Oeuvres et Critiques
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0338-1900
2941-0851
Narr Verlag Tübingen
10.24053/OeC-2023-0001
61
2023
481
Avant-propos
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2023
Bernard J. Bourque
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1 Dictionnaire de l’Académie française , 9 e édition, Paris, Imprimerie nationale/ Fayard, 2011, t. III. 2 À la demande de Madame de Maintenon, Racine donna deux tragédies bibliques, Esther (1689) et Athalie (1691), chacune en trois actes, aux jeunes filles de la Maison royale de Saint-Louis. Avant-propos Bernard J. Bourque University of New England (Australia) Ce volume vise à examiner les écrivains français du dix-septième siècle dont la production littéraire est remarquable en raison de son abondance. Bien entendu, il a fallu limiter le nombre d’auteurs qui font l’objet de notre étude, les écrivains prolifiques du Grand Siècle étant assez nombreux. Tout d’abord, nous devons préciser ce que nous voulons dire par « proli‐ fique ». La neuvième édition du Dictionnaire de l’Académie française nous présente la définition suivante : « Fig. En parlant d’un créateur. Dont l’œuvre est particulièrement abondante 1 . » Or le concept d’une production abondante n’existe qu’en relation avec ce qui est considéré comme normal, notion relative, elle aussi, qui signifie une conformité à une moyenne ou à ce qui n’a rien d’exceptionnel. Nous pouvons affirmer, par exemple, que Pierre Corneille était plus prolifique en tant que dramaturge que Jean Racine, qui après dix chefs-d’œuvre, se retira du théâtre à l’âge de 37 ans 2 . La notion de prolifique est donc liée à celle du temps, Racine étant prolifique pendant les treize ans qu’il se dévoua à la création des ouvrages dramatiques. D’ailleurs, la notion de prolifique n’est pas nécessairement synonyme de celle de qualité. L’abbé d’Aubignac était un auteur prolifique, mais ses ouvrages fictifs (romans, pièces de théâtre) sont loin d’être considérés comme des chefs-d’œuvre. Les cinq écrivains que nous avons choisis appartiennent à plusieurs genres littéraires différents : les genres poétiques, narratifs, théâtraux et argumentatifs. Le plus souvent, il s’agit de ceux et de celles qui touchèrent à plusieurs genres, écrivains surdoués qui, semble-t-il, préféraient composer au lieu de dormir. Nous cherchons à étudier ces trésors littéraires prolifiques, qu’ils soient Œuvres & Critiques, XLVIII, 1 DOI 10.24053/ OeC-2023-0001 3 Jack Zipes, The Great Fairy Tale Tradition. From Straparola and Basile to the Brothers Grimm , New York, W. W. Norton & Company, 2001, p.-858. considérés aujourd’hui comme « grands » ou « mineurs », dans le contexte des conditions personnelles, sociales, politiques et économiques qui contribuèrent à leur abondante production. Les thèmes qui sont explorés intègrent plusieurs éléments, y compris : • l’influence des salons littéraires • le moteur de la production créative de l’écrivain- • les sources d’inspiration • le patronage littéraire • le pouvoir politique- • l’écrivain comme critique de son propre œuvre • les querelles littéraires Anne E. Duggan nous présente une étude sur Marie-Catherine Le Jumel de Barneville, baronne d’Aulnoy (c. 1651-1705), l’un des écrivains à l’origine du genre littéraire écrit du conte de fées, terme dont elle fut l’inventrice 3 . Les contes merveilleux de d’Aulnoy surpassent en nombre ceux de Charles Perrault, peut-être le plus connu des formalisateurs du genre. Salonnière, d’Aulnoy raconta oralement ses histoires, caractérisées par l’allégorie et par la satire, avant de les publier. Duggan démontre le grand impact des œuvres de d’Aulnoy sur le conte de fées en Europe, notamment en Allemagne. Perry Gethner étudie les pièces de théâtre de Pierre Du Ryer (c. 1606-1658), explorant la relation possible entre le choix des sujets subversifs de ce drama‐ turge prolifique et le soutient de