eJournals Oeuvres et Critiques 49/1

Oeuvres et Critiques
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0338-1900
2941-0851
Narr Verlag Tübingen
10.24053/OeC-2024-0002
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2024
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Escompte, temps long et multiples figures du moi. Économie de l’environnement : le rôle de la littérature

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2024
Elyès Jouini
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1 Voltaire, Candide ou L’optimisme , ouverture du Chapitre premier. Escompte, temps long et multiples figures du moi. Économie de l’environnement-: le rôle de la littérature Elyès Jouini Paris Dauphine, Institut universitaire de France L’objet de cette introduction n’est pas d’explorer toutes les évolutions du moi dans la littérature mais d’illustrer les débuts de l’usage de la multiplicité du moi en lien avec l’altérité, la temporalité et l’environnement. Comme le mentionnent Macías et Núñez (2011) tout en ne manquant pas d’évoquer de nombreuses exceptions, le moi a traditionnellement été considéré comme une entité qui préexiste à nos interactions sociales et indépendante de notre propre perception, comme une dimension interne de l’individu plutôt que comme une caractéristique interactive. Le moi est l’essence, la marque de l’individu, c’est-à-dire ce qui reste stable à long terme, qui rend l’individu reconnaissable et prévisible et lui permet de participer à la société. Selon Bauman (1998), cette stabilité dans le temps faisait écho aux besoins de la révolution industrielle, besoins d’individus stables et tendus vers un idéal de progrès sur le temps long. Le roman d’apprentissage illustre parfaitement cette conception d’un héros à l’identité interne stable qui, au cours de diverses aventures, se trouve confronté à de multiples influences extérieures, les assimile, et ce faisant, se construit une identité sociale comme une enveloppe supplémen‐ taire autour d’un noyau inchangé. C’est ce que donne à voir Voltaire dans Candide- : « sa physionomie annonçait son âme. Il avait le jugement assez droit, avec l’esprit le plus simple ; c’est je crois, pour cette raison qu’on le nommait Candide 1 ». C’est cette âme, ce jugement et cet esprit que Candide va promener, de par les routes, jusqu’à la métairie finale. De ses aventures, il tire des leçons de vie mais non une identité nouvelle. Cette unicité du moi est également illustrée par Les Confessions de Rousseau 2 et la métaphore du moule évoque bien l’antériorité du moi et sa permanence-: Œuvres & Critiques, XLIX, 1 DOI 10.24053/ OeC-2024-0002 2 Rousseau, Les confessions , ouverture du Livre I. 3 Alfred de Musset, Lorenzaccio , Acte IV, scène 3, « Lorsque je parcourais les rues de Florence, avec mon fantôme à mes côtés. » 4 Ibid. , Acte IV, scène 3. 5 Victor Hugo, Les Contemplations , Préface. Je forme une entreprise qui n’eut jamais d’exemple et dont l’exécution n’aura point d’imitateur. Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature ; et cet homme ce sera moi. Moi seul. Je sens mon cœur et je connais les hommes. Je ne suis fait comme aucun de ceux que j’ai vus ; j’ose croire n’être fait comme aucun de ceux qui existent. Si je ne vaux pas mieux, au moins je suis autre. Si la nature a bien ou mal fait de briser le moule dans lequel elle m’a jeté, c’est ce dont on ne peut juger qu’après m’avoir lu. La révolution romantique systématise la mise en scène de la multiplicité du moi, car c’est au travers des sentiments et impressions de l’individu et de leurs variations, que sont perçus son environnement social ainsi que ses rapports avec la nature et le divin. L’exploration des diverses facettes de l’identité humaine reflète alors la complexité et la profondeur des personnages ou des situations. C’est ainsi que Raskolnikov dans Crime et Châtiment oscille entre culpabilité, fierté, désespoir et rédemption, révélant ainsi différentes couches de son identité et, par là, sa complexité psychologique intense. L’illustration archétypale de cette multiplicité est le thème du double, tels Dorian Gray et son portrait, dans le roman de Wilde. Ce double qui parcourt les rues de Florence 3 aux côtés de Lorenzo de Médicis dans Lorenzaccio de Musset, et illustre sa déchéance progressive : « Quand je pense que j’ai aimé les fleurs, les prairies et les sonnets de Pétrarque, le spectre de ma jeunesse se lève devant moi en frissonnant 4 .-» La multiplicité est alors au service de la temporalité. C’est la conscience de soi qui constitue alors, selon Kant, la synthèse entre toutes les représentations du moi et l’unité de l’individu. Et la dissociation complète entre ces représentations relève alors de la pathologie psychique comme dans Le Horla de Maupassant, ou dans L’Étrange cas du Docteur Jekyll et M.