eJournals Oeuvres et Critiques 49/2

Oeuvres et Critiques
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0338-1900
2941-0851
Narr Verlag Tübingen
10.24053/OeC-2024-0019
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2025
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Le poète Jean Mambrino (1923-2012), anthologiste du baroque français : une rencontre sous le signe de la poésie mystique ?

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Florent Libral
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1 Jean Mambrino, La Poésie mystique française , Paris, Seghers, 1973 (désormais PMF). D’origines florentine et champenoise, Mambrino, jésuite attaché à l’implantation parisienne de la Société, mais aussi grand voyageur comme en témoignent plusieurs photographies, fut un enseignant des littératures française et anglaise, un traducteur reconnu de la poésie anglaise, dont celle de Gérard Manley Hopkins, un critique littéraire, théâtral et cinématographique collaborant à la revue Études , et surtout un des poètes majeurs du X Xe siècle français, dont la production fut publiée entre 1965 et 2009. Il fut estimé par les plus grands écrivains de son temps, de Jules Supervielle, qui encouragea ses débuts, à René Char, à qui l’unissaient des liens d’estime réciproque, en passant par son amie Katherine Raine ou encore son correspondant inattendu, Georges Simenon. Il fut le récipiendaire de nombreuses récompenses, dont le prix du Cardinal Grente de l’Académie française (2005) et le prix de littérature francophone Jean Arp (2004), tous deux décernés pour l’ensemble de son œuvre. Le poète Jean Mambrino (1923-2012), anthologiste du baroque français : une rencontre sous le signe de la poésie mystique-? Florent Libral Il Laboratorio, Université de Toulouse Jean-Jaurès J’ai grâce à vous la foi de la feuille d’arbre, de l’oiseau, voilà les noces du corps avec l’âme, le surréalisme idéal et mot à mot. […] Je répète le mot «-ineffable-». Et je vous aime. Joseph Delteil, Lettre à Jean Mambrino (24 avril 1977) Prélude-: d’une «-poésie mystique-», jadis et naguère L’objet de cette étude, menée par un dix-septièmiste qui braconne hors de ses terrains de chasse habituels, est de comprendre comment l’écriture et la réfle‐ xion poétiques d’un poète du XXe siècle, Jean Mambrino, entrent en résonance avec les poèmes d’auteurs rattachés par Jean Rousset à la nébuleuse baroque ; cette rencontre s’opère significativement à l’occasion d’une anthologie 1 sous Œuvres & Critiques, XLIX, 2 DOI 10.24053/ OeC-2024-0019 2 Voir la bibliographie en fin d’article pour les références des ouvrages critiques sur la mystique. 3 Voir les textes de Hugo, Verlaine, Claudel, Péguy, etc . recueillis dans La Poésie mystique française ; Albert Béguin, L’Âme romantique et le rêve [Nogent-le-Rotrou et Marseille, 1937], Paris, Le Livre de Poche, « Biblio Essais », 2006. Sur la mystique aux X I Xe et X Xe siècles, nous renvoyons à la synthèse récente de Dominique Poirel, Mystique. Aventures et mésaventures d’un mot des origines à nos jours , Paris, Le Cerf, 2024, 2 e part. chap. IV, et 3 e part. le signe de la « poésie mystique ». De nombreuses études ont exploré le lien entre la poésie et les divers courants spirituels de la fin du XVIe et du XVIIe siècle. Les critiques s’accordent à montrer que la théologie mystique, tentative pour instaurer un rapport intime entre l’individu et la divinité, apparaît dès le Moyen Âge dans le monde chrétien, puis s’autonomise de la théologie ordinaire au XVIIe siècle, alors qu’apparaît le substantif « la mystique ». Menacés par une orthodoxie sourcilleuse qui craignait que la diffusion de leurs idées entraînât un relâchement de la discipline ou une inflexion de la doctrine, certains auteurs mystiques du XVIIe siècle ont tenté de légitimer leur parole en recourant à la forme poétique ; cette voie leur permettait à la fois de dépasser une crise générale