Oeuvres et Critiques
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0338-1900
2941-0851
Narr Verlag Tübingen
10.24053/OeC-2023-0015
111
2023
482
Les paysages d’ne âme : introduction à la poésie d’Alain-Fournier
111
2023
Pierre-Éloi Moreau
Philippe Richard
oec4820133
1 Jacques Rivière, « Alain-Fournier » [introduction à Miracles , Paris, Gallimard, 1924] ; Alain-Fournier, Le Grand Meaulnes. Miracles , Paris, Classiques Garnier, 1986, p. 15 et 24-25. Les paysages d’une âme-: introduction à la poésie d’Alain-Fournier Pierre-Éloi Moreau et Philippe Richard À trop juger l’inédit d’après ce qui a déjà été écrit, on peut rapidement négliger ce qui entendait pourtant se montrer. Lorsque Jacques Rivière préface en ce sens Miracles , publié en 1924, pour inscrire l’œuvre dans le sillage cardinal du Grand Meaulnes , paru en 1913, il oriente ainsi toutes les lectures ultérieures d’Alain-Fournier en les inscrivant sous l’unique principe de la déclinaison. Le texte poétique ne serait alors que le prolongement d’une rêverie déjà composée en prose - « c’était là l’exercice d’un conteur, et non d’un poète » - et la forme nouvelle ne serait encore que la reprise d’un travail déjà réalisé en amont - «-le vers libre y était adopté […] comme un moyen de suivre exactement les phrases d’un récit-». Le critique refuse en somme que son ami puisse passer de la prose à la poésie, comme si toute évolution esthétique non prévue ne pouvait être qu’une bévue. On devine par ailleurs avec embarras que l’incompréhension de Rivière naît d’une opinion préconçue de l’activité poétique, censée n’être que révolution rimbaldienne et sûrement pas langueur verlainienne - «-il n’est pas directement poète, sa vision n’est pas assez subversive ; elle ne brouille pas assez les choses ; il n’entre pas assez de sens-dessus-dessous dans ce qu’il a regardé ». Ainsi se trouve condamné tout épanouissement autonome de Miracles loin des rives du Grand Meaulnes , comme se trouve souvent négligée une part originale de l’œuvre d’un auteur au profit d’une parcelle canonique de ses textes non seulement conforme à l’attente des lecteurs mais encore identique à l’invention des commencements. Mais la poésie n’est-elle pas fondamentalement ce rythme que la préface reconnaît pourtant aussi au travail d’Alain-Fournier - «-il a une façon propre d’ébranler les paysages et les êtres selon une certaine pulsation comme amoureuse de son cœur 1 -» ? Il y aurait dès lors une cadence propre au recueil de 1924 qui nous permettrait de lire ses poèmes comme une musique Œuvres & Critiques, XLVIII, 2 DOI 10.24053/ OeC-2023-0015 2 Edmond Pilon, La Revue universelle , 15 juillet 1924, p.-237. 3 Alain-Fournier, « À travers les étés…-», Miracles , op. cit. , p.-70. 4 Alain-Fournier, Le Grand Meaulnes (III, 10), op. cit. , p.-344. (autonome) du présent et non comme une esquisse (référentielle) de l’avenir. Edmond Pilon entrevoyait lui-même cette possibilité, quoiqu’il ne fût guère suivi par la critique universitaire, lorsqu’il reconnaissait avec discrétion ce fait notable : « on découvre à ces écrits un caractère de pureté, d’effusion intérieure, qui fait d’eux autant de petits tableaux primitifs et simples 2 -». Une poésie aux allures de fragments Ample et régulier dans Le Grand Meaulnes , le rythme de la phrase est convulsif et déstructuré dans Miracles , au point que l’on voit assez mal comment le texte poétique pourrait réitérer le texte romanesque, ainsi que le pense Jacques Rivière. Avec ses fréquentes suspensions et ses lacunes référentielles, « À travers les étés… » offre justement à son lecteur un ton spécifique, certes attentif à un lieu rêvé, comme dans la prose de notre