que l’élimination du phonème / œ̃/ - dans le sillage du modèle de prononciation en vigueur dans l’Île de France - n’a pas été accomplie en Suisse, même si ce changement phonique semble être assez avancé dans le Canton de Genève. En revanche, dans tous les autres Cantons francophones ou bilingues de la Suisse (Vaud, Valais, Neuchâtel, Jura, Fribourg, Berne) les deux voyelles [œ̃] et [ɛ̃] sont clairement en variation libre ; dans les Cantons de Vaud, du Jura et surtout de Neuchâtel, la variante [œ̃] semble même être majoritaire (Racine/ Andreassen 2012 : 186-188, Racine/ Andreassen/ Benetti 2016 : 226-227, Racine 2016 : 45). En Suisse romande, la distribution des deux allophones [œ̃] et [ɛ̃] semble donc constituer une véritable variable sociophonétique : si les locuteurs jeunes sont en tête du changement orienté vers le modèle hexagonal, l’article indéfini un est particulièrement résistant au processus de neutralisation (Andreassen/ Maître/ 165 L’acquisition des voyelles nasales du français par des apprenants italophones <?page no="166"?> 3 Notons, entre parenthèses, qu’en français du Québec le phonème / œ̃/ « reste malgré tout bien vivant », comme l’ont mis en évidence Martin et al. (2001 : 52). 4 Notons ainsi qu’une enquête sur l’enseignement du français au Tessin a relevé auprès des enseignants une conscience très élevée de la variation de la langue et du statut particulier du français comme langue nationale en Suisse (Paternostro 2017, 2019). Racine 2010 : 222-224). 3 Par conséquent, une connaissance au moins passive de la voyelle / œ̃/ constitue un objectif didactique tout à fait raisonnable pour l’enseignement de la langue française en Suisse. 4 Dans une étude sur l’enseignement du français L2 à l’école, il faut aussi prendre en considération une possible influence de l’orthographe sur la pro‐ nonciation. Rappelons donc que la représentation graphématique des voyelles nasales consiste principalement en des séquences <VN>, comme dans le mot bon [bɔ̃] ; cependant, il n’y a pas de correspondance univoque entre les phonèmes et les graphèmes pour toutes les voyelles, comme l’illustre la paire d’homophones temps [tɑ̃] et tant [tɑ̃] où le phonème / ɑ̃/ est représenté par le graphème <em> dans le premier cas et par le graphème <an> dans le deuxième cas (cf. Catach 1980 : 12). 2.2 Prédictions sur la base de quelques modèles théoriques Plusieurs raisons nous amènent à croire que les voyelles nasales du français créent des difficultés pour les apprenants italophones, dont la L1 ne voit apparaître la nasalité que très rarement en cas de coarticulation. Les voyelles nasales peuvent être considérées comme des sons difficiles, principalement en raison de leur absence dans l’inventaire phonémique de l’italien. Cette prédiction dérive de la fameuse ‘hypothèse de l’analyse contrastive’ (Contrastive Analysis Hypothesis CAH ; cf. Lado 1957). A cela s’ajoute le fait que les voyelles nasales sont typologiquement marquées puisqu’elles sont rarement récurrentes dans les langues du monde (cf. Ruhlen 1975 et Hajek 1997) : la Markedness Differential Hypothesis (MDH ; cf. Eckman 2008) fournit donc une deuxième prédiction sur la difficulté des voyelles nasales françaises pour les locuteurs qui ne les possèdent pas déjà dans leur L1. En fait, une consultation avec les deux banques de données phonématiques UPSID (Maddieson/ Precoda 1990) et PHOIBLE (Moran/ McCloy 2019) révèle que les quatre voyelles nasales du français standard ne sont pas très courantes dans les langues du monde (cf. tableau 2). 166 Stephan Schmid, Kristijan Rajic (Zurich) <?page no="167"?> Voyelle UPSID PHOIBLE ɛ̃ 37 (8.20 %) 240 (7.95 %) ɔ̃ 35 (7.76) 229 (7.58 %) ɑ̃ 7 (1.55) 50 (1.66 %) œ̃ 1 (0.22 %) 6 (0.002 %) Tab. 2 : Fréquence des voyelles nasales dans les bases de données UPSID (N = 451 langues) et PHOIBLE (N = 3020 inventaires phonématiques) En particulier, on constate que dans les deux ressources typologiques les voyelles / ɛ̃/ et / ɔ̃/ sont quelque peu plus fréquentes que la voyelle / ɑ̃/ , tandis que la quatrième voyelle nasale / œ̃/ est très rare (dans les deux ressources, on relève à peu près la même tendance, ce qui n’étonne pas si l’on considère que les données de UPSID ont été inclues dans PHOIBLE). Du point de vue de la typologie phonologique, le caractère marqué de la voyelle / œ̃/ dérive non seulement de sa nasalité, mais aussi de la combinaison des deux traits [+arrondi] et [-postérieur]. Or, le caractère marqué des voyelles nasales se manifeste aussi dans la fréquence des occurrences des voyelles nasales dans trois corpus phonologiques de la langue française (Lafon 1961 : 142-143, Delattre 1965 : 62, Martin et al. 2001 : 51) : Lafon (1961) Delattre (1965) Martin et al. (2001) ɑ̃ 3.3 % 7.59 % 4.7 % ɔ̃ 2.0 % 3.85 % 1.7 % ɛ̃ 1.4 % 2.45 % 1.7 % œ̃ 0.5 % 1.05 % 0.7 % Tab. 3 : Fréquence des voyelles nasales dans trois corpus du français En comparaison avec les bases de données typologiques, on constate une certaine différence dans l’ordre de fréquence des quatre phonèmes : la voyelle nasale la plus fréquente est / ɑ̃/ , suivie en ordre décroissant des phonèmes / ɔ̃/ , / ɛ̃/ et / œ̃/ (cf. tableau 3). Il est vrai que les pourcentages des quatre voyelles (calculés sur le nombre total des phones) diffèrent dans les trois corpus, mais la tendance reste la même. Le nombre des phones dans le corpus de français parlé examiné 167 L’acquisition des voyelles nasales du français par des apprenants italophones <?page no="168"?> par Lafon correspond à 10’000 (cf. Akamatsu 1967 : 75-76), tandis que le corpus québécois parlé analysé par Martin et al. (2001 : 52) comprend 30’739 phones. Malheureusement, pour le corpus de Delattre (1965 : 62) on ne connaît ni le nombre exact des occurrences dans cette étude préliminaire ni la provenance des données qui sont décrites comme « short samplings of combined narrative and spoken material » (Delattre 1965 : 61). Si on doit donc prendre avec précaution ces données, il est néanmoins intéressant de relever que Delattre (1965 : 61-62) discute les implications de la fréquence des occurrences pour l’enseignement des voyelles : «Frequency of occurrence of vowel phonemes is a good indication of the auditory impression a foreigner receives of a language when he enters the country in which it is spoken » ; « On the basis of the low frequency of occurrence of French nasal vowels, French is a more oral language than appears on surface, and the nasals should be taught in the late period of conditioning to new sounds ». De toute façon, il est légitime de supposer que les apprenants ont peu d’occasions de se rendre compte du caractère spécifique de cette catégorie des voyelles nasales, en raison de leur faible fréquence interlinguistique et intralinguistique. Pour ce qui est de la perception, il convient de noter que l’acquisition des voyelles nasales françaises est également rendue difficile par la remarquable similitude perceptive entre les voyelles nasales et orales, qui s’articulent dans la même position du conduit vocal : selon l’une des principales prédictions du ‘modèle d’apprentissage de la parole’ (Speech learning model SLM ; cf. Flege 1995), ce sont précisément les différences entre les sons similaires entre la L1 et la L2 qui risquent de ne pas être perçues par les apprenants (cf. aussi la version révisée du modèle SLM-r : Flege/ Bohn sous presse). Si l’on considère la représentation graphique des voyelles nasales comme des séquences <VN>, ainsi que la similarité graphique évidente de nombreux mots cognats italien/ français (cf. par exemple it. ponte [ˈponte] vs fr. pont, it. vino [ˈviːno] vs fr. vin, etc.), on peut supposer que le poids de l’écrit dans l’enseignement scolaire ainsi que la parenté linguistique entre L1 et L2 contri‐ buent à renforcer l’interférence de la L1. Sur la base de ces considérations, on s’attend donc à ce que de nombreux apprenants italophones aient tendance à ‘assimiler’ les voyelles nasales du français aux patrons phoniques de leur L1 (le concept de l’assimilation perceptive est crucial dans le modèle PAM-L2 : voir Best/ Tyler 2007 ; cf. aussi Detey/ Racine 2016 : 90-91). En particulier, ils pourraient prononcer les voyelles nasales comme des simples voyelles orales ou bien comme des séquences de voyelles orales et de consonnes nasales de l’italien. Ainsi, Murano/ Paternostro (2016 : 152) relèvent que « les voyelles nasales sont dénasalisées, souvent avec l’apparition d’un appendice consonantique » ; la même observation a été faite par Maturi (2014 : 151). 168 Stephan Schmid, Kristijan Rajic (Zurich) <?page no="169"?> 2.3 L’enseignement explicite de la prononciation Dans l’enseignement des langues étrangères, la prononciation semble de nos jours recevoir moins d’attention que les autres niveaux du système linguistique, ce qui peut être en partie l’effet de ce que l’on appelle le ‘virage communicatif ’ qui a mis l’accent sur les compétences pragmatiques, comme le montrent par exemple les objectifs d’enseignement formulés dans le Cadre européen commun de référence pour les langues (CECRL, cf. Conseil de l’Europe 2001, 2018). D’autre part, on ne peut pas exclure le fait que le manque d’attention accordé aux aspects phonétiques des langues secondaires dérive d’une sorte de scepticisme quant aux possibilités réelles d’améliorer la prononciation des apprenants. La thèse selon laquelle la phonologie est plus difficile à maîtriser dans une L2 que les autres niveaux de la langue a depuis longtemps été reprise dans la littérature scientifique. Il suffit de citer le fameux Joseph Conrad phenomenon, du nom du célèbre écrivain polonais qui, tout en ayant écrit des chefs-d’œuvre de la littérature anglaise, a gardé tout au long de sa vie un très fort accent étranger dans cette langue (cf. Tarone 1987 : 80). D’un point de vue plus général, il faut aussi rappeler les objections théoriques fondamentales à l’existence d’une interface entre la compétence linguistique et la conscience métalinguistique (cf. notamment Krashen 1987). Toutefois, lors des dernières années, la question de l’efficacité de l’enseigne‐ ment explicite de la prononciation dans une langue étrangère a également été abordée du point de vue de la recherche empirique, comme le montre un examen de 75 études, dont 82 % font preuve d’une amélioration à la suite de l’enseignement de la phonétique (Thomson/ Derwing 2015 : 338-339). Dans 61 % des études examinées, le type d’enseignement adopté en classe a été réalisé principalement selon l’approche dite PPP (Présentation - Pratique - Production ; cf. Thomson/ Derwing 2015 : 330). Nous notons, entre parenthèses, que cette approche ressemble d’une certaine manière à la ‘méthode phonéti‐ que’ traditionnelle propagée par le phonéticien italien Luciano Canepari (cf. Canepari 1979 : 7, 9). En ce qui concerne la didactique de la prononciation du français, ajoutons enfin que plusieurs approches ont été proposées par Champagne-Muzar/ Bourdages (1998). La méthode PPP a été adoptée aussi dans le cadre d’une recherche sur la prononciation des occlusives en allemand L2 par les apprenants italophones en Suisse italienne (Schmid/ Pedrazzini 2016). Dans cette étude, l’enseignement explicite des occlusives non voisées aspirées semblait avoir un effet assez faible sur la durée du VOT en production, du moins si l’on considère la moyenne des dix sujets analysés. Toutefois, il faut également souligner que quatre élèves sur dix ont pu améliorer de manière significative leur prononciation : ce résultat 169 L’acquisition des voyelles nasales du français par des apprenants italophones <?page no="170"?> 5 Cf. https: / / ch.ambafrance.org/ Le-systeme-scolaire-suisse-3793 ainsi que https: / / www.desk.usi.ch/ en/ sistema-scolastico-ticino (cf. aussi Paternostro 2017, 2019). suggère donc que la méthode PPP semble s’enraciner chez les apprenants ayant un certain ‘style cognitif ’, c’est-à-dire susceptibles de construire une sorte d’interface entre les connaissances métalinguistiques et les compétences phonologiques en L2 (cf. Sharwood Smith 1981, 1991). Cette contribution adopte la même méthodologie que celle utilisée dans l’étude précédente (Schmid/ Pedrazzini 2016), reprenant la méthode de présenta‐ tion dans la ‘leçon de phonétique’ ainsi que la méthode de récolte et de traitement des données. Dans notre cas, les apprenants sont des élèves italophones d’une école professionnelle de commerce en Suisse italienne. En revanche, cette fois-ci la langue cible n’est pas la première langue nationale (l’allemand), mais la deuxième (le français) ; de plus, le phénomène segmental analysé ne concerne pas le consonantisme (le VOT des occlusives), mais la réalisation des voyelles nasales du français. 2.4 Questions de recherche Notre contribution pose les questions de recherche générales suivantes : 1. Quelles difficultés les voyelles nasales du français posent-elles à un apprenant italophone ? 2. Comment peut-on enseigner la prononciation des voyelles nasales fran‐ çaises aux élèves d’une école professionnelle ? Plus précisément, nous nous demanderons comment les apprenants italophones prononcent les quatre voyelles nasales du français, quel est l’impact de l’ensei‐ gnement explicite de la prononciation sur les réalisations des voyelles nasales par les apprenants et, enfin, quel est le degré de variabilité interindividuelle que l’on trouve dans la prononciation des apprenants. 3 Enquête empirique : récolte des données, procédures d’analyse et expérience didactique 3.1 Les participants Les participants analysés fréquentent une école de commerce en Suisse italienne, donc un Institut de formation au Niveau Secondaire II. 5 Plus précisément, il s’agit de 20 élèves de deux classes de ‘Troisième’ (it. Terza) qui avaient entre 17 et 19 ans au moment de l’enquête. Les élèves ont commencé à étudier le français à partir de la troisième année de l’école primaire (à l’âge de huit ans) et ont fréquenté (de 170 Stephan Schmid, Kristijan Rajic (Zurich) <?page no="171"?> façon non continue) des cours de français pendant sept ans. On pourrait donc s’attendre à ce qu’ils possèdent le niveau B1 + ou B2 en français selon l’échelle du Cadre européen commun de référence pour les langues (CECR). 3.2 Le corpus Pour recueillir un corpus de parole lue en français L2, nous avons élaboré un questionnaire composé de 35 phrases contenant chacune au moins un mot avec une voyelle nasale (cf. le tableau 4 pour quelques exemples) ; dans deux phrases, il y a deux voyelles nasales et deux autres phrases contiennent même trois voyelles nasales (cf. l’Appendice pour la liste complète des 35 phrases). Le nombre total de mots à analyser est de 42. Les deux classes ont été enregistrées deux fois. Dans la première classe l’instruction phonétique a eu lieu entre le premier et le deuxième enregistrement (de sorte que toute amélioration de la prononciation a pu être vérifiée en fonction de l’enseignement explicite), tandis que dans la deuxième classe, l’instruction explicite n’a été donnée qu’après le deuxième enregistrement (la deuxième classe est donc le groupe de contrôle). Dans chaque classe, nous avons analysé les productions de dix sujets féminins. Au total, le corpus devrait donc théoriquement contenir 1680 items (2 enregistrements x 2 classes x 10 élèves x 42 mots), mais lors des enregistrements les élèves ont prononcé un nombre plutôt élevé de mots qui ne pouvaient pas être utilisés. Pour cette raison la totalité des voyelles effectivement prises en compte pour l’analyse correspond à 1361 items. [ɑ̃] [ɔ̃] [ɛ̃] [œ̃] <an> • langue • tranche • francs • dimanche • manger <en> • penser • vendredi • descendre • vent • cent <on> • non • son • pont • long • leçon <in> • cinq • vingt • vin • fin • singe <ain/ aim> • pain • main • train • saint(e) • faim <un/ um> • un • lundi • brun • quelqu’un • parfum Tab. 4 : Quelques exemples des mots lus par les élèves (phonèmes et graphèmes) 171 L’acquisition des voyelles nasales du français par des apprenants italophones <?page no="172"?> 3.3 Enregistrements et traitement des données Les enregistrements ont été réalisés à l’aide du programme Speech Recorder (Draxler/ Jänsch 2004) sur un ordinateur portable, directement connecté grâce à une interface audio avec un microphone, qui était lui-même fixé par un tour de cou à une distance d’environ 5 cm des lèvres des locuteurs. La segmentation et l’annotation des fichiers sonores ont été effectuées dans le programme Praat, version 6.1.06 (Boersma/ Weenink 2019). L’analyse auditive de la prononciation des élèves a été faite par le deuxième auteur de cet article (lui-même professeur de français dans un lycée) sur la base de la perception et de l’inspection des spectrogrammes, plus précisément à l’aide d’un TextGrid (cf. Delais-Roussarie/ Meqqori/ Tarrier 2003 : 165-184) dans lequel on a distingué cinq niveaux : Fig. 1 : Annotation des fichiers sonores et catégorisation des réalisations des voyelles nasales par les apprenants à l’aide d’un TextGrid Comme l’on peut observer dans la figure 1, sur la première tire du TextGrid (Mot) on a isolé le mot son à l’intérieur de la phrase 15 C’est son frère (cf. Appendice). Sur la deuxième tire (Graphie) on a indiqué le graphème <on> correspondant au phonème / ɔ̃/ , qui est représenté à son tour sur la troisième tire (Phonème). La voyelle effectivement prononcée par l’apprenant est annotée sur la quatrième tire (Réalisation). Dans ce cas, la réalisation coïncide avec le modèle fourni par la norme du français ; par conséquent, elle est classée sur la cinquième tire (Catégorie) avec le chiffre 1. Précisons alors que l’analyse auditive a permis de discerner dans les différentes réalisations des voyelles nasales par les apprenants sept catégories qui seront illustrées en détail dans la section 4.1. Enfin, on a 172 Stephan Schmid, Kristijan Rajic (Zurich) <?page no="173"?> calculé le nombre de réalisations de chaque catégorie produite par les élèves à l’aide d’un script Praat qui nous a été mis a disposition par Sandra Schwab. 3.4 La leçon de phonétique Dans l’une des deux classes, une leçon de phonétique d’environ 80 minutes a été donnée entre le premier et le deuxième enregistrement. Les élèves ont reçu des notions de base sur les voyelles orales des langues romanes, en particulier sur le système vocalique du français. On leur a donné une définition anatomique et physiologique de la nasalité, en illustrant la position du voile, surtout lorsque le voile est abaissé. La figure 2 montre une visualisation utilisée en cours (Schmid 1999 : 39) : Fig. 2 : Visualisation de la position du voile utilisée en cours La position des voyelles (orales et nasales) dans le trapèze vocalique a été présentée aux apprenants, en leur faisant observer d’une part le maintien de la position articulatoire par rapport aux voyelles orales et d’autre part la différence de transcription phonétique qui réside dans le symbole du tilde (~), superposé aux quatre symboles phonétiques en question. S’en est suivi la présentation des quatre voyelles nasales françaises, chacune illustrée par des lexèmes connus par les élèves (cf. tableau 5). 173 L’acquisition des voyelles nasales du français par des apprenants italophones <?page no="174"?> Symbole Exemples de mot Graphèmes correspondants [ɑ̃] manger, penser, sembler <an>, <en>, <em> [ɔ̃] pont, font, tomber <on>, <om> [ɛ̃] chemin, pain, faim, rien <in>, <ain>, <aim>, <ien> [œ̃] lundi, un, brun, parfum <un>, <um> Tab. 5 : Les quatre voyelles nasales, exemples de mot et graphèmes correspondants On a également expliqué aux apprenants qu’aujourd’hui le phonème / œ̃/ est souvent remplacé par / ɛ̃/ chez de nombreux locuteurs natifs du français. Après les explications théoriques, les élèves se sont entraînés en binômes à prononcer une série de mots contenant les quatre voyelles. Lors de la phase de travail en binôme, ils ont reçu un feedback individuel, puis une discussion en groupe a permis de relever et d’aborder les difficultés les plus fréquentes. Nous avons attiré leur attention sur trois erreurs typiquement commises par les italophones (L1) dans la prononciation des voyelles nasales. Dans un premier temps, on a tenté de sensibiliser les élèves à la distinction entre les phonèmes / ɑ̃/ et / ɔ̃/ , en rappelant que / ɑ̃/ correspond aux combinaisons graphématiques <an>, <en> et <em>, tandis que / ɔ̃/ correspond aux digraphes <on> et <om>. Pour illustrer la différence, nous avons donné l’exemple de la paire minimale de dans / dɑ̃/ vs dont / dɔ̃/ (sur l’utilité de l’utilisation de paires minimales dans l’enseignement de la prononciation en langue étrangère, cf. Mairano/ Calabrò 2016). Ajoutons que la confusion entre / ɑ̃/ et / ɔ̃/ ne concerne pas que les italophones ; au contraire, cette distinction semble être difficile pour (presque) tous les apprenants de FLE (cf. Detey/ Racine/ Kawaguchi/ Eyenne 2016, en particulier les chapitres 15-33 qui décrivent les difficultés rencontrées par les apprenants de FLE avec différentes L1). Ainsi, Detey/ Racine (2015) ont montré sur la base d’une expérience de perception que le contraste entre / ɑ̃/ et / ɔ̃/ est plus difficile à percevoir par des apprenants japonais que le contraste entre / ɑ̃/ et / ɛ̃/ . Une deuxième ‘erreur’ typique commise par les italophones de la L1 est la prononciation de la consonne nasale en plus de la voyelle nasale (et parfois aussi des consonnes suivantes) qui ferait partie du digraphe <VN> de la voyelle nasale (par exemple, dimanche prononcé comme *[dimɑ̃nʃ] au lieu de [dimɑ̃ʃ]). Là aussi, il s’agit d’un phénomène répandu et persistant chez beaucoup d’apprenants de FLE surtout en contexte scolaire à cause du fort impact de l’écriture ; dans leur étude sur la production des voyelles nasales françaises chez des apprenants japanophones et hispanophones, Detey et al. (2010 : 1290sqq.) parlent même d’un phénomène de « consonantisation » de la voyelle nasale. Dans notre leçon 174 Stephan Schmid, Kristijan Rajic (Zurich) <?page no="175"?> de phonétique, les élèves ont été invités à prononcer la version standard et la version fautive des voyelles, afin de faciliter la perception de la différence entre les deux réalisations ; on a aussi cherché les mots où se trouvait l’erreur que beaucoup d’entre eux avaient commise lors du premier cycle d’enregistrements. Vers la fin de cette partie de la leçon, on a mis en évidence une troisième erreur fréquente chez les apprenants italophones du français, à savoir la confusion entre la nasale mi-ouverte antérieure [ɛ̃] et la voyelle postérieure correspondant [ɔ̃]. Les apprenants ont essayé de comprendre la nature de cette erreur en prononçant le mot singe. Dans ce cas aussi, nous avons souligné la différence entre la prononciation fautive *[sɔ̃ʒ] et la version correcte [sɛ̃ʒ]. Après la partie théorique, nous sommes passés à une première application pratique en présence de la classe entière. Les élèves ont reçu et lu à haute voix une sélection des 35 mots ou phrases de l’étude. Nous avons corrigé la prononciation en cas de réalisation fautive. Comme on pouvait s’y attendre, les lexèmes tels que le substantif leçon ou l’adjectif long étaient souvent prononcés comme une séquence comprenant une voyelle orale et une consonne nasale [ɔn]. La deuxième application pratique en classe consistait en un travail en binôme. Les deux élèves devaient lire à haute voix une série de lexèmes proposés et cocher le symbole phonétique correspondant à la voyelle nasale prononcée. Voici un exemple de fiche d’exercice utilisée en classe : vin □ [ɑ̃] □ [ɔ̃] □ [ɛ̃] □ [œ̃] faim □ [ɑ̃] □ [ɔ̃] □ [ɛ̃] □ [œ̃] français □ [ɑ̃] □ [ɔ̃] □ [ɛ̃] □ [œ̃] sembler □ [ɑ̃] □ [ɔ̃] □ [ɛ̃] □ [œ̃] parfum □ [ɑ̃] □ [ɔ̃] □ [ɛ̃] □ [œ̃] (ils) font □ [ɑ̃] □ [ɔ̃] □ [ɛ̃] □ [œ̃] Tab. 6 : Exemple d’une fiche d’exercice utilisée dans la leçon de phonétique Cet exercice a également engendré plusieurs incertitudes, notamment en ce qui concerne la prononciation de la voyelle nasale [ɑ̃]. D’une part, la difficulté consistait à reconnaître le symbole phonétique, d’autre part on entendait souvent des réalisations du type *[fʁɔ̃sɛ], avec la voyelle mi-ouverte au lieu de [ɑ̃]. À la fin de la leçon, les apprenants ont été invités à relire l’ensemble des phrases d’étude à voix haute à la maison afin de pouvoir se préparer pour la deuxième série d’enregistrements. En outre, ils ont dû refaire à la maison l’exercice relatif au tableau 6. 175 L’acquisition des voyelles nasales du français par des apprenants italophones <?page no="176"?> L’objectif de la leçon de phonétique et des deux exercices de répétition à domicile était de fournir une première réponse à la deuxième question de recherche posée à la fin de la partie introductive (cf. section 2.4) : dans quelle mesure est-il possible d’améliorer la prononciation des apprenants par un enseignement phonétique explicite ? 4 Résultats 4.1 Analyse qualitative : typologie des réalisations des voyelles nasales Sur la base de l’écoute, de la segmentation et de l’annotation des fichiers sonores sous Praat, nous avons classé la prononciation des voyelles nasales pour en décrire les processus de substitution phonologique dans les interlangues des élèves. Cette classification a été effectuée à l’aide de la procédure de l’analyse des erreurs (error analysis ; cf. Corder 1981). Ainsi, nous avons pu relever et identifier sept catégories de réalisation des voyelles nasales françaises par les élèves : 1. voyelle nasale conforme au modèle du français standard ; 2. voyelle nasale différente du modèle L2 (par exemple, le mot vin prononcé comme [vɑ̃] au lieu de [vɛ̃]) ; 3. séquence d’une voyelle nasale conforme au modèle L2 suivie d’une consonne nasale (par exemple, le mot temps prononcé [tɑ̃ŋ] au lieu de [tɑ̃]) ; 4. séquence d’une voyelle nasale différente du modèle L2 suivie d’une consonne nasale (par exemple, le mot temps prononcé [tɔ̃ŋ] au lieu de [tɑ̃]) ; 5. séquence d’une voyelle orale suivie d’une consonne nasale (par exemple, le mot temps prononcé [taŋ] au lieu de [tɑ̃]) ; 6. séquence d’une voyelle orale suivie d’une consonne non nasale (par exemple, le mot singe prononcé [sɔjʒ̊] au lieu de [sɛ̃ʒ]) ; 7. voyelle orale simple au lieu de voyelle nasale (par exemple, le mot train prononcé [tʁɛ] au lieu de [tʁɛ̃]). La première catégorie, à savoir la prononciation d’une voyelle nasale selon le modèle du français standard, a déjà été illustrée dans la figure 1 (cf. section 3.3). Nous présentons ici un exemple de la deuxième catégorie dans la figure 3 : 176 Stephan Schmid, Kristijan Rajic (Zurich) <?page no="177"?> Fig. 3 : Voyelle nasale non conforme au modèle du français standard (catégorie 2) Dans cet exemple, l’élève réalise une voyelle nasale différente de la voyelle du français standard, à savoir ici [ɑ̃] au lieu de [ɛ̃] dans le mot vin prononcé à la fin de la phrase 16 J’aime le vin ; dans le spectrogramme, le timbre de la voyelle réalisée est visible dans le rapprochement des deux premiers formants. Ce phénomène est probablement dû au fait que la voyelle nasale [ɑ̃] est la plus fréquente en français (cf. section 2.2, tableau 3) et c’est donc la voyelle que les apprenants rencontrent probablement le plus souvent dans les lexèmes qu’ils connaissent ou apprennent. L’exemple du substantif langue (prononcé dans la phrase 2 J’aime cette langue ; cf. Appendice) montre dans le spectrogramme de la figure 4 la présence de deux phones correspondant à l’orthographe de la séquence de lettres <an> ; le premier segment correspond à la voyelle nasale attendue [ɑ̃], le second à la consonne nasale [ŋ]. 177 L’acquisition des voyelles nasales du français par des apprenants italophones <?page no="178"?> Fig. 4 : Voyelle nasale suivie d’une consonne nasale (catégorie 3) Dans ce cas, l’apprenant prononce le digraphe <an> comme [ɑ̃ŋ], où l’élément vocalique du mot est rendu par une voyelle nasale postérieure ouverte, selon la norme standard de la langue française. Cependant, on y trouve également une consonne nasale ajoutée ; cela signifie que la locutrice maintient la séquence binaire voyelle nasale + consonne nasale comme dans le mot correspondant en italien lingua [ˈliŋɡwa]. Un exemple pour la quatrième catégorie suit dans la figure 5 : Fig. 5 : Voyelle nasale non conforme au français suivie d’une consonne nasale (catégorie 4) 178 Stephan Schmid, Kristijan Rajic (Zurich) <?page no="179"?> Dans cet exemple, le mot lundi (dans la phrase 26 Lundi est notre jour préféré ; cf. Appendice) est prononcé comme *[lɔ̃ndi] au lieu de [lœ̃di] ou [lɛ̃di]. On note ensuite la séquence d’une voyelle nasale non standard ([ɔ̃]) suivie d’une consonne nasale ([n]). Cette séquence de deux segments est également visible dans le spectrogramme. La cinquième catégorie présente le cas d’une voyelle orale suivie d’une consonne nasale : Fig. 6 : Voyelle orale suivie d’une consonne nasale (catégorie 5) Dans la figure 6, cette catégorie est exemplifiée par la forme verbale descendez, prononcée comme [desɛnde] au lieu de [desɑ̃de] ; comme nous le verrons plus loin, il s’agit de la catégorie d’erreur la plus fréquente (cf. figure 9). L’avant-dernière catégorie, celle de la voyelle orale suivie de la consonne non nasale, est représentée à la figure 7 par l’exemple du substantif singes (dans la phrase 19 J’aime les singes ; cf. Appendice) : 179 L’acquisition des voyelles nasales du français par des apprenants italophones <?page no="180"?> Fig. 7 : Voyelle orale suivie d’une consonne orale La locutrice prononce deux phones distincts, visibles dans le spectrogramme et correspondant à la voyelle orale [ɔ] et à une espèce de semi-voyelle, le son de transition [ɨ̯]. La catégorie 7, en revanche, est la prononciation d’une seule voyelle orale : Fig. 8 : Voyelle orale La figure 8 montre l’exemple du mot train, prononcé comme [tʁɛ] au lieu de [tʁɛ̃] dans la phrase 23 Je voyage en train (cf. Appendice). Ce phénomène pourrait être dû au fait que la voyelle nasale en question se trouve en position finale du 180 Stephan Schmid, Kristijan Rajic (Zurich) <?page no="181"?> mot et de la phrase, de sorte que la prononciation semble être plus faible et que le trait de nasalité semble disparaître. 4.2 Effet de l’enseignement explicite sur la réalisation des voyelles nasales Nous passons maintenant à l’analyse quantitative de l’effet de l’instruction explicite de la prononciation. L’histogramme de la figure 9 offre pour chacune des sept catégories illustrées au paragraphe précédent une comparaison entre les productions des voyelles nasales prononcées par les élèves des deux classes lors du premier et du deuxième enregistrement. Les deux enregistrements sont différenciés par les nuances de gris des colonnes : le premier enregistrement est marqué en gris clair, tandis que les valeurs obtenues à partir du second enregistrement apparaissent dans les colonnes en gris foncé. Pour chacune des sept catégories - disposées de gauche à droite sur l’axe des abscisses (x) - il y a quatre colonnes qui indiquent le nombre de réalisations relatives (à droite les résultats de la classe qui a eu l’instruction explicite en prononciation avant le deuxième enregistrement et à droite les résultats du groupe de contrôle). L’échelle de l’axe des ordonnées (y) ainsi que les chiffres associés aux colonnes correspondent au nombre de voyelles réalisées par les deux groupes dans les deux enregistrements. Fig. 9 : Les sept catégories : classes et enregistrements 181 L’acquisition des voyelles nasales du français par des apprenants italophones <?page no="182"?> Un premier résultat de la lecture de l’histogramme de la figure 9 est que dans le groupe de participants ayant reçu une instruction explicite en phonétique, le nombre de prononciations correctes (catégorie 1) a augmenté de manière signifi‐ cative du premier enregistrement (106 réalisations) au deuxième enregistrement (155 réalisations). Cette différence (49 cas) correspond à une augmentation de 46,2 % des prononciations correctes et entraîne un effet positif de la leçon explicite donnée à cette classe entre les deux enregistrements. La classe sans instruction explicite en phonétique voit également une légère augmentation des prononciations correctes entre le premier enregistrement (125 réalisations) et le deuxième (134 réalisations), même si elle n’a pas pu bénéficier d’un enseignement explicite ; on peut cependant supposer que certains élèves ont réfléchi aux mots qu’ils ont lus en classe et par conséquent ont essayé de s’améliorer lors du deuxième enregistrement. Cependant, dans cette classe, il n’y a que neuf améliorations, ce qui correspond à une augmentation de 7,2 % (par rapport aux 46,2 % dans la première classe). Cette différence remarquable entre les deux classes nous amène donc à attribuer un effet positif à l’enseignement explicite de la prononciation. Le deuxième résultat que l’on peut observer dans l’histogramme de la figure 9 est que dans la classe avec instruction en phonétique le nombre de prononciations fautives (catégorie 2) diminue entre le premier et le deuxième enregistrement (avec une diminution du taux d’erreur de 34,8 %), alors que dans la classe sans instruction explicite le taux d’erreur ne diminue que de 11,6 %. Cette différence entre les deux classes par rapport à la deuxième catégorie fournit ainsi un indice supplémentaire selon lequel l’enseignement explicite a contribué à améliorer la prononciation des voyelles nasales. Le troisième résultat intéressant ressort des données pour la catégorie 5 (voyelle orale suivie d’une consonne nasale), qui correspond au type d’erreur le plus fréquent. Dans la classe avec instruction explicite en phonétique, le taux d’erreur a diminué de 9,3 %, ce qui est certainement un résultat positif si l’on tient compte du fait que c’est le contraire qui se produit dans le groupe de contrôle : dans cette classe, le taux d’erreur augmente de 34,4 % du premier au deuxième enregistrement. Dans ce cas également, la différence considérable entre les deux classes nous donne donc un troisième élément qui conduit à attribuer un effet positif à l’enseignement explicite de la prononciation. Au-delà des valeurs absolues obtenues pour les deux classes considérées comme groupes homogènes, il reste encore à évaluer le niveau de variation interindividuelle dans chacune des deux classes. 182 Stephan Schmid, Kristijan Rajic (Zurich) <?page no="183"?> 4.3 Variation interindividuelle dans les deux classes Commençons par le groupe de contrôle. L’histogramme de la figure 10 montre pour chacune des dix élèves (énumérés de gauche à droite) quatre barres. Les barres désignées par le code 0 représentent le nombre total de réalisations ‘non standard’, tandis que les barres désignées par le symbole 1 correspondent aux réalisations qui coïncident avec la norme du français standard. Les deux barres 0 et 1 ne sont pas complémentaires dans tous les cas puisque l’on n’a pas obtenu chez toutes les locutrices le même nombre de réalisations dans le premier et le deuxième enregistrement (p. ex. chez la locutrice BoS). L’échelle de l’axe des ordonnées (y) ainsi que les chiffres associés aux barres indiquent le nombre de voyelles réalisées dans les deux enregistrements. Enfin, les deux nuances de gris clair et foncé des différentes colonnes font référence au premier et au deuxième enregistrement. Fig. 10 : Variation interindividuelle dans le groupe de contrôle L’image générale qui se dégage de la figure 10 montre que dans cette classe il n’y a pas de schéma homogène dans les résultats produits par les élèves inscrits. En fait, dans la moitié de la classe, on a même constaté une augmentation du taux d’erreur du premier au deuxième enregistrement (BoS, CoM, DiD, HoZ, RaA) ; une élève a maintenu le taux d’erreur constant (CaM) et pour les autres quatre élèves (BuM, LaN, PaA, VeG), on a constaté une amélioration surprenante, 183 L’acquisition des voyelles nasales du français par des apprenants italophones <?page no="184"?> puisque dans un cas en particulier, le taux d’erreur a diminué de 25,7 % (BuM) et dans un autre cas de 20 % (LaN). Le fait que le nombre de prononciations approximatives augmente ou reste constant n’est pas surprenant, étant donné que la classe de contrôle n’a pas bénéficié d’une instruction phonétique explicite entre les deux enregistrements ; la diminution des prononciations approxima‐ tives dans les quatre locutrices mentionnées ci-dessus pourrait être due au fait qu’elles ont perçu la difficulté de l’exercice et ont par la suite essayé de s’améliorer. Quoi qu’il en soit, le degré de variation interindividuelle constaté dans le groupe de contrôle correspond aux attentes, puisque le parcours scolaire des élèves n’a jamais permis d’étudier d’un point de vue théorique et pratique ce qu’ils ont appris en classe avec l’enseignement phonétique (cf. section 4). La variation interindividuelle dans la classe qui a bénéficié d’une instruction explicite en prononciation est illustrée dans la figure 11. L’histogramme montre pour chacune des dix élèves (énumérées de gauche à droite) quatre barres, où les barres indiquées par le code 0 représentent le nombre total d’erreurs, tandis que les barres indiquées par le code 1 représentent le nombre total des réalisations correctes. Dans cet histogramme aussi, les deux nuances de gris - clair et foncé - font référence au premier et au deuxième enregistrement. Fig. 11 : Variation interindividuelle dans la classe avec instruction phonétique 184 Stephan Schmid, Kristijan Rajic (Zurich) <?page no="185"?> Contrairement à la figure 10 du groupe de contrôle, ce graphique montre une tendance générale à l’amélioration de la prononciation, qui se traduit par la diminution des erreurs dans la catégorie 0 (où les barres gris foncé sont plus basses que les barres gris clair) et par l’augmentation des prononciations correctes dans la catégorie 1 (où les barres gris foncé deviennent plus hautes que les colonnes gris clair). C’est le cas de neuf apprenants sur dix (BeA, BeS, CaI, CaN, DeL, FaS, FeS, KaS, RoA) ; la seule exception est BaP. Les neuf élèves (90 %) ont montré des progrès significatifs dans le deuxième enregistrement après la leçon de phonétique (valeurs entre 15,4 % et 25 %). Cinq de ces neuf élèves (55,6 % de la classe) ont même montré une amélioration de plus de 50 % par rapport à leurs résultats initiaux. Considérons à cet égard le tableau 7 qui montre l’évolution du nombre de prononciations corrigées par les valeurs positives de la colonne ‘différence’ (à la seule exception, déjà mentionnée, de l’élève BaP pour lequel la différence a une valeur négative) : Élève 1 er enregistrement 2 ème enregistrement Différence BaP 13 12 -1 BeA 16 20 +4 BeS 19 22 +3 CaI 13 15 +2 CaN 10 16 +6 DeL 8 18 +8 FaS 3 8 +5 FeS 11 15 +4 KaS 9 15 +6 RoA 4 14 +10 Tab. 7 : Prononciations correctes au premier et deuxième enregistrement : amélioration (différence positive) ou détérioration (différence négative) La différence de -1 dans le cas du BaP semblerait nier l’efficacité de l’enseigne‐ ment explicite de la prononciation au moins pour cet individu. En outre, cinq autres élèves présentent une différence positive, mais toujours très faible (de +2 à +5). Néanmoins, pour quatre autres élèves l’enseignement a été à tel point efficace que dans le cas de l’élève RoA le nombre de prononciations correctes 185 L’acquisition des voyelles nasales du français par des apprenants italophones <?page no="186"?> a augmenté de +10, tandis que les autres différences se situent entre +6 et +8 (également assez élevées). 5 Discussion et conclusion Les résultats de cette expérience didactique nous amènent à conclure qu’un travail explicite avec les élèves sur la théorie (articulation) et la pratique (exercices de prononciation) peut avoir des effets positifs qui amènent la plupart des apprenants à distinguer et à mieux prononcer les voyelles nasales françaises. D’un point de vue plus général, nous y voyons un indice de l’existence d’une ‘interface’ entre la compétence phonologique et le savoir métalinguistique en langue seconde, à l’instar de la position théorique adoptée par exemple par Michael Sharwood Smith (1981, 1991). Revenons donc aux deux questions de recherche formulées dans la section 2.4. En ce qui concerne la première question de recherche (quelles difficultés les voyelles nasales du français posent-elles à un apprenant italophone ? ), nous avons constaté chez les apprenants italophones de notre échantillon de nombreuses difficultés dans la prononciation des voyelles nasales françaises. Les obstacles ont été clairement indiqués dans le premier enregistrement et ont également persisté dans le deuxième enregistrement chez le groupe de contrôle. Des erreurs de prononciation se sont produites dans six catégories de réalisation (cf. section 4.1). Les erreurs les plus fréquentes sont celles correspondant aux catégories 2, 5 et 7 (à savoir : voyelle nasale différente du modèle français standard, voyelle orale suivie de la consonne nasale, voyelle orale). Le type d’erreur le plus fréquent se produit dans la catégorie 5 (voyelle orale suivie de la consonne nasale) et pourrait être influencé par l’orthographe (comme attendu ; cf. section 2.2), c’est-à-dire par la présence des graphèmes <n> et <m> dans le cas d’une ressemblance lexicale avec un mot italien. De plus, on note que les voyelles / ɑ̃/ et / ɛ̃/ ont posé des difficultés en raison des différentes possibilités graphiques existant pour la prononciation respective des deux voyelles nasales (cf. Floquet 2017 : 149). Par rapport à la deuxième question de recherche (comment peut-on enseigner la prononciation des voyelles nasales françaises aux élèves d’une école secon‐ daire professionelle ? ), nous avons pu mettre en évidence que l’enseignement phonétique explicite et la présentation des erreurs les plus fréquentes ont sensibilisé les élèves aux difficultés de prononciation. En effet, comme indiqué ci-dessus, dans la classe qui a bénéficié d’une instruction explicite avec des exercices de prononciation le résultat global de cette leçon de phonétique a eu des effets positifs dans neuf cas sur dix. Par rapport à l’étude précédente 186 Stephan Schmid, Kristijan Rajic (Zurich) <?page no="187"?> sur l’aspiration des occlusives allemandes (Schmid/ Pedrazzini 2016), l’impact de la leçon de phonétique a touché un plus grand nombre d’élèves. Ceci est probablement dû au fait que la nasalité des voyelles françaises a une plus grande fonction communicative (vu leur valeur phonémique) alors que l’aspiration des occlusives sourdes n’a qu’un statut purement allophonique en allemand. Les recherches futures pourraient ajouter de nouveaux éléments à la discus‐ sion. Il serait certainement utile d’analyser un nombre plus élevé d’apprenants, y compris des locuteurs masculins. En outre, des recherches comportant davan‐ tage d’enregistrements sur une plus longue période (par exemple, une douzaine d’enregistrements répartis sur deux semestres avec plusieurs sessions régulières d’enseignement phonétique explicite) pourraient conduire à des progrès plus durables pour chaque catégorie, ce qui permettrait de tirer des conclusions encore plus solides sur le plan empirique. En plus de la lecture de la parole, on devrait également enregistrer des conversations semi-spontanées pour examiner comment les voyelles nasales seraient prononcées dans un contexte qui n’est pas axé sur la présentation écrite des mots (par exemple par le biais d’activités dyadiques comme le map task ou le jeu ‘Trouvez les différences’ qui permettent d’éliciter un nombre contrôlé d’items lexicaux contenant des voyelles nasales). En effet, concernant les réalisations des types 3 et 5 (avec consonne nasale), l’étude de Detey et al. (2010 : 1294) a relevé un effet significatif de la tâche (répétition de mots vs lecture de texte) sur la production des voyelles nasales françaises par des apprenants japanophones et hispanophones, vu que le degré de ‘consonantisation’ était moins élevé lorsque les mots étaient prononcés en répétition qu’en lecture. Finalement, des recherches futures pourront aussi mener une analyse acoustique de la parole des apprenants italophones sur le plan des formants des voyelles (cf. Delvaux 2002 : 115-159 ; Delvaux/ Metens/ Soquet 2002 ; Martin et al. 2001 : 65-79, Racine/ Andreassen 2012 : 186-188) au-delà de la classification auditive des acquis des élèves. Remerciements Nous tenons à remercier le professeur de français et les élèves de la Scuola Cantonale di Commercio de Bellinzona (Suisse) pour leur participation dans cette étude. Nous sommes également reconnaissants à Sandra Schwab pour nous avoir mis à disposition le script Praat qui a permis d’extraire le nombre de sorties pour chaque catégorie d’erreur. 187 L’acquisition des voyelles nasales du français par des apprenants italophones <?page no="188"?> Références Akamatsu, Tsutomu (1967) : « Quelques statistiques sur la fréquence d’utilisation des voyelles nasales françaises », in : La linguistique 3, 75-80. Andreassen, Helene N./ Maître, Raphaël/ Racine, Isabelle (2010) : « Le français en Suisse : éléments des synthèse », in : Detey, Sylvain/ Durand, Jacques/ Laks, Bernard/ Lyche, Chantal (eds.) : Les variétés du français parlé dans l’espace francophone, Paris : Ophrys, 213-231. Arcaini, Enrico (2000) : Italiano e francese : un’analisi contrastiva, Torino : Paravia. Best, Catherine/ Tyler, Michael (2007) : « Nonnative and second-language speech per‐ ception : Commonalities and complementarities », in : Bohn, Ocke-Schwen/ Munro, Murray J. 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J’ai faim. 26. Lundi est notre jour préféré. 27. J’ai vu quelqu’un. 28. J’adore ce parfum. 29. Ma couleur préférée est le brun. 30. C’est un ami. 31. J’achète cinq flasques de parfum. 32. Ce vin a l’air brun. 33. C’était un long dimanche. 34. Les lundis je ne bois pas de vin. 35. Ça coûte cent vingt francs. 193 L’acquisition des voyelles nasales du français par des apprenants italophones <?page no="195"?> 1 Der besseren Lesbarkeit wegen wird in diesem Aufsatz die grammatisch maskuline Form Lerner und Sprecher als generischer Ausdruck benutzt - damit ist aber stets die auf Gender und biologisches Geschlecht bezogene unspezifische Weise gemeint. Phonetische Lernerkorpora und ihr Potenzial im FLE-Unterricht Jürgen Trouvain (Sarrebruck) 1 Einführung Der folgende Beitrag stellt ein phonetisches Lernerkorpus als einen bestimmten Typus von Lernerkorpora vor und zeigt, wie dieses für die Didaktisierung des Französischen als Fremdsprache genutzt werden kann. Bei einem phoneti‐ schen Lernerkorpus handelt es sich um eine speziell auf Ausspracheaspekte aufbereitete Sammlung von Audioaufnahmen von Lernern einer Fremdsprache (L2) als den Primärdaten und phonetischen Annotationen, die mit den Audio‐ daten zeitlich verknüpft sind, als Sekundärdaten. Anhand der Beschreibung des phonetischen IFCASL-Korpus (Trouvain et al. 2016a) wird gezeigt, auf welchen Ebenen phonetisch-phonologische Interferenzen sich für individuelle Lernerinnen und Lerner 1 manifestieren. Es werden Beispiele aufgezeigt, wie ein solches Korpus für Sprechfluss, Prosodie und Lautsegmente in der Fremd‐ sprachenforschung, bei der Ausbildung von Fremdsprachenlehrern und bei der Entwicklung didaktischen Materials eingesetzt werden kann. Phonetische Lernerkorpora stellen ein relativ neues Forschungs- und An‐ wendungsgebiet dar, das für Französisch als Fremdsprache (Français Langue Étrangère oder kurz FLE) noch relativ ungenutzt zu sein scheint. Die Beschäfti‐ gung mit phonetischen Aspekten in FLE konzentriert sich hauptsächlich auf experimentell-phonetische Forschung (z. B. Ghosh et al. 2016), auf kontrastive Analysen des Lautinventars (und ausgewählter Suprasegmentalia) des Französi‐ schen und dem einer weiteren Sprache (z. B. Benzian 1992) sowie auf die Vermitt‐ lung ausgewählter Laute in der Lehre und auf Aussprachekodifizierung (z. B. Tranel 1987). Bei Letzterem können auch häufig subjektive Erfahrungswerte forschender Lehrkräfte eine Rolle spielen, während Experimentalforschung <?page no="196"?> meist mit kontrollierter Laborsprache arbeitet, die von wenigen Sprechern stammt. Im Gegensatz zu experimentellen Studien einerseits und kontrastiven Ana‐ lysen andererseits ermöglichen Korpora eine Überprüfung erwartbarer Inter‐ ferenzerscheinungen beim L2-Erwerb durch Lerner mit einer bestimmten L1 anhand aufgezeichneter und annotierter Daten, die von einer großen Zahl verschiedener Lerner stammen. Bei Lernerkorpora mit gesprochener Sprache können dabei phonetische und phonologische Fragestellungen mitberücksich‐ tigt werden. Falls vorhanden, erlauben die darin enthaltenen Audioaufnahmen sowohl eine gezielte auditive/ ohrenphonetische als auch eine akustisch-phone‐ tische Analyse einer Vielzahl relevanter interferenzbedingter Erscheinungen, wie beispielsweise der Aussprache von Nasalvokalen oder der Realisierung stimmhafter Frikative und Plosive in Coda-Positionen. Der vorliegende Aufsatz ist wie folgt aufgebaut. Zunächst werden verschie‐ dene Typen gesprochener Lernerkorpora eingeführt (Kap. 2), bevor der beson‐ dere Typus des phonetischen Lernerkorpus detaillierter erläutert wird (Kap. 3). Ein kurzer Einblick in ausgewählte phonetisch-phonologische Interferenzen und Probleme am Beispiel des Deutschen als Ausgangssprache dient als Einstieg (Kap. 4), um das IFCASL-Korpus (Trouvain et al. 2016a) exemplarisch vorzu‐ stellen (Kap. 5). Das nachfolgende Kapitel 6 illustriert Anwendungsbeispiele für phonetische und phonologische FLE-Forschung mit Hilfe des IFCASL-Korpus. Dabei werden Sprechfluss, Pausen, Stimmumfang und Nasalvokale eingehender betrachtet. Im Folgekapitel 7 werden Anwendungsideen für praktische FLE-Ar‐ beit vorgestellt, bevor der Aufsatz mit einer Zusammenfassung und einem Ausblick (Kap. 8) schließt. 2 Typen von Lernerkorpora mit gesprochener Sprache Da es mehrere Typen gesprochener Lernerkorpora gibt, ist es wichtig zu verdeutlichen, welche Typen gesprochener Lernerkorpora voneinander unter‐ schieden werden. Zunächst einmal gilt es festzustellen, dass gesprochene Lern‐ erkorpora im Vergleich zu schriftlichen Lernerkorpora selten anzutreffen sind (vgl. Ballier/ Martin 2015, Trouvain et al. 2017). Sieht man sich die Lernerkorpora mit gesprochener Sprache genauer an, so können diese grob in drei Kategorien eingeteilt werden, wie Ballier/ Martin (2015) es treffend in ihrem Überblicksauf‐ satz über die Annotation gesprochener Sprache in Lernerkorpora feststellen (vgl. auch Tab. 1): 196 Jürgen Trouvain (Sarrebruck) <?page no="197"?> 2 Transkriptionen werden hier als eine Art von Annotation verstanden. 3 Eine Abgrenzung von phonetischen zu phonologischen Korpora (vgl. Durand et al. 2014) scheint hier nicht sinnvoll, da sowohl phonetische als auch phonologische Fragen verfolgt werden. Daher wird in diesem Aufsatz phonetische Korpora als Oberbegriff benutzt. 4 Maschinenlesbare Lautschrift, die ausschließlich aus ASCII-Zeichen besteht, hat zwei große Vorteile gegenüber dem internationalen phonetischen Alphabet: zum einen ist die Eingabe per Tastatur bei ASCII-Zeichen um ein Vielfaches einfacher als diejenige von IPA-Zeichen; zum anderen verursachen ASCII-Zeichen keine Probleme bei der automatischen Weiterverarbeitung (z. B. bei Skripten zur akustischen Analyse). 1. ‘Stumme’ Korpora: Die Daten zur gesprochenen Spontansprache der Lerner liegen als orthographienahe Transkription vor - aber ohne zuge‐ hörige Audiodateien (daher bei Ballier/ Martin (2015) als mute bezeichnet). Die Transkriptionen können eventuell mit weiteren Informationen zu Häsitationen, Pausen etc. angereichert sein. Ein Beispiel für stumme Korpora ist das LINDSEI-Korpus für L2-Englisch (vgl. https: / / uclouvain. be/ en/ research-institutes/ ilc/ cecl/ lindsei.html und Gilquin et al. 2010). Die orthographienahe Transkription sieht wie folgt aus: „<B> yeah . well Namur was warmer (er) it was (eh) a really little town </ B>“ 2. Korpora mit Audiodateien: Die gesprochene Spontansprache der Lerner liegt als orthographienahe Transkription mit etwaigen Zusatzan‐ notationen 2 wie Häsitationen, Pausen etc. vor - bei diesem Typus mit dazugehörigen Audiodateien (daher bei Ballier/ Martin (2015) als spoken bezeichnet). Der einzige Unterschied zwischen diesem Typus und den ‘stummen’ Lernerkorpora besteht darin, dass man auf die Audiodateien zugreifen kann - die linguistischen Analysen werden aber wie bei den ‘stummen’ Korpora hauptsächlich an Hand der Transkripte durchgeführt. Beispiel-Korpora für diesen Typus sind PAROLE (https: / / slabank.talkbank .org/ access/ French/ PAROLE.html) oder das InterFra-Corpus (https: / / spraa kbanken.gu.se/ resurser/ interfra). Aus letzterem stammt das folgende Beis‐ piel mit orthographienaher Transkription und Diakritika zur Phrasierung: „ci1f-0270 E: mon frère est journaliste ./ euh et mes deux petites ci1f-0280 E: soeurs sont encore à l’école ./ au lycée . $“ (Datei: CIN01FRA) 3. Phonetische (und phonologische) Korpora 3 : Die gesprochene Spontanund/ oder Lesesprache liegt als orthographienahe bzw. ortho‐ graphische Transkription, aber auch in Lautschrift vor, optional mit verschiedenen Lautschriften (IPA und eine maschinenlesbare Lautschrift wie SAMPA 4 ) und verschiedenen Ebenen der Transkription (normativ sowie realisiert), wie im folgenden Beispiel: 197 Phonetische Lernerkorpora und ihr Potenzial im FLE-Unterricht <?page no="198"?> Orthographie: La voiture s’est arrêtée au feu rouge. IPA (normative Lautung): lavwatyʁsetaʁeteoføʁuʒ SAMPA (maschinenlesbare Lautschrift): lavwatyRsetaReteof2RuZ IPA (Realisierung eines deutschen Ler‐ ners): lavoatʰyɐseʔaʁetʰeʔoføʁuʃ (Trouvain et al. 2016b) Die dazugehörigen Audiodateien können auf unterschiedlichen Ebenen (Sätze, Wörter, Silben, Lautsegmente) annotiert sein und sind zeitlich mit diesen An‐ notationen aligniert. Eine zeitalignierte Segmentierung und Annotation erlaubt es, mit einem Speech Editor wie PRAAT (Boersma/ Weenink 2016) die jeweiligen zeitlichen Abschnitte des Sprachsignals zu sehen und wiederzugeben, z. B. ein bequemes auditives und visuelles Wort-für-Wort-Durchgehen der Audiodatei. Diese Art von Annotation ermöglicht sowohl manuelle als auch automatische signalbasierte phonetische Analysen auf empirischer Basis. Orthogra‐ phische Transkrip‐ tion Audio‐ Dateien Phoneti‐ sche Trans‐ kription Zeitali‐ gnierte An‐ notation auf Laute‐ bene Akusti‐ sche Ana‐ lysen Phonetische Korpora + + + + + Korpora mit Audio + + - - (-) Stumme Korpora + - - - - Tab. 1: Typen von Lernerkorpora gesprochener Sprache nach Ballier/ Martin (2015). Der Fokus des vorliegenden Aufsatzes liegt auf dem Typ der phonetischen Lernerkorpora. Deren Erstellung und Bearbeitung ist um ein Vielfaches arbeits‐ aufwändiger und personalintensiver als die anderen beiden Korpus-Typen: Sämtliche Äußerungen werden auch in Lautschrift transkribiert, und das Alig‐ nieren von Wörtern, Silben und Lauten erfordert je nach Detailtiefe viel Sorgfalt (vgl. Trouvain et al. 2017). Der im Vergleich zu stummen Korpora und solchen mit Audiodateien viel größere Aufwand erklärt die relativ geringe Anzahl solcher Korpora. 198 Jürgen Trouvain (Sarrebruck) <?page no="199"?> 3 Phonetische Lernerkorpora Für Französisch als gesprochene Zielsprache stehen mehrere Korpora zur Verfügung, z. B. COREIL (vgl. Santiago/ Delais-Roussarie 2015), Aix-Ox (vgl. Herment et al. 2014) und IPFC (Interphonologie du Français Contemporain), wobei letzteres die umfassendste Plattform dafür darstellt (vgl. http: / / cblle.tufs.ac.jp / ipfc/ , Racine et al. 2012). Die Korpora operieren mit Sprechern unterschiedli‐ cher Ausgangssprachen. Die Annotationstiefe mit Zeitmarkern linguistischer Einheiten reicht dabei vom Segment über die Silbe bis hin zum Wort. Zur Veranschaulichung wird im Folgenden exemplarisch das deutsch-fran‐ zösische IFCASL-Korpus (Trouvain et al. 2016a) näher beleuchtet. Anhand von Lesesprache wird mit erst- (L1) und fremdsprachlichem Material (L2) in beiden Sprachen gezeigt, wie sich deutschsprachige Lerner des Französischen bei ausgewählten segmentalen und prosodischen Problemen verhalten und wie in Lehre und Forschung mit phonetischen Korpora gearbeitet werden kann. 4 Ausgewählte Interferenzen und Probleme am Beispiel Deutsch als Ausgangssprache Interferenzen, die auf die Ausgangssprache zurückzuführen sind, finden auf allen phonetischen und phonologischen Ebenen statt (vgl. Flege 1985, Der‐ wing/ Munro 2015, Hirschfeld/ Reinke 2018). Im Folgenden werden daher exem‐ plarisch je ein konsonantisches, ein vokalisches und ein prosodisches Phänomen näher beleuchtet. Es gibt selbstverständlich viel mehr mögliche Interferenzen wie beispielsweise die Benutzung des Tiefschwas (‘Lehrer-Schwa’) für / r/ , die oftmals fehlende Opposition / z/ : / s/ oder die Auslautverhärtung bei Obstruenten. Für eine umfassende Liste möglicher Interferenzerscheinungen sei aber auf Pustka (2016) verwiesen. 4.1 Konsonanten Sprecher mit Deutsch als Erstsprache (L1) können in der Fremdsprache (L2) Französisch verschiedene Interferenzen aufzeigen. Bei den Konsonanten kann die Aspiration von / p t k/ in der L2 dazu führen, dass ein starker fremdspra‐ chiger Akzent wahrgenommen wird, der auch mit negativen Konnotationen behaftet sein kann (vgl. Gabriel et al. 2016, 2018). Die Aspiration bei den stimmlosen Plosiven ist in erster Linie durch einen vergleichsweisen späten Einsatz der Stimmhaftigkeit des nachfolgenden Vokals bedingt (voice onset time oder VOT). Im Französischen kann man eine kürzere VOT bei den stimmlosen Plosiven beobachten, wohingegen die vergleichsweise späte VOT im Deutschen 199 Phonetische Lernerkorpora und ihr Potenzial im FLE-Unterricht <?page no="200"?> 5 Verständlichkeit soll hier verstanden werden sowohl im Sinne der comprehensibility als der subjektiv empfundenen Schwierigkeit jemanden zu verstehen als auch der intelligibility als dem Ausmaß, wie viel tatsächlich verstanden worden ist (vgl. Derwing/ Munro 2015). zu einer wahrnehmbaren Aspiration mit bereits gebildeter artikulatorischer Konfiguration (Zungen- und Lippenstellung) des Vokals führt (vgl. Gabriel et al. 2016). Im Deutschen finden wir teilweise eine Entstimmung der (phonologisch) stimmhaften Plosive / b d ɡ/ . Diese Entstimmung kann auch Probleme bei der Verständlichkeit  5 auftreten lassen, z. B. wenn batterie, gesprochen von jemandem mit Deutsch als L1, als patrie von einem L1-Sprecher des Französischen ver‐ standen wird, oder patrie, gesprochen von jemandem mit Französisch als L1, aber als batterie von einem L1-Sprecher des Deutschen interpretiert wird. 4.2 Vokale Auf der vokalischen Seite sind hierbei natürlich die Nasalvokale zu nennen (vgl. Pustka 2016), die in den relativ wenigen Lehnwörtern im Deutschen (z. B. Restaurant, Fonds, Refrain) vorkommen (vgl. Tab. 2). Allerdings ist hier keine phonemische Distinktion zu beobachten: Für viele Sprecher des Deutschen macht es keinen Unterschied, ob sie etwa die beiden [ɑ̃ ] in Engagement mit [ɔ̃ ] oder [ɑ̃ ] aussprechen oder welcher Nasalvokal in Sanssouci vorkommt. Andererseits gibt es größere Gebiete des deutschen Sprachraums in Ost- und Norddeutschland (vgl. Kleiner 2011 ff.), in denen die Nasalvokale substituierend als oraler Kurzvokal plus Nasalkonsonant produziert werden, also als [aŋ], [ɛŋ], bzw. [ɔŋ] (vgl. Kleiner 2011 ff.). Allerdings sind nicht alle Lehnwörter, die im Französischen mit Nasalvokal ausgesprochen werden, auch im Standarddeutschen mit Nasalvokal oder der Substitution Oralvokal + [ŋ] kodifiziert (vgl. Tab. 2). [ɑ̃] [ɛ̃] [ɔ̃] Restaurant Refrain Fonds Balance Souterrain Jargon Engagement Gratin Affront Kulanz* Ingenieur* Munition* Kampagne* Invalide* Waggon* Exzellenz* Tamburin* Kontur* Tab. 2: Beispielwörter für französische Lehnwörter im Deutschen mit Nasalvokalen (Kluge 2011), die im Standarddeutschen mit oder ohne* Nasalvokal gesprochen werden (Kleiner et al. 2015). 200 Jürgen Trouvain (Sarrebruck) <?page no="201"?> Die Aussprache der Wörter, die im Französischen mit Nasalvokal gesprochen werden, unterliegen im Deutschen also unterschiedlichen Bedingungen. Man kann daher nicht davon ausgehen, dass L1-Sprecher des Deutschen die Nasalvo‐ kale in der L2 Französisch gut unterscheiden können. Es besteht eher die Gefahr, dass die Aussprachegewohnheiten aus der L1 Deutsch in die L2 Französisch übertragen werden. 4.3 Prosodie Auch die prosodische Ebene mit Intonation, Rhythmus, Phrasierung und Ak‐ zenten trägt sowohl zu fremdsprachigem Akzent als auch zu Problemen bei der Verständlichkeit bei (vgl. z. B. Santiago/ Delais-Roussarie 2015, Gabriel et al. 2015, vgl. auch Trouvain/ Braun 2020). Allerdings gibt es noch größere Forschungslücken, bei welchen Phänomenen genau Lerner prosodische Her‐ ausforderungen in der Zielsprache zu meistern haben. Zum Beispiel werden in westgermanischen Sprachen Wörter, die bereits gegebene Information tragen, auf der Satzebene deakzentuiert (z. B. Hund im zweiten Satz von: Eben hat mich auf der Straße ein HUND angebellt. Er hat mich an ANnas Hund erinnert.; vgl. Baumann et al. 2015), in anderen Sprachen wie dem Französischen ist dies aber nicht der Fall. Es wäre eine typische Interferenz deutschsprachiger Lerner, auch in der Fremdsprache gegebene Information zu deakzentuieren, wie z. B. Rasier/ Hilligsmann (2007) für niederländische Lerner des Französischen gezeigt haben. Darüber hinaus gibt es natürlich auch allgemeine prosodische Schwierig‐ keiten beim Hören und Sprechen einer Fremdsprache, die sich nicht spezifisch auf eine Sprache oder ein Sprachenpaar beziehen, wie z. B. (langsamere) Artikulationsgeschwindigkeit, (reduzierter) Sprechfluss oder (eingeschränkter) Stimmumfang (vgl. Gut 2009, Trouvain/ Braun 2020). Ein Problem bei der Betrachtung der Prosodie in der Fremdsprache ist, dass es im Gegensatz zur Aussprache von Segmenten, Silben und Wörtern in aller Regel keinen etablierten Standard gibt (vgl. Trouvain/ Braun 2020). Zudem kann die Variationsbreite, die es durchaus auch bei den Segmentalia geben kann, viel stärker ausgeprägt sein. So gibt es beispielsweise keine fixe Anzahl an prosodischen Phrasengrenzen einer bestimmten (längeren) Äußerung, da diese beispielsweise vom Sprechtempo und von der Informationsstrukturie‐ rung abhängen. Dennoch werden L1-Sprecher Abweichungen auf prosodischer Ebene auf Grund einer anderen Ausgangssprache bemerken können (vgl. Trouvain/ Braun 2020) - die Details dieser Abweichungen sowie ihre Ursachen scheinen zumeist noch unerforscht zu sein. 201 Phonetische Lernerkorpora und ihr Potenzial im FLE-Unterricht <?page no="202"?> 6 Auf Anfrage kann das Korpus für die wissenschaftliche Community zugänglich ge‐ macht werden. 5 Beispiel-Korpus IFCASL Die Anwendungsbeispiele in den folgenden Sektionen entstammen alle dem IFCASL-Korpus (Trouvain et al. 2016a), das hier in der gebotenen Kürze vorge‐ stellt wird. 6 5.1 Teilnehmer Für das Korpus wurden 100 Sprecher aufgenommen: 50 mit Deutsch als L1, 50 mit Französisch als L1. Jede der beiden Gruppen besteht aus den folgenden drei Untergruppen (vgl. auch Tab. 3): • 20 erwachsene Lerner auf Anfänger-Niveau (nach Selbstauskunft und auf der Skala des Gemeinsamen Europäischen Referenzrahmens für Sprachen GERS: A2, evtl. B1), • 20 erwachsene fortgeschrittene Lerner (GERS: B2 und C1), • 10 Schüler im Alter von ca. 14 Jahren (GERS: A2). L1 Alter/ Niveau Französisch Deutsch Erwachsene/ Anfänger 20 20 Erwachsene/ Fortgeschrittene 20 20 Schüler/ Anfänger 10 10 Tab. 3: Anzahl der Sprecher des IFCASL-Korpus für jede der sechs Untergruppen. Was die Geschlechter betrifft, ist die Personenauswahl nahezu ausbalanciert. Darüber hinaus stammen die Sprecher aus verschiedenen Regionen Frankreichs (z. B. aus Lothringen und der Ile de France) und Deutschlands (z. B. aus dem Saarland und Nordrhein-Westfalen), um zu vermeiden, dass eine regionale Varietät im Korpus überwiegt. Die vor den Aufnahmen erhobenen Fragebögen haben ergeben, dass alle Erwachsenen Abitur haben und Englisch als zweite bzw. bevorzugte Fremdsprache verwenden. 202 Jürgen Trouvain (Sarrebruck) <?page no="203"?