des signes de l’invisible (Michèle Clément), de trouver une occasion de ruser avec la censure (Audrey Duru), mais aussi de développer une rhétorique de l’intensité affective exprimant l’amour de Dieu (Christophe Bourgeois), ou encore de construire une imagerie visuelle fondée sur l’opposition entre noirceur du monde et lumière divine (Victor Stoichita, Florent Libral 2 ). Par opposition à ce « crépuscule des mystiques » (Louis Cognet) qui est aussi une floraison poétique, le romantisme, et surtout le XXe siècle auraient marqué un renouveau de la mystique et de la poésie mystique 3 , au sens plus large d’une parole qu’un auteur lance à la recherche de l’absolu, sans nécessairement se relier à une confession religieuse spécifique. De ce renouveau témoigneraient par exemple l’œuvre d’Albert Béguin consacrée aux romantiques allemands et français, une référence critique fondamentale pour Jean Mambrino, ainsi que les textes de Claudel, Péguy, Max Jacob ou encore Simone Weil rattachés par ce dernier à la «-poésie mystique française-» contemporaine. Bien que l’histoire de la poésie mystique ainsi envisagée ait connu au fil des siècles des sommets et des éclipses, tout autant que le mot « mystique » des définitions variées, les critiques n’ont guère considéré l’éclairage que procurait sur la poésie mystique de la première modernité le point de vue rétrospectif d’un artiste contemporain majeur, ni, inversement, ce que la poésie spirituelle des deux derniers siècles avait en commun avec les poètes sortis de l’oubli 74 Florent Libral Œuvres & Critiques, XLIX, 2 DOI 10.24053/ OeC-2024-0019 4 À propos de l’anthologie roussetienne, lire Maxime Cartron, L’Invention du baroque. Les anthologies de poésie française du premier X V I Ie siècle, Paris, Classiques Garnier, « Lire le X V I Ie siècle », 2021, notamment p. 49-52 (sur les thèmes) et p. 237-238 (sur la progression que Rousset instaure dans ses morceaux choisis de l’inconstance à la lumière de la permanence). 5 L’éditeur de La Poésie mystique française , Seghers, a poussé l’anthologiste à rajouter ses propres poèmes (PMF, p.-299 sq .). 6 Jean Mambrino n’utilise pas le qualificatif « baroque », mais prélève presque exclusive‐ ment des textes de poètes cités dans l’anthologie roussetienne : Jean Rousset, Anthologie de la poésie baroque française [1961], Paris, José Corti, 1988, 2 vols. Voir en part. le vol. I, p. 20-21 : à propos des poètes religieux qui « tournent le dos au monde de l’instable […] pour s’élever vers l’inaltérable », Rousset évoque les « frontières extrêmes du baroque », voire leur dépassement. 7 Titres des sections respectives de l’anthologie de Rousset. 8 Présent chez Rousset pour des poèmes non religieux. 9 Mambrino ajoute à la liste des poètes roussetiens un extrait des Pensées de Pascal. 10 Mambrino a été très réticent à théoriser le rapport entre poésie et vie intérieure, y voyant une part d’ineffable et de liberté rebelle à tout discours systématique ; ses quelques textes en ce sens sont pourtant très précieux et éclairants. Voir la suite de l’article et la bibliographie infra . 11 Voir la bibliographie infra pour les titres des recueils concernés et les abréviations usitées dans les notes. Nous avons préféré nous limiter à des œuvres parues dans la même décennie que l’anthologie, pour des raisons de cohérence, et pour ne pas figer l’évolution de la lyre de Mambrino au cours de sa longue carrière poétique. à partir des années 1940 par Jean Rousset 4 . Dans ce but, nous évoquerons Jean Mambrino, qui non seulement est considéré comme un poète spirituel, voire mystique, par ses lecteurs et éditeurs 5 , mais qui édite également sa propre anthologie de La Poésie mystique française , parue en 1973. Quoique principalement composé de textes des XIXe et XXe siècles, cet ouvrage propose, sur le mode chronologique, un choix d’auteurs des XVIe et XVIIe siècle que Jean Rousset avait déjà anthologisés en