ses mécènes. En se concentrant sur le rôle du courtisan intrigant, Gethner théorise que Du Ryer n’aurait pas exploité ce thème sans l’encouragement des protecteurs tel que César de Bourbon, duc de Vendôme, fils légitimé du roi Henri IV. Bien que Du Ryer démontre la fragilité de la monarchie dans ses pièces, son soutien à cette institution ne peut être remis en question. Marcella Leopizzi nous présente une étude sur Molière (1622-1673), explorant le thème de l’écrivain comme critique de son propre œuvre. La querelle suscitée par la comédie L’École des femmes donna au dramaturge l’occasion de participer au débat en créant deux autres comédies : La Critique de l’École des femmes et L’Impromptu de Versailles . Leopizzi examine ces deux pièces dans le contexte de l’abondante production de Molière. Ioana Manea examine l’œuvre prolifique de Gabriel Naudé (1600-1653), théoricien d’une bibliothèque systématiquement organisée, partisan de la raison 6 Bernard J. Bourque Œuvres & Critiques, XLVIII, 1 DOI 10.24053/ OeC-2023-0001 4 Paul Ginisty, Anthologie du journalisme du 17 e siècle à nos jours , Paris, Delagrave, 1920, p.-3. 5 Sara Harvey, « “L’Impartialité sera le premier de nos devoirs” : le critique journalistique dans les périodiques mondains (1650-1671) », Mémoires du livre , XII, 1 (2021) : 1-33, p. 4. Accessible à-: https: / / doi.org/ 10.7202/ 1077803ar. Accédé le 10 juin 2022. d’État et polymathe. En plus du traité sur la bibliothèque docte et universelle de Naudé, Manea se concentre sur les ouvrages qui démontrent l’opposition de l’écrivain aux écrits d’occultisme et aux libelles contre les représentants du pouvoir. Connu surtout pour l’organisation et le développement de la bibliothèque Mazarine, Naudé souligna l’importance d’une réflexion critique nécessaire à l’exercice du pouvoir sur l’homme et sur la nature. Manea établit un lien entre les passions de l’écrivain et l’abondance de ses ouvrages. L’article que nous présentons examine la vie et les œuvres de François Hédelin, abbé d’Augignac. Critique et théoricien dramatique, dramaturge, ro‐ mancier et auteur de traités, d’essais et de dissertations, l’abbé fut motivé par la soif de pouvoir et d’avancement. L’article fait l’étude de la plume ambitieuse, vindicative et résiliente de l’auteur. Parmi les nombreux écrivains du Grand Siècle qui auraient pu être traités dans ce volume, citons Thomas Corneille (1625-1709), Madame de Maintenon (1635-1719), Madeleine de Scudéry (1607-1701) et Jean Loret (c. 1659-1665), auteurs qui viennent immédiatement à l’esprit quand on parle d’une production littéraire abondante. Thomas Corneille, dramaturge et frère cadet du Grand Corneille, est l’auteur d’une quarantaine de pièces de théâtre. Il s’appliqua à tous les genres théâtraux, composant 43 pièces de théâtre en l’espace de 45 ans. Madame de Maintenon (née Françoise d’Aubigné), souvent appelée l’épouse secrète de Louis XIV, est l’auteur d’une abondante correspondance et des écrits pédagogiques. Madeleine de Scudéry, l’une des principales représentantes de la préciosité, est l’auteur de longs romans à clef (y compris le plus long roman de la littérature française), des Conversations et des discours. Jean Loret, souvent appelé le « père du journalisme 4 » est connu surtout pour La Muse historique , publication hebdomadaire en vers appelée vulgairement « la gazette burlesque 5 », dans laquelle le poète commenta les nouvelles de la société parisienne de son époque à partir du 12 mai 1650 jusqu’au 28 mars 1665. Loret fut le créateur et le seul rédacteur de ce recueil : 750 lettres en vers en 15 ans. Les forces motrices de la production féconde de ces quatre écrivains, ainsi que d’autres auteurs prolifiques du dix-septième siècle non traités dans ce volume, seraient un sujet d’étude fascinant. * * * Avant-propos 7 Œuvres & Critiques, XLVIII, 1 DOI 10.24053/ OeC-2023-0001 La nature prolifique des neufs écrivains