> 5.2 Aufgaben Das gesamte Aufnahmematerial des Korpus besteht aus gelesener Sprache. Das vorzulesende Material bestand in jeder der beiden Sprachen aus vier Teilen: 1. Einer Vorleseaufgabe mit 31 Sätzen, die orthographisch vorlagen, z. B. Son ami comprend la blague en anglais. Mon ami a perdu ses bagages à la gare. 2. Einer Nachsprechaufgabe mit 29 Sätzen, die orthographisch und als Audio-Datei vorlagen. Letztere wurde von einem L1-Modellsprecher (regionale Herkunft: Bretagne, später Grand Est; Alter: ca. 30 Jahre; Geschlecht: weiblich) vorher aufgenommen. In der Nachsprechaufgabe steht also zusätzlich zur orthographischen Vorlage in der einfachen Vorle‐ seaufgabe auch die Aussprache eines Modellsprechers zur Verfügung. Die Nachsprechaufgabe wurde nur mit den L2-Sprechern durchgeführt, die L1-Sprecher lasen ausschließlich vor. Im Grunde handelt es sich hierbei für die L2-Sprecher also um eine lesegestützte Nachsprechaufgabe, z.B. Les avions sont rentrés à la base après le vol. Les enfants sont partis en balade en forêt. 3. Einer Fokusaufgabe mit sieben Sätzen, deren Fokus sich jeweils än‐ dert. Hierbei können etwaige Unterschiede in beiden Sprachen in der Fokus-Akzentuierung untersucht werden, z.B. (Marc amène un ami ? ) Yvonne amène un ami. (Yvonne amène ma mère ? ) Yvonne amène un ami. 4. Einer Vorlesegeschichte: Die drei kleinen Schweinchen (aufgeteilt in 13 Sätze in beiden Sprachen). Ein etwas längerer Text erlaubt es im Gegen‐ satz zu Einzelsätzen, prosodische Parameter (besser) zu untersuchen. Les trois petits cochons s’en vont de chez eux pour construire leurs maisons. Le premier petit cochon construit une maison en paille, le deuxième construit une maison en bois et le troisième construit une maison en brique. Le loup aperçoit les petits cochons et décide de manger celui dans la maison en paille en premier. Il frappe à la porte mais le petit cochon ne le laisse pas entrer. Le loup gonfle alors ses joues, souffle de toutes ses forces et la maison s’envole. Le petit cochon court alors chez son frère celui dans la maison en bois. Le loup frappe à la porte mais les petits cochons ne le laissent pas entrer. Le loup gonfle alors ses joues, souffle de toutes ses forces et la maison s’envole. Les deux petits cochons courent alors chez leur frère celui à la maison en brique. Le loup frappe à la porte mais les petits cochons ne le laissent pas entrer. Le loup gonfle alors ses joues, souffle de toutes ses forces mais la maison ne s’envole pas. Le loup décide alors de passer par la cheminée mais les petits 203 Phonetische Lernerkorpora und ihr Potenzial im FLE-Unterricht <?page no="204"?> cochons ont préparé un chaudron d’eau bouillante. Le loup tombe dedans, pousse un hurlement et s’enfuit en courant. Die Aufnahme dauerte pro Sprecher ca. eine Stunde. 5.3 Vor- und Nachteile von Lesematerial Im Vergleich zu Spontansprache hat Lesesprache den Vorteil, dass alle Segmente der jeweiligen Sprache systematisch elizitiert werden können. Insbesondere lassen sich gezielt Minimalpaare, Kognaten, Lehnwörter, Zahlwörter und Ab‐ kürzungen einsetzen. Zudem ist - im Gegensatz zu Spontansprache - das gesamte Material direkt vergleichbar. Ferner ist Lesematerial unerlässlich, um Probleme bei der Graphem-Phonem-Beziehung in der L2 zu untersuchen, die vor allem bei Lernern auf Anfänger-Niveau vorkommen können, z. B. bei Unsi‐ cherheiten, ob ein konsonantischer Graph wie in plomb oder argent ausgespro‐ chen wird. Leseaufnahmen können sich schließlich auch dazu eignen, um die visuell-graphische Modalität mit der Modalität des Zuhörens zu kombinieren, z. B. durch Einbeziehung eines Modellsprechers, so dass eine kombinierte Lese- und Nachsprechaufgabe entsteht (Detey et al. 2010 und Trouvain et al. 2016a). Ist beispielsweise argent in der Leseaufgabe mit [t] produziert worden, dann kann in der kombinierten Aufgabe kontrolliert werden, ob das vorherige Abhören eines Modellsprechers zu einer korrekten Aussprache ohne [t] führt. Dies kann dazu genutzt werden, problematische Fälle in der Graphie-Phonie-Beziehung zu identifizieren und gezielt dafür zu sensibilisieren. Selbstverständlich hat die Beschränkung auf Lesematerial aber auch Nach‐ teile. Der Wichtigste ist sicherlich, dass wir alle, also auch die Lerner, im Alltag mehr spontan sprechen als lesen. Aber auch wenn ein Lesekorpus nicht repräsentativ für die meisten Situationen im Alltag sein mag, so gibt es Register der gelesenen Sprache, denen Lerner begegnen, beispielsweise Radio- und Fernsehbeiträge, Literatur, Gesang. Vor allem beim Sprechen und Hören von Fremdsprachen dominiert in der Regel schriftlicher Input. Trotz dieser alltäglichen Bedeutung der Spontansprache ergibt sich forschungsökonomisch aber auch das Problem, dass entsprechende Aufnahmen und Analysen sehr aufwändig sind. Aus diesem Grund beschränkt sich das IFCASL-Korpus auf Leseaussprache (Trouvain et al. 2016a). 5.4 Subkorpora Alle Sprecher haben das Vorlesematerial sowohl in ihrer L1 als auch in ihrer L2 produziert, so dass letztendlich vier Subkorpora vorliegen (vgl. Tab. 2): ein französischsprachiges L1-Korpus (FF), ein deutschsprachiges L1-Korpus (GG), ein deutschsprachiges L2-Korpus von Sprechern mit Französisch als L1 (FG) 204 Jürgen Trouvain (Sarrebruck) <?page no="205"?> sowie ein französischsprachiges L2-Korpus von Sprechern mit Deutsch als L1 (GF). Im Folgenden beziehen wir uns auf das letzte Subkorpus. L1 Lesematerial Französisch Deutsch Französisch FF GF Deutsch FG GG Tab. 4: Die vier Sub-Korpora des bidirektional angelegten IFCASL-Korpus. Von beson‐ derem Interesse für FLE ist das Sub-Korpus mit Sprechern mit L1 Deutsch und Franzö‐ sisch als L2 (GF). 5.5 Annotation Für alle Sprachaufnahmen liegen Annotationsdateien in Form von Praat-Text‐ Grids vor, die beispielsweise mit dem Sprachverarbeitungsprogramm Praat (Boersma/ Weenink 2016) angesehen und weiterverarbeitet werden können. Für die folgenden Ebenen liegen Annotationen vor: 1. Satz in orthographischer Notation, 2. Satz in maschinenlesbarer Lautschrift; dabei werden die folgenden IPA-Symbole [Ɂ ŋ ʃ ç ɪ ʏ ʊ ɔ ɛ ø œ ɐ ǝ], die schlecht maschinell verarbeitbar sind, durch Entsprechungen durch die SAMPA-Symbole [? N S C I Y U O E 2 9 6 @] ersetzt, 3. alle Wörter (orthographisch) mit Wortgrenzen, automatisch mit einer intern entwickelten Software segmentiert, 4. alle Laute (in maschinenlesbarer Lautschrift) mit Lautgrenzen, automa‐ tisch segmentiert, 5. alle Laute (in maschinenlesbarer Lautschrift) mit Lautgrenzen, für et‐ waige manuelle Korrekturen, 6. Kommentare (manuell erstellt), z. B. wenn ein Wortakzent falsch realisiert wurde. In Abbildung 1 kann man beispielhaft die sechs Annotationsebenen für die Aufnahme des Satzes La voiture s’est arrêté au feu rouge eines Lerners gut erkennen. Grundlage für die Repräsentation in Lautschrift war eine norma‐ tive (kanonische) Transkription der vorzulesenden Wörter. Im nachfolgenden Schritt wurden die Wort- und Lautgrenzen automatisch durch sogenanntes forced alignment festgesetzt, einem Verfahren aus der automatischen Spracher‐ kennung, bei der die angenommenen produzierten Laute zeitlichen Abschnitten 205 Phonetische Lernerkorpora und ihr Potenzial im FLE-Unterricht <?page no="206"?> 7 Das Spektrogramm ist zusätzlich mit den Verläufen der Formanten, Intensität und Grundfrequenz dargestellt. Der Ausschnitt stammt aus dem Satz La voiture s’est arrêtée au feu rouge, produziert von einem deutschen Lerner. Die Transkription in SAMPA lautet [lavwatyRsetaReteof2RuZ]. Am Ende ist zum einen das zu kurz segmentierte [Z] auf dem Align-Tier und das entstimmte [Z_0] auf dem Real-Tier zu erkennen (vgl. Haupttext für genauere Informationen zu Annotationen und Segmentierungen). des Sprachsignals zugeordnet werden (hier durch ein intern entwickeltes Pro‐ gramm). Im letzten Schritt wurden, falls notwendig, manuelle Korrekturen der Laut- und Wortgrenzen vorgenommen und Substitutionen, Elisionen und Epenthesen von Lauten annotiert. Die manuellen Korrekturen wurden durch mehrere studentische Hilfskräfte (mit entweder Französisch oder Deutsch als L1) durchgeführt, und zwar für ca. 80 Prozent der beiden L2-Subkorpora, was für ein Korpus dieser Größenordnung als viel betrachtet werden kann. Abb. 1: Sprachsignal in PRAAT mit Oszillogramm (oben) und Spektrogramm (Mitte) und den zeitalignierten Annotationen des Ausschnitts au feu rouge  7 . 206 Jürgen Trouvain (Sarrebruck) <?page no="207"?> 6 Anwendungsbeispiele für phonetische und phonologische FLE-Forschung Im Folgenden wird anhand ausgewählter Beispiele kurz skizziert, wie das IFCASL-Korpus für die Forschung in FLE genutzt werden kann. Die Beispiele sind lediglich als Illustration gedacht und decken dabei nur eine kleine Auswahl an Forschungsfragen ab, die für Untersuchungen zu Phonetik, Phonologie und Aussprachetraining in FLE interessant und relevant sein können. 6.1 Konsonanten Bonneau (2015) analysierte wie die französischen stimmhaften Frikative / z/ und / ʒ/ von deutschen Lernern im IFCASL-Korpus realisiert wurden. Dabei ging es speziell um Frikative, die am Ende einer prosodischen Phrase (accentual group), nicht aber am Ende eines Satzes vorkommen. Konkret ging es um die in Fettdruck hervorgehobenen Frikative in den Sätzen Les élèves doivent cocher la bonne case avec un feutre und Mon ami a perdu ses bagages à la gare. Deutsch‐ sprachige Lerner neigen bei wortfinalen Obstruenten zur Neutralisierung der Stimmhaftigkeitsopposition, also zur Realisierung von [s] statt [z] sowie [ʃ] statt [ʒ]. Allerdings kann diese Neutralisierung auch unvollständig sein (vgl. Kuzla et al. 2007, Kleber et al. 2010). Dabei ist es wichtig, den relativen Anteil an messbarer Stimmhaftigkeit in Form der Periodizität des Sprachsignals fest‐ zustellen. In der genannten Studie konnte Bonneau (2015) einen interessanten Zusammenhang zwischen den prosodischen und den segmentellen Fertigkeiten beobachten. Fortgeschrittene Lerner, die zumeist keine Pause nach phrasen-fi‐ nalen / z/ und / ʒ/ produzierten, konnten in den intervokalischen Kontexten diese Frikative mit längerem stimmhaften Anteil realisieren als weniger fortgeschrit‐ tene Lerner, die oftmals eine Pause an diesen Phrasengrenzen setzten. 6.2 Vokale Die drei Nasalvokale des Französischen [ɛ̃], [ɔ̃] und [ɑ̃] sind theoretisch auch im Deutschen in Lehnwörtern aus dem Französischen vorhanden. Die Korpusdaten enthalten in verschiedenen Abschnitten Sätze mit Wörtern, in denen alle drei Nasalvokale vorkommen und daher potenziell als verschiedene Vokale produziert werden können. Bei Aufgabe 1, also im rein abgelesenen Abschnitt der Leseaufgabe, kommen Wörter wie cousin [kuzɛ̃], temps [tɑ̃], saison [sɛzɔ̃ː], pavillon [pavijɔ̃], maman [mamɑ̃], comprend [kɔ̃pʁɑ̃] vor. Hieran kann man überprüfen, ob die Lerner eine Unterscheidung der jeweiligen Kontraste bei den Nasalvokalen produzieren können und auch eventuell, ob es Probleme beim Erkennen zu produzierender Nasalvokale gibt. 207 Phonetische Lernerkorpora und ihr Potenzial im FLE-Unterricht <?page no="208"?> Bei Aufgabe 2, d. h. in dem Abschnitt, in dem jeder Lerner Sätze sieht und gleichzeitig eine erstsprachliche Stimme die Sätze vorliest, kommen ebenso Wörter mit Nasalvokalen vor. Diese eignen sich zu einem Vergleich zur reinen Leseleistung, da bei der lesegestützten Nachsprechaufgabe auch eine L1-Sprecherin zusätzlich zur schriftlich-visuellen Modalität auch noch eine Modellaussprache in der auditiven Modalität gegeben hat. Interessant sind hier Wörter wie maman oder enfants, die in beiden Aufgaben vorkommen. Auch das deutsche Satzmaterial enthält Wörter mit Nasalvokalen. Dabei sind die folgenden Wörter sowohl im französischen Material als auch als Lehnwörter im deutschen Material enthalten: Saison, Pavillon, Cousin, Gratin, Restaurant, Chance, charmant (vgl. Tab. 5). Ein Vergleich dieser Wörter in der französischen Version mit der deutschen Version könnte Auskunft darüber geben, ob für individuelle Sprecher das Lautsystem der L1 und L2 sich hinsichtlich der Nasalvokale für diese Wörter verknüpft sind. Dieses im Lernerkorpus angelegte Material zur Untersuchung von Nasalvokalen bei deutschen Lernern ist bislang noch nicht analysiert worden. Aussprache Saison Pavillon Cousin Gratin Restau‐ rant Chance charmant Franzö‐ sisch [sɛzɔ̃] [pavijɔ̃] [kuzɛ̃] [ɡʁatɛ̃] [ʁɛstoʁɑ̃] [ʃɑ̃s] [ʃaʁmɑ̃] Deutsch [zɛzɔ̃] [zɛzɔŋ] [zɛzoːn] [paviljɔ̃] [paviljɔŋ] [paviljoːn] [kuzɛ̃ː] [ɡratɛ̃ː] [ɡratɛ̃] [rɛstorɑ̃ː] [ʃɑ̃ːs(ə)] [ʃaŋs(ə)] [ʃɔŋs(ə)] [ʃarmant] Tab. 5: Aussprache ausgewählter Wörter mit Nasalvokal im Französischen und im Deutschen (vgl. Kleiner et al. 2015, wo [r] stellvertretend für verschiedene konsonanti‐ sche / r/ -Realisierungen steht); Varianten beziehen sich nur auf Nasalvokal. 6.3 Prosodie Der Sprechfluss (auch Redefluss oder Sprechflüssigkeit oder im Englischen fluency genannt) ist ein oft genutztes Indiz für das Niveau der L2-Fertigkeiten, wobei auch individuelle Gewohnheiten in der L1 eine Rolle spielen können (vgl. de Jong et al. 2015). Hierzu ist die Unterscheidung von Lesevon Spontansprache wichtig. Spontansprache, besonders solche in Dialogen, verlangt wichtige Pla‐ nungsschritte wie die konzeptuelle Vorbereitung der Formulierung, die Auswahl der Wörter, ihre morpho-syntaktische Enkodierung sowie Aspekte der sozialen Interaktion. Auch wenn diese Planungsfelder in Lesesprache anders verarbeitet werden als bei Spontansprache, so sind dennoch Planung und Ausführung 208 Jürgen Trouvain (Sarrebruck) <?page no="209"?> prosodischer, phonemischer und orthografischer Programme notwendig, damit ein akzeptabler Sprechfluss auch beim lauten Vorlesen gelingt. Daher haben laut vorgelesene Texte gewiss ihre Berechtigung bei der Bewertung, wie flüssig artikuliert werden kann. Sprechfluss wird auch in den Leitlinien des GERS als Bewertungskriterium genannt. Ein weiterer Vorteil laut gelesener Texte ist ihre Vergleichbarkeit, sei es, dass der Sprechfluss desselben Lerners zu zwei ver‐ schiedenen Zeitpunkten verglichen werden kann, oder dass sich verschiedene Lerner zum gleichen Zeitpunkt gut vergleichen lassen. Die Anwendung eines Praat-Skripts zur automatischen Feststellung der Artikulationsgeschwindigkeit (de Jong/ Wempe 2009) kann hierbei nützliche Dienste leisten, da Artikulations‐ geschwindigkeit und Sprechfluss stark miteinander korrelieren. Ein jüngeres Beispiel für die Bewertung des Sprechflusses vorgelesener Sprache in einem FLE-Kontext ist eine Studie von Detey et al. (2020). Hier wurde gezeigt, dass die Ergebnisse einer automatisierten Bewertung des Sprechflusses von Lernern vergleichbar sind mit Ergebnissen menschlicher Experten. Solche Entwicklungen weisen neue Wege auf, wie in Zukunft FLE-Training mit Feed‐ back zu Sprechfluss sinnvoll unterstützt werden könnte. Ein Beispiel aus der Sicht der Prosodie-Forschung ist die Analyse von regulären Pausen und unflüssigen Phasen in der L1- und der L2-Version des vorgelesenen Textes des Korpus (vgl. Trouvain et al. 2016b). Wie erwartet, gab es in der L2-Version mehr Pausen und unflüssige Phasen, ebenso waren solche Pausen länger, die ein Einatmungsgeräusch enthielten. Die unflüssigen Phasen waren zumeist markiert durch eine Reparatur mit einer Pause. Diese Reparaturpausen enthielten (fast) nie ein Atemgeräusch und waren generell auch kürzer als Atem-Pausen. So genannte ‘gefüllte’ Pausen, also Artikulationen wie euh oder eum/ em/ hum gab es so gut wie gar keine. Die allgemeine Tendenz, dass Anfänger in ihrer L2-Version mehr Pausen, längere Pausen und mehr Dis‐ fluenzen produzieren, lässt sich für die gesamte Gruppe als Tendenz festhalten. Der interessante Punkt hierbei ist aber, dass es bei den individuellen Leistungen Überschneidungen zwischen Anfängern und Fortgeschrittenen gibt. So sind z. B. Anfänger ohne Disfluenzen und geringer Pausenanzahl beobachtbar, aber auch sehr unflüssige Fortgeschrittene mit vielen Pausen (vgl. Abb. 2). 209 Phonetische Lernerkorpora und ihr Potenzial im FLE-Unterricht <?page no="210"?> 8 Sprecher 1-10: Anfänger, 11-20: Fortgeschrittene, unterteilt in Pausen mit oder ohne Disfluenzen. Abb. 2: Anzahl der Pausen für jeden Sprecher (L2: Französisch) im Vorlesetext des IFCASL-Korpus 8 . Bezüglich des Stimmumfangs (Tonhöhenumfang) und der darin erfassten Varia‐ tion von Tonhöhe verhalten sich Fremdsprachenlerner häufig anders als in ihrer Erstsprache. Eine diesbezügliche Analyse eines Teils des IFCASL-Korpus (vgl. Zimmerer et al. 2014) erbrachte Ergebnisse, die für beide Lerner-Gruppen eine weniger ausgedehnte Nutzung des Stimmumfangs belegen. Die französischen Lerner nutzten im deutschen Material ihre Tonhöhe weniger ausgeprägt als in ihrer L1 und umgekehrt zeigen die deutschen Lerner weniger Tonhöhenvaria‐ tion in der L2 verglichen zu ihrer L1. Eine mögliche Erklärung dafür liegt darin, dass die Lerner weniger Vertrauen in ihre eigene Sprechproduktion haben und sich auch mehr auf die Korrektheit der Aussprache fokussieren. 7 Anwendungsideen für praktische FLE-Arbeit Der vorliegende Abschnitt widmet sich Möglichkeiten, wie ein phonetisches Lernerkorpus im Unterricht mit FLE-Lernern, in der Ausbildung von FLE-Lehr‐ kräften oder auch in einem individuellen Aussprachetraining sinnvoll genutzt werden kann. Es handelt sich dabei noch um Ideen, die als Anstoß zur Nutzung und auch zur Diskussion dienen sollen, aber noch nicht um bereits erprobte Praktiken. Daher wird im folgenden Unterabschnitt nicht zwischen der Aus- 210 Jürgen Trouvain (Sarrebruck) <?page no="211"?> und Fortbildung von Lehrkräften einerseits und dem Unterricht für Schüler andererseits unterschieden. 7.1 Ausbildung und Unterricht Die Audiodateien des Korpus können z. B. für die Erstellung von Übungsauf‐ gaben in der FLE-Lehrerausbildung (Französischstudium, Referendariatsausbil‐ dung), aber auch im FLE-Unterricht genutzt werden. Ein Beispiel für eine allge‐ meine Hinführung zum Thema Aussprache mit dem Ziel, die Sensibilisierung für Ausspracheunterschiede zwischen L1- und L2-Produktionen zu erhöhen, könnte wie folgt aussehen: Hören Sie sich bitte den folgenden Abschnitt (wird schriftlich gezeigt) in drei erstsprachlichen Versionen und in drei Versionen deutscher Lerner an. Was fällt Ihnen im Vergleich auf ? Die Beantwortung könnte allgemeine phonetische Erscheinungen in L2-Sprache enthalten, wie etwa eine langsamere Artikulationsgeschwindigkeit, mehr und/ oder längere Pausen, geringerer Stimmumfang und eine geringere artikulatorische Spannung. Eine Übungsaufgabe für eine konkrete phonetische Fragestellung, um das Phänomen der Auslautverhärtung bewusst zu machen, findet sich im folgenden Kasten: Hören Sie sich bitte den folgenden Satz (endet auf feu rouge) in drei erstsprachlichen Versionen und in drei Versionen deutscher Lerner an. Was fällt Ihnen am Ende des letzten Wortes im Satz auf, wenn Sie die französischen mit den deutschen Sprechern vergleichen? In der Musterlösung sollte genannt werden, dass der finale Konsonant in rouge, der stimmhafte post-alveolare Frikativ [ʒ] von den deutschen Lernern anders, nämlich stimmlos als [ʃ] ausgesprochen wird als von den L1-Sprechern. Optimal wäre es, wenn benannt werden könnte, worin die abweichende Aussprache besteht (nämlich eine stimmlose Realisierung, wie am Ende von dt. Fleisch oder wie in franz. la mouche) und was die wahrscheinliche Ursache dafür ist (Auslautverhärtung im Deutschen). 211 Phonetische Lernerkorpora und ihr Potenzial im FLE-Unterricht <?page no="212"?> Das Korpusmaterial eignet sich insbesondere auch dazu, um angehenden FLE-Lehrkräften beizubringen, wie man Ausspracheprobleme analysiert. Die folgenden Leitfragen können hierbei helfen (vgl. auch Detey et al. 2017): • Führt die auditiv festgestellte Fehlleistung zu einem Verständigungspro‐ blem (saint [sɛ̃] statt sans [ɑ̃]) oder ist sie nicht ganz so gewichtig? • Kann man feststellen, worauf ein Aussprachefehler zurückzuführen ist? Ist er auf eine fehlende Graphem-Phonem-Korrespondenz zurückzu‐ führen? Dann würde bagages als [baɡaʒe] in Aufgabe 1 (reines Vorlesen), aber wahrscheinlich nicht in Aufgabe 2 (Vorlesen nach Anhören des Modellsprechers) vorkommen. Ist der Aussprachefehler auf eine fehlende phonologische Kategorisierung zurückzuführen? Dann würde sowohl beim reinen Vorlesen als auch beim Vorlesen nach dem Anhören des Modellsprechers temps nicht als [tɑ̃], sondern beispielsweise mit einem nicht korrekten Nasalvokal ausgesprochen werden. • Gibt es eventuell ein Problem mit Kognaten, wie etwa mit geographischen Namen (z. B. Berlin, Paris, USA)? Kann ein Ausspracheproblem auf das Englische als bevorzugte L2 zurückzuführen sein? Des Weiteren können die Audiodaten des Korpus zu Illustrationszwecken genutzt werden (vgl. auch Detey et al. 2010). Sie erlauben eine direkte Gegen‐ überstellung von L1- und L2-Versionen, z. B. zur Darstellung phonologischer Prozesse. Den meisten deutschen Sprechern wird nicht bewusst sein, wie häufig sie in der L1 / r/ postvokalisch in derselben Silbe vokalisieren (z. B. in pur, klär, Bar), wie häufig sie dies auch im Französischen anwenden (z. B. in pour, claire, bar). Bidirektionale Lernerkorpora erlauben also auch eine Einsicht in phono‐ logische Prozesse der L1 (wie z. B. r-Vokalisierung oder Auslautverhärtung) und ein Einhören in phonetische Besonderheiten der L1 (wie z. B. Aspiration stimmloser Plosive). 7.2 High variability training Ein sehr wichtiger Aspekt bei Lernerkorpora ist, dass es nicht nur einen Modellsprecher gibt, sondern man aus sehr vielen Modellsprechern auswählen kann, seien es Anfänger, Fortgeschrittene oder L1-Sprecher. Das Ausnutzen der großen Zahl der L1-Sprecher im Korpus ist sehr gut geeignet, um für Hörtrainingseinheiten mehr als nur einen ‘goldenen’ Sprecher zur Verfügung zu haben, der im Unterricht häufig die Lehrperson ist, die eventuell kein L1-Sprecher ist. Der Vorteil der Vielzahl von erstsprachlichem Input besteht darin, die Variabilität über Sprecher hinweg zur Festigung neuer phonologischer Kategorien zu nutzen. Jügler et al. (2015) benutzten ein solches high variability 212 Jürgen Trouvain (Sarrebruck) <?page no="213"?> training, um die Produktion und Perzeption der Plosive im Französischen durch deutschsprachige Lerner zu untersuchen. Durch das Anhören sehr vieler Realisierungen verschiedener L1-Sprecher konnten die Lerner in ihrer Wahr‐ nehmung den Unterschied zwischen stimmhaften und stimmlosen Plosiven besser wahrnehmen, in ihrer Produktion konnten sie jedoch lediglich die Aussprache der stimmhaften Plosive verbessern. 7.3 Individuelles Aussprachetraining Neben Gruppenunterricht im Klassenverband, in dem phonetische Themen nicht unbedingt eine dominierende Rolle spielen (vgl. Horvath et al. 2019), kann personalisiertes Sprachenlernen in Form von individualisiertem Ausspra‐ chetraining (vgl. Mehlhorn 2006) eine wichtige Ergänzung darstellen. Bei einem solchen Ansatz erkennt und nutzt der Aussprache-Coach die individuellen Unterschiede der Lerner bezüglich ihrer perzeptiven und artikulatorischen Fertigkeiten, um die Lerner in ihren Lernstrategien zu begleiten und den Grad ihrer Sprachbewusstheit gezielt zu erhöhen. Ein phonetisches Korpus kann hierbei nützlich sein, wenn man beispielsweise für bestimmte Sätze eine Vielzahl von L1-Sprechern anhören kann und sich aus dieser seine eigenen Modellsprecher auswählen kann. Mit dieser Auswahl können die Lerner sich mit Aufnahmen der eigenen Stimme vergleichen und gemeinsam mit dem Aussprache-Coach analysieren. Momentan kommen für eine solche didaktische Situation ausschließlich menschliche Aussprachetrainer in Frage, in der Zukunft sind aber auch kompetente maschinelle Aussprachetrainer nicht auszuschließen bzw. sogar wünschenswert, weil es an menschlichen Aussprachetrainern fehlt und solche Vermittler zumeist gänzlich unbekannt sind. Bei beiden Varianten des Coaches (menschlich und maschinell) kann das Korpusmaterial im Feed‐ back-Prozess helfen. 7.4 Computer-gestütztes Aussprachetraining Ein phonetisches Lernerkorpus kann auch für computergestütztes Aussprache‐ training genutzt werden, welches sich ebenfalls auf individueller Ebene abspielt. Ein Beispiel hierzu ist ein Verfahren, bei der die L1-Audiodaten des Korpus als Vorbild für Nachsprechaufgaben dienen und bei der die Mikrophon-Aufnahmen der Lerner automatisch modifiziert und dem Modellsprecher bezüglich Tonhö‐ henverlauf und Timing angepasst werden (vgl. Bonneau/ Colotte 2011). Dies hat den Vorteil, dass es für den Lerner ein unmittelbares akustisches Feedback mit der eigenen Stimme gibt, bei der gleichzeitig die Prosodie an den L1-Sprecher angepasst wird. 213 Phonetische Lernerkorpora und ihr Potenzial im FLE-Unterricht <?page no="214"?> 8 Zusammenfassung und Ausblick Das Wissen um phonologische und phonetische Interferenzen in FLE hat sich in der Vergangenheit zumeist auf die kontrastive Analyse zwischen Aus‐ gangssprachen und der Zielsprache sowie experimentelle Untersuchungen zu ausgewählten Phänomenen (in zumeist einem Sprachenpaar) gestützt. Hinzuzufügen sind nun Untersuchungen phonetischer Lernerkorpora, die es erlauben, Aussagen über Interferenzen zu treffen, die bislang nur als vermutet galten oder lediglich theoretisch angenommen, aber nicht in Experimenten überprüft wurden. Zum einen ermöglichen Korpora einen besseren Überblick über tatsächlich auftretende Interferenzen. Zum anderen kann mit Korpora genauer untersucht werden, welche Abweichungen bei Lernern in welchem Ausmaß vorkommen. Sie können daher eine sehr wichtige Ergänzung zu experimenteller Forschung darstellen. Die aufgezeigten Nutzungsmöglichkeiten phonetischer Lernerkorpora können aber auch die etablierten Methoden in der Lehre ergänzen. Um dies zu erreichen, wäre es wünschenswert, wenn die entsprechenden Korpora für Anwender verfügbar und durchsuchbar sind. Darüber hinaus ist aber auch die Bereitschaft von FLE-Akteuren in der Aus- und Weiterbildung von Lehrkräften notwendig, im Unterricht und bei der Entwicklung didaktischen Materials ent‐ sprechende Korpusdaten zu nutzen und bei der Entwicklung von Lehrmaterial zu berücksichtigen bzw. kritisch zu begleiten. Ein Beispiel für eine gelungene Nutzbarmachung eines phonetischen Lernerkorpus ist die Aufarbeitung von Korpus-Material für den Erwerb der L2-Intonation in der Fremdsprachendi‐ daktik (vgl. Brunstein 2016). Dabei wurde Satzmaterial zur Visualisierung und Hörbachmachung eingesetzt, auch um mit eigenen Aufnahmen der Lerner Kontrastübungen zu erarbeiten. Für die Zukunft wäre die Verfügbarkeit weiterer Korpora mit gesprochener Sprache wünschenswert (vgl. auch Gut 2007). Diese sollten nicht nur konzep‐ tionelle Schriftlichkeit in Form von Lesesprache wie in dem hier vorgestellten Korpus zum Inhalt haben, sondern die Diversität der Mündlichkeit abbilden. Daher sind auch Korpora notwendig, die phonetische Formen in sozialer Interaktion in den Fokus stellen. Danksagung Der Autor möchte sich bei zwei anonymen Gutachter/ inne/ n und der Heraus‐ geberin für die zahlreichen Verbesserungsvorschläge bedanken, die zu einer besser lesbaren Fassung des Aufsatzes geführt haben. 214 Jürgen Trouvain (Sarrebruck) <?page no="215"?> Literaturverzeichnis Ballier, Nicolas/ Martin, Philippe (2015): „Speech annotation of learner corpora“, in: Granger, Sylviane/ Gilquin, Gaëtanelle/ Meunier, Fanny (Hrsg.): The Cambridge Hand‐ book of Learner Corpus Research, Cambridge: Cambridge University Press, 107-134. Baumann, Stefan/ Röhr, Christine T./ Grice, Martine (2015): „Prosodische (De-)Kodierung des Informationsstatus im Deutschen“, in: Zeitschrift für Sprachwissenschaft 34(1), 1-42. Belz, Malte/ Sauer, Simon/ Lüdeling, Anke/ Mooshammer, Christine (2017): „Fluently disf‐ luent? Pauses and repairs of advanced learners and native speakers of German“, in: International Journal of Learner Corpus Research 3(2). Special Issue on Phonetic Learner Corpora, 118-148. 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La prononciation dans l’enseignement des langues étrangères Un survol historique Christiane Fäcke (Augsburg) 1 Introduction 1 Dans les discours en didactique des langues étrangères en Allemagne, le déve‐ loppement des méthodes d’enseignement des langues depuis le XIX ème siècle est souvent présenté d’une manière assez uniforme, les nuances et les différencia‐ tions étant sacrifiées sur l’autel de la clarté du développement. En règle générale, de nombreuses publications résumant l’histoire de l’enseignement des langues proposent la chronologie - jusqu’alors incontestée - suivante : la présentation de la méthode grammaire-traduction dominante au XIX ème siècle est le point de départ. Critiquée par le mouvement de la Réforme, un groupe de philologues modernes à la fin du siècle, cette méthode est remplacée par la méthode directe vers la fin du siècle, qui, elle, est suivie par les méthodes behavioristes des années 1930 et 1950. Les survols historiques continuent avec l’approche communicative des années 1970 pour terminer avec l’approche menant à l’acquisition des compétences du tournant du millénaire (cf. par ex. Fäcke 2017 ; Reinfried 2017 : 73). La vue d’ensemble proposée ci-après est l’occasion de faire le point sur ces différents aspects et de dresser un panorama de ce développement, en retraçant le rôle et la méthodologie de l’enseignement de la prononciation dans les quatre étapes mentionnées. Tandis que les présentations de l’histoire des méthodes se concentrent surtout sur des aspects généraux, la contribution suivante met au centre la prononciation, en analysant également les précurseurs, les différentes caractéristiques au cours des siècles, les interdépendances entre les étapes et les <?page no="220"?> 2 Werner Hüllen (2005) offre un résumé précis et à la fois différencié de l’histoire de l’enseignement des langues depuis le Moyen Age. 3 Manuel Schwarz poursuit un projet de recherche sur les manuels scolaires au XIX ème siècle et, entre autres, travaille sur l’idée que le terme de la méthode grammaire-traduc‐ tion est une construction rétrospective développée au XX ème siècle. Werner Hüllen, en revanche, considère le terme méthode grammaire-traduction comme un terme général désignant de nombreuses méthodes avant 1880 qui considèrent la grammaire et la traduction comme le noyau de l’enseignement des langues, mais qui suivent également des propositions méthodologiques très différenciées. L’usage d’un seul terme - méthode grammaire-traduction - obtient une popularité particulière dans la littérature polémique de la période de la Réforme après 1880 (cf. Hüllen 2005 : 92). transitions successives. Somme toute, il s’agit des réflexions sur l’enseignement des langues, principalement le français et l’anglais, adressées aux apprenants dont la langue maternelle est l’allemand. 2 La prononciation dans l’enseignement des langues au XIX ème siècle 2.1 La méthode grammaire-traduction L’enseignement de la prononciation joue toujours un rôle certain dans l’ensei‐ gnement des langues au cours des siècles passés, tout en différant considérable‐ ment des méthodes actuelles. Du 16ème au 19ème siècle, beaucoup de grammaires françaises parues en Allemagne décrivent - souvent très imparfaitement - des sons […]. On y trouve également fréquemment des transcriptions de mots, de phrases et même de textes entiers. Mais seulement une partie des grammairiens prend en considération les différences phonétiques entre la langue de départ, l’allemand, et la langue cible, le français, en employant des signes diacritiques (Reinfried 1997 : 336sq.). Une telle démarche ne contribue de fait pas à la mise en place d’un enseignement de la prononciation, qui prenne en compte les caractéristiques phonétiques de la langue de départ. 2 Cette situation change toutefois au cours du 19 ème siècle. Dans la méthode grammaire-traduction dominante - probablement une construction rétrospective des didacticiens au 20 ème siècle 3 - l’enseignement de la prononciation est pratiqué de la façon suivante d’après Reinfried (1997) : Le Cours gradué de la langue française de Carl Ploetz (1848sqq.), le manuel le plus répandu dans la deuxième moitié du 19ème siècle en Prusse […], commence avec un grand nombre de règles de prononciation. Ce sont en fin de compte des règles de lecture : Elles partent de lettres isolées ou de certains groupes de lettres dans 220 Christiane Fäcke (Augsburg) <?page no="221"?> 4 Karl Dorfeld, présentant Jacotot et plus encore Hamilton, résume l’idée qu’il faut d’abord donner une explication simple des premières règles de prononciation, puis lire une ou plusieurs lignes du texte français, le faire répéter jusqu’à ce qu’il soit correct, et renvoyer l’étudiant aux règles de prononciation en cas d’erreurs (cf. Dorfeld 1905 : 415sq.). la langue étrangère pour arriver à une explication souvent très inexacte des sons correspondants. (Reinfried 1997 : 367) Dans sa Nouvelle grammaire française basée sur le latin, Karl Ploetz (1897) s’appuie sur les mêmes principes. Tout d’abord, il commence par la phonétique, explique l’alphabet, les consonnes et les voyelles, après les syllabes, pour illustrer par la suite la prononciation de quelques mots exemplaires à l’aide de sa propre transcription (cf. Fig. 1). Fig. 1 : Extrait de la Nouvelle grammaire française basée sur le latin (Ploetz 1897 : XII) Il en va de même pour la méthode interlinéaire de Hamilton (1816) et Jacotot (Dorfeld 1905), qui accordent également une grande importance à la compa‐ raison des langues. Dans le matériel pédagogique, les traductions entre la langue source et la langue cible sont imprimées en lignes alternées. En ce qui concerne la prononciation, selon James Hamilton, il faut procéder de la manière suivante : Among the first lessons which they receive, occurs the word S A C R I F I C A T E U R . I have so‐ metimes smiled at the attempts made to follow me in the pronounciation of this word, where pronounced with propriety—but analyze it, pronounce it SA-CRI-FI-CA-TEUR, any person can instantly pronounce it with the correctness of a Frenchman, though at first more slowly ; thus it is with every word in the French language, the correct and precice pronounciation of which may be attained in the same way. […] the analysis is usually made in the mind of the pupil, in the instant he hears the word, clearly, and distinctly pronounced […]. (Hamilton 1816 : 9) 4 La méthode interlinéaire joue un rôle fondamental pour la méthode Tous‐ saint-Langenscheidt. Au milieu du XIX ème siècle, Charles Toussaint et Gustav 221 La prononciation dans l’enseignement des langues étrangères <?page no="222"?> 5 Gustav Langenscheidt, enseignant de langues et libraire au XIX ème siècle, est à l’origine de la maison Langenscheidt, un groupe d’édition allemand spécialisé dans les langues étrangères, publiant jusqu’à aujourd’hui des dictionnaires. Avec Charles Toussaint, un enseignant de français originaire de Nancy, il met au point une méthode d’auto-ap‐ prentissage qu’il publie en 1856 sous le titre « Unterrichtsbriefe zur Erlernung der französischen Sprache ». Comme aucun éditeur ne s’intéresse à publier cet ouvrage éducatif, Langenscheidt fonde sa propre maison d’édition à partir du 1 er octobre 1856. Ses lettres d’enseignement bénéficient d’une grande popularité et d’une grande diffu‐ sion, de sorte qu’on peut considérer ce projet comme la naissance de l’enseignement à distance. Toussaint et Langenscheidt s’intéressent surtout à l’enseignement du français. 6 C’est ce que notre travail a ici pour vocation de réaliser en présentant la prononciation de chaque mot à l’élève, et en laissant au professeur le soin de former l’oreille de l’élève. Il peut y avoir des différences d’opinion sur notre façon de présenter des mots avec un équivalent de la prononciation, mais personne ne peut nier qu’une visualisation précise de la prononciation, suivant l’écriture de la langue maternelle, offre des éléments d’apprentissage tangibles et durables (traduction C.F.). Langenscheidt 5 mettent au point une méthode d’apprentissage autodidactique des langues étrangères à distance basée sur des ressources d’auto-apprentissage (cf. Michel 2006 : 57). Dans ce contexte, ils développent également une trans‐ cription phonétique simple. Ce « système phonétique » ou « alphabet de pro‐ nonciation », développé principalement par Gustav Langenscheidt, comprend exclusivement des lettres allemandes (all. Fraktur) et quelques lettres latines (all. Antiqua) ainsi que des combinaisons de lettres (digraphes, par exemple <ch>) pour les sons étrangers, pour lesquels la langue écrite allemande n’a pas de correspondance. La norme des valeurs phonétiques des lettres s’appuie sur la prononciation de l’allemand standard, p. ex. <sch> pour le son qui est transcrit plus tard selon l’alphabet phonétique international (dorénavant API) par [ʃ]. Il convient de souligner qu’ils considèrent la prononciation comme point de départ du processus d’apprentissage : Diesen nun soll unsere Arbeit erzielen, in dem wir die Aussprache jedes einzelnen Wortes dem Schüler vor das Auge führen, es dem Lehrer überlassend, das Ohr des Ler‐ nenden zu bilden. Mag man über die Art und Weise unserer Aussprache=Darstellung verschiedener Ansicht sein ; das aber wird Niemand in Abrede stellen können, daß eine bildliche, sich an die Schrift der Muttersprache anschließende, genaue Versinnlichung der Aussprache etwas Greifbares, Bleibendes bietet ; […]. (Toussaint/ Langenscheidt 1866 : III-IV). 6 La transcription est utilisée dans les dictionnaires et les méthodes de langues de l’époque. Bien que la transcription de mots isolés ne permette pas de saisir les phénomènes phonologiques au niveau de la phrase tels que la liaison, des 222 Christiane Fäcke (Augsburg) <?page no="223"?> 7 La visualisation joue toujours un rôle à présent, entre autres pour sensibiliser les apprenants à la prosodie de la langue étrangère (cf. Mehlhorn/ Trouvain 2007). transcriptions de phrases entières sont présentes dans les exercices qui traitent au moins partiellement de ces aspects (cf. Fig. 3). 7 À cette époque, la première étape de l’enseignement d’une langue étrangère commence par la présentation de l’alphabet (cf. Fig. 2) : Fig. 2 : Lektion 1. Alphabet (Toussaint/ Langenscheidt 1866 : 1) De plus, la méthode interlinéaire comprend des traductions littérales interli‐ néaires, c’est-à-dire que le texte de la langue étrangère est accompagné par une transcription phonétique et par une traduction mot à mot. Dans le manuel de Toussaint/ Langenscheidt (1866), il y a un grand nombre d’exercices constitués de phrases offrant une transcription phonétique, comme le montre l’exemple suivant (cf. Fig. 3). Fig. 3 : Phrases avec une transcription phonétique (Toussaint/ Langenscheidt 1866 : 37) 223 La prononciation dans l’enseignement des langues étrangères <?page no="224"?> 8 Phonologie Réformée. 9 ‘Après avoir étudié les sons et peut-être quelques points essentiels de la théorie de la flexion, je propose la leçon suivante. Aucune préparation à domicile n’est exigée de l’étudiant. À l’école, l’enseignant lit à haute voix, lentement et clairement, un petit morceau de lecture aussi souvent que nécessaire, les livres des élèves étant fermés. Il ajoute la signification allemande des […] mots et laisse la traduction complète […] à la classe. […] L’extrait est répété lors de la leçon suivante. Une liste de mots avec phonétique à la fin du livre de lecture, puis un dictionnaire, doivent permettre à l’élève d’apprendre par lui-même à la maison les mots qu’il a probablement oubliés’ (traduction C.F.). La méthode Toussaint-Langenscheidt dans son ensemble relève de la méthodologie grammaire-traduction, pour ce qui concerne non seulement la façon de traiter la grammaire, la traduction et l’orthographe, mais aussi la prononciation. L’approche contrastive et l’utilisation de l’alphabet de la langue de départ pour la transcription correspondent particulièrement bien au principe de la traduction. 2.2 La méthode directe Dans les années 1880, la méthode grammaire-traduction est de plus en plus confrontée à des critiques. Vers la fin du siècle, Wilhelm Viëtor, l’un des protagonistes du mouvement de la Réforme, qui conduit à la méthode directe, suggère, entre autres, la prise en compte consciente de la phonétique, en déplorant le manque de prononciation correcte des élèves : « Pour remédier à ce malheur, il conseille de faire apprendre aux élèves tout au début du cursus les systèmes des voyelles et consonnes à l’aide de schémas phonétiques et de travailler régulièrement la prononciation des sons étrangers. » (Reinfried 1997 : 368) Viëtor, lui-même, demande de recourir à la reformierte Lautlehre  8 comme base de la prononciation, d’abandonner l’écriture et l’orthographe comme point de départ de la prononciation (1905/ 1982 : 137) et propose la démarche suivante : Ich würde nach Durchnahme der Laute und vielleicht einiger Hauptsachen aus der Flexionslehre folgenden Unterrichtsgang vorschlagen. Von dem Schüler wird keine häusliche Präparation verlangt. In der Schule liest der Lehrer ein kurzes Lesestück so oft als nötig langsam und deutlich vor, wobei die Bücher der Schüler geschlossen sind. Er suppliert die deutsche Bedeutung der […] Wörter und überlässt die vollständige Übersetzung […] der Klasse. […] In der nächsten Stunde wird das Stück wiederholt. Ein Wörterverzeichnis mit phonetischer Aussprachebezeichnung am Ende des Lesebuchs, später ein Wörterbuch, muß den Schüler in den Stand setzen, sich zu Hause über ihm etwa entfallende Wörter wieder zu unterrichten. (Viëtor 1905/ 1982 : 137) 9 224 Christiane Fäcke (Augsburg) <?page no="225"?> 10 Selon la logique de la méthode grammaire-traduction, l’apprentissage des langues se fait par comparaison directe entre la langue source et la langue cible. Une orientation exclusive vers et dans la langue cible n’est pas considérée comme bénéfique. 11 L’utilisation des poèmes est ambivalente pour l’enseignement de la prononciation. D’une part, ils sont considérés comme particulièrement rythmés et musicaux, d’autre part, les règles de prononciation pour la parole spontanée sont régulièrement enfreintes. En outre, les poèmes se situent au pôle de distance du continuum proximité/ distance (Koch/ Oesterreicher 2011) et sont donc au maximum éloignés de la parole spontanée. Bien que cette position, motivée par le désir de préparer les élèves à un apprentissage autonome, ne soit pas couronnée de succès, elle conduit à la reconnaissance de l’enseignement de la prononciation comme un aspect important de l’enseignement des langues. En 1886, l’Association Phonétique Internationale est fondée et fournit le cadre au développement de l’API, conçu par Passy (1899) et Sweet (1877/ 1970). L’API peut s’affirmer à partir des années 1890 dans l’enseignement des langues, par exemple dans les manuels (cf. Schröder 1984 : 33 ; Galazzi 2002 : 142 ; cf. Durand/ Lyche, dans ce volume). Alors que les partisans de la méthode grammaire-traduction considèrent encore la transcription phonétique comme un facteur d’interférence négative avec l’orthographe 10 et qu’elle est interdite en Prusse en 1892 (cf. Christ/ Rang 1985, II : 70), elle prévale de plus en plus parmi les représentants du mouvement de la Réforme. L’enseignement de la prononciation comporte plusieurs niveaux : le niveau des sons, des mots et des unités plus complexes comprenant la prononciation des phrases et l’intonation. Ces dimensions se reflètent dans les deux approches que Reinfried (1997) appelle atomiste et globaliste, pratiquées par différents représentants du mouvement de la Réforme : Pour la phase introductive des sons, il y avait deux approches : une approche atomiste et une approche globaliste. […] L’approche atomiste se basait sur la communication de sons isolés ou de mots qui servaient de modèles articulatoires. […]. Dans les premières années de la réforme, les professeurs commencèrent l’enseignement de la prononciation surtout à l’aide de sons isolés. Ils les articulaient lentement et distinctement en se déplaçant continuellement dans la salle de classe pour pouvoir bien être observés par tous les élèves. La tâche des apprenants consistait à décrire les particularités de chaque son […]. L’approche globaliste par contre partait d’un texte entier […]. Les professeurs utili‐ saient surtout des poèmes simples qui furent d’abord sémantisés. Ensuite, le professeur choisissait certains mots du texte que la classe analysait phonétiquement. Dans cette phase, on recourait aussi à des tableaux de sons. Puis le professeur récitait le poème 11 225 La prononciation dans l’enseignement des langues étrangères <?page no="226"?> dont certaines strophes étaient d’abord répétées individuellement par des élèves et ensuite par toute la classe. (Reinfried 1997 : 370sq.) Ces approches contiennent des éléments cognitifs, à préciser une analyse phonétique des élèves, d’un côté, et, de l’autre, des aspects soulignant la répé‐ tition. Ceci réfère à la méthode de l’habitualisation selon laquelle le processus d’apprentissage se réalise par le comportement et le conditionnement sans prendre en compte la cognition. Après le tournant du siècle, les positions sur le sujet s’unifient. Les représen‐ tants de la méthode grammaire-traduction cessent de rejeter l’enseignement de la prononciation et de la phonétique, tandis que les représentants du mouvement de la Réforme commencent à accepter l’enseignement explicite de la grammaire en classe. Certains enseignants utilisent des tableaux de sons, d’autres une transcription phonétique, principalement à l’aide du système de l’Association Phonétique Internationale. Un exemple illustrant ce développement est la décision du Ministère prussien qui lève l’interdiction de l’utilisation des trans‐ criptions phonétiques en 1901. Ces développements annoncent l’émergence de la Vermittelnde Methode (« méthode de médiation »), qui combine des aspects de la méthode gram‐ maire-traduction avec ceux de la méthode directe bien plus tard. Cette méthode qui voit le jour dans les années 1950 se caractérise, dans l’ensemble, par son orientation vers les contenus et les objectifs de l’enseignement supérieur, c’est-à-dire la confrontation avec des valeurs et des témoignages de la culture cible, l’activation des élèves par l’enseignant et l’orientation vers un enseigne‐ ment monolingue, uniquement dans la langue cible. Les exercices oraux sont élaborés en partant de situations authentiques, les exercices de traduction entrent en jeu avec modération (cf. Fäcke 2017 : 39). 3 Enseigner la prononciation selon les méthodes behavioristes Suite à de nouvelles théories d’apprentissage et des innovations techniques, l’en‐ seignement des langues et de la prononciation connaît encore des changements significatifs. Cette nouvelle étape est particulièrement influencée par le beha‐ viorisme et le structuralisme. Le behaviorisme, théorie d’apprentissage apparaissant au début du 20 ème siècle, comprend l’apprentissage d’une langue comme processus de condition‐ nement, marqué par l’imitation, le renforcement ou l’extinction. L’accent est mis sur le comportement observable, sur un apprentissage par la répétition et l’habitualisation, négligeant en même temps des processus cognitifs (Lauret 2007 : 95sq.). 226 Christiane Fäcke (Augsburg) <?page no="227"?> 12 ‘Cela se fait par la mémorisation des modèles linguistiques, la répétition et l’habitua‐ tion à parler, tout en mettant la forme sonore de la phrase au premier plan, qui, elle, est importante en tant que gestionnaire de relations. Pour l’apprentissage des langues étrangères, avant tout, l’habituation est plus importante que la réflexion, les compétences linguistiques pratiques sont plus importantes que les connaissances lin‐ guistiques théoriques, la pratique des performances fonctionnelles est plus importante que l’explication des caractéristiques linguistiques. La base de toute compréhension de la prononciation, de la phrase et du style est l’observation du plan de la phrase dans sa forme sonore’ (traduction C.F.). Il convient de souligner que Leisinger axe ses recherches sur la prononciation de la phrase tandis que, auparavant, à l’époque de la méthode grammaire-traduction, les sons et les mots se trouvent au centre de l’attention. Au milieu du 20 ème siècle, le structuralisme marque, entre autres, la linguis‐ tique. L’élément central est la compréhension de la langue comme un système de signes structuré. L’analyse structuraliste de la langue examine toute langue en fonction de ses caractéristiques de manière strictement synchrone et descriptive (cf. Chiss 2018). Outre les bases linguistiques et les théories de l’apprentissage, des progrès techniques sont également réalisés, notamment au niveau des médias tels que les bandes magnétiques, les laboratoires de langues et le matériel visuel (cf. Cureau/ Vuletic 1976 : 34), qui permettent un accès visuel et acoustique à la langue cible et à sa culture (cf. Freudenstein 1969) et, pour cela, contribuent également à faire évoluer l’enseignement des langues. Or, dans les années 1930, on voit apparaître le développement de la méthode audio-orale, qui aboutit dans les années 1950 à la méthode audio-visuelle. L’enseignement audio-oral et audio-visuel n’est plus axé sur les connaissances métalinguistiques, mais sur les aptitudes - écouter, parler, lire, écrire - , donc sur l’acquisition active du langage, relevant d’une méthodologie active : Dies geschieht durch Einprägung sprachlicher Leitbilder, durch Einüben von Sprech‐ gewohnheiten, wobei die als Beziehungsträger wichtige Schallform des Satzes im Vordergrund zu stehen hat. Für die Fremdsprachenerlernung vor allem ist Gewöhnung wichtiger als Betrachtung, praktisches Sprachkönnen wichtiger als theoretisches Sprachwissen, funktionale Leistungsübung wichtiger als die Erklärung sprachlicher Merkmale. Grundlage jedes Eindringens in Aussprache, Satz- und Stilform ist die Beobachtung des Satzplans in seiner Schallform. (Leisinger 1967 : 40) 12 Cet enseignement est essentiellement monolingue, s’abstenant de tout traite‐ ment grammatical formel et recourant à l’usage substantiel du nouveau médium du laboratoire de langues (cf. Freudenstein 1969). Le principe de l’habitualisation est particulièrement appliqué à l’enseignement de la prononciation, qu’on 227 La prononciation dans l’enseignement des langues étrangères <?page no="228"?> 13 ‘La vraie imitation en chœur entraîne la prononciation et l’intonation d’une manière excellente’ (traduction C.F.). 14 ‘L’imitation en chœur (collective) est toujours un modèle et une imitation ; elle requiert donc l’attention totale de l’élève, non seulement de son oreille, qui perçoit les sons, mais aussi de son œil, qui perçoit la position de la bouche, le « masque ». En aucun cas, l’écriture ne doit interférer, même si elle ne devait en fait qu’occuper l’œil’ (traduction C.F.). 15 ‘Les répétions et l’imitation en chœur collective permettent, de manière si importante dans les premières leçons, de saisir et de pratiquer la prononciation et l’intonation, que nous pratiquons toujours ensemble, d’abord en chœur, puis en petits groupes, pour passer progressivement à la prise de parole individuelle. Mais la phrase entière, l’onde sonore uniforme, le contexte significatif sont toujours préservés’ (traduction C.F.). 16 On trouve plus de détails sur le site suivant : www.verbotonale-phonetique.com/ origi nes-fondements/ . regarde comme point de départ du cours et comme un entraînement holistique de l’appareil phonatoire et de l’oreille. Selon la logique de cette approche, les exercices répétitifs, nommés pattern drills (cf. Freudenstein 1969), jouent un rôle significatif. On attribue un rôle central aux chaînes sonores parce qu’elles correspondent ainsi au besoin d’imi‐ tation de l’apprenant tout en l’encourageant à prendre la parole (cf. Leisinger 1967 : 63sq.). En conséquence, on pratique souvent l’imitation en chœur : « Echtes Chorsprechen schult Aussprache und Intonation in hervorragender Weise. » (Leisinger 1967 : 83) 13 Ainsi, on considère alors que la prononciation est prioritaire sur l’écriture : Das Chorsprechen ist immer ein Vorbilden und Nachahmen ; es ist daher auf die ungeteilte Aufmerksamkeit des Schülers angewiesen, nicht nur seines Ohres, das die Laute, sondern seines Auges, das die Mundstellung, die « Maske » erfaßt. Keinesfalls darf das Schriftbild dazwischen drängen, auch wenn es in der Tat nur das Auge in Anspruch nähme. (Leisinger 1967 : 85) 14 L’enseignement de la prononciation peut prendre la forme de chants, de vire-langues et de comptines (cf. Leisinger 1967 : 88-90). Die Reihungen und das Chorsprechen vermitteln die im Anfangsunterricht so überaus wichtige Gelegenheit zur Erfassung und Übung von Aussprache und Intonation, die wir stets gemeinsam üben, zuerst im Chor, dann in kleineren Gruppen, um allmählich zum Einzelsprechen überzugehen. Immer aber bleibt das Satzganze, die einheitliche Klangwelle, der sinnvolle Zusammenhang gewahrt. (Leisinger 1967 : 104) 15 Ces considérations sont influencées, entre autres, par la méthode verbo-tonale  16 , développée par Petar Guberina (cf. Guberina 1970 ; Guberina/ Asp 1981) d’abord en Serbie et après en France où elle est très populaire pendant des années, pour 228 Christiane Fäcke (Augsburg) <?page no="229"?> l’apprentissage de l’oralisation chez les sourds et par la méthode structuro-globale audio-visuelle pour l’enseignement des langues étrangères (cf. Cureau/ Vuletic 1976 : 33 ; Sauvage/ Billières 2019). On travaille entre autres avec des paires minimales (p. ex. / s/ : / z/ et / s/ : / ʃ/ dans douce/ douze et douce/ douche). Dans ces listes-ci on met en opposition la prononciation correcte (θ) et une faute possible de l’élève : (s), (f), (t). […]. On a cru qu’une opposition pareille amènerait inéluctablement l’élève débutant à une prononciation correcte. (Cu‐ reau/ Vuletic 1976 : 34) Cette approche correspond également à une formation explicite de l’audition qui se base sur l’argumentation suivante : Le système verbo-tonal a aujourd’hui une application double : rééducation de l’au‐ dition et correction de la prononciation quand on apprend les langues étrangères. L’une des idées fondamentales du système verbo-tonal, qui lie ces deux domaines apparemment très différents, est que l’oreille normale en contact avec des sons d’une langue étrangère se comporte comme une oreille pathologique : c’est pourquoi la rééducation de l’audition et la correction de la prononciation se font d’après les mêmes principes. (Cureau/ Vuletic 1976 : 35) Ainsi, la prononciation correcte comprend non seulement les aspects linguis‐ tiques, mais aussi les aspects sociolinguistiques et pragmalinguistiques. Le système verbo-tonal, afin de réaliser une audition correcte, utilise des éléments tels que l’intonation, le rythme, les fréquences, la tension et le geste qui constituent l’ensemble de la parole. Il y a différentes interventions, soit au cours de l’émission, soit au cours de la transmission, qui supportent l’audition correcte. La méthode verbo-tonale, bien établie en France, influence également les méthodes de langues dans l’espace germanophone et est largement utilisée dans l’enseignement. 4 L’enseignement de la prononciation selon l’approche communicative Dans les années 1970, les méthodes behavioristes sont progressivement rempla‐ cées par l’approche communicative (cf. Piepho 1979) qui commence à s’établir. Dans les réflexions théoriques et les décisions didactiques concernant la pratique de l’enseignement des langues, l’accent est mis de plus en plus sur une vraie communication, sur les intentions de communiquer et sur le message. Dans le même temps, on considère l’exactitude linguistique et la correction des fautes comme des aspects secondaires. 229 La prononciation dans l’enseignement des langues étrangères <?page no="230"?> Ainsi, la prononciation correcte et la prononciation dans son ensemble sont également considérées comme moins importantes (cf. Leupold 2002 : 234sqq. ; Reimann 2017 : 116). Selon l’objectif clé de la compétence communicative, il est essentiel que le message puisse être compris, ce qu’on considère comme étant possible même en présence d’une prononciation incorrecte (cf. à cet égard les résultats de Pascoe 1987 concernant les leçons d’anglais). Cette évolution peut être retracée dans les manuels scolaires de l’époque. Alors que les manuels de la méthode grammaire-traduction sont encore forte‐ ment orientés vers l’enseignement de la transcription phonétique, les manuels de la méthode audio-visuelle et de l’approche communicative se passent de plus en plus d’une transcription phonétique, ce qui peut être illustré par les extraits suivants. Le manuel Études françaises (cf. Erdle-Hähner 1973) est encore fortement influencé par la méthode audio-visuelle et propose plusieurs exercices du type suivant, dans lesquels, par exemple, il est question de discrimination sonore entre les fricatives labiodentales et alvéolaires, voisées et non-voisées (cf. Fig. 4). Fig. 4 : Symboles phonétiques (Études françaises. Cours de base 1. Erdle-Hähner 1973 : 63) Dans cet extrait, les symboles phonétiques servent à souligner les différences. En outre, on utilise un arc de liaison. Une dizaine d’années plus tard, la transcription phonétique continue à jouer un rôle marginalisé dans les manuels scolaires. Le manuel Échanges (cf. Grunwald et al. 1981) porte sur la préparation à la communication quotidienne dans des situations fictives semi-authentiques. On a pour objectif de pratiquer des conversations de la vie courante puisqu’on estime essentiel de bien maîtriser ces situations, la prononciation correcte étant considérée comme secondaire et subordonnée à la compétence de communication. Pour cette raison, ce manuel ne contient pratiquement plus de transcription dans les textes et les exercices, la transcription de la forme sonore des mots étant réduite à une liste de sons français (cf. Grunwald et al. 1981 : 90) suivie de la traduction du mot en allemand 230 Christiane Fäcke (Augsburg) <?page no="231"?> afin de préparer les élèves à lire et comprendre la transcription phonétique dans le vocabulaire (cf. Fig. 5). Fig. 5 : Leçon 6 (Grunwald et al. 1981 : 105) Même si la formation explicite à la prononciation ne se trouve qu’en très petite quantité dans les manuels scolaires à cette époque, la prononciation continue de faire l’objet de recherches didactiques en langues étrangères. Dans les années 1980, on fait également des études phonétiques empiriques. Les discussions comprennent la question de l’évaluation de la prononciation incorrecte, le problème de l’évaluation des fautes de prononciation - ne pas démotiver les apprenants en corrigeant tous les détails -, ainsi que les critères d’intelligibilité, de prestige social et d’acceptabilité des locuteurs natifs (cf. Dretzke 1985 ; Börner 1989 ; Kucharek 1988). On débat également autour de la question de l’introduction de la représentation écrite (all. Schriftbild) en suivant la formule « Lautbild vor Schriftbild » - « La prononciation avant l’orthographe » (Mindt/ Mischke 1985) ainsi que la lecture à voix haute, qui est fortement remise en question car elle empêche les apprenants de comprendre ce qu’ils lisent (Möhle 1988). Dans le même temps, on attache également beaucoup d’importance à la norme des locuteurs natifs : En effet, la prononciation véhicule la totalité du message oral, et si un francophone peut toujours l’interpréter en dépit de distorsions phonétiques importantes, la com‐ munication en français entre utilisateurs non francophones risque d’être entravée. Il convient donc d’assurer un apprentissage rigoureux : • Des traits spécifiques du phonétisme du français, • De la structuration syntaxico-intonative de l’énoncé, en focalisant l’intérêt sur ce dernier point avant toute chose. […] 231 La prononciation dans l’enseignement des langues étrangères <?page no="232"?> 17 Même si Callamand poursuit une argumentation dans la logique de l’approche com‐ municative, on trouve toujours des indicateurs prouvant l’influence des méthodes behavioristes. Quant aux distorsions de prononciation cf. Galazzi-Matasci/ Pedoya (1983 : 39). 18 ‘Audition (identification et discrimination de l’audition des phonèmes et des éléments suprasegmentaux). Compréhension orale et écrite (compréhension orale et écrite contextuelles, au niveau global et détaillé). Articulation (performance phonétique et phonologique, et suprasegmentale). Expression orale et écrite (manipulation contextuelle linguistiquement correcte des structures syntagmatiques partielles et individuelles et leur intégration dans des contextes complexes, dialogiques et expositifs : disposition active des registres lexicaux ; compétences en matière de traduction). Les compétences linguistiques de base en matière de discrimination et de compréhen‐ sion de l’audition, de phonétique et de structure du discours, … doivent - … devenir disponibles’ (traduction C.F.). Il reste ensuite à rapprocher la production d’un étranger de la qualité de production d’un natif par un traitement approprié des unités phonématiques. (Callamand 1981 : 5sq.) 17 Dans le manuel de la didactique des langues d’Arnold (1973 : 10sq.), dont plusieurs éditions dominent les discours depuis les années 1970, on trouve des explications relativement modernes, semblables aux discours actuels. Il énumère les objectifs d’apprentissage suivants : Audition (identifizierendes und diskriminatives Hören von Phonemen und supraseg‐ mentalen Elementen). Compréhension orale et écrite (kontextuelles Hör- und Leseverstehen, global und detailliert). Articulation (phonetisch-phonologische und suprasegmentale Leistung). Expression orale et écrite (kontextuelles sprachrichtiges Manipulieren von syntagma‐ tischen Teil- und Einzelstrukturen und ihre Integration in komplexe, dialogische und expositorische Zusammenhänge : aktive Verfügung über lexikalische Register ; Übersetzungsfertigkeiten). Die sprachlichen Grundfertigkeiten des diskriminativen und verstehenden Hörens, des phonetisch und strukturell korrekten Sprechens, … müssen -… disponibler Besitz werden. (Arnold 1973 : 10sq.) 18 Dans son approche, Arnold utilise déjà dans les années 1970 une terminologie et une argumentation différenciée. Il prend en compte l’importance de l’écoute et de la lecture pour la prononciation et exige des compétences complexes de compréhension et de production orales comme objectif à transmettre dans l’enseignement des langues. 232 Christiane Fäcke (Augsburg) <?page no="233"?> Son argumentation continue donc à s’affirmer au cours des décennies suivantes. Elle sera reprise dans les approches menant à l’acquisition des compétences au tournant du millénaire. 5 Enseigner la prononciation à travers l’acquisition des compétences La prochaine étape du développement de la didactique des langues étrangères, qui perdure encore aujourd’hui, est déterminée par l’acquisition des compé‐ tences, fortement influencée par les documents clé suivants : le Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues (dorénavant CECRL, Conseil de l’Europe 2001) et les standards éducatifs, précisant les compétences que les apprenants doivent avoir acquises à un certain niveau scolaire et offrant ainsi une norme pour tous les Länder en Allemagne. De plus, on poursuit une approche cognitive, soulignant l’importance des processus mentaux des apprenants pour l’appren‐ tissage des langues, pour l’acquisition de connaissances et de compétences à travers la pensée, l’expérience et les sens. Les processus cognitifs utilisent les connaissances existantes et génèrent de nouvelles connaissances. La logique du CECRL (Conseil de l’Europe 2001) quant à l’enseignement de la prononciation commence par les compétences et, entre autres, par la définition suivante : 5.2.1.4 Compétence phonologique Elle suppose une connaissance de la perception et de la production et une aptitude à percevoir et à produire • les unités sonores de la langue (phonèmes) et leur réalisation dans des contextes particuliers (allophones) • les traits phonétiques qui distinguent les phonèmes (traits distinctifs tels que, par exemple sonorité, nasalité, occlusion, labialité) • la composition phonétique des mots (structure syllabique, séquence des pho‐ nèmes, accentuation des mots, tons, assimilation, allongements) • la prosodie ou phonétique de la phrase (Conseil de l’Europe 2001 : 91) On trouve également dans le Cadre une échelle de compétences, donc une gradation de six niveaux correspondant aux descripteurs suivants (cf. Fig. 6). 