écrivain, mais tout orienté par un frémissement indicible, comme dans la voix de Francis Jammes : « Attendue / À travers les étés qui s’ennuient dans les cours / en silence / et qui pleurent d’ennui, / Sous le soleil ancien de mes après-midi / Lourds de silence / solitaires et rêveurs d’amour / / d’amour sous des glycines, à l’ombre, dans la cour / de quelque maison calme et perdue sous les branches… 3 ». Suspendu en sa marche, le regard poétique espère on ne sait quoi, accablé par une saison personnifiée qui incarne le silence ou le suscite autour d’elle ; en se souvenant d’une douloureuse absence de sentiment (soulignée par les reprises lancinantes d’« ennui » et de « silence ») mais en espérant une suave élancée de l’attachement (la quête d’un épicentre incarné est souligné par la réduplication du terme «-amour-»), il exprime un secret désir en un rebond sonore continu chargé de dire un frisson de passion au sein même d’une quiétude atone (« attendue - à travers - solitaires », « s’ennuient - en silence - sous le soleil ancien », « pleurent - lourds - perdue - branches », « ennui - après-midi - glycines », « cour - quelque - calme »). Or la progression par l’assonance, repère essentiel et tracé sûr dans l’avancée d’un texte énigmatique, est bien ce ton propre à l’énoncé du poème que ne mobilisait pas le genre du roman (« Ce fut par une soirée d’avril désolée comme une fin d’automne. Depuis près d’un mois nous vivions dans un doux printemps prématuré… 4 »). Le récit dramatique n’est donc pas l’unique penchant de l’écrivain - la liaison « rêveurs d’amour / / d’amour sous des glycines » se rapprochant bien d’une autre liaison énoncée dans « Sous ce tiède restant » (« Personne au village / ne sait, personne » ou « Puisqu’il y a toujours des 134 Pierre-Éloi Moreau et Philippe Richard Œuvres & Critiques, XLVIII, 2 DOI 10.24053/ OeC-2023-0015 5 Alain-Fournier, « Sous ce tiède restant…-», Miracles , op. cit. , p.-77. 6 Walter Jöhr, Alain-Fournier, le paysage d’une âme , Neuchâtel, La Baconnière, coll. «-Langages-», 1972, p.-158. 7 Alain-Fournier, « Chant de route-», Miracles , op. cit. , p.-73-75. histoires à dire / sur des bancs / des histoires anciennes de son jeune temps ») 5 . La poésie d’Alain-Fournier, qui eut la faveur de Charles Péguy, en raison sans doute du tissage de ses sonorités, est en somme une poétique de l’expectative et du frémissement-: Le propre de la beauté qu’Alain-Fournier nous propose est de ne pas nous combler, de ne pas même nous satisfaire. Il tend au contraire à produire en nous un étrange serrement de cœur, cette inquiétude, cette ‘légère angoisse’ qu’il devait lui-même éprouver si souvent. Tous les paysages et tous les objets qu’il évoque sont saturés de regrets ou de désirs 6 . Une poésie aux allures de litanies Linéaire et détaillé dans Le Grand Meaulnes , l’accent de la phrase est litanique et estompé dans Miracles , au point que l’on voit mal, ici encore, comment le verbe poétique pourrait calquer le verbe romanesque, ainsi que le pense Jacques Rivière. Avec ses énallages et ses reprises, « Chant de route » offre précisément à son lecteur une exaltation singulière, certes passionnée par le cheminement, comme dans la prose de notre écrivain, mais fort estampée par la mélancolie, comme dans le timbre d’Émile Verhaeren : « Nous avons eu la fièvre / de tes marais. / […] / / Nous avons pris les harnais / pour nous en faire / des souliers. / Nous sommes repartis, à pied dans tes genêts / qui font saigner les pieds / et nos pieds ont saigné, / et nos pieds ont séché / dans ta poussière / […] / / Nous n’atteindrons jamais les villes des merveilles / qui ne sont que des noms / qui