-Hyde , de Stevenson. C’est avec Victor Hugo et Les Contemplations , que le moi affirme sa prétention à l’universalité : « Quand je vous parle de moi , je vous parle de vous . Comment ne le sentez-vous pas ? Ah ! Insensé qui crois que je ne suis pas toi 5 . » Une universalité en communion avec l’ensemble des lecteurs, premier pas vers une conscience de l’altérité même si c’est une altérité encore centrée sur soi, le moi devenant également une représentation de l’autre. Une universalité également 16 Elyès Jouini Œuvres & Critiques, XLIX, 1 DOI 10.24053/ OeC-2024-0002 6 Ibid. , Livre troisième, «-Les luttes et les rêves-», poème XXIV, «-Aux arbres-». en communion avec la nature, le moi se fondant dans cette nature, prémices d’une conscience écologique 6 -: Vous le savez, la pierre où court un scarabée, Une humble goutte d’eau de fleur en fleur tombée, Un nuage, un oiseau, m’occupent tout un jour. La contemplation m’emplit le cœur d’amour. […] Feuilles qui tressaillez à la pointe des branches, Nids dont le vent au loin sème les plumes blanches, Clairières, vallons verts, déserts sombres et doux, Vous savez que je suis calme et pur comme vous. Comme au ciel vos parfums, mon culte à Dieu s’élance, Et je suis plein d’oubli comme vous de silence-! […] Quand je suis parmi vous, arbres de ces grands bois, Dans tout ce qui m’entoure et me cache à la fois, Dans votre solitude où je rentre en moi-même, Je sens quelqu’un de grand qui m’écoute et qui m’aime ! Les conceptions du moi ont continué à évoluer depuis le XIX e en lien avec les événements, les évolutions scientifiques et les avancées des sciences sociales. C’est ainsi que Lawrence Durrell introduit le concept de roman relativiste avec Le Quatuor d’Alexandrie , dont le titre fait notamment écho à la polyphonie - et c’est effectivement une œuvre à plusieurs voix - mais également aux quatre dimensions de la théorie de la relativité, cette relativité - au sens propre - étant illustrée à travers la multiplicité des regards portés sur une même réalité si tant est que cette dernière existe en dehors de ces regards. Plus récemment, La Chambre aux échos de Richard Powers marque l’irruption des neurosciences dans la littérature et dans l’appréhension d’un moi presque exclusivement biologique et en évolution permanente sous l’effet des plus faibles interactions : Ce moi que le moi décrit à lui-même, nul n’en est détenteur. Mensonge, déni, refoulement, confabulation : non pas des troubles mais une signature. Celle de la conscience s’efforçant de rester intacte […] L’eau change toujours mais la rivière demeure… Le moi était un tableau peint sur cette toile liquide. Une pensée envoie un potentiel d’action se propager le long d’un axone. Un peu de glutamate passe d’un corps cellulaire à un autre, trouve un récepteur sur une dendrite cible et déclenche un potentiel d’action dans la cellule d’arrivée […]. Des gènes entrent en action, qui fabriquent de nouvelles protéines, lesquelles remontent jusqu’à la synapse et la Escompte, temps long et multiples figures du moi. Économie de l’environnement 17 Œuvres & Critiques, XLIX, 1 DOI 10.24053/ OeC-2024-0002 reconfigurent. Et tout cela engendre un nouveau souvenir, ce canyon où coule la pensée. L’esprit surgit de la matière. Chaque éclat de lumière et de bruit, chaque coïncidence, chaque trajectoire aléatoire à travers l’espace, corrige le cerveau, modifie les synapses, et en ajoute même, tandis que d’autres faiblissent ou disparaissent, faute de sollicitations. Le cerveau est un ramassis de changements destinés à refléter le changement 7 . La perte de mémoire du héros, Mark, atteint du syndrome de Capgras, y fait écho à la mémoire spatiale immémoriale des grues, leurs migrations et rassemblements annuels. Un parallèle, tout au long de l’intrigue, entre le héros et les grues, en fait à la fois un neuro-roman et un roman écologique. Or c’est également vers les neurosciences que s’est tournée la théorie économique pour mieux modéliser les processus individuels de décision, créant ainsi, à la fin des années 90, la neuroéconomie qui a valu à Daniel Kahnemann puis à Richard Thaler, le prix de la Banque de Suède en mémoire d’Alfred Nobel, respectivement, en 2002 et en 2017. Et c’est sous la pression des impératifs écologiques et environnementaux qu’elle a été amenée à questionner sa prise en compte du temps long et à explorer les concepts d’équité intergénérationnelle. Mais pour mieux appréhender notre propos, revenons à la littérature. Ulysse et la tension entre les avatars du moi Dans l’ Odyssée d’Homère, Circé alerte Ulysse sur les dangers liés au chant des sirènes et sur l’attraction fatale qu’il engendre chez tous ceux qui l’entendent. Cette description ne fait qu’attiser le désir d’Ulysse d’écouter ce chant aux effets