233 La prononciation dans l’enseignement des langues étrangères <?page no="234"?> 19 Ursula Hirschfeld analyse la relation entre l’orthographe et la phonétique pour l’alle‐ mand langue étrangère (cf. Hirschfeld 2018). MAÎTRISE DU SYSTÈME PHONOLOGIQUE C2 Comme C1 C1 Peut varier l’intonation et placer l’accent phrastique correctement afin d’exprimer de fines nuances de sens. B2 A acquis une prononciation et une intonation claires et naturelles. B1 La prononciation est clairement intelligible même si un accent étranger est quelquefois perceptible et si des erreurs de prononciation proviennent occasion‐ nellement. A2 La prononciation est en général suffisamment claire pour être comprise malgré un net accent étranger mais l’interlocuteur devra parfois faire répéter. A1 La prononciation d’un répertoire très limité d’expressions et de mots mémorisés est compréhensible avec quelque effort pour un locuteur natif habitué aux locuteurs du groupe linguistique de l’apprenant/ utilisateur. Fig. 6 : Le CECRL, maîtrise du système phonologique (Conseil de l’Europe 2001: 92) Cette gradation est basée sur des critères tels que la compréhensibilité, les com‐ pétences linguistiques, l’accent, les erreurs de prononciation et l’expressivité. Néanmoins, le classement des descripteurs à un certain niveau est également critiqué. La transition d’un niveau à l’autre n’est pas toujours bien claire car les descripteurs n’offrent pas de différenciation précise des niveaux (cf. Mordellet-Roggenbuck 2019 : 79sq.). 19 Dans le CECRL, la question suivante est également posée : Comment peut-on attendre ou exiger des apprenants qu’ils développent leur capacité à prononcer une langue a. par la simple exposition à des énoncés oraux authentiques ? b. par une imitation en chœur (collective) - de l’enseignant ? - d’enregistrements audio de locuteurs natifs ? - d’enregistrements vidéo de locuteurs natifs ? c. par un travail personnalisé en laboratoire de langues ? d. par la lecture phonétique à haute voix de textes calibrés ? e. par l’entraînement de l’oreille et l’exercice phonétique ? f. comme dans d. et e. mais avec l’appui de textes en transcription phonétique ? g. par un entraînement phonétique explicite (cf. 5.2.1.4) ? 234 Christiane Fäcke (Augsburg) <?page no="235"?> 20 L’équivalent du brevet des collèges (Bildungsstandards für den Mittleren Schulabschluss). 21 ‘Prononciation et intonation Les élèves - peuvent comprendre différentes variantes de prononciation de la langue cible, - maîtrisent la prononciation de manière à ce qu’elle ne donne généralement pas lieu à des malentendus, ni au niveau du mot ni au niveau de la phrase, - sont capables de convertir les signes de la transcription phonétique à l’oral.’ (traduc‐ tion C.F.). h. par l’apprentissage des conventions orthoépiques (c’est-à-dire, la prononciation des différentes graphies) ? i. par une combinaison des pratiques ci-dessus ? » (Conseil de l’Europe 2001 : 117) Les méthodes envisagées s’inscrivent dans la tradition des méthodes antérieures en adoptant certains éléments des approches behavioristes et communicatives tels que l’imitation en chœur, le laboratoire de langues ou l’exercice phonétique tandis qu’une approche cognitive est largement négligée. Le CECRL a également de l’impact sur les documents de politique nationale, c’est-à-dire les standards éducatifs et les programmes scolaires en Allemagne, qui poursuivent la logique de l’acquisition des compétences et utilisent égale‐ ment des descripteurs et des niveaux communs de référence. Dans les standards éducatifs pour le certificat de fin d’études secondaires 20 , la prononciation et l’intonation font partie de la disposition des moyens linguistiques, qui, eux, comptent parmi les compétences fonctionnelles de communication (cf. Kultusministerkonferenz 2003 : 8) : Aussprache und Intonation Die Schülerinnen und Schüler • können verschiedenartige Aussprachevarianten der Zielsprache verstehen, • beherrschen die Aussprache in der Weise, dass diese i. d. R. weder auf der Wortnoch auf der Satzebene zu Missverständnissen führt, • können die Zeichen der Lautschrift sprachlich umsetzen. (Kultusministerkon‐ ferenz 2003 : 15) 21 La Kultusministerkonferenz (Conférence des ministres de l’éducation et des affaires culturelles) poursuit cette même logique dans les standards éducatifs pour le baccalauréat en l’adaptant au niveau des apprenants avancés. On y trouve, entre autres, les descripteurs suivants : 235 La prononciation dans l’enseignement des langues étrangères <?page no="236"?> 22 ‘Les élèves peuvent […] - utiliser un répertoire bien établi de modèles de prononciation et d’intonation typiques, montrant une prononciation généralement claire et une intonation appropriée (…). - Les élèves ont une prononciation et un rythme de parole conformes aux normes et sont capables d’utiliser efficacement l’intonation et l’accent dans la communication. - Ils ont la possibilité d’utiliser les éléments prosodiques de manière appropriée. Ils parlent couramment de manière très fluide et ont une bonne maîtrise de la prononcia‐ tion’ (traduction C.F.). 23 De plus, le terme de locuteur natif, utilisé pour évaluer cet objectif, est discutable au regard de la variation en français parlé (cf. Detey 2016). Die Schülerinnen und Schüler können • […] • ein gefestigtes Repertoire typischer Aussprache- und Intonationsmuster ver‐ wenden und dabei eine meist klar verständliche Aussprache und angemessene Intonation zeigen (…). • Die Schülerinnen und Schüler verfügen über eine normgerechte Aussprache und ein angemessenes Sprechtempo und die Fähigkeit, Betonung und Intona‐ tion kommunikativ wirksam einzusetzen. • Sie besitzen die Fähigkeit, prosodische Elemente angemessen einzusetzen. Sie sprechen sehr flüssig und beherrschen die Aussprache sicher. (Kultusminister‐ konferenz 2012 : 20, 63, 138) 22 On ne trouve rien sur les méthodes de l’enseignement de la prononciation dans ce document, car il n’est pas conçu comme un guide didactique destiné à l’en‐ seignement-apprentissage des langues. De plus, il est remarquable de constater que même au niveau C2, il n’y ait aucune tentative d’atteindre la prononciation d’un locuteur natif, ce qui montre bien l’abandon de cet objectif. 23 Normalement, le niveau C2 devrait être atteint au cours des études universitaires, pour le moins dans le cas des universités allemandes. En Autriche, en revanche, le niveau C1 est suffisant pour l’examen de formation des enseignants. Cependant, la didactique des langues discute de nombreuses questions. En tenant compte de l’importance d’une prononciation appropriée pour une com‐ munication réussie, Michler (2017 : 63sqq.) plaide pour un enseignement ciblé et systématique de la prononciation comme partie intégrante de l’enseignement des langues étrangères en critiquant l’enseignement négligé de la prononciation surtout dans les cours de français. Pour enseigner la prononciation, elle appelle à renoncer à l’idéal du locuteur natif dans la phase d’acquisition de la langue. De plus, elle appelle à lier les sons pratiqués isolément dans le but de promouvoir une pratique orale fluide, à coordonner la prononciation et l’orthographe et 236 Christiane Fäcke (Augsburg) <?page no="237"?> à hiérarchiser les contenus d’apprentissage (cf. également Hirschfeld 2018 ; Pustka 2020). Tenant compte des difficultés particulières des élèves allemands (p. ex. les voyelles nasales et la liaison), elle tient également à négliger les sons qui sont les mêmes en allemand et en français et, pour cette raison, ne conduisent pas à des erreurs. Finalement, il faudrait selon elle s’orienter vers l’enseignement d’un français standard et envisager seulement une compétence réceptive des français régionaux, pratiquer une diversité méthodique dans l’enseignement et sensibiliser à l’acquisition des connaissances de base réceptive de la transcription phonétique selon l’API (cf. Michler 2017 : 69sqq. ; cf. également Michel 2006). Mordellet-Roggenbuck (2017 : 80sqq.) appelle également à une meilleure prise en compte de la prononciation et souligne l’effet des accents étrangers, tout en faisant référence à l’association des accents avec les clichés culturels et les questions d’identité du locuteur, qui se manifestent dans l’accent. En outre, une prononciation et une intonation correctes de l’enseignant sont considérées essentielles puisqu’elles sont une condition préalable à l’acquisition d’une bonne prononciation de l’apprenant (cf. Reimann 2017 ; Horvath et al. 2019 ; Mordellet-Roggenbuck/ Settinieri 2020). 6 Conclusion L’aperçu des quatre étapes principales présentées ci-dessus montre dans quelle mesure les méthodes didactiques des langues étrangères marquent également l’enseignement de la prononciation. En outre, il est devenu évident qu’un simple enchaînement de méthodes ne rend pas justice à la complexité des développements. Dans l’ensemble, les liens entre les méthodes sont plus complexes, dans la mesure où les éléments behavioristes et cognitifs se retrouvent côte à côte sous différentes formes dans différentes méthodes. Cela s’applique aux approches plus anciennes et plus encore aux discours actuels, qui consistent en un mélange complexe d’éléments de méthodes antérieures sous couvert d’acquisition des compétences et d’une orientation essentiellement cognitive. Les résultats actuels de la recherche en didactique des langues étrangères démontrent que les questions de prononciation sont toujours pertinentes (cf. p. ex. Mordellet-Roggenbuck/ Settinieri 2020). La prononciation est également abordée dans les textes centraux, tels que le CECRL et les standards éducatifs, une prononciation claire et naturelle des apprenants étant considérée comme un élément important de leurs compétences linguistiques. La recherche axée sur les questions d’une didactique de la prononciation devrait aborder de manière plus 237 La prononciation dans l’enseignement des langues étrangères <?page no="238"?> approfondie les aspects suivants : les différences individuelles de prononciation entre les apprenants, les accents existants qui perdurent ainsi que leurs effets sur les apprenants et sur les membres de la culture cible, considérant ensemble le niveau segmental et suprasegmental, les possibilités de la digitalisation de l’enseignement de la prononciation et, pour terminer, l’enseignement et l’évaluation de la prononciation comme éléments intégrés dans la formation des enseignants. La promotion de la prononciation continue encore aujourd’hui d’être perti‐ nente pour l’apprenant. Il est toutefois important de voir comment l’approche menant à l’acquisition des compétences, hyper-dominante dans les discours actuels, et la négligence des contenus et des connaissances linguistiques qui en résulte seront relativisées à l’avenir. Ce qui compte à présent, c’est la focalisation sur les compétences des apprenants, tandis qu’on ne considère pas les contenus, qui - quant à la compétence phonologique - consistent en un savoir sur les règles de la prononciation française selon une approche normative ainsi que sur les variétés de prononciation selon une approche variationniste. Les deux pôles, la compétence phonologique d’un côté et les savoirs linguistiques de l’autre, forment un ensemble interdépendant. Espérons que la prononciation fera toujours partie intégrante de l’enseignement des langues étrangères. Références Arnold, Werner (1973) : Fachdidaktik Französisch, Stuttgart : Klett. Blume, Otto-Michael et al. (2012) : À plus ! Nouvelle édition. 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Histoire de l’enseignement de la prononciation dans les cours de français langue étrangère en Allemagne Analyse de manuels de didactique du français langue étrangère (fin du XIX ème / début du XX ème siècle) Daniel Reimann (Duisburg-Essen) 1 Introduction Man […] begnügte sich damit, dem Lehrbuche eine Tabelle über die Aussprache voranzustellen, überließ aber im weitern den Schüler seinem Schicksale. […] Mit Recht stellen darum die allgemeinen Bestimmungen obenan die Forderung : ‘Ziel ist richtige Aussprache.’ In den öffentlichen Schulen ist denn auch vieles besser geworden, doch bleibt manches zu wünschen übrig. (Wendt [1888] 2 1895 : 127) 1 Dans son Encyklopädie des französischen Unterrichts (Encyclopédie de l’enseigne‐ ment du français), publiée pour la première fois en 1888, Otto Wendt décrit les développements les plus récents de l’enseignement de la prononciation dans les cours de français à l’école. C’est pourquoi, dans ce qui suit, nous allons retracer dans les grandes lignes la manière dont la prononciation a été à plusieurs reprises un obstacle sur la voie de la compétence communicative (fonctionnelle) au cours des siècles. Dans l’histoire de l’enseignement et de la didactique des langues étrangères, la prononciation a été l’un des rares domaines où les écoles ont pu clairement porter leurs besoins et leurs problèmes à l’attention de l’université. Le mouvement de réforme de l’enseignement des langues étrangères (all. neusprachliche Reformbe‐ wegung) du XIX ème siècle, aboutissant à la ‘méthode directe’ (all. direkte Methode), <?page no="244"?> 2 « Cependant, il est nécessaire et également possible d’enseigner aux élèves allemands une telle prononciation du français pour que ceux-ci puissent être compris sans difficulté à l’étranger, et qu’ils n’écorchent, ni ne blessent l’oreille du Français cultivé en prononçant mal. » (Wendt 2 1895 : 128). cherchait des outils permettant aux enseignants d’apprendre et d’enseigner correctement la prononciation. Elle a ainsi contribué durablement à l’émergence de la phonétique et au développement de l’Alphabet Phonétique International (API) (cf. par exemple Galazzi 2000 : 500, 502 ; Durand 2005 : 2). On peut déjà lire dans l’Encyclopédie de l’éducation française citée plus haut : Wohl aber ist es nötig und auch möglich, deutschen Schülern eine solche Aussprache des Französischen anzueignen, daß sie im Auslande ohne Mühe verstanden werden, und daß sie das Ohr des gebildeten Franzosen nicht durch Mißtöne beleidigen und verletzen. (Wendt 2 1895 : 128). 2 L’orientation vers l’oralité, au sein de laquelle la prononciation joue un rôle central et qui a fait l’objet de recherches scientifiques à la même époque, repré‐ sente donc une caractéristique essentielle du développement de l’enseignement des langues étrangères (et ici, en particulier du français) à la fin du XIX ème et au début du XX ème siècle. Dans ce contexte, cette contribution vise à approfondir l’histoire de l’ensei‐ gnement de la prononciation dans l’enseignement du français au cours de la période en question. Dans une autre publication, j’ai présenté une analyse historique sélective de manuels scolaires du français, de l’espagnol et de l’italien comme langues étrangères pour la période allant de 1885 à 2012 (Reimann 2016a : 4-30). J’ai tenté d’y retracer l’évolution de l’entraînement à la prononciation à cette période (et au-delà) en m’appuyant sur des manuels destinés aux élèves. À cet égard, la présente étude se considère comme une continuation partiellement complémentaire de l’enquête susmentionnée, qui à travers un dépouillement précis de ces sources tente de combler une lacune de la recherche historique sur la didactique et l’enseignement du français en Allemagne. 2 Question et méthode de recherche Cet article présentera donc les résultats d’une étude dans laquelle sont exami‐ nées des présentations introductives ou bien des manuels de didactique du français langue étrangère destinés aux (futurs) enseignants de français en Allemagne. Pour être précis, il faudrait parler d’une didactique ante litteram ou au moins ante institutionem, c’est-à-dire des usuels publiés bien avant l’ancrage institutionnel de la didactique à partir des années 1960 (cf. par exemple Reimann 244 Daniel Reimann (Duisburg-Essen) <?page no="245"?> 2018 : 123, 144). Ces publications servent de sources historiques contemporaines afin de comprendre comment l’enseignement de la prononciation y est conçu. L’accent sera mis en particulier sur le statut de l’enseignement de la pronon‐ ciation, les contenus proposés pour l’enseignement de la prononciation, les principes ainsi que les médias et méthodes utilisés pour l’enseignement de la prononciation. L’article examinera également comment la formation des enseignants pour l’enseignement de la prononciation y sont abordées. L’étude est fondée sur l’hypothèse selon laquelle des manuels et des usuels d’introduction à la didactique peuvent représenter des sources appropriés pour l’étude historique sur la didactique, dans la mesure où des tendances générales et des discours particuliers contemporains se cristallisent dans cette sorte de publications et que ces mêmes manuels peuvent avoir une influence sur le développement du discours, et, par là, aussi sur le développement de l’enseigne‐ ment. Ainsi reflètent-ils indirectement la réalité historique de l’enseignement sur deux niveaux (niveau du développement du métadiscours de la didactique, niveau de l’enseignement destiné aux élèves). Il va sans dire que l’on ne prend alors en compte qu’un extrait de la réalité historique et qu’une analyse d’autres documents serait nécessaire afin de se faire une idée plus complète. Pour la présente étude, je me suis limité à la période allant de 1888 (première publication de l’Encyklopädie de Wendt) à la Seconde Guerre mondiale. Dans ce cadre, je me suis appuyé sur le corpus préparé pour l’étude de Reimann 2018, complété par une introduction dans le sens de la méthode dite ‘active’ (respectivement ‘mixte’ ou ‘éclectique’) (all. vermittelnde Methode) (Thiergen 1903). Aronstein 1921 a été laissé de côté, car il ne traite pas spécifiquement de l’entraînement à la prononciation ; prendre en compte Otto 1921 aurait dépassé le cadre de cet article et fera donc l’objet d’une autre étude. Ce corpus a été examiné selon les catégories précitées, dérivées de manière déductive à partir du discours didactique actuel et complétées par des (sous-)catégories obtenues de manière inductive à partir des textes. Dans la première phase de l’étude, les manuels respectifs ont été examinés en détail sous forme d’analyses de cas, avant qu’une analyse systématique, synoptique et transversale de l’ensemble du corpus n’ait été réalisé. Le présent article présente cette deuxième partie de l’étude ; il doit être lu comme un complément aux tableaux synoptiques intégrés dans le texte, et dans lesquels les résultats ont été successivement intégrés. Il s’agit donc d’une étude herméneutique historique en didactique des langues étrangères, qui, surtout dans les études de cas, était dans un premier pas basée sur des procédures de lecture attentive (close reading), mais qui a également adopté des méthodes de la recherche sociale qualitative (par exemple de l’analyse de contenus) dans sa partie systématique et synoptique 245 Histoire de l’enseignement de la prononciation <?page no="246"?> 3 « On sous-estimait la différence du monde phonétique français comparé à celui du monde autochtone, on considérait que ce qui était en fait éloigné était trop proche et on pensait qu’on pouvait l’atteindre avec un effort modéré. Le fait que les mots français ‘se prononcent et s’écrivent différemment’, comme on a pu l’exprimer de façon naïve, ne semblait déranger que très marginalement au début du cours d’apprentissage, une sorte de mauvaise habitude de cette langue, qui retirait du temps à l’étude approfondie de la grammaire et duquel il fallait s’accommoder. » (Münch 1910 : 23). (pour une introduction concise à la recherche historique sur l’enseignement des langues étrangères, voir Klippel/ Kolb/ Ruisz 2016 et Klippel/ Ruisz 2020, en particulier 14 sqq. les articles 14 et suivants sur l’adoption de plusieurs approches méthodologiques dans l’interprétation des sources). 3 Les résultats Les introductions à la didactique du français qui ont été examinées ont été écrites sous l’impression - en partie encore directe (notamment Wendt 1888, Münch 1895) - de la constitution de la discipline de la phonétique, discipline à l’époque très jeune qui réussissait à s’établir en très peu de temps (cf. par exemple, d’un point de vue contemporain, Wendt 1895 : 81-112, pour une introduction chronologique précise v. aussi Pancarelli-Calzia 1941 : notamment 45-65). Les acquis de la phonétique ont été largement reçus et rapidement adaptés aux besoins des écoles. Les auteurs des manuels de didactique du français publiés à la fin du XIX ème et au début du XX ème siècle s’accordent à dire que l’on a trop peu prêté attention à la prononciation dans le passé (ici, le passé est surtout considéré comme l’époque précédant l’établissement de la phonétique comme science et avant une formation institutionnalisée des professeurs de langues étrangères ; Münch 1895 se réfère également à l’époque des maîtres de langues). Münch 1895 souligne également que dans le passé, les différences subtiles entre l’allemand et le français, surtout au niveau ségmental, étaient parfois délibérément ignorées et que la prononciation des élèves allemands était pire que celle des élèves d’autres nations. Man schlug die Verschiedenheit der französischen Lautwelt von der heimischen zu gering an, sah das tatsächlich Ferne zu nahe und glaubte es mit mäßiger Bemühung zu erreichen. […] Daß die französischen Wörter ‘anders gesprochen werden als geschrieben’, wie die naive Ausdrucksweise lautet, galt als eine kleine Störung zu Eingang des Lernkursus, gewissermaßen als eine Unart dieser Sprache, die dem einzig wichtigen Ziele der grammatischen Durchdringung ein Maß von Zeit entziehe und mit der man sich abfinden müsse. (Münch 1910 : 23) 3 246 Daniel Reimann (Duisburg-Essen) <?page no="247"?> 4 « Le besoin de conversion a été éveillé par diverses influences. La recherche scientifique s’est emparée du domaine physiologique de la production du langage, […] l’intensifi‐ cation des contacts entre les membres des différentes nations a fait émerger dans de nombreux cas le sentiment de notre insuffisance ; car il est aussi devenu tout à fait sensible que nous étions en retrait par rapport aux membres de la plupart des autres nations européennes […] L’aspiration purement pédagogique n’a pas au moins contribué à enfin fixer des objectifs toujours plus véritables à l’enseignement […]. » (Münch 1910 : 23sq.). 5 « En ce qui concerne l’utilisation de la physiologie phonétique pour soutenir une bonne prononciation à ce niveau, les avis du corps enseignant divergent encore considérablement à l’heure actuelle. Alors que certains ne peuvent se décider à l’utiliser dans les cours pour débutants, d’autres y voient un grand avantage. Il faut bien sûr prendre en compte que les écoles où les premiers enseignent ne proposent pas de latin alors que les langues anciennes sont enseignées dans les écoles où les seconds donnent des cours. » (Wendt 1895 : 130). Outre le développement de la phonétique, l’augmentation des contacts inter‐ nationaux et l’émergence d’une relation plus forte entre l’enseignement des langues étrangères et la réalité quotidienne, issue du mouvement réformiste, sont les facteurs essentiels qui contribuent à ce que plus d’attention soit prêtée à l’enseignement de la prononciation : Das Bedürfnis der Umkehr ward durch verschiedene Einflüsse geweckt. Naturwis‐ senschaftliche Forschung bemächtigte sich des physiologischen Gebiets der Spracher‐ zeugung, […] Gesteigerte Berührung der Angehörigen der verschiedenen Nationen ließ die Empfindung unserer Unzulänglichkeit vielfach auftauchen ; denn auch daß wir hinter den Mitgliedern vielleicht der meisten andern europäischen Nationen hier zurückstanden, wurde reichlich fühlbar. […] Nicht zum mindesten endlich wirkte mit das rein pädagogische Streben, dem Unterricht immer echtere Ziele zu setzen […]. (Münch 1910 : 23sq.) 4 Dans les différents ouvrages, chaque auteur fait référence à différentes positions sur la phonétique et sur l’intégration de ses acquis dans les cours de français et présente sa propre position face aux différentes approches. Les écoles dites ‘sans latin’, en particulier, s’opposeraient à l’intégration des nouvelles connais‐ sances issues de la phonétique, tandis que les lycées (humanistes), notamment, s’exprimeraient en faveur de la phonétique (Wendt 1888) : Hinsichtlich der Verwendung und Verwertung der Lautphysiologie zur Förderung der guten Aussprache auf dieser Stufe gehen die Ansichten der Schulmänner gegenwärtig noch weit auseinander. Während die eine Richtung sich nicht entschließen kann, dieselbe im Elementarunterrichte heranzuziehen, verspricht sich die andere großen Gewinn von derselben. Freilich kommt hierbei in Betracht, daß erstere mehr die lateinlose, letztere die in alten Sprachen unterrichtende Schule im Auge hat. (Wendt 1895 : 130) 5 247 Histoire de l’enseignement de la prononciation <?page no="248"?> 6 « En raison des règlements officiels plus récents […] un ‘rapide cours de propédeutique’ visant l’introduction de la prononciation est requis, sanctionnant ainsi officiellement mon point de vue proposant une médiation que j’exprime depuis des années et suis dans la pratique. Ce cours d’introduction ne doit en aucun cas consister en un exposé détaillé de règles théoriques et en une étude approfondie des organes de la parole et des sons qu’ils produisent, mais doit servir avant tout à la formation des organes de l’ouïe et de la parole, nous serons néanmoins libres de donner des instructions courtes et claires sur la connexion de lèvres, dents, langue et au niveau de la luette, si nous parvenons plus rapidement et plus sûrement à notre but via une telle instruction théorique, plutôt qu’en lisant à voix haute et en récitant. » (Wendt 1895 : 132). Les auteurs préconisent tous l’approche d’une introduction précoce à la pronon‐ ciation, également dans le sens d’un cours propédeutique sur la prononciation (explicitement Wendt 1888, Münch 1895), mais plaident pour une primauté de la pratique sur la théorie et, par la suite, pour un enseignement modéré de la théorie phonétique à l’école, dans lequel la théorie ne devrait soutenir que l’acquisition pratique de la prononciation (Wendt 1888, Münch 1895, Thiergen 1903). Wendt le formule comme suit : Durch die neueren amtlichen Bestimmungen […] ist ein ‘kurzer propädeutischer Kursus’ zur Einführung der Aussprache geboten, somit meine schon vor Jahren ausgesprochene und praktisch befolgte, einen Vermittlungsvorschlag darstellende Ansicht amtlich sanktioniert. Soll dieser einleitende Kursus auch keineswegs in einer umfangreichen Darlegung theoretischer Regeln und in einer begründenden Untersuchung der Sprachorgane und der durch sie hervorgebrachten Laute bestehen, sondern vornehmlich der Ausbildung der Hör- und Sprachorgane dienen, so wird es uns doch unbenommen sein, kurze und klare Belehrungen über Lippen-, Zahn-, Zungen- und Zäpfchenverbindung zu geben, falls wir durch solche theoretische Belehrung schneller und sicherer zum Ziele gelangen, als durch bloßes Vor- und Nachsprechen. (Wendt 1895 : 132) 6 Tous les manuels étudiés rejettent l’approche radicale de la ‘réforme’ qui consiste à n’enseigner que la prononciation et la transcription phonétique dans un premier temps et l’orthographe seulement par la suite. Ils recommandent plutôt une introduction précoce de l’orthographe accompagnée seulement d’une utilisation sélective de la transcription phonétique (Wendt 1888, Münch 1895, Schmidt 1932) : Wir erklären uns für behutsame, wohlüberlegte Anwendung der Lautschrift und ziehen dann die Wortbilder vor, die bei möglichster Veranschaulichung des fremden Klanges am meisten von dem richtigen abweichen, warnen aber vor der allzu ausgedehnten Anwendung, insbesondere bei jungen Schülern […] Zwar wollen 248 Daniel Reimann (Duisburg-Essen) <?page no="249"?> 7 « Nous nous déclarons en faveur d’une utilisation réfléchie et prudente de l’écriture phonétique, et nous préférons les mots images qui, avec la plus grande illustration possible du son étranger, s’écartent le plus du son correct, mais nous mettons en garde contre une utilisation trop extensive, surtout avec les jeunes élèves […] Nous ne voulons certes en aucun cas sous-estimer les avantages de l’écriture phonétique utilisée par les réformateurs. Il faut toutefois toujours être conscient que son utilisation n’est qu’un moyen de parvenir à ses fins, mais jamais une fin en soi. (Wendt 1895 : 131, 135, voir aussi Wendt 1895 : 132, 134). 8 « Afin de suffisamment reconnaître la portée d’une prononciation correcte, imaginons un étranger, ou un provincial, qui parle mal l’allemand et écorche donc constamment notre oreille, ou un pianiste qui ne tient pas compte de la tonalité, jouant par exemple constamment le bémol-majeur au lieu du mi bémol et du ré bémol. Et pourtant, c’est encore bien pire avec le langage, car aux tourments causés à l’oreille s’ajoutent les embarras provoqués par les malentendus. » (Wendt 1895 : 127sq.). wir keineswegs die Vorteile der von den Reformern herangezogenen phonetischen Lautschrift unterschätzen. Doch sollte man sich bei deren Anwendung immer bewußt bleiben, daß sie nur Mittel zum Zweck, niemals aber Selbstzweck sein darf. (Wendt 1895 : 131, 135, voir aussi Wendt 1895 : 132, 134) 7 Thiergen 1903 plaide même pour l’utilisation de symboles référés à la prononcia‐ tion, à intégrer dans l’écriture orthographique, et qui n’affectent l’orthographe que d’une manière insignifiante (Thiergen 1903) (sur l’état actuel de la recherche concernant la relation complexe entre l’orthographe et la prononciation, cf. récemment Pustka 2020). L’importance que l’on attribue aux fondements physiologiques et au son de la langue est évidente lorsque Wendt 1888 ainsi que Münch 1895 et Schmidt 1932 comparent ou mettent en relation l’entraînement à la prononciation avec les domaines de la musique et du sport. Wendt, par exemple, écrit : Um die ganze Tragweite einer korrekten Aussprache genügend zu würdigen, verge‐ genwärtige man sich einen Ausländer, oder einen Provinzialen, welcher das Deutsche mangelhaft spricht und dadurch unser Ohr fortgesetzt beleidigt, oder einen Klaviers‐ pieler, welcher die Tonart nicht berücksichtigt, also z. B. as-dur beständig d und e statt es und des spielt. Und doch ist es bei der Sprache noch weit schlimmer, da zu der dem Ohre verursachten Pein noch die durch Mißverständnisse herbeigeführten Verlegenheiten kommen. (Wendt 1895 : 127sq.) 8 Et Münch indique : Es muß deshalb auf allen Stufen in den Schülern von Beginn jeder französischen Stunde an das Gefühl wach gehalten werden, daß es sich nun um eine körperliche Zusammenfassung handle ähnlich wie beim Singen und beim Turnen ; ebenso fest beherrscht und von der gewohnten Rede abweichend wie beim Singen muß hier die 249 Histoire de l’enseignement de la prononciation <?page no="250"?> 9 « Il faut donc, dès le début de chaque leçon de français, maintenir chez les élèves à tous les niveaux le sentiment qu’il s’agit désormais d’un résumé physique comparable au chant et à la gymnastique ; la voix doit rester tout aussi fermement maîtrisée et s’écarter du discours habituel comme dans le chant, et elle doit être tout aussi tendue et fermement contrôlée comme les muscles en gymnastique ; en fait, il s’agit d’une sorte de gymnastique orale. » (Münch 1910 : 37sq.). 10 « Mais au fond, une formation spirituelle estimable se déroule même dans ces maté‐ riaux apparemment non spirituels : l’attention, le discernement, l’introspection et l’autodiscipline sont très spécifiquement sollicités ; et si, grâce à ces exercices, le sens du son linguistique et de l’euphonie ainsi que d’une prononciation soignée en général est éveillé, alors cela constitue une contribution à l’éducation personnelle non négligeable. » (Münch 1910 : 35sq.). Stimme bleiben, und ebenso straff gespannt und fest beherrscht wie beim Turnen die Muskeln ; um eine Art von Mundturnen handelt es sich in der Tat. (Münch 1910 : 37sq.) 9 Dans ces comparaisons et ces images, on présente soit les résultats de l’entraî‐ nement à la prononciation - une mauvaise prononciation conduirait à des ‘faux sons’ (all. Mißtöne) (Wendt 1895 : 128) et une bonne prononciation ressemblerait à de la musique - soit le côté technique de l’entraînement (piano, exercices avec les doigts, chant respectivement natation et gymnastique) (Wendt 1888, Münch 1895, Schmidt 1932). Outre son importance pour la compétence linguistique, Wendt 1888, et sur‐ tout Münch 1895, ont formulé l’importance de l’entraînement à la prononciation pour les objectifs éducatifs, et ont considéré que les domaines de l’attention, de la discrimination, de l’(auto)discipline, d’un sens pour la sonorité des langues ainsi qu’un sens de l’euphonie y étaient abordés : Aber im Grunde findet eine schätzbare geistige Schulung auch schon an diesen anscheinend ungeistigen Stoffen statt : Aufmerksamkeit, Unterscheidungsvermögen, Selbstbeobachtung und Selbstzucht werden sehr bestimmt in Anspruch genommen ; und wenn durch diese Übungen der Sinn für sprachlichen Klang und Wohlklang sowie für sorgfältige Aussprache überhaupt geweckt wird, so ist das ein gar nicht zu verachtender Beitrag zur persönlichen Bildung. (Münch 1910 : 35sq.) 10 Les principaux résultats de l’étude sur l’importance accordée à l’entraînement de la prononciation dans les différentes introduction à la didactique du français peuvent être résumés sous forme de tableau comme suit : 250 Daniel Reimann (Duisburg-Essen) <?page no="251"?> aspects mentionnés Wendt [1888] 2 1895 Münch [1895] 3 1910 Thiergen 1903 Schmidt 1932 histoire de l’enseignement du français dans les écoles (depuis le début du XIX ème siècle) pas/ trop peu de considération x x x x négligence des différences entre l’alle‐ mand et le français x résultats moins bons par rapport à l’étranger x raisons pour lesquelles on s’est tourné vers la prononciation depuis la fin du XIX ème siècle contacts internationaux en augmenta‐ tion x phonétique, développement de la x orientation vers le quotidien dans l’en‐ seignement des langues x comparaison de la formation à la prononciation avec MUSIQUE x x x mauvaise prononciation considérée comme étant discordante/ embarras‐ sante x x une bonne prononciation comme de la musique x exercices avec les doigts x piano x chant x SPORT x x x gymnastique x natation x importance pour le développement des compétences en langues étrangères base de la compréhension et de l’ex‐ pression x rapport étroit entre prononciation et sens/ contenu x 251 Histoire de l’enseignement de la prononciation <?page no="252"?> 11 Thiergen 1903 le formule comme suit : « Der Diphthong ie darf auf keinen Fall einen j-Laut zeigen, den das Französische überhaupt nicht kennt und dessen Hervorbringung gleich dem deutschen ch-Laute dem Franzosen beim Deutschlernen unendliche Schwie‐ rigkeiten bereitet. Man lasse also im Anfang i scharf getrennt von e sprechen in bien, fier, pied und erst allmählich eine Verschleifung in beiden Lauten eintreten, doch nie so scharf, daß ein Reibelaut (j) entsteht. » (Thiergen 1903 : 34sq.)./ « La diphtongue ie ne doit en aucun cas présenter un son-j, que le français ne connaît pas du tout et dont la production, comme le son-ch allemand, cause des difficultés interminables aux Français dans l’apprentissage de l’allemand. Ainsi, au début, le i doit être prononcé nettement séparé du e dans bien, fier, pied, et ce n’est que progressivement qu’un relâchement se produit dans les deux sons, mais jamais de façon si nette qu’une fricative (j) soit produite. (Thiergen 1903: 34sq.). importance pour les objectifs globaux de l’éducation et de formation attention x x discernement x autodiscipline x auto-observation x sens du son linguistique x sens de l’euphonie x Tab. 1 : Importance de la formation à la prononciation Concernant le contenu de l’entraînement à la prononciation, les résultats de la phonétique sont explicitement évoqués plus en détail par certains auteurs et moins en détails par d’autres (Wendt 1888 et Münch 1895, contre Thiergen 1903 et Schmidt 1932) (cf. tableau 2). Wendt 1888 décrit de façon très détaillée la répartition des contenus phonétiques entre les niveaux inférieur, moyen et supérieur. Tous les auteurs s’accordent à dire que l’entraînement à la pronon‐ ciation doit commencer dès les premières leçons et être répété et approfondi tout au long du cours de langue. Il est frappant, et quelque peu intéressant en termes non seulement d’his‐ toire de la didactique, mais aussi d’histoire de la langue française, que des phénomènes généralement peu pris en compte dans l’enseignement aujourd’hui soient encore présentés comme contenu obligatoire de l’enseignement de la prononciation : quatre voyelles nasales (tous les auteurs), articulation de / J/ comme [i] plutôt que [j] (Münch 1895, Thiergen 1903) 11 , [ɑ] (Münch 1895). D’autres aspects, tels que la distinction explicite de trois degrés d’ouverture dans / E/ , / O/ et dans / Œ/ (Münch 1895, cf. Thiergen 1903), le traitement de 252 Daniel Reimann (Duisburg-Essen) <?page no="253"?> 12 « la distinction réelle des trois sons-ö en jeune, creux, peur, des trois sons-o en robe, rose, cor, et la distinction correspondante également entre les trois sons-e, notamment le fermé, l’abondamment représenté demi-ouvert et l’ouvert en même, père. » (Münch 1895 : 27sq.). 13 « La tendance actuelle dans le langage familier se situe contre la liaison (n’est pas concernée, bien sûr, la liaison obligatoire des voyelles en hiatus ! ) Dans la lecture et la récitation, beaucoup plus de liaisons apparaissent, surtout en vers. […] - Dans l’enseignement, il faut veiller à ce que la liaison ne soit pas demandée de façon pédante, mais qu’elle serve de moyen à relier des groupes rythmiques de manière musicalement correcte. » (Schmidt 1932, 13). [f], [m], [n] et / R/ dans le son final (Münch 1895), qui pourrait encore être traité spécifiquement aujourd’hui, indiquent également une grande sensibilité phonétique de la part des auteurs. Münch 1895, par exemple, écrit à propos des trois degrés d’ouverture : die wirkliche Unterscheidung der drei ö-Laute in jeune, creux, peur, der drei o-Laute in robe, rose, cor, und die entsprechende Unterscheidung auch zwischen drei e-Lauten, nämlich dem geschlossenen, dem reichlich vertretenen halboffenen und dem offenen in même, père. (Münch 1895 : 27sq.) 12 Des termes et des phénomènes tels que la chaîne parlée, les groupes rythmiques, l’harmonie vocalique ou la loi des trois consonnes sont considérés comme allant de soi et leurs implications pour l’enseignement du français font l’objet d’une réflexion approfondie. Il est frappant de constater que Wendt 1888 présente encore de nombreux exemples de réalisations de liaison qui même à l’époque étaient très savantes comme pertinentes pour l’enseignement, alors que Münch 1895 signale déjà une utilisation décroissante en France même et que Schmidt 1932, par exemple, peut de son tour confirmer cette évolution une bonne quarantaine d’années plus tard : Die heutige Tendenz in der Umgangssprache geht gegen die Bindung (unbeschadet natürlich der obligatorischen Bindung der Vokale im Hiatus ! ). Beim Lesen und Rezitieren erscheinen viel mehr Bindungen, besonders in Versen. […] - Im Unterricht ist darauf zu achten, daß die Bindung nicht pedantisch verlangt wird, sondern als Mittel dient zur wirklichen, auch musikalisch richtigen Verbindung der rhythmischen Gruppen. (Schmidt 1932 : 13) 13 Les aspects de la prosodie, y compris l’accent d’insistance, sont pris en compte, mais de façon moins approfondie que le niveau segmental (par exemple, Wendt 1888, Münch 1895, Schmidt 1932). 253 Histoire de l’enseignement de la prononciation <?page no="254"?> 14 « deuxièmement, qu’il [ici, le professeur] l’applique parfois lui-même, en fonction du développement progressif des élèves et du caractère matériel de l’exercice de prononciation [ici, la prononciation familière], en habituant leur ouïe à elle et peut-être en encourageant les élèves plus doués à l’imiter, […] » (Münch 1910 : 30). 15 « Le Prussien de l’Est et de l’Ouest mènera une lutte acharnée contre les nasales dans la langue française, l’Allemand du Centre, en particulier le Saxon et le Thuringien, devra séparer nettement les fricatifs et les occlusifs, en particulier s, ss, p, t, c de ṡ, b, d, g dans les deux nouvelles langues étrangères, et l’Allemand du Sud devra s’efforcer d’obtenir la pureté des voyelles. » (Thieren 1903 : 31). Il est intéressant de noter que les discussions qui ont surgi à l’époque autour d’une prise en compte d’une prononciation familière dans les cours de français langue étrangère en Allemagne sont reprises et discutées dans Münch 1895. Münch 1895 lui-même préconise une utilisation modérée de la prononciation familière, par exemple par le professeur, afin que les élèves soient confrontés de manière réceptive à ce genre de phénomènes. Pour le domaine de la production, il prend le standard académique comme objectif et recommande que, tout au plus, les apprenants très avancés soient également dirigés vers une prononciation légèrement familière au niveau productif : daß er [sc. der Lehrer] zweitens auch nach Maßgabe der fortschreitenden Entwicklung der Schüler und dem stofflichen Charakter der Sprechübung sie [sc. die umgangss‐ prachliche Aussprache] selbst gelegentlich anwende, ihr Gehör daran gewöhne und vielleicht gewandtere Schüler zur Nachahmung anrege, […]. (Münch 1910 : 30) 14 Il est également frappant de constater que les introductions à la didactique du français publiés à la fin du XIX ème siècle traitent de nombreuses difficultés de prononciation du français spécifiques à différentes régions d’Allemagne. Conformément à l’origine des auteurs, il est surtout fait référence aux va‐ riétés d’Allemagne centrale et du Nord (notamment Wendt 1888, Münch 1895, Thiergen 1903), par exemple : Es wird der Ost- und Westpreuße einen grimmen Kampf mit dem Nasallaute im Französischen, der Mitteldeutsche, insbesondere der Sachse und Thüringer, in beiden neueren Fremdsprachen die stimmhaften und stimmlosen Reibe- und Verschlußlaute, vor allem s, ss, p, t, c von ṡ, b, d, g scharf zu trennen und der Süddeutsche Vokalreinheit anzustreben haben. (Thieren 1903 : 31) 15 Tous les auteurs étudiés s’accordent à dire que la phonétique est fondamentale en tant que discipline scientifique de référence, mais qu’elle ne doit pas devenir un but en soi en tant que contenu de l’enseignement. C’est plutôt la pratique de la prononciation qui, selon les manuels examinés, devait être au premier plan de l’enseignement (Wendt 1888, Münch 1895, Thiergen 1903). Les découvertes en 254 Daniel Reimann (Duisburg-Essen) <?page no="255"?> 16 « Dans ce contexte, j’attire l’attention sur la place importante que l’imitation occupe encore dans l’enseignement du chant, malgré tous les efforts pour le fonder sur des bases scientifiques. Mais de même que l’on doit d’abord apprendre à entendre en musique, il en va de même pour l’enseignement des langues. » (Schmidt 1932 : 15) phonétique étaient tout de même pertinentes pour l’enseignement, surtout en ce qui concerne les domaines de la physiologie et de l’articulation du son ainsi que de la transcription phonétique. Les résultats respectifs devraient également être explicitement intégrés dans les cours de français en tant qu’aides cognitives pour soutenir la pratique (Münch 1895, Thiergen 1903). D’après Wendt 1888 et Münch 1895, certains résultats de la phonétique, qui ne sont pas encore considérés comme certains, ne devraient pas être intégrés dans l’enseignement. En ce qui concerne les principes et les méthodes de l’entraînement à la prononciation, on peut noter certaines approches de base communes ainsi que certaines approches divergentes dans les travaux examinés : tous les auteurs situent l’apprentissage de la prononciation dès le début et tout au long du cours de langue. Wendt 1888 et Münch 1895 soulignent que le perfectionnement de la prononciation est essentiellement un apprentissage tout au long de la vie, même au-delà de l’école. Les principes suivants de la psychologie de l’apprentissage et de l’enseignement sont mentionnés : Wendt 1888 formule, par rapport à la prononciation, une dichotomie entre les connaissances et les capacités, il se réfère donc à la différence entre connaissance déclarative et procédurale ante litteram. Schmidt 1932 formule explicitement ‘l’imitation et l’analyse’ (Schmidt 1932 : 15) comme principes de base de l’enseignement-apprentissage de la prononciation et rappelle en particulier l’importance de l’imitation : Ich weise in diesem Zusammenhang darauf hin, welchen bedeutenden Platz die Nachahmung nach wie vor im Gesangunterricht einnimmt, trotz aller Versuche wissenschaftlicher Basierung. Wie man aber in der Musik das Hören erst lernen muß, so im Sprachunterricht. (Schmidt 1932 : 15) 16 Implicitement, ces deux principes sont également partagés par les autres au‐ teurs. Dans un cas, il est explicitement discuté que l’enseignement monolingue dans la langue cible pourrait être bénéfique pour l’entraînement à la prononcia‐ tion (Münch 1895) : […] dasjenige Verfahren, welches ganz ohne die Muttersprache auszukommen sucht, hat sicherlich in Rücksicht auf die Aussprache großen Vorteil. Aber auch wo man auf die regelmäßige Hilfe der Muttersprache nicht verzichtet, soll man wenigstens nicht denselben Schüler Deutsch und Französisch dicht nacheinander aussprechen lassen ; 255 Histoire de l’enseignement de la prononciation <?page no="256"?> 17 « […] la méthode qui essaie de se passer de la langue maternelle a certainement un grand avantage en ce qui concerne la prononciation. Mais même dans le cas où l’on ne se dispense pas de l’aide régulière de la langue maternelle, on doit au moins éviter de faire prononcer l’allemand et le français par le même élève ; on peut éviter cela en distribuant les rôles à différents élèves, ce qui en tout cas anime la leçon. » (Münch 1910 : 38) 18 « La précision phonétique ne peut fonctionner que sur des textes compris, vraiment saisis. Le problème ne concerne donc pas la phonétique abstraite, mais la présentation du conte-nu linguistique en général. Il est absurde de consacrer des mois à une introduction phoné-tique de la langue pour ne s’intéresser qu’ensuite à l’expression. La phonétique et l’expression sont indissolublement liées et traversent ensemble les différents stades de développement. » (Schmidt 1932 : 18sq.) man kann das vermeiden durch Verteilen der Rollen an verschiedene Schüler, was ja ohnehin den Unterricht belebt. (Münch 1910 : 38) 17 Dans le dernier ouvrage examiné (Schmidt 1932), l’illustration en contexte, c’est-à-dire un support par la mémoire épisodique (à nouveau ante litteram), est décrite à un moment donné. Tous les auteurs font également référence à la motivation engendrée par le plaisir évoqué par l’enseignement et l’acquisition de la prononciation, qui sont conçus comme étant réalisables, entre autres, par le professeur ou bien des élèves forts agissant comme modèles, par des invités français ou par les assistants de langue étrangère, ainsi que par la vitesse et la spontanéité, le caractère ludique et compétitif de l’enseignement, et par l’activation du plus grand nombre d’élèves possible (Wendt 1888, Münch 1895, Thiergen 1903). Münch 1895 et surtout Schmidt 1932 mettent également l’accent sur un enseignement de la prononciation dans des contextes qui ont, pour les élèves, un sens en termes de contenu et sur la motivation qui en résulte. Pour Schmidt 1932 en particulier, dans le cadre de sa ‘méthode prospective’ (prospektive Methode) basée sur la théorie de l’éducation (Schmidt 1932 : 3), il est essentiel que la prononciation et une production orale qui ait des contenus aillent de pair, car selon lui, une prononciation adéquate n’est possible que si l’on est clair sur le sens : Die phonetische Genauigkeit kann sich nur an verstandenen, wirklich erfaßten Texten betätigen. Das Problem liegt also nicht bei der abstrakten Phonetik, sondern bei der Darbietung des Sprachgutes überhaupt. Es ist ein Unding, eine monatelange Einführung in die Sprache als Klang und dann in eine neue Sprache als Ausdruck vor‐ zunehmen. Phonetik und Ausdruck sind unlösbar verbunden und machen zusammen die verschiedenen Entwicklungsstufen durch. (Schmidt 1932: 18sq.) 18 Les résultats de l’étude sur le contenu de l’enseignement de la prononciation sont résumés dans le tableau suivant : 256 Daniel Reimann (Duisburg-Essen) <?page no="257"?> aspects mentionnés Wendt [1888] 2 1895 Münch [1895] 3 1910 Thiergen 1903 Schmidt 1932 contenu en fonction des niveaux d’apprentissage et des écoles NIVEAU DÉBUTANT niveau segmental x les relations graphème-phonème x prosodie (jusqu’au niveau des textes sim‐ ples) x NIVEAU INTERMÉDIAIRE révision et consolidation x liaison x NIVEAU AVANCÉ prendre en compte les « oublis » et « ne plus savoir comment faire » x x consolidation et approfondissement x x révision x détails des relations graphiques-phoni‐ ques x liaison, cas particuliers x hiatus x prosodie : accent de mot/ phrase x x prosodie : accent d’insistance x x contraste linguistique français - alle‐ mand x x contraste linguistique français - anglais x x phonétique en tant que science en classe avec réserve, la pratique devrait prévaloir x x x physiologie x x transcription phonétique x x pas sur des questions où le débat scienti‐ fique est encore en cours x x 257 Histoire de l’enseignement de la prononciation <?page no="258"?> aspects mentionnés Wendt [1888] 2 1895 Münch [1895] 3 1910 Thiergen 1903 Schmidt 1932 vue élargie du système non verbal : intégration de la communication non verbale relation entre prononciation et commu‐ nication non verbale x communication non verbale dans la langue cible x éléments non verbaux liés à l’enseigne‐ ment x x contenu d’un point de vue systématique CARACTÉRISTIQUES FONDAMENTALES durée : longueur - brièveté x x x ouverture x x sonorité x x x tendance à l’articulation palatale x tendance à articuler clairement les voyelles x [a] x [ɑ] x [ə] x x x [ə] vs ∅ x x [ɛ̃], [œ̃], [ɑ̃], [ɔ̃] x x x x [i], [y], [u], [e] : prononciation fermée x [o] vs [ɔ] x [ø] vs [œ] x [ɔ] ouvert et [œ], en particulier avant / R/ x trois degrés d’ouverture de / E/ , avec dis‐ tinction de [ɛ] ouvert dans même vs père x trois degrés d’ouverture de / Œ/ dans jeune, creux, peur x x augmentation des diphtongues x 258 Daniel Reimann (Duisburg-Essen) <?page no="259"?> aspects mentionnés Wendt [1888] 2 1895 Münch [1895] 3 1910 Thiergen 1903 Schmidt 1932 différenciation des consonnes voisées et non-voisées x [b], [d], [ɡ] sonores x [v], [z], [ʒ] sonores x [p], [t], [k] sourdes x assimilation régressive, sonore/ sourde, par exemple absolument [p] x articulation non aspirée des plosives x x articulation non aspirée des plosives ex‐ plicitement acceptée x [s] sourd en position initiale x [s] sonore en position finale x [f] en position finale x [m], [n], / R/ en position finale x [ɡ] x x [j] x x x [w] x [ɲ] x x x [ʒ] x / R/ x x COMBINAISONS PHONÉTIQUES SPÉCIALES, TERMINAISONS suffixe <-s> x ‘doubles consonnes’ <tt>, <rr>, <cle>, <cre> x <ll> x x PHÉNOMÈNE PARTICULIERS chaîne parlée x x groupes rythmiques x x 259 Histoire de l’enseignement de la prononciation <?page no="260"?> aspects mentionnés Wendt [1888] 2 1895 Münch [1895] 3 1910 Thiergen 1903 Schmidt 1932 harmonie vocalique x loi des trois consonnes x x Liaison x x x • problèmatique de la liaison hyper‐ correcte x • diminution de son utilisation dans la langue cible x x • désonorisation dans la liaison x éviter les hiatus x x pas de coup de glotte x x PROSODIE intonation x x x « accent musical » x accent d’insistance x x PRISE EN COMPTE DE LA LANGUE FRANÇAISE COURANTE position modérée x en mode réceptif : compréhension orale x en mode productif : du standard acadé‐ mique au langage familier x PRISE EN COMPTE DE LA PREMIÈRE LANGUE/ DES VARIÉTÉS DE LA PREMIÈRE LANGUE absence de fricatives gutturales en fran‐ çais x trop de longueurs comme signe d’un ac‐ cent allemand x Allemagne centrale, Saxe/ Thuringe : [p]/ [b], [t]/ [d], [k] vs [ɡ], [s]/ [z] x x Berlin : [j], [ɡ] x bas allemand : trop grande ouverture de / E/ , / Y/ , / I/ , / U/ x 260 Daniel Reimann (Duisburg-Essen) <?page no="261"?> aspects mentionnés Wendt [1888] 2 1895 Münch [1895] 3 1910 Thiergen 1903 Schmidt 1932 bas allemand : [z] non prononcé dans Alsace (sic) x Prusse orientale et occidentale : voyelles nasales x Allemand du Nord : coup de glotte très marqué x haut allemand : [z] non prononcé, au lieu de cela [s] x Allemagne du Sud : ‘pureté’ des voyelles x sans indication précise : [ɑ] au lieu de [a] x Tab. 2 : Contenu de l’enseignement de la prononciation Parmi les méthodes et mesures les plus courantes sont citées la présentation de la bonne prononciation par le modèle de l’enseignant et la répétition des sons et des mots respectifs par les élèves (procédés décrits explicitement dans Münch 1895, Thiergen 1903), mais aussi le chant (surtout dans Münch 1895, Thiergen 1903), le chant choral (avec certaines restrictions, surtout dans Wendt 1888, Schmidt 1932), l’utilisation de versets mnémotechniques pour les règles de prononciation, le travail avec les vire-langues, les comptines, ainsi que le travail plus abstrait avec des paires minimales (Wendt 1888, Münch 1895, Schmidt 1932), la lecture rapide et répété de textes connus, la lecture à haute voix et expressive, la récitation de textes (dans les classes supérieures) et les activités de compréhension orale. La présentation de Wendt 1888 est également particulièrement détaillée à cet égard, mais on peut trouver des références équivalentes dans les autres ouvrages examinés (voir ci-dessus et le tableau 3 ci-dessous). Des principes de base communs d’aujourd’hui, tels que l’orientation vers l’apprenant et l’activation des élèves, se retrouvent déjà dans les grandes lignes. Des aspects tels que l’empathie et le soutien des élèves plus faibles, la différenciation en faveur des élèves plus faibles en tenant compte de l’ensemble du groupe d’apprentissage, la prise en compte des faiblesses ‘organiques’ (Wendt 1895 : 204), l’encouragement des élèves plus forts en les intégrant mieux dans l’enseignement de la prononciation (en tant que modèle) et la correction des élèves entre eux y sont déjà présentés en détail (Wendt 1888, Münch 1895, Schmidt 1932). 261 Histoire de l’enseignement de la prononciation <?page no="262"?> Concernant la correction de la prononciation, une correction détaillée, parfois stricte jusqu’à la réprimande, des notes comme motivation extrinsèque ainsi que des signaux de correction non verbaux ont aussi été mentionnés (Wendt 1888, Münch 1895, Schmidt 1932). En tant que supports (médiatiques) de l’enseignement de la prononciation, les différents ouvrages mentionnent les entités suivantes : l’être humain (modèle de l’enseignant, d’autres élèves), des supports visuels et, de plus en plus, aussi des supports auditifs. L’être humain est, au delà de la figure du professeur, considéré comme un moyen de l’enseignement-apprentissage de la prononciation lorsque des contacts avec des ‘locuteurs natifs’ à l’étranger sont présentés comme une option désormais accessible (seulement Wendt 1888 : 129), mais aussi lorsqu’on parle de locuteurs français de passage qui peuvent être invités dans la classe, ainsi que d’assistants en langues étrangères qui ont été régulièrement engagés depuis 1904 (Münch 1895). Les planches murales affichées dans les salles de classe en tant que ‘tableaux phonétiques’ ou encore les tableaux imprimés dotés de coupes sagittales sont cités comme supports visuels (surtout Münch 1895). Pourtant, compte tenu de la position des auteurs des œuvres étudiées, qui plaident davantage pour une utilisation restreinte des tableaux phonétiques en faveur de la pratique de l’articulation (voir ci-dessus), les auteurs proposent de développer de tels tableaux et croquis pendant l’heure de cours et sur le tableau noir (Münch 1895, Thiergen 1903). En tant que média auditif, Münch peut introduire le phonographe et le gramophone en 1895, Schmidt la radio en 1932. aspects explicitement mentionnés Wendt 1888 ( 2 1895) Münch 1895 ( 3 1910) Thiergen 1903 Schmidt 1932 moment de l’introduction de la prononciation dans le cours de langue enseignement de la prononciation dès le début de l’apprentissage de la langue x x x x L’acquisition de la prononciation en tant qu’apprentissage tout au long de la vie x x bases psychologiques de l’apprentissage et principes de base de l’enseignement dichotomie entre connaissance et capa‐ cité x imitation et analyse comme principes de base x enseignement monolingue avantageux pour l’apprentissage de la prononciation x 262 Daniel Reimann (Duisburg-Essen) <?page no="263"?> visualisation en contexte (mémoire épi‐ sodique) x positions sur la phonétique et implications de la phonétique pour l’enseigne‐ ment scolaire VUE PHYSIOLOGIQUE DE LA LANGUE outils vocaux x x x x oreille x x x œil (observation des lèvres, coupes sagit‐ tales, transcription phonétique) x x ASPECTS DE LA PHONÉTIQUE LIÉS À L’ÉCOLE (SURTOUT CONCEPTUA‐ LISÉS COMME UN OUTIL, LE PLUS SOUVENT EXPLICITEMENT NON COMME UNE FIN EN SOI) physiologie de la phonation x x transcription phonétique x x • ponctuelle/ successive x x x • en cas de grande divergence gra‐ phème vs phonème x • de plus en plus parmi les élèves des classes supérieures x • symboles alternatifs n’affectant pas l’orthographe x POSITIONS SUR LA PHONÉTIQUE contre : les écoles ne proposant pas de latin x pro : les lycées (humanistes) x position intermédiaire : mouvement de la réforme x POSITION INDIVIDUELLE cours propédeutique x x la pratique avant la théorie x enseignement modéré de la théorie pho‐ nétique x x la théorie comme catalyseur de l’appro‐ priation pratique x 263 Histoire de l’enseignement de la prononciation <?page no="264"?> positionnement propre sur la question de l’ordre de l’enseignement de la prononciation, de la transcription phonétique et de l’orthographe d’abord, prononciation et orthographe, transcription phonétique ponctuelle/ suc‐ cessive x x x d’abord, prononciation et orthographe, des symboles phonétiques ne dérangeant pas l’orthographe x enseignement de l’orthographe le plus tôt possible x x seulement plus tard x principes de base MOTIVATION PAR LE PLAISIR LORS DES LEÇONS DE PRONONCIATION joie/ motivation x x x par le biais des enseignants en tant que modèles x x par le biais de camarades de classe forts comme modèles x par le biais des invités français en classe x par des assistants de langues étrangères x par la vitesse des activités de prononcia‐ tion x par le biais d’un caractère ludique/ com‐ pétititf des activités x en activant le plus grand nombre possible d’élèves x en chantant x x LIER L’ENSEIGNEMENT DE LA PRONONCIATION AU CONTENU intégration dans des contextes significa‐ tifs (dès le début) x x LIER L’ENSEIGNEMENT DE LA PRONONCIATION À L’EXPRESSION ORALE intégration de la prononciation et des activités d’expresssion orale x ACTIVITÉS 264 Daniel Reimann (Duisburg-Essen) <?page no="265"?> présenter et répéter x x chanter x x parler en chœur, avec des restrictions x x x • en fonction des pupitres ou des ran‐ gées x • en alternance avec une prise de pa‐ role individuelle x rimes/ vers mnémotechniques pour les règles de prononciation x vire-langues x comptines x paires minimales x x prononcer rapidement des paires mini‐ males x lecture (rapide) répété de textes connus x lecture expressive à haute voix x x récitation de textes exemplaires (poèmes/ prose), en particulier dans les classes su‐ périeures x compréhension orale comme base et sou‐ tien à la prononciation x médias MÉDIAS VISUELS tableaux muraux imprimés (sons/ trans‐ cription phonétique) x tableaux muraux imprimés (coupes sagit‐ tales) x tableau noir : indications sur les coupes sagittales x tableau noir : notes sur la transcrip‐ tion phonétique/ élaboration d’un tableau phonétique x mÉdias auditifs phonographe x 265 Histoire de l’enseignement de la prononciation <?page no="266"?> gramophone x x radio x MÉDIAS HUMAINS - RENCONTRE AVEC DES « LOCUTEURS NATIFS » à l’étranger (élèves) x locuteurs français de passage x assistants (assistants en langues étran‐ gères) x orientation vers l’apprenant et activation des élèves ORIENTATION VERS L’APPRENANT empathie et soutien pour les plus faibles x différenciation en faveur des élèves plus faibles x inclusion (prise en compte des faiblesses organiques) x encouragement des élèves plus forts à parler à voix haute x correction/ feedback : voir ci-dessous à la voix « correction » x x x ACTIVATION DES ÉLÈVES présentation par le modèle d’autres élèves (plus forts) x correction par d’autres élèves x x CORRECTION DE LA PRONONCIATION signaux de correction non verbaux x correction stricte et détaillée x x x • réprimande x • notes comme motivation extrin‐ sèque x correction par les camarades de classe x x Tab. 3 : Principes, méthodes et supports de la formation à la prononciation 266 Daniel Reimann (Duisburg-Essen) <?page no="267"?> En matière de formation des enseignants et de compétences des enseignants, on peut affirmer ce qui suit : dans les travaux étudiés, on s’accorde à dire qu’un haut niveau de compétence en prononciation et une bonne connaissance de la phonétique sont essentiels pour les professeurs de français. On fait parfois valoir que les enseignants du passé avaient trop peu de compétences pédagogi‐ ques (maîtres de langue) ou trop peu de compétences linguistiques pratiques (première moitié du XIX ème siècle) (Wendt 1888, Münch 1895). L’importance de l’enseignant comme source de motivation par sa fonction de modèle est soulignée à plusieurs reprises (Wendt 1888, Thiergen 1903, Schmidt 1932). Con‐ cernant les possibilités de formation et de perfectionnement des enseignants, c’est surtout Wendt 1888 qui s’exprime en détail. À cet égard, il mentionne les séjours à l’étranger, la formation continue des enseignants par des locuteurs natifs, les cercles et associations de conversation, la formation continue à l’étranger, l’auto-observation, la lecture d’ouvrages spécialisés de phonétique et la lecture de transcriptions-modèle. En ce qui concerne la formation des enseignants et les compétences des enseignants, une compilation des résultats sous forme de tableau est également reproduite ici (cf. Tab. 4) : aspects explicitement mentionnés Wendt 1888 ( 2 1895) Münch 1895 ( 3 1910) Thiergen 1903 Schmidt 1932 compétence à atteindre dans le domaine de la prononciation une bonne maîtrise de la prononciation devrait être la norme x x première moitié du XIX ème siècle : maî‐ trise trop faible de la prononciation x x les maîtres de la langue sont trop peu ambitieux x compétences en vue de l’enseignement de la prononciation connaissances en phonétique comme base de l’enseignement x x x motivation par la fonction de modèle x x x les possibilités de formation ini‐ tiale et continue séjours à l’étranger x cercles de formation continue des en‐ seignants avec des locuteurs natifs x 267 Histoire de l’enseignement de la prononciation <?page no="268"?