sonnent, / les noms des villes qui sont mortes au soleil. / / Mais nous, nous voulons vivre au Soleil, / de tes cieux […]. / / nous avons eu la fièvre » 7 . Éperdu en sa marche, le regard poétique fixe des vertiges, saisi par un climat hostile qui nimbe un décor de désert ou évide un cœur de pèlerin ; en épousant un ton mythique (on ne sait qui est « tu ») mais en acceptant la violence effective (on veut vivre au « soleil » tout en sachant que ce dernier a tué les « villes »), il exprime une peur vibrante en un tissage sémantique continu chargé de dire un frisson d’effarement au sein même d’un tableau viril (anaphore «-nous avons eu la fièvre-», condensation «-de tes marais---des souliers---dans ta poussière---qui sonnent---de tes cieux-», homéotéleute «-marais---harnais-- genêts - jamais » ou « atteindrons - sont - noms - noms - sont - voulons », Les paysages d’une âme-: introduction à la poésie d’Alain-Fournier 135 Œuvres & Critiques, XLVIII, 2 DOI 10.24053/ OeC-2023-0015 allitération « villes - merveilles - villes - voulons - vivre »). Or la peinture par percussion, instrument adéquat et œuvre efficace dans l’affirmation d’un style fantastique, est bien ce ton propre à l’énoncé du poème que ne mobilisait pas le genre du roman (« La seule joie que m’eût laissée le grand Meaulnes, je sentais bien qu’il était revenu pour me la prendre. Et déjà je l’imaginais, la nuit, enveloppant sa fille dans un manteau, et partant avec elle pour de nouvelles aventures 8 -»). Le doux rêve n’est donc pas l’unique lieu de l’écrivain - le vers « et nos pieds ont saigné » se rapprochant bien d’un autre vers inscrit dans « Adolescents » (« Nous marchons vers la Mort dans le sang de nos pieds 9 »). La poésie d’Alain-Fournier, dont on peut goûter les heurts et les saillies, parce qu’elle exprime la nostalgie de la perte, est en somme une poétique de l’expérience du monde et du désir de l’au-delà-: Pour Fournier la poésie était doublement enracinée dans le terrestre : par sa condition même, qui est de ne se révéler qu’à celui qui est assez de la terre pour connaître la signification profonde des choses d’ici, et par sa fin dernière qui est d’élever l’être assez haut pour que la merveille, soudain, ‘ait lieu’ en ce monde. […] Il est un ‘exilé’, mais qui parvient à trouver beau le lieu de son exil et à comprendre que la féérie est cachée dans les choses, non pas réfugiée en quelque espace tout imaginaire 10 . Une poésie aux allures de promesses Marqué par la distance et la réserve dans Le Grand Meaulnes , le toucher des êtres est caractérisé par le voisinage et la clémence dans Miracles , au point que l’on voit toujours mal comment l’œuvre poétique pourrait rejouer l’œuvre romanesque, ainsi que le pense Jacques Rivière. Avec ses images concrètes et ses espoirs intérieurs, « Sur ce grand chemin » offre exactement à son lecteur un contraste insigne, certes attentif aux ambiguïtés humaines, comme dans la prose de notre écrivain, mais surtout marqué par un destin fatal, comme dans le ton de Stuart Merrill : « Nous irons si longtemps, si longtemps par la plaine / qu’à la fin… à la fin, exténuée, hors d’haleine / et le cœur gros, tu ne pourras plus faire un pas. / Alors, c’est moi, soudain, qui porterai ta peine, / ta peine reposée et bercée à mon pas, / qui sera presque du bonheur, puisqu’il faudra / que je te prenne dans mes bras 11 ». Rompu en sa marche, le regard poétique aspire 136 Pierre-Éloi Moreau et Philippe Richard 8 Alain-Fournier, Le Grand Meaulnes («-épilogue-»), op. cit. , p.-381. 9 Alain-Fournier, « Adolescents », Miracles , op. cit. , p.-61. 10 Albert Béguin, Poésie de la présence. De Chrétien de Troyes à Pierre Emmanuel , Neuchâtel, La Baconnière, coll. «-Cahiers du Rhône-», 1957, p.