si puissants, mais son désir de ne pas céder à leur chant est tout aussi puissant : il entend bien poursuivre son odyssée jusqu’à Ithaque. Il sait enfin que cette volonté de résister aux sirènes qui est sienne aujourd’hui, ne le sera plus dès lors qu’il commencera à entendre ce chant et que son seul désir sera alors de les rejoindre. Sa volonté présente se retrouve ainsi en contradiction avec sa volonté future. Cette contradiction ne résulte pas d’événements inattendus qui pourraient survenir entre le présent et ce futur, elle ne constitue pas une surprise, elle est parfaitement anticipée voire attendue. C’est dès à présent qu’Ulysse est certain de cette tension entre ces deux volontés. Et c’est ainsi qu’il s’adresse à ses compagnons-: 18 Elyès Jouini 7 Richard Powers, La Chambre aux échos [2006], Éditions du Cherche-midi, 2008 en traduction française, p.-596. Œuvres & Critiques, XLIX, 1 DOI 10.24053/ OeC-2024-0002 8 Homère, Odyssée , traduction de 1935, chant XII, p.-179. [Circé] nous invite d’abord à nous garder des Sirènes charmeuses, […] attachez-moi par des liens serrés, pour que je reste immobile sur place, debout au pied du mât, et que des cordes m’y fixent. Si je vous prie et vous ordonne de me détacher, vous alors, serrez-moi davantage. […] À tous mes compagnons, tour à tour, je bouchai les oreilles. Eux, sur la nef, me lièrent tout ensemble mains et pieds ; j’étais debout au pied du mât auquel ils attachèrent les cordes, […] la nef qui bondissait sur les flots ne resta pas inaperçue des Sirènes-; car elle passait tout près, et elles entonnèrent un chant harmonieux. ‘Allons, viens ici, Ulysse, tant vanté, gloire illustre des Achéens ; arrête ton vaisseau, pour écouter notre voix. Jamais nul encore ne vint par ici sur un vaisseau noir, sans avoir entendu la voix aux doux sons qui sort de nos lèvres ; on s’en va charmé et plus savant ; car nous savons tout ce que dans la vaste Troade souffrirent Argiens et Troyens par la volonté des dieux, et nous savons aussi tout ce qui arrive sur la terre nourricière’. […] Et moi, j’aspirais à les entendre, et j’ordonnais à mes compagnons de me délier, par un mouvement des sourcils ; mais, penchés sur les avirons, ils ramaient ; […] m’attachaient de liens plus nombreux, et les serraient davantage 8 . Ainsi, la résolution du conflit entre désirs présents et futurs, passe-t-elle par un stratagème, par une restriction de la liberté future. En supprimant un choix potentiel pour le futur (rejoindre les sirènes), Ulysse rend ses décisions présentes (écouter leur chant et ne pas mourir noyé) compatibles avec ses décisions futures. Cette allégorie illustre parfaitement deux phénomènes propres à la décision intertemporelle et qui jouent un rôle majeur dans le cadre de décisions de long terme-: - les décisions prises aujourd’hui pour demain ne sont pas nécessairement compatibles avec celles qui seront optimales du point de vue de demain : que de résolutions ne se sont-elles pas heurtées au mur de la procrastination-! - contrairement à l’intuition, contraindre la décision ne réduit pas forcément le bien-être mais peut, au contraire, permettre de rétablir la cohérence entre les différents horizons temporels et les différentes étapes dans le cadre d’un processus graduel de décision. Prendre des décisions qui nous contraignent dans le futur, c’est œuvrer à établir une cohérence entre nos volontés présentes et futures. C’est également, en incluant le temps dans sa prise de décision, élargir l’univers des possibles, offrir des solutions nouvelles aux problèmes autrement insolubles, aux désirs inconciliables : écouter le chant des sirènes et ne pas y céder est impossible sauf Escompte, temps long et multiples figures du moi. Économie de l’environnement 19 Œuvres & Critiques, XLIX, 1 DOI 10.24053/ OeC-2024-0002 9 Francis Walder, Saint-Germain ou la négociation, p.-151. 10 Emmanuel Kant,- Anthropologie du point de vue pragmatique , Livre premier, chapitre 1. 11 « My yesterdays are disappearing, and my tomorrows are uncertain, so what do I live for? I live for each day, I live in the moment […] I will forget today, but that doesn’t mean that today didn’t matter.-». Lisa Genova, Still Alice , p.-188. si l’on a pris soin, au préalable, de se lier les mains… et les pieds au mât du bateau. « Quand vous ne trouvez pas, […] tournez-vous vers le temps. Il apporte la solution de tous les problèmes ». C’est en ces termes que Catherine de Médicis s’adresse à Henri de Malassise dans Saint-Germain ou la négociation   9 . À l’inverse, on est en droit de s’interroger quant au fondement éthique de cette contrainte : au nom de quoi, Ulysse s’autorise-t-il à interdire à celui qu’il sera lors de la rencontre avec les sirènes, de rejoindre ces dernières alors même que ce sera alors son vœu le plus cher ? Au nom de quoi, l’Ulysse d’aujourd’hui bridet-il l’Ulysse de demain ? On peut probablement avancer deux justifications. La première est pragmatique, au sens du pragmatisme philosophique, la décision d’Ulysse est juste du point de vue de ses conséquences puisqu’elle sauve ce dernier de la perdition. La seconde relève de l’unité de la conscience au sens de Kant, le droit d’agir sur l’être que Je serai demain résulte très précisément de ce Je qui est au cœur de la représentation de l’être humain, « par-là, il est une personne ; et grâce à l’unité de la conscience dans tous les changements qui peuvent lui survenir, il est une seule et même personne […] 10 .-» Considérer que celui que je serai est un autre, m’interdit d’agir sur lui à l’opposé de ses intérêts. À l’inverse, s’octroyer le droit d’agir sur lui et y compris de le contraindre, c’est affirmer l’unicité de la conscience. Et c’est au nom de la conscience de cette unicité que le personnage principal dans La Formule préférée du professeur de Yōko Ogawa, atteint d’une maladie qui limite sa mémoire à 80 minutes, s’écrit des messages à lui-même pour assurer la continuité et la communication entre ses différents moi. Il en est de même pour Alice Howland dans Still Alice de Lisa Genova, atteinte de la maladie d’Alzheimer, qui rétablit le lien entre ses différents moi en se filmant pour s’adresser au moi futur qui sera trop atteint par la maladie pour se souvenir d’un quelconque passé. Mais cette continuité de la conscience qui lui échappe progressivement n’en rend pas pour autant vaine la conscience de soi-: « mes jours d’hier disparaissent et mes lendemains sont incertains, alors pourquoi vivre ? Je vis chaque jour, je vis l’instant présent […] J’oublierai aujourd’hui, mais cela ne veut pas dire que ce jour n’a pas eu d’importance 11 ». Son moi est toujours multiple, différent à chaque instant, mais elle n’a progressivement plus la possibilité d’embrasser cette multiplicité. Or la décision pragmatique exige une conscience conjointe de l’unicité et de la multiplicité du moi. La décision d’Ulysse de se faire attacher au mât ne prend 20 Elyès Jouini Œuvres & Critiques, XLIX, 1 DOI 10.24053/ OeC-2024-0002 12 Mohamed-Salah Mzali, Au fil de ma vie , 1972, Éditions Hassan Mzali, p.-380. 13 Khalil Gibran, Le Prophète , p.-38. 14 Paul Verlaine, «-Mon rêve familier-», Poèmes saturniens , 1866. 15 Jean d’Ormesson, Histoire du juif errant , Gallimard, 1991, p.-113. 16 Ibid ., p.-204. 17 Ibid ., p.-295. son sens que par la conscience qu’il a de son moi futur dont les désirs seront différents de son moi présent. Ainsi donc, c’est dans cette tension entre l’un et le multiple que s’effectue la prise de décision intertemporelle. Et en un certain sens, cette tension s’étend à la décision intergénérationnelle-: Se renouvelant constamment, les cellules de ma peau ne sont pas celles d’il y a quelques années. Mais cela ne nuit en rien à la continuité de ma conscience personnelle, fidèle à elle-même depuis ma naissance […] Les peuples aussi passent, comme les individus. Le genre humain subsiste. Comme l’âme individuelle qui survit à la mutation des cellules, l’intelligence universelle se maintient à travers toutes les vicissitudes 12 . Les générations futures sont le prolongement de notre génération, le prolon‐ gement de nous-mêmes, et nous pouvons nous y identifier. Mais elles nous demeurent également différentes, l’environnement, le monde qui sera le leur nous est étranger, car « leurs âmes habitent la maison de demain, que vous ne pouvez visiter, pas même en rêve 13 -». C’est ce que nous donne à voir le mythe du Juif errant, personnage immortel qui erre à travers le monde, traverse les époques et les générations, apparaissant sous différentes personnalités, « qui n’est, chaque fois, ni tout à fait [le] même, ni tout à fait [un] autre 14 ». C’est à lui que Jean d’Ormesson fait théoriser la multiplicité des avatars temporels : « bien au-delà de l’alternance de nos faces manifestes et de nos faces cachées, on finit par se demander si ce ne sont pas des existences successives et en vérité différentes qui constituent notre vie 15 -». De même qu’il lui fait faire le constat de la difficulté de la décision sur le temps long-: «-l’espace est la forme de la puissance des hommes, le temps la forme de leur impuissance. 16 .-» Cette impuissance face au temps est, en quelque sorte, compensée par la connaissance-: Je traverse le monde, je l’admire, il m’amuse, il me fait pitié. Je ne sais pas où il va […] Sûrement pas vers la sagesse. Sûrement pas vers la beauté. Et pourtant vers la science et vers le savoir. Les plus ignares d’aujourd’hui en savent plus sur l’univers que les plus savants d’autrefois 17 . Escompte, temps long et multiples figures du moi. Économie de l’environnement 21 Œuvres & Critiques, XLIX, 1 DOI 10.24053/ OeC-2024-0002 18 Cf. supra. Or, paradoxalement, la connaissance elle-même n’est pas toujours au service de la coordination entre les différents moi ni de la décision optimale. Ulysse et l’ignorance stratégique Car l’allégorie d’Ulysse et les sirènes est également porteuse d’un autre message. Ce que les sirènes promettent à Ulysse, c’est justement la connaissance : « on s’en va charmé et plus savant ; car nous savons tout ce que dans la vaste Troade souffrirent Argiens et Troyens par la volonté des dieux, et nous savons aussi tout ce qui arrive sur la terre nourricière 18 -», lui disent-elles. En refusant de leur céder, Ulysse rejette l’accès au savoir promis. Est-ce parce qu’il se doute qu’il s’agit là d’un savoir frelaté, voire d’une fausse promesse pour l’attirer ? C’est là une explication plausible. Mais cela illustre également un biais communément observé dans la prise de décision : un individu peut préférer rester à l’écart des informations disponibles, craignant l’impact qu’un changement de croyance pourrait avoir sur son comportement. Se savoir, par exemple, partiellement prémuni contre un risque donné, peut conduire à des comportements excessivement risqués. Comme le montrent Carrillo et Mariotti (2000), l’ignorance volontaire peut être utilisée comme un dispositif d’autocontrôle empêchant l’individu de s’engager dans une action qu’il pourrait regretter par la suite. En matière de santé, ce type de comportement est illustré par ceux qui refusent de se tester pour une maladie donnée alors même que les tests existent, sont peu coûteux et que la personne concernée a une susceptibilité élevée de contracter cette maladie. Oster et al. (2013) montrent, dans le cadre de la maladie de Huntington, que les personnes à risque ont tendance à sous-estimer fortement leur risque propre d’être porteur de la maladie même lorsqu’elles connaissent le risque objectif d’en être porteur pour les personnes ayant des caractéristiques similaires aux leurs ; la proportion de personnes à risque choisissant de procéder à un test de dépistage est extrêmement faible ; et tant que ces personnes n’ont pas été diagnostiquées comme atteintes de la maladie, elles ont tendance à se comporter comme si ce risque n’existait pas. Ce refus de l’information peut être vu comme un moyen de réduire son niveau d’anxiété et il est certain que l’anxiété peut être mauvaise conseillère en matière de prise de décision. Mais l’absence d’information est également un handicap pour une prise de décision efficace. Les individus sont alors confrontés 22 Elyès Jouini Œuvres & Critiques, XLIX, 1 DOI 10.24053/ OeC-2024-0002 19 Codirectrice du programme de conseil génétique au Centre national de Recherche sur le Génome humain (NHGRI, US), New York Times Magazine , Sept 17, 1995. 20 La Fontaine, Fables , Livre V, fable 3. à un dilemme entre anxiété et information. Et les réponses apportées face à ce dilemme vont différer selon les individus. Comme l’a déclaré Barbara Biesecker 19 au New York Times : « Il y a essentiel‐ lement deux types de personnes. Il y a celles qui veulent savoir et celles qui évitent de savoir. Il y a des personnes qui, même si elles ne sont pas en mesure de modifier le cours de la maladie, trouvent l’information bénéfique. Plus elles en savent, plus leur niveau d’anxiété diminue. Mais il y en a d’autres qui s’en sortent en évitant l’information, qui préfèrent rester optimistes et pleines d’espoir et ne pas avoir de réponse à leurs questions.-» Carrillo et Mariotti (2000) montrent que l’ignorance peut avoir une valeur positive lorsque l’individu se comporte comme une succession d’incarnations aux objectifs non parfaitement alignés, voire contradictoires. On retrouve donc cette tension entre unicité et multiplicité du moi. Or risques de perdition, nécessité de prendre des décisions contraignantes et anxiété sont au cœur même de la crise environnementale à laquelle le monde fait face conduisant comme décrit ci-dessus à de l’éco-anxiété pour les uns et à un comportement d’autruche pour les autres. Il nous faut donc explorer plus avant l’économie de cette tension entre les avatars du moi. Économie de la décision intertemporelle individuelle L’économie cherche à modéliser les comportements collectifs et s’appuie pour cela sur une modélisation de la décision individuelle. Chaque individu est supposé effectuer les choix qui maximisent sa satisfaction, les économistes parlent d’utilité. Lorsque les choix sont intertemporels, l’individu va pondérer son utilité aux diverses dates de manière à mettre un poids plus élevé sur les implications immédiates et un poids moins élevé sur celles plus éloignées dans le temps. On parle alors d’escompte de l’utilité future et de facteur d’escompte et ce facteur reflète ce que l’on appelle la