mentionnés ci-dessus est d’autant plus impressionnante que les auteurs n’étaient pas ermites. Ils avaient une vie sociale bien remplie, participant à des salons littéraires et à d’autres rassemblements sociaux et intellectuels. Quatre de ces écrivains—d’Aulnoy, Du Ryer, Naudé et Molière—n’étaient qu’au début de la cinquantaine lorsqu’ils décédèrent, ce qui signifie qu’ils produisirent un grand nombre d’œuvres dans un laps de temps relativement court. Quant aux cinq autres auteurs—Loret, Corneille, Maintenon, Scudéry et d’Aubignac—qui avaient une plus longue durée de vie, leur production abondante fait preuve d’une dévotion sans faille à leurs écrits. La force motrice de la production créative varie d’un auteur à l’autre. Le dénominateur commun entre ces écrivains est la volonté persistante de produire des œuvres et de continuer à les produire. Bibliographie - I. Sources Aubignac, François Hédelin, abbé d’, Pièces en prose , éd. Bernard J. Bourque, Tübingen, Narr, 2012. — La Pratique du théâtre , éd. Hélène Baby, Paris, Champion, 2001-; réimpr. 2011. Aulnoy, Marie-Catherine d’, Les Contes des Fées , 4 volumes, Paris, Barbin, 1698. — Contes nouveaux ou Les Fées à la mode , 4 volumes, Paris, Girard,-1698. Corneille, Thomas, Théâtre complet , sous la direction de Christopher Gossip, 6 volumes, Paris, Classiques Garnier, 2015-2021. Dictionnaire de l’Académie française , 9 e édition, Paris, Imprimerie nationale/ Fayard, 2011, t. III. Du Ryer, Pierre, Théâtre complet , sous la direction d’Hélène Baby, 3 volumes, Paris, Classiques Garnier, 2018-2022. Loret, Jean, La Muse historique (1650-1655), 4 volumes, Paris, Jannet/ Daffis/ Champion, 1857-1891. Madame de Maintenon, Lettres de Madame de Maintenon , 7 volumes, publiées par Hans Gots, Eugène Bots-Estourgie et Marcel Loyau, Paris, Champion, 2009-2013. Molière, Œuvres complètes , éd. Georges Forestier et Claude Bourqui, 2 volumes, Paris, Gallimard, 2010. Naudé, Gabriel, Advis pour dresser une bibliothèque (1627), Paris, Klincksieck,-1994. Scudéry, Madeleine de, Conversations sur divers sujets , 2 volumes, Paris, Barbin, 1680. — Conversations nouvelles sur divers sujets , 2 volumes, Paris, Barbin, 1684. 8 Bernard J. Bourque Œuvres & Critiques, XLVIII, 1 DOI 10.24053/ OeC-2023-0001 II. Études Arnaud, Charles, Les Théories dramatiques au XVII e siècle-: étude sur la vie et les œuvres de l’abbé d’Aubignac , Paris, Picard, 1888-; réimpr. Genève, Slatkine, 1970. Forestier, Georges et Bourqui, Claude, « Comment Molière inventa la querelle de L’École des femmes… », Littératures classiques , LXXXI, 2 (2013), p.-185-197. Gaines, James F., Pierre Du Ryer and his tragedies : from envy to liberation , Genève, Droz, 1988. Ginisty, Paul, Anthologie du journalisme du 17 e siècle à nos jours , Paris, Delagrave, 1920. Harvey, Sara, « “L’Impartialité sera le premier de nos devoirs” : le critique journalistique dans les périodiques mondains (1650-1671) », Mémoires du livre , XII, 1 (2021), p. 1-33. Accessible à : https: / / doi.org/ 10.7202/ 1077803ar. Le Chevalier, Gaël , La Pratique du spectateur. La médiation des regards dans le théâtre de Thomas Corneille, -Paris, Classiques Garnier, 2017. Niderst,-Alain, Madeleine de Scudéry, Paul Pellisson et leur monde , Paris, Presses univer‐ sitaires de France, 1976. — Autour de Françoise d’Aubigné, marquise de Maintenon : actes des Journées de Niort, 23-25 mai 1996 , sous la direction de Alain Niderst, Paris, Champion, 1999. Schino, Anna Lisa, Batailles libertines : La vie et l’œuvre de Gabriel Naudé , Paris, Cham‐ pion, 2020. Thirouin, Laurent, «-Les Dévots contre le théâtre, ou de quelques simplifications fâcheuses-», Littératures classiques , XXXIX (2000), p.-105-121. Zipes, Jack, The Great Fairy Tale Tradition. From Straparola and Basile to the Brothers Grimm , New York, W. W. Norton & Company, 2001. Avant-propos 9 Œuvres & Critiques, XLVIII, 1 DOI 10.24053/ OeC-2023-0001