-190-191. 11 Alain-Fournier, « Sur ce grand chemin », Miracles , op. cit. , p.-67. Œuvres & Critiques, XLVIII, 2 DOI 10.24053/ OeC-2023-0015 à l’enlacement, épuisé par une atmosphère qui arrête le pas tout en poussant à l’abandon de soi ; en multipliant les images concrètes (liées à la fatigue - « exténuée, hors d’haleine ») mais en conviant aussi le plan symbolique (associé à la consolation - « ta peine reposée et bercée à mon pas »), il exprime un appel à l’union en un effet de sourdine chargé de dire un frisson d’affectivité au sein même d’une situation commune (à un épuisement physique et moral - «-hors d’haleine et le cœur gros-» - correspond un port physique - «-dans mes bras-» - au poids moral - « porterai ta peine » - dans l’orbe de l’immédiateté d’un désir - « soudain »). Or la progression par zeugme, nettement visible dans la valeur causale du coordonnant situé à la césure d’un alexandrin régulier (« ta peine reposée et bercée à mon pas »), est bien cet essor impérieux (« il faudra ») qui régit l’échange humain (épanoui dans la chute que souligne ici le passage de l’alexandrin à l’octosyllabe, comme si le vers retenait son souffle au moment de livrer son enseignement cardinal : « que je te prenne dans mes bras ») et compose ce ton propre à l’énoncé du poème que ne mobilisait pas le genre du roman (« On eût dit qu’elle redoutait ce que Meaulnes allait dire et s’en effarouchait à l’avance. Elle était auprès de lui toute frémissante, comme une hirondelle un instant posée à terre et qui déjà tremble du désir de reprendre son vol. ‘À quoi bon ? À quoi bon ? ’ répondait-elle doucement aux projets que faisait Meaulnes 12 »). La distance onirique n’est donc pas l’unique idée de l’écrivain - le vers « ta peine reposée et bercée à mon pas » se rapprochant bien d’un autre trait présent dans « La femme empoisonnée » (« Soldats, nous l’avons encore rencontrée, quand nous cherchions la Très-aimée 13 -»). La poésie d’Alain-Fournier, qui se saisit de toute la vie humaine en ses tristesses comme en ses attentes, parce qu’elle ne néglige aucune de ses dimensions contradictoires, est en somme une poétique de la parole performative célébrant l’existence incarnée-: La tentation d’Alain-Fournier, c’était celle du poème en prose, ou bien du conte symboliste, où les actions sont des gestes , où il n’y a pas de péripéties mais une cérémonie . Au sein de la réalité la plus familière, il faisait sa part au ‘rêve’, à cet ‘autre monde’, à cette surréalité qu’il trouvait le moyen de justifier du point de vue de la psychologie 14 . Les paysages d’une âme-: introduction à la poésie d’Alain-Fournier 137 12 Alain-Fournier, Le Grand Meaulnes (I, 15), op. cit. , p.-225-226. 13 Alain-Fournier, « La Femme empoisonnée », Miracles , op. cit. , p.-100. 14 Michel Raimond, La Crise du roman. Des lendemains du naturalisme aux années vingt , Paris, Corti, 1966, p.-218 et 223. Œuvres & Critiques, XLVIII, 2 DOI 10.24053/ OeC-2023-0015 Ainsi laisserons-nous enfin le lecteur découvrir la singularité de Miracles en écoutant avec lui quelques textes oubliés où dansent la beauté de la langue et l’intensité de l’existence. « … On a dansé jusqu’au froid / avec ‘la belle que voilà’… / / Encore un tour avant la nuit - / Un tour, avant d’avoir grandi - / Un tour, et nous irons dormir ! - / Au dernier - sous les marroniers - / Au dernier tour… on a tourné. / … on a tourné jusqu’à mourir-! -/ / … on a tourné jusqu’à mourir…-» («-Ronde-», p.