> cercles et clubs de conversation x formation continue des enseignants (principalement à Genève) x lecture d’ouvrages spécialisés en pho‐ nétique x lecture de transcriptions dans des ou‐ vrages spécialisés français x auto-observation (articulation) x Tab. 4 : Formation et compétences des enseignants 4 Conclusion En résumé, on peut noter les points communs et les spécificités suivantes dans les travaux qui ont été étudiés : entre les années 1880 et les années 1930, on constate une réception intense de la jeune discipline qu’est la phonétique et la tentative de faire bénéficier l’école de ces découvertes. La réception des résultats théoriques de la phonétique semble avoir été plus prononcée dans les lycées proposant aussi les langues anciennes que dans les écoles telles que Realschulen, Oberrealschulen etc. ne proposant pas de latin. Conformément à l’esprit du temps, on constate encore un traitement très strict des performances des élèves, et la motivation extrinsèque est toujours d’une grande importance. Néanmoins, une certaine sensibilité aux besoins des élèves, au soutien individuel des élèves plus forts et plus faibles jusqu’à l’inclusion, à la motivation et à la joie issues de l’enseignement de la prononciation et de l’apprentissage des langues étrangères sont indéniables. Dans ce contexte, on peut également observer une sensibilité aux variétés de la langue maternelle des élèves. Enfin, les différents auteurs se montrent ouverts aux nouvelles possibilités techniques ainsi qu’à l’échange institutionnalisé d’assistants en langues étrangères, qui peuvent désormais enrichir les cours de français et soutenir l’apprentissage de la prononciation. Bien que des différences puissent être constatées dans les ouvrages des différents auteurs (voir ci-dessus), ils coïncident largement dans les grandes préoccupations et orientations de base. Il est frappant de constater que le plus ancien ouvrage examiné, Wendt 1888, est très positiviste, tant par son contenu que par sa méthode, et qu’il présente par exemple de manière détaillée les phénomènes de liaison comme étant dignes d’être intégrés dans l’enseignement scolaire. En revanche, le dernier ouvrage examiné, Schmidt 1932, se distingue des autres manuels examinés à trois égards : d’une part, 268 Daniel Reimann (Duisburg-Essen) <?page no="269"?> Schmidt 1932, dans son approche orientée vers le contenu et l’éducation, plaide clairement en faveur d’une formation à la prononciation à travers des (con)textes porteurs de sens et plaide, par exemple, pour une lecture expressive à haute voix comme moyen de l’apprentissage de la prononciation ; d’autre part, il est le seul auteur du corpus étudié à plaider pour lier le niveau non verbal de la gestuelle et de la mimique à l’enseignement de la prononciation. Enfin, parmi les médias techniques, il plaide pour l’utilisation de la radio, désormais disponible, qui a comme avantages par rapport au gramophone un caractère plus vivant et des contenus plus actuels. Dans l’ensemble, tous les manuels de didactique du français examinés dans cette étude attribuent une très grande valeur à la prononciation, valeur qui ne peut plus être documentée de cette manière dans les manuels de didactique du français de la période d’après la Seconde Guerre mondiale : par exemple, dans Schröter/ Ladwein 1962 on trouve encore de brèves remarques sur la phonétique et la transcription phonétique ainsi qu’une courte section sur « l’entraînement phonétique des élèves et des professeurs » (Schröter/ Ladwein 1962 : 42sq., 111-114), dans Leisinger 1966 toujours une section sur ‘Le mot comme unité sonore’ dans la section ‘Moyens de la langue - Les mots’ (Leisinger 1966 : 18-21), dans Arnold 1973 seulement des remarques ponctuelles (par exemple Arnold 1977 : 13). Même dans les présentations introductives de la dernière génération (cf. Reimann 2018 : 158-161), il n’y a que très peu de références à l’enseignement de la prononciation, par exemple dans Nieweler 2006 seulement quelques remarques dans la section ‘expression orale’ (Nieweler 2006 : 119), qui ont même été réduites dans Nieweler 2017 (Nieweler 2017 : 125). Certains ouvrages, comme celui de Leupold (Leupold 2002, surtout 232-236, et Leupold 2010, surtout 253-257), sont nettement plus précis, notamment sur la pratique de l’enseignement de la prononciation et sur la prise en compte de la prosodie, mais restent en fin de compte en deçà des explications détaillées des manuels historiques. Dans les autres introductions et manuels récents repérés dans Reimann 2018, 159sq., il n’est pratiquement pas fait mention de la prononciation. L’étude de quatre manuels de didactique du français langue étrangère en Allemagne, parus depuis les débuts de l’enseignement institutionnalisé et réalisé par des professeurs de langues étrangères formés professionnellement (fin du XIX ème / début du XX ème siècle), a permis de dresser un tableau assez détaillé de la réception de la phonétique et des positions différentes face à l’enseignement de la prononciation qui sont adoptées par différents auteurs. Il a pu également être démontré qu’à l’époque des conceptions et des hypothèses formulées plus tard de manière explicite, par exemple dans les domaines de la psychologie et de la recherche sur les langues étrangères, 269 Histoire de l’enseignement de la prononciation <?page no="270"?> ont déjà été observées et décrites par rapport à l’enseignement-apprentissage de la prononciation (par exemple, mémoire de travail, mémoire déclarative et procédurale, mémoire épisodique, hypothèse d’interface et d’observation, hypothèse de sortie, cf. par exemple Tulving 1972, Baddeley 2012, Anderson 1990, Schmidt 1990, 1995, Swain 1985, 2010). On peut constater que, de notre point de vue contemporain, l’enseignement de la prononciation était déjà assez bien développé à un niveau théorique et que, du moins en ce qui concerne les contenus de l’enseignement de la prononciation (mis à part les divergences montrées ci-dessus), il n’était pas trop éloigné de ce que semble être la réalité actuelle : pour cette dernière, les enquêtes récentes menées auprès des enseignants par Abel 2018, par Hor‐ vath/ Kamerhuber/ Bäumler/ Jansen/ Pustka 2019 - notamment sur les domaines de l’utilisation de la transcription phonétique, de la liaison et du schwa, phénomènes qui ont déjà fait l’objet de discussions intensives dans les manuels historiques - et Reimann 2017 en donnent un aperçu. L’étude d’autres manuels ainsi que d’autres types de sources pourrait per‐ mettre d’approfondir l’histoire de l’enseignement-apprentissage de la pronon‐ ciation dans les classes de français langue étrangère dans les écoles allemandes. 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L’Alphabet Phonétique International : phonétique, phonologie et prononciation du français Jacques Durand (Toulouse), Chantal Lyche (Oslo) 1 Introduction L’Alphabet Phonétique International est largement utilisé en phonétique et en phonologie, dans de nombreux ouvrages de référence ou d’enseignement des langues étrangères. 1 Cependant, les principes qui sous-tendent son utilisation sont souvent mal compris et son emploi dans les manuels de prononciation se réduit fréquemment à un codage phonémique des mots du français hors contexte. Dans ce chapitre, nous nous proposons d’éveiller l’utilisateur à ces principes afin de le guider dans les choix qu’il devra effectuer. Nous expliquons tout d’abord dans la section 2 ce qu’est l’Alphabet Phonétique International (API). Nous retraçons ensuite à grands traits dans la section 3 une partie de son histoire car les fondateurs, tous préoccupés par l’enseignement des langues étrangères, ont su en donner une bonne justification théorique et pratique dès les premières ébauches en 1886. Dans la section 4, le français nous servira d’exemple pour illustrer des usages variés que nous analyserons. Nous présenterons un ensemble de symboles couramment utilisés pour décrire le français septentrional et plus précisément la variété que nous définissons comme le FR (« Français de Référence »), tout en soulignant que cette notion doit être adaptée en fonction des publics visés (cf. Morin 2000, Detey/ Le Gac 2008, Lyche 2010). Nous rappellerons que (1) toute transcription est une abstraction par rapport à la réalité articulatoire ou acoustique ; (2) un vocabulaire commun comme celui que fournit l’API ne garantit pas la justesse des représentations, mais constitue une avancée dans le travail collectif qui guide la description et <?page no="276"?> l’enseignement des langues. Même si cette contribution se veut introductive, elle présuppose une connaissance au moins élémentaire de la phonétique et de la phonologie (cf. Vaissière 2020, de Carvalho et al. 2010). 2 L’Alphabet Phonétique International et ses symboles 2.1 Remarques introductives Pour de nombreux utilisateurs, l’Alphabet Phonétique International (dorénavant API) se réduit au grand tableau officiel de symboles reproduit dans cet ouvrage ou, plus fréquemment, à une version simplifiée de ce dernier qui ne retient que les symboles utilisés pour transcrire les phonèmes d’une langue donnée. Or, s’il est vrai que les symboles de l’API peuvent se résumer en une seule page im‐ primée, leur utilisation correcte exige une bonne compréhension des principes énoncés par l’Association Phonétique Internationale et une connaissance des fondamentaux en phonétique et phonologie. L’Association Phonétique Interna‐ tionale, depuis sa création, publie à divers intervalles des guides d’utilisation qui sont complétés ou corrigés dans la revue scientifique de cette association, à savoir le Journal of the International Phonetic Association. La présentation qui fait actuellement office de législation est celle du Handbook of the International Phonetic Association : A Guide to the Use of the International Phonetic Alphabet publié en 1999 (abrégé ici en Handbook of the IPA). Les rares révisions depuis lors sont reflétées dans les tableaux et les rubriques qu’offre l’Association sur son site internet : www.internationalphoneticassociation.org/ . 276 Jacques Durand (Toulouse), Chantal Lyche (Oslo) <?page no="277"?> p b t d æ ÿ c ï k g q G / m µ nr = − N Ð õ R i | Ç F B f v T D s z S Z § ½  J x V X å © ? h H ñ L à ¨ Õ j ÷ l ð ´ K y u e o a é Ö … « Ï ì { Y U ‚ ¿ ê ¯ O À P A È ó ä è ú Ó  Œ ë ¸ º íç w - E > I Ä Â ù < ø² p' t' k' s' ' a» b» eÑ e~ ¦ Í e@ › e! e_ e& eÞ ‹ e% Ì e$ e# ž™�‰ •Ÿ‘Š ts kp ® foUn« " tIS«n ¨i . Ïkt ù . * eÉ eò e* ¥ ¡ 9 n9 d9 » t 1 d1 s 3 t 3 b0 a0 tî dî £ t £ d £ t 4 d4 7 O7 tW dW ) e) O¦ tÆ d Æ dö uª t× d× d 2 e2 t³ d³ } d} eá : e + e6 ` n` e¤ e8 e5 - a± e° "® Éò Å Á B¤ ¤ 1 t Á dÁ 4 W 0 3 î ö Æ × ¨ 6 6 ª á + ³ 5 8 ° ± ⱱ Plosive Nasale Vibrante Battue Fricative Fricative latérale Approximante Approximante latérale Bilabial Labiodental Dental Alvéolaire Postalvéolaire Rétroflexe Palatal Vélaire Uvulaire Pharyngal Glottal Bilabial Dental/ alvéolaire Palatal Vélaire Uvulaire Bilabial Dental (Post)alvéolaire Palatoalvéolaire Latéral alvéolaire Exemples: Bilabial Dental/ alvéolaire Vélaire Fricative alvéolaire Clics Implosives voisées Éjectives Voix soufflée Voix raclée Linguo-labial Labialisé Palatalisé Vélarisé Pharyngalisé Vélarisé ou pharyngalisé Élevé Abaissé Racine de la langue avancée Racine de la langue reculée Non voisé Voisé Aspiré Plus arrondi Moins arrondi Avancé Reculé Centralisé À moitié centralisé Syllabique Non syllabique Rhotique Dental Apical Laminal Nasalisé Relâchement nasal Relâchement latéral Sans relâchement audible ( = fricative alvéolaire voisée) ( = approximante bilabiale voisée) Polices de caractères: Doulos SIL (métatexte); Doulos SIL, IPA Kiel, IPA LS Uni (symboles) ou ou L’ALPHABET PHONÉTIQUE INTERNATIONAL (version de 2020) 2020 IPA CONSONNES (PULMONIQUES) Dans une même case, le symbole de droite représente une consonne voisée, celui de gauche une non voisée. Les cases grisées signalent des articulations considérées comme impossibles. CONSONNES (NON PULMONIQUE) AUTRES SYMBOLES DIACRITIQUES Les diacritiques peuvent se placer au-dessus des symboles dotés d’un jambage, par ex. ŋ̊ VOYELLES Lorsque les symboles sont sous formes de paires, celui de droite représente une voyelle arrondie. SUPRASEGMENTAUX TONS ET ACCENTS DE MOT PONCTUELS CONTOURS Fricative labiale-vélaire non voisée Approximante labiale-vélaire voisée Approximante labiale-palatale voisée Fricative épiglottale non voisée Fricative épiglottale voisée Plosive épiglottale Fricatives alvéolo-palatales Battue latérale alvéolaire ʃ et x simultanés Les affriquées et les consonnes à double articulation peuvent être représentées par deux caractères, réunis par une ligature, si nécessaire. Accent primaire Accent secondaire Long Mi-long Bref Groupe rythmique secondaire (pied) Groupe rythmique principal (intonation) Coupe syllabique Liaison Très haut Haut Moyen Bas Très bas Faille tonale (downstep) Rehaussement tonal (upstep) Montant Descendant Montant haut Montant bas Montantdescendant Montée globale Descente globale Fermé Mi-fermé Mi-ouvert Ouvert Antérieur Central Postérieur Tab. 1 : Tableau API général 277 L’Alphabet Phonétique International <?page no="278"?> 2 Durand (2005a, 2015) offre des présentations détaillées de l’API en français. La notation API est abondamment illustrée dans des classiques de phonétique générale comme Laver (1994), Ladefoged/ Maddieson (1996), Marchal (2007). Pullum/ Ladusaw (1996) est un guide précieux des symboles phonétiques dont ceux de l’API. Pour une discussion précise de l’API au sein des systèmes d’écriture, voir MacMahon (1996). Le lecteur trouvera des références à l’histoire de l’API dans la section 4 infra. Comme nous le soulignons dans notre historique en 3, il y a heureusement eu une grande continuité dans les symboles proposés et dans les conventions qui gouvernent leur emploi, d’où le succès de l’API au fil du temps. 2 Nous commencerons notre présentation par un survol du tableau d’ensemble de l’API que le lecteur doit impérativement avoir sous les yeux pendant la lecture de ce chapitre. Les symboles y sont regroupés dans six cases. Il y a d’abord un sous-tableau des consonnes pulmoniques, suivi d’une liste des consonnes non-pulmoniques et un ensemble d’autres symboles consonantiques, un jeu de diacritiques, une classification des voyelles dans un trapèze idéalisé, et finalement des symboles pour les suprasegmentaux ou propriétés prosodiques, qui inclut tons et accents de mot. Nous les explorerons à tour de rôle. Quand nous parlerons du Français de Référence (ci-après FR), nous aurons à l’esprit une norme hexagonale, délimitée géographiquement et socialement, habituellement liée à l’usage parisien cultivé (cf. Lyche 2010). Nous savons que c’est une construction qui tient largement de la « doxa » (cf. Laks 2002), mais qui a une réalité à travers des ouvrages de référence comme le Petit Robert examiné plus loin. Nous l’utiliserons en la questionnant cependant à la lumière de la variation attestée dans les usages. Avant d’entamer ce survol, nous ferons quelques remarques d’ordre général. L’API est dans la mesure du possible composé de lettres de l’alphabet latin, mais ce dernier est complété par diverses stratégies : par exemple, modifications de ces lettres par diverses rotations [v] vs [ʌ], majuscules ramenées à la taille de petites capitales [ʀ], caractères d’imprimerie vs écriture manuscrite [a] vs [ɑ], ligatures ([æ] ou [œ]), appel à d’autres alphabets (p. ex. le [β] du grec) et quelques symboles inventés [ʚ]. La liste des symboles est complétée par des petits signes dits diacritiques comme dans le cas de la nasalité où le tilde aide à transcrire les voyelles nasales (p. ex. FR bain [bɛ͂]). Un premier objectif est de permettre de noter toutes les oppositions phonémiques dans l’ensemble des langues du monde. En ce sens, l’API se veut universel au niveau phonologique. Il permet aussi une transcription phonétique étroite ou allophonique. Ainsi, pour de nombreux locuteurs, le FR roi / ʁwa/ est réalisé par [ʁ̞wa] où le ‘r’ est une approximante et non une vraie fricative. En revanche, dans trois / tʁwa/ la 278 Jacques Durand (Toulouse), Chantal Lyche (Oslo) <?page no="279"?> 3 Les chevrons dans cet article indiquent une représentation orthographique. réalisation est [tʁ̥wa] où le / ʁ/ est non-voisé après la plosive non-voisée / t/ . Il est même fréquent d’observer ici une fricative uvulaire non-voisée [χ] : [tχwa]. Le didacticien ou l’étudiant qui découvre l’API sous sa forme complète peut être dérouté. A-t-on vraiment besoin de tous ces symboles quand notre objet est la description et l’enseignement d’une seule langue comme le français ? Un premier problème est que le français n’est pas le même, phonologiquement et phonétiquement, selon qu’on l’enseigne à Abidjan, Genève, Montréal, Paris ou Toulouse, pour ne prendre que ces exemples (cf. Durand/ Laks/ Lyche 2009, Detey et al. 2016a) et que chacune de ces variétés spécifie son propre français de référence. Si on enseigne le français dans la zone du laurentien au Québec, il faudra savoir que cette variété de français a des oppositions qui vont au-delà de ce qu’on note en FR (tel que nous l’avons défini plus haut). Ainsi, selon Côté (2016), un contraste s’est désormais établi en syllabe finale fermée entre deux séries de voyelles fermées, les tendues / i y u/ et les relâchées / ɪ ʏ ʊ/ , comme dans frise / i/ vs quiz / ɪ/ et coule / u/ vs cool / ʊ/ . Et, même si on traite ces oppositions comme marginales car impliquant des mots d’origine anglaise, les relâchées [ɪ ʏ ʊ] sont fréquemment analysées comme variantes de / i y u/ dans divers contextes en français laurentien. Si on enseigne en Suisse, comme le note Racine (2016), on doit attirer l’attention des étudiants sur le fait que les variétés romandes ont conservé l’opposition de longueur, notée par [ː], en syllabe finale fermée (belle / bɛl/ vs bêle / bɛːl/ ) et ouverte (vit / vi/ vs vie / viː/ , nu / ny/ vs nue / nyː/ , bout / bu/ vs boue / buː/ ), où elle fonctionne souvent comme marqueur morphologique de féminin (bleu / blø/ vs bleue / bløː/ ). Si on travaille dans diverses zones d’Afrique, on notera qu’une réalisation fréquente du phonème correspondant au <r> 3 graphique est un ‘r’ vibrant (communément appelé roulé) qui est symbolisé par [r] en API et non une uvulaire [ʁ] comme c’est désormais très majoritairement le cas dans l’Hexagone. Enfin, tournons-nous rapidement vers les apprenants (Detey et al. 2016c). Comme le signalent Kamiyama/ Detey/ Kawaguchi (2016), si on enseigne le français à des Japonais, on doit savoir que ces derniers ont généralement des difficultés à réaliser un [u]. Les Japonais produisent des sons du type [ɯ] ou [ɨ] qui sont souvent perçus par les francophones comme un / ø/ (« fou » [fɯ] ou [ɸɯ], perçu comme feu). Et, si on a comme élèves des germanophones, on remarquera que les débutants sont souvent réticents à pratiquer les enchaî‐ nements et les liaisons, et qu’ils emploient assez fréquemment des coups de glotte pour marquer les mots à initiale vocalique (« comme on en a vu » [k h ɔm.ʔɔ̃.ʔɑ̃.ʔa.vy], cf. Pustka/ Meisenburg 2016). Le didacticien ne peut donc 279 L’Alphabet Phonétique International <?page no="280"?> 4 On trouvera une problématisation en partie historique dans Boë et Durand (1998). Voir aussi la note 5. faire l’économie d’une connaissance aussi détaillée que possible des systèmes phonologique et phonétique de ses étudiants et les symboles de l’API ont de bonnes chances de figurer dans des analyses des langues-sources concernées. Une utilisation correcte de ces symboles présuppose une bonne compréhension de l’organisation du système descriptif proposé par l’Association Phonétique Internationale. 2.2 Les symboles En ce qui concerne les sons ou segments individuels (d’où le concept de phonologie ou phonétique segmentale), le système API repose sur une division en voyelles et consonnes. Cette division pose des problèmes dans la mesure où la frontière entre certaines classes de voyelles (en particulier les voyelles fermées) et certaines consonnes (les approximantes présentées en 2.2.1) est floue. Elle ne reflète pas nécessairement une différence de degré de fermeture, mais plutôt la position des segments au sein des syllabes. Nous n’approfondirons pas cette question ici, mais soulignerons que, globalement, cette division se révèle utile dans la description des langues du monde. 4 2.2.1 Consonnes pulmoniques Tab. 2 : Consonnes pulmoniques Le premier sous-tableau des consonnes correspond aux sons dits pulmoniques parce qu’ils sont produits par l’air chassé des poumons (type égressif). Même si ce flux d’air n’est pas le seul utilisé pour la production des sons dans les 280 Jacques Durand (Toulouse), Chantal Lyche (Oslo) <?page no="281"?> 5 Les termes semi-voyelle ou glissante ne font pas partie de la terminologie API. La catégorie de sons du type [j, w, ɥ] qui alternent avec les voyelles fermées [i, u, y] posent des problèmes à la plupart des théories phonologiques. Est-ce que ce sont de simples versions non-syllabiques de ces dernières ou des sons appartenant à une catégorie articulatoire ou acoustique différente ? L’Association Phonétique Internationale, si on l’interprète à la lettre, se rallie à la deuxième position en les nommant approximantes. 6 Voir Ladefoged/ Maddieson (1996), Durand (2005b), Ladefoged (2007), de Carvalho et al. (2010), Vaissière (2015), pour des descriptions et formalisations en termes de paramètres phonétiques et phonologiques indépendants. langues du monde, toutes les langues en font usage. Pour cette raison de nombreux phonéticiens et phonologues considèrent ce mode de production comme non-marqué et on peut comprendre sa position centrale dans le dispositif descriptif de l’API. La classification des consonnes s’effectue sur une base articulatoire en termes de mode et de lieu (ou point) d’articulation. À cette double classification vient se superposer l’opposition non-voisé/ voisé (= sourd/ sonore dans une autre terminologie) : par convention, dans le tableau de l’API, les non-voisées sont à gauche et les voisées à droite (exemple [p b]). Finalement, on notera que les cases grisées correspondent à des articulations jugées impossibles et les autres cases vides à des sons non-attestés. L’utilisateur doit être très attentif à la terminologie API et aux principes qui dictent l’inclusion des sons dans tel ou tel tableau. Par exemple, la catégorie des approximantes regroupe des sons qui sont séparés dans d’autres traditions. Ainsi, les approximantes comprennent les semi-voyelles ou glissantes 5 ([j] et [ɰ]) et les sonantes non-nasales et non-latérales [ʋ, ɹ, ɻ]. On peut s’étonner que les semi-voyelles ou glissantes [ɥ] (FR huit) et [w] (FR ouest) ne figurent pas dans le grand tableau des consonnes pulmoniques, mais dans la partie ‘Autres symboles’. La raison en est que ces dernières sont produites avec un arrondissement des lèvres (ou labialisation), ce qui est considéré comme une articulation secondaire, alors que tous les sons du tableau des consonnes non-pulmoniques sont censés être produits sans arrondissement des lèvres. On notera aussi que l’Association Phonétique Internationale s’autorise l’em‐ ploi d’étiquettes comme ‘fricative latérale’ qui impliquent deux paramètres indépendants : la friction et la latéralité. Pour cette raison, de nombreux phoné‐ ticiens et phonologues préfèrent une description en termes de traits distinctifs ou éléments dont chacun représente une dimension atomique. 6 Il est néanmoins clair que la classification API représente une abstraction forte de la réalité articulatoire. Ainsi, une plosive dentale non-voisée comme le [t] du français ne se réduit pas en réalité à un contact entre la pointe ou la lame de la langue et la zone dentale. On doit en même temps coller les bords de la langue contre 281 L’Alphabet Phonétique International <?page no="282"?> les dents supérieures des deux côtés de la bouche afin de former une fermeture hermétique définitoire des plosives. Cette manœuvre supplémentaire, pourtant essentielle à la formation d’une plosive, n’est absolument pas reflétée dans la terminologie plosive dentale. On peut donc défendre l’idée que les dimensions de base de l’API et l’emploi de ses symboles sont fortement influencés par des con‐ cepts phonologiques (donc distinctifs) même s’il est de tradition de les présenter comme phonétiques. Au final, on se souviendra que, si l’API fonctionne bien au niveau phonémique, c’est aussi parce qu’on peut se donner une marge (relative ! ) de liberté dans l’interprétation des symboles. Ainsi, pour les variétés du français où il n’y a pas d’opposition entre / a/ (patte) et / ɑ/ (pâte), il est fréquent de voir un / a/ employé même si la voyelle observée est phonétiquement variable, parfois antérieure, parfois centrale, parfois postérieure selon les locuteurs et les contextes. Dans les représentations allophoniques, en revanche, la dénotation des symboles ne souffre pas d’exception : le symbole [a] de l’API y désigne une voyelle antérieure (et non centrale ou postérieure) par opposition à [ɑ] qui est postérieur, et on désignera des valeurs intermédiaires en utilisant des diacritiques (voir 2.5). 2.2.2 Les consonnes non pulmoniques Tab. 3 : Consonnes non pulmoniques Contrairement à ce qu’on pourrait imaginer, on peut produire des sons sans utiliser l’air chassé des poumons. Un exemple est fourni par les clics. En français, ces derniers existent dans ce qu’on appelle parfois des « idéophones » : le bruit d’un baiser bruyant est un clic bilabial ([ʘ]) et l’interjection de désapprobation parfois écrite <tss-tss> est un clic dental ([|]). Nous laisserons de côté l’ensemble de ces sons dans le cadre de ce survol rapide, mais il faut savoir qu’une descrip‐ tion phonétique précise des langues qui sont familières dans le monde occidental 282 Jacques Durand (Toulouse), Chantal Lyche (Oslo) <?page no="283"?> démontre l’existence de sons trop souvent et trop rapidement considérés comme « exotiques » (voir 2.2.7). 2.2.3 Autres symboles Tab. 4 : Autres symboles La catégorie ‘Autres symboles’ est quelque peu disparate même si les sons en question sont tous produits sur un flux d’air provenant des poumons. On y trouve, comme on l’a expliqué, les approximantes [w] (fr. oui / wi/ ) et [ɥ] (fr. huit / ɥit/ ). Les trois sons [ʜ, ʢ, ʡ], consonnes épiglottales, ont un statut un peu particulier. La tradition en phonétique affirme que l’épiglotte ne joue aucun rôle véritable dans la production des sons des langues du monde. Or, certains travaux expérimentaux suggèrent qu’une constriction, ou même une occlusion, est possible au niveau de l’épiglotte et que de tels phonèmes sont attestés en hébreu (Laufer/ Condax 1979, Esling 1996). Ces exemples démontrent que nos connaissances phonétiques peuvent se renouveler grâce à la description de nouvelles langues et aux apports de la phonétique expérimentale. L’Association Phonétique Internationale a pour objectif de proposer de nouveaux symboles chaque fois que cette situation se produit. Il est heureux pour l’utilisateur que la découverte de types de phonèmes radicalement nouveaux se fasse de plus en plus rare ! 283 L’Alphabet Phonétique International <?page no="284"?> 7 La terminologie ouvert/ fermé de l’API s’appuie sur l’ouverture/ fermeture des mâchoires qui accompagne traditionnellement l’élévation/ abaissement de la langue (haut/ bas). Les deux gestes articulatoires sont habituellement concomitants. Nous expliquons aussi dans le texte qu’une interprétation acoustico-auditive est préférée par certains phonéticiens. La phonologie à travers les contraintes et les processus attestés dans les langues du monde soutient de telles classifications, même si les phonologues ne s’accordent pas toujours sur la meilleure façon de les exprimer et de les formaliser. 2.2.4 Les voyelles Tab. 5 : Voyelles Depuis les premiers travaux dans le cadre de l’Association Phonétique Interna‐ tionale, on considère l’espace vocalique comme un trapèze idéalisé organisé autour de deux axes décrivant le déplacement de la masse de la langue à l’intérieur de la cavité orale : fermé/ ouvert (ou haut/ bas 7 ) et antérieur/ postérieur (avant/ arrière). À ces deux axes vient s’ajouter la forme des lèvres qui permet de différencier les voyelles arrondies, par exemple la voyelle [y] de lu, et non arrondies, par exemple, le [i] de lit. Ces trois paramètres se retrouvent d’une façon ou d’une autre dans toutes les langues du monde. D’autres dimensions peuvent jouer un rôle dans la structuration des systèmes vocaliques (par exemple, la nasalisation). On modifie alors les symboles de base à l’aide de diacritiques (FR baie [bɛ] vs bain [bɛ̃]). À partir des paramètres établis plus haut, l’espace vocalique est symbolisé en termes de voyelles dites cardinales (primaires et secondaires) qui représentent 284 Jacques Durand (Toulouse), Chantal Lyche (Oslo) <?page no="285"?> 8 RP = Received Pronunciation, un type de prononciation standard en Angleterre. D’autres spécialistes préfèrent ‘Southern British English’, ‘General British’ ou ‘BBC English’. 9 Pour un enregistrement des voyelles cardinales : voir le site internet de l’Association Phonétique Internationale sous la rubrique Handbook. www.internationalphoneticass ociation.org. des articulations (ou des valeurs acoustiques) en périphérie de cet espace. Les voyelles cardinales primaires [i e ɛ a ɑ ɔ o u] reflètent une généralisation statis‐ tique sur les langues du monde : on sait, grâce aux inventaires des phonèmes vocaliques des langues du monde, que les voyelles antérieures sont générale‐ ment non labialisées (non arrondies). En revanche, les voyelles postérieures non ouvertes (plus fermées que [ɑ]) sont généralement labialisées. La forme des lèvres pour les voyelles cardinales primaires respecte cette généralisation statistique : [i e ɛ a ɑ] sont produites avec des lèvres non arrondies et [ɔ o u] avec des lèvres arrondies. On sait aussi que, du point de vue phonétique, la forme précise des lèvres dépend en général de l’aperture dans les langues du monde. Les lèvres sont plus étirées pour un [i] que pour un [e], et à son tour [e] exige des lèvres plus étirées que [ɛ]. Pour [a ɑ], les lèvres prennent une forme neutre. Enfin, en remontant de [ɔ] vers [o] et [u] les lèvres deviennent de plus en plus arrondies. Les voyelles cardinales primaires respectent cette généralisation statistique mais, une fois de plus, elles sont censées être produites avec des articulations extrêmes. En effet, pour un [i] cardinal les lèvres sont aussi étirées que possible et, inversement, pour un [u] cardinal les lèvres ont un degré de labialisation maximum (à savoir, juste en deçà de la friction). La description ci-dessus devrait faire comprendre au lecteur qu’il est donc faux comme le font certains ouvrages de décrire les voyelles cardinales (VC) comme correspondant directement aux voyelles de telle ou telle langue et en particulier du français. On peut évidemment construire un tableau des valeurs les plus proches à partir de mots clés comme le fait Jones (1964) ou le Handbook of the IPA en donnant par exemple des mots clés comme les suivants pour les voyelles cardinales primaires : VC1 [i] (FR lit), VC2 [e] (FR thé), VC3 [ɛ] (FR lait), VC4 [a] (FR patte), VC5 [ɑ] (angl. RP 8 father), VC6 [ɔ] (angl. RP caught), VC7 [o] (FR lot), VC8 [u] (FR loup). Cependant, comme le souligne Jones (1964), la valeur des voyelles cardinales doit s’apprendre à partir d’enregistrements de ces voyelles isolées ou en travaillant avec un phonéticien qui maîtrise le système. 9 En effet, affirme-t-il : It must be remembered, however, that to attempt to describe cardinal vowels by means of key-words is to put the cart before the horse. It is the vowels of the ‘key-words’ that should be described with reference to the cardinal vowels. Moreover, most key-words 285 L’Alphabet Phonétique International <?page no="286"?> are pronounced in different ways by different people ; accordingly descriptions of sounds by different people will convey different meanings to different readers. ( Jones 1964 : 35) En effet, une audition d’un enregistrement de ces voyelles démontre qu’elles sont plus périphériques, plus extrêmes, que les voyelles des langues qui servent habituellement à les illustrer. En plus des voyelles cardinales dites primaires, l’API offre un ensemble de voyelles cardinales secondaires où l’arrondissement des lèvres est inversé : voyelles antérieures arrondies et voyelles postérieures non-arrondies (sauf [ɒ]). Ces voyelles sont [y, ø, œ, ɶ, ɒ, ʌ, ɤ, ɯ]. Enfin, l’API inclut un ensemble de symboles pour les voyelles centrales ou centralisées dont on a vu des exemples en français laurentien ([ɪ ʏ ʊ]). Le plus connu de ces symboles pour l’étude du français est le schwa [ə]. Il faut être très prudent dans son utilisation pour l’étude du français. Il ne faut pas confondre la voyelle phonétique [ə] qui est prototypiquement centrale et non-arrondie avec le schwa phonologique du français / ə/ (dit aussi ‘e’ muet, caduc ou instable). En effet, chez de nombreux locuteurs, ce dernier est une voyelle antérieure arrondie (fréquemment [œ]) qui se distingue des autres voyelles par une alternance (présence/ absence) due à l’interaction complexe de nombreux facteurs. Il n’est pas profitable d’inscrire le schwa du français dans un tableau vocalique en tant que tel car son comportement se distingue radicalement de celui des autres voyelles (voir Dell 1985, Lyche 2016, Andreassen/ Durand/ Lyche à paraître). Et dans d’autres variétés comme le français méridional, l’utilisation du même symbole / ə/ cache un comportement et des valeurs bien différentes du FR (Eychenne 2006, Pustka 2007, Courdès-Murphy 2018). Au minimum, on doit attirer l’attention des lecteurs sur la distinction à faire entre ce qu’on peut choisir d’appeler un schwa phonologique et les réalisations de ce schwa dans la substance phonétique. Nous soulignerons enfin que si, dans les travaux originaux de l’Association Phonétique Internationale, la présentation et définition des voyelles se faisaient systématiquement sur une base articulatoire, divers spécialistes défendent depuis longtemps la thèse que la classification des voyelles reflète des dimen‐ sions auditives plutôt que physiologiques au sens strict (cf. la discussion dans Ladefoged/ Maddieson 1996 : 281-327). Les symboles de l’API peuvent être définis en termes articulatoires et acoustico-auditifs. L’utilisateur n’a pas à s’engager dans le débat sur la priorité à accorder à la production ou à la perception même si ce débat est pertinent du point de vue didactique dans la mesure où la compréhension exige un éventail plus large de compétences qu’une bonne production (Detey/ Racine 2015). Ainsi, l’apprenant doit être capable de 286 Jacques Durand (Toulouse), Chantal Lyche (Oslo) <?page no="287"?> reconnaître des formes tronquées, des épenthèses ou des assimilations qu’il ne produira peut-être pas, même à un stade avancé de son apprentissage. 2.2.5 Diacritiques Tab. 6 : Diacritiques Les signes diacritiques ne doivent pas être conçus comme de simples adjuvants à la liste des symboles de base. Combinés avec ces derniers, ils permettent en principe de noter toutes les oppositions phonémiques attestées dans les langues du monde. Ainsi, dans diverses langues, on ne se contente pas de la simple opposition entre voisé et non-voisé. Les consonnes peuvent être prononcées de façon contrastive avec d’autres types d’activité des cordes vocales (par exemple, ce qu’on appelle voix soufflée (angl. breathy voice) et voix raclée (angl. creaky voice) respectivement attestées en hausa (Afrique de l’ouest) et en hindi (Inde). Les diacritiques permettent de noter ces oppositions et ils permettent également, de transcrire de façon plus fine les réalisations des phonèmes. Nous donnerons ici un premier exemple qui nous permettra de rebondir vers des questions didactiques. 287 L’Alphabet Phonétique International <?page no="288"?> On a souvent noté que le / ɔ/ en français était antériorisé. En 1958, Martinet a d’ailleurs publié un article resté célèbre, « Il est jeuli le Mareuc ! », où il étudie en détail l’antériorisation de / ɔ/ présentée comme typiquement parisienne (par ex. dans [maʁœk] plutôt que [maʁɔk]). Ce travail sera suivi de nombreuses autres études qui approfondissent l’évolution et la propagation géographique du phénomène (cf. Armstrong/ Low 2008, Saint-Gelais 2018). Cette tendance est cependant présente depuis fort longtemps : elle est bien pointée par Passy (1887) et, selon Fónagy (1989 : 245), il s’agirait en fait « d’un changement ‘en cours’ depuis le seizième siècle » (Durand/ Lyche 2020). Le problème est que les spécialistes ne s’accordent pas complètement sur la portée exacte de l’antério‐ risation et qu’on observe un gradient entre [ɔ] et [œ]. Or, un système comme l’API permet de noter des différences très fines puisqu’on peut symboliser un [ɔ] antériorisé par [ɔ̟] (petit plus en diacritique), un [œ] rétracté par [œ̠] (petit moins en diacritique) ou faire appel à la voyelle centrale arrondie [ɷ], permettant donc de symboliser le gradient [ɔ] - [ɔ̟] - [ɷ] - [œ̠] - [œ]. L’oreille humaine se perd facilement dans des discriminations trop fines, mais une étude acoustique de parole de laboratoire ou de corpus peut justifier de telles transcriptions. Cette façon de procéder a précisément été employée dans divers projets de didactique des langues comme le projet IPFC où les productions des apprenants sont liées à des transcriptions (exprimables par des codages) qui sont validées auditivement et acoustiquement (Detey/ Racine 2017, Racine/ Detey 2019). La présentation des diacritiques ci-dessus nous a permis d’affiner la distinc‐ tion entre une transcription phonémique et une transcription allophonique (ou phonétique au sens strict du terme). Ainsi deux locuteurs du français A et B peuvent partager la même représentation phonémique de Maroc (par exemple / maʁɔk/ avec barres obliques), mais différer sur le plan allophonique si A réalise ce mot comme [maʁɔ̟k] alors que B n’antériorise pas la voyelle arrondie et prononce [maʁɔk]. Cette distinction se voit souvent exprimée en termes de transcription large vs étroite. Pour compliquer les choses, le lecteur doit savoir que, dans la tradition de l’Association phonétique internationale, on emploie fréquemment l’expression transcription phonétique pour désigner toute transcription avec les symboles de l’API, que cette transcription représente exclusivement des unités distinctives ou non. 288 Jacques Durand (Toulouse), Chantal Lyche (Oslo) <?page no="289"?> 2.2.6 Suprasegmentaux Tab. 7 : Suprasegmentaux Tab. 8 : Tons Le terme suprasegmental désigne traditionnellement tous les traits phoniques dont le domaine est plus large que le son individuel (ou segment) et qu’on désigne souvent sous le nom de ‘prosodie’, au sens large du terme. Des symboles sont fournis par la division des séquences en syllabes, en groupes dits mineurs (pieds) et en groupes dits majeurs (unités intonatives). Le point permet de découper des unités en syllabes : on pourra ainsi noter trois prononciations 289 L’Alphabet Phonétique International <?page no="290"?> attestées de la forme lier de la façon suivante : [lje], [li.e], ou [li.je]. L’API fournit aussi des diacritiques pour les accents primaires et secondaires (par ex. angl. reconsider [ˌɹiːkənˈsɪdə]) et l’allongement (par ex. angl. bead [biːd]). L’enchaînement de sons dans un groupe donné peut être noté avec la ligature [  ͜  ] : le Handbook of the IPA donne comme exemple [ptit͜ami] petit ami en français. Les autres symboles offerts par l’API concernent les tons et les contours accentuels de mots. On peut s’étonner que le terme intonation ne figure pas dans le libellé. On sait néanmoins que les notions de ton et d’intonation reposent sur une même base physique : les variations de vibration des cordes vocales (techniquement, la fréquence fondamentale F0). Ton et intonation ne se différencient que par leur fonction. Pour résumer, les tons jouent un rôle lexical (ils permettent de distinguer les mots ou morphèmes d’une langue) et sont fréquents dans de nombreuses langues du monde (comme le chinois en Asie et le bambara en Afrique). L’intonation, en revanche, est présente dans toutes les langues. C’est une propriété des énoncés qui exprime des valeurs complexes : actes de parole (assertion, question, ordre, exclamation), attitude du locuteur (surprise, joie, colère, etc.), fonction démarcative. À nouveau, une notion comme celle de ton peut paraître peu utile au didacticien du français. Ce serait une erreur de le croire. Non seulement doit-on savoir que les apprenants peuvent provenir des nombreuses langues à tons du monde, mais il existe des zones francophones où les tons lexicaux sont pertinents (voir par exemple Bordal/ Skattum 2014 sur la prosodie des français d’Afrique). Globalement, la prosodie reçoit la portion congrue des symboles de l’API. Ce n’est pas que les membres de l’Association phonétique internationale ne se sentent pas concernés. Les travaux des grands fondateurs de l’API comme Passy et Jones accordent une place importante aux phénomènes d’accentuation, de rythme et d’intonation (Durand/ Lyche 2020). On se heurte cependant à une plus grande divergence chez les spécialistes sur la nature des phénomènes et leur notation. La notion d’intonème n’a jamais suscité le même accord que celle de phonème en phonologie comme le montre le scepticisme de Martinet (1960[2008 : 99-100]) quant à une analyse linguistique des fonctions pertinentes de l’intonation. Même si le phonème a pu être déconstruit dans de nombreux cadres théoriques surtout depuis l’émergence des modèles non-linéaires, la place du segment en phonologie et phonétique semble plus assurée que la représentation des gradients mélodiques en prosodie. 2.2.7 Quelques réflexions sur le tableau général de l’API La présentation des symboles de l’Association Phonétique Internationale dans le grand tableau général que nous venons d’examiner reflète en grande partie 290 Jacques Durand (Toulouse), Chantal Lyche (Oslo) <?page no="291"?> 10 Voir Ladefoged (1990) pour une réflexion plus poussée sur le système de l’API. 11 Voir par exemple Marchal (1987) sur les clics en français. Catford (1977 : 70) note l’existence de réalisations éjectives des plosives en français et en anglais. Pour une discussion récente des réalisations éjectives en anglais et en allemand, voir Simpson (2014). 12 On trouvera des historiques fiables de l’Association Phonétique Internationale et de son alphabet dans Galazzi (2000) et MacMahon (1986). Sur le rôle de Passy : voir Jones (1941), Galazzi (1992, 2002), Collins/ Mees (1999), Howard/ Smith (2002), Durand/ Lyche (2019, 2020), Le volume 40(3) de décembre 2010 du Journal of the International Phonetic son histoire sur laquelle nous revenons dans la section suivante. Pour ne prendre qu’un exemple, si l’API avait été conçu par des linguistes parlant des langues où les consonnes éjectives, les implosives ou les clics sont des unités distinctives, les symboles pour ces sons ne figureraient pas dans une case ‘Autres symboles’, mais auraient été immédiatement intégrés à des tableaux plus complexes. En phonétique générale moderne, si on veut décrire les consonnes, on ne présuppose pas que ces dernières sont seulement de type pulmonique égressif. On part de questions plus précises comme les suivantes : quelle est le flux d’air (pulmonique, glottalique ou vélarique) ? quelle est sa direction (ingressif vs égressif) ? quelle est l’action de la glotte ? quelle est la position du voile du palais ? quel type de rétrécissement ou de contact est en jeu ? quel est le lieu d’articulation ? quel est l’articulateur actif et l’articulateur passif ? Ces questions ne permettent pas la construction d’un tableau aussi simple que le tableau des consonnes pulmoniques que nous avons survolé plus haut. 10 Sa grande utilité provient cependant du fait, déjà souligné, que le flux d’air pulmonique égressif est attesté dans toutes les langues du monde et est souvent conçu comme non-marqué. L’utilisateur doit cependant savoir que du point de vue strictement phonétique, même une langue comme le français présente une gamme de sons bien plus large que celle qui est envisagée dans les introductions à la phonologie et à la phonétique. 11 Les exemples que nous avons déjà fournis ne font qu’effleurer un paysage en réalité bien plus complexe. Le lecteur ne doit donc pas présupposer que la connaissance d’un ensemble de symboles habituellement utilisé pour l’apprentissage de telle ou telle langue et auquel nous nous limitons ici peut se substituer à une solide connaissance de la phonétique et de la phonologie. 3 Brève histoire de l’Association Phonétique Internationale et de son alphabet Après s’être familiarisé avec les symboles de l’API, on peut légitimement s’interroger sur leur histoire. 12 La naissance et l’élaboration de l’API a été 291 L’Alphabet Phonétique International <?page no="292"?> Association offre aussi d’excellents documents historiques sur l’Association et son alphabet pour célébrer les 40 ans d’existence de cette revue qui a pris le relais du Maître phonétique. 13 Dans tous ses écrits, Passy utilise des majuscules pour les noms de langues. une affaire collective. Il ne fait cependant aucun doute que le phonéticien et didacticien français Paul Passy a été la cheville ouvrière de ce projet et nous lui accorderons une place spéciale dans notre retour historique. C’est Passy qui en 1886 crée The Phonetic Teachers’ Association qui s’élargit rapidement grâce aux nombreux liens qu’il a tissés avec un grand nombre de linguistes talentueux : Henry Sweet en Grande-Bretagne, Eduard Sievers et Wilhelm Viëtor en Allemagne, Johan Storm et August Western en Norvège, Johan August Lundell en Suède et Otto Jespersen au Danemark, pour ne citer que quelques-uns des acteurs liés à l’émergence de l’Association. Elle devient en 1889 l’Association Phonétique des Professeurs de Langues Vivantes pour prendre le nom, en 1897, d’Association Phonétique Internationale. Son organe de diffusion est le Maître Phonétique dont Passy, en tant que Secrétaire puis Président de l’Association, assure la publication. En 1914, qui représente un point culminant dans la vie de l’Association, cette dernière comptait 1751 membres dans 40 pays. L’Association a cependant beaucoup souffert des deux guerres mondiales au XX e siècle et le projet n’a pas toujours suscité le même enthousiasme chez les linguistes. Un grand effort collaboratif dans les années 1990 a mené à la révision de l’API et la publication en 1999 du Handbook of the International Phonetic Association. Ce travail s’est effectué dans la continuité de ce qu’avait proposé Passy puisqu’un très grand nombre de principes et de symboles ont été hérités de son engagement au sein de l’Association entre 1886 et 1940, année de son décès. Depuis lors, l’API n’a cessé de gagner du terrain. L’idée d’un alphabet phonétique universel n’était certes pas nouvelle au moment où Passy s’est lancé dans cette aventure, mais il existait encore beaucoup de linguistes et de pédagogues qui pensaient que chaque langue exigeait un alphabet phonétique différent. Passy objectait à juste titre que la diversité des alphabets pour, in fine, dénoter des sons très semblables voire identiques était dommageable pour les utilisateurs. Comme il le souligne dans ses Souvenirs, […] chaque auteur avait son système à lui ; bien mieux, le même auteur avait souvent plusieurs systèmes : moi-même j’avais employé une sorte de transcription pour enseigner l’Anglais 13 à mes compatriotes, une autre pour enseigner le Français aux Allemands, une troisième dans un premier livre de lecture destiné aux petits Français. D’où une confusion inextricable. (Passy 1930, Vol. 1 : 73) 292 Jacques Durand (Toulouse), Chantal Lyche (Oslo) <?page no="293"?> L’argument est simple : l’apprenant peut rencontrer un même son dans plusieurs langues qu’il étudie ou l’enseignant peut avoir à comprendre les approximations ou les « erreurs » que produisent des apprenants de L1 différentes dues à une même source. Ainsi, on trouve un [ç] en allemand (ich), en japonais comme réalisation allophonique de / h/ et en anglais comme réalisation de la séquence / hj/ dans huge (ou même comme phonème selon l’analyse qu’on adopte). N’est-il pas plus efficace d’utiliser le même symbole pour toutes ces langues que d’inventer des conventions ad hoc pour chaque langue ? Le deuxième argument qui était mis en avant par les fondateurs de l’API était la nécessité de se séparer de l’orthographe ordinaire surtout dans les phases initiales de l’apprentissage. Passy défendait même l’utilisation exclusive d’une transcription phonétique pour les primo-apprenants pendant la première année de formation. Cette idée ne suscite plus l’enthousiasme des didacticiens, mais il est indiscutable qu’une langue comme le français présente une orthographe re‐ doutable pour l’apprenant et qu’une transcription phonétique (plus précisément phonémique) aide à débroussailler le terrain. Comme le rappelle Passy : Tantôt des lettres différentes sont employées pour représenter un même son, comme dans le mot coq où c et q ont une même valeur ; tantôt une même lettre est employée pour deux sons différents, comme dans car, cent ; tantôt il faut deux lettres pour représenter un seul son, comme ch dans champ ; tantôt une seule lettre représente deux sons qui se suivent comme x pour gz dans exemple, pour ks dans boxe ; tantôt enfin une même lettre est tout à fait muette, comme e de beau et z de nez. (Passy 1913 : 10) On n’oubliera pas non plus qu’à ces problèmes d’orthographe de mots isolés vient s’ajouter la redoutable orthographe grammaticale de notre langue et, en particulier, la complexité des accords sans traduction phonétique comme dans les jolies images qu’il m’a données vs les jolis cadeaux qu’il m’a donnés. On peut évidemment objecter que, du point de vue pédagogique, un alphabet phonétique n’est pas indispensable. Pourquoi ne pas simplement accepter la graphie du français pour les buts de l’enseignement en la modifiant ici et là quand c’est nécessaire ? C’était, par exemple, la position de Martinon (1913) dans Comment on prononce le français. Il y déclarait que l’utilisation de signes phonétiques spéciaux est « parfaite du point de vue scientifique », mais que le recours à l’orthographe ordinaire est la seule façon d’atteindre la majorité des lecteurs. Cependant, si on se refuse à utiliser un symbole phonétique, quelle transcription orthographique choisira-t-on pour dénoter tel ou tel phonème ? Prenons comme exemple le phonème / ɛ͂/ du FR. Comme le note Martinon, ce phonème correspond à un très grand nombre de graphies : 293 L’Alphabet Phonétique International <?page no="294"?> 14 Ce terme est celui qu’utilise Passy. Nous dirions aujourd’hui nasales. […] d’abord vin, vins, prévint, vingt et quatre-vingts, instinct et même cinq, dans cinq sous ; puis sain, saint, seing, essaim, et leurs pluriels, feint, thym, avec vainc et vaincs ; de plus examen, viens et vient ; sans compter limpide, syntaxe et Reims ; et j’en passe peut-être. Et encore faut-il considérer à part soin ou marsouin, point, poing, et leurs pluriels. (Martinon 1913 : 128) Martinon choisit in pour dénoter cette voyelle nasale. Pourtant, un tel choix ne va pas sans poser de problèmes. Une première difficulté pour l’apprenant du français est que les voyelles nasales sont, du moins dans le FR, des sons simples. Comme le rappelle Passy (1913 : 83) : « Il faut se garder de croire que ces voyelles nasalées 14 se composent de deux sons. » Pour l’apprenant, vu la relative rareté des voyelles nasales phonémiques dans les langues du monde, la tâche principale est d’établir une qualité orale sous-jacente (par exemple [ɛ] qui n’a rien à voir avec le <i> de in) et d’arriver à produire simultanément de la nasalisation, ce que dénote le tilde en diacritique. Le choix de <in> comme notation phonétique est d’autant plus problématique que dans divers contextes, <in> peut être prononcé [in] : inapte, inhabité, vinifier, fine etc. Quand on examine de près le travail de Martinon qui offre des centaines de mots (y compris savants et étrangers) illustrant telle ou telle prononciation ou exception à une règle ou sous-règle, on s’interroge. Un lecteur à qui Martinon demande de savoir prononcer [in] dans in-quarto, in extenso, in petto, gin ou mackintosh, mais [ɛ͂] dans interview, aquatinte ou incognito, serait-il vraiment incapable de reconnaître et d’assimiler la transcription / ɛ͂/ ? Et si on ajoute l’observation que pour la quasi-majorité des locuteurs du FR actuel l’opposition / ɛ͂/ -/ œ̃/ est absente et qu’on n’a plus qu’un seul phonème pour brin et brun (voir section 4.2 infra), quel serait désormais le bon choix orthographique ? Le projet API, comme tout projet de notation phonologico-phonétique, s’op‐ pose fondamentalement à l’orthographe usuelle comme outil de description de la prononciation des langues. Il y a encore beaucoup de programmes de recherche s’appuyant sur des corpus qui ont recours à une orthographe aménagée pour transcrire l’oral. On note par exemple l’absence de schwa par une apostrophe (j’pense, ça m’va), on s’appuie sur les lettres les plus proches pour noter des prononciations jugées intéressantes (aouère pour avoir, chais pas pour je sais pas), on note les allongements par une multiplication de deux points (il est là : : : : ), on redouble des lettres (éttonant ! ) etc. Ces techniques sont totalement inadéquates (voir Durand/ Tarrier 2006, Durand/ Lyche 2013). Lorsqu’on veut transcrire des grands corpus, il vaut mieux utiliser l’orthographe ordinaire et avoir recours à une transcription phonétique (large ou étroite) dès qu’on veut être précis. Il en 294 Jacques Durand (Toulouse), Chantal Lyche (Oslo) <?page no="295"?> 15 A ceux qui nous objectent que le schwa de vue, par exemple, n’est jamais prononcé, rappelons l’usage du chant (Allons enfants de la patrie) et l’existence de variétés où le <e> graphique après voyelle peut correspondre à un allongement distinctif. A notre connaissance, aucun système s’appuyant sur des modifications systématiques de la graphie n’a la cohérence d’une transcription phonémique ou phonétique. va de même dans l’enseignement des langues. Enseigner le schwa français avec des artifices orthographiques entraîne une confusion totale sur l’objet à décrire (cf. Nouveau/ Detey 2007). Ainsi, utiliser une apostrophe ne présente aucun avantage par rapport à l’absence de la voyelle concernée dans une notation phonétique des mots. Étant donné qu’en français l’apostrophe a déjà des usages reconnus, on préférera [pti] ou [ɔmlɛt] à p’tit ou om’lett’. Si l’apostrophe note l’absence de prononciation d’un <e> orthographique, il faudrait être cohérent et noter aussi vu’ au lieu de vue [vy], et voi’ri au lieu de voierie [vwaʁi] pour s’en tenir à un seul type d’exemple. 15 C’est ce que ne font pas les critiques de la transcription phonétique adoptant au final des artifices et des descriptions plus complexes qu’une notation rigoureuse. 4 Représenter le français : des mots aux énoncés Dans cette section, nous illustrerons les symboles de l’API et aborderons quelques questions que soulève l’exercice de transcription en prenant le français comme objet d’étude. On entend parfois certains enseignants parler de la transcription API du français. C’est un abus de langage. Il y a des transcriptions qui respectent les symboles et les conventions de l’API et des transcriptions qui opèrent avec d’autres symboles. Ainsi, si on transcrit phonémiquement le mot français château de la façon suivante / šato/ , ce n’est pas une transcription conforme à l’API car elle contient le symbole / š/ qui est utilisé dans d’autres systèmes de transcription. Une transcription conforme à l’API serait / ʃato/ . Cependant, l’Association phonétique internationale ne se prononce pas sur la norme à adopter : par exemple, doit-on transcrire / ʃato/ ou / ʃɑto/ ? La présence ou non d’une opposition entre / a/ et / ɑ/ doit être établie pour toute variété donnée. Arrivés à ce point, nous avons désormais tous les outils pour explorer la question de la représentation des mots isolés en 4.1 avant de passer à la transcription de la parole suivie. 4.1 Des phonèmes aux transcriptions dictionnairiques Nous partirons ici d’une transcription possible conforme à l’API d’une variété du FR, celle que fournit Le Petit Robert (PR dorénavant). Le FR représenté est très conservateur et les éditions récentes du PR le concèdent et avouent dans 295 L’Alphabet Phonétique International <?page no="296"?> 16 Notez que l’apprenant du français doit intégrer le fait que certaines consonnes ortho‐ graphiques comme le <l> de gentil sont muettes alors que d’autres sont réalisées phonétiquement comme le <s> de lys. des introductions bien argumentées que diverses évolutions sur lesquelles nous reviendrons succinctement pourraient justifier un système phonémique plus simple. Néanmoins, le système adopté par le PR nous permettra de soulever quelques questions utiles pour la didactique du français. Commençons par le système vocalique. Nous illustrerons les symboles du PR en sélectionnant des mots qui révèlent une partie seulement de la complexité des solutions orthographiques correspondant aux phonèmes du français. Le PR offre une liste de 12 voyelles orales et 4 voyelles nasales : (2) Liste des phonèmes vocaliques dans le PR 1. / i/ si, lire, vie, gentil 16 , haï, laïque, finîmes, lys, pays 2. / e/ été, ses, élever, nez, épée, quai, œcuménique 3. / ɛ/ sait, laid, merci, fête, père, béret, irais, sommeil 4. / a/ la, patte, malle, ami, lame, accident, ananas 5. / ɑ/ las, bas, base, pâte, mâle, âme, râlement, enflammer 6. / y/ lu, parution, perdu, jus, rue, gageure, mû, eus, eût 7. / ø/ jeûne, meule, meute, creuse, jeu, queue, vœu, feutré 8. / œ/ jeune, peuple, neuf, couleur, heurter, feuillage, œil 9. / ɔ/ sotte, hotte, porc, snob, soja, bosse, bossu, émotif 10. / o/ saute, eau, hôte, fantôme, dos, repos, posé, émotion 11. / u/ soupe, boule, éblouir, où, dégoût, saouler 12. / ə/ le, ce, fenêtre, refaire, soufflera, porte-clé, monsieur 13. / ɛ̃/ brin, rein, vingt, plein, sain, faim, européen, thym, syntaxe 14. / œ̃/ brun, un, chacun, commun, parfum, défunt, (à) jeun 15. / ɑ̃/ en, dans, banc, rang, quand, entrer, enfler, pente, temps 16. / ɔ̃/ on, bon, dont, blond, fondu, ronfler, rompu, tomber 296 Jacques Durand (Toulouse), Chantal Lyche (Oslo) <?page no="297"?> 17 Le symbole API correct correspondant à <g> est / ɡ/ et non / g/ , erreur commise dans de nombreuses publications prétendant adhérer à l’API alors que ce symbole n’est pas inclus dans la liste autorisée. Dans les transcriptions manuscrites on demande désormais aux étudiants de tracer les symboles en stricte correspondance des symboles imprimés. Dans la première phase de l’API des versions cursives étaient incluses dans les présentations officielles. 18 Le symbole / ʀ/ , un ‘R’ majuscule ramené à la taille d’une minuscule, utilisé par le PR est bien un symbole de l’API, mais y dénote une uvulaire vibrante (ou roulée) et non pas une fricative. Nous revenons plus loin sur la transcription du ‘r’ en français. En ce qui concerne le système consonantique, le PR liste 20 consonnes. Il y ajoute / ŋ/ qui est attesté dans des formes d’origine anglaise, mais désormais bien intégrées au français, comme parking. (3) Liste des symboles consonantiques dans le PR 1. / p/ poux, pas, prix, cap, taupe, frappe, appel 2. / b/ bout, bas, bris, club, aube, début, abbé 3. / t/ toux, tas, tri, net, haute, éthique, hauteur, attirer 4. / d/ doux, dalle, dragon, raid, raide, laideur, addition 5. / k/ cou, cri, quoi, kaki, khalife, lac, laque, accord 6. / ɡ/ 17 goût, gant, gris, guerre, log, vogue, aggraver 7. / m/ moue, mur, tram, rame, remuer, femme 8. / n/ noue, nier, vanne, aîné, anniversaire 9. / ɲ/ agneau, baigner, magnifique, prégnant 10. / f/ fou, fa, frit, phare, phoque, affreux 11. / v/ vous, va, vrille, rêve, savoir, avril, divers 12. / s/ sous, sa, ciel, cygne, virus, basse, assidu 13. / z/ zouave, zèle, azur, position, aisé, bise 14. / ʃ/ chou, chariot, schiste, biche, richesse 15. / ʒ/ joue, janvier, gel, gigot, beige, déjà, fougère 16. / l/ loup, clair, mal, malle, belette, rallier 17. / ʀ/ 18 roue, trois, cher, cerf, orange, arrive 18. / j/ hiérarchie, yéti, chien, ail, cobaye, ailleurs 297 L’Alphabet Phonétique International <?page no="298"?> 19. / w/ ouest, oui, watt, water, fouet, alouette 20. / ɥ/ huile, huit, tuile, truie, pluie, poursuite Même si le PR utilise des crochets carrés, nous avons placé les symboles entre barres obliques pour rappeler que nous avons affaire à des phonèmes. À partir de ces symboles, le PR offre une transcription pour chaque entrée. Quel en est le statut ? Ce sont des représentations abstraites qui, une fois actualisées, fournissent la forme de citation du mot hors contexte (par exemple beaucoup [boku]). Cependant, du point de vue de la phonologie, certains spécialistes défendent l’idée que notre connaissance abstraite des mots inclut des informations sur le comportement des mots en contexte, par exemple le fait que beaucoup puisse avoir un [p] dans un environnement de liaison (beaucoup étudié [bokupetydje] ou [bokuetydje]). On pourrait donc imaginer que la transcription comporte un petit ‘p’ entre parenthèses ou en exposant pour montrer son statut particulier, soit / boku(p)/ ou / boku p / . On aurait alors une transcription phonologique (parfois qualifiée de morphophonologique) dont nous ne débattrons ni les mérites ni les démérites éventuels. C’est ce que font pour l’anglais RP des dictionnaires comme le Longman Pronunciation Dictionary (2008) ou le Cambridge English Pronouncing Dictionary (2011). En effet, tous les mots se terminant par un <r> orthographique sont censés pouvoir faire liaison avec le mot suivant s’il a une attaque vocalique. Le mot car y est donc transcrit / kɑː r / . Cette stratégie est d’ailleurs adoptée par le PR pour les mots décrits comme en ‘h aspiré’. Ainsi le mot hameau y est transcrit / ˈamo/ où le diacritique initial ne symbolise pas une accentuation comme dans l’API, mais le fait que ce mot est disjonctif (pas de liaison ou d’élision). On voit donc que la transcription usuelle des mots individuels n’est qu’un point de départ pour une réflexion plus approfondie sur la prononciation d’une langue. Elle ne substitue pas à une démarche phonologique et phonétique. Est-ce que le système du PR fait sens pédagogiquement ? Ici nous rappellerons notre position au sein du programme de recherche PFC (Phonologie du français contemporain : usages, variétés et structure), dans sa dimension didactique (cf. Detey et al. 2011). Pour nous, la notion de français de référence n’a pas une définition unique (cf. Detey et al. 2016b, Detey/ Lyche 2016). Elle est à repenser pour chaque situation socio-géographique : enseigner le français à Abidjan, Aix-en-Provence, Bruxelles ou Montréal demande une sensibilité aux prononciations locales qui a souvent été négligée dans l’enseignement de la phonétique. Pour la prononciation parisienne cultivée qui sert de modèle en France hexagonale au PR, on notera que l’opposition / a/ : / ɑ/ est menacée. 298 Jacques Durand (Toulouse), Chantal Lyche (Oslo) <?page no="299"?