eJournals Oeuvres et Critiques 47/2

Oeuvres et Critiques
oec
0338-1900
2941-0851
Narr Verlag Tübingen
10.24053/OeC-2022-0007
121
2022
472

Avant-propos : Molière, dramaturge de la société de cour

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2022
Jörn Steigerwald
Hendrik Schlieper
oec4720005
DOI 10.24053/ OeC-2022-0007 Œuvres & Critiques, XLVII, 2 DOI 10.24053/ OeC-2022-0007 Œuvres & Critiques, XLVII, 2 1 Voir à ce propos Laura Naudeix (dir.), Molière à la cour. Les Amants magnifiques en 1670 , Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2020. 2 Voir surtout l’étude de Roger Chartier, « George Dandin, ou le social en représentation », in-: Annales. Histoire, Sciences Sociales 49 / 2 (1994), p.-277-309. Avant-propos-: Molière, dramaturge de la société de cour Jörn Steigerwald / Hendrik Schlieper Université de Paderborn Molière était un des principaux acteurs des divertissements de Versailles : il apporta quatre pièces aux Plaisirs de l’île enchantée de 1664 ( Les Facheux , La Princesse d’Élide , L’Hypocrite et Le Mariage forcé ), une au Grand Divertissement royal de 1668 ( Georges Dandin ) et une - posthume - aux Divertissements de Versailles de 1674 ( Le Malade imaginaire ). En outre, plusieurs comédies et comédies-ballets moliéresques connurent leurs premières dans un cadre courtois - le « divertissement royal » des Amants magnifiques est représenté à Saint-Germain-en-Laye en 1670 tandis que la comédie-ballet Le Bourgeois gentilhomme est mise en scène à Chambord la même année 1 . Le fait que beaucoup de pièces de Molière étaient intégrées dans des diver‐ tissements royaux mène à deux des questions initiales que nous voudrions soulever dans le cadre de cet avant-propos : de quelles manières ces pièces contribuaient-elles au divertissement de la société de cour, et dans quelle mesure le divertissement d’une pièce concrète dépendait-il de l’interaction avec d’autres pièces d’autres auteurs, voire de la cohabitation avec d’autres arts ? L’exemple de Georges Dandin met en évidence qu’une telle approche des comédies de Molière est importante. Il est tout à fait indiqué de se demander pourquoi et comment l’histoire désastreuse d’un riche paysan servait-elle à divertir les membres de la société de cour et de quelle manière la pièce de Molière avait-elle besoin de la musique et surtout du ballet de Lully pour divertir la cour présente à Versailles 2 . Une autre dimension du théâtre de Molière émergera visiblement si l’on regarde la collaboration entre celui-ci et Carlo Vigarani. Dans sa relation des Plaisirs de l’île enchantée , Isaac de Benserade met en relief que les deux artistes DOI 10.24053/ OeC-2022-0007 Œuvres & Critiques, XLVII, 2 Œuvres & Critiques, XLVII, 2 DOI 10.24053/ OeC-2022-0007 3 Pour une contextualisation plus détaillée de Vigarini, voir Jérôme de La Gorce, Carlo Vigarini, intendant des plaisirs de Louis XIV , Paris / Versailles, Perrin / Établissement public du Musée et du Domaine national de Versailles, 2005, et Walter Baricchi, Jérôme de la Gorce (dir.), Gaspare & Carlo Vigarani : Dalla corte degli Este a quella di Luigi XIV / De la cour d’Este à celle de Louis XIV , Milan, Silvana Editoriale / Centre de recherche du château de Versailles, 2009. 4 Voir Alain Viala, Racine. La stratégie du caméléon , Paris-: Seghers, 1990. 5 Voir Peter Burke, The Fabrication of Louis XIV , Londres / New Haven, Yale University Press, 1994. étaient les premiers acteurs de ces fêtes en ce qui concerne la mise en scène des divertissements et que le grand succès de Psyché résulte (au moins d’une certaine part) du fait que Molière utilisa les machines de théâtre de Vigarani 3 . D’où les questions de savoir si le divertissement de la société de cour se basait sur la concomitance de plusieurs artistes et de plusieurs arts dans un lieux spécifique et de savoir que signifie ‹-divertissement-› et qu’est-ce qui distingue le ‹-divertissement-› et le ‹-plaisir ›. Or, les premières de plusieurs comédies et comédies-ballets de Molières eurent lieu dans plusieurs châteaux, mais Les Amants magnifiques est le seul divertissement royal qui était repris à la ville du vivant de l’auteur. Plusieurs questions s’ensuivent : de quelle manière Molière concevait-il ses pièces pour ‹ la cour ›, pour ‹ la ville › et pour ‹ la cour et la ville › ? Pour être plus précis : qu’estce qui distingue une pièce de la cour d’une pièce de la ville au niveau du sujet, des personnages et du genre ? Pourra-t-on donc parler d’un ‹ Molière caméléon › par analogie avec le Racine caméléon 4 ? Ou, plus simplement : comment le selffashioning de Molière fonctionne-t-il à travers et au sein de ses comédies-? De plus, Molière participait aux divertissements royaux en raison de ses compétences artistiques, mais il n’était pas intégré dans la société de cour au sens strict ; il participait à la ‹ fabrication › de Louis XIV ainsi qu’à la production du portrait du roi, mais il était tenu de garder ses distances 5 . On pourra se demander si cette distance permettait à Molière de refléter, voire de réfléchir sur les transformations de la noblesse de son temps et sur les nouvelles exigences aux nobles. De quelle manière, pour donner un exemple concret, la comédieballet répond-elle à la question de savoir qu’est-ce que caractérise l’amour galant dans l’espace social de la société de cour ? Dom Juan et le protagoniste éponyme de cette comédie, nous donnent-ils une idée de ce qui qualifiait un noble contemporain et opportun ? Et comment l’appropriation de la mythologie antique telle qu’elle se manifeste dans Amphitryon , Psyché et d’autres pièces permet-elle à Molière de mettre en scène un nouvel idéal de la société de cour et de la pratique sociale des courtisan(ne)s, voire de problématiser les idéaux, mais aussi les places vides de la galanterie-? 