préférence pour le présent. L’adage populaire affirme qu’« un tiens, vaut mieux que deux tu l’auras ». Pour illustrer le concept de facteur d’escompte, si l’adage avait plutôt affirmé «-un tiens vaut deux tu l’auras » alors le facteur d’escompte aurait été de deux. La Fontaine reformule ou plutôt précise cet adage dans Le petit poisson et le pêcheur en écrivant « Un tiens vaut, ce dit-on, mieux que deux tu l’auras : L’un est sûr, l’autre ne l’est pas » 20 et, ce faisant, en propose une justification. C’est l’incertitude inhérente à toute promesse qui expliquerait la préférence pour le Escompte, temps long et multiples figures du moi. Économie de l’environnement 23 Œuvres & Critiques, XLIX, 1 DOI 10.24053/ OeC-2024-0002 21 John Rae, Statement of Some New Principles on the Subject of Political Economy, Exposing the Fallacies of the System of Free Trade and of Some Other Doctrines Maintained in the Wealth of Nations , Boston, Hilliard, Gray and Co, 1834, p.-120. 22 Voir, par exemple, la revue de littérature de Frederick et al. (2002). présent. Pourtant, même en l’absence d’incertitude, l’expérience montre que les individus préfèrent le plus souvent un gain immédiat à un gain reporté dans le temps, on parle de préférence pure pour le présent, parfaitement décrite par John Rae 21 -: Les plaisirs dont on peut jouir aujourd’hui éveillent généralement une passion qui incite fortement à y prendre part. La présence réelle de l’objet immédiat du désir dans l’esprit, en excitant l’attention, semble éveiller toutes les facultés, pour ainsi dire fixer leur vue sur lui, et les conduit à une conception très vive des plaisirs qu’il offre à leur possession instantanée. De nombreux travaux 22 montrent que le facteur d’escompte dépend des individus et du contexte mais qu’il est presque toujours strictement supérieur à 1 (préférence stricte pour le présent) et qu’il peut aisément être supérieur à 2 - comme dans l’adage - lorsque l’horizon temporel est d’un an (on compare des gains ou pertes immédiats avec des gains ou pertes dans un an). Pour illustrer le propos, considérons la situation où ce taux est égal à 2 pour un horizon temporel d’un an. Cela signifie que l’individu concerné est indifférent entre 50€ aujourd’hui et 100€ dans un an ou 200€ dans deux ans et ainsi de suite. Des enquêtes conduites sur une large population montrent que le taux moyen est supérieur à 2 car la plupart des personnes interrogées préféraient 50€ aujourd’hui (option 1) à 100€ dans un an (option 2). Pourtant ces mêmes personnes préféraient 100€ dans 6 ans (option 4) à 50€ dans 5 ans (option 3). Cela peut sembler raisonnable car vu d’aujourd’hui, un horizon de 5 ans n’est pas très différent d’un horizon de 6 ans alors que 100€ est une somme bien plus conséquente que 50€. Pourtant, cette préférence exprimée aujourd’hui n’est pas compatible avec les préférences lorsque les 5 premières années seront passées car alors, les 50€ dans 5 ans seront à payer immédiatement alors que les 100€ dans 6 ans deviendront 100€ dans un an. En d’autres termes, l’option 3 d’aujourd’hui deviendra, dans 5 ans, l’option 1 et l’option 4 d’aujourd’hui deviendra alors l’option 2. Et l’on sait qu’alors, c’est l’option 1 qui l’emportera. Cela signifie donc que l’individu qui aura fait le choix de l’option 4 à la date initiale et qui verra cette option, 5 ans après, devenir l’option 2, sera amené à regretter son choix. Et ce regret ne fera suite à aucun élément nouveau ni à aucune résolution de l’incertitude. Il sait dès le départ qu’il préfère 50€ tout de suite à 100€ dans un an et se doute bien qu’il en sera encore de même 5 ans après et que si donc 24 Elyès Jouini Œuvres & Critiques, XLIX, 1 DOI 10.24053/ OeC-2024-0002 on était amené à lui proposer, dans 5 ans, à choisir entre l’option 1 et l’option 2, il choisirait la première. Pourtant, invité à choisir aujourd’hui entre la future option 1 (l’option 3) et la future option 2 (l’option 4), c’est la future option 2 qu’il retient. C’est ce que l’on appelle l’incohérence temporelle : le choix fait aujourd’hui pour le futur n’est pas forcément cohérent avec celui qui sera fait dans le futur, en ce sens que même si toutes les anticipations élaborées au moment de la décision initiale se réalisent, ce choix pourra tout de même être reconsidéré dans le futur. Ce constat est en opposition avec la conception traditionnelle de l’ homo economicus , considéré comme prenant à tout instant, des décisions rationnelles et donc cohérentes. Pour réconcilier rationalité et incohérence temporelle, les économistes sont alors amenés à modéliser l’individu comme une collection d’individus représentant les différentes incarnations du moi (moi aujourd’hui, moi demain, etc.) qui interagissent entre eux et où la stratégie mise en place aujourd’hui doit prendre en compte les stratégies des autres moi, c’est à dire celles mises en place par les moi passés et celles qui seront mises en place par les moi à venir. Retour à Ulysse et à la contrainte On retrouve alors la tension entre l’unicité et la multiplicité du moi. Parce qu’il est unique, il prend en compte, pour évaluer sa satisfaction, les gains et pertes actuels et futurs mais parce qu’il est multiple, il prend acte du fait que les décisions futures seront prises par ses moi futurs et qu’il ne peut donc les considérer comme conformes à ce que souhaiterait son moi d’aujourd’hui sauf à - tel Ulysse - mettre en place un stratagème qui contraigne les choix futurs. De tels stratagèmes sont nombreux et peuvent être observés dans différents contextes. En politique, les membres des Cours et Conseils constitutionnels ont souvent des mandats fixes qui ne peuvent être abrégés. Ainsi, aux États-Unis, les juges de la Cour suprême sont nommés à vie par le Président de la République et ne peuvent être démis qu’après une procédure complexe ( impeachment ) indépen‐ dante de ce dernier. Ainsi, par ses choix, le Président contraint en quelque sorte ses actions futures puisqu’elles seront susceptibles d’être censurées par ceux-là même qu’il a nommés. Il contraint également les actions de ses successeurs qui pourront être censurés par les membres nommés par eux, pour certains, et par leurs prédécesseurs, pour d’autres. De manière similaire, en France, les membres du Conseil constitutionnel même s’ils ne sont pas nommés à vie, le sont pour une durée de neuf ans qui ne peut être écourtée, pour un membre donné, que Escompte, temps long et multiples figures du moi. Économie de l’environnement 25 Œuvres & Critiques, XLIX, 1 DOI 10.24053/ OeC-2024-0002 23 En termes d’ampleur, une telle chute de 50 %, correspond, à l’échelle des États-Unis, à peu près à l’impact de la crise de 1929 au cours de laquelle, entre 1929 et 1932, la production industrielle a chuté de moitié et le chômage est passé de 3 % à près de 25 %. dans des cas très spécifiques et seulement suite à une décision du Conseil luimême. En économie, les banques centrales sont souvent indépendantes de l’État. Ainsi, en France, le Gouverneur est nommé par le Président de la République et les membres du Conseil de politique monétaire sont nommés en Conseil des ministres après un processus de sélection complexe. Il ne peut être mis fin, avant terme, aux fonctions d’un des membres, que s’il devient incapable d’exercer celles-ci ou commet une faute grave et seulement sur demande motivée du Conseil de la politique monétaire lui-même, statuant à la majorité des membres autres que l’intéressé. Cette gouvernance quasiment irrévocable a alors la charge de définir la stratégie de la Banque de France. Plus généralement, la création d’autorités indépendantes est un moyen, pour l’exécutif, de se lier les mains ainsi que celles de ses successeurs. Lorsque les membres de ces autorités ont des mandats fixes qui ne peuvent que très diffici‐ lement être écourtés, cela constitue un engagement additionnel qui contraint plus encore le pouvoir exécutif même s’il est, comme c’est souvent le cas, partiellement ou totalement à l’origine des nominations au sein de ces autorités. Économie de la décision intergénérationnelle Mais peut-on appliquer à plusieurs générations la même approche que celle appliquée à la durée de vie d’un individu ou d’une génération ? S’il est naturel, pour un individu, de mettre un poids moindre sur les dates très éloignées, que ce soit en raison de l’incertitude inhérente à cet éloignement ou en raison de la moindre sensibilité à ce que l’on a plus de mal à appréhender en raison de la distance temporelle, est-ce que cela est tout aussi naturel lorsque les différentes dates possibles correspondent à des générations différentes ? Si l’on décide de mettre un facteur 2 sur ce qui se passe dans un an, cela correspond à un facteur de 1 milliard sur ce qui se passe dans 30 ans ! Pour donner un ordre de grandeur, cela revient à évaluer à 50 000 € d’aujourd’hui, la perte de 50 % de la richesse mondiale dans 30 ans 23 . Ce qui signifie qu’avec un facteur d’escompte de 2, aucune instance ne serait prête à payer aujourd’hui plus de 50 000 € pour éviter une telle catastrophe planétaire dans 30 ans. En d’autres termes, cela revient à ne quasiment pas prendre en compte ce qui pourrait advenir à la génération suivante. Lorsque le facteur d’escompte annuel n’est que de 1.05 (soit un taux d’escompte de 5-%, assez réaliste au vu de ce qui 26 Elyès Jouini Œuvres & Critiques, XLIX, 1 DOI 10.24053/ OeC-2024-0002 24 Comtesse Anna de Noailles, Les Vivants et les Morts, Arthème Fayard et Cie, 1913, p. 330. est pratiqué sur les marchés financiers), cela conduit à un taux d’escompte sur 30 ans, bien plus