les situant, pour sa part, aux marges du baroque littéraire 6 . Il s’agit de ceux que le critique suisse qualifie de poètes «-de la mort », mais aussi de poètes « du brouillard et de la clarté » ou encore de la «-lumière de la permanence 7 -»-: Agrippa d’Aubigné, Jean de Sponde, Jean de La Ceppède, Claude Hopil, Martial de Brives, Jean de Labadie, Jeanne Guyon, François Malaval, Jean-Joseph Surin, Pierre Corneille 8 , Jean Racine et Fénelon. Nous mettrons ce choix de textes poétiques recoupant presque parfaitement 9 les frontières religieuses de l’empire du baroque roussetien en rapport avec les rares textes théoriques de Jean Mambrino sur les rapports unissant poésie et spiritualité 10 , et surtout avec les œuvres poétiques issues de sa plume qu’il publie dans la même décennie élargie où paraît l’anthologie, de 1965 à 1980 environ 11 -; dans ce dessein, il faut élucider en priorité ce que Mambrino entend par « poésie mystique-». Le poète Jean Mambrino (1923-2012), anthologiste du baroque français 75 Œuvres & Critiques, XLIX, 2 DOI 10.24053/ OeC-2024-0019 La définition du mot « mystique » a été l’objet de débats renouvelés et irrésolus chez les historiens. Après un Henri Brémond qui voyait dans la mystique une forme du sentiment religieux lié à l’inspiration poétique, Michel de Certeau a principalement analysé la mystique comme un langage ou un discours, tandis que d’autres auteurs encore comme Frédéric Nef ont vu en elle une forme paradoxale de connaissance du mystère. À partir de 2013, le séminaire « Dyptique » a tenté de combiner ces approches en identifiant le discours mystique à un espace mouvant défini par la rencontre quadruple entre un langage de l’effusion souvent versifiée, un sujet religieux transformé par la présence de l’absolu, une institution ecclésiale alternant entre la tolérance et la censure, et la révélation d’une connaissance expérimentale du divin. Plus récemment encore, prenant en compte plus de deux mille ans d’évolution de la notion, Dominique Poirel a montré de manière suggestive que le flou était indissociable de l’adjectif mystique, celui-ci qualifiant avant tout les modes de pensée opposés à la rationalité ordinaire, et orientés vers les mystères principaux de la vie humaine : la mort, Dieu, le sens de la vie. Parmi toutes ces définitions possibles, nous importe surtout ici celle de Mambrino lui-même, qui dans son avant-propos à La Poésie mystique française intitulé « En guise de préface » relie les expériences poétique et mystique sous le signe d’une certaine radicalité. Prenant en compte des auteurs catholiques, réformés ou même d’autres religions et agnostiques, la définition de Mambrino met en contact trois pôles principaux dans la poésie mystique, l’écriture poétique, l’expérience intérieure que cette écriture retranscrit, et enfin la connaissance renouvelée du monde que cette expérience permet. La poésie mystique traduirait en effet selon lui dans un langage imagé et compréhensible l’expérience mystique, elle-même définie comme un processus de transformation de l’être, par lequel le moi de l’individu se libère de ses routines mentales pour comprendre la réalité vraie et spirituelle : « le vrai mystique est celui qui a franchi la frontière entre les apparences et le Réel, en coupant tous les ponts derrière lui 12 ». Cette expérience conduit celui qui la vit à la connaissance d’une divinité paradoxale, à la fois absente et présente, sensible et invisible, qui, pour Mambrino, coïncide avec le Dieu chrétien appréhendé par la voie négative. Ajoutons enfin que selon Mambrino, les poètes mystiques proprement dits, c’est-à-dire ayant connu l’expérience mystique telle qu’il la définit, sont peu nombreux, et que la plupart n’en n’ont eu qu’une sorte de « pressentiment », qui pour lui est doté d’une valeur 76 Florent Libral 12 PMF, p.