6 Jörn Steigerwald / Hendrik Schlieper Les articles réunis dans ce dossier, préparé à l’occasion de la célébration du 400 e anniversaire de Molière, s’inscriront dans une réflexion sur l’influence exercée par la société de cour et par les divertissements royaux sur les comédies et les comédies-ballets de cet auteur (et vice versa ). En même temps, ils se concentreront, dans une approche plus globale, sur des paradigmes permettant de comprendre les pratiques sociales et esthétiques de la politique culturelle propre à la société de cour autour de laquelle l’œuvre du jubilaire s’organisa. Avant-propos-: Molière, dramaturge de la société de cour 7 DOI 10.24053/ OeC-2022-0007 Œuvres & Critiques, XLVII, 2 3 Pour une contextualisation plus détaillée de Vigarini, voir Jérôme de La Gorce, Carlo Vigarini, intendant des plaisirs de Louis XIV , Paris / Versailles, Perrin / Établissement public du Musée et du Domaine national de Versailles, 2005, et Walter Baricchi, Jérôme de la Gorce (dir.), Gaspare & Carlo Vigarani : Dalla corte degli Este a quella di Luigi XIV / De la cour d’Este à celle de Louis XIV , Milan, Silvana Editoriale / Centre de recherche du château de Versailles, 2009. 4 Voir Alain Viala, Racine. La stratégie du caméléon , Paris-: Seghers, 1990. 5 Voir Peter Burke, The Fabrication of Louis XIV , Londres / New Haven, Yale University Press, 1994. étaient les premiers acteurs de ces fêtes en ce qui concerne la mise en scène des divertissements et que le grand succès de Psyché résulte (au moins d’une certaine part) du fait que Molière utilisa les machines de théâtre de Vigarani 3 . D’où les questions de savoir si le divertissement de la société de cour se basait sur la concomitance de plusieurs artistes et de plusieurs arts dans un lieux spécifique et de savoir que signifie ‹-divertissement-› et qu’est-ce qui distingue le ‹-divertissement-› et le ‹-plaisir ›. Or, les premières de plusieurs comédies et comédies-ballets de Molières eurent lieu dans plusieurs châteaux, mais Les Amants magnifiques est le seul divertissement royal qui était repris à la ville du vivant de l’auteur. Plusieurs questions s’ensuivent : de quelle manière Molière concevait-il ses pièces pour ‹ la cour ›, pour ‹ la ville › et pour ‹ la cour et la ville › ? Pour être plus précis : qu’estce qui distingue une pièce de la cour d’une pièce de la ville au niveau du sujet, des personnages et du genre ? Pourra-t-on donc parler d’un ‹ Molière caméléon › par analogie avec le Racine caméléon 4 ? Ou, plus simplement : comment le selffashioning de Molière fonctionne-t-il à travers et au sein de ses comédies-? De plus, Molière participait aux divertissements royaux en raison de ses compétences artistiques, mais il n’était pas intégré dans la société de cour au sens strict ; il participait à la ‹ fabrication › de Louis XIV ainsi qu’à la production du portrait du roi, mais il était tenu de garder ses distances 5 . On pourra se demander si cette distance permettait à Molière de refléter, voire de réfléchir sur les transformations de la noblesse de son temps et sur les nouvelles exigences aux nobles. De quelle manière, pour donner un exemple concret, la comédieballet répond-elle à la question de savoir qu’est-ce que caractérise l’amour galant dans l’espace social de la société de cour ? Dom Juan et le protagoniste éponyme de cette comédie, nous donnent-ils une idée de ce qui qualifiait un noble contemporain et opportun ? Et comment l’appropriation de la mythologie antique telle qu’elle se manifeste dans Amphitryon , Psyché et d’autres pièces permet-elle à Molière de mettre en scène un nouvel idéal de la société de cour et de la pratique sociale des courtisan(ne)s, voire de problématiser les idéaux, mais aussi les places vides de la galanterie-? 6 Jörn Steigerwald / Hendrik Schlieper Les articles réunis dans ce dossier, préparé à l’occasion de la célébration du 400 e anniversaire de Molière, s’inscriront dans une réflexion sur l’influence exercée par la société de cour et par les divertissements royaux sur les comédies et les comédies-ballets de cet auteur (et vice versa ). En même temps, ils se concentreront, dans une approche plus globale, sur des paradigmes permettant de comprendre les pratiques sociales et esthétiques de la politique culturelle propre à la société de cour autour de laquelle l’œuvre du jubilaire s’organisa. Avant-propos-: Molière, dramaturge de la société de cour 7 DOI 10.24053/ OeC-2022-0007 Œuvres & Critiques, XLVII, 2