-69 [ sic ]) « Ho ! … Mon cœur a perdu le reste de la bande ! … / Mon cœur est froid de lune et tout seul dans la lande ! … / Qui donc va m’enseigner la route du Matin ? / / Qui donc viendrait porteur de toile et de lavande ? / / Les charrettes, ce soir, en grelots aux chemins, / en fanaux cahotés, sont partis par la lande. / … Il ne passera plus de bon Samaritain-» («-Adolescents-», p.-61) « C’était l’extrême horreur et l’extrême douceur ; comme pour celui-là qui s’en va, l’hiver, par les sentiers perdus, chercher la Grande-jeune-femme-très-aimée, et qui la trouve enfin, mais morte dans les neiges, étendue sur un accotement. […] Et il dit : c’est ainsi que, par les chemins perdus et parmi les hommes perdus, ô ma perdue, sous cette pèlerine de pauvresse, tu es venue vers moi ! » (« La femme empoisonnée », p.-101) 138 Pierre-Éloi Moreau et Philippe Richard Œuvres & Critiques, XLVIII, 2 DOI 10.24053/ OeC-2023-0015 TRISTESSES D’ÉTÉ -------------------------------------------Dimanche……. Les rideaux sont fermés, aux carrefours déserts… Fraîches, Elles ont quitté le rouet et la porte Pour la fraîcheur et la gaieté des lointains verts… …Quelque part, un piano sanglote… Et ce matin, pourtant, parce que c’était l’Été, on avait cru les voir sourire en robe blanche-; Et pourtant, ce matin, les cloches ont chanté parce que c’était Dimanche… Désespoirs ensoleillés d’après-midis déserts, Poussière… silence… et rayons des gaietés mortes, Jours de rideaux baissés, tristes comme des hivers-! .. .. Et, pleureuses venues.. et lasses.., des notes Qu’un piano,.. quelque part.., d’oubliée, sanglote… Août 1904 SUR CE GRAND CHEMIN «-Je suis plus près de toi dans l’obscurité-» ( Pelléas et Mélisande , Acte IV, sc. 3) Sur ce Grand Chemin gris où nous ont amenés deux sentiers de traverse, nous voilà pris tous deux par l’orage et l’averse et la nuit. Pas d’abris en vue. Il va falloir marcher par les ornières en guettant aux détours les premières lumières lointaines d’un pays… Il va falloir marcher en se donnant la main - Voyageurs des mois gris, perdus aux grands chemins devant soi, par la nuit…* Nous ne pourrons pas lire aux bornes des chemins, nous ne pourrons pas lire à cause de la nuit, de la nuit sans étoile, à cause de la pluie. * Les paysages d’une âme-: introduction à la poésie d’Alain-Fournier 139 Œuvres & Critiques, XLVIII, 2 DOI 10.24053/ OeC-2023-0015 Et pourtant nous irons, aveugles et confiants et contents de la route et contents de la vie, comme si nous étions deux tout petits enfants sur le chemin du bourg, sous un grand parapluie. […] * … Nous irons si longtemps, si longtemps par la plaine qu’à la fin… à la fin, exténuée, hors d’haleine et le cœur gros, tu ne pourras plus faire un pas. - Alors, c’est moi, soudain, qui porterai ta peine, ta peine reposée et bercée à mon pas, qui sera presque du bonheur, puisqu’il faudra que je te prenne dans mes bras.. […] Et dans la toile rude à l’odeur de campagne où nous reposerons nos membres douloureux en rêvant au bonheur tranquille des campagnes, en parlant de la nuit et des chemins peureux, - ta chair sera si douce et tiède et parfumée, ta douce chair d’amour, ta chair de bien-aimée, ta chair où l’on s’endort, ta chair consolatrice, qu’elle sera pareille aux linges des églises, délicats et divins, linges de soie et d’or, que l’on met soigneusement autour des calices, pour que le sang de ceux «-tristes jusqu’à la mort-», qui font l’étape, un soir, seuls avec une croix, en laissant sur la route, où, silencieux, ils passent, un peu de pauvre sang que les femmes ramassent, - pour que ce sang précieux, dans les calices froids, coulé des pieds, les soirs, coulé des faces lasses - pour que ce sang des Christs ait moins mal et moins froid. 140 Pierre-Éloi Moreau et Philippe Richard Œuvres & Critiques, XLVIII, 2 DOI 10.24053/ OeC-2023-0015