raisonnable, environ égal à 4. Mais appliquer un tel taux revient à supposer ou à accepter que ce qui advient à la génération actuelle est quatre fois plus important que ce qui pourrait arriver à la génération suivante. L’équité intergénérationnelle ne devrait-elle pas imposer d’attribuer le même poids à toutes les générations ? Mais comment défendre les intérêts de généra‐ tions qui ne sont pas encore advenues-? Le marché n’est pas en mesure de le faire. Car le marché est la confrontation entre forces antagonistes jusqu’à faire advenir un équilibre. Et, en l’occurrence, l’équilibre à trouver est entre des forces qu’il est impossible de faire se confronter car les unes occupent déjà le terrain alors que les autres n’existent pas encore. La loi peut imposer une certaine forme d’équité. C’est ainsi que certains pays, comme la Norvège ou le Koweït, ont créé des fonds souverains pour les générations futures en s’imposant d’y affecter, chaque année, une partie des revenus pétro-gaziers. Mais la loi est faite par des femmes et des hommes soumis aux impératifs de leur temps, aux désirs de leurs semblables. Qui leur inspirera l’intérêt pour les générations futures-? Le rôle de la littérature En termes de taux d’escompte, un traitement égalitaire des différentes généra‐ tions, reviendrait à considérer un taux d’escompte de 1, un taux d’escompte qui donnerait le même poids à demain et à aujourd’hui, un taux d’escompte qui ferait advenir tous les futurs dans l’instant présent, non pas des futurs amoindris, amortis, inactivés, mais des futurs dans leur plénitude ; un taux d’escompte qui ferait écho aux vers d’Anna de Noailles-: Les vivants se sont tus, mais les morts m’ont parlé, Leur silence infini m’enseigne le durable. Loin du cœur des humains, vaniteux et troublé, J’ai bâti ma maison pensive sur leur sable. […] Mais mon cœur, chaque soir, vient contempler vos cendres. Je ressemble au passé et vous à l’avenir. On ne possède bien que ce qu’on peut attendre-: Je suis morte déjà, puisque je dois mourir… 24 Escompte, temps long et multiples figures du moi. Économie de l’environnement 27 Œuvres & Critiques, XLIX, 1 DOI 10.24053/ OeC-2024-0002 25 Rainer Maria Rilke, Sonnets à Orphée , Sonnet 1, 14. Anna de Noailles nous apporte, par ces vers, trois éléments de réflexion. C’est sur le passé, auprès des morts et des générations précédentes qu’elle fonde sa maison, son moi. Et alors que le temps érode tout, transforme le passé en sable et en cendres, c’est par la pensée que ce moi bâtit le durable, un durable dans lequel passé, présent et avenir coexistent et se complètent jusque dans l’idée de possession. Cette possession qui était au cœur même de l’adage « un tiens vaut mieux que deux tu l’auras » devient une possession par anticipation, fusionnant présent et avenir. Enfin, c’est par la puissance de l’évocation poétique que se transmet ce message car seul l’imaginaire est à même de nous faire prendre conscience de l’avenir et ce dernier s’alimente de poésie et de littérature. Ainsi, la littérature a-t-elle un rôle majeur à jouer pour faire vivre en nous, pour faire vivre en la génération présente, sur un pied d’égalité, la multitude de toutes les générations passées et à venir. Et pourquoi cette démarche inclusive s’arrêterait-elle aux générations humaines et n’engloberait-elle pas l’ensemble de la nature ? Les Sonnets à Orphée de Rainer Maria Rilke font écho au poème d’Anna de Noailles en instaurant une continuité entre morts et vivants, entre humains et nature, une continuité et même une fraternité, car on n’y distingue plus le maître de l’esclave 25 -: Nous côtoyons la fleur, le fruit, la vigne, et la saison n’est pas leur seul langage. De l’ombre monte une évidence coloriée qui a l’éclat, peut-être, de la jalousie des morts dont se nourrit la-terre. […] Ce fruit, œuvre de lourds esclaves, se tend-il vers nous, maîtres, comme un poing serré-? - Sontils les maîtres qui près des racines dorment, et, de leur superflu, daignent nous accorder cet entre-deux muet de force et de baisers-? En confrontant le lecteur à des personnages qui reconnaissent leur apparte‐ nance à un vaste écosystème englobant passé, présent et futur, homme, animal et nature, la littérature amène à repenser l’identité en termes plus collectifs et écologiques. Cette prise de conscience d’un moi élargi, qui transcende l’individu pour embrasser la communauté humaine et non humaine, à travers le temps, est alors un premier pas en direction d’une attitude plus inclusive et plus prévoyante de l’être humain envers l’environnement. 28 Elyès Jouini Œuvres & Critiques, XLIX, 1 DOI 10.24053/ OeC-2024-0002 Références Bauman, Z. Work, Consumerism and the New Poor , Philadelphia, Open University Press, 1998. Carrillo, J. and T. 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