> 19 Employé par exemple par Coveney (2001), Pustka (2016). Les enquêtes récentes démontrent une érosion de cette opposition (Hansen 2012, 2014, Østby 2016). Par ailleurs, l’étude détaillée de Martinet/ Walter (1973) pour leur dictionnaire de la prononciation du français avait déjà pointé le fait que même les locuteurs qui pratiquaient l’opposition / a/ : / ɑ/ ne s’accordaient absolument pas sur les mots concernés. De même, l’opposition / ɛ̃/ : / œ̃/ n’est plus vivace en Île-de-France depuis longtemps, mais certains enseignants la maintiennent en défendant l’idée qu’elle est encore pratiquée dans le sud de la France et dans d’autres zones francophones (Durand/ Lyche sous presse, Hansen 1998). Enfin, le phonème / ɲ/ est loin d’être universel puisque de nombreux locuteurs lui substituent / nj/ (Durand/ Lyche 2019). Sur le plan des symboles, le problème le plus difficile est la transcription du phonème correspondant à la graphie <r> (ou <rr>). Majoritairement en France hexagonale, le ‘r’ est désormais uvulaire, mais il n’est pas vibrant (c’est-à-dire roulé) : le symbole [ʁ] 19 est donc préférable au symbole [ʀ] utilisé par le PR car ce dernier, si on est précis, correspond dans l’API à une uvulaire vibrante. Historiquement le ‘r’ antérieur vibrant (parfois appelé ‘r apical’) a précédé le ‘r’ uvulaire qui serait apparu dans la prononciation parisienne dès le XVII ème siècle et d’ailleurs peut-être sous une forme vibrante [ʀ] qui a progressivement laissé la place à une articulation fricative [ʁ] voire approximante [ʁ̞]. Du point de vue de l’API, un ‘r’ antérieur vibrant doit se transcrire [r] (et s’il n’y a qu’un seul battement, on parle d’une battue qu’on transcrit alors [ɾ]). Même si le ‘r’ uvulaire est devenu de plus en plus accepté dans l’Hexagone, le ‘r’ apical vibrant ([r]) a longtemps gardé un certain prestige. Grammont (1914) offre la remarque suivante : Il est encore très usité au théâtre et dans le parler oratoire, parce qu’il est plus net que tous les autres et porte mieux. Dans la conversation il disparaît de plus en plus, mais il est encore très acceptable, à condition de n’être pas trop roulé. (Grammont 1914 : 66) Fouché (1959 : xxviii) maintient toujours la même recommandation. Si on élargit les observations à toutes les variétés du français dans le monde, on s’aperçoit que le phonème partagé ‘r’ a un vaste ensemble de réalisations. Pour cette raison, même si le symbole [ʁ] est le plus correct pour le FR, nombreux ont été les phonologues et didacticiens à utiliser le symbole ‘r’ pour dénoter le phonème laissant sa qualité précise à une description allophonique (par exemple, Dell 1973/ 1985, Girard/ Lyche 1991). D’autres comme Fouché (1959), Léon/ Léon (1997) ou Lauret (2011) utilisent le même symbole que le PR, à savoir un 299 L’Alphabet Phonétique International <?page no="300"?> ‘r’ majuscule ramené à la taille d’une minuscule [ʀ]. Quelques autres, enfin, utilisent un ‘r’ majuscule (R) qui notons-le n’est pas un symbole de l’API, mais garde une neutralité par rapport à la réalisation effective du phonème (Detey et al. 2016a, Wioland 1991). Globalement, les symboles de l’API utilisés par le PR ont tenu le choc du temps puisqu’ils sont quasiment identiques à ceux qu’on trouve dans les Sons du français de Passy depuis la troisième édition en 1892 et à la transcription d’un passage témoin publié en 1999 dans Handbook of the IPA. 4.2 Quelques remarques sur la transcription des énoncés S’il est vrai que la transcription des mots individuels pose des problèmes épineux, on peut comprendre que la transcription des énoncés se révèle encore plus complexe. Dans la dernière partie du XIX e siècle, au moment de la création de l’API, de nombreux chercheurs étaient convaincus qu’une transcription phonétique très étroite représentait la solution scientifique évidente. Ainsi, supposons qu’un locuteur de FR dise Trouvez le rapport ! de la manière suivante [t̪ʷʁ̥ʷuvelʁ̞apʷɔːʁ̞] (sans prétendre que ce soit la seule prononciation et en laissant de côté toute indication prosodique sur l’accentuation ou l’intonation). On pourrait penser que le type de transcription adoptée ci-dessus fournit une représentation totalement adéquate de la prononciation effective de l’énoncé entendu. En effet, on a noté à l’aide de diacritiques les caractéristiques suivantes : (i) le [t] initial est dental et labialisé par un effet de coarticulation avec le [u] arrondi suivant, (ii) le / ʁ/ qui suit est dévoisé sous l’influence de l’occlusive initiale et également labialisé par le [u], (iii) le deuxième / ʁ/ est une approximante plutôt qu’une vraie fricative, ce qui est également vrai du / ʁ/ en position finale d’énoncé, (iv) le / p/ est phonétiquement labialisé par la voyelle arrondie / ɔ/ qui est allongée [ɔː] sous l’accent en position finale de groupe intonatif. Même en négligeant l’organisation prosodique de cet énoncé, on rappellera que du point de vue strictement acoustique les spectrogrammes permettent rarement une détection directe des segments qu’on pose dans une telle trans‐ cription. En effet, ils démontrent des chevauchements extraordinaires entre ce qu’on traite linguistiquement comme des unités linguistiques séparées les unes des autres, ce que confirment par ailleurs les études expérimentales sur l’articulation. De nombreuses propriétés (par exemple, la labialisation par coar‐ ticulation, le dévoisement ou l’allongement) ne sont pas binaires, mais mieux décrites en termes scalaires. Cette transcription reste donc un objet abstrait lié 300 Jacques Durand (Toulouse), Chantal Lyche (Oslo) <?page no="301"?> 20 Voir Heselwood (2013) pour une discussion poussée de la nature des transcriptions phonétiques. Certains grands linguistes comme Bloomfield (1933) ont rejeté de telles transcriptions allophoniques en arguant que la phonologie doit se limiter aux propriétés distinctives, donc aux phonèmes. 21 Notez en particulier que nous avons maintenu le symbole [ǝ] pour transcrire le schwa. aux représentations phonologiques et son adéquation est un sujet de polémique au sein de la communauté scientifique. 20 Les transcriptions allophoniques ne sont en fait ni plus ni moins scientifiques que les transcriptions phonémiques. Leur rôle dépend des objectifs qu’on se fixe. Les fondateurs de l’API avaient une position pratique sur la transcription pour l’enseignement des langues. Sweet qui servit de modèle aux jeunes fondateurs de l’API, dont Passy, recommandait pour la didactique des transcriptions larges (on dirait aujourd’hui phonémiques) qui permettent de combattre les effets pernicieux de l’orthographe sur la maîtrise du code oral. Il se plaisait à dire que l’apprenant du français à qui on a fait comprendre que [aksebo], [kɛksɛksa], [kjɛski] sont des prononciations fréquentes de Ah que c’est beau ! , Qu’est-ce que c’est que ça ? ou Qui est-ce qui ? sera mieux préparé à comprendre et produire de telles séquences que celui dont la seule voie d’accès au français est l’écrit assorti de recommandations générales fondée sur des translittérations artificielles (cf. Sweet 1899 : 9). Il est de tradition au sein de l’Association Phonétique Internationale d’illustrer les symboles à l’aide d’un passage transcrit en laissant un espace entre les mots pour plus de lisibilité et sans forcément noter l’accentuation pour une langue comme le français. Le passage actuellement utilisé est La bise et le soleil (qui est au départ une fable d’Ésope). Nous fournissons ci-dessous après la version orthographique une transcription large de ce passage qui s’inspire directement de la transcription plus étroite de Fougeron/ Smith (1999 : 80-81) dans le Handbook of the IPA  21 . (4a) La bise et le soleil (version orthographique) La bise et le soleil se disputaient, chacun assurant qu’il était le plus fort. Quand ils ont vu un voyageur qui s’avançait, enveloppé dans son manteau, ils sont tombés d’accord que celui qui arriverait le premier à le lui faire ôter serait regardé comme le plus fort. Alors la bise s’est mise à souffler de toutes ses forces, mais plus elle soufflait, plus le voyageur serrait son manteau autour de lui. Finalement, elle renonça à le lui faire ôter. Alors le soleil commença à briller et au bout d’un moment le voyageur réchauffé, ôta son manteau. Ainsi, la bise dut reconnaître que le soleil était le plus fort. 301 L’Alphabet Phonétique International <?page no="302"?> 22 On trouvera de nombreuses transcriptions API ainsi qu’une exploitation pédagogique du texte PFC dans Pustka (2016). 23 La prononciation familière rapide inclut un grand nombre d’assimilations et de chutes de segments. Les transcriptions lient les mots en groupes prosodiques alors que dans les autres styles de transcription tous les mots sont séparés. (4b) la biz e lə sɔlɛj (transcription API large) || la biz e lə sɔlɛj | sə dispytɛ || ʃakɛ̃ asyʁɑ̃ | kiletɛ lə ply fɔʁ || kɑ̃ t ilzɔ̃ vy ɛ̃ vwajaʒœʁ | ki savɑ̃ sɛ | ɑ̃ vlɔpe dɑ̃ sɔ̃ mɑ̃ to || il sɔ̃ tɔ̃ be dakɔʁ | kə səlɥi ki aʁivʁe lə pʁəmje | a lə lɥi fɛʁ ote | səʁɛ ʁəɡaʁde | kɔm lə ply fɔʁ || alɔʁ la biz | sɛ miz a sufle | də tut se fɔʁs || mɛ plyz ɛl suflɛ | ply lə vwajaʒœʁ | seʁɛ sɔ̃ mɑ̃ to | otuʁ də lɥi || finalmɑ̃ | ɛl ʁənɔ̃ sa | a lə lɥi fɛʁ ote || alɔʁ lə sɔlɛj | kɔmɑ̃ sa a bʁije || e o bu dɛ̃ mɔmɑ̃ | lə vwajaʒœʁ ʁeʃofe | ota sɔ̃ mɑ̃ to || ɛ̃ si la biz dy ʁəkɔnɛtʁə | kə lə sɔlɛj | etɛ lə ply fɔʁ || Nous avons respecté les frontières entre les mots proposées dans l’original de Fougeron/ Smith. Ces blancs correspondent à un désir de lisibilité souvent défendu dans la tradition API. Il ne faut donc pas les interpréter comme dénotant des silences entre les mots du texte. Au contraire, au sein des « mots phonologiques » indiqués par une seule barre verticale, l’énonciation serait d’une seule traite. Nous avons indiqué par une double barre verticale le début ou la fin d’un groupe intonatif. L’organisation rythmique des énoncés est une question difficile car il y a des libertés de choix incontestables. Nous avons, par ailleurs, adopté une prononciation relativement formelle en accord avec le style du texte et un rythme correspondant à la lecture à haute voix. Dans les programmes de recherche (comme PFC, Detey et al. 2016a) où la lecture à haute voix est comparée à divers types de conversation, cette dernière déclenche chez de nombreux locuteurs un système conservateur lié en grande partie à la graphie. 22 C’est pour cela que nous avons choisi de noter une liaison dans [plyz ɛl suflɛ], d’adopter la prononciation [il] dans [il sɔ̃ tɔ̃be] et de maintenir le groupe obstruante-liquide-schwa dans [ʁəkɔnɛtʁə kə] (plutôt que [i sɔ̃ tɔ̃be] et [ʁəkɔnɛt kə]). Nous avons aussi conservé des schwas qui seraient absents dans la parole ordinaire (par exemple, [e lə sɔlɛj] plutôt que [e l sɔlɛj]). Passy, quant à lui, offrait quatre niveaux dans Les Sons à partir de 1906 : « la prononciation familière rapide », « la prononciation familière ralentie », « la prononciation soignée » et « la prononciation très soignée ». La « pronon‐ ciation familière ralentie » qu’il recommande pour l’enseignement 23 est une construction pédagogique qui, en aucun cas, ne doit être confondue avec une prononciation formelle. Ainsi la grande majorité des schwas effaçables du texte en API ci-dessus y seraient absents, le pronom ‘il’ y est toujours prononcé [i] devant consonne, et les groupes obstruante-liquide seraient simplifiés. Passy 302 Jacques Durand (Toulouse), Chantal Lyche (Oslo) <?page no="303"?> fournit également des illustrations de variétés autonomes. En effet, à partir de 1906, toutes les éditions des Sons comprennent un petit texte retranscrit selon la prononciation du Nord, du Midi et de Suisse ainsi qu’une transcription de la parabole de l’enfant prodigue dans trois ‘patois’ comme on les appelait sans prescriptivisme à l’époque (Ezy-sur-Eure pour la Normandie, Val d’Ajol pour les Vosges, Arrette-en-Azun pour les Hautes-Pyrénées). La modernité de Passy s’affirmait encore dans sa conviction qu’aucune variété n’est meilleure qu’une autre, mais « pour l’enseignement, on est obligé de faire un choix. » (Passy 1913 : 9). Ces points de vue ne seront suivis par aucun de ses contemporains en France, tous préoccupés à mettre en valeur une norme plus ou moins idéalisée (Durand/ Lyche sous presse). On constate que l’API, tel que le concevaient ses créateurs n’était en rien un outil pour sanctuariser une norme contrairement à ce que prétendent certaines critiques. 5 Conclusion Dans le corps de ce chapitre, nous avons présenté à grands traits le système de l’API et quelques aspects de son application au français. Nos réflexions visent à démontrer que les notions d’alphabet phonétique et de transcription ne vont pas de soi. Les formateurs doivent assimiler un ensemble de concepts fondamentaux en phonologie et en phonétique pour bien saisir les tenants et les aboutissants de la transcription. Il ne s’agit pas d’hypostasier cette dernière en représentation ultime de la langue parlée car toute transcription dépend des objectifs qu’on se fixe. Face à la conviction encore trop répandue que l’orthographe usuelle suffit à la description de la prononciation des langues et à son enseignement, nous pensons que les bénéfices des transcriptions phonétiques (au sens large du terme) ne sont plus à démontrer. L’Alphabet Phonétique International de par sa stabilité depuis la fin du XIX e siècle, son caractère international, le soutien d’une communauté scientifique active et son usage dans des centaines d’ouvrages de référence occupe une place de choix dans la panoplie des compétences nécessaires en didactique des langues. Nous espérons que le présent travail aura au moins incité le lecteur à revenir sur cet alphabet et sur la riche tradition théorique, descriptive et pratique dont il émane. 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Nous tenons également à remercier tous nos collègues partenaires du projet INGPRO, Isabelle Ferrané, Julien Pinquier et Thomas Pelligrini enseignants-chercheurs à l'IRIT, Nadia Yassine-Diab, enseignant-chercheur au Lardil et Lionel Fontan, responsable de la cellule recherche et développement de l’entreprise Archean. Questionnements actuels sur une méthode de correction phonétique : approches théoriques et expérimentales de la verbo-tonale Charlotte Alazard-Guiu, Emilie Massa (Toulouse) 1 Introduction 1 La méthode verbo-tonale d’intégration phonétique (désormais MVT) n’est pas une méthode récente. Elle s’intègre dans la méthodologie Structuro-Globale Audio Visuelle (désormais SGAV), développée par Petar Guberina et Paul Rivenc dans les années 1960, qui accorde la priorité à la communication orale, en prenant en compte les systèmes vocaux, verbaux et gestuels (cf. Renard 1979, Cuq 2003). En outre, la MVT propose une approche originale en accordant la priorité à la prosodie et à la gestualité pour non seulement développer le système perceptif des apprenants mais aussi faciliter l’acquisition des sons problématiques de la langue cible. De plus, et c’est là un des atouts majeurs de cette méthode, la MVT propose une approche individualisée de la correction phonétique où le point de départ de la correction est l’erreur réellement produite par l’apprenant. Les enseignants qui pratiquent cette méthode rapportent de manière unanime d’excellents résultats obtenus chez les apprenants. Pourtant, en dehors de quelques cercles d’initiés, la MVT reste encore souvent méconnue des enseignants de français langue étrangère (FLE) et cela pour deux raisons. La première est qu’il n’existe pas d’ouvrage permettant de se former seul et de manière efficace à la MVT. Les avancées techniques en termes de formation à distance permettent aujourd’hui de suivre des formations à la MVT <?page no="312"?> 2 Via des MOOC https: / / www.fun-mooc.fr/ courses/ course-v1: univ-toulouse+101016+se ssion01/ about ou des ressources en ligne http: / / w3.uohprod.univ-tlse2.fr/ UOH-PHON ETIQUE-FLE/ . en ligne 2 mais jusqu’il y a encore peu de temps les enseignants souhaitant acquérir les techniques de correction devaient se rapprocher d’enseignants formateurs expérimentés au sein des universités dans lesquelles ils enseignaient ou via des stages de formations de formateurs organisés par les universités de Mons, de Padoue ou de Barcelone. La seconde raison est, qu’à l’exception de quelques études récentes, les fondements scientifiques de la méthode n’ont plus fait l’objet, depuis sa création, d’une mise à jour à la lumière de la recherche actuelle en phonétique perceptive et en acquisition, freinant ainsi sa diffusion auprès des didacticiens et des enseignants. Cet article poursuit un double objectif : d’une part celui de présenter la méthode et d’autre part de proposer une synthèse des études déjà menées ou actuellement en cours qui questionnent son efficacité et son fonctionnement. Nous pensons qu’un tel bilan pourra intéresser à la fois les enseignants de langue mais également chercheurs en acquisition et didactique de la phonétique. De manière plus spécifique, la partie 2 abordera les origines de la MVT ainsi que la présentation des différents procédés correctifs utilisés par la méthode. Nous présenterons dans la partie 3 trois études expérimentales que nous avons récemment menées et dont les résultats vont en faveur d’une meilleure efficacité de la MVT sur l’amélioration de la prononciation en comparaison à d’autres méthodes. Enfin la partie 4 sera consacrée au questionnement que nous menons actuellement sur la place du geste dans la MVT. 2 La méthode verbo-tonale : origines et fonctionnement 2.1 Aux origines de la méthode Les recherches de Guberina sur la réhabilitation de déficients auditifs vont l’amener à élaborer un nouveau système d’audiométrie, le système verbo-tonal (‘verbo’ se référant à la parole et ‘tonal’’ aux fréquences auxquelles notre oreille est sensible). L’audiométrie verbo-tonale a pour objectif d’évaluer la zone de fréquences où le locuteur restructure le mieux son audition, partant de l’hypothèse qu’une personne déficiente auditive n’est pas totalement ‘sourde’ mais structure ce qu’elle entend en fonction des seules fréquences qu’elle perçoit. De cela émergent deux hypothèses : il est possible de reconstruire des fréquences manquantes en se basant sur les fréquences existantes préservées et 312 Charlotte Alazard-Guiu, Emilie Massa (Toulouse) <?page no="313"?> d’autre part, la perception de la parole serait discontinue et seuls les éléments optimaux des stimuli seraient traités par le cerveau. En outre, Guberina postule qu’il existe des fréquences nécessaires et suffi‐ santes, fréquences dites optimales, qui permettent d’identifier correctement les phonèmes d’une langue donnée. Il estime que ces fréquences optimales seraient liées à la langue maternelle et à l’âge des auditeurs. Des recherches (Landercy/ Renard 1975, 1977) stimulent qu’il est possible de reconnaitre les phonèmes d’une langue donnée sans utiliser les formants mais en se basant sur des fréquences filtrées. Cependant ce principe de filtrage n’est pas assez étayé pour qu’il puisse être validé actuellement d’un point de vue de la phonétique perceptive. Si peu d’études actuelles se sont penchées sur l’existence de fréquences optimales, il est possible de rapprocher ce questionnement avec la théorie des aimants perceptifs proposée par Kuhl (1991 ; 1992 ; 1998). Kuhl (1991) défend l’idée selon laquelle tous les membres d’une même catégorie phonémique ne sont pas considérés comme équivalents par celui qui les perçoit, il y a les ‘bons’ et les ‘mauvais’ exemplaires et c’est à partir de ces prototypes que s’opère la catégorisation des sons de parole (cf. Nguyen 2005). Les notions de prototype et d’optimales présentent toutes deux un point commun : l’existence de conditions perceptives idéales dont découlerait la catégorisation des sons de parole. Toute‐ fois, la théorie des aimants perceptifs ne s’accorde pas avec l’idée d’une perception discontinue où seules les fréquences optimales seraient perçues, au contraire, selon cette théorie, l’auditeur serait capable de percevoir les bons comme les mauvais exemplaires dont la reconnaissance (ici discrimination entre deux sons) dépendrait de la position de l’exemplaire vis-à-vis du prototype. La plupart des modèles de traitement de la parole tendent à s’accorder sur ce dernier point et considèrent en effet qu’« un son de parole est associé à une valeur continue pour l’auditeur, selon que ce son représente plus ou moins bien la catégorie phonémique correspondante » (Nguyen 2005 : 7). 2.2 Applications à l’apprentissage des langues étrangères C’est en faisant le parallèle entre la systématicité des erreurs chez des personnes malentendantes et la systématicité des erreurs chez les apprenants de français langue étrangère que Guberina va développer l’idée que l’apprenant structure la matière phonique différemment du natif car il va utiliser le système qu’il possède déjà, le système de sa langue première (désormais L1). La figure 1 illustre la différence entre la réalité physique (acoustique) et notre monde perceptif. Dans cette réalité, / r/ et / l/ sont équidistants l’un de l’autre. Dans la réalité perceptive d’un Américain (B), on constate que les éléments 313 Approches théoriques et expérimentales de la verbo-tonale <?page no="314"?> intermédiaires ont été regroupés pour appartenir à l’une ou à l’autre des deux catégories phonémiques et qu’une distance s’est installée entre les deux sons, marquant la frontière phonémique. La réalité perceptive du Japonais n’a rien à voir avec celle de l’Américain : comme nous pouvons le voir sur l’image C, les deux phonèmes sont indissociables, la zone du / r/ recouvrant complètement la zone du / l/ . Fig. 1: Illustration de la différence entre réalité physique (le continuum sonore) et réalité perceptive (réorganisation du continnum avec les prototypes) pour l’anglais et le japonais (Kuhl 1998: 59) Certains auteurs utilisent la métaphore du crible phonologique pour expliquer comment un apprenant de L2 traite les sons qui n’appartiennent pas à sa L1 (Troubetzkoy 1939 ; Renard 1979 ; Billières 2002, 2005). Les recherches de Best et al. (2001) nous éclairent sur ce point. Dans le Perceptual Assimilation Model, les auteurs décrivent plusieurs traitements possibles lorsque nous sommes confrontés à des catégories que nous ne possédons pas déjà dans notre ‘crible natif ’. Dans le premier cas, chaque son non-natif peut être assimilé à une caté‐ gorie native différente. Par exemple, les deux voyelles du français, l’antérieure mi-fermée arrondie / ø/ présente dans le mot feu et la postérieure mi-ouverte arrondie / ɔ/ présent dans le mot porte, seront respectivement assimilées aux voyelles / e/ et / o/ en espagnol. Autre exemple, en français les interdentales sourdes et sonores de l’anglais / θ/ et/ ð/ sont réalisées comme [f] et [v]. Dans ce cas, la discrimination est excellente (Two-category discrimination). Mais il peut aussi arriver que les deux sons non-natifs soient assimilés à la même catégorie native. Pour des Japonais, par exemple, les sons / l/ et / r/ de l’anglais seront assimilés à une seule et même catégorie ou encore que les sons de la L2 ne soient rattachés à aucune catégorie existante (cf. Best et al. 1988). 314 Charlotte Alazard-Guiu, Emilie Massa (Toulouse) <?page no="315"?> 3 Figures extraites de la ressource en ligne http: / / w3.uohprod.univ-tlse2.fr/ UOH-PHON ETIQUE-FLE/ . L’enjeu de l’enseignant de phonétique va donc être de travailler sur cette dimension perceptive et aider l’apprenant à élargir son crible. C’est pourquoi la MVT postule l’existence d’un lien étroit et direct entre la production et la perception. Dans les principes de bases de la méthode, il y a l’idée qu’une bonne perception précèderait et permettrait la production. Si nous savons aujourd’hui que le lien entre perception et production est complexe (Nagle 2018 ; Baese-Berk 2019) la MVT a eu cependant le mérite de s’intéresser au système perceptif de l’apprenant dès son origine. 2.3 Principes correctifs en MVT L’objectif initial de la MVT est donc de rééduquer la perception des apprenants de L2 (au départ, la méthode s’appelait d’ailleurs méthode de rééducation phonétique, Renard, 1979). Le point de départ de cette rééducation est constitué par l’erreur de l’apprenant. Contrairement à l’approche articulatoire, la MVT propose une correction adaptée au système d’erreur réel et non pas supposé de l’apprenant de L2. Ce système est lié non seulement aux caractéristiques de la L1 de l’apprenant (son crible phonologique ; cf. supra), mais aussi aux caractéristiques individuelles de la construction de l’interlangue (Corder 1971, 1980 ; Selinker 1972). L’erreur rend compte d’un système transitoire, lié à la L1, à la L2 elle-même, mais aussi à la situation d’apprentissage. Ces travaux sur l’interlangue ont d’ailleurs amené des chercheurs à réfléchir à l’existence de parcours acquisitionnels en L2 (cf. Klein/ Perdue 1992 ; Watorek/ Perdue 2005), même si la question de l’acquisition de la prononciation reste encore trop peu étudiée. En MVT, le point de départ de la correction est le diagnostic de l’erreur. Pour ce faire, tous les sons d’une langue sont organisés les uns par rapport aux autres selon deux axes distincts : l’axe de la tension (associé à une répartition plus ou moins importante d’énergie neuromusculaire) ou sur l’axe clair/ sombre (liée à la répartition de l’énergie dans les fréquences hautes ou basses, c’est-à-dire en fonction du timbre des sons). Sur les figures 2 et 3, nous pouvons voir respectivement le classement des consonnes françaises sur l’axe de la tension et des voyelles sur l’axe clair/ sombre. 315 Approches théoriques et expérimentales de la verbo-tonale <?page no="316"?> 3 Figures extraites de la ressource en ligne http: / / w3.uohprod.univ-tlse2.fr/ UOH-PHON ETIQUE-FLE/ . Fig. 2 : Classement des consonnes sur l’axe de la tension (Billières et al. 2013 3 ) i e a y u o ! " # ø œœ $ %$ &$ '$ C + C - T + T - 1 er formant 2 ème formant 250 Hz 350 Hz 500 Hz 800 Hz -- -- 3 000 Hz 2 000 Hz 1 000 Hz ! " ! " ! " • • • • • • • • • • • Classement des voyelles françaises sur l axe clair / sombre et sur l axe de la tension Fig. 3 : Classement des voyelles sur l’axe clair/ sombre et sur l’axe de la tension (Billières et al. 2013) 316 Charlotte Alazard-Guiu, Emilie Massa (Toulouse) <?page no="317"?> 4 Selon le SGAV, l’apprentissage d’une L2 doit s’inspirer de l’acquisition de la L1 et se faire de la manière la plus « naturelle » possible. C’est pourquoi tout métalangage doit être évité, dans un premier temps. Dans la même logique, il était recommandé de repousser le passage à l’écrit pour ne pas gêner l’apprenant dans son apprentissage de l’oral. En s’appuyant sur ces deux axes correctifs, qui sont malgré tout associés à des critères articulatoires au départ, l’enseignant va proposer une correction personnalisée et adaptée à chaque apprenant dans le but d’amener ce dernier à mieux percevoir les sons de la L2 et progressivement, du moins en théorie, gagner en autonomie autant en perception qu’en production. La MVT repose également sur d’autres principes généraux, hérités du SGAV, comme le refus de l’intellectualisation 4 , la prise en compte du contexte sonore, la priorité accordée à la prosodie ou encore la prise en compte de la macro-ges‐ tualité (bras, mains, etc.). Ainsi, en MVT, un son ne doit jamais être corrigé de manière isolée, mais toujours intégré dans un contexte sonore ce qui permet de tenir compte des phénomènes de coarticulation et de compensation à l’intérieur des syllabes. Ainsi, en MVT, les consonnes sont également classées sur un axe clair/ sombre où les consonnes dentales (/ s/ , / z/ , / t/ , / d/ et / n/ ) permettront d’éclaircir le timbre des voyelles et les consonnes labiales (/ f/ , / v/ , / p/ , / b/ et / m/ ) de l’assombrir, par un phénomène de transition formantique. Autrement dit, un / u/ prononcé après un / b/ sera perçu avec un timbre plus sombre que s’il avait été prononcé avec un / s/ . En outre, la phonétique acoustique et la phonétique perceptive ont mis en évidence l’existence de ces variations contextuelles et leur rôle dans l’accès au lexique (cf. discrimination entre deux items lexicaux sur la base d’une variation combinatoire, travaux de Meunier 2005). Concernant la prosodie, en MVT, elle est abordée de deux façons : comme un élément à corriger en tant que tel, mais aussi comme un outil de correction. Les éléments suprasegmentaux constituent tout d’abord une priorité, comme support de la mémoire auditive (cf. les études sur le rôle de la prosodie sur le traitement du discours, voir par exemple Cohen et al. 2001, Astésano et al. 2004 ou, en L2, Alazard et al. 2009). Pour corriger des erreurs de rythme, par exemple, il existe plusieurs techniques comme la scansion ou le découpage régressif, tandis que l’intonation sera corrigée par le recours aux logatomes ou la visualisation de la courbe intonative par un geste de la main mimant les variations de la fréquence fondamentale. La prosodie est également utilisée pour corriger les phonèmes, une intonation montante aidera à percevoir un son avec un timbre plus clair alors qu’une intonation descendante favorisera l’assombrissement. De même un débit rapide augmentera la tension, tandis qu’un débit lent la diminuera. Pasdeloup (2004) a d’ailleurs mis en évidence le 317 Approches théoriques et expérimentales de la verbo-tonale <?page no="318"?> 5 Il n’existe pas à notre connaissance de cadre théorique concernant l’approche articula‐ toire, bien qu’elle soit l’approche la plus répandue. 6 Le feedforward correspond ici à la reformulation de l’énoncé dans le but d’en faciliter la perception (pour une définition plus exhaustive voir Hattie/ Timperley 2007). lien entre le débit et l’accentuation, l’accentuation influençant le timbre d’un son. Enfin, la MVT met en avant la relation corps/ phonation, complètement laissée de côté dans l’approche articulatoire 5 . Il existe en effet un lien entre la micro-motricité des organes de la phonation et la macro-motricité du grand corps (buste, mains etc.) (cf. Billières et al. 2002). De même pour Intravaia (1993), les schémas rythmico-mélodiques trouveraient leur enracinement dans le système gestuel propre à la culture de la langue cible. Le recours aux gestes (modelage de la courbe intonative par le geste de la main) faciliterait la production d’un rythme, d’une intonation ou d’un son défectueux. Derrière le recours au geste et à la prosodie, il y a aussi l’idée de travailler de la manière la plus naturelle ou implicite possible, dans le but de permettre l’automatisation et la procéduralisation (cf. Paradis 2004 ; Germain/ Netten 2005). Le lien entre gestualité et correction phonétique n’a été que très peu exploré jusqu’ici. On peut cependant rapporter quelques études récentes qui semblent montrer, du moins pour la dimension prosodique, que les gestes de battements ou les gestes mimant la courbe intonative faciliterait l’acquisition des paramè‐ tres prosodiques locaux ou globaux en L2 (cf. McCafferty 2006 ; Gluhareva/ Prieto 2017 ; Zhang et al. 2018). En résumé, la MVT offre une approche de l’enseignement de la prononciation dans un cadre méthodologique globalement cohérent vis-à-vis de recherches en perception de la parole et en psycholinguistique. Elle tient compte des éléments fondamentaux de la production et de la perception de la parole comme les aspects suprasegmentaux ou la multimodalité (recours aux gestes facilitants comme feedforward  6 correctif). Nous allons maintenant présenter trois études expérimentales récemment menées sur la MVT. 3 Études expérimentales qui questionnent l’efficacité de la MVT 3.1 Étude exploratoire sur la MVT (Alazard et al. 2010) Lors d’une étude exploratoire (Alazard et al. 2010), nous avons comparé l’enseignement de la prononciation (via la MVT) à un enseignement plus classique (basé sur une approche communicative globale). Cette première étude 318 Charlotte Alazard-Guiu, Emilie Massa (Toulouse) <?page no="319"?> 7 Les pauses ont été étiquetées comme grammaticales si elles apparaissaient à des frontières prosodiques acceptables par un natif. exploratoire a été réalisée en contexte exolingue auprès de quatre apprenants anglophones de FLE (de niveau débutant : 2 apprenants de niveau A1 et deux de niveau A2) qui ont suivi 1h30 de cours de français par semaine sur une durée de huit semaines, en France selon deux approches différentes. Un groupe test a suivi des séances de correction phonétique centrées sur la sensibilisation à la structure prosodique du français : le rythme et l’intonation ont été particulièrement travaillés avec ce groupe par la répétition de phrases types, les vire-langues et des jeux de rôle. Un groupe contrôle a suivi des cours de compréhension écrite ‘classique’ dans une approche communicative mettant en jeux les quatre savoir-faire visés en didactique (compréhensions orale et écrite, productions orale et écrite). Les apprenants ont été testés avant et après leur formation (respectivement t0 et t1). Ils ont été enregistrés individuellement dans une salle insonorisée. Les enregistrements ont été réalisés à l’aide de micro-casques individuels. Les conditions d’enregistrement étaient identiques pour t0 et t1. Les apprenants ont été testés en lecture oralisée, sachant que ce type de tâche n’avait été travailler ni dans le groupe test ni dans le groupe contrôle. Les mesures quantitatives et qualitatives des productions ont montré une amélioration supérieure pour les apprenants du groupe test. En effet, les mesures acoustiques ont illustré une tendance nette de raccourcissement des pauses vides et respiratoires grammaticales 7 et non grammaticales, ainsi qu’une tendance au raccourcissement de la durée des syllabes accentuées et des syllabes inaccentuées pour ces locuteurs uniquement. Ces résultats ont montré que seuls les locuteurs qui avaient reçu un entraî‐ nement à la correction phonétique par la MVT parvenaient à une meilleure fluence en lecture oralisée. La réduction de la durée des syllabes inaccentuées indique également un débit de parole plus rapide et donc plus fluide. De plus, nous savons que les phénomènes de pauses et d’allongement final reflètent les processus de planification, indiquant que les modifications observées dans la fluence de production pourraient révéler des modifications plus profondes au niveau cognitif. Les progrès réalisés étaient d’autant plus visibles pour le locuteur de niveau A1, renforçant une autre hypothèse défendue par la MVT, selon laquelle la correction phonétique serait plus efficace à un stade précoce de l’apprentissage de la L2. En contrepartie, nos résultats acoustiques indiquent enfin que la durée des phénomènes de pause et des accents n’a pas varié pour les locuteurs du groupe 319 Approches théoriques et expérimentales de la verbo-tonale <?page no="320"?> contrôle. La fluence en lecture oralisée des deux apprenants du groupe contrôle ne s’est donc pas améliorée après les huit semaines d’enseignements. Ces premières mesures quantitatives avaient été corroborées par les résultats du test perceptif. En effet, douze experts, enseignants et formateurs de FLE ayant suivi des cours d’introduction à la phonétique perceptive, avaient perçu une progression significative pour les apprenants du groupe test uniquement, en particulier pour l’apprenant de niveau débutant, A1. Ces résultats suggèrent que les transferts des caractéristiques prosodiques de la langue maternelle (anglais) sur la langue cible (français), comparables à travers les sujets lors du premier test, sont mieux maîtrisées en particulier pour l’apprenant de niveau débutant après entraînement via la MVT. Cette étude pilote offrait des résultats très encourageants et mettait en avant l’importance d’enseigner la prononciation en L2. Les deux études suivantes (Alazard 2013 ; Alazard et al. 2018) ont été réalisées dans la continuité de la précédente, dans le but de comparer l’efficacité de deux méthodes de correction phonétique, la MVT et l’approche articulatoire, au niveau de l’acquisition du suprasegmental dans un premier temps, puis du segmental dans un deuxième temps. 3.2 Comparaison entre l’approche articulatoire et de la MVT sur l’acquisition du suprasegmental (Alazard 2013) Nous avions tout d’abord formulé l’hypothèse selon laquelle seule la MVT aurait une incidence plus positive sur l’amélioration de la fluence des apprenants de FLE car ils auraient développé une compétence prosodique en L2, ce qui, selon nous, ne permettrait pas l’approche articulatoire qui se concentre essen‐ tiellement sur l’acquisition du segmental. Nous nous attendions à ce que les apprenants des groupes tests (MVT) produisent donc des schémas prosodiques plus proches de ceux du français : groupes rythmiques plus longs, plus de contraste entre les syllabes accentuées et les syllabes inaccentuées, moins de pauses agrammaticales et augmentation du débit de parole. Nous pensions de plus que les résultats seraient meilleurs chez les apprenants débutants car ils n’ont pas encore fossilisé leurs erreurs. Pour tester ces hypothèses, nous avons constitué deux groupes MVT (niveau débutant et niveau intermédiaire) qui ont donc suivi des cours de correction phonétique via la MVT et deux groupes qui ont suivi des cours de correction phonétique par la méthode articulatoire (ART) (niveau débutant et niveau avancé). Pendant les trois premières semaines (six séances de cours), nous avons proposé un travail centré uniquement sur l’oral (sans prise de note ou support écrit) pour tous les groupes (MVT et ART). Selon la méthodologie 320 Charlotte Alazard-Guiu, Emilie Massa (Toulouse) <?page no="321"?> SGAV, l’écrit ne devrait être introduit qu’après plusieurs heures d’enseignement exclusivement consacrées à l’oral. C’est pourquoi nous n’avons introduit l’écrit que lors de la quatrième semaine de cours. Pour cette étude longitudinale, nous avons testé 20 sujets anglophones. Les participants étaient âgés de 20 à 60 ans (moyenne d’âge 32,5 ans). Dix apprenants ont été évalués à un niveau élémentaire (dont quatre ont été évalués à un niveau introductif, niveau A1 du CECRL et six à un niveau A2 du CECRL) et 10 apprenants ont été évalués à un niveau plus ‘avancé’ (niveau intermédiaire B1 du CECRL). Nous avons testé les apprenants en lecture oralisée à trois reprises, avant la formation (s0) après trois semaines d’entrainement exclusivement à l’oral (s1) puis à la fin des huit semaines (s2) dans des conditions expérimentales identiques. Les sujets ont passé les tests individuellement dans une salle insonorisée. Les tests comprenaient chacun deux activités : une lecture oralisée d’un texte informatif et des questions de compréhension écrite, à l’oral, sur le texte lu. Nous avons créé un corpus de 3 textes différents pour chaque niveau. Les textes ont été présentés dans un ordre différent et aléatoire aux sujets. Après un entrainement de huit semaines, les résultats de cette seconde étude ont montré que les seuls les apprenants qui ont suivi les cours de correction phonétique via la MVT se sont améliorés : des tendances significatives ont plus particulièrement été observées chez les apprenants de niveau débutant du groupe MVT entre les stades s0 et s1. Nous avons remarqué une diminution du nombre de pauses agrammaticales, une augmentation du taux d’articulation et une augmentation du débit de parole pour ces apprenants, en seulement trois semaines d’entrainement. Ces paramètres étant de bons indicateurs de l’amélioration de la fluence nous pouvons conclure que seuls les apprenants débutants du groupe MVT ont amélioré la fluence en lecture oralisée s0 et s1 car ils ont mis en place des stratégies de planification différentes. De plus, nous avons observé une nette diminution de la durée des syllabes inaccentuées et une augmentation de la durée des syllabes accentuées entre s0 et s1, indiquant une augmentation de la densité accentuelle et du contraste accentuées/ inaccentuées. Ces variations de durée accentuelles indiquent que les apprenants débutants du groupe MVT produisent un schéma accentuel plus proche de celui du français après entraînement. De même, ces apprenants produisent des groupes rythmiques beaucoup plus longs après trois semaines d’entraînement via la MVT. Or, nous savons que les francophones ont tendance à produire des groupes rythmiques beaucoup plus longs que les anglophones (cf. Grosjean/ Deschamps 1972 ; Fletcher 1991). Autrement dit, les apprenants débutants du groupe MVT ont mis en place des stratégies d’encodage adaptées à la L2 via la maîtrise des 321 Approches théoriques et expérimentales de la verbo-tonale <?page no="322"?> Fig. 4 : Moyenne et intervalle de confiance du nombre de syllabe entre deux pauses, selon la methode (en blanc : ART ; en gris : MVT), le niveau (avancé vs débutant) et le stade de l’apprentissage (s0, s1 et s2) patrons prosodiques du français. Ainsi, la fluence mesurée indique bel et bien la mise en place d’une compétence rythmique en langue étrangère. De plus, comme nous pouvons le voir sur la figure 4, l’introduction de l’écrit induit une chute des performances pour les apprenants débutant du groupe MVT (chute de la fluence entre s1 et s2). Même si les résultats ne donnent pas de différences significatives, nous remarquons que l’effet négatif de l’introduction de l’écrit se retrouve dans tous les paramètres. On constate en effet une chute du taux d’articulation, une chute de la densité des groupes rythmiques, une augmentation du nombre de pauses agrammaticales et une augmentation de la durée des syllabes inaccentuées. Les performances des apprenants en s2 sont comparables à celles qu’ils avaient avant l’entraînement. L’introduction de l’écrit, ou plutôt de l’intellectualisation que cela amène, a entraîné une régression des performances des apprenants. Ainsi, il semblerait que même en L2 le passage à l’écrit nécessite un apprentissage spécifique, sans quoi les apprenants recourent aux stratégies de décodage de leur L1 (notamment le 322 Charlotte Alazard-Guiu, Emilie Massa (Toulouse) <?page no="323"?> découpage prosodique). Il y a encore peu de réflexion menée sur le passage à l’écrit en L2 et il serait vraiment intéressant de se pencher sur cette question. Même si le petit nombre de participants ne permet pas de tirer de grandes vérités sur la MVT, nos résultats tendent à valider expérimentalement l’efficacité de la MVT dans le développement de la compétence rythmique en L2 et renfor‐ cent un des fondements du SGAV, dont est issue la MVT, à savoir l’importance de travailler l’oral en priorité avant d’introduire l’écrit. 3.3 Comparaison la méthode articulatoire et de la MVT sur l’acquisition du segmental (Alazard et al. 2018) Dans une étude plus récente (Alazard et al. 2018), nous avons étudié l’incidence de la correction phonétique sur l’acquisition des voyelles en L2 à partir des mêmes données (Alazard 2013). Nous avons testé l’effet de la méthode utilisée sur les valeurs formantiques (F1-F2-F3) des voyelles produites par les apprenants entre s0 et s1 selon chacune des deux méthodes enseignées (MVT vs Articula‐ toire). Nous pensions que la MVT pourrait avoir une plus grande incidence sur la différenciation des timbres vocaliques des voyelles en position accentuée, grâce à l’attention consacrée au niveau prosodique et à l’utilisation de procédés correctifs visant à modéliser l’aperture et le lieu d’articulation par des gestes de tension ou de relâchement. Pour tester cette hypothèse, nous avons analysé les valeurs F1, F2 et F3 de 2100 segments vocaliques produits dans une tâche de lecture oralisée. De plus, à partir des valeurs formantiques obtenues, nous avons également mesuré les distances euclidiennes sur le plan F2*F3 pour les paires de voyelles suivantes : [u]/ [y], [e]/ [ø] et [ɛ]/ [œ], afin de déterminer si les apprenants avaient plus de facilités à catégoriser les voyelles données, avant et après entraînement, en fonction de la méthode. Nos premiers résultats n’ont pas montré d’incidence de l’apprentissage ni de la méthode sur les distances acoustiques ni sur les valeurs formantiques de F1 et F2. Les variations formantiques observées pourraient simplement être le résultat de la variabilité des participants. En revanche, nos résultats illustrent un effet du temps sur les valeurs formantiques de F3 pour la voyelle [a] chez tous les participants, après entrainement, quelle que soit la méthode utilisée. Les résultats issus des distances euclidiennes ne nous permettent cependant pas de dire si les participants arrivent à distinguer les paires de voyelles arrondies/ non arrondies dans l’espace acoustique. Une inspection individuelle par participant a montré que certains participants arrivent à baisser les valeurs formantiques de F3, indiquant ainsi que l’articulation de la voyelle [œ] est plus arrondie. Ces observations, encore préliminaires, nous amènent à penser que la correction phonétique des 323 Approches théoriques et expérimentales de la verbo-tonale <?page no="324"?> 8 Le projet INGPRO (Incidence des Gestes sur la PROnonciation) est un projet de recherche interdisciplinaire qui implique trois laboratoires toulousains (Octogone-Lordat, l’IRIT et le LAIRDIL) et l’entreprise Archean Technologies, autour d’une même probléma‐ tique : la corrélation entre les gestes et l’apprentissage de la prononciation en langue étrangère. Ce projet est financé par la région Occitanie (financement Recherche &Développement, 2019-2021). voyelles impliquerait la prise en compte des mouvements des lèvres, quelle que soit la méthode utilisée, ce qui fait écho aux travaux illustrant le lien irrépressible entre informations visuelles et auditives en perception de la parole (cf. p. ex. McGurk/ MacDonald 1976 ; Skipper et al, 2007 ; Yeung/ Werker, 2013). Ainsi les résultats de cette dernière étude, nous ont amené à considérer que l’acquisition des voyelles en L2 pourrait mettre en jeu des processus spécifiques, associés à une approche bimodale de la parole. Cette question est au cœur d’un projet en cours, le projet INGPRO 8 donc l’objectif est d’interroger l’incidence des gestes, utilisés comme feedforwards correctifs, selon les principes de la MVT, sur l’acquisition du segmental et du suprasegmental. 4 Recherche en cours : questionner l’apport de la multimodalité pour l’acquisition du segmental En effet, si les dernières décennies ont vu naître un intérêt croissant pour l’apport de la multimodalité dans l’acquisition d’une langue seconde (Gullberg 2006 ; Tellier 2008), peu de recherches se sont intéressées à la question de l’utilisation du geste dans l’apprentissage de la phonétique en L2. Certaines études basées sur des observations de classe ont montré que les apprenants semblaient sensibles à cette modalité gestuelle (cf. McCafferty 2006 et Smotrova 2015). En effet, les apprenants avaient tendance à naturellement imiter la gestuelle de l’enseignant et paraissaient mieux maitriser la dimension prosodique de la L2 étudiée après entrainement. Cependant, malgré ces observations prometteuses, l’absence de méthodologie bien définie (présentation de la méthode utilisée par les enseignants, justification des gestes utilisés, etc.), n’a pas permis une évaluation et une diffusion plus large de ces approches, basée sur les pratiques de classe. Plus récemment, néanmoins, d’autres études ont ouvert la voie à une approche plus expérimentaliste du rôle des gestes dans l’acquisition de la prononciation en L2 pour trois types de gestes, gestes rythmiques (beating gestures, cf. Gluhareva/ Prieto 2017), gestes de battement (clapping gestures, Zhang et al. 2020) et gestes iconiques (Connell et al. 2013 ; Morett/ Chang 2015 ; Yuan et al. 2019). En outre, dans un récent article, Yuan et al. (2019) ont montré que l’apprentissage de contrastes prosodiques (variation de la fréquence 324 Charlotte Alazard-Guiu, Emilie Massa (Toulouse) <?page no="325"?> 9 Corpus issu de la ressource en ligne : w3.uohprod.univ-tlse2.fr/ UOH-PHONETIQUE-FLE/ . fondamentale, F0 ou pitch) était significativement facilité par l’intégration des gestes dans la phase d’entrainement. Même après un temps relativement court, les apprenants sinophones débutants étaient capables de reconnaitre des intonations différentes en espagnol. Nos propres observations et analyses et les premiers résultats des études présentées précédemment (cf. Alazard 2013 ; Alazard et al. 2018) vont dans le même sens. Nous pensons que la visualisation des gestes, et en particulier celles de gestes co-verbaux métaphoriques ou iconiques et de battements (cf. McNeil 1992), ainsi que la visualisation des mouvements articulatoires (comme les mouvements des lèvres) pourraient constituer un outil formidable de mémorisation et d’apprentissage de la prononciation au niveau suprasegmental et segmental en L2. Comme nous l’avons vu dans la partie 2.3, le geste est partie prenante du procédé correctif en MVT car il faciliterait la production d’un rythme, d’une intonation ou d’un son. Afin de comprendre de manière empirique l’impact de la gestualité proposée par les praticiens de MVT, le point de départ a été d’analyser les gestes produits par les enseignants pour dresser une typologie, encore inexistante, des gestes réellement utilisés. Nous nous sommes appuyées pour cela sur l’analyse de deux corpus vidéo de six enseignants pratiquant la MVT depuis plusieurs années. Tous les ensei‐ gnants ont été formés à la méthode durant leur master effectué à l’Université de Toulouse 2 ou via des stages de formations de formateurs organisés par l’université de Mons, de Padoue ou de Barcelone. Le premier corpus 9 (Billières et al. 2013) est composé de vidéos de cinq classes de correction phonétique par la MVT et réalisées par trois enseignants de français langue étrangère auprès d’apprenants de langues maternelles diverses. Le second corpus est composé d’extraits vidéo dans lesquelles il a été demandé à cinq enseignants de réaliser la correction par la MVT de cinq erreurs phonétiques en contexte de phrase. La consigne donnée aux enseignants était : « Que feriez-vous pour corriger un apprenant qui prononce, par exemple, je prends la balise au lieu de je prends la valise ? » L’enseignant exécutait ensuite l’ensemble du procédé correctif. Nous avons analysé l’ensemble des procédés correctifs présents dans les vidéos. Pour classer les gestes, nous avons distingué les types de procédés correctifs utilisés dans la méthode à savoir les procédés suprasegmentaux (voir tableau 1 en annexe) qui corrigent les erreurs suprasegmentales (p. ex. l’apprenant n’arrive pas à reproduire la courbe prosodique de la phrase donnée par l’enseignant) ou qui corrigent une erreur segmentale grâce à un contexte prosodique facilitant 325 Approches théoriques et expérimentales de la verbo-tonale <?page no="326"?> (p. ex. l’enseignant va placer le phonème dans une courbe intonative montante pour aider l’apprenant à percevoir et donc à produire le son avec un timbre plus clair) et les procédés segmentaux (voir tableau 2 en annexe) qui corrigent des erreurs segmentales (p. ex. l’apprenant produit mal un son et l’enseignant utilise un procédé qui ne fait pas appel à la prosodie facilitante). Nous avons utilisé le modèle de McNeil (1992) pour décrire et classer les gestes produits par les enseignants. Nous avons relevé quatre grands types de geste : 1. des gestes iconiques qui miment la courbe intonative ; 2. des gestes de battements associés à l’alternance des syllabes fortes et des syllabes faibles ; 3. des gestes métaphoriques qui miment des concepts abstraits comme la tension, le relâchement (Fig. 5), l’allongement, l’ouverture (Fig. 6) la séparation ou le regroupement; 4. des déictiques qui vont soit aider l’apprenant à repérer le son à corriger dans la phrase, soit montrer le résonateur à solliciter principalement dans la réalisation du son. La figure 5 illustre un geste métaphorique de relâchement effectué dans le procédé correctif qui consiste à placer le son dans un contexte d’intonation descendante et agir sur l’axe de la tension pour aller vers une diminution de la tension. L’erreur à corriger ici est la voyelle [e] dans [ʒesɥimalad]. Le corps mime la détente, la tête et le buste se penchent progressivement vers le bas, les bras descendent plus bas (ou peuvent se placer le long du corps). Fig. 5 : Position initiale (à gauche) et apex du geste (point culminant, à droite) du geste de relâchement. 326 Charlotte Alazard-Guiu, Emilie Massa (Toulouse) <?page no="327"?> La figure 6 illustre un geste métaphorique d’ouverture utilisé pour faciliter la perception de la nasalisation. L’enseignant a le poing fermé au départ et au moment de prononcer la syllabe [də] puis il ouvre la main en prononçant la syllabe [mɛ̃] pour illustrer l’ouverture supplémentaire induite par le passage de l’air par le nez. Il revient ensuite à la position initiale, poing fermé. Fig. 6 : Geste d’ouverture Si les différents procédés utilisés pour corriger les apprenants sont clairement décrits en MVT, le visionnage des corpus nous a fait prendre conscience que le geste, qui a pourtant une place centrale dans la méthode, est soumis à une grande variabilité interet parfois même intra-enseignants pour un même procédé correctif. La figure 6 montre par exemple des gestes produits par cinq enseignants lors de la réalisation d’un même procédé correctif pour une même erreur donnée, ici le / y/ prononcé [u] dans la phrase il a beaucoup bu. La variabilité s’observe sur le geste en lui-même et à différents niveaux : concernant l’amplitude, des enseignants produisent des gestes de grandes amplitudes et d’autres de faible amplitude ; concernant les articulateurs impli‐ qués pour réaliser le geste, certains enseignants utilisant un grand ensemble d’articulateurs du haut et du bas du corps (tête, bras, mains, buste et jambes) tandis que d’autres n’utilisent que les bras ou la tête. 327 Approches théoriques et expérimentales de la verbo-tonale <?page no="328"?> Fig. 7 : Apex (point culminant) du geste dans le procédé correctif qui consiste à placer le phonème à éclaircir dans un contexte prosodique montant tout en mimant l’intonation. Les images ont été prises au moment où l’intonation est la plus montante. De plus, il n’y a pas de corrélation stricte entre un procédé et un geste, celui-ci pouvant être employé dans plusieurs procédés correctifs. Les gestes proposés dans des procédés correctifs d’une erreur segmentale pour agir sur la tension des consonnes ou la tension/ l’éclaircissement des voyelles sont similaires aux gestes qui placent l’erreur dans un contexte prosodique modifié et miment l’intonation. Il s’agira, par exemple de baisser la tête, de rentrer les épaules et de pencher le buste en avant pour éclaircir une voyelle de manière isolée ou dans un contexte de prosodie descendante. Ainsi la MVT accorde une place déterminante à la multimodalité sans imposer pour autant de règles concernant les gestes à effectuer pour un procédé correctif particulier et induisant une variabilité interet intra-individuelle similaire à n’importe quelle autre situation de communication, ce qui rend difficile l’analyse et la validation expérimentale du recours à la gestualité comme procédé correctif. 328 Charlotte Alazard-Guiu, Emilie Massa (Toulouse) <?page no="329"?> 5 Conclusion Il n’est pas toujours évident de faire le lien entre les pratiques de classes et la recherche scientifique. La MVT par son approche originale de l’enseignement de la prononciation est une méthode qui suscite l’intérêt des praticiens comme des chercheurs. L’objectif de cet article était tout d’abord de revenir aux fondamentaux de la MVT en faisant le lien entre les présupposés initiaux de cette méthode et les connaissances scientifiques actuelles sur la perception de la parole ou l’acquisition de la L2. D’autre part, nous avons souhaité présenter des études expérimentales visant à questionner l’impact de la méthode sur le niveau segmental et suprasegmental, ainsi que l’efficacité des procédés correctifs utilisés. Les résultats obtenus dans ces études de cas ont montré qu’à raison d’un entrainement régulier à la correction phonétique, la MVT permettait de mettre en place des stratégies de décodage adaptées à la L2, en particulier pour l’acquisition des paramètres prosodiques, le rythme et l’intonation. Les résultats sont plus mitigés concernant l’acquisition du segmental puisque les apprenants du groupe ayant suivi un entrainement en MVT et en méthode ar‐ ticulatoire présentent une progression comparable. Il est possible de considérer que l’acquisition du segmental nécessite un entraînement plus long et que des différences auraient été observées après huit semaines. D’autre part, la prise en compte de la micro-gestualité, comme la labialisation, quelle que soit la méthode utilisée, nous a amené à remettre en question l’impact de la gestuelle facilitante telle qu’elle est présentée par la MVT. L’objectif du projet INGPRO est d’apporter un éclairage sur cette question. Ainsi, après une première étape qui nous a permis de lister et de classer l’ensemble des gestes produits par les enseignants dans les corpus, la suite du projet sera consacrée au découpage et à l’annotation des gestes et à l’alignement automatique afin de dégager des invariants entre la réalisation du geste et la prononciation du procédé correctif. La finalité sera de créer un avatar reproduisant les gestes réalisés par les enseignants et de l’implémenter dans un logiciel d’apprentissage de la prononciation pour observer l’impact du geste sur l’amélioration de la prononciation. Ce choix d’utiliser un avatar permettra d’une part de supprimer la variabilité entre deux réalisations d’un même geste et de contrôler facilement les différentes conditions expérimentales (gestes vs absence de gestes) dans l’acquisition du suprasegmental et du segmental en FLE. 329 Approches théoriques et expérimentales de la verbo-tonale <?page no="330"?> Références Alazard, Charlotte/ Astésano, Corine/ Billières, Michel/ Espesser, Robert (2009) : « Rôle de la prosodie dans la structuration du discours - Proposition d’une méthodologie d’enseignement de l’oral vers l’écrit en Français Langue Etrangère », in : Yoo, Hiyon/ Delais-Roussarie, Eisabeth (eds.) : IDP 2009 Proceedings, Paris, 49-61. http: / / makino.li nguist.jussieu.fr/ idp09/ actes_fr.html. 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Geste déictique (pointage du son dans la phrase ou du résonateur impliqué dans la réalisation du phonème) L’enseignant fait un geste pour signifier l’endroit où se trouve le phonème à corriger dans la phrase. Nous avons relevé plusieurs gestes différents : la main qui s’ouvre vers l’avant ; les doigts de la main paume vers le bas qui s’abaissent ; le menton qui s’abaisse. L’enseignant pointe du doigt le résonateur au mo‐ ment où il prononce le son. : le nez pour l’aide à la prononciation d’une nasale, la gorge pour le son [r], les lèvres pour les bilabiales. Répétition du phonème er‐ roné et du phonème correct pour aider la discrimination L’apprenant n’arrive pas à modi‐ fier pas sa prononciation après le procédé correctif. Geste métaphorique de la représentation du phonème sur les tableaux de classement L’enseignant fait un geste pour chaque son corres‐ pondant à leur place dans les tableaux de classe‐ ment des voyelles et consonnes sur l’axe C+/ Cet T+/ T. Un enseignant avance par exemple son bras en [ʒəsɥimalad] et le recule pour [ʒosɥimalad]. Le phonème / ə/ étant à l’opposé du / o/ sur l’axe C+/ C-. Un autre enseignant avance sa main pour prononcer [ʒuʁne]. (T+) et fait le même mouvement mais plus bas pour prononcer [juʁne] (T-) Tension d’une consonne/ d’une voyelle Éclaircissement d’une voyelle. L’apprenant prononce une voyelle trop sombre ou une consonne trop détendue (voir exemple tableau 1). Geste métaphorique de tension Ce procédé diffère légèrement de celui décrit différent du geste décrit ci-dessus car la tension ne se réalise pas dans un contexte de prosodie montante. L’enseignant produit un geste qui mime de la tension sans impliquer tout le corps : seul le bras ou la tête peut monter. Parmi les enseignants, un en particulier utilise majoritaire‐ ment les expressions faciales pour ce type de correction en relevant les sourcils. 334 Charlotte Alazard-Guiu, Emilie Massa (Toulouse) <?page no="335"?> Détente d’une con‐ sonne/ d’une voyelle ou as‐ sombrissement d’une voyelle. L’apprenant prononce une voyelle trop claire ou une consonne trop tendue (voir exemple tableau 1). Geste métaphorique de détente Ce procédé diffère légèrement de celui décrit dans le tableau précédent car la tension ne se réalise pas dans un contexte de prosodie descendante. L’enseignant produit un geste qui mime de la détente ou l’assom‐ brissement sans impliquer tout le corps : seul le bras placé en position haute peut descendre ou la tête s’abaisser. Un enseignant mains jointe paume vers le haut ouvrent se deux mains vers le bas comme pour mimer quelque chose qui est laissé tomber au sol. Séparation de deux sons L’apprenant lie deux sons qui de‐ vraient s’entendre distinctement. Geste métaphorique de séparation L’enseignant fait un geste qui mime la distinction au moment où les phonèmes sont produits. Il place par exemple sa main à gauche en prononçant le 1 er phonème puis la déplace à droite pour le deuxième. Le geste peut être réaliser avec la tête en hochant la tête sur chacun des sons. Regroupement de deux pho‐ nèmes L’apprenant prononce distincte‐ ment deux sons qui devraient se lier. Geste métaphorique de regroupement L’enseignant produit un geste qui mime le regroupe‐ ment. Bras écartés au départ, il rapproche ses deux mains ou main ouverte au départ il serre le poing au moment où il prononce le son. Tab. 2 : Les gestes accompagnant les procédés de correction segmentaux 335 Approches théoriques et expérimentales de la verbo-tonale <?page no="337"?> 1 Ich möchte mich bei meinem Kollegen Julien Verrière, Doktoranden an der Universität Wuppertal in Deutschland und Lille in Frankreich sowie Dozenten für Französisch in der Romanistik und am Fachsprachzentrum der Universität Bielefeld, bedanken, der mir mit seiner fachlichen Unterstützung beim Entwurf der Ausspracheübungen in diesem Beitrag geholfen hat. Methoden der DaF-Ausspracheschulung im Französischunterricht Giselle Valman (Bielefeld) 1 Einführung 1 Die Behandlung der Ausspracheschulung im Fremdsprachenunterricht wurde viele Jahre außer Acht gelassen oder nur im Hintergrund thematisiert, erst ab den 1990er Jahren bekam die Arbeit an der Aussprache im DaF-Bereich einen höheren Stellenwert (vgl. Valman 2019: 21 ff.). Eine im Jahr 2014 durchgeführte Umfrage in hispanophonen Ländern zeigt, dass einige DaF-Lehrende noch viele Ausspracheübungen aus den Lehrwerken für den Unterricht überspringen, um aus Zeitmangel eher Grammatik oder Wortschatz zu üben (vgl. Valman 2019: 110 ff.). Das Fach Phonetik in DaF bemüht sich jedoch durch zahlreiche Unter‐ suchungen und eine große Auswahl an methodisch-didaktischen Vorschlägen einen gleichwertigen Stellenwert im Vergleich zu den anderen wichtigen Teil‐ kompetenzen im Fremdsprachenunterricht zu erreichen. So kann die Arbeit an der Aussprache zu einem essenziellen Teil des Unterrichts werden. Der Phonetik in DaF ist es inzwischen gut gelungen, über die in der Mehrheit der Lehrmaterialien verwendete Papageien-Methode (Hören und Imitation) hin‐ auszugehen und stattdessen eine breitere Palette an methodisch-didaktischen Materialien und Übungen anzubieten. Dies basiert v. a. auf mehreren seit den 1990er Jahren durchgeführten kritischen Analysen von DaF-Lehrwerken und auf Forschungsergebnissen im Bereich der Interferenzproblematik sowie der phonetischen Verständlichkeit. Die daraus resultierenden methodisch-didakti‐ schen Überlegungen führten zu einer qualitativen Verbesserung der Ausspra‐ cheübungen in den Lehrmaterialien für DaF (Hirschfeld/ Reinke 2018: 183). <?page no="338"?> Viele dieser Überlegungen wurden empirisch überprüft, wie z. B. die phone‐ tische Verständlichkeit Deutschlernender, die Integration von Musik in die Ausspracheschulung, die Berücksichtigung der Prosodie zur Aussprachever‐ besserung im segmentalen Bereich, die Wirkung dramapädagogischer Mittel in der Ausspracheschulung sowie die Integration phonetisch-phonologischer kontrastiver Aspekte in die Ausspracheübungen (vgl. Hirschfeld 1994; Dahmen 2013; Morgret 2014; Wild 2015; Chudoba 2017; Valman 2019). Der vorliegende Beitrag möchte über die bereits bestehenden Fortschritte in der Ausspracheschulung für FLE hinaus gehen und das Fach Phonetik in FLE durch die Darstellung von Weiterentwicklungen aus anderen Fremdsprachen, wie z. B. Deutsch, bereichern. Im Hinblick darauf setzt sich dieser Beitrag mit der Frage auseinander, wie die positive Entwicklung der Ausspracheschulung der letzten Jahre in DaF zur Gestaltung von Übungen im FLE-Bereich berücksichtigt werden kann. Dafür werden zwei einander ergänzende methodisch-didaktische Aspekte dargestellt: acht Prinzipien für Ausspracheschulung (vgl. 2.2) und die für den DaF-Bereich aktuell vorhandene Übungstypologie (vgl. 3.). Anschlie‐ ßend wird anhand eines Beispiels veranschaulicht, wie die methodisch-didakti‐ sche Grundlage für die Phonetik in DaF bei Ausspracheübungen im FLE-Bereich angewendet werden kann (vgl. 4.). 