-5. Œuvres & Critiques, XLIX, 2 DOI 10.24053/ OeC-2024-0019 contemplative forte 13 ; lui-même, sans prendre le titre de mystique, a souvent relié poésie et oraison, poésie et transcendance. Dans le cadre d’une poésie mystique ainsi définie par l’anthologiste, la lyrique baroque n’a a priori qu’une place réduite. D’un côté, dans la préface à son anthologie, Mambrino se dit déçu par la lecture des poètes baroques français, qu’il juge « pâles et conventionnels 14 ». La « forme ornée » de ces poèmes, due à la rhétorique et à la métrique, intercalerait selon lui, entre l’expérience intérieure et le langage poétique qui la transcrit, des impératifs esthétiques dommageables à la sincérité : le beau poème pourrait ainsi « voiler le mouvement de l’âme en prière 15 ». Par ailleurs, il est probable que Mambrino trouve sans doute les audaces d’un Jean de Labadie ou d’une Madame Guyon, quoique jugées hétérodoxes en leur temps, sans doute bien feutrées relativement à la poésie plus radicale encore d’un Angelus Silesius 16 , d’un William Blake 17 , sans parler d’un Arthur Rimbaud 18 ou d’un René Daumal 19 , les références du jésuite du XXe siècle quant à la poésie mystique étant plus ouvertes que celle que prescrit une « orthodoxie » ou une « Église 20 » particulière. S’ajoute à cela le fait que, d’après Mambrino, aucun poète français de son choix, à part Blaise Pascal et Jean-Joseph Surin, n’a connu d’expérience mystique authentique 21 . Pourtant, d’un autre côté, l’imagerie de l’ombre et de la lumière qui se fait jour dans les vers baroques, d’Hopil à Fénelon, évoque celle qui se déploie dans les poèmes Le poète Jean Mambrino (1923-2012), anthologiste du baroque français 77 13 PMF, p. 6 : « […] peut-on pressentir sans qu’il y ait comme un lien secret, une connivence avec la Réalité pressentie-? » 14 PMF, p.-8. 15 Ibid. - 16 Une des références fondamentales pour Mambrino poète et orant, si l’on en croit l’essai « La nuit sacrée ou poésie et transcendance », dans Jean Mambrino, Jean-Claude Renard et Yves-Alain Faivre (dir.), Une certaine nuit. Transcendance et poésie , Mont-de-Marsan, éditions Inter Universitaires, 1992, p.-22 et sq . 17 Le bref compte-rendu enthousiaste d’une édition de Blake par Mambrino est reproduit dans Clairière , n°16, 2000, p. 107-108 ; le critique n’hésite pas à y assimiler le poète anglais aux «-penseurs religieux les plus profonds de notre temps-». 18 Mambrino a précisé au cours d’entretiens que Hugo, Rimbaud, Verlaine puis Baudelaire, Rimbaud, Patrice de la Tour du Pin, Shelley et Rilke marquèrent sa première rencontre avec la poésie à l’adolescence, vers quatorze ans ( Jean-Paul Noyé, « Pour Jean Mam‐ brino. Un entretien avec Jean-Paul Noyé », initialement paru dans la revue Prier en janvier 2009 ; reproduit sur le site des éditions Arfuyen, voir url en bibliographie ; Patrick Kéchichian, « La critique en délectation », [ Le Monde des livres , 2 juin 1986], Clairière , n°7, 1990, p.-41). 19 Auteur qui n’est pas présent dans l’anthologie, contre la volonté de Mambrino lui-même (PMF, p.-303). 20 PMF, p.-9. 21 PMF, p. 7 : « Surin et Pascal […] font évidemment partie de cette cohorte de pèlerins de l’Absolu -» (l’italique est de Mambrino). Œuvres & Critiques, XLIX, 2 DOI 10.24053/ OeC-2024-0019 de Mambrino, souvent qualifié de « poète de la lumière 22 », de même que ne pouvaient lui être étrangers les cheminements d’un Labadie, d’un Surin ou d’une Jeanne Guyon, avocats d’un désir d’absolu si intransigeant qu’il les conduisit fréquemment à s’opposer à leurs contemporains. Il est frappant que, malgré tout ce qui sépare la liberté de langage du poète moderne du discours plus contraint de ses prédécesseurs baroques, le premier considère ces textes assez significatifs pour figurer dans une anthologie qui est principalement consacrée à la poésie post-romantique et contemporaine, et qui aurait à ce titre pu être privée d’un tel hors-d’œuvre. Il convient donc de se demander en quoi le corpus poétique baroque est, pour Mambrino, l’incarnation