2 Entwicklung der DaF-Ausspracheschulung Vor der Schilderung der positiven Entwicklung der Ausspracheschulung im DaF-Unterricht seit den 1990er Jahren (vgl. 2.2), soll zunächst ein zusammen‐ fassender Überblick über die historische Entwicklung der Phonetik im Fremd‐ sprachenunterricht geliefert werden (vgl. 2.1). 2.1 Im Fremdsprachenunterricht vor den 1990er Jahren Die Ausspracheschulung im Fremdsprachenunterricht hat sich während des 20. Jahrhunderts nicht gleichmäßig entwickelt. Ein Blick auf die chronologische Methodenentwicklung soll das verdeutlichen. Dabei liegt der Schwerpunkt auf den Methoden, die sich positiv oder negativ auf die Ausspracheschulung ausgewirkt haben. Als wichtiges Ausgangsdatum kann hier das Jahr 1886 gelten, in dem die Association Phonétique Internationale (API) von Sprachwis‐ senschaftler*innen und Fremdsprachenlehrenden in Paris gegründet wurde (vgl. Durand/ Lyche in diesem Band). Die dadurch erreichte Anerkennung der Phonetik als eigenständige Wissenschaft ermöglichte in der Folge ihre Berücksichtigung im Fremdsprachenunterricht. 338 Giselle Valman (Bielefeld) <?page no="339"?> Zu diesem Zeitpunkt herrschte eine starke Kritik an der vorherrschenden Grammatik-Übersetzungsmethode, die auf der Sprachlehre der Altphilologie basierte. Schwerpunkt dieser Methode war die Übersetzung klassischer Texte aus dem Lateinischen und Griechischen sowie die Analyse der Grammatik. Durch die Verwendung der Erstsprache im Unterricht blieb ein kommunikativer Gebrauch in der Fremdsprache und die Arbeit an der Aussprache aus (vgl. Haß 2010: 152; vgl. Valman 2019: 22). Wilhelm Viëtor, einer der Mitbegründer der API, widersetzte sich der Grammatik-Übersetzungsmethode und forderte in seiner im Jahr 1882 verfassten Schrift „Der Sprachunterricht muss umkehren! “ eine Neuorientierung des Fremdsprachenunterrichts, wobei u. a. die Mündlichkeit gefördert werden sollte. Er gilt somit als Reformer und sein Grundgedanke kann als Grundstein zur Entwicklung der modernen Ausspracheschulung im Fremdsprachenunterricht angesehen werden (vgl. Decke-Cornill/ Küster 2010: 65; Henrici 2001: 842). Eine Dominanz der Mündlichkeit manifestierte sich danach in der Direkten Methode, die Sprache als etwas Lebendiges und somit als wichtiges Mittel zur Kommunikation betrachtete. Das Sprachkönnen (Anwendung der Fremd‐ sprache) war wichtiger als das Sprachwissen (Wissen über eine Fremdsprache). Die Mündlichkeit stand hier vor dem Schriftlichen (vgl. Henrici 2001: 844; Haß 2010: 152; Decke-Cornill/ Küster 2010: 65). Diese Aspekte schlugen sich positiv auf die Ausspracheschulung nieder. Die Erstsprache hatte keinen Platz im Unterricht und so bekam die Aussprache in der Fremdsprache einen höheren Stellenwert, wobei diese mit Hilfe von Intuition und durch Imitation gelernt wurde (vgl. Missaglia 1999: 16; Wild 2015: 73; Valman 2019: 23). Zunächst übten die Lernenden die phonetischen Transkriptionen und anschließend die Standardorthografie. In der Folge lernten sie Aussprache ungesteuert wie beim Erstspracherwerb (vgl. Wild 2015: 73). Ende des 19. Jahrhunderts entsteht die Tradition des phonetischen Vorkurses bzw. Einführungskurses. Hierbei machten sich die Lernenden von Anfang an mit der Phonem-Graphemen-Beziehung der Fremdsprache vertraut. Es wurden im Voraus schwerpunktmäßig solche Themen behandelt, die den Lernenden potenziell Schwierigkeiten bereiteten. Es ging v. a. um ihre Sensibilisierung für den Klang der Fremdsprache, um Aussprachefehlern vorzubeugen (vgl. Dieling/ Hirschfeld 2000: 42 f.; Hirschfeld/ Reinke 2018: 192). Hierzu hat die API selbst die Arbeit mit Visualisierungen der Sprechorgane und deren Beteiligung an der Lautartikulation durch ihre für den Unterricht bereitgestellten Materia‐ lien gefördert (vgl. Kelly 1976: 86). Die Direkte Methode wurde schnell von privaten Einrichtungen aufge‐ nommen, wie z. B. von der Sprachschule Berlitz in einer modifizierten Form (vgl. 339 Methoden der DaF-Ausspracheschulung im Französischunterricht <?page no="340"?> Henrici 2001: 844), nicht jedoch von öffentlichen Schulen. Damals stand an der Schule das Sprachwissen im Fokus, während es bei Berlitz das Sprachkönnen war. Diese Problematik und eine mangelnde wissenschaftliche Fundierung führten zu Defiziten bei Durchführung dieser Methode, so dass die Blütezeit dieser Reformbewegung schon im ersten Jahrzehnt des 20. Jahrhunderts endete (vgl. Henrici 2001: 844; Decke-Cornill/ Küster 2010: 65 f.). In den 1940er Jahren etablierte sich die Audiolinguale Methode, die zu‐ nächst Soldaten aus den USA im Zweiten Weltkrieg schnellstmöglich und effektiv helfen sollte, eine Fremdsprache zu lernen (vgl. Henrici 2001: 844). Die wissenschaftliche Basis ist der Strukturalismus und der Behaviorismus. Ihre Grundidee war: Die Wiederholung eines Reizes führt zur Verfestigung des darin enthaltenen sprachlichen Phänomens. Typisch hierfür waren die sog. Pattern-Drill-Übungen, die auf ständig zu wiederholenden Mustersätzen basieren (vgl. Henrici 2001: 844). Dennoch blieb Schwerpunkt dieser Methode die Vermittlung grammatischer Strukturen, so dass die Aussprache eine unter‐ geordnete Rolle spielte. Die wenigen Ausspracheübungen basierten zwar auf Imitation (Hören Sie und sprechen Sie nach), dank der technologischen Entwick‐ lung jedoch nun mit Hilfe von Sprachlaboren (vgl. Wild 2015: 74). Leider waren die dort eingesetzten Übungen sehr eintönig und konzentrierten sich meist auf den segmentalen Bereich mit Minimalpaaren und Substitutionen. Außerdem war das Sprachmaterial zum Üben ohne kommunikative Verbindung zum Lernprozess (vgl. Dieling/ Hirschfeld 2000: 43; Hirschfeld 2001: 872). Trotz Kritik an dieser Methode muss zugestanden werden, dass die damals eingeführten Pattern-Drill-Übungen heute eine wichtige Rolle in der Ausspracheschulung im DaF-Bereich spielen. Das dabei involvierte Sprachmaterial zum Üben ist jedoch nunmehr handlungsrelevant und in einen kommunikativen Kontext eingebettet (vgl. Valman 2019: 24 ff.). In den 1960er Jahren entwickelte sich die Audiovisuelle Methode. Die Ausspracheschulung basierte zwar nach wie vor auf Imitation und Pat‐ tern-Drill-Übungen. Neu dazu kam jedoch die Ergänzung durch visuelle Medien, wie z. B. Bilder und Kurzfilme. Zudem waren die Kommunikationsinhalte authentischer als bei der Audiolingualen Methode (vgl. Henrici 2001: 846; Haß 2010: 153) sowie situativ eingebettet, wie z. B. auf dem Markt einkaufen oder im Café bestellen. Trotz dieser positiven Veränderung wurden beide Methoden, die Audiolinguale sowie die Audiovisuelle Methode, wegen ihres ausbleibenden Erfolges im Lernprozess stark kritisiert. Diese wurden schließlich von der Kognitiven Methode verdrängt, die den Vorteil hat, dass sie einen kreativeren Umgang mit der zu erlernenden Fremd‐ sprache im Unterricht fördert. Sprachliches Können stand nach wie vor im 340 Giselle Valman (Bielefeld) <?page no="341"?> Vordergrund und sollte nun durch eine explizite Bewusstmachung erreicht werden. Lernprozesse wie Erkennen, Erklären, Analysieren, Verstehen, Syste‐ matisieren und Klassifizieren spielen eine wichtige Rolle (vgl. Henrici 2001: 846; Valman 2019: 25 f.). Dementsprechend sollte die Aussprache durch das Erkennen eigener Fehler verbessert werden (vgl. Pustka 2016: 17). In den 1970er Jahren entstand eine Vielzahl innovativ-alternativer Methoden. Diese kehrten zur Ausspracheschulung zurück. Ein Beispiel dafür ist die Me‐ thode der Silent Way, die insbesondere in den USA zunehmend populär wurde. Sie geht von einem lernendenzentrierten Unterricht aus und fördert die Arbeit an der Aussprache durch Gestik, Wandkarten und Bewegungen. Die Lernenden sollen sich möglichst selbstständig korrigieren, indem die Lehrperson eine Zei‐ chensprache für Hinweise auf phonetische Korrekturen benutzt. Rhythmische Strukturen präsentiert die Lehrperson mit Hilfe eines Zeigestocks. Die Zahl der dabei vorhandenen Silben und die involvierte Betonung zeigt sie mit den Fingern. Mit Wandkarten, auf denen Laute in der Fremdsprache farbig markiert zu sehen sind, weist sie auf einen bestimmten Laut hin. Es kommen auch bunte Holzklötzchen zum Einsatz, um Intonationsmuster zu verdeutlichen (vgl. Wild 2015: 74 f.). Als Schwachpunkte dieser innovativ-alternativen Methoden gelten die mangelnde theoretische und empirische Fundierung sowie die Vorstellung, diese Methoden müssten wie eine Art ‘Wundermittel’ wirken (vgl. Henrici 2001: 850). Ebenfalls zu Beginn der 1970er Jahre taucht der Ausdruck Kommunikative Kompetenz auf, der aber nicht auf die soziale Funktion von Sprache, sondern auf eine auf den Sprachgebrauch bezogene Fähigkeit verweist (vgl. Missaglia 1999: 20). Parallel dazu entstand im europäischen Raum die Kommunikative Methode. Das zentrale Ziel dieser Methode war zuvörderst ein angemessenes sprachliches Handeln in verschiedenen Lebenssituationen, d. h. die Kommunikative Kompe‐ tenz, zu entwickeln (vgl. Haß 2010: 153). Zwar erhielt die Mündlichkeit Vorrang, nicht jedoch die Aussprache. Entsprechend waren weder in den Lehrwerken noch in den Zusatzmaterialien Ausspracheübungen zu finden (vgl. Hirschfeld 2001: 872). Darauf bezogen wurde von einer „erneute[n] Phonetikflaute“ (Wild 2015: 75) gesprochen, die zur Bezeichnung der Ausspracheschulung als „Stief‐ kind“ führte (vgl. Göbel/ Graffmann 1977: 2). Eine durch die Kommunikativen Methode vermittelte „Aversion gegen Fehlerkorrektur“ (Wild 2015: 76) wird nun als Ursache der Vermeidung der Ausspracheschulung genannt. 2.2 Im DaF-Bereich nach den 1990er Jahren Die Phonetik im Fremdsprachenunterricht spielte in den 1980er und 1990er Jahren eher eine untergeordnete Rolle. Ein Blick auf den DaF-Bereich zeigt, dass 341 Methoden der DaF-Ausspracheschulung im Französischunterricht <?page no="342"?> die Mehrheit der Lehrwerke in diesem Zeitraum keine Aussprachübungen ent‐ hielt (Dieling 1994: 13). Diese Situation lässt sich auf den Mangel an Forschungen zur Erklärung und Beschreibung bestimmter phonetischer Phänomene im Unterricht zurückführen. Es gab kaum Untersuchungen zur Phonetik in DaF. Vielmehr lag der Schwerpunkt der Untersuchungen auf der Vermittlung von Lexik und Grammatik. Trotz einer solchen ungünstigen Ausgangslage ist in den 1990er Jahren ein zunehmendes Interesse an der Phonetik im Fach Deutsch als Fremdsprache erkennbar (vgl. Hirschfeld 1994: 23 f.). Seit den 1990er Jahren wird viel in diesem Feld geforscht und Untersuchungsergebnisse werden publiziert. Dabei sind es nicht nur die traditionellen Themenschwerpunkte wie bei der kontrastiven Phonetik, es gibt auch Untersuchungen zur Phonetik im Rahmen der interkulturellen Kommunikation, der Mehrsprachigkeit, der Methodik und Didaktik und der Lehrwerkanalyse (vgl. Hirschfeld 2011: 11). Es kann von einem Aufschwung der DaF-Ausspracheschulung ab den 1990er Jahren und einer verstärkten Einbindung in den Fremdsprachenunterricht ge‐ sprochen werden. Es erscheinen nunmehr zahlreiche Zusatzmaterialien, die sich deutlich von einer eintönigen Ausspracheschulung abheben. Genannt werden können hier Werke wie Phonetik im Fremdsprachenunterricht (Dieling 1992), Deutsche Phonetik für Ausländer (Rausch/ Rausch 1992) und Deutsche Intonation (Stock 1996), die sich an die DaF-Lehrendenausbildung in Deutschland und in der Welt richten. Auch Zusatzmaterialien für den Unterricht erscheinen: Hören, Brummen, Sprechen (Cauneau 1992), Einführung in die deutsche Phonetik (Hirschfeld 1993), Die Rhythmuslokomotive (Ernst/ Hirschfeld 1995), Kursbuch Phonetik (Frey 1995), Phonothek Deutsch als Fremdsprache (Stock/ Hirschfeld 1996) und Phonetik Simsalabim (Hirschfeld/ Reinke 1998). Die Mehrzahl der ak‐ tuellen DaF-Lehrwerke bieten Ausspracheübungen an. Zudem ist der Umfang an Zusatzmaterialien für die Ausspracheschulung im Unterricht deutlich gestiegen. (vgl. Valman 2019: 27 ff.). Die bisher geschilderte historische Entwicklung der Fremdsprachendidaktik hat gezeigt, dass geschlossene praxisbezogene Methodenkonzepte immer wieder gescheitert sind. In der DaF-Didaktik wird somit die Berücksichtigung von Prinzipien statt Methoden vorgeschlagen. Prinzipien basieren auf einem in der Praxis beobachteten Phänomen, das Probleme bereitet und deshalb unter‐ sucht wird (vgl. Henrici 2001: 851). Aus den Ergebnissen und Erkenntnissen dieser Untersuchungen werden Prinzipien abgeleitet, die als „Orientierungen für Vorgehensweisen im Fremdsprachenunterricht gelten können“ (Henrici 2001: 851). In dieser Hinsicht lassen sich solche Prinzipien durch ihren hohen Allgemeinheitsgrad leichter an spezifische Lernsituationen anpassen (vgl. Hen‐ rici 2001: 851). 342 Giselle Valman (Bielefeld) <?page no="343"?> Von dieser Auffassung ausgehend präsentiert der vorliegende Beitrag acht Prinzipien, die auf Ergebnissen und Erkenntnissen voriger Untersuchungen basieren und in einer Untersuchung zur Wirkung der Ausspracheübungen in DaF auf den Lernprozess ergründet wurden (vgl. Valman 2019). Der hohe Allgemeinheitsgrad dieser Prinzipien macht somit die Arbeit an der Aussprache im Fremdsprachenunterricht leichter anpassbar und Ausspracheübungen lassen sich somit optimal gestalten. Diese Prinzipien sind: 1. Integration 2. Kommunikative Bewältigung 3. Hörtraining 4. Artikulatorische Automatisierung 5. Phonetisch-phonologische Bewusstmachung 6. Visualisierung 7. Bewegung 8. Emotion 2.2.1 Integration Dieses Prinzip geht davon aus, dass die Arbeit an der phonetischen Kompetenz eng mit der Arbeit an anderen (Teil-)Kompetenzen verbunden ist. In dieser Hinsicht liegt die Aussprachekompetenz der mündlichen Kompetenz zugrunde. Die Behandlung der Aussprache im Fremdsprachenunterricht trägt somit zur Etablierung und Erweiterung anderer (Teil-)Kompetenzen bei. Aus diesem Grund ist die Integration der Aussprache in eng verwandte Bereiche wichtig (vgl. Hirschfeld/ Reinke 2018: 137). Gemeint ist mit dem Prinzip der Integration die Einbindung der Aussprache in folgende Bereiche: die Orthografie, die Lexik und die Grammatik sowie soziolinguistische Kompetenzen (vgl. Dieling 1992: 41 f.; Häussermann/ Piepho 1996: 49; Dieling/ Hirschfeld 2000: 65 ff.; Hirschfeld/ Reinke 2018: 137 ff.). Wenn man Phonetik mit Grammatik verknüpft, erleichtert dies das Erkennen und Verwenden der Regeln (vgl. Hirschfeld 2001: 876). Ein Beispiel dafür aus dem DaF-Bereich ist die Verbindung der Akzentuierung mit dem grammati‐ schen Thema nicht trennbare und trennbare Verben. Deutsche Präfixe wie z. B. be-, er- und versind nicht akzentuierbar (bearbeiten, erarbeiten, verarbeiten; akzentuierte Silben unterstrichen), während Halbpräfixe wie an-, auf- und einakzentuiert werden (anarbeiten, aufarbeiten, einarbeiten). Eine Ausnahme bildet eine kleine Gruppe von Verben mit Halbpräfixen, die untrennbar oder trennbar sein können. Die Akzentuierung wirkt in diesem Fall überdies wortunterschei‐ dend (umfahren, umfahren, übersetzen, übersetzen etc.) (vgl. Krech et al. 2009: 34). Bedauerlicherweise blieb der gemeinsame Einfluss der Grammatik und 343 Methoden der DaF-Ausspracheschulung im Französischunterricht <?page no="344"?> der Aussprache auf die Verständlichkeit in dem im Jahr 2018 vom Europarat überarbeiteten veröffentlichten Begleitband zum Gemeinsamen europäischen Referenzrahmen (GeR) weiterhin unberücksichtigt (vgl. Dahmen 2019: 203). Die Verbindung von phonetischer und orthographischer Kompetenz meint das Erlernen der Lautbuchstabenbeziehungen. Dies findet wegen ihrer Regel‐ haftigkeit v. a. auf Anfängerniveau statt. Hierzu zählen Übungen zur phoneti‐ schen Realisierung bestimmter Grapheme, wie z. B. die Ich- und Ach-Laute ([ç] und [x]) im Deutschen beim Graphem <ch> (vgl. Hirschfeld/ Reinke 2018: 138). So wird [ç] gesprochen, wenn <ch> nach den Vorderzungenvokalen <e, i, ä, ö, ü, y> und den Diphthongen [aɛ̯] und [ɔœ̯] u. a. steht. Der Laut [x] findet sich dagegen bei <ch> nach <a, o, u> und dem Diphthong [aɔ̯] (vgl. Krech et al. 2009: 83 ff.; hierzu auch Hirschfeld/ Reinke 2018: 138). Die Verbindung von phonetischer mit lexikalischer Kompetenz findet bei der Wortschatzvermittlung statt, denn „[j]edes zu vermittelnde Wort besitzt eine phonlogische Oberflächenstruktur und wird mündlich als entsprechende Lautfolge und rhythmische Einheit realisiert“ (Hirschfeld/ Reinke 2018: 138). So müssen DaF-Lernende beispielsweise die distinktive Funktion der Lippentä‐ tigkeit bei Wörtern wie Tier ([ti: ɐ ]: nicht gerundet) und Tür ([ty: ɐ ]: gerundet) sowie lesen ([ˈle: zn̩]: nicht gerundet) und lösen ([ˈlø: zn̩]: gerundet) lernen (vgl. Hirschfeld/ Reinke 2018: 137 ff.). Eine weitere Verknüpfung besteht auch bei soziolinguistischen Aspekten. Der Aussprachekompetenz obliegen kommunikative Funktionen, die zur Um‐ setzung von Intentionen dienen. So hängt die Intention einer Aussage von der Aussprachekompetenz der Lernenden in der Fremdsprache ab. Dabei lassen sich Regeln schwer aufstellen. Deshalb geht es bei dieser Verknüpfung eher um die Sensibilisierung für auditive und artikulatorische Muster zusammen mit einer Reflexion eines bestimmten kommunikativen Kontexts. DaF-Lernende können an der Betonung ritualisierter Redewendungen arbeiten, wie z. B. in Ende gut, alles gut. Auch Registerunterschiede können miteinbezogen werden, wie z. B. das Wegfallen mancher Endkonsonanten in eher informellen Kommunikativsi‐ tuationen ([nɪç] statt [nɪçt] für nicht). Ebenso spielen phonetische Aspekte bei Höflichkeitskonventionen eine wichtige Rolle. So wirkt ein fallender Ton bei Fragen auf Deutsch sachlich und informationsbetont, während der steigende Ton als freundlich und kontaktbetont wahrgenommen wird (vgl. Hirschfeld/ Reinke 2018: 140 ff.; Krech et al. 2009: 44). 2.2.2 Kommunikative Bewältigung Das Prinzip Integration steht in Verbindung mit dem Prinzip der kommunika‐ tiven Bewältigung, weil die Vernetzung der Aussprache mit allen anderen 344 Giselle Valman (Bielefeld) <?page no="345"?> Sprachkompetenzen gemeinsam auf die Bewältigung kommunikativer Auf‐ gaben abzielt (vgl. Valman 2019: 28). Schon in den 1990er Jahren wird im DaF-Be‐ reich Folgendes betont: Die Arbeit an der Aussprache wird „nicht um der Pho‐ netik willen betrieben, sondern um der Kommunikation willen.“ (Dieling 1992: 7). Für die mündliche Kommunikation ist die Aussprache zentral, da erst eine verständliche Aussprache die mündliche Kommunikation überhaupt ermöglicht bzw. eine gute Aussprache diese unterstützt (vgl. Hirschfeld/ Reinke 2013: 73 ff.; Hirschfeld/ Reinke 2018: 140). Auch umgekehrt trägt die Verknüpfung pho‐ netisch-phonologischer Muster mit semantischen Domänen und Situationen besser zu ihrer Memorisierung und zur Aneignung phonetisch-phonologischer Muster bei. Situativ-thematische, dialogische sowie szenische Übungsformen zur Vorbereitung auf reale Kommunikationssituationen können die Arbeit an der Aussprache ergänzen (vgl. Hirschfeld 2001: 874). Laut einer Untersuchung zur kindlichen Spielkommunikation nehmen Kinder schon beim Erstspracherwerb wahr, dass die Sprechausdruckweisen der Eltern in einem neutralen kommunikativen Kontext anders klingen als beispielweise in einer emotionalen Alltagssituation. Außerdem verwenden diese Kinder früh rollenspezifische Sprechausdrucksmuster und setzten diese im Rollenspiel differenziert um (vgl. Meißner/ Reinke 2015: 13; hierzu auch Bose 2003). Gerade an diese Fähigkeit der Kinder mit sprechkommunikativen Formen bewusst umzugehen knüpft das Prinzip der kommunikativen Bewältigung an. Mit Hilfe von unterschiedlichen Kommunikationsszenarien können DaF-Ler‐ nende ihre Aussprache trainieren. Fragen wie Wer spricht zu/ mit wem? , Wann? , Wo? , Warum? und Worüber? helfen dabei, phonetisch-phonologische Merkmale realitätsnah und sinnvoll zu üben (vgl. Hirschfeld/ Reinke 2018: 141). Nichtsdestotrotz soll erwähnt werden, dass im gegenwärtigen Fremdspra‐ chenunterricht keine formale Korrektheit in der Aussprache erwartet wird, vielmehr steht eine Kommunikative Kompetenz im Fokus. Ein fremder Akzent wird somit akzeptiert, solange diese Aussprache das Verstehen bzw. die Kom‐ munikation nicht hindert (vgl. Dahmen 2019: 197). 2.2.3 Hörtraining Historisch betrachtet weist Dieling (1992: 31 ff.) darauf hin, dass die Ausspra‐ cheschulung zu sehr an der Mündlichkeit orientiert war und in der Dichotomie mündlich vs. schriftlich diskutiert wurde. Erst später wurde auf die Dichotomie Hören vs. Sprechen eingegangen, wobei feststeht, dass richtiges Aussprechen vom richtigen Hören abhängt bzw. Hörfehler die Ursache für Aussprachefehler sein können. Dabei agiert die Perzeption in der Erstsprache als eine Art ‘Sieb’ und erschwert somit die Perzeption in der Fremdsprache. Lernende nehmen 345 Methoden der DaF-Ausspracheschulung im Französischunterricht <?page no="346"?> Segmente und suprasegmentale Einheiten in Fremdsprachen nicht immer wahr, die Sensibilität dafür muss durch Hörtraining geschult werden. Dazu müssen die Lernende unbekannte phonetisch-phonologische Merkmale aufmerksam anhören (vgl. Dieling 1992: 31 ff.; hierzu auch Hirschfeld/ Reinke 2018: 162). Es geht dabei sowohl um Differenzierung als auch um Identifizierung fremder Laute und prosodischer Merkmale (vgl. Dieling/ Hirschfeld 2000: 31 ff.). So gilt das Hörtraining in der Ausspracheschulung als Basis für die Inter‐ pretation gesprochener Äußerungen und somit als Voraussetzung für eine gute Aussprache (vgl. Hirschfeld/ Reinke 2013: 76). Bei diesem Prinzip geht es um die Etablierung neuer Hörmuster. Diese sollen die aus der Erstsprache stark automatisierten Hörmuster erweitern (vgl. Hirschfeld/ Reinke 2018: 22). Hierzu soll hervorgehoben werden, dass das Hörtraining über die Fertigkeit des verstehenden Hörens (das in kurzer Zeit auditive Verstehen ablaufender Vorgänge) hinausgeht. Diesem verstehenden Hören liegt nicht zuletzt ein phonetisch-phonologisches Hören zugrunde, das wiederum zur klanglichen Wahrnehmung gesprochener Sprache dient (vgl. Dieling/ Hirschfeld 2000: 31 ff.). Das Hörtraining lässt sich je nach Aufmerksamkeitsfokussierung in verschie‐ dene Ebenen differenzieren. Diese dienen zur Verbesserung der Hörfertigkeit und bauen aufeinander auf. So gibt es ein phonologisches Hören, bei dem Ler‐ nende bedeutungsunterscheidende Merkmale differenzieren (unterscheiden) und identifizieren (heraushören), wie z. B. hinsichtlich des prosodischen Un‐ terschieds zwischen der Frage Die blaue Hose? (mit steigender Endmelodie) und der Aussage Die blaue Hose. (mit fallender Endmelodie). Bei der Ebene des phonetischen Hörens geht es um die gezielte Wahrnehmung phonetischer Merkmale, wie z. B. die prosodischen Merkmale bei unbetonten Silben. Ein Beispiel dafür ist die Elidierung des Schwa-Lautes [ə] bei der Begrüßung guten Morgen [ɡu: tn̩ ˈmɔ ʁ ɡn̩]. Die Ebene des funktionalen Hörens zielt darauf ab, Rück‐ schlüsse auf die Realisierung eines bestimmten phonetischen Phänomens in der Fremdsprache zu ziehen. Dabei sollen die Lernenden hören, ob z. B. Wortakzente je nach emotionalem Zustand zu schwach (Müdigkeit) oder zu stark (Ärger) realisiert werden. Es folgt das kritische oder selbstkritische Hören. Dieses stellt die Frage, ob wahrgenommene Abweichungen toleriert werden können oder eine Normverletzung darstellen. Ein Beispiel dafür ist das Erkennen, ob eine schwebende statt fallende Endmelodie in terminalen Aussagesätzen einer er‐ wünschten oder unerwünschten Sprecherintention entspricht (vgl. Hirschfeld/ Reinke 2018: 162 f.) 346 Giselle Valman (Bielefeld) <?page no="347"?> 2.2.4 Artikulatorische Automatisierung Bei diesem Prinzip geht es um das Erlernen neuer Sprechbewegungen. Dies ist in der Regel besonders mühsam, weil solche Bewegungen (Lippen, Kiefer- und Zungenbewegungen u. a.) in der Erstsprache automatisiert und unbewusst verlaufen. Demzufolge müssen sich die Lernenden einer Fremdsprache eine neue motorische Geschicklichkeit aneignen (vgl. Dieling 1992: 36; Hirschfeld 2001: 873; Valman 2019: 30). Das Nachsprechen als einfachstes Rezept ist laut Dieling (1992: 36) die am meisten für die artikulatorische Automatisierung angewendete Übungsart. Diese soll jedoch das Prinzip des Hörtrainings als Voraussetzung einbeziehen, denn das Aussprechen kann versagen, wenn Lernenden falsch hören (vgl. Hirschfeld/ Reinke 2018: 21 f.). Für die artikulatorische Automatisierung braucht man ein mehrmaliges Wiederholen, denn das Lernen ohne Üben bleibt erfolglos (vgl. Sorrentino et al. 2009: 13). In diesem Zusammenhang wird der Terminus Wiederholung im Sinne des Sprichworts „Übung macht den Meister“ verstanden. Mit anderen Worten: „Wer etwas behalten will, muss wiederholen.“ (Eisenhut et al. 1981: 21). Doch Wiederholen ohne Formwechsel kann zur Übersättigung führen. Aus diesem Grund soll „eine geschickte Kombination unterschiedlicher Übungsarten“ ge‐ fördert werden (Odenbach 1964: 62; Sorrentino et al. 2009: 33; hierzu auch Valman 2016: 40). Zur Vermeidung eines eintönigen Übens ist der Einsatz meh‐ rerer Strategien und verschiedener Kanäle eine geeignete didaktische Lösung. So können Lernende verschiedene Übungstypen für das gleiche Phänomen durchführen, wie z. B. das Nachsprechen von Redemitteln. Auch die Beschrei‐ bung eines Bildes, einer Bildgeschichte oder einer Situation, das Vorlesen oder Vortragen eines Textes (Dialog, Gedichte, Witze, Prosatexte etc.) und Rollenspiele bzw. das Vorspielen eines Dialogs dienen als Variationsmöglichkeit (vgl. Hirschfeld/ Reinke 2018: 21 ff.). Überdies herrscht Konsens darüber, dass sowohl beim Hören als auch beim Sprechen „Kontext, Kommunikativität und Situativität“ (vgl. Hirschfeld/ Reinke 2013: 76) stets einbezogen werden müssen. 2.2.5 Phonetisch-phonologische Bewusstmachung Abweichungen zwischen Erst- und Zweitsprache werden oft nicht wahrge‐ nommen, weshalb die auditive Aufmerksamkeit der Lernenden auf diese Unter‐ schiede gelenkt werden soll (vgl. Mehlhorn/ Trouvain 2007; Uetz 2007). So wird dieses Prinzip in der Ausspracheschulung seit kurzer Zeit mit der Noticing-Hy‐ pothese von Richard Schmidt (Schmidt/ Frota 1986; Schmidt 2010) in Verbindung gebracht, meist bezogen auf den Ausspracheerwerb im prosodischen Bereich und insbesondere bezüglich kontrastiver Aspekte (vgl. Valman 2019: 31). Diese 347 Methoden der DaF-Ausspracheschulung im Französischunterricht <?page no="348"?> Hypothese stellt Folgendes zur Diskussion: „input does not become intake for language learning unless it is noticed“ (Schmidt 2010: 721). In dieser Hinsicht schlägt Schmidt vor, dass Fremdsprachenerwerb zwar ohne metalinguistisches Verstehen möglich ist, jedoch nicht das Lernen ohne Aufmerksamkeit im Sinne des noticing (vgl. Robinson et al. 2012: 250). Daher spielt die Bewusstmachung für die Arbeit an Abweichungen eine wichtige Rolle (Mehlhorn/ Trouvain 2007: 5 f.). So wird in der DaF-Ausspracheschulung die Auffassung vertreten, dass Ler‐ nende sich ihrer abweichenden Aussprache in der Fremdsprache Deutsch nicht bewusst sind. Die Erstsprache wird nun in DaF als eine Art Filter betrachtet, sowohl im perzeptiven als auch im produktiven Bereich, und beeinflusst somit das Erlernen neuer Merkmale in der Zielsprache. Die Bewusstmachung ist somit erforderlich (vgl. Mehlhorn/ Trouvain 2007: 5 f.; Valman 2019: 31). In diesem Zusammenhang weist Hirschfeld entsprechend (2011: 15) auf die Aufgabe Bewusstmachung von Ausspracheabweichungen der Lernenden als erforderliche Aufgabe der Lehrperson hin. Doch auch die Ausspracheübungen selbst können auf phonetische Abweichungen aufmerksam machen (vgl. Ro‐ binson et al. 2012: 259). Dabei werden folgende vier Schritte für ihre Gestaltung empfohlen (vgl. Uetz 2007: 27 ff.): • Aufmerksamkeit auf ein für den Lernenden neues phonetisches Phä‐ nomen richten; • das neue phonetische Phänomen durch mehrere Hörbeispiele hören lernen; • den bereits gehörten Laut von ähnlichen Lauten unterscheiden lernen; • den Laut imitieren lernen. 2.2.6 Visualisierung Das Prinzip der Visualisierung ist eng mit den Prinzipien des Hörtrainings und der phonetisch-phonologischen Bewusstmachung verbunden. Diesbezüglich kann die Zusammenfügung auditiver und visueller Informationen eine bessere Aneignung der Aussprache ermöglichen als rein auditive Stimuli. Außerdem er‐ möglicht die Integration visueller Elemente in eine Ausspracheübung eine pho‐ netisch-phonlogische Bewusstmachung (vgl. Mehlhorn/ Trouvain 2007: 18 f.). Die Erkenntnis, dass Visualisierungen das Lernen einer Fremdsprache un‐ terstützen können, ist nicht neu. Schon Johann Amos Comenius (1592-1670), Begründer der Didaktik als eigenständige Disziplin, forderte in seinem Buch Didactica magna (‘Die große Lehrkunst’) die Verbindung zwischen Handlung, Bild und Wort im Unterricht (vgl. Decke-Cornill/ Küster 2010: 58 f.). Er schrieb zudem ein viersprachiges Schulbuch mit dem Titel Orbis sensualium pictus (‘die 348 Giselle Valman (Bielefeld) <?page no="349"?> sichtbare Welt’), das als erstes fremdsprachliches Lehrbuch in Europa gilt (vgl. Decke-Cornill/ Küster 2010: 58 f.; Schiffler 2012: 14). Was sich damals auf Intuition stützte, wurde erst in den letzten 30 Jahren intensiver untersucht. Eine daraus resultierende Erkenntnis über Sprache und Gehirn deutet darauf hin, dass die phonologische, semantische und syntaktische Verarbeitung vorwiegend von Regionen in der linken Gehirnhemisphäre ab‐ hängt. Die rechte Gehirnhemisphäre ergänzt die linke Seite bei der Verarbeitung von weiteren sprachlichen Informationen, z. B. die Verarbeitung der Prosodie (vgl. Rausch/ Schaner-Wolles 2011: 132). Außerdem wurde herausgefunden, dass interhemisphärische Verbindungen zwischen beiden Zentren im Gehirn in den links gelegenen unteren Temporalkortex verlaufen, der gerade das visuelle Erkennen ermöglicht (vgl. Schiffler 2012: 13). Lernprozesse, die mit Aufmerksamkeit und Bewusstsein ablaufen, können mehrere Hirnregionen aktivieren und somit das Lernen fördern (vgl. Becker 2006: 159). Geht man davon aus, dass Visualisierungen als fördernde Elemente einer solchen Aufmerksamkeit agieren können, sind Visualisierungen als po‐ sitive Einflusselemente im Lernprozess zu betrachten. Des Weiteren können Visualisierungen nicht nur das Verständnis gewährleisten, sondern auch das Gedächtnis unterstützen, insbesondere wenn visuelle Elemente an das Hören gekoppelt werden (vgl. Schiffler 2012: 75 f.). In dieser Hinsicht kann die Zusam‐ menfügung auditiver und visueller Informationen wie Pfeile für die Endmelodie oder Schriftvergrößerungen für die Betonung zu einer besseren Aufnahme führen als rein auditive Stimuli mit nur einer Aufgabestellung und einem Text zum (Vor)lesen (vgl. Mehlhorn/ Trouvain 2007: 18 f.). Im Folgenden einige oft gebrauchte Visualisierungen in der DaF-Aussprache‐ schulung: • Vokalhäufung, z. B. schöööön für [ʃø: n] (Artikulation langer Vokale) • Schriftvergrößerung und/ oder Fettmarkierung, wie z. B. Gesicht für [ɡəˈzɪçt] (Wort- oder Satzbetonung) • Reduzierung der Schriftgröße oder Elidierung, z. B. haaabm für haben bzw. [ˈha: bm̩] (absolute Assimilation und Artikulation langer Vokale) • Kreise (Der große Kreis stellt die betonte Silbe, der kleinere Kreis die unbetonte Silbe dar.), wie z. B. o o O o für guten Morgen (Wort- oder Satzbetonung) Eine ganz andere Möglichkeit der Visualisierung liefert die Software Praat (http: / / www.praat.org). Diese ermöglicht Abbildungen der Grundfrequenz (F 0 ). Damit können Lernenden für den melodischen Verlauf einer Aussage oder Frage in der Fremdsprache sensibilisiert werden (vgl. Mehlhorn/ Trouvain 2007: 14). 349 Methoden der DaF-Ausspracheschulung im Französischunterricht <?page no="350"?> 2.2.7 Bewegung Die Verknüpfung von Lernprozessen mit Bewegung basiert nicht allein auf der modernen Fremdsprachendidaktik. Schon Pädagogen wie Johann Amos Comenius und Johann Heinrich Pestalozzi (1746-1827) stützten sich auf das ganzheitliche Lernprinzip mit Kopf, Herz und Hand und integrierten somit Bewegung in den Unterricht. Im 20. Jahrhundert verwenden mehrere innovative Methoden zum Fremdsprachenerwerb das Prinzip der Bewegung, wie z. B. die Methode Total Physical Response (TPR). Diese in den 1960er Jahren von dem amerikanischen Psychologieprofessor James Ascher entwickelte Methode zielt auf das Lernen als Reiz-Reaktionskette - im behavioristischen Sinne - ab. Dabei sollen die Lernenden mit Bewegungen auf Anweisungen reagieren und somit Sprache mit Bewegung verbinden (vgl. Haß 2010: 154). Die Innovation dieser Art von Methoden bezüglich ihrer Wirkung auf den Lernprozess erfuhr aber Kritik, da sie entweder empirisch nicht überprüft wurden oder nicht sprechförderlich waren (vgl. Valman 2019: 34 ff.). Trotz alledem ließ eine Untersuchung aus den 1990er Jahren zur Zeichen‐ sprache der Gehörlosen vermuten, dass sprachbegleitende Bewegungen das Gehirnzentrum zur Sprache ergänzend aktivieren, da während der Zeichen‐ kommunikation nicht die rechten Gehirnzentren aktiviert wurden, die für die visuelle Vorstellung verantwortlich sind, sondern die Gehirnzentren, die zum Sprachzentrum gehören. Es folgten weitere Untersuchungen zur Ergründung der Wirkung von Bewegungen auf den Wortschatzerwerb im schulischen Fremdsprachenunterricht, bei denen v. a. ein behaltensfördernder Effekt bzw. eine behaltensfördernde Langzeitwirkung des Bewegungslernens sowie eine Verbesserung in der Leistung bestätigt wurden (vgl. Schiffler 2012: 12 f.; Sam‐ banis 2013: 90 ff.). Mit Bezug auf die Aussprache wird in der Sprechwissenschaft die Auffas‐ sung vertreten, dass Sprechen ein komplexer Vorgang ist, an dem der ganze Mensch beteiligt ist. Nicht nur die Bewegungen der Lippen, der Zunge und des Unterkiefers spielen dabei eine wichtige Rolle, auch kommunikative Kör‐ perbewegungen wie Gestik und Mimik haben eine gleichwertige Funktion (vgl. Aderhold/ Wolf 2009: 13 ff.). Gerade letztere Bewegungen können als Lehr- und Lernstrategie zur Verbesserung der Leistung verwendet werden. Hierzu wird in der Ausspracheschulung zwischen primären und sekundären Sprech‐ bewegungen unterschieden. Unter den primären werden Sprechbewegungen im engeren Sinne verstanden, die sich auf die Stimmlippen, das Gaumensegel, das Zäpfchen, die Zunge, die Lippen und den Unterkiefer beziehen. Sekundäre Sprechbewegungen dagegen beziehen die Bewegungen des Körpers ein, die das Sprechen unterstützen. Insbesondere diese sekundären Sprechbewegungen wie 350 Giselle Valman (Bielefeld) <?page no="351"?> Hand- und Körperbewegungen (Klopfen, Klatschen, Aufstehen, Springen usw.) können bewusst eingesetzt werden, um die phonetische Arbeit im Fremdspra‐ chenunterricht zu unterstützen (vgl. Dieling/ Hirschfeld 2000: 77 ff.; hierzu auch Fischer 2007: 7 ff.). 2.2.8 Emotion Emotionen hängen stets mit Intention und erzielter Wirkung zusammen. Des‐ halb sollen sie in der Ausspracheschulung nicht außer Acht gelassen werden (vgl. Reinke 2008: 261). Dennoch wurde die Beteiligung von Emotionen im Lernprozess lange vernachlässigt (vgl. Sambanis 2013: 25 ff.). Inzwischen liegen einige fMRT-Studien über den Zusammenhang von Emotionen und Lernen vor, die Gehirnsignale während der Durchführung von Aufgaben messen und darstellen. Diese Studien konnten nachweisen, dass sich sowohl positive als auch negative Emotionen auf den Lernprozess auswirken können, wie z. B. Freude oder Angst. Allerdings zeigen vor allem positive Emotionen eine behaltensfördernde Langzeitwirkung (vgl. Decke-Cornill/ Küster 2010: 46; Sambanis 2013: 28). Gerade eine entspannte Lernatmosphäre im Unterricht kann negative Emotionen vermindern, wie z. B. durch Humor. Dieser kann nicht nur die Lernende-Lehrende-Beziehung optimieren, sondern auch den Lernprozess fördernd beeinflussen (vgl. Valman 2019: 38). Das Prinzip Emotion wird seit wenigen Jahren in den Ausspracheübungen von DaF-Lehrmaterialien behandelt, wie z. B. bei DaF kompakt (Braun et al. 2011), bei Aussichten (Ros-El Hosni et al. 2009) und dem dazu gehörende Phonetiktrainer A1-B1 (Reinke 2012) sowie bei Die Deutschprofis (Swerloba 2016) oder Prima-Los geht’s! (Ciepielewska-Kaczmarek et al. 2019). Dabei wird das Sprechen mit Emotionen durch Als-ob-Situationen einbezogen, ein Terminus aus der Theaterarbeit, in der das Schauspielen in einer Als-ob-Realität verstanden wird (vgl. Valman 2019: 38). Hinsichtlich der dabei involvierten phonetischen Mittel wird zwischen einer emotionalen und einer sachlich-neu‐ tralen Sprechweise differenziert, die sich eher im suprasegmentalen Bereich unterscheiden, wie z. B. im melodischen Verlauf, in der Betonungsart sowie in der Lautstärke und Geschwindigkeit. Allerdings muss einbezogen werden, dass die sachlich-neutrale Sprechweise leicht beschrieben und gelehrt werden kann, während die emotionale Sprechweise von dieser objektiven Weise abweicht und somit je nach Kontext und Person variieren kann (vgl. Reinke 2008: 36 ff.). Das Prinzip Emotion ist also ein positiver Lerneinfluss, weil phonetische Merkmale einer Fremdsprache mit Hilfe von Als-ob-Situationen spielerisch geübt werden können. 351 Methoden der DaF-Ausspracheschulung im Französischunterricht <?page no="352"?> 2 Zahlreiche Beispiele aus dem DaF-Bereich finden sich auf https: / / esv.info/ t/ phonetik/ aktualisierung.html [abgerufen 16.08.2020]. 3 Ausspracheübungen im DaF-Bereich Vor der Darstellung eines didaktischen Beispiels für den Französischunterricht ist es erforderlich, zu erklären, was in diesem Beitrag unter Ausspracheübung und Übungstypologie verstanden wird. Der vorliegende Beitrag versteht unter Ausspracheübung „eine methodische Maßnahme, die als Teil eines Übungskorpus die Entwicklung phonetischer Fähigkeiten in der Fremdsprache fördert“ (Valman 2016: 43). Demnach wird eine Ausspracheübung als dynamischer Teil eines Übungskorpus erfasst, wobei die Zielsetzung einer solchen Übung die semantische, pragmatische und sozio‐ linguistische Seite der Sprache sowie die Arbeit an der artikulatorischen Seite und der motorischen Geschicklichkeit berücksichtigen soll (vgl. Valman 2016: 44). In diesem Sinne bekommt die Frage des „Wozu lerne ich das? “ bei einer Ausspracheübung eine erweiterte Antwort und nicht nur rein phonetische Aspekte als Erklärung (vgl. 4.). Darüber hinaus können die bisher erläuterten Prinzipien je nach Lernziel in einer Ausspracheübung kombiniert werden. Diese Übungen bilden die Grundlage zur Gestaltung einer Ausspracheübung und gehören überdies zu einer Übungstypologie, die im DaF-Bereich auf die Übungstypologien von Dieling (1992), Dieling/ Hirschfeld (2000) und Hirschfeld/ Reinke (2018) verweist. Letztere leistet aktuell einen fundamentalen Beitrag zur Ausspracheschulung im DaF-Bereich und ist das Resultat einer im Laufe der vergangenen 30 Jahre sorgfältig bearbeiteten Beschreibung von Ausspracheübungen. Deshalb ist die Übungstypologie von Hirschfeld/ Reinke (2018) - neben den bereits erläuterten Prinzipien (vgl. 2.2) - wichtig für die Übungsauswahl und -folge im didaktischen Beispiel (vgl. 4.). Bei dieser Übungstypologie geben Hirsch‐ feld/ Reinke (2018) eine ausführliche Auflistung und Klassifikation phonetischer Ausspracheübungen, um die oft von der Mehrheit der Lehrenden und Lehrma‐ terialien verwendete Papageien-Methode (Hören und Imitation) zu ersetzen, da nur wenige Lernende in der Lage sind angemessen zu imitieren (vgl. Hirschfeld/ Trouvain 2007: 178 f.). Die Phonetikerinnen differenzieren in ihrer Übungstypologie zwischen Hörübungen, produktiven Übungen und spielerischen Übungen (vgl. Hirsch‐ feld/ Reinke 2018: 161 ff.), die einander ergänzen und sich unterschiedlich der zuvor gezeigten Schritte bedienen können. 2 352 Giselle Valman (Bielefeld) <?page no="353"?> Bei den Hörübungen geht es um das Hörtraining als wichtige Basis für die Ausspracheschulung, wodurch Lernende die Wahrnehmung fremder Laute trainieren. Zuerst kommen Eintauchübungen als erste auditive Annäherung an ein bestimmtes Phänomen vor, wobei allgemeine Fragen bezogen auf den Klang oder die Wirkung eines phonetischen Phänomens auf die Lernenden formuliert werden sollen. Anschließend sind Differenzierungsübungen zu nennen, bei denen Lernende fremdsprachliche Klänge erkennen sowie ein Hörtraining als klangliche Sensibilisierung für phonogische bzw. distinktive Merkmale in der Fremdsprache durchführen. Relevant dafür ist die Methode der Kontrastierung, die Unterschiede deutlich darstellt. Es folgen Identifikationsübungen als eine Art Kontrolle, weil Lernende die vorher wahrgenommenen Laute in einer weiteren Übung wiedererkennen sollen. Daraufhin kommen die komplexen Hörübungen, die auf situationsbedingte Zusammenhänge eingehen und die kommunikative Wirkung der Aussprache behandeln (vgl. Hirschfeld/ Reinke 2018: 165 ff.). Produktive Übungen sind solche, die das Gelernte beim Sprechen weiterhin trainieren. Eine besonders bekannte produktive Übung ist die einfache Nach‐ sprechübung. Hierbei sind mehrere Realisierungsformen möglich: hören und still, leise oder halblaut sprechen; hören und im Chor, in kleinen Gruppen oder einzeln sprechen, hören und nach- oder mitsprechen usw. Der Vorteil des Chorsprechens besteht darin, dass es eine gewisse Anonymität ermöglicht. Dies ist v. a. für Lernende wichtig, die Angst vor Fehlern haben. Der Nachteil ist je‐ doch, dass kein individuelles Feedback möglich ist, das Lernende aber brauchen. Welche Realisierungsform die geeignete ist, kann auch von der Gruppenzusam‐ mensetzung abhängen. Zu den produktiven Übungen zählen auch angewandte Ausspracheübungen, bei denen ein für die mündliche Kommunikation wichtiger phonetischer Aspekt in (quasi-)realitätsnahen Sprechsituationen geübt wird, wie z. B. das Vortragen oder das szenische Gestalten durch Rollenspiele (vgl. Hirschfeld/ Reinke 2018: 170 ff.). Nachfolgend sind die spielerischen Übungen anzuführen, die in den letzten Jahren fester Bestandteil der Ausspracheschulung in DaF geworden sind. Das Ziel dieser Übungen besteht darin, die zwar erforderliche, jedoch nicht selten mühsame und anspruchsvolle Arbeit an einem bestimmten phonetischen Phänomen zu entlasten und Lernende für die Arbeit an der Aussprache zu motivieren. Spieleri‐ sche Übungen können das Hören und Aussprache zutreffend verbinden sowie das Erlernen der Phonem-Graphem-Beziehung durch Memory-, Domino- oder Bingospiele auf eine lustige und unterhaltsame Art und Weise fördern. Außerdem wird dabei der Raum für das Üben in (quasi-)authentischen kommunikativen und emotionalen Szenarien geschaffen sowie die Spontanität und Kreativität der Ler‐ nenden unterstützt. Allerdings ist dabei zu beachten, dass spielerische Übungen 353 Methoden der DaF-Ausspracheschulung im Französischunterricht <?page no="354"?> weder ein neues Thema einführen noch die Fehlerkorrektur als Schwerpunkt haben sollen (vgl. Hirschfeld/ Reinke 2018: 173 ff.). 4 Beispiel für die Lehre des français langue étrangère (FLE) Der folgende Entwurf mit mehreren Übungen wurde von der Verfasserin dieses Artikels und ihrem Kollegen Julien Verrière am Fachsprachzentrum der Universität Bielefeld entwickelt. Die Übungssequenz soll zeigen, wie man die bisher erläuterten Aspekte der DaF-Aussprachschulung auf FLE übertragen könnte (vgl. 2. und 3.). Leider hatten wir bislang noch keine Gelegenheit, die Übungssequenz in Schulklassen zu erproben. Alle entworfenen Übungen richten sich an Gymnasiast*innen im deutsch‐ sprachigen Raum auf einem Sprachniveau A1. Das dabei berücksichtigte kommunikative Thema ist „Sich auf einer Party kennenlernen“. Phonetischer Schwerpunkt ist der französische Phrasenakzent (im Gegensatz zum deutschen Wortakzent) (vgl. Pustka 2016: 130 ff.; Krech et al. 2009: 38 ff.). Der Grund für diese Auswahl liegt darin, dass prosodische Aspekte sehr früh während des Erst‐ spracherwerbs ausgebildet bzw. automatisiert werden und in der Fremdsprache oft schwer anzueignen sind. Prosodische Fehler in einer Fremdsprache können in der Kommunikation störend wirken und müssen somit im Lernprozess behandelt werden (vgl. Richter 2008: 69; Valman 2019: 55 f.). Die Unterrichtssequenz beinhaltet vier Ausspracheübungen. Diese basieren in ihrer Form auf der Übungstypologie von Hirschfeld/ Reinke (2018), d. h. auf folgenden drei Übungstypen: Hörübungen, produktive Übungen und spieleri‐ sche Übungen (vgl. 3.). Je nach Inhalt und Lernziel wurden sie mit Hilfe der acht Prinzipien vervollständigt. Dabei gehen wir phonetisch davon aus, dass die steigende und fallende Intonationskurve mit syntaktischer und pragmatischer Funktion im Unterricht bereits behandelt wurde (vgl. Pustka 2016: 140). Ebenso sind die Schüler*innen damit vertraut, dass die Graphem-Phonem-Beziehung im Französischen oft keiner 1: 1 Beziehung entspricht (vgl. Pustka 2016: 140). Die erste Übung (vgl. Abb. 1) ist eine Eintauchübung, die das phonetische Thema mit Hilfe eines Dialogs implizit einführt. Die Phonetik wird nicht isoliert behandelt, sondern dialogisch zusammen mit Vokabular vorgeführt und somit in einen kommunikativen Kontext integriert (vgl. 2.2.1). Dabei unterhalten sich zwei Jugendliche über Themen wie Herkunft, Alter, Schulfächer und Hobbys und bereiten sich zeitgleich auf eine reale Kommunikationssituation vor (vgl. 2.2.2). Alle Verben im Dialog, die nur im Indikativ Präsenz konjugiert werden, passen zum Kontext und werden häufig auf Niveau A1 gelernt: s’appeler, venir de, être de, être, avoir (17 ans), adorer und plaire à. Des Weiteren werden zum Alter passende 354 Giselle Valman (Bielefeld) <?page no="355"?> Strukturen miteinbezogen, wie z. B. die eher umgangssprachlichen Fragen Tu t’appelles comment ? oder Tu viens d’où ? Das Hörtraining beginnt bzw. die Interpretation gesprochener Äußerungen wird gefördert, indem die Schüler*innen den Dialog hören und vier Fragen zum Inhalt beantworten (vgl. 2.2.1). 1. : Vanessa et Sid se rencontrent pour la première fois et font connaissance. Écoutez le dialogue, puis répondez aux questions suivantes : 1. D’où vient Sid ? 2. Quel âge ont Vanessa et Sid ? 3. Pourquoi Sid veut-il suivre les cours d’audiovisuel ? 4. Quelle est la passion de Vanessa ? Solutions : (1) De Brest, (2) Vanessa : 17 ans / Sid : 16 ans, (3) Il adore le cinéma et veut devenir réalisateur, (4) La photo. Dialogue pour entendre : Vanessa : Salut, je m’appelle Vanessa. Et toi, tu t’appelles comment ? Sid : Salut, moi c’est Sid. Vanessa : Tu viens d’où ? Sid : Je viens de Brest, c’est mon premier jour au lycée. Et toi ? Vanessa : Je suis de Nice et je suis au lycée depuis 2 ans. Sid : Quel âge tu as ? Vanessa : 17 ans. Et toi ? Sid : 16. Ce cours a l’air super ! Je suis venu de Brest exprès pour les cours d’audiovisuel. J’adore le cinéma et je veux être réalisateur. Vanessa : Moi, c’est l’option photo qui me plait ! Tu viens à la fête ? Sid : La fête ? C’est quand ? Abb. 1: Einführung In der nächsten Ausspracheübung soll konkret auf den Phrasenakzent bzw. auf ein neues Merkmal in der Zielsprache aufmerksam gemacht werden, wobei das hier behandelte Sprachmaterial zum größten Teil aus dem Dialog der vorigen Übung stammt. Diese Übung (vgl. Abb. 2), die zur phonetisch-phonologischen Bewusst‐ machung dient, lässt sich in drei Teile untergliedern. Beim ersten Teil (Übung 2a) wird das Prinzip des Hörtrainings durch eine Differenzierungsübung gefördert. Die Schüler*innen hören gezielt ausgewählte Fragen und Antworten und unter‐ streichen dort die betonte Silbe. Dadurch wird implizit darauf hingewiesen, dass der Akzent jeder rhythmischen Struktur immer auf der letzten Silbe platziert wird (vgl. 2.2.5). Nach einer Kontrolle im Plenum sprechen die Schüler*innen alle Bei‐ spiele mit oder nach. Die ersten Imitationsversuche (einzeln oder im Chor) werden durchgeführt, da für die artikulatorische Automatisierung mehrmals wiederholt werden soll (vgl. 2.2.4). Der zweite Teil dieser Ausspracheübung (Übung 2b) ist eine Identifikationsübung und dient zur Etablierung neuer Hörmuster (vgl. 2.2.3). Die Zusammenfügung auditiver und visueller Informationen soll das Hörtraining verstärkt fördern (vgl. 2.2.6). Im Hinblick darauf weisen mehrere Kreise auf die Satzbetonung hin. Hierbei spielt nicht nur der große Kreis für die Hervorhebung der letzten Silbe eine wichtige Rolle, auch die kleineren Kreise davor für die 355 Methoden der DaF-Ausspracheschulung im Französischunterricht <?page no="356"?> unbetonten Silben sind nicht zu unterschätzen. Sie helfen dabei, die sonst im Deutschen angemessenen und erlaubten Nebenakzente zu vermeiden (vgl. Krech et al. 2009: 40). Anschließend wird die artikulatorische Automatisierung durch das Sprechen (einzeln oder im Chor) weiter unterstützt (vgl. 2.2.4). Es folgt eine Ausspracheübung mit einer expliziten Erklärung zum Phrasenakzent mittels eines kurzen Textes zum Ergänzen (vgl. Abb. 2, Übung 2c). Anders als bei der Übung 2a ist hier die phonetisch-phonologische Bewusstmachung explizit, weil ein metalinguistisches Verstehen zum phonetischen Phänomen mit Hilfe einer Regel erwartet wird (vgl. 2.2.5). 2a. : Écoutez les phrases. Faites attention au rythme et soulignez la syllabe accentuée dans la phrase. Écoutez ensuite une deuxième fois puis répétez. 1. Je m’appelle Vanessa. - Tu t’appelles comment ? 2. Tu viens de Brest. - Tu viens de Brest ? 3. Quel âge tu as ? - 16 ans. - 16 ans ? 4. Tu viens à la fête ? 2b. : Faites maintenant attention aux syllabes accentuées (O) et non accentuées (o) dans la phrase. Ensuite, connectez les structures de droite avec les phrases de gauche. Certaines phrases ont la même structure. Écoutez ensuite une deuxième fois puis répétez. Je m’appelle Vanessa. 1 Tu t’appelles comment ? 2 Tu viens de Brest. 3 a o O Tu viens de Brest ? 4 b o o o O Quel âge tu as ? 5 c o o o o O 16 ans. 6 d o o o o o O 16 ans ? 7 Tu viens à la fête ? 8 2c. : À quoi devez-vous faire attention ? Cochez la bonne réponse. En français, □ la dernière □ l’avant-dernière syllabe est accentuée dans une phrase. Les autres mots de la phrase □ ne sont pas □ sont accentués. Solutions : 2a. : Je m’appelle Vanessa. - Tu t’appelles comment ? - Tu viens de Brest. - Tu viens de Brest ? Quel âge tu as ? - 16 ans. - 16 ans ? - Tu viens à la fête ? 2b. : Je m’appelle Vanessa. o o o o o O Tu t’appelles comment ? Tu viens à la fête ? o o o o O Tu viens de Brest. / Tu viens de Brest ? / Quel âge tu as ? o o o O 16 ans. / 16 ans ? o O 2c. : la dernière - ne sont pas Abb. 2: Aufmerksamkeit auf den Phrasenakzent wecken Die Durchführung der gesamten Übung 2 ist wichtig für eine angemessene Hervorhebung der betonten Silbe am Ende der jeweiligen Einheiten, da dies als 356 Giselle Valman (Bielefeld) <?page no="357"?> Grundlage zur Arbeit am Phrasenakzent in den nächsten zwei Übungen dient (vgl. Abb. 3 und 4). In der folgenden Übung (vgl. Abb. 3) wird an den Intonationskurven der bisher behandelten syntaktischen Strukturen gearbeitet, weil das Thema „Sich kennenlernen“ sowie das abzuleitende kommunikative Handlungsfeld Fragen und Antworten miteinbeziehen. In Bezug darauf fällt die Melodie am Ende einer Aussage (Il vient de Brest.), während die Intonationskurve bei einer Frage steigt (Il vient de Brest ? ) (vgl. Abb. 3, Übung 3a). Des Weiteren kann die Melodie bei einer mit Fragewort beginnenden Frage fallen (Comment tu t’appelles ? ). Die Intonationskurve kann jedoch steigen, wenn das Fragewort am Ende vorkommt (Tu t’appelles comment ? ) (vgl. Abb. 3, Übung 3b). 3a. : Qu’entendez-vous ? À quoi ressemble la mélodie à la fin de la phrase ? Est-ce une question (↗) ou une affirmation (↘) ? Complétez la ponctuation (. / ? ). Écoutez à nouveau et répétez. N’oubliez pas d’insister sur une seule syllabe à la fin. ↗ ↘ . / ? 1. Il vient de Brest 2. Il aime le cinéma 3. Elle a 17 ans 4. Elle est de Nice 5. L’option photo lui plait 6. Tu viens à la fête 3b. : Qu’entendez-vous ? À quoi ressemble la mélodie à la fin de la question ? Est-ce ↗ ou ↘ ? Écoutez à nouveau et répétez. N’oubliez pas d’allonger la dernière syllabe sur une seule syllabe à la fin. ↗ ↘ 1. Comment tu t’appelles ? o o o o O 2. Tu t’appelles comment ? o o o o O 3. Tu habites où ? o o o O 4. Où tu habites ? o o o O 5. Tu viens à la fête ? o o o o O 3c. : Écoutez à nouveau les exemples de l’exercice 3b et cochez la bonne réponse. (1) Si le mot interrogatif est □ au début □ à la fin, la mélodie à la fin est ↗ (2) Si le mot interrogatif est □ au début □ à la fin, la mélodie à la fin est ↘ Solutions : 3a. : (1) ↘/ . , (2) ↘/ ., (3) ↗/ ? , (4) ↘/ ., (5) ↗/ ? , (6) ↗/ ? 3b. : (1) ↘, (2) ↗, (3) ↗, (4) ↘, (5) ↗ 3c. : (1) à la fin - (2) au début Abb. 3: Übergangsphase (Intonationskurve) 357 Methoden der DaF-Ausspracheschulung im Französischunterricht <?page no="358"?> Bei den Übungen der Übergangsphase (vgl. Abb. 3) kommen u. a. die Prinzipien der Integration (Phonetik und Orthographie durch die Verbindung von End‐ melodie und Interpunktionszeichen), des Hörtrainings und der Visualisierung (Richtung der Pfeile bei der Endmelodie und Kreise für die Betonung) vor (vgl. 2.2.1, 2.2.3 und 2.2.6). In den ersten zwei Übungen (vgl. Abb. 3, Übung 3a und 3b) wird mit Hilfe von Hörbeispielen und Visualisierungen (fett hervorgehobene betonte Silbe, Kreise zum Phrasenakzent, Pfeile ↗ ↘ zur Intonationskurve) ge‐ arbeitet. Hierbei wird nicht nur das Hörtraining weiterhin gefördert (vgl. 2.2.3), sondern auch das Gedächtnis unterstützt, weil visuelle Elemente an das Hören gekoppelt werden (vgl. 2.2.6). Das Hören gilt als Voraussetzung für das Sprechen. Deshalb werden die Schüler*innen zuerst auditiv auf das phonetische Phänomen aufmerksam gemacht, um dann mit- oder nachsprechen zu können (vgl. 2.2.3 und 2.2.4). Es folgt noch eine Ausspracheübung mit einer expliziten Erklärung zu den behandelten Intonationskurven aus der Übung 3b mittels eines kurzen Textes zum Ergänzen. Ebenso wie bei Übung 2c (vgl. Abb. 2) kommt in Übung 3b (vgl. Abb. 3) eine explizite phonetisch-phonologische Bewusstmachung vor, weil hier das metalinguistische Verstehen zum phonetischen Phänomen mit Hilfe einer Regel erwartet wird (vgl. 2.2.5). Wie vorher erwähnt gilt die gesamte Übung 3 als Übergangsphase, wobei nach wie vor am Phrasenakzent gearbeitet wird, um eine angemessene Akzentuierung bei Durchführung der letzten Übung (vgl. Abb. 4) zu unterstützen. Die letzte Übung (vgl. Abb. 4) dient zur Anwendung des bisher Gelernten in einem für die Zielgruppe realitätsnahen kommunikativen Kontext: sich auf einer Schulparty kennenlernen (vgl. 2.2.2). Um die Langeweile einer artikula‐ torischen Wiederholung sowie ein eintöniges Üben zu vermeiden (vgl. 2.2.4), wird die Übung in zwei Teile untergliedert. So üben die Schüler*innen zuerst dialogisch in zwei Gruppen (vgl. Abb. 4, Übung 4a), indem sie mit Hilfe einer Körperbewegung (Schnipsen) die betonte Silbe im Phrasenakzent sowie eine passende Intonationskurve (↗: mit dem Arm oben schnipsen; ↘: mit dem Arm unten schnipsen) realisieren (vgl. 2.2.7). Dann üben sie mit dem gleichen Dialog zwar weiter (vgl. Abb. 4, Übung 4b), variieren jedoch je nach verteilter Karte Vorname, Alter, Herkunft und Hobbys. Im zweiten Teil der Übung geht es um ein Spiel, bei dem die Schüler*innen eine Rolle in einer Als-ob-Situation übernehmen und eine vorgegebene Emotion beim Sprechen einsetzen sollen (vgl. 2.2.8). Dies soll nicht nur positiv auf den Lernprozess wirken, indem der Spaß am Lernen gefördert wird. Die Schüler*innen sollen auch nach wie vor auf den Phrasenakzent achten, und sich so ausdrücken, als ob sie verärgert, glücklich oder traurig seien. Als wichtige Unterstützung zum Sprechen werden 358 Giselle Valman (Bielefeld) <?page no="359"?> bisher verwendete visuelle Mittel in der gesamten Übung berücksichtigt (vgl. Abb. 4; hierzu auch 2.2.6). 4a. : Écoutez et jouez le dialogue en groupes. Faites attention à la syllabe accentuée et à la mélodie à la fin (↗ ↘). Les pauses (│) séparent les structures rythmiques. Faites claquer vos doigts sur la syllabe accentuée, vers le haut (↗) ou vers le bas (↘). Groupe A Groupe B • Comment tu t’appelles ? ↘ o Je m’appelle Vanessa. ↘ ♀ / Sid. ↘ ♂ • Quel âge tu as ? ↘ o J’ai seize ans. ↘ │ E toi ? ↗ • J’ai dix-sept ans. ↘ │ Tu viens d’où ? ↗ o Je viens de Paris. ↘ • Tu aimes la photo ? ↗ o Oui, ↘│ j’adore la photo. ↘│ E toi ? ↗ • Oui, ↘│ mais je préfère le cinéma. ↘ 4b. : Vous êtes à une fête et vous ne connaissez pas tous les invités. Vous parlez à tout le monde pour faire connaissance. Voici comment fonctionne le jeu : tout d’abord, vous recevrez des cartes pour vous aider à faire connaissance. Ensuite, vous vous promenez dans la pièce et vous écoutez de la musique. Au moment où la musique s’arrête vous parlez à un partenaire. Écoutez ensuite votre partenaire et répondez aux questions. Lorsque vous avez terminé, échangez les cartes et continuez à vous promener dans la pièce. Lorsque la musique s’arrête, recommencez. Lorsque vous lisez à haute voix, faites attention à exprimer l’émotion notée sur la carte, elle est différente pour chaque carte ! Émotion : heureux se Questions Réponses o Je m’appelle Vanessa. ↘ ♀ / Sid. ↘ ♂ o J’ai … ans. ↘ │ Et toi ? ↗ o Je viens de Paris. ↘ o Oui, ↘│ j’adore la photo. ↘│ E toi ? ↗ • Comment tu t’appelles ? ↘ • Quel âge tu as ? ↘ • J’ai … ans. ↘ │ Tu viens d’où ? ↗ • Tu aimes la photo ? ↗ • Oui, ↘│ mais je préfère le cinéma. ↘ Autres émotions pour les cartes : avoir peur, en colère, etc. Autres noms pour les cartes : Alice ♀/ Arthur ♂, Lina ♀/ Léo ♂, Rose ♀/ Réda ♂, etc. Autres lieux de résidence : Lyon, Nice, Lille, Toulouse, Avignon, etc. Autres passe-temps pour les cartes : faire de la musique / de la peinture, jouer aux cartes/ , danser, faire du jogging / du vélo, etc. Abb. 4: Anwendung und Spiel 5 Fazit Der Beitrag hat gezeigt, wie didaktische Methoden der Ausspracheschulung aus dem DaF-Bereich auf das Französische als Fremdsprache (FLE) übertragen werden können. Ausgehend von acht Prinzipien und den Übungstypen von Hirschfeld/ Reinke (2018) wurde eine Übungssequenz für Gymnasiast*innen im deutschsprachigen Raum auf dem Sprachniveau A1 entworfen. Die Unterrichts‐ sequenz besteht aus vier Übungen, die in ihrer Form Hörübungen, produktive Übungen und spielerische Übungen einschließen. Im Zentrum steht dabei die Idee, die akzentuierte Silbe als großen Kreis und die nicht-akzentuierte Silbe als 359 Methoden der DaF-Ausspracheschulung im Französischunterricht <?page no="360"?> kleinen Kreis abzubilden (Prinzip der Visualisierung). Während im Deutschen unterschiedliche Silben im Wort akzentuiert sein können und Lernende des Deutschen dies beim Vokabellernen mitlernen müssen, fällt der Akzent im Französischen immer auf die letzte Silbe der Phrase. Die Ausspracheschulung ist hierbei in das Lernen von Vokabeln und kommunikativ relevanten Situationen eingebunden (Prinzipien der Integration und der kommunikativen Bewältigung). Die Schüler*innen versetzen sich in eine Als-ob-Situation und üben spielerisch mit Emotionen in einem Dialog die betonte Silbe im Phrasenakzent mit Hilfe der Körperbewegungen des Schnipsens (Prinzip der Bewegung und der Emotion). Dabei sollen sie stets fokussiert den Phrasenakzent hören (Prinzip des Hörtra‐ inings und der phonetisch-phonologischen Bewusstmachung) sowie mehrmals und immer wieder anders alle Phrasen wiederholen (Prinzip der artikulatori‐ schen Automatisierung). Dieser Vorschlag soll FLE-Lehrende ermuntern, die in den letzten Jahren positive Entwicklung der Ausspracheschulung in DaF zur Gestaltung von Übungen im FLE-Bereich einzubeziehen und zu erproben. Dadurch könnten sie nicht nur die alte überkommende Papageien-Methode (Vor‐ sprechen-Imitieren) überwinden, sondern auch bereits auf A1-Niveau kreativ an der Aussprache arbeiten. Literaturverzeichnis Aderhold, Egon/ Wolf, Edith [1960] ( 15 2009): Sprecherzieherisches Übungsbuch, Pößneck: Henschel. 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Les connaître et les comprendre - du moins perceptivement - représente en effet un élément essentiel de la compétence sociolinguistique de tout locuteur non natif (cf. Hymes 1984 : 154-155). C’est ce que souligne d’ailleurs le Cadre européen commun de référence pour les langues (CECR) : La compétence sociolinguistique porte sur la connaissance et les habiletés exigées pour faire fonctionner la langue dans sa dimension sociale […] : marqueurs des relations sociales […], règles de politesse […], expressions de la sagesse populaire […], différences de registre […], dialecte et accent […]. (CECR 2001 : 93) Pour les apprenants dits ‘guidés’ du français, notamment au début de leur cursus, le développement de cette compétence se fait en général par le biais d’éléments en grande partie présélectionnés et souvent même ordonnés sous forme de manuels, dans lesquels ils sont confrontés à un input formé de données linguistiques (p. ex. des éléments de grammaire et de vocabulaire), de ‘guidage’ sociolinguistique et pragmatique (p. ex. exercices, tâches à réaliser) et de docu‐ ments authentiques ayant l’objectif de la découverte de la langue et la culture <?page no="366"?> cible (cf. Tyne 2012 : 26). L’importance des manuels dans le développement de compétences sociolinguistiques n’étant donc pas négligeable (cf. Duchemin 2017 : 52), une analyse systématique de leurs contenus semble pertinente dans l’optique de découvrir à quel degré et comment la variation sociolinguistique, en tant que composante de la compétence sociolinguistique, est abordée dans l’enseignement du français langue étrangère (FLE). Or, seuls trois types d’études abordant cet aspect variationnel dans les manuels peuvent être dégagés de la recherche récente. Il s’agit d’études portant sur des comparaisons culturelles (p. ex. France vs Allemagne ; Münchow 2004, 2009), sur les représentations de la culture cible (cf. p. ex. Auger 2003, Chapelle 2014) et, dans le cadre de la variation, sur des aspects principalement stylistiques dans les manuels de FLE (cf. 2.2.1). Dans la présente étude, nous nous proposons d’aborder deux aspects jusqu’ici quelque peu négligés : nous étudions la variation géographique et la pluralité des normes du français dans les manuels de FLE, et ce, à l’exemple du cas de l’Allemagne. Ce faisant, nous nous concentrons sur les deux manuels allemands de FLE les plus utilisés au niveau scolaire : À plus ! (maison d’édition : Cornelsen) et Découvertes (maison d’édition : Klett). Mentionnons que si à côté de ces manuels standards, il existe également des ouvrages ou des dossiers pouvant être utilisés en complément (p. ex. Le Québec - Dossier de la francophonie 2011 ; Le Maghreb : Dossier pédagogique 2014 ; Cultures francophones aux quatre coins du monde, Lange 2019), la présente étude ne les prend pas en compte étant donné qu’elle met explicitement l’accent sur les manuels standards de FLE en Allemagne. Dans un premier chapitre sur l’état de l’art, nous abordons tout d’abord la question relativement récente de la pluralité des normes en linguistique (cf. 2.1) avant de proposer un aperçu de l’état actuel de la recherche portant sur les questions de la variation et de la pluralité des normes dans les manuels de FLE (cf. 2.2). Par la suite, nous esquissons notre méthode, en passant par le contexte d’édition des manuels de FLE en Allemagne (cf. 3.1), une présentation des différents volumes des deux manuels (cf. 3.2) et notre méthode d’analyse (cf. 3.3). La quatrième section est consacrée aux résultats, structurés selon les manuels (À plus ! : cf. 4.1 ; Découvertes : cf. 4.2), et est suivie d’une discussion des résultats mis en contextes de l’état actuel de la recherche en linguistique et en didactique des langues (cf. 5). 2 État de l’art L’état de l’art est divisé en deux sous-sections. Il commence par une présentation de l’état actuel de la recherche sur la question de la pluralité des normes dans 366 Marc Chalier (Passau) <?page no="367"?> l’espace francophone mondial (cf. 2.1) et traite par la suite des études récentes portant sur la place accordée à la variation et à la pluralité des normes dans les manuels de FLE (cf. 2.2.). 2.1 Variation et pluralité des normes du français Le présent article étant de nature exploratoire, la variation géographique du français telle qu’elle y est traitée est volontairement définie très largement comme faisant référence aux particularités linguistiques et sociolinguistiques de l’ensemble des variétés régionales du français parlées dans le monde (cf. Reutner 2017). Au niveau géographique, les analyses portent donc en particulier sur les variétés européennes (p. ex. France septentrionale et méridionale, Belgique, Suisse, Luxembourg), nord-américaines (p. ex. Québec, Louisiane), antillaises (p. ex. Guadeloupe, Martinique), sud-américaines (Guyane), maghrébines (p. ex. Algérie, Maroc, Tunisie) et d’Afrique subsaharienne (p. ex. Cameroun, Côte d’Ivoire, Mali, Sénégal) (cf. notamment Valdman 1978). Au niveau linguistique, ce sont les variantes régionales divergeant du traditionnel français de référence (cf. p. ex. Holtus/ Metzeltin/ Schmitt 1992 ; pour le français de référence, cf. Morin 2000) qui sont prises en compte. Au niveau sociolinguistique, l’article aborde en particulier les aspects touchant aux représentations, aux attitudes et à l’aménagement linguistique (cf. p. ex. Robillard/ Beniamino 1993), ce dernier aspect comprenant les questions autour de la définition d’une ou de plusieurs normes géographiques du français. Dans ce cadre de la pluralité des normes, la recherche en sociolinguistique a longtemps considéré le français comme étant l’exemple type d’une langue monocentrique (cf. Le Dû/ Le Berre 1997) présentant une surévaluation d’un standard considéré comme étant localisé à Paris ou, plus globalement, en France septentrionale. Historiquement, cette conception de la norme du français provient principalement d’un élitisme social et d’un centralisme géographique dans la définition des locuteurs représentant la norme. Entre le 16 ème et le 18 ème siècle, la norme était en effet définie autour de l’aristocratie de Paris et de la région de la Touraine, où se situaient les résidences d’été des rois de France (cf. Morin 2000 : 92-95). Au cours des siècles suivants cependant, une certaine démocratisation de la norme peut être observée. La norme de la cour est remplacée par une norme de la bourgeoisie (« français parisien de la bourgeoisie cultivée », Fouché 1936 : 211), qui au milieu du 20 ème siècle est elle-même élargie à la petite et moyenne bourgeoisie (« La prononciation en usage dans une conversation ‘soignée’ chez les Parisiens cultivés », Fouché 2 1959 : ii). Cette démocratisation s’élargit ensuite au niveau géographique : dans les années 1970, un modèle alternatif au parisien de souche (le Paris-terroir) 367 Variation et pluralité des normes dans l’enseignement du FLE <?page no="368"?> est en effet proposé par Martinet/ Walter (1973 : 9). Ces derniers définissent les locuteurs de référence comme des Parisiens d’adoption provenant du domaine d’oïl et formant le ‘melting pot’ du Paris-creuset. Le modèle suivant démocratise aussi bien le critère social que le critère géographique en proposant de définir la norme autour de l’usage des présentateurs de nouvelles ou des journalistes dans une situation de parole publique, le modèle étant d’abord proposé pour les locuteurs provenant de la radio (cf. Léon 1966) et ensuite pour les locuteurs provenant de la télévision (cf. Reinke 2005). Au niveau géographique, la prise en compte de présentateurs de nouvelles im‐ plique également une définition plurielle des normes au sein de la francophonie. Cette émancipation par rapport aux différents modèles parisiens proposés jusque-là a bel et bien lieu, et c’est au Québec qu’il va débuter dans les années 1960-1970 dans le courant de la Révolution tranquille (cf. Chalier 2021 : 63). Depuis, le courant s’est élargi à de nombreuses régions francophones mondiales. À l’heure actuelle, la sociolinguistique considère l’existence d’une pluralité de normes géographiques du français, chacune de ces normes présentant des traits propres à leurs usages et différant considérablement de ceux du français parisien (ou septentrional). Certaines de ces normes coïncident au niveau géographique avec des frontières nationales, comme c’est le cas, selon Gleßgen/ Thibault (2005 : vii), de la Belgique, du Canada, de la Suisse et des pays francophones du Maghreb (p. ex. l’Algérie, le Maroc ou la Tunisie) et d’Afrique subsaharienne (p. ex. le Cameroun ou la Côte d’Ivoire). D’autres passent outre les frontières politiques et trouvent plutôt leur origine dans les variétés régionales sous-jacentes, comme c’est par exemple le cas du français méridional. Au niveau géographique, en plus de ses nombreuses variétés régionales, le français présente donc également des standards nationaux et des standard régionaux (cf. Chalier 2021 : 53). Ces standards touchent principalement aux domaines du lexique et de la prononciation, la morphologie et la syntaxe ne présentant que très peu de variation géographique en français (cf. p. ex. Pöll 2008). Ainsi, en reprenant les termes de Pustka et al. (2019), « […] le français est donc - comme toutes les autres langues mondiales - une langue pluricentrique et pluriaréale » (Pustka et al. 2019 : 47), le pluricentrisme du français impliquant l’existence de plusieurs normes nationales à égalité statutaire (cf. Kloss 1978 : 67) et la pluriaréalité celle de normes régionales indépendantes des frontières politiques (Wolf 1994 : 74-75). Le pluricentrisme du français a d’ailleurs récemment été confirmé de manière empirique par Chalier (2018 : 138-139, 2021 : 445-447), qui montre qu’au Québec, il existe quant à la prononciation une norme endogène bien établie, stable et bénéficiant d’un prestige manifeste. 368 Marc Chalier (Passau) <?page no="369"?> 2.2 Variation et pluralité des normes dans les manuels de FLE Dans le cadre de la présente étude, nous tenterons de montrer dans quelle mesure, d’une part, la variation géographique et, d’autre part, ces changements relativement récents dans la perspective prise par la sociolinguistique par rapport aux normes du français sont présents dans les manuels de FLE. Pour ce faire, la présente section se propose de présenter une revue des écrits touchant à la variation (cf. 2.2.1) et aux normes dans les manuels de FLE (cf. 2.2.2). 2.2.1 Variation dans les manuels de FLE Si la variation dans les manuels de FLE a déjà été passablement étudiée jusqu’ici, l’état de la recherche montre cependant que ces études portent princi‐ palement sur la variation stylistique (cf. Auger/ Valdman 1999, Auger 2002, Mou‐ geon/ Nadasdi/ Rehner 2002, Lyster/ Rebuffot 2002, Nadasdi/ Mougeon/ Rehner 2003, Etienne/ Sax 2009 ; cf. également la contribution de Kondo dans cet ouvrage pour le cas de la liaison). Ces études montrent que les variantes formelles du français sont les plus représentées dans les manuels, à tel point que les situations informelles (p. ex. des dialogues reproduisant des échanges quotidiens au sein de la famille ou entre amis), qui devraient être représentées par des variantes informelles, sont au contraire reproduites artificiellement sur la base de variantes formelles. Ainsi, les traits suivants sont notamment largement majoritaires dans les manuels de FLE, même dans des situations informelles : • ne de négation (cf. Etienne/ Sax 2009 : 585-586, Mougeon/ Nadasdi/ Rehner 2002 : 21) • locution restrictive ne…que (cf. Mougeon/ Nadasdi/ Rehner 2002 : 22) • futur simple (vs futur périphrastique) (cf. p. ex. Nadasdi/ Mougeon/ Rehner 2003 : 202) • utilisation du nous (vs on) (cf. Etienne/ Sax 2009 : 592) Ainsi, dans un contexte informel, la langue employée dans les manuels ne correspond pas à celle qui serait utilisée dans de réelles situations de communi‐ cation, ce qui va à l’encontre de ce que l’on pourrait attendre d’une approche dite ‘communicative’ (cf. Duchemin 2017 : 53). Par ailleurs, les études montrent que dans les cas où les manuels font usage de variantes non standard, les mé‐ canismes sociolinguistiques sous-jacents à ces tendances ne sont pas expliqués (cf. p. ex. Lyster/ Rebuffot 2002 : 63). Au niveau situationnel, la sensibilisation des apprenants à la variation reste donc faible, même si certains manuels font exception à cette observation (cf. en particulier Le français parlé 2017). Les études portant sur la variation géographique dans les manuels de FLE se font, pour leur part, très rares. Celle de Duchemin (2017) fait cependant 369 Variation et pluralité des normes dans l’enseignement du FLE <?page no="370"?> exception à cette observation : elle porte sur la place des français nationaux et sur les représentations leur étant associées dans cinq manuels français et cinq manuels québécois de niveaux A2-B1 publiés entre 2002 et 2009 (cf. Duchemin 2017 : 54-55). Globalement, l’étude révèle que la place réservée à la variation linguistique dans les manuels est faible, que la francophonie hors de France est présentée de manière stéréotypée - p. ex. comme francophonie définie à travers son ‘appartenance’ à la France, les francophonies non-européennes étant principalement perçues comme d’anciennes colonies françaises - et que les explications sociolinguistiques touchant aux usages des francophones hors de France sont incomplètes voire absentes. Elle relève également que les variantes utilisées pour illustrer les variétés, qui sont majoritairement de nature lexicale, sont majoritairement socialement marquées et que la présentation de la différence entre français oral et français écrit reste lacunaire et réductrice (cf. Duchemin 2017 : 65-66). 2.2.2 Pluralité des normes dans les manuels de FLE Quant à la pluralité des normes, la thématique du pluricentrisme et margina‐ lement de la pluriaréalité du français dans les manuels de FLE (ou français langue seconde en Amérique) n’a jusqu’ici, à notre connaissance, pas été étudiée de manière systématique. Ce constat n’est cependant guère surprenant étant donnée la relative nouveauté de cette thématique, notamment dans le domaine de la didactique des langues (cf. Chalier 2020a : 15-16). L’étude de Duchemin (2017 : 63-64) présente cependant implicitement un aspect touchant à cette pluralité : cherchant en effet à dégager la place des français nationaux dans les manuels québécois et français, elle sous-entend implicitement l’existence d’un tel pluricentrisme. Ce faisant, elle montre qu’alors que les manuels québécois font référence à la seule variété nationale québécoise, les manuels français intègrent plusieurs français nationaux, qui touchent notamment à la France, à la Belgique, à la Suisse romande, au Québec et à certains pays d’Afrique. 3 Méthode Dans cette section, nous présentons la méthode d’analyse des manuels alle‐ mands de FLE À plus ! et Découvertes. Pour ce faire, nous expliquons tout d’abord le contexte d’utilisation des manuels en donnant un aperçu du cadre de l’enseignement du FLE dans les établissements scolaires allemands (cf. 3.1). Par la suite, nous présentons les manuels analysés (cf. 3.2) ainsi que notre protocole d’analyse (cf. 3.3). 370 Marc Chalier (Passau) <?page no="371"?> 2 Notons que pour ces deux manuels, il existe non seulement une version commune aux établissements allemands (Bundesausgabe), mais aussi une version élaborée pour les établissements bavarois (Bayernausgabe). Notre étude ayant une optique plus large, elle se concentre sur les versions panallemandes. 3.1 Enseignement du FLE dans les établissements scolaires allemands En Allemagne, le français est appris en grande majorité dans les établissements d’enseignement secondaire en tant que seconde langue étrangère à 12 ans ou troisième langue étrangère à 14 ans (cf. Martinez 2001 : 70). En tant que seconde langue étrangère, le français est appris après l’anglais dans le cadre d’un cursus de quatre ou cinq ans, selon l’école entre la 6 e ou 7 e année et la 10 e année scolaire. En tant que troisième langue étrangère, il est généralement appris après l’anglais et le latin dans le cadre d’un cursus de trois ans, entre la 8 e année et la 10 e année scolaire. Notons que les apprenants peuvent généralement abandonner le français après ce cursus, l’expérience des vingt dernières années montrant qu’une majorité des apprenants profitent effectivement de cette possibilité, causant ainsi une certaine chute du nombre d’apprenants du français à partir de la 11 e année scolaire (cf. Meißner 1998 : 241, Martinez 2001 : 70). Néanmoins, dans les trois cas de figure, il est prévu que l’apprenant atteigne le niveau B1 du Cadre européen commun de référence pour les langues (CECR). Les programmes des matières enseignées sont - du moins dans la phase d’apprentissage progressive - généralement appliqués par le biais de manuels, qui au préalable doivent être approuvés par les ministères, les deux manuels les plus courants étant À plus ! (Cornelsen) et Découvertes (Klett) (cf. DBS 2020). 2 Ces manuels sont adaptés au type de programme, la méthode du cycle court sur trois ans, qui est dédiée aux élèves plus âgés (14 à 15 ans), étant différente (principalement plus rapide) que celle des cycles de quatre ou cinq ans, les directives partant du principe que la compétence d’apprentissage systématique d’une langue étrangère sera plus forte dans le cas de la troisième langue étrangère, ce qui permettra une progression plus rapide de l’apprenant. Selon ces considérations, une analyse des deux manuels mentionnés (À plus ! et Découvertes) dans leurs versions les plus courantes permet de brosser un portrait relativement conséquent (même si non représentatif) de l’enseignement du français en Allemagne. 3.2 Manuels Les deux manuels analysés - À plus ! (Cornelsen) et Découvertes (Klett) - sont principalement conçus pour des apprenants du français suivant une scolarité 371 Variation et pluralité des normes dans l’enseignement du FLE <?page no="372"?> 3 Le Gymnasium allemand correspond globalement aux collège et lycée français. Les élèves de niveau suffisant débutent leur cursus ‘gymnasial’ à l’âge de 11 ans et en ressortent à 18 ou 19 ans avec l’Abitur, qui équivaut au baccalauréat français. de niveau secondaire au Gymnasium  3 . Ils affirment préparer les apprenants de manière systématique au Diplôme d’Études en langue française (DELF) et se baser dans leur conception sur les exigences du CECR des niveaux A1 à B1. Notons ce faisant que globalement, le CECR (2001) ne prévoit la prise en compte systématique de la variation qu’à partir du niveau B2 : [L]a partie inférieure de l’échelle ne porte que sur les marqueurs de relations sociales et les règles de politesse. À partir du niveau B2, les apprenants sont capables de s’exprimer de manière adéquate dans une langue appropriée aux situations et aux acteurs sociaux et ils commencent à acquérir la capacité de faire face aux variations du discours et de mieux maîtriser le registre et l’expression. (CECR 2001 : 95) Pour le niveau B1, il mentionne cependant tout de même que l’apprenant « […] pourra se débrouiller dans la plupart des situations rencontrées en voyage dans une région où la langue cible est parlée » (CECR 2001, 25), sous-entendant ainsi la compréhension passive des accents entendus et des particularités lexicales rencontrées. L’on peut donc globalement s’attendre à ce que la variation linguistique ne soit traitée qu’en marge des deux manuels étudiés. La pluralité des normes n’étant, pour sa part, pas mentionnée par le CECR (2001), il est probable que les manuels n’y fassent pas référence non plus. Les deux maisons d’édition proposent des manuels adaptés au type de cursus d’apprentissage du français en Allemagne. Le cursus sur trois ans est accompagné du manuel À plus ! Méthode intensive chez Cornelsen et du Cours intensif chez Klett. Chez Cornelsen, les cursus de quatre et cinq ans sont accompagnés du même manuel À plus ! dans les trois premières versions du manuel (1-3), alors qu’une différence est faite entre le cycle court (quatre ans) et le cycle long dans les deux dernières versions du manuel (À plus ! 4 et À plus ! 5). Chez Klett, une version du manuel Découvertes est également proposée pour les cycles de 4 (série bleue) et 5 ans (série jaune) (cf. Tab. 1). 372 Marc Chalier (Passau) <?page no="373"?> Niveaux (CECRL) À plus ! (Cornelsen) Découvertes (Klett) 3 ans 4 ans 5 ans 3 ans 4 ans 5 ans 8 e - 10 e 7 e - 10 e 6 e - 10 e 8 e - 10 e 7 e - 10 e 6 e - 10 e A1 À plus ! 1 Méthode intensive À plus ! 1 À plus ! 1 Cours intensif 1 Découvertes 1 (série bleue) Découvertes 1 (série jaune) À plus ! 2 Découvertes 2 (série jaune) À plus ! 2 Découvertes 2 (série bleue) A2 À plus ! 2 Méthode intensive Cours intensif 2 À plus ! 3 Découvertes 3 (série jaune) À plus ! 3 Découvertes 3 (série bleue) À plus ! 4 cycle long Découvertes 4 (série jaune) B1 À plus ! 3 Méthode intensive Cours intensif 3 À plus ! 4 cycle court Découvertes 4 (série bleue) À plus ! 5 cycle long Découvertes 5 (série jaune) Tab. 1 : Aperçu des manuels allemands de FLE À plus ! et Découvertes Tab. 1 : Aperçu des manuels allemands de FLE À plus ! et Découvertes Parmi les volumes de À plus ! , ce sont les volumes du cycle sur 5 ans qui ont été pris en compte, étant donné que le volume À plus ! 4 cycle court s’avère très similaire à À plus ! 4 cycle long dans ses contenus. L’analyse est complétée par les trois volumes de la Méthode intensive. Chez Klett, l’analyse se base également sur les manuels du cycle sur 5 ans (série jaune), les quatre premiers volets de la série bleue étant également très similaires aux quatre premiers volets de la série jaune. Mis à part les différents chapitres thématiques (nommés « unités » dans À plus ! et « leçons » dans Découvertes), notons également la présence d’in‐ formations relativement détaillées touchant à la civilisation et aux questions démolinguistiques sur les régions et pays francophones à la fin de chaque volume. Dans À plus ! , il s’agit d’un chapitre à part nommé « dictionnaires de civilisation ». Dans Découvertes, les informations sont directement intégrées dans le « vocabulaire » proposé à la fin du manuel. 373 Variation et pluralité des normes dans l’enseignement du FLE <?page no="374"?> 4 Notons que dans son modèle de linguistique de discours comparative, Münchow (2004 : 51-52), dont l’analyse porte sur des catégories plus culturelles que linguistiques, désigne cette première catégorie d’analyse comme étant sémantique. Notre étude portant sur des catégories principalement linguistiques, nous préférons le terme d’analyse de contenus, notamment pour éviter des recoupements avec la sémantique en tant que branche de la linguistique. 3.3 Méthode d’analyse Afin de répondre à l’objectif de la présente étude, qui est de montrer la place occupée par la variation géographique et la pluralité des normes du français dans les manuels À plus ! et Découvertes, nous avons opté méthodologiquement, en référence à Münchow (2004 : 51-53) et Duchemin (2017 : 54-55), pour une analyse tripartite abordant (1) les contenus  4 touchant à la variation et/ ou à la pluralité des normes répertoriées dans le manuel, (2) l’espace physique réservé à ces contenus dans la composition du manuel et (3) les énoncés au sein de ces catégories. Dans le cadre de l’analyse de contenus, toutes les mentions liées à des aspects touchant à la variation géographique du français et/ ou à la pluralité géographique de ses normes ont été répertoriées. Ce répertoriage se base dans cette première étape d’analyse sur la simple présence (+) ou absence (-) de contenus de civilisation, d’informations démolinguistiques ou d’éléments linguistiques (prononciation, lexique, normes) par rapport aux différentes va‐ riétés géographiques de français (cf. Tab. 2 et 5). Ce faisant, toutes les régions francophones abordées dans les manuels ont été prises en compte, à l’exception de la France septentrionale, étant donnée la relative homogénéité linguistique lui étant attribuée et sa proximité par rapport au français de référence (cf. Armstrong/ Boughton 1998), certains modèles normatifs du français se basant notamment sur les locuteurs septentrionaux vivant à Paris comme locuteurs de référence (cf. 2.1). Notons par ailleurs que seules les mentions concrètes du pays ou de la région ont été prises en compte, une mention plus générale (p. ex. la simple mention de la présence du français en Afrique) ne suffisant pas. Cinq catégories - culturelles et linguistiques - ont ainsi été répertoriées et systématiquement prises en compte : 1. Aspects culturels : Questions de civilisation touchant aux régions franco‐ phones 2. Aspects linguistiques 1 : Informations démolinguistiques relatives aux lan‐ gues parlées dans ces régions, ces informations pouvant se trouver dans les chapitres thématiques du manuel ou dans les encadrés informatifs se trouvant à la fin celui-ci (À plus ! : « dictionnaires de civilisation » ; Découvertes : « vocabulaire ») 374 Marc Chalier (Passau) <?page no="375"?> 3. Aspects linguistiques 2 : Exercices touchant à la variation dans la pronon‐ ciation 4. Aspects linguistiques 3 : Exercices touchant à la variation dans le lexique 5. Aspects linguistiques 4 : Questions touchant à la pluralité des normes du français Dans le cadre de l’analyse compositionnelle, qui touche à la présentation matérielle du corpus (cf. Münchow 2004 : 52, Duchemin 2017 : 54-55), c’est l’espace physique concret réservé à ces cinq catégories qui a été quantifié, nous permettant d’en déduire l’importance accordée à ces aspects. Cette quantifica‐ tion des catégories répertoriées dans les deux manuels, que nous présentons dans les tableaux 3 et 6, se base sur les mentions de régions et de variétés géographiques y étant parlées. La mention de deux régions/ variétés dans un même énoncé ou exercice mène donc à compter cette mention aussi bien pour la première que pour la deuxième région/ variété. Finalement, dans le cadre de l’analyse énonciative, ce sont la formulation des consignes et des explications ainsi que le choix des exercices et leur formulation qui ont été étudiés, comme l’avaient déjà effectué Münchow (2004 : 53) et Bento (2019 : 3-4), cette dernière également pour des manuels de FLE. 4 Analyse L’analyse des deux manuels est structurée de la manière suivante. Nous abor‐ dons chaque manuel séparément (À plus ! : cf. 4.1 ; Découvertes : cf. 4.2) et suivons à l’intérieur de chaque sous-chapitre la tripartition contenus - composition - énoncés présentée à la section 3.3. 4.1 Variation et norme dans le manuel À plus ! 4.1.1 Contenus répertoriés Conformément aux plans de formation allemands, qui mentionnent généra‐ lement la France, la France d’outre-mer, la Belgique, la Suisse romande, le Luxembourg, le Québec, le Maghreb et l’Afrique subsaharienne de manière explicite (cf. notamment ISB 2020), le manuel À plus ! aborde un nombre considérable de régions francophones européennes, de France d’outre-mer, nord-américaines et africaines. L’analyse de contenus révèle cependant que la maison d’édition Cornelsen met principalement l’accent sur les aspects culturels de ces régions (catégorie : civilisation) et ne propose des aspects linguistiques systématiques que dans le cadre d’informations démolinguistiques proposées aux apprenants pour les régions hors de France (cf. Tab. 2). 375 Variation et pluralité des normes dans l’enseignement du FLE <?page no="376"?> Volumes Régions abordées (hors France septentrionale) Culture Langue Civilisation Démolinguistique Variété(s) Normes Prononciation Lexique Région Pays À plus ! 1 Europe France mérid. + - - - - À plus ! 1 Méthode intensive Europe Belgique + + - - - Suisse romande + + + - - Luxembourg + + + - - Amérique du Nord Québec + + + - - Afrique (Maghreb) Maroc + + + - - Afrique (Subsa‐ hara) Mali + + - - - À plus ! 2 Europe Suisse romande + + - - - Luxembourg + + - - - Amérique du Nord Québec + + - + - À plus ! 2 Méthode intensive Europe France mérid. + - + - - Amérique du Nord Québec + + + + - Afrique (Maghreb) Algérie + + - - - Maroc + + - - - Afrique (Subsa‐ hara) Mali + + - - - À plus ! 3 Europe Belgique + + - - - Suisse romande + + - - - Amérique du Nord Québec + + + - - Afrique (Maghreb) Tunisie + + - - - Afrique (Subsa‐ hara) Congo Kins‐ hasa + + - - - 376 Marc Chalier (Passau) <?page no="377"?> À plus ! 3 Méthode intensive Afrique (Maghreb) Maroc + + + - - Tunisie + + + - - Algérie + + + - - À plus ! 4 Europe France mérid. + - + - - Afrique (Maghreb) Maroc + + + - - Tunisie + + + - - Algérie + + + - - À plus ! 5 France d’outre-mer Guadeloupe + + + - - Afrique (Subsa‐ hara) Mali + + + - - Tab. 2 : Types d’éléments (linguistiques et culturels) liés aux variétés et normes du français dans les volumes du manuel À plus ! Les aspects non pas culturels ou informatifs, mais bien linguistiques par rapport aux variétés présentées dans le tableau 2 se font très rares et touchent systéma‐ tiquement soit à la prononciation, soit au lexique. Quant à la question relative à de potentielles normes différant de la norme de référence traditionnelle, s’il est vrai que le fait d’aborder certaines différences lexicales et de prononciation en fonction des régions pourrait révéler implicitement une certaine reconnaissance de ces normes, cette question n’est à aucun endroit abordée explicitement dans le manuel. Quelques mentions des termes standard, français standard (p. ex. À plus ! 3 Méthode intensive : 9) ou l’équivalent allemand Standardsprache ‘langue standard’ (p. ex. À plus ! 2 Méthode intensive : 126) peuvent être trouvées dans le manuel, mais ces mentions restent inexpliquées et se rapportent à la variation stylistique, comme le montrent les deux exemples suivants : 1. Dis-le en français standard. C’était la cata, mais on n’a pas flippé (À plus ! 3 Méthode intensive : 9, mises en italique dans l’original). 2. Standardsprache und Umgangssprache. Le français standard et le français familier […] • Standardsprache • Umgangssprache • Elle n’est pas méchante. • Elle est pas méchante. • Je n’ai encore rien fait. • J’ai encore rien fait. • Tu exagères. • T’exagères. (À plus ! 2 Méthode intensive : 126, mises en relief dans l’original) 377 Variation et pluralité des normes dans l’enseignement du FLE <?page no="378"?> Par ailleurs, la norme est implicitement placée au sein de la seule France septentrionale, deux indices révélant cet état de fait : d’une part, la question des particularités linguistiques n’est abordée que pour la France méridionale ou la francophonie hors de France, et ce, de manière systématique. Ce faisant, les mentions sont généralement du type des deux exemples suivants. Dans le premier exemple (1), les enfants d’une famille voulant déménager de Marseille à Paris craignent d’être discriminés à l’école en raison de leur accent. Dans l’autre (2), après avoir lu un texte sur le Québec comprenant des québécismes, les apprenants doivent explicitement chercher les particularités linguistiques du français québécois : 1. Et à l’école, ils vont se moquer de notre accent. (À plus ! 2 Méthode intensive : 70). 2. Retrouvez les phrases dans le texte qui montrent que […] le français des Québécois est différent du français qu’on parle en France. (À plus ! 3 Méthode intensive : 95, mises en italique dans l’original) D’autre part, les informations démolinguistiques trouvées dans les « diction‐ naires de civilisation » du manuel (p. ex. langues parlées dans la région, nombre de locuteurs de ces langues) ne sont explicitées que pour la francophonie hors de France. En d’autres termes, les mentions de régions françaises se trouvent être sans informations explicites sur la variation linguistique, quelle que soit la région, pas même dans le cas du français méridional, qui se trouve être l’accent du français le plus connu (cf. Gueunier/ Genouvrier/ Khomsi 1983 : 84, Kuiper 1999 : 249-250, Pustka 2010 : 123). 4.1.2 Analyse compositionnelle Le volet compositionnel de l’analyse du manuel À plus ! montre que l’espace physique concret réservé aux catégories relatives à la variation géographique du français et à ses normes est relativement restreint dans le manuel (cf. Tab. 2). Le tableau 3 résume la totalité des mentions culturelles et/ ou linguistiques et des exercices touchant aux variétés géographiques du français selon leur type : mentions isolées et encadrés/ explications dans les chapitres thématiques, articles explicatifs dans le « dictionnaire de civilisation », exercices de compréhension orale et de compréhension écrite. Les questions touchant aux normes de pronon‐ ciation du français étant totalement absentes du manuel (cf. Tab. 2, dernière colonne), elles n’ont pas été prises en compte dans l’analyse compositionnelle. 378 Marc Chalier (Passau) <?page no="379"?> Catégorie Région Type de mention ou d’exercice Total Mentions isolées Encadrés explicatifs Articles explicatifs (« Dictionnaire de civilisation ») Exercices de compréhension orale Exercices de compréhension écrite Total par région Total par catégorie Civilisation France mérid. -- 3 17 -- -- 20 101 Belgique 2 1 3 -- -- 6 Luxembourg 1 -- 3 -- -- 4 Suisse 1 1 1 -- -- 3 Québec 1 6 9 -- -- 16 France d’outre-mer -- 2 12 -- -- 14 Afrique (Maghreb) -- 6 13 -- -- 19 Afrique (Subsa‐ hara) -- 5 14 -- -- 19 Démolinguistique Belgique -- -- 3 3 50 Luxembourg -- -- 2 -- -- 2 Suisse -- -- 5 -- -- 5 Québec -- -- 6 -- -- 6 Afrique (Maghreb) -- 3 13 -- -- 16 Afrique (Subsa‐ hara) -- 4 14 -- -- 18 Prononciation France mérid. -- -- -- 1 -- 1 12 Luxembourg -- -- -- 1 -- 1 Suisse -- -- -- 1 -- 1 Québec -- -- -- 4 -- 4 379 Variation et pluralité des normes dans l’enseignement du FLE <?page no="380"?> Afrique (Maghreb) -- -- -- 3 -- 3 Afrique (Subsa‐ hara) -- -- -- 2 -- 2 Lexique Québec -- -- -- -- 4 4 4 Total par type de mention ou d’exercice 5 31 115 12 4 167 Tab. 3 : Totalité des mentions relatives à la variation géographique du français dans le manuel À plus ! Le tableau 3 montre, premièrement, que la plupart des éléments du manuel liés aux français parlés dans le monde, qui s’élèvent à 167 au total (cf. Tab. 3 : Total par catégorie), touchent à des éléments plus culturels (civilisation : 60,48 %, 101/ 167) que linguistiques (civilisation, démolinguistique, prononciation et lexique : 39,52 %, 66/ 167), ces éléments étant du type de l’exemple suivant : Le saviez-vous ? […] • L’Afrique compte 32 villes de plus d’un million d’habitants. Le Caire, en Égypte, et Lagos, au Nigeria, comptent plus de 10 millions d’habitants. • L’Afrique est le continent où les villes se développent le plus vite : leur population, qui représente 40 % de la population totale, a été multipliée par onze depuis 1950. • L’Afrique est le continent avec la plus grande natalité (4,79 enfants par femme). (À plus ! 5 : 92) Deuxièmement, la plupart des 66 éléments touchant à la langue (cf. Tab. 3 : démolinguistique, prononciation et lexique) sont de nature démolinguistique (75,76 %, 50/ 66) et se trouvent en fin de manuel dans le « dictionnaire de civilisation » (14,00 % (7/ 50) des éléments démolinguistiques dans les chapitres thématiques vs 86,00 % (43/ 50) dans le « dictionnaire de civilisation »), l’exemple suivant illustrant ce type d’éléments : La Tunisie [latynizi] 10 031 100 habitants. Pays du Maghreb au bord de la mer Méditerranée. Ancienne colonie française (1881- 1956). La capitale est Tunis. Langues : l’arabe (langue officielle), le berbère et le français […]. (À plus ! 5 : 142) Troisièmement, les éléments touchant à des traits linguistiques concrets (cf. Tab. 3 : Exercices de compréhension orale/ écrite) montrent que le français québécois (50,00 %, 8/ 16) est le mieux représenté parmi les variétés de français 380 Marc Chalier (Passau) <?page no="381"?> hors de France septentrionale, suivi du Maghreb (18,75 %, 3/ 16), du français parlé en Afrique subsaharienne (12,50 %, 2/ 16) ainsi que du français méridional, de la Suisse romande et du Luxembourg à parts égales (respectivement 6,25 %, 1/ 16). Ce type d’éléments est illustré dans l’exemple suivant : Qu’est-ce que vous savez sur le Québec ? […] Faites ce quiz […]. En français québécois, que veut dire « Il mange ses shorts » ? a. Il a de gros problèmes. b. Il a très faim. (À plus ! 2 Méthode intensive : 68) 4.1.3 Analyse énonciative Au niveau énonciatif, trois types d’exercices touchant à la variation géogra‐ phique du français ont pu être répertoriés. Le premier type d’exercice touche à la compréhension orale et s’avère relativement courant dans le manuel : 12 exercices de ce type ont pu être répertoriés dans le manuel (cf. Tab. 3 : colonne Exercices de compréhension orale). Il faut cependant souligner que la prononcia‐ tion n’y est abordée qu’indirectement, c’est-à-dire par le biais d’enregistrements de locuteurs présentant l’accent en question sans qu’une question explicite touchant à cet accent ne soit posée aux étudiants dans les consignes. L’objectif didactique est en effet la compréhension globale de l’enregistrement, comme l’illustre la consigne suivante, qui accompagne l’écoute d’un enregistrement de locuteurs francophones d’Afrique subsaharienne et qui présente en tant que traits de prononciation principalement l’intonation du français parlé en Afrique subsaharienne : « Écoutez le document sonore et dites de quels pays viennent Adja et Ousmane. Notez toutes les informations que donnent Adja et Ousmane sur leurs pays » (À plus ! 5 : 92). L’exercice poursuit ainsi un objectif culturel d’ouverture sur la francophonie, plus qu’un objectif linguistique, les accents (non-authentiques) étant plus considérés comme des obstacles à la compréhension globale que des sujets potentiellement pertinents dans leur contenu pour les apprenants. Les deux autres types d’exercices touchent au lexique. Soulignons qu’à ce niveau linguistique, seul le français québécois est représenté dans le corpus. Le premier type d’exercice lexical qui a pu être relevé dans deux cas dans le manuel (cf. À plus ! 2 Méthode intensive : 78 ; À plus ! 2 Méthode intensive : 97) touche à la transposition d’une variante déclarée comme étant ‘québécoise’ en une variante déclarée comme étant ‘française’, comme le montre l’exemple illustré dans le tableau 4. 381 Variation et pluralité des normes dans l’enseignement du FLE <?page no="382"?> La famille Marin trouve que le français québécois est très « fun ». Retrouvez les expressions françaises qui correspondent aux expressions québécoises […]. Français standard Français québécois la salle de bains la chambre de bain* la voiture le char* mignon* cute* nettoyer cleaner* faire les courses magasiner* le hot-dog le chien chaud* le repas le lunch* voyager triper* la boîte aux lettres* la boîte à mail* se balader prendre une marche* tomber amoureux* tomber en amour* Tab. 4 : Reproduction d’un exercice portant sur la transposition de mots déclarés comme étant ‘québécois’ en des mots déclarés comme étant ‘français’ dans le cadre d’une compréhension écrite (cf. À plus ! 2 Méthode intensive: 78) Selon les études précédentes sur les manuels de FLE (cf. notamment Auger 2002 et Duchemin 2017), ce type d’exercice peut influer sur la construction des représentations de la variété québécoise chez les apprenants en ce sens qu’ils suggèrent que cette variété pourrait être non standard et/ ou stigmatisée (cf. Duchemin 2017 : 63-64). Dans le cas présent, cet effet pourrait être renforcé par l’utilisation d’astérisques (*) signifiant, selon le manuel, que le mot de vocabulaire en question fait partie du vocabulaire facultatif (« Diese Vokabel gehört zum fakultativen Wortschatz », ‘Ce mot appartient au vocabulaire facultatif ’, À plus ! 2 Méthode intensive : 7). Le deuxième type d’exercice lexical concerne des extraits de textes authen‐ tiques visant la compétence liée à la compréhension de textes. Dans cette catégorie, deux exercices ont pu être répertorié dans le corpus, les deux exercices se trouvant dans la même version du manuel (cf. À plus ! 2 Méthode intensive : 88-89) et apparaissant directement l’un après l’autre. Le traitement de la variété québécoise y est ambivalent. Le premier exercice touche à la célèbre chanson de Gilles Vigneault Mon pays (1965) : 382 Marc Chalier (Passau) <?page no="383"?> Mon pays, ce n’est pas un pays, c’est l’hiver Mon jardin, ce n’est pas un jardin, c’est la plaine Mon chemin, ce n’est pas un chemin, c’est la neige Mon pays, ce n’est pas un pays, c’est l’hiver Dans la blanche cérémonie Où la neige au vent se marie Dans ce pays de poudrerie Mon père a fait bâtir maison Et je m’en vais être fidèle À sa manière, à son modèle La chambre d’amis sera telle Qu’on viendra des autres saisons Pour se bâtir à côté d’elle Mon pays, ce n’est pas un pays, c’est l’hiver Mon refrain, ce n’est pas un refrain, c’est rafale Ma maison, ce n’est pas ma maison, c’est froidure Mon pays, ce n’est pas un pays, c’est l’hiver De ce grand pays solitaire Je crie avant que de me taire À tous les hommes de la terre Ma maison, c’est votre maison Entre ses quatre murs de glace Je mets mon temps et mon espace À préparer le feu, la place Pour les humains de l’horizon Et les humains sont de ma race Mon pays, ce n’est pas un pays, c’est l’hiver Mon jardin, ce n’est pas un jardin, c’est la plaine Mon chemin, ce n’est pas un chemin, c’est la neige Mon pays, ce n’est pas un pays, c’est l’hiver Mon pays, ce n’est pas un pays, c’est l’envers D’un pays qui n’était ni pays ni patrie Ma chanson, ce n’est pas ma chanson, c’est ma vie C’est pour toi que je veux posséder mes hivers (Gilles Vigneault, Mon pays ; À plus ! 2 Méthode intensive : 88 ; mises en relief : MC) 383 Variation et pluralité des normes dans l’enseignement du FLE <?page no="384"?> 5 Signification des québécismes en français parisien : plate ‘ennuyant’, maringouins ‘moustiques’, quétaines ‘qui manquent de raffinement’, frette ‘froid(e)’, fun ‘génial’, placoter ‘bavarder’. En prenant en compte un tel extrait présentant un registre formel combiné à une utilisation de quelques québécismes lexicaux (poudrerie, froidure) et phonétiques (p. ex. voyelles nasales / ɛ̃/ et / ɑ̃/ antériorisées en [ẽ] et [ɐ̃] : chemin [ʃəmẽ], jardin [ʒaʁdẽ], humains [ymẽ], en [ɐ̃], temps [tɐ̃] ; voyelle / ɛ/ allongée : neige [nɛːʒ], hiver [ivɛːʁ]), une certaine légitimité est attribuée aux particularités du français québécois. L’autre exemple est cependant d’un tout autre registre : il s’agit d’un extrait du roman jeunesse Ma première folie (2005) et touche à un français québécois oral en contexte informel : Comme l’année dernière, Yo et son copain Ré partent en camp d’été. Mais cette année, Yo a peur de passer une semaine ennuyeuse… - Ré ! j’t’ai gardé une place. - Super, Yo ! […] - Ça va être plate au camp c’t’année. - Comme ça ? - J’peux même pas apporter ma planche. L’année passée, ils m’avaient dit qu’ils construiraient une rampe halfpipe. Mais non, rien. Mes parents ont téléphoné. Pas de skate au camp ! Ça va être plate, j’te dit […]. J’ai pas envie de chercher des petits papiers dans la forêt. - Pourquoi pas, Yo ? - C’est plein de maringouins. On va s’faire piquer comme des pelotes d’épingles. - Il va y avoir des feux d’camp… - Et des chansons quétaines, j’sais. - On va nager aussi… - Oui, Ré… dans l’eau frette […]. (D’après Johanne Mercier, Reynald Cantin, Hélène Vachon : Ma première folie (Yo) ; À plus ! 2 Méthode intensive : 89 ; mises en relief : MC) C’est dans ce texte que le plus grand nombre de québécismes peut être trouvé (p. ex. plate, maringouins, quétaines, frette, fun, placoter ; cf. À plus ! 2 Méthode intensive : 89) 5 . Il est également frappant que le texte contient un nombre relativement important de traits marquant l’oralité (p. ex. la chute du schwa : j’t’ai, c’t’année, j’peux, j’te, j’sais, s’faire, l’fun, j’te l’dis ; la chute du ne de négation : j’peux même pas, j’ai pas envie). Le locuteur non avisé pourra donc avoir tendance à ne pas faire la différence entre les traits appartenant 384 Marc Chalier (Passau) <?page no="385"?> 6 All. « Das in Québec gesprochene Französisch unterscheidet sich in Wortschatz, Redewendungen und Aussprache vom Standardfranzösischen, z. B. cooker = faire la cuisine, le char = la voiture, il mange ses shorts = il a de gros problèmes » (À plus ! 2 Méthode intensive : 163). simplement au français oral et les traits, diaphasiquement non marqués, du français québécois. Soulignons finalement, dans la même ligne argumentative, que dans la « liste alphabétique des mots » et dans le « petit dictionnaire franco-allemand » se trouvant à la fin du manuel, les mots mentionnés dans les chapitres thématiques sont systématiquement supprimés du vocabulaire. Ainsi, si un effort de la part de la maison d’édition de présenter le lexique du français québécois dans des registres très différents peut être remarqué, les québécismes restent largement plus nombreux dans le texte oral et informel, ils sont combinés à des traits courants du français parlé et ils sont systématiquement supprimés des listes de mots devant être apprises par l’apprenant. Ces aspects plutôt implicites sont par ailleurs confirmés explicitement dans le volet À plus ! 2 Méthode intensive, dans lequel un encadré définit le français québécois comme suit : ‘Le français parlé au Québec diffère du français standard par le vocabulaire, les expressions idiomatiques et la prononciation, par ex. cooker = faire la cuisine, le char = la voiture, il mange ses shorts = il a de gros problèmes’. (À plus ! 2 Méthode intensive : 163, tr. MC) 6 La présentation du français québécois comme variété non standard et stigma‐ tisée dans le manuel À plus ! semble donc se confirmer globalement dans les exercices portants sur le lexique. Finalement, l’analyse du manuel À plus ! aura pu montrer que la perspective adoptée par la maison d’édition par rapport à la variation est de nature plus culturelle que linguistique. Ceci n’est cependant guère surprenant étant donnés les objectifs des niveaux A1 à B1 du CECR (2001) (cf. 3.2). Par ailleurs, les traits linguistiques mentionnés se concentrent fortement sur le français québécois, le domaine lexical de la variation étant même uniquement représenté par cette variété. Quant à la question de la pluralité des normes, le manuel cherche, certes, à varier les registres des textes utilisés pour illustrer la variété québécoise, mais l’amalgame de traits du français oral et de traits du français québécois proposé dans un seul et même texte favorise la considération de cette variété comme variété uniquement orale présentant un registre principalement informel, suggérant implicitement une variété de français stigmatisée et non standard. Ainsi, au niveau normatif, la perspective adoptée par À plus ! peut être caractérisée de largement monocentrique. 385 Variation et pluralité des normes dans l’enseignement du FLE <?page no="386"?> 7 Notons que dans Découvertes 1, les éditeurs évoquent - à côté de la France, de la Belgique, de la Suisse, de la Martinique, de la Nouvelle-Calédonie, du Canada et du Sénégal - également le Vietnam en tant que région dans laquelle le français est parlé activement (cf. Découvertes 1 : 10). Ceci ne correspond cependant pas à la réalité linguistique actuelle, les liens linguistiques entre les anciennes colonies de l’Asie du Sud-Est et la France étant purement historiques et les locuteurs de français étant, au mieux, des locuteurs L2 (cf. Noll 2017 : 588-589). C’est la raison pour laquelle, toute mention du Vietnam dans le manuel n’a pas été prise en compte dans les analyses. 4.2 Variation et norme dans le manuel Découvertes 4.2.1 Contenus répertoriés Les régions francophones mondiales abordées par le manuel Découvertes sont comparables à celles se trouvant dans À plus ! et correspondent ainsi également aux objectifs fixés par les plans de formations allemands (cf. 4.1.1) : l’on y trouve en effet des régions européennes, de France d’outre-mer, nord-américaines et africaines (Maghreb et Subsahara). Ces régions ne sont cependant abordées systématiquement que d’un point de vue culturel (civilisation), les seuls aspects linguistiques présentés systématiquement étant, dans ce manuel également, de nature démolinguistique (cf. Tab. 5). Volumes Régions abordées (hors France septentrionale) Culture Langue Civilisation Démolinguistique Variété(s) Normes Prononciation Lexique Région Pays Découvertes 1  7 Europe France mérid. + - - - - Belgique + - - - - Suisse + - - - - France d’outre-mer Martinique + - - - - Nouvelle‐ Calédonie + - - - - Amérique du Nord Québec + - - - - Afrique (Subsahara) Sénégal + - - - - 386 Marc Chalier (Passau) <?page no="387"?> Découvertes 2 Europe France mérid. + - + - - Belgique + + + + - Suisse + + + + - Luxembourg + + - - - Afrique (Maghreb) Algérie + + + - - Maroc + + + - - Afrique (Subsahara) Sénégal + + - - - Découvertes 3 Europe France mérid. + - + - - Belgique + + - - - France d’outre-mer Martinique + + - - - Amérique du Nord Québec + + + + - Louisiane + + - - - Afrique (Maghreb) Algérie + + - - - Maroc + + - - - Afrique (Subsahara) Sénégal + + - - - Découvertes 4 Europe France mérid. + - - - - France d’outre-mer Guadeloupe + - - - - Martinique + - - - - Afrique (Maghreb) Algérie + + - - - Maroc + + - - - Tunisie + + - - - 387 Variation et pluralité des normes dans l’enseignement du FLE <?page no="388"?> Découvertes 5 Europe France mérid. + - - - - Amérique du Nord Québec + + - - - Afrique (Subsahara) Cameroun + + + - - Côte d’Ivoire + + + - - Guinée + + + - - Mali + + + - - Tab. 5 : Types d’éléments (linguistiques et culturels) liés aux variétés et normes du français dans les volumes du manuel Découvertes Comme dans À plus ! , les aspects touchant directement à des traits des variétés de français parlées dans les régions abordées sont rares et touchent systéma‐ tiquement soit à la prononciation, soit au lexique. Par ailleurs, une mention explicite de la pluralité géographique des normes du français est complètement absente du manuel. Le concept de ‘standard’ est évoqué au total à deux endroits dans le manuel. Dans le premier cas, il est mentionné dans un exercice de compréhension orale dans lequel la ‘langue des jeunes’ est opposée au ‘français standard’ (cf. Découvertes 3) : Écoutez ces dix phrases. Copiez le tableau dans votre cahier et complétez-le. 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 Français standard x Langue des jeunes (Découvertes 3 : 17) Dans le deuxième cas, il s’agit d’un encadré dans la liste de « vocabulaire » en fin de manuel, dans lequel le rôle des médias dans la diffusion du français standard et l’éviction progressive des langues régionales sont thématisés (cf. Découvertes 5) : Avec la diffusion de la radio et de la télévision au 20 e siècle, le standard du français a peu à peu atteint les gens dans toute la France, qui auparavant ne connaissaient que leur français régional. À l’heure actuelle, les médias sont cependant également de plus en plus influencés par des variantes linguistiques non standard, p. ex. les bandes 388 Marc Chalier (Passau) <?page no="389"?> 8 All. « Mit der Verbreitung des Radios und des Fernsehens im 20. Jahrhundert drang die französische Normsprache zu Menschen in ganz Frankreich vor, die bisher nur ihr français régional kannten. Heute werden die Medien aber auch immer mehr von nicht normsprachlichen Varianten durchdrungen, z. B. Comics […] und Zeichentrickfilme […] von Jugendsprache […]. » (Découvertes 5: 124, tr. MC, mises en relief et mises en italiques dans l’original). L’on remarquera ici, par ailleurs, la confusion qui est faite ici entre le français régional, qui correspond dans les faits à un français modifié sous l’influence d’un substrat (cf. Dauzat 1906 : 203), c’est-à-dire s’étant formé après l’instauration du français dans ces régions, et les dialectes primaires (cf. Coseriu 1988 : 51) parlés dans les régions avant que le français n’y ait été instauré (p. ex. les dialectes d’oïl, d’oc ou du franco-provençal). Dans le cas présent, il serait donc plus correct de parler de dialectes d’oïl, d’oc ou du franco-provençal. dessinées, les dessins animés et la langue des jeunes […]. (Découvertes 5 : 124, tr. MC, mises en relief et mises en italiques dans l’original) 8 Dans les deux exemples, l’on peut donc constater que ces mentions du ‘standard’ ne touchent cependant pas à la question des normes géographiques du français. Par ailleurs, le placement implicite de la norme en France septentrionale semble également valable pour ce manuel, la perspective proposée par le manuel étant donc à nouveau similaire à celle de À plus ! (cf. 4.1). Le terme d’accent n’est en effet utilisé qu’en référence à des variétés méridionales (4 mentions répertoriées) ou à la francophonie hors de France (Québec : 2 mentions répertoriées), comme le montrent les deux exemples suivants : dans le premier exemple (1), la fille d’une famille ayant déménagé de Paris à Toulouse se plaint de ne pas comprendre les locuteurs méridionaux en raison de leur accent. Dans le deuxième (2), l’encadré porte sur le français québécois et fait partie d’un module portant sur les spécialités culturelles de différentes régions francophones dans le monde : 1. Je n’ai pas d’amis, ici. En plus, avec leur accent, je ne comprends rien. (Découvertes 2 : 23, mise en relief : MC) 2. Nous, les Québécois, on parle le français. Pour les Français, on a un drôle d’accent canadien ! (Découvertes 3 : 84, mise en relief : MC) Par ailleurs, les informations démolinguistiques se trouvant soit dans des encadrés des chapitres thématiques soit dans la liste de vocabulaire se trouvant en fin de manuel ne touchent qu’aux francophonies hors de France (cf. Tab. 5). Et ce type d’informations reste, comme dans le manuel À plus ! (cf. 4.1.1), de nature très générale, comme le montre l’exemple suivant : 389 Variation et pluralité des normes dans l’enseignement du FLE <?page no="390"?> 9 All. « Marokko ist ein Staat in Nordwest-Afrika. Im Osten grenzt er an Algerien. Fran‐ zösisch blieb nach dem Ende der Kolonialzeit weiterhin Bildungs- und Geschäftssache in Marokko. » (Découvertes 4 : 124). ‘Le Maroc est un état du nord-ouest de l’Afrique. A l’est, il est limitrophe de l’Algérie. Après la fin de la période coloniale, le français est resté langue de l’éducation et des affaires au Maroc.’ (Découvertes 4 : 124, tr. MC) 9 4.2.2 Analyse compositionnelle Au niveau de la composition de l’espace physique réservé aux questions touchant à la variation géographique du français et aux normes, le constat est similaire à celui touchant au manuel À plus ! (cf. 4.1) : d’une part, la place de la variation dans les volumes du manuel est restreinte, dans les chapitres thématiques, à de simples mentions isolées et non expliquées, à de brefs encadrés explicatifs ou à quelques rares exercices de compréhension orale et de compré‐ hension écrite abordant - en partie uniquement - ces variétés. Par ailleurs, à la fin des mêmes volumes, la variation est abordée dans le cadre de courts articles explicatifs intégrés dans le chapitre « vocabulaire » et contenant principalement des informations touchant à des questions de civilisation ou de démolinguistique quant aux francophonies hors de France. D’autre part, les questions touchant à la pluralité des normes sont complètement absentes du manuel, raison pour laquelle l’aspect des normes n’apparaît pas dans le tableau 6. Notons que la quantification des catégories répertoriées dans le manuel Découvertes que nous présentons dans le tableau 6 se base sur les mentions de régions et de variétés géographiques y étant parlées. La mention de deux régions/ variétés dans un même énoncé ou exercice mène donc à compter cette mention aussi bien pour la première que pour la deuxième région/ variété. 390 Marc Chalier (Passau) <?page no="391"?> Catégorie Région Type de mention ou d’exercice Total Mentions isolées Encadrés explicatifs Articles explicatifs (« vocabulaire ») Exercices de compréhension orale Exercices de compréhension écrite Total par région Total par catégorie Civilisation France mérid. 13 12 3 -- -- 28 71 Belgique 1 2 -- -- -- 3 Luxembourg -- -- 1 -- -- 1 Suisse 1 2 -- -- -- 3 Québec 2 2 1 -- -- 5 Louisiane -- 1 1 -- -- 2 France d’outre-mer 2 1 2 -- -- 5 Afrique (Maghreb) 3 1 5 -- -- 9 Afrique (Subsa‐ hara) 7 1 7 -- -- 15 Démolinguistique Belgique -- 2 -- -- -- 2 31 Luxembourg -- -- 1 -- -- 1 Suisse -- 2 -- -- -- 2 Québec -- 1 2 -- -- 3 Louisiane -- 1 1 -- -- 2 Afrique (Maghreb) -- 7 6 -- -- 13 Afrique (Subsa‐ hara) -- 2 6 -- -- 8 391 Variation et pluralité des normes dans l’enseignement du FLE <?page no="392"?> Prononciation France mérid. -- -- -- 2 -- 2 7 Belgique -- -- -- 1 -- 1 Suisse -- -- -- 1 -- 1 Québec -- -- -- 1 -- 1 Afrique (Maghreb) -- -- -- 1 -- 1 Afrique (Subsa‐ hara) -- -- -- 1 -- 1 Lexique Belgique -- -- -- 1 -- 1 3 Suisse -- -- -- 1 -- 1 Québec -- -- -- -- 1 1 Total par type de mention ou d’exercice 29 37 36 9 1 112 Tab. 6 : Totalité des mentions relatives à la variation géographique du français dans le manuel Découvertes Cette quantification de la répartition des catégories répertoriées dans le tableau 5 montre globalement (cf. Tab. 6 : Total par catégorie) que, tout comme dans le cas d’À plus ! , les aspects liés à la variation géographique du français sont plus culturels (civilisation : 63,39 %, 71/ 112) que linguistiques (démolinguistique, prononciation et lexique : 36,61 %, 41/ 112). Les aspects touchant à la langue sont également d’ordre démolinguistique dans une grande majorité (démolin‐ guistique : 75,61 %, 31/ 41 ; prononciation : 17,07 %, 7/ 41 ; lexique : 7,32 %, 3/ 41). En revanche, au contraire du manuel À plus ! , ces informations démolinguistiques s’avèrent être moins souvent reléguées aux articles explicatifs se trouvant en fin de manuel (encadrés : 48,39 %, 15/ 31 ; articles explicatifs dans la section finale « vocabulaire » : 51,61 %, 16/ 31), ce qui leur procure potentiellement une plus grande visibilité pour l’apprenant. Quant aux exercices portant sur des aspects linguistiques concrets, le tableau 6 montre que les variétés représentées dans le manuel sont plus équilibrées que dans À plus ! (France méridionale : 20,00 %, 2/ 10 ; Belgique : 20,00 %, 2/ 10 ; Suisse romande : 20,00 %, 2/ 10 ; Québec : 20,00 %, 2/ 10 ; Maghreb : 10,00 %, 1/ 10 ; Afrique subsaharienne : 10,00 %, 1/ 10). Par ailleurs, les aspects lexicaux ne sont pas limités au Québec, mais touchent également à la Belgique et la Suisse romande (1 exercice lexical pour chacune des trois variétés), comme l’illustre l’exemple suivant : « Je vous fais septante bises […] » (Découvertes 2 : 125, mise en italique : MC). Notons que cet exercice est utilisé 392 Marc Chalier (Passau) <?page no="393"?> non seulement pour le cas de la Belgique, mais aussi pour celui de la Suisse romande. 4.2.3 Analyse énonciative En ce qui concerne les énoncés, deux types d’exercices ont été répertoriés dans le cas de la compréhension orale et un type d’exercice dans le cas de la compréhen‐ sion écrite. Pour ce qui est de la compréhension orale, le premier type d’exercice, qui est - comme dans le cas du manuel À plus ! - le plus courant (77,78 %, 7/ 9), touche à la compréhension de toute une série d’accents géographiques de français (France méridionale, Belgique, Suisse romande, Québec, Maghreb, Afrique subsaharienne ; cf. Tab. 6). Soulignons que les consignes n’abordent, ici aussi, pas directement la prononciation. Les accents entendus dans les enregistrements ne sont donc pas commentés explicitement, les enregistrements devant être simplement globalement compris par les apprenants, comme le montre la consigne suivante : Écouter : K-Maro, une star québécoise. […] Écoutez l’interview deux fois. Écrivez une biographie de K-Maro. Utilisez les mots-clés qui vous aident. […] Écoutez cette interview une troisième fois et répondez à la question : K-Maro fait de la musique rap, de la chanson ou du rock ? (Découvertes 3 : 88) Le deuxième type d’exercice touchant à la compréhension orale traite d’aspects lexicaux. Ce type d’exercice apparaît à deux reprises (22,22 %, 2/ 9) dans le manuel et touche à la Suisse romande et à la Belgique (cf. Découvertes 2 : 125). Une locutrice française y pose différentes questions à des francophones belges et suisses romands. Ce faisant, à côté de l’aspect touchant à l’accent de ces locuteurs (à nouveau non abordé explicitement ; cf. 4.1), ces derniers utilisent les mots septante ‘soixante-dix’ et nonante ‘quatre-vingt-dix’, des schibboleths représentant aussi bien les locuteurs belges que suisses romands (cf. p. ex. Glikman et al. 2018 : 15). Un support écrit aide les apprenants à détecter ces mots dans les enregistrements, comme le montre la consigne de l’exercice suivant : Écouter : Je vous fais septante bises… […]. Après la première écoute, répondez aux questions suivantes : 1. Avec qui est-ce qu’Emma discute ? 2. D’où viennent les personnes à qui Emma pose des questions ? […]. (Découvertes 2 : 125) Notons que les mots ne sont pas transposés en ‘français standard’ étant donné que leur signification découle du contexte proposé dans l’enregistrement et que la proximité linguistique de fr. septante avec all. siebzig et de fr. nonante avec all. neunzig rend un tel transfert explicite relativement superflu pour l’apprenant germanophone. 393 Variation et pluralité des normes dans l’enseignement du FLE <?page no="394"?> Pour ce qui est de la compréhension écrite, seul un exercice a pu être répertorié dans le manuel Découvertes (cf. Découvertes 3 : 85-86), cet exercice touchant au lexique et, tout comme dans À plus ! , au français québécois. Il s’agit d’un exercice de compréhension de texte, ce texte n’étant, au contraire des deux textes trouvés dans À plus ! ; cf. 4.1), non pas authentique, mais construit pour le manuel. Intitulé « la dictée des Amériques », le texte, accompagné d’un enregistrement, simule une conversation entre un Français, une Sénégalaise et un Québécois étant en voyage pour participer au concours international d’orthographe de la langue française du même nom. La dictée des Amériques […] Il est huit heures du soir. Daniel arrive à l’hôtel. Les autres candidats sont déjà là : Daniel : Bonsoir, je m’appelle Daniel et je viens de Paris. J’ai 15 ans. Et vous ? Aminata : Salut, moi c’est Aminata ! Je viens du Sénégal et j’ai 14 ans. Bastien : Moi, c’est Bastien. Je viens d’« icitte », de la Gaspésie. C’est une région du Québec qui se trouve au nord du Nouveau Brunswick. Daniel : Dis donc, t’as un drôle d’accent, toi ! Tu viens d’où ? D’icitte ? C’est une ville ? Bastien : Mais non ! « Icitte », ça veut dire « ici ». On parle autrement chez nous au Québec ! Aminata : Dis, Bastien, j’aimerais bien savoir ce qu’on peut voir au Canada. Bastien : Ben, les baleines sur la côte. Et chaque fin de semaine, mon père et moi, on prend notre char, enfin notre voiture, et on fait des photos des ours et des castors dans la forêt. Aminata : Génial ! Mais c’est moins drôle de vivre avec -30° C ! Il fait un froid de canard ici ! Bastien : Oh, tu sais, en été, il fait une chaleur d’enfer ! […]. (Découvertes 3 : 85, mises en italique dans l’original ; mises en relief : MC) Dans le texte, plusieurs québécismes apparaissent dans l’usage du locuteur québécois : icitte ‘ici’, fin de semaine ‘week-end’, char ‘voiture’ ainsi que (plus tard dans le texte) magasiner ‘faire les magasins’ et bec ‘bise’, alors qu’aucun trait propre au Sénégal n’apparait dans l’usage de la Sénégalaise. Comme dans À plus ! , les québécismes sont accompagnés par des traits du français oral et informel (p. ex. les marqueurs discursifs ben ou oh dans l’usage de Bastien), mais ces traits peuvent être, au contraire d’À plus ! , retrouvés dans l’usage des trois interlocuteurs (Daniel : p. ex. t’as au lieu de tu as et le marqueur discursif dis donc ; Aminata : p. ex. le marqueur discursif dis). Ainsi, les trois interlocuteurs présentent un usage familier, simplement géographiquement différent. Par conséquent, dans ce texte, le risque pour l’apprenant de confondre 394 Marc Chalier (Passau) <?page no="395"?> les traits appartenant simplement au français oral avec les traits du français québécois (diaphasiquement neutres), pouvant entraîner une stigmatisation du français québécois, est moins aigu que dans les textes utilisés par À plus ! (cf. 4.1). En revanche, comme dans le cas de À plus ! , les québécismes, belgicismes et helvétismes ne sont pas pris en compte dans les listes de vocabulaire se trouvant en fin de manuel (sections « vocabulaire », « liste des mots » et « Wortliste »). Ainsi, si les exercices touchant à des traits linguistiques portent moins à stigmatiser les variétés y étant traitées que dans le manuel À plus ! , le fait de ne pas prendre en considération le lexique de ces trois variétés de français dans le vocabulaire laisse tout de même entrevoir que le manuel pourrait soit continuer à les considérer comme variétés non standard, soit avoir fait le choix de promouvoir une maîtrise active du français de référence et une maîtrise passive des autres, à l’instar de ce qui avait déjà été proposé par Valdman (1996 : 2) et Auger/ Valdman (1999 : 410). Finalement, notre analyse des contenus, de la composition et des énoncés du manuel Découvertes montrent tout d’abord qu’il traite la variation géographique du français - comme dans À plus ! - d’une manière plus culturelle que linguis‐ tique. Notons, ici aussi, que ce constat n’a rien de surprenant au vu des objectifs fixés par le CECR (2001) par rapport aux niveaux de compétence A1, A2 et B1 (cf. 3.2). En outre, même si ces aspects restent en marge du manuel, Découvertes aborde tout de même certains aspects linguistiques de la variation géographique du français, et la perspective que le manuel adopte est plus large que dans le manuel À plus ! : le manuel se concentre moins sur la seule variété québécoise de français, mais prend en considération les variétés méridionales, européennes, nord-américaines, africaines et de France d’outre-mer à parts égales. Par ailleurs, les exemples lexicaux ne se restreignent pas au Québec, quelques exemples suisses romands et belges étant également donnés. Quant à la pluralité des normes du français, la perspective proposée par le manuel reste, tout comme À plus ! , relativement monocentrique. Au contraire d’À plus ! cependant, ce monocentrisme ne traduit pas explicitement une considération des variétés géographiques comme non standard, mais pourrait être le résultat de la volonté de pousser les apprenants à utiliser activement le français de référence en tant que variété de français leur fournissant le plus grand rayon de communication possible (productions) et à réserver les variétés géographiques du français au domaine de la compréhension passive (perceptions). 395 Variation et pluralité des normes dans l’enseignement du FLE <?page no="396"?> 5 Discussion et conclusion L’analyse des deux manuels utilisés le plus couramment dans l’enseignement du FLE dans les établissements scolaires allemands (À plus ! ; Découvertes) aura pu montrer que si les aspects liés à la variation géographique du français qui s’y trouvent sont de nature plus culturelle (aspects touchant à la civilisation) que linguistique (exercices de prononciation et de lexique, informations démo‐ linguistiques) (cf. section 4. : Tab. 2 et 4), cette perspective correspond bien aux directives du CECR (2001) pour les niveaux A1 à B1 (cf. 3.2). La variation géographique n’y est en effet mentionnée qu’en marge et elle doit uniquement permettre à l’apprenant de « […] se débrouiller dans la plupart des situations rencontrées en voyage dans une région où la langue cible est parlée » (CECR 2001 : 25). Il est ainsi tout à fait louable que cette variation ait trouvé une place, même si restreinte, dans les manuels. Cependant, dans la variation géographique du français présentée dans ces manuels, nos résultats ont tout d’abord montré que seuls la prononciation et le lexique sont abordés. Ce faisant, la prononciation est traitée uniquement implicitement dans le cadre d’exercices de compréhension orale se basant sur des extraits audio comprenant des accents, ces derniers n’étant cependant pas expliqués. Le lexique est, pour sa part, le seul niveau linguistique abordé explicitement, mais les exercices lexicaux se font rares (3 exercices respective‐ ment dans À plus ! et Découvertes) et ne touchent qu’à très peu de variétés (À plus ! : Québec ; Découvertes : Belgique, Suisse, Québec). Par ailleurs, il est problématique que les maisons d’édition retombent quelque peu dans de vieux schémas : la variation y est implicitement considérée uniquement comme une ‘déviation’ par rapport à la norme de référence traditionnelle. Par ailleurs, cette dernière est - presque automatiquement - liée implicitement à la France septentrionale et en particulier à Paris. Ainsi, dans À plus ! , les variétés traitées selon des aspects linguistiques sont présentées comme étant des variétés non standards, voire même stigmatisées (cf. 4.1). Si Découvertes présente une plus grande ouverture aux variétés (cf. 4.2), le monocentrisme autour Paris y reste bien présent. Ce constat correspond ainsi globalement aux lacunes qui avaient été trouvées dans les manuels de FLE utilisés dans d’autres régions linguistiques (cf. 2.2) : ces manuels continuent à hiérarchiser les français nationaux, et ils transmettent cette représentation aux apprenants étant donné qu’ils servent de support à l’apprentissage du français, particulièrement dans les niveaux inférieurs de l’échelle du CECR (cf. notamment Duchemin 2017 : 65). À l’avenir, la prise en compte d’entre autres deux aspects pourrait permettre une présentation plus objective de ces français nationaux dans les manuels 396 Marc Chalier (Passau) <?page no="397"?> de FLE (notamment allemands, mais pas uniquement). Premièrement, dans la mesure où les manuels désirent accorder une place à la variation géographique du français également dans les niveaux inférieurs de l’échelle du CECR (A1-B1), ce qui semble a priori facultatif selon les directives citées plus haut (cf. 3.2), une présentation plus diversifiée et documentée des variétés de français serait nécessaire. À ce propos, Preston (2013 : 93) avait en effet déjà pu montrer qu’il existe une certaine corrélation entre la faculté à comprendre et à distinguer les variétés d’une langue et les représentations associées à ces variétés. Ceci peut se faire par le biais de l’utilisation de corpus du français oral dans son usage authentique, certains corpus proposant même du matériel didactique pour l’enseignement (cf. notamment Detey et al. 2010). Deuxièmement, les résultats récents de la recherche sur la pluralité des normes du français montrent qu’au-delà de cette perspective variationnelle (c’est-à-dire l’existence de différentes variétés régionales), il est nécessaire que les apprenants prennent conscience de l’existence de différentes normes nationales : le français considéré comme étant ‘correct’ dans certaines régions francophones mondiales peut être différent de celui perçu comme étant ‘correct’ en France septentrionale. Cet aspect a déjà pu être montré pour le cas du Québec : dans cette région, la prononciation qui est considérée par les locuteurs locaux comme étant la plus ‘correcte’ n’est pas la même que celle perçue en Europe comme la plus ‘correcte’ (cf. Chalier 2019 : 437-438, Chalier 2020a : 16, Chalier 2020b : 122-123). En d’autres termes, le ‘bon français’ est différent en Europe et en Amérique du Nord, et une sensibilisation des apprenants à ces différentes normes est nécessaire pour leur éviter de se retrouver dans des situations déconcertantes lorsqu’ils se retrouvent dans des interactions réelles avec des francophones de différentes régions (cf. Éloy 2003 : 7-9). Globalement, cette approche peut se faire pour des apprenants germano‐ phones dans le cadre d’une comparaison des situations des normes du français et de l’allemand, ce dernier présentant également différentes normes régionales et nationales (Allemagne - voire Nord vs Sud de l’Allemagne - vs Autriche vs Suisse alémanique ; cf. p. ex. Clyne 1995). Étant donnés les résultats de la recherche actuelle sur le français québécois et sa norme, il serait par ailleurs nécessaire de mettre pour le moins les québécismes touchant à la prononciation et au lexique sur un pied d’égalité avec la prononciation et le lexique du français septentrional. Au niveau de la prononciation, ceci pourrait être effectué sur la base d’un travail sur des enregistrements de journaux télévisés québécois présentant les traits de prononciation de la norme québécoise. Par ailleurs, il serait opportun de présenter une réciprocité de la perception de l’accent de l’autre : étant donné que le français est une langue pluricentrique et pluriaréale 397 Variation et pluralité des normes dans l’enseignement du FLE <?page no="398"?> (cf. Pustka et al. 2019 : 47), le Français percevra un accent dans l’usage du Québécois, mais le Québécois également dans l’usage du Français. Cet aspect pourrait également être accompagné d’exercices perceptifs de reconnaissance et localisation globale d’accents mettant les accents méridionaux et hors de France sur un pied d’égalité avec les accents septentrionaux, comme c’est déjà le cas dans les cours d’anglais, qui mettent généralement la norme britannique (British English) et la norme américaine (American English) sur un pied d’égalité (cf. p. ex. Ehlerding 2010 : 56 pour le cas de l’Allemagne). Au niveau du lexique, cette approche pourrait être effectuée en prenant les québécismes lexicaux abordés dans les chapitres thématiques systématiquement en compte dans le vocabulaire final. Afin d’éviter une confusion des deux normes chez l’apprenant, les québécismes pourraient être répertoriés dans une liste de vocabulaire à part ne devant pas être acquise activement dans les productions des apprenants, mais comprise passivement dans leurs perceptions. Finalement, la présente étude n’est pas sans limites. Tout d’abord, l’élargis‐ sement du corpus à des manuels utilisés dans d’autres établissements allemands d’enseignement secondaire serait souhaitable afin de pouvoir proposer des résultats plus représentatifs de l’enseignement global du FLE en Allemagne. En outre, au sein même du domaine germanophone, une comparaison des manuels utilisés en Allemagne, en Autriche et en Suisse alémanique serait également nécessaire, notamment en raison de la situation très différente de la Suisse, où les locuteurs alémaniques apprennent en grande majorité le français en tant que première langue étrangère, étant donnée la longue tradition de l’apprentissage d’une deuxième langue nationale (avant l’anglais) dès le degré primaire. Cette situation implique en effet des questions sur l’approche probablement différente des manuels suisses étant donné que le français y est première langue étrangère. Par ailleurs, la Suisse romande présentant de nombreuses particularités histori‐ ques, socioculturelles et linguistiques la différenciant de l’espace francophone français, il serait intéressant de découvrir dans quelle mesure ces particularités sont soulignées (comme c’est le cas du Québec ; Duchemin 2017 : 64-65), et si l’appartenance de la Suisse romande à la ‘périphérie’ traditionnelle de la francophonie pousse les maisons d’éditions à aborder la variété géographique du français plus en détails qu’en Allemagne ou en Autriche. Corpus À plus ! 1 = Blume, Otto-Michael (2020) et al. : À plus ! 1. Nouvelle édition, Berlin : Cornelsen. 398 Marc Chalier (Passau) <?page no="399"?> À plus ! 1 Méthode intensive = Bächle, Hans et al. (2012) : À plus ! 1. Méthode intensive, Berlin : Cornelsen. À plus ! 2 = Bächle, Hans et al. (2013) : À plus ! 2. Französisch für Gymnasien, Berlin : Cornelsen. À plus ! 2 Méthode intensive = Bächle, Hans et al. (2012) : À plus ! 2. Méthode intensive, Berlin : Cornelsen. À plus ! 3 = Gregor, Gertraud et al. (2013) : À plus ! 3. Französisch für Gymnasien, Berlin : Cornelsen. À plus ! 3 Méthode intensive = Blume, Otto-Michael et al. (2012) : À plus ! 3. Méthode intensive. Charnières, Berlin : Cornelsen. À plus ! 4 = Gregor, Gertraud et al. (2012) : À plus ! 4 cycle long. Französisch für Gymnasien, Berlin : Cornelsen. À plus 5 ! = Gregor, Gertraud et al. (2012) : À plus ! 5 cycle long. Französisch für Gymnasien, Berlin : Cornelsen. Découvertes 1 = Bruckmayer, Birgit et al. (2020) : Découvertes 1. Série jaune, Stuttgart : Klett. Découvertes 2 = Bruckmayer, Birgit et al. (2012) : Découvertes 2. Série jaune, Stuttgart : Klett. Découvertes 3 = Bruckmayer, Birgit et al. (2012) : Découvertes 3. Série jaune, Stuttgart : Klett. Découvertes 4 = Bruckmayer, Birgit et al. (2012) : Découvertes 4. Série jaune, Stuttgart : Klett. Découvertes 5 = Bruckmayer, Birgit et al. (2012) : Découvertes 5. Série jaune, Stuttgart : Klett. 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La prononciation dans les manuels de FLE : entre norme d’orthoépistes et usage réel Nori Kondo (Tokyo) 1 Introduction 1 D’une façon générale, les auteur.e.s des manuels de langue étrangère décrivent la langue qu’ils trouvent essentielle pour l’apprentissage. Lors de la rédaction d’un manuel, ils sélectionnent les éléments nécessaires pour enseigner la langue standard. Cependant, la norme pédagogique n’est pas une norme monolithique. Les travaux descriptifs sur le français réellement parlé et la constitution de grands corpus oraux numérisés ont montré la grande diversité du français. Ils ont aussi conduit à de nouvelles réflexions sur les normes pédagogiques et sur la gestion de la variation dans la didactique du Français Langue Étrangère (désormais noté FLE) (cf. Valdman 2000 ; Detey/ Racine 2012). En ce qui concerne les normes de prononciation, il est difficile de les décrire objectivement étant donné que cette description porterait nécessairement sur une production orale, et que l’interprétation de toute production orale passe par les différents filtres (syntaxique, morphologique et phonique) de l’auditeur (Morin 2000 : 91-92). Au contraire, les normes syntaxique ou lexicale étant codifiées à partir de l’écrit, l’écrit est plus facile à circonscrire. Pour la norme de prononciation, il faut aussi considérer deux normes (cf. Pustka et al. 2017 : 102) : une norme de l’oral (pour la parole spontanée) et une norme d’oralisation de l’écrit (pour la lecture). Lorsque les auteur.e.s de manuels pensent à traiter ces normes dans leurs manuels, ils représenteraient la norme pédagogique en y reflétant non seulement la prononciation dite standard, mais aussi l’usage réel. La prononciation décrite et présentée dans les manuels de FLE intéresse ceux qui travaillent sur l’acquisition de la L2, car la façon dont certains éléments sont expliqués dans la didactique du FLE peut influencer la prononciation des apprenant.e.s. Pour cette raison, les manuels de prononciation ont été analysés <?page no="406"?> 2 Le français standard doit être distingué du français de référence car il y a plusieurs français standards (p. ex. le français québécois standard), si l’on prend en compte le pluricentrisme des normes de prononciation (cf. Chalier 2021). par plusieurs chercheur.e.s. Par exemple, Paternostro et al. (2017) et Isely et al. (2018) montrent brièvement la façon de présenter le schwa dans quelques manuels. Pour la liaison, Heiszenberger et al. (2020) utilisent les CD audio d’un manuel scolaire autrichien comme corpus afin d’analyser l’input donné aux élèves. À propos de l’authenticité de la parole spontanée, Surcouf/ Giroud (2016) et Giroud/ Surcouf (2016) analysent plusieurs phénomènes (la chute du schwa, la réduction du tu / ty/ à / t/ devant voyelle et la chute du / l/ dans il / il/ et elle / ɛl/ devant consonne, etc.) dans les enregistrements de manuels de FLE débutants. Nous nous posons la question suivante : « Quelle est la norme actuelle que visent à enseigner les manuels débutants FLE ? ». Dans cet article, nous explorons cette problématique en analysant quelques éléments traités dans des manuels de prononciation en faisant référence à ce qui est récemment attesté dans les travaux linguistiques se basant sur les corpus oraux. Nous partons de l’hypothèse que les manuels sont influencés non seulement par la norme d’orthoépistes, mais aussi par l’usage actuel du français parlé selon l’intuition des auteur.e.s. Dans un premier temps, nous nous pencherons sur le français de référence qui est considéré comme la norme de prononciation du FLE. Dans un second temps, nous analyserons surtout les éléments suivants : les voyelles moyennes, le schwa, la liaison et la variation stylistique. Pour cela, nous utiliserons des manuels de prononciation pour débutants publiés récemment en France : Abry/ Chalaron (2019a), Charliac et al. (2018), Kamoun/ Ripaud (2016) et Abry/ Berger (2019). Notre analyse se divise en deux parties : une analyse du corpus écrit constitué à partir des explications et exercices de nos quatre manuels ; une analyse du corpus oral constitué à partir des fichiers audio des manuels, notamment pour la réalisation de la liaison. 2 Le français de référence comme norme pédagogique du FLE ? Dans une classe de FLE, il est peut-être rare de se demander quel français enseigner et apprendre. La réponse la plus plausible est probablement « le français standard » 2 . Ce français standard peut être interprété comme le français d’un style soutenu ou d’un style employé lors de la lecture, en sachant que d’un autre côté les auteur.e.s de manuels abordent souvent la question de la variation stylistique (le français familier, le français courant, etc.) à côté de ce français standard. En regardant les avant-propos de quelques manuels publiés en France, nous remarquons souvent un manque d’explication sur la langue 406 Nori Kondo (Tokyo) <?page no="407"?> que l’on enseigne/ apprend. Même si l’idée de français standard est mentionnée, c’est souvent sans aucune définition. La norme pédagogique du français semble imposée aux apprenant.e.s sans autre précision. Mais qu’est-ce que la norme de prononciation du français ? 2.1 Le français de référence comme norme de prononciation Morin (2000) fait une synthèse de l’évolution de la norme de prononciation à partir d’un examen des travaux prescriptifs la décrivant. Selon Morin (2000 : 92), le modèle explicitement valorisé pour la prononciation a souvent été celui du groupe social dominant parisien en style soutenu. Deux définitions de la norme sont aussi proposées dans la seconde moitié du XX e siècle (cf. Morin 2000 : 97-98) : • le français standard, qui serait « grosso modo représenté par les annon‐ ceurs et les interviewers de la radio » (Léon 1968 ; cf. Morin 2000 : 98), • le français standardisé, qui est « une prononciation commune acceptée partout » dans toutes les régions de France (Carton et al. 1983 : 77 ; cf. Morin 2000 : 98). Ce sont les deux notions qui sont parvenues à éliminer le critère géographique pour la norme de prononciation (cf. Lyche 2010 : 167-168). Morin (2000) présente deux conceptions du français de référence dans sa conclusion : 1. [le français qui est] « parlé sans accent particulier, ou dont ‘la prononcia‐ tion […] passe inaperçue’, ou encore dont la ‘prononciation commune acceptée partout, [est définie] par des caractères communs […] » (Morin 2000 : 126) 2. « celui d’une certaine classe sociale lorsqu’elle adopte un style approprié […] ». (Morin 2000 : 126) Laks (2002) définit le français de référence comme une construction doxique, élaborée à partir de descriptions traditionnelles d’orthoépistes (cf. Lyche 2010 : 160). Lyche (2010 : 160) affirme que ce français de référence est proposé pour l’enseignement du FLE. Il nous semble donc légitime de penser que l’on forme la norme pédagogique du FLE en se référant à ce français de référence, et que cette norme peut être appelée « le français standard » dans l’enseignement du FLE. L’étude de Detey/ Le Gac (2010) a abordé le problème des locuteurs et locutrices du français de référence. Les auteurs ont mené une enquête basée sur des tests de perception chez des natifs. Les participant.e.s de l’enquête ont écouté des séquences prononcées par cinq locuteurs dont deux sont censés être 407 La prononciation dans les manuels de FLE : entre norme d’orthoépistes et usage réel <?page no="408"?> 3 Voir le site du projet PFC : www.projet-pfc.net. 4 En ce qui concerne les voyelles entre parenthèses : les contrastes entre / œ̃/ et / ɛ̃/ , / ɑ/ et / a/ sont en voie d’affaiblissement ; pour le / ə/ , le statut phonémique est incertain (Lyche 2010 : 147). des ‘représentants’ du français de référence, l’un étant originaire de la région parisienne, et l’autre étant originaire du sud de la France mais avec une forte mobilité géographique. Après l’écoute, les participants ont évalué la différence entre la prononciation de ces cinq locuteurs et leur propre prononciation, ainsi que le degré de proximité entre la prononciation des cinq locuteurs et celle du français standard tel qu’ils le conçoivent. Un des résultats provenant de cette enquête perceptive confirme que les deux locuteurs-représentants sont perçus comme ayant une prononciation proche de la prononciation standard du français. Cette étude conclut que les locuteurs natifs de France ont certaines représentations du français de référence et que certains locuteurs semblent parler ce français (cf. Detey/ Le Gac 2010). 2.2 Éléments phonologiques du français de référence Dans cette sous-section, nous allons résumer les caractéristiques du français de référence décrites par Lyche (2010). Sa synthèse des éléments du français de référence est basée sur l’usage décrit dans les ouvrages d’orthoépie, ainsi que sur des recherches antérieures sur la phonologie du français, y compris des études qui s’appuient sur le corpus Phonologie du Français Contemporain PFC 3 (cf. Durand et al. 2002). 2.2.1 Les voyelles Commençons par l’inventaire vocalique. Le français de référence contient 12 voyelles orales et 4 voyelles nasales, comme on peut le voir dans le Tab. 1 : Voyelles orales Voyelles nasales haut/ fermé i y u mi-haut/ mi-fermé e ø o mi-bas/ mi-ouvert ɛ œ (ə) ɔ ɛ̃ ( œ̃ ) ɔ̃ bas/ ouvert a (ɑ) ɑ̃ Tab. 1 : Inventaire des phonèmes vocaliques du français de référence (Lyche 2010 : 146) 4 408 Nori Kondo (Tokyo) <?page no="409"?> À propos des voyelles moyennes, la tendance est qu’elles sont soumises à la loi de position : « les voyelles mi-ouvertes apparaissent (de préférence) en syllabe fermée alors que les voyelles mi-fermées apparaissent (de préférence) en syllabe ouverte » (Lyche 2010 : 149). Si les voyelles moyennes suivent cette distribution complémentaire, alors seules les voyelles [e, ø, o] seraient réalisées en syllabe ouverte, tandis que les voyelles [ɛ, œ, ɔ] seraient réalisées en syllabe fermée. La loi de position est plus valable en position finale de mot qu’en position non finale de mot (cf. Lyche 2010 : 149). Cependant, en français de référence, il y a des exceptions qui échappent à cette loi. Pour la paire / e/ et / ɛ/ , les deux voyelles s’opposent en syllabe ouverte (p. ex. thé/ taie, les/ lait, été/ était), tandis que seul [ɛ] est prononcé en syllabe fermée (cf. Durand/ Lyche 2004). Concernant les paires / ø/ : / œ/ et / o/ : / ɔ/ , c’est en syllabe ouverte que les voyelles sont soumises à la loi de position (peu [pø], pot [po]) ; au contraire en syllabe fermée, les voyelles mi-ouvertes et mi-fermées s’opposent (Beauce [bos]/ bosse [bɔs], jeûne [ʒøn]/ jeune [ʒœn]). Les paires minimales sont plus nombreuses pour la paire / o/ et / ɔ/ : haute/ hotte, saule/ sol, rauque/ roc, paume/ pomme, etc. Les voyelles / ø/ et / o/ s’imposent en syllabe fermée par [z], p. ex. heureuse, rose (cf. Durand/ Lyche 2004). En ce qui concerne les deux locuteurs jugés comme représentatifs du français de référence (cf. Detey/ Le Gac 2010 : 175), l’un respecte systématiquement les oppositions des voyelles moyennes arrondies (/ ø/ : / œ/ et / o/ : / ɔ/ ), tandis que l’autre ne les oppose que de façon aléatoire. Pour l’opposition / e/ : / ɛ/ , l’un oppose ces voyelles, tandis que l’autre ne pratique pas cette opposition. En ce qui concerne le schwa, la réalisation phonétique alterne entre [ø], [œ] et [ə]. L’absence du schwa est normalement observée dans les contextes VCəC (p. ex. samedi [samdi], événement [evɛnmɑ̃]) (cf. Lyche 2010 : 156). Il est important aussi de faire mention de la loi des trois consonnes (cf. Grammont 1914), qui implique l’insertion d’un schwa afin d’éviter une séquence de trois consonnes. En français de référence, donn(e) le pain se prononce [dɔnləpɛ̃] et l’absence du schwa - qui entraînerait une séquence de trois consonnes - est rare. Par ailleurs, la chute du schwa, bien que toujours rare, est un peu plus fréquente lorsque / ʁ/ est la première consonne du groupe : pour v(e)nir, départ(e)ment (cf. Lyche 2010 : 156). Enfin, la chute est plus fréquente à l’initiale de mots fréquemment utilisés, comme dans la locution un p(e)tit peu, avec l’adjectif p(e)tit et le substantif s(e)maine (cf. Lyche 2010 : 156). 2.2.2 Les consonnes Concernant les éléments consonantiques, le français de référence contient 18 phonèmes dans son inventaire (cf. Lyche 2010 : 152) : / p, b, t, d, k, ɡ, m, n, (ɲ), (ŋ), 409 La prononciation dans les manuels de FLE : entre norme d’orthoépistes et usage réel <?page no="410"?> 5 Nous utilisons les éditions les plus récentes des manuels. Le manuel d’Abry/ Chalaron a plusieurs éditions, nous utilisons la 10 ème . De même, nous utilisons la 2 ème édition de Phonétique progressive du français de Charliac et al. (2018). f, v, s, z, ʃ, ʒ, ʁ, l/ , auxquels s’ajoutent trois semi-voyelles (semi-consonnes) : / j, ɥ, w/ . Selon Lyche (2010 : 153-154), quelques modifications sont à noter au cours du siècle dernier : la stabilisation du / R/ en faveur de l’uvulaire / ʁ/ ; l’usage de la nasale vélaire / ŋ/ pour les mots d’emprunt (parking, casting) ; la substitution du groupe / nj/ à la nasale palatale / ɲ/ chez de nombreux locuteurs. 2.2.3 La liaison À propos de la liaison, les données PFC montrent un écart entre les descriptions normatives et l’usage (cf. Durand/ Lyche 2008). Ainsi, dans les données PFC, la liaison n’est pas systématiquement réalisée dans le contexte « adjectif + substantif » et après les prépositions monosyllabiques, contextes qui sont traditionnellement considérés comme des contextes de liaison obligatoire (cf. Lyche 2010). Selon Durand/ Lyche (2008), il n’y a que quatre contextes de liaison catégorique d’après les données PFC : « déterminant + substantif » (p. ex. mes [z] amis) ; « proclitique + verbe/ proclitique » (p. ex. ils [z] arrivent, ils [z] y arrivent) ; « verbe + enclitique » (p. ex. comment dit-[t]on) ; dans quelques mots composés ou locutions (p. ex. pot-[t]au-feu). Lyche (2010) conclut provisoirement que la liaison est en perte de vitesse dans la conversation courante du français de référence et que certaines liaisons considérées comme facultatives (p. ex. manger [r] une glace) sont absentes dans la conversation (cf. Lyche 2010 : 157-158). 3 La présentation du corpus écrit/ audio et la méthodologie Notre analyse est basée sur quatre manuels de prononciation récemment publiés en France 5 (présentés dans le Tab. 2). Abry/ Chalaron (2019a), Charliac et al. (2018) et Kamoun/ Ripaud (2016) sont des manuels spécialisés dans l’apprentis‐ sage de la prononciation pour les débutants (de niveau A1/ A2). Abry/ Berger (2019) est un ouvrage plutôt spécialisé dans l’acquisition du code phonogra‐ phique (de niveau A1 à B2). Des CD audio sont fournis avec ces manuels. 410 Nori Kondo (Tokyo) <?page no="411"?> 6 Nous avons d’abord codé tous les contextes de liaison. Puis nous avons poursuivi l’étude statistique en classant dans le fichier Excel les codages de liaison, mots de gauche, mots de droite, la catégorie grammaticale de chaque mot etc. Pour le codage, nous avons utilisé le protocole PFC pour la liaison. Voir Durand/ Lyche (2003). Manuels de prononciation Edition Nombre de pages Durée du CD audio Abry/ Chalaron (2019a) Les 500 exercices de phonétique avec corrigés niveau A1/ A2 10 ème édition Hachette 192 pages 6 heures 41 mi‐ nutes Charliac et al. (2018) Phonétique progressive du fran‐ çais niveau débutant deuxième édition CLE In‐ terna‐ tional 144 pages 4 heures 34 mi‐ nutes Kamoun/ Ripaud (2016) Phonétique essentielle du fran‐ çais A1/ A2 Didier 215 pages 5 heures 25 mins Abry/ Berger (2019) Phonie-graphie du français Hachette 160 pages 4 heures 7 minutes Tab. 2 : Les manuels cibles de la présente étude Tous les manuels traitent, en général : la syllabation, le rythme, l’intonation, l’élision, l’enchaînement, la liaison, et les sons expliqués avec l’orthographe. Dans la plupart des cas, les auteur.e.s ne précisent pas quel type de français ils/ elles décrivent. Seules Abry/ Chalaron (2019a : 2) affirment qu’elles traitent du français standard, mais elles ne définissent pas précisément cette notion. Notre analyse se divise en deux parties : une analyse du corpus écrit et une analyse du corpus audio. En ce qui concerne le corpus écrit, il est constitué à partir des explications et des exercices de nos quatre manuels. Nous observerons attentivement ces explications et exercices afin de comprendre la façon dont les éléments cibles sont présentés. Le corpus audio sur lequel se base la présente étude est constitué à partir des CD de ces mêmes manuels. Dans les CD, la prononciation des exercices des manuels est enregistrée. Les exercices consistent très souvent à prononcer des mots simples, des phrases, parfois des dialogues, pour faire écouter et répéter les éléments cibles. On trouve aussi des exercices de lecture (extraits de romans, de poèmes, de textes variés), mais ils sont moins nombreux. Nous analyserons le comportement de la liaison en nous basant sur le corpus audio. Nous avons écouté tous les fichiers audio pour vérifier la (non-)réalisation de la liaison et nous avons établi les taux de réalisation de la liaison dans différents contextes 6 . La durée totale des fichiers audio est de 21 heures 49 minutes ; 4 307 sites potentiels de liaison ont été codés. 411 La prononciation dans les manuels de FLE : entre norme d’orthoépistes et usage réel <?page no="412"?> 7 Abry/ Berger (2019a : 67) précisent que « [œ̃] est de plus en plus prononcé [ɛ̃] par les Français ». Abry/ Chalaron (2019a : 79) ajoutent une explication : « les mots terminés par un sont rares… la prononciation traditionnelle est [œ̃], mais, en France, de plus en plus souvent, ils sont prononcés [ɛ̃] ». Par ailleurs, les auteures ne mentionnent pas que / œ̃/ et / ɛ̃/ sont deux phonèmes distincts pour beaucoup de locuteurs francophones (le français méridional, le français québécois et autres variétés). 8 Charliac et al. (2018) et Kamoun/ Ripaud (2016) n’ont consacré aucune place aux consonnes nasales dans leurs pages. Il est aussi étonnant que Kamoun/ Ripaud (2016) n’aient pas intégré les consonnes nasales dans leur inventaire des sons du français. 4 Analyse du corpus écrit Dans cette section, nous allons essayer de comprendre comment certains éléments de la prononciation du français sont décrits et expliqués dans les manuels de prononciation. Nous allons commencer par expliquer rapidement ce que nous avons pu observer dans les inventaires phonémiques. Puis nous allons nous concentrer sur les éléments suivants : les voyelles moyennes, le schwa, la liaison et la variation stylistique. Les inventaires phonémiques de ces quatre manuels sont plus ou moins similaires à celui du français de référence. D’abord, il est à noter que les deux voyelles / ɑ/ et / œ̃/ sont généralement exclues des manuels 7 . À propos de la consonne / ɲ/ , dans le manuel d’Abry/ Chalaron (2019a), le son [ɲ] s’écrit <gn> ou <ni-> + voyelle. Cette explication est assez ambiguë, car il est difficile de savoir laquelle des deux prononciations - [ɲ] ou [nj] - est plus souvent réalisée par les locuteurs natifs. Abry/ Berger (2019) indiquent également que les graphies <gn> et <ni> suivies de voyelle sont prononcées de la même manière par les Français, sans préciser si elles sont prononcés [ɲ] ou [nj] 8 . Cependant, considérant la tendance actuelle signalée par Lyche (2010), ces graphies seraient plutôt prononcées [nj]. En écoutant les CD audio des manuels, nous remarquons que les locuteurs prononcent effectivement le groupe [nj] à la place de la nasale palatale [ɲ]. Il est intéressant de remarquer que la consonne [ŋ] n’est pas traitée dans les manuels. Cependant on trouve un exercice avec ce son dans Abry/ Chalaron (2019a : 133) : un exercice de répétition de mots avec suffixe -ing (emprunté à l’anglais). La quasi-absence de ce son dans les manuels de prononciation nous fait penser que [ŋ] est toujours considéré comme un son étranger à la langue française. 4.1 Voyelles moyennes La présentation des voyelles moyennes diffère dans nos quatre manuels. Abry/ Chalaron (2019a) consacrent trois sections à l’opposition des voyelles 412 Nori Kondo (Tokyo) <?page no="413"?> moyennes : [e] : [ɛ], [ø] : [œ], [o] : [ɔ]. En même temps, elles incluent aussi une section traitant les voyelles / E/ : / Œ/ : / O/ pour montrer la distinction entre ces voyelles par leur degré d’antériorité ou de postériorité. Dans le manuel de Charliac et al. (2018), les auteur.e.s les simplifient en trois voyelles / E/ , / O/ , / Œ/ en exploitant la notion structuraliste d’archiphonème, utilisée afin de faciliter l’enseignement en réduisant le nombre de voyelles. Le système vocalique présenté dans ce manuel contient 7 voyelles orales (/ a, i, y, u, E, Œ, O/ ) et 3 voyelles nasales (dont une est représentée / Ẽ/ ). Kamoun/ Ripaud (2016) font la distinction entre les voyelles moyennes et les voyelles hautes, par l’ouverture de la bouche (très fermée, fermée et ouverte) : [i] : [e] : [ɛ], [y] : [ø] : [œ], [u] : [o] : [ɔ]. Abry/ Berger (2019) traitent aussi chaque paire de voyelles [e] : [ɛ], [ø] : [œ] et [o] : [ɔ]. 4.1.1 La paire / e/ : / ɛ/ Kamoun/ Ripaud (2016 : 75) suggèrent que [e] est présent en syllabe ouverte et [ɛ] en syllabe fermée sauf dans certains lexèmes fréquents : « Dans certains mots, quand [e] est en fin de syllabe, on peut prononcer [e] ou [ɛ] (mais, j’ai, c’est) » (Kamoun/ Ripaud, 2016 : 75). Ces auteurs indiquent que l’on prononce je vais avec [e], tandis que la norme d’orthoépistes propose [ɛ] pour la terminaison -ai(s) (Fouché 1959 : 50). Abry/ Berger (2019) affirment également qu’il y a une tendance à la perte de distinction entre / e/ et / ɛ/ en syllabe finale ouverte. Abry/ Chalaron (2019a) ne précisent pas clairement la distribution des voyelles en fonction de leur position syllabique. Cependant, on peut déduire cette distribution grâce à certains exercices. Les auteures énumèrent aussi, dans un exercice, des cas exceptionnels où les deux voyelles se confondent en usage, mais sans aucune explication. Ces cas peuvent être résumés comme dans le tableau ci-dessous : La norme L’usage Vocabulaire/ Formes verbales [ɛ] [e]/ [ɛ] en mai, du lait, la paix, s’il vous plaît un bouquet, un ticket, un billet, un jouet un arrêt, une forêt, le progrès, le succès, très, le tramway Présent : tu es, il est Futur : je partirai, j’irai Imparfait : je dormais, tu dormais, il/ elle dormait, ils/ elles dormaient Conditionnel : je voudrais, tu voudrais, il/ elle voudrait, ils/ elles voudraient [e] [e]/ [ɛ] Présent : j’ai, je vais Tab. 3 : Un exercice sur les voyelles [e] et [ɛ] dans Abry/ Chalaron (2019a : 47) 413 La prononciation dans les manuels de FLE : entre norme d’orthoépistes et usage réel <?page no="414"?> En regardant les cas mentionnés dans le Tab. 3, nous pouvons comprendre que la prononciation de [e] est possible en syllabe finale ouverte même si la norme favorise la prononciation de [ɛ] dans beaucoup de cas. À propos des formes du futur, il faut réfléchir sur la raison pour laquelle les auteures présentent [ɛ] comme la norme. En considérant que l’opposition entre [ɛ] au conditionnel et [e] au futur est traditionnelle (Fouché 1959), il est probable que c’est une erreur de mettre [ɛ] comme la norme de la terminaison des formes du futur. En effet, les auteures suggèrent l’opposition entre le futur ([e]) et le conditionnel ([ɛ]) dans leur autre livre de la même série du niveau B1/ B2 (cf. Abry/ Chalaron 2019b). Toutefois, elles notent, dans le même livre, « la distinction traditionnelle entre futur ([e]) / conditionnel ([ɛ]) et passé simple ([e])/ imparfait ([ɛ]) est de moins en moins réalisée. La prononciation varie : certains prononcent toutes ces formes [e], d’autres les prononcent toutes [ɛ] » (Abry/ Chalaron 2019b : 45). Les auteures nous expliquent que ces deux voyelles peuvent être des variantes libres en syllabe finale ouverte. Par ailleurs, elles indiquent aussi que [e] se prononce pour je vais de même que Kamoun/ Ripaud (2016) signalent, alors que les auteures notent également dans le même livre : « on doit prononcer : […] [ɛ] dans je sais, je vais, tu es, il est, c’est, mais [e] est courant » (Abry/ Chalaron 2019b : 45). Si ces erreurs proviennent de la confusion des auteures, il nous semble que la norme d’orthoépistes est moins rigide pour la prononciation de ces voyelles. 4.1.2 La paire / ø/ : / œ/ Abry/ Chalaron (2019a) expliquent ainsi la règle de prononciation des voyelles [ø] et [œ] : Quand la syllabe est terminée par une voyelle (syllabe ouverte), on entend toujours [ø] […] Quand la syllabe est terminée par une consonne (syllabe fermée), on entend [œ] […] sauf devant [z]. Exemple : heureuse [øRøz]. (Abry/ Chalaron 2019a : 53) La même explication se trouve également dans Abry/ Berger (2019a). Enfin, Kamoun/ Ripaud (2016) traitent la prononciation de [ø] en syllabe fermée lorsque la graphie <eu> est suivie de [z] ou [t] en donnant deux exemples (p. ex. une coiffeuse et un feutre). Il est intéressant de noter que des paires minimales comme jeune/ jeûne et veule/ veulent ne sont présentées dans aucun de nos manuels. 4.1.3 La paire / o/ : / ɔ/ Dans un exercice d’Abry/ Chalaron (2019a : 59), la distribution des voyelles / o/ et / ɔ/ est clairement indiquée comme [o] en syllabe ouverte et [ɔ] en syllabe fermée. Les utilisateurs de ce manuel devraient comprendre qu’il y a deux exceptions : 414 Nori Kondo (Tokyo) <?page no="415"?> • [o] est prononcé devant [z] en syllabe fermée (p. ex. chose, rose) ; • les graphies <au> et <ô> se prononcent toujours [o] (p. ex. au, haute, diplôme). Dans Kamoun/ Ripaud (2016), les auteures résument que [o] est prononcé avec les graphies <au>, <eau>, <ô> et « o suivi de la consonne [z] ». Toujours d’après ce manuel, [ɔ] est prononcé en syllabe fermée (sauf devant [z]). Abry/ Berger (2019) fournissent un exercice pour distinguer les sons / o/ et / ɔ/ en syllabe fermée (p. ex. paume/ pomme, nôtre/ notre). Les utilisateurs de ce manuel pourraient en déduire que ces deux voyelles se distinguent en syllabe fermée surtout grâce à la différence de graphie : d’un côté <o> se prononce [ɔ], d’un autre côté <au>, <eau> et <ô> se prononcent [o]. Pour les voyelles moyennes, certains manuels montrent les variations dans l’usage en même temps que la norme traditionnelle. C’est le cas par exemple pour les voyelles / e/ et / ɛ/ . Toutefois, pour les oppositions entre / o/ et / ɔ/ en syllabe fermée, les manuels proposent la prononciation orthographique pour les graphies <au>, <eau>, <ô> en suivant la norme de français de référence, la tendance à la perte de l’opposition n’étant pas indiquée. 4.2 Le schwa Le comportement du schwa est difficile à comprendre et à maîtriser pour les apprenant.e.s (cf. Paternostro et al. 2017 ; Isely et al. 2018). En effet, les conditions qui affectent le schwa ne sont pas seulement phonologiques, mais aussi sociolinguistiques, le schwa étant sensible à la variation géographique, sociale et/ ou stylistique (cf. Paternostro et al. 2017). De plus, la chute du schwa est influencée par la fréquence lexicale (p. ex. petit, semaine) (cf. Lyche 2010). Comme Isely et al. (2018 : 2) l’affirment à propos d’autres manuels de prononciation publiés en France, les auteur.e.s de manuels font référence à la loi des trois consonnes (cf. Grammont 1914) pour expliquer le comportement du schwa. La variabilité du schwa est expliquée souvent en fonction de sa position dans le mot et du nombre de consonnes environnantes. Comme Abry/ Berger (2019) et Charliac et al. (2018) ne donnent que des exercices, nous allons regarder principalement les explications présentes dans Abry/ Chalaron (2019a) et Kamoun/ Ripaud (2016). Concernant le timbre du schwa, Abry/ Chalaron (2019a) révèlent la possibilité de trois prononciations ([œ], [ø] ou [ə]), tandis que Kamoun/ Ripaud (2016) n’abordent pas la question. Les explications de ces manuels sur le schwa se résument ainsi : 415 La prononciation dans les manuels de FLE : entre norme d’orthoépistes et usage réel <?page no="416"?> 9 Abry/ Chalaron (2019a) mettent « généralement » entre parenthèses dans l’explication (« Le ‘e’ ne se prononce (généralement) pas » (Abry/ Chalaron 2019a : 71)) et présentent comme exemple la chemise avec l’absence du schwa. Au contraire, Kamon/ Ripaud (2016) donnent un exemple avec maintien et avec absence du schwa (ma petite maison [maptitmezɔ̃] ou [mapətitmezɔ̃]). 10 Les mêmes types d’exercices sont également proposés dans Abry/ Chalaron (2019a). 1. Lorsque <e> est précédé de deux consonnes ([CCəC]), le <e> se prononce : p. ex. une petite maison [ynpətitmezɔ̃], pour le professeur [puʁləpʁɔfesœʁ]. 2. Le <e> peut ne pas être prononcé s’il est précédé d’une seule consonne phonétique 9 . 3. En début de phrase (à l’initiale), le <e> se prononce, p. ex le jardin est grand, le professeur. Kamoun/ Ripaud (2016 : 25) ajoutent une brève explication à propos de la prononciation de je, où l’on peut prononcer ou non le schwa en début de phrase. Nous y trouvons aussi un exercice pour percevoir sa prononciation et sa non-prononciation (p. ex. J(e) vais au théâtre vs Je vais au théâtre), ainsi que d’autres exercices en relation avec la différence de style. Un exercice permet de comparer les différentes prononciations des deux syntagmes Je ne suis pas et Je ne sais pas, comme montré ci-dessous 10 (cf. Tab. 4). Style soutenu Style courant Style familier Je ne suis pas Je n(e) suis pas J(e) suis pas Chui pas (ne s’écrit pas) Je ne sais pas Je n(e) sais pas J(e) sais pas Chai pas (ne s’écrit pas) Tab. 4 : Un exemple d’exercice dans Kamoun/ Ripaud (2016 : 26) Ces exemples montrent qu’en style courant soit ne est prononcé avec une éventuelle chute de schwa (je n(e) suis pas), soit ne n’est pas prononcé et il y a une éventuelle absence du schwa de je (j(e) suis pas). Un autre exercice consiste à montrer les trois prononciations correspondant à chaque style. En suivant les illustrations dans les manuels, nous devons interpréter que le schwa ne tombe pas en style soutenu et que le schwa de je tombe uniquement en style courant avec omission du ne négatif. Pourtant, considérant le fait que la chute du schwa de je est aussi observée en situation formelle (cf. Barcat 2018), il semble que les manuels présentent un schéma assez simplifié. En ce qui concerne le <e> en position finale, Kamoun/ Ripaud (2016 : 25) expliquent que « en général, le ‘e’ n’est pas prononcé en fin de mot ». Abry/ 416 Nori Kondo (Tokyo) <?page no="417"?> 11 Seules Abry/ Chalaron (2019a) traitent la liaison à côté de l’enchaînement dans une même section. Chalaron (2019a : 72), ne mentionnent pas cette question, mais préviennent qu’il faut toujours prononcer le <e> du pronom le à l’impératif (p. ex. Appelons-le ! ). L’influence de la fréquence des mots sur le comportement du schwa n’est mentionnée dans aucun de nos manuels. En somme, les facteurs influençant le maintien et l’absence du schwa sont seulement partiellement expliqués aux apprenant.e.s, comme Paternostro et al. (2017) et Isely et al. (2018) l’ont observé avec d’autres manuels. L’influence stylistique est traitée de façon superficielle. Même si ce n’est pas suffisant pour acquérir la compétence sociolinguistique, introduire la prononciation sans schwa fréquente (p. ex. p(e)tit, j(e)_C) peut servir aux apprenant.e.s à se confronter au français réellement parlé. 4.3 La liaison La liaison est l’un des points difficiles à acquérir lors de l’apprentissage du français, et ce pour plusieurs raisons. D’une part, chez les non-natifs, étant donné que la réalisation de la liaison est liée à la connaissance de la graphie, les erreurs de liaison sont parfois liées à la représentation graphique (p. ex. [ɡʁɑ̃ dami] pour grand ami) (cf. Racine/ Detey 2015 ; Racine 2015). D’autre part, on sait que plusieurs facteurs interviennent dans le processus de liaison : non seulement le niveau phonologique, mais aussi plusieurs autres niveaux : syntaxique, morphologique, lexical, sociolinguistique et pragmatique (cf. Laks 2005). La liaison est classifiée en trois types : obligatoire, facultative, interdite selon une classification prescriptive (cf. Delattre 1947 ; Fouché 1959) ; catégorique, variable, erratique selon une classification descriptive (cf. Durand/ Lyche 2008). Dans nos manuels de prononciation, une section spécifique est consacrée à la liaison 11 . Regardons deux définitions trouvées dans ces manuels : La voix ne s’arrête pas entre les mots. Dans certains cas, on prononce la lettre finale d’un mot avec la voyelle initiale du mot qui suit. On forme une nouvelle syllabe orale. C’est la liaison. (Charliac et al. 2018 : 42) La liaison : la consonne non prononcée qui termine un mot et la voyelle prononcée qui commence le mot suivant s’unissent en une même syllabe. (Kamoun/ Ripaud 2016 : 33) Selon ces deux définitions, nous pouvons comprendre que, lorsque la liaison est réalisée, la consonne finale non prononcée est resyllabée à l’attaque d’un mot à initiale vocalique. Par ailleurs, ces deux définitions excluent la possibilité de la liaison non-enchainée. Les facteurs influençant la réalisation de la liaison ne sont pas indiqués dans les manuels. 417 La prononciation dans les manuels de FLE : entre norme d’orthoépistes et usage réel <?page no="418"?> 12 Dans les exercices de liaison après un chiffre, ce sont surtout un, deux, trois, six, et dix qui sont concernés. Il n’y a aucune explication sur la liaison après vingt et cent. Dans leur section sur la liaison, Kamoun/ Ripaud (2016 : 34) donnent une explication sur la graphie <f> : « devant « ans » et « heures [sic], le « f » de « neuf » se prononce [v]. » 13 Par exemple, bon appétit [bɔnapeti] vs bon dimanche [bɔ̃dimɑ̃ʃ]/ dernier étage [dɛʁnjɛʁetaʒ] vs dernier bureau [dɛʁnjebyʁo]. Comme Racine/ Detey (2017 : 90) l’af‐ firment, on ne trouve pas d’explications et d’exercices sur les modifications de la voyelle précédente dans nos manuels. Racine/ Detey (2015 : 2) mentionnent que les manuels se focalisent souvent sur « les problèmes posés par la variation inhérente à la liaison et qui consistent à identifier le contexte […] afin de déterminer si la liaison doit - ou peut - être réalisée ou non ». Les manuels traitent très souvent des difficultés de l’ordre de la macro-planification (cf. Racine 2014). La classification des contextes de la liaison (obligatoire/ facultative/ interdite) dans les manuels est basée sur la norme prescriptive (Delattre 1947 ; Fouché 1959), mais probablement jamais sur les données du français parlé. Au niveau macro-planification, la liaison obligatoire est traitée soit explicite‐ ment avec une explication, soit implicitement dans des exercices. Les contextes morphosyntaxiques de la liaison obligatoire présentés dans la plupart de nos manuels sont les suivants : « proclitique + verbe » ; « déterminant + nom » ; « chiffre 12 (un, deux, trois, six, dix) + nom » ; « adjectif + nom » ; « préposition mo‐ nosyllabique (sous, chez, sans, dans, en) +… » ; « adverbe monosyllabique (bien, très, plus, moins, trop, tout) + … ». II faut préciser que les trois contextes « adjectif + nom », « préposition monosyllabique + » et « adverbe monosyllabique + » sont classés plutôt comme contextes de liaison variable par Durand/ Lyche (2008) (cf. 2.2.3). Quelques contextes de liaison interdite sont expliqués, mais uniquement dans Abry/ Chalaron (2019a). Par ailleurs, Racine (2014) indique que les difficultés liées à la micro-planifi‐ cation ne sont pas suffisamment traitées dans les manuels. Les difficultés en question sont les trois suivantes (Racine/ Detey 2015 : 2) : 1. « la nature de consonne de liaison à réaliser, en lien avec la graphie », p. ex. un grand ami [ɛ̃ɡʁɑ̃ tami] et non [ɛ̃ɡʁɑ̃ dami] ; 2. « le placement de cette consonne dans la structure syllabique (avec ou sans enchaînement) » ; 3. « les modifications éventuelles de l’environnement immédiat (ouverture/ dénasalisation de la voyelle précédente 13 ». 418 Nori Kondo (Tokyo) <?page no="419"?> 14 Cependant, les explications de Kamoun/ Ripaud (2016) traitent quatre graphies finales <s>, <z>, <x> (se prononçant [z]) et <d> (se prononçant [t]). 15 Quelques explications au niveau morphosyntaxique sont aussi présentes : « ‘on’ remplace de plus en plus ‘nous’ dans le français familier » (Abry/ Berger 2019 : 58) ; la chute de la particule négative ne (Kamoun/ Ripaud 2016 : 26 ; Abry/ Chalaron 2019a : 17, 133, 179). 16 La réduction des liquides en fin de mot après obstruante (ex. quatre [kat]) n’est pas abordée dans nos manuels. 17 L’assimilation de je prononcé [ʃ] n’est que peu expliquée dans les manuels, mais on l’entend parfois dans les CD. Au niveau de la micro-planification, c’est Kamoun/ Ripaud (2016) qui traitent brièvement la consonne en lien avec la graphie 14 . Abry/ Chalaron (2019a) ne mentionnent que les consonnes de liaison les plus fréquentes : [n], [z], [t]. Les apprenant.e.s débutant.e.s trouvent donc dans les manuels de prononcia‐ tion des renseignements plutôt minimes sur la liaison, comme les contextes de liaison obligatoire et quelques graphies de la consonne de liaison. Cependant, quand on écoute les supports audio, il est évident que les apprenant.e.s entendent des réalisations de la liaison qui ne sont pas expliquées dans les manuels : des liaisons facultatives aussi bien que des liaisons obligatoires ou des contextes de liaisons interdites. Nous aborderons ce point dans l’analyse du corpus audio. 4.4 Variation stylistique Dans nos manuels de niveau débutant, l’illustration de la variation reste un élément marginal. La variation ne fait pas vraiment l’objet d’un apprentissage phonétique. Nous pouvons tout de même trouver quelques illustrations de la variation stylistique, surtout dans Abry/ Chalaron (2019a) et Kamoun/ Ripaud (2016). Par ailleurs nous devons aussi remarquer l’absence de la variation régionale dans nos manuels. Lorsqu’une variété stylistique est traitée, cette variété est étiquetée de français familier, style courant ou style familier. Voici quelques exemples pris dans les manuels sur la variation stylistique 15 : 1. L’élision du tu : p. ex. tu as fini ? t’as fini ? (Abry/ Chalaron 2019a : 34, 38, 41, 55, 179 ; Kamoun/ Ripaud 2016 : 56) 2. La réduction des sons liquides [l] et [ʁ] 16 (Abry/ Chalaron 2019a : 169, 179) : p. ex. Il va venir [il.va.və.niʁ] (oral standard) vs [i.va.vniʁ] (oral familier) ; parce que [paskə] 3. La prononciation du syntagme il y a [ja] (Abry/ Chalaron 2019a : 38, 86, 179) 4. L’assimilation consonantique : je [ʒ(ə)] en [ʃ] 17 (Abry/ Chalaron 2019a : 179 ; Kamoun/ Ripaud 2016 : 26, 152) 419 La prononciation dans les manuels de FLE : entre norme d’orthoépistes et usage réel <?page no="420"?> 18 Les adjectifs observés pour ce contexte sont ancien, beaux, bon, célèbres, certain(s), charmant, dernier, grand(e)(s), gros, interminables, joyeux, larges, léger, mauvais(es), nouveaux, parfait, petit(e)(s), plein, plusieurs, premier(s), propres, quelques, second. 19 Les adverbes observés pour ce contexte sont les suivants : bien, moins, pas, plus, très, trop. Sur le plan didactique, nous pouvons conclure que la variation stylistique est traitée dans les manuels de niveau débutant, mais cet enseignement semble se limiter uniquement à énumérer les exemples de variation, et il manque de précision sur la fréquence des formes. Toutefois, l’instruction explicite peut aider les apprenant.e.s débutant.e.s à se familiariser avec la variation stylistique dès le début de leur apprentissage. Cela peut les aider aussi à se sensibiliser à la variation qu’ils rencontrent dans le français réellement parlé en dehors d’une classe de FLE. 5 Analyse du corpus audio : la liaison dans les CD audio Dans cette section, nous regarderons la liaison notamment dans les contextes de liaison variable après les formes des verbes être et avoir, en exploitant notre corpus audio. Ce choix s’explique par la comparabilité des résultats : il existe d’autres études sur la liaison après les formes de ces verbes. Nous comparerons nos données surtout avec Ågren (1973) et Mallet (2008). D’une part, le corpus d’Ågren (1973) est composé d’extraits d’émissions radiophoniques dont les locuteurs sont des professionnels de la parole publique. D’autre part, l’étude de Mallet (2008) est basée sur une partie des enquêtes du projet PFC, ses résultats s’appuient principalement sur les conversations guidée et libre (Mallet 2008 : 176). Nous comparerons nos données aussi avec les résultats de Heiszenberger et al. (2020) se basant sur des CD audio d’un manuel scolaire autrichien. Avant de regarder les résultats concernant la liaison après les formes des verbes, résumons rapidement les résultats pour la liaison dans les contextes suivants : « préposition monosyllabique + », « adjectif 18 + nom », « adverbe 19 monosyllabique + adjectif ». Ce sont les contextes qui sont classifiés comme contextes de liaison variable par Durand/ Lyche (2008), tandis qu’ils sont des contextes de liaison obligatoire dans la classification prescriptive de Delattre (1947). Dans les CD audio, la liaison dans ces trois contextes est présentée comme systématiquement réalisée sauf avec l’adverbe pas. 420 Nori Kondo (Tokyo) <?page no="421"?> 20 Dans les données d’Ågren, les occurrences de c’est sont incluses dans celles de est. 5.1 La liaison après les verbes Les taux de réalisation de la liaison après les verbes être, avoir et les autres verbes de notre corpus audio sont montrés respectivement dans le Tab. 5 ci-dessous. être avoir autres verbes % N % N % N 65 % 493 17 % 69 6 % 529 Tab. 5 : Fréquence et taux de réalisation de la liaison après les verbes Parmi les contextes de liaison après des verbes, la réalisation de liaison est plus fréquente après le verbe être, les taux de réalisation après avoir et les autres verbes étant inférieurs. 5.2 La liaison après être En ce qui concerne la liaison après les différentes formes du verbe être (cf. Tab. 6), le taux de réalisation de chaque forme est respectivement plus élevé que celui du corpus de Mallet (2008). Le taux de liaison après suis est plutôt élevé (68 %) comparé aux taux trouvés dans les corpus L1 (13 % chez Mallet et 47 % chez Ågren). On peut noter aussi que les taux de liaison après est, c’est, sont s’élèvent respectivement à 74 %, 64 % et 66 % dans notre corpus. Ce taux se situe dans la moyenne des taux trouvés chez Ågren et Mallet. Enfin, les taux de liaison après est et suis sont plus élevés que ceux de l’étude de Heiszenberger et al. (2020), tandis que les taux après c’est et sont sont similaires. Présente étude : CD audio des manuels de prononciation de FLE Émissions de radio (Ågren 1973) L1 français, corpus PFC (France/ fran‐ cophonie) (Mallet 2008) CD audio d’un manuel sco‐ laire autri‐ chien (Heiszenberger et al. 2020) % N % N % N % N suis 68 % 19 47 % 139 13 % 430 44 % 25 est 74 % 150 97 % 2668 44 % 636 57 % 70 c’est 64 % 232 --- 20 --- 28 % 1470 65 % 65 sont 66 % 38 86 % 280 19 % 208 67 % 6 421 La prononciation dans les manuels de FLE : entre norme d’orthoépistes et usage réel <?page no="422"?> étais 100 % 1 21 % 29 8 % 12 --- --- (c’)était 65 % 20 75 % 367 8 % 343 0 % 2 Tab. 6 : Taux de réalisation de la liaison après les différentes formes du verbe être en L1 et dans les manuels Même si les taux de liaison après les formes du verbe être sont généralement élevés dans l’ensemble des manuels, les fréquences de liaison dans les quatre manuels ne sont pas identiques (cf. Tab. 7). C’est surtout le résultat de Ka‐ moun/ Ripaud (2016) qui est éloigné des trois autres manuels : la liaison après est et c’est est loin d’être systématique dans Kamoun/ Ripaud (2016), tandis qu’elle est plutôt systématiquement réalisée dans les trois autres manuels qui montrent des taux ressemblant à celui d’Ågren (1973). Abry/ Chalaron (2019a) Charliac et al. (2018) Kamoun/ Ripaud (2016) Abry/ Berger (2019) % N % N % N % N suis 60 % 5 100 % 1 20 % 5 100 % 8 est 93 % 41 100 % 20 6 % 35 94 % 54 c’est 95 % 91 100 % 42 3 % 80 100 % 19 sont 83 % 12 100 % 8 0 % 8 70 % 10 étais --- --- 100 % 1 --- --- --- --- (c’)était 100 % 3 --- --- 25 % 8 89 % 9 Tab. 7 : Taux de réalisation de la liaison après les différentes formes du verbe être dans les CD audio des quatre manuels étudiés Dans Kamoun/ Ripaud (2016), la liaison est très peu réalisée pour suis (20 %, une seule liaison réalisée sur 5 contextes = 1/ 5), est (6 %, 2/ 35), c’est (3 %, 2/ 80), et (c’)était (25 %, 2/ 8). Les cas où ces liaisons sont réalisées correspondent surtout aux exercices de lecture d’extraits de romans. Au contraire dans Abry/ Chalaron (2019a), la non-réalisation de liaison est rare pour est (seulement trois liaisons non-réalisées sur 41 contextes potentiels = 3/ 41), c’est (5/ 91), et sont (2/ 12). La plupart des cas de liaison non-réalisée s’entendent soit dans des 422 Nori Kondo (Tokyo) <?page no="423"?> 21 À propos d’un exercice consistant à opposer les prononciations avec et sans liaison, on trouve cette explication : « Les phrases sans liaison sont plus familières ». (Abry/ Chalaron 2019a : 119) 22 En conversation, la liaison après les différentes formes du verbe être se comporte différement selon les régions francophones. Par exemple, la liaison après est : 39,3 % en Île-de-France ; 30,6 % en Suisse ; 75,5 % au Canada ; 12,8 % en Afrique (cf. Côté 2017). Il est assez complexe de refléter la norme de parole spontanée dans les manuels, lorsque l’on considère la différence régionale. exercices de prononciation de dialogues, soit dans des exercices 21 qui opposent la liaison réalisée à celle non-réalisée (p. ex. C’est [t] encore occupé. C’est/ encore occupé.). Pourtant, en considérant le nombre d’occurrences, le contraste entre la réalisation et la non-réalisation de la liaison selon le style de parole ne semble pas être présenté de manière approfondie ni dans Kamoun/ Ripaud (2016) ni dans Abry/ Chalaron (2019a). Si on se concentre uniquement sur les liaisons après les syntagmes c’est et il est (impersonnel), on voit que ces derniers sont catégorisés comme liaisons ob‐ ligatoires par Delattre (1947). En considérant les taux de liaison après est et c’est dans l’étude d’Ågren (1973), la réalisation de cette liaison peut être interprétée comme une des caractéristiques des professionnels de la parole publique. La réalisation de la liaison après c’est est aussi très fréquente (87 %) dans les livres audio pour enfants (Pustka 2017 : 201). La même tendance est attestée pour la liaison après est dans la tâche de lecture du corpus PFC (76,92 %, cf. Eychenne et al. 2014) et la présentation de nouvelles chez les présentateurs/ journalistes (94 %, cf. Pustka et al. 2017). En oralisation de l’écrit, cette liaison est presque catégorique tandis qu’elle est plutôt variable en conversation (cf. Eychenne et al. 2014, Pustka 2017, Pustka et al. 2017). Nous pouvons donc interpréter que la liaison après est et c’est dans les trois manuels se réfère plutôt à une norme de lecture. Les taux de réalisation de la liaison extrêmement réduits après les formes du verbe être dans Kamoun/ Ripaud (2016) nous semblent refléter une approche originale. Ils sont inférieurs à ceux des locuteurs L1 attestés dans l’étude de Mallet (2008) 22 . S’ils ont volontairement réduit la fréquence de réalisation de la liaison après être, il nous semble y avoir deux possibilités : 1) la volonté d’attirer l’attention des apprenant.e.s débutant.e.s d’abord sur l’apprentissage de la liaison catégorique ; 2) la volonté de s’approcher du français spontané afin de sensibiliser les apprenant.e.s à la variation qu’ils peuvent rencontrer dans le français parlé en dehors de classe. Si Kamoun/ Ripaud (2016) prennent en compte la deuxième possibilité, il nous semble qu’ils n’ont pas bien réussi à refléter la variabilité de la liaison après les formes est et c’est, car la fréquence de réalisation de ces liaisons est trop réduite par rapport à la parole spontanée. 423 La prononciation dans les manuels de FLE : entre norme d’orthoépistes et usage réel <?page no="424"?> 5.3 La liaison après avoir Pour le verbe avoir, dans notre corpus audio, les sites de liaison potentielle sont beaucoup moins nombreux que ceux après être (cf. Tab. 6). Dans notre corpus, la liaison est réalisée après avons, ont, avais, avait, tandis qu’aucune liaison n’est réalisée après les formes as et avez. La liaison est réalisée surtout pour ont (69 %), ce taux étant beaucoup plus élevé que chez les locuteurs L1 (Mallet 2008), mais plus ou moins similaire à l’étude d’Ågren (1973) et au manuel de Heiszenberger et al. (2020). Ce résultat laisse penser au moins une chose : que la liaison après ont serait la plus souvent entendue dans les manuels, mais que les apprenant.e.s entendent rarement la liaison après les autres formes. Présente étude : CD audio des manuels de prononciation de FLE Émissions de radio (Ågren 1973) L1 français, corpus PFC (France/ fran‐ cophonie) (Mallet 2008) CD audio d’un manuel sco‐ laire autri‐ chien (Heiszenberger et al. 2020) % N % N % N % N as 0 % 19 --- --- 0 % 71 0 % 8 avons 11 % 9 21 % 150 21 % 24 0 % 5 avez 0 % 18 17 % 68 0 % 21 0 % 4 ont 69 % 13 75 % 381 10 % 178 75 % 4 avais 25 % 4 33 % 18 0 % 10 --- --avait 33 % 3 47 % 182 3 % 374 0 % 4 avaient --- --- 62 % 39 1 % 408 --- --- Tab. 8 : Taux de réalisation de la liaison après les différentes formes du verbe avoir en L1 et dans les manuels 6 Conclusion La présente étude a observé, à travers les manuels, que la norme pédagogique fluctue entre la norme d’orthoépistes et l’usage réel. Un certain conservatisme s’observe déjà dans l’absence de discussion sur les consonnes / ɲ/ et / ŋ/ . Dans la présentation des voyelles moyennes, la norme et l’usage sont parallèlement illustrés pour les voyelles [e] et [ɛ] en syllabe finale ouverte. La tendance à la disparition de l’opposition de ces voyelles est évoquée pour certains lexèmes dans nos manuels. Par ailleurs, les auteur.e.s proposent souvent une 424 Nori Kondo (Tokyo) <?page no="425"?> prononciation orthographique pour les graphies <au>, <eau> et <ô>. Cette prononciation est plutôt basée sur la norme traditionnelle. Quant au schwa, les manuels présentent généralement la loi des trois consonnes. Quelques manuels montrent que l’absence du schwa est possible seulement dans certains styles, mais la précision manque, d’un point de vue sociolinguistique. Les explications sur la présence et l’absence du schwa dans les manuels ne sont pas suffisantes pour comprendre le comportement du schwa dans le français réellement parlé. Toutefois, l’introduction de la prononciation sans schwa pour certaines phrases peut aider les apprenant.e.s à développer leur compétence sociolinguistique. La variation stylistique n’est traitée que subsidiairement dans les manuels. Les exemples de variation stylistique sont montrés comme caractéristiques du français familier. Cette instruction explicite peut quand même aider les apprenant.e.s à prendre conscience de la variation stylistique. Par ailleurs, les manuels ne traitent pas la variation régionale, c’est probablement pour privilégier le français de référence. Concernant la liaison après les formes du verbe être, notamment est et c’est, nos manuels montrent deux résultats différents : soit la liaison est presque systématiquement réalisée (c’est le cas de trois manuels), soit la liaison est rarement réalisée (c’est le cas dans Kamoun/ Ripaud 2016). Pour les résultats obtenus dans les trois manuels en question, les auteur.e.s semblent refléter les taux de liaison dans une situation de lecture de texte. Par ailleurs, il est difficile de saisir la raison pour laquelle les taux de la réalisation de la liaison sont très réduits chez Kamoun/ Ripaud (2016). Les résultats nous montrent au moins qu’il est difficile de traiter la variabilité de réalisation de la liaison entre la lecture et la parole spontanée dans les manuels. De même, si ces auteur.e.s ont donné la priorité à l’acquisition de la liaison catégorique, la quasi-absence de liaison après est et c’est dans ce manuel peut également masquer la variabilité. Ces résultats font réfléchir sur la place de la norme dans l’apprentissage : dans quelle mesure la norme est-elle appropriée ou réaliste dans les manuels pour débutants ? Enfin, nous pouvons conclure que les auteur.e.s des manuels décrivent la prononciation du français en reflétant à la fois la norme d’orthoépistes et l’usage réel. Même si l’objectif des manuels pédagogiques est d’enseigner plutôt la norme d’orthoépistes, les auteur.e.s essaient de refléter une certaine authenticité du français parlé dans les manuels dès le niveau débutant. L’instruction explicite peut conduire les apprenant.e.s à se sensibiliser à la réalité orale qu’ils rencontre‐ ront en dehors de la classe de FLE. Par ailleurs, nous avons confirmé la difficulté de refléter la variabilité de certains éléments dans les manuels de prononciation. Malgré cette difficulté, il sera important de proposer dans l’avenir une norme 425 La prononciation dans les manuels de FLE : entre norme d’orthoépistes et usage réel <?page no="426"?> pédagogique qui reflète davantage l’usage réel : bien insister sur le contraste entre la lecture et la conversation pour montrer la variation stylistique ; intégrer plus de documents sonores authentiques avec des explications linguistiques. Références bibliographiques Abry, Dominique/ Berger, Christelle (2019) : Focus Phonie-graphie du français, Paris : Hachette. Abry, Dominique/ Chalaron, Marie-Laure (2019a) : Les 500 exercices de phonétique avec corrigés niveau A1/ A2, Paris : Hachette. Abry, Dominique/ Chalaron, Marie-Laure (2019b) : Les 500 exercices de phonétique avec corrigés niveau B1/ B2, 6 ème édition, Paris : Hachette. Ågren, John (1973) : Étude sur quelques liaisons facultatives dans le français de conversation radiophonique : fréquences et facteurs, Uppsala : Acta Universitatis Upsaliensis. 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De plus, qui s’exprime avec une bonne prononciation se sentira valorisé car il ne manquera pas de recevoir des compliments de la part des personnes natives. Si ces affirmations ont pu être démontrées maintes fois (cf. Champagne-Muzar/ Bourdages 1998, Herbst 1992, Settinieri 2011), il n’en reste pas moins que la prononciation n’est pas toujours enseignée de manière systématique, ce qui ne favorise pas la prise de conscience par les élèves de l’enjeu lié à une bonne prononciation. Mais qu’est-ce qu’une bonne prononcia‐ tion ? Comment la définir et l’enseigner dans le contexte de l’enseignement, de l’apprentissage et de l’évaluation en cours de français langue étrangère (FLE) ? Pour donner des éléments de réponse à ces questions, et donner des clés aux enseignant.e.s, nous commencerons le présent article par une définition didac‐ tique de la bonne prononciation qui portera principalement sur la compétence phonologique et sur l’intelligibilité. Pour donner des pistes concernant l’ensei‐ gnement et l’apprentissage d’une prononciation adéquate, nous présenterons dans un deuxième temps quelques principes didactiques et méthodologiques fournissant la base de l’élaboration d’une approche pour la classe de français langue étrangère. Celle-ci devra notamment prendre en compte les facteurs spécifiques liés à l’âge des apprenant.e.s (pré-)adolescent.e.s et à leurs besoins. <?page no="430"?> 2 Bonne prononciation, compétence phonologique et intelligibilité De prim