juste, quoiqu’imparfaite au regard des auteurs post-romantiques et contemporains, de son idéal personnel de poésie mystique. En réalité, les textes baroques mobilisés illustrent de manière significative les trois pôles de la définition mambrinienne de l’expérience poético-mystique, qui sont aussi trois dimensions de son écriture poétique propre : la quête de l’absolu, l’expérience intérieure et la ferveur du désir de l’invisible. En effet, même si l’imagerie de l’ombre et de la lumière, qui exprime la connaissance spirituelle de la réalité cachée, tisse un lien évident entre Mambrino et les poètes baroques, ce langage imagé tire surtout sa valeur, aux yeux du poète anthologiste, d’une expérience intérieure radicale de transformation du sujet ; celle-ci trouve son expression privilégiée chez les poètes les plus tardifs du siècle, de Surin à Fénelon. Finalement, l’essence de la poésie mystique consisterait dans une écriture du désir d’absolu, qui exprime le caractère à la fois fervent et périlleux du rapport unissant la créature et le Créateur. I. La poésie de l’ombre et de la lumière, expression de la connaissance mystique En premier lieu, Mambrino et les baroques partagent une topique, à savoir un ensemble de motifs et d’images régis par un dynamisme commun et mis au service d’une finalité identique. Plus précisément, les images de l’ombre et de la lumière se retrouvent dans sa poésie comme dans ses choix anthologiques, et suggèrent un parcours en trois temps : en premier lieu, la déploration du cauchemar obscur où gît une humanité souffrante, désireuse d’un autre monde plus harmonieux ; en second lieu, la dualité du monde des apparences, obstacle à la connaissance de la réalité cachée, et simultanément son reflet ; et enfin, 78 Florent Libral 22 Collectif, Jean Mambrino poète de la lumière , Troyes, Librairie Bleue, « Les Cahiers bleus, n°29-», 2005. - Œuvres & Critiques, XLIX, 2 DOI 10.24053/ OeC-2024-0019 23 PMF, p.-9. 24 «-La-vallée de l’ombre de la mort-», Ps. XXIII, 4. 25 VA, p.-68. 26 Belleau, PMF, p. 17 (avec aussi la rime « ombre »/ « sombre ») ; Aubigné, id ., p. 23 («-Prière du Soir-»). 27 PMF, p.-27. l’irruption de l’absolu inconnaissable dans la conscience humaine, figurée par la cécité, la nuit, l’abîme. - Horreur de la condition humaine-: la vallée de l’ombre de la mort L’itinéraire mystique tel que le conçoit Mambrino commence par un constat d’horreur et de pitié devant la condition humaine, marquée par maintes souf‐ frances. La jeunesse du poète est contemporaine de la guerre de 1939-1945 et de la carrière littéraire d’Albert Camus qui meurt en 1960, et ses vers constituent une réponse chrétienne au sentiment de l’absurde, auquel le vrai poète mystique serait particulièrement sensible. Dans la préface de son anthologie, Mambrino mentionne, comme un signe important du poète mystique véritable, la compas‐ sion que celui-ci éprouve pour les « formes les plus dégradées de la misère universelle » ; il cite comme exemple Verlaine s’apitoyant sur les misérables anglais dans les bouges, d’après Une Saison en Enfer de Rimbaud 23 . Dans les textes poétiques de Mambrino, c’est une imagerie des ténèbres et de l’ombre, présente dès les Psaumes   24 , qui exprime la douleur de l’humanité souffrante et mortelle. Ainsi écrit-il-dès 1965-dans «-La Patience du soir-» : La patience du soir ne voile pas les larmes De tant de faces piétinées dont le sang Se mêle à la boue et à la nuit 25 . […] Le paysage de désolation décrit dans ce poème mêle le thème de l’obscurité et celui de la souffrance ; il est surmonté d’un coucher de soleil sur lequel plane l’« odeur sucrée de la mort ». Cette présence de la Faucheuse aux côtés de l’humanité rappelle évidemment le thème baroque des vanités, issu de l’ Ecclésiaste , qui associe également le motif des ténèbres et la mort. Citons par exemple, parmi les poètes anthologisés, la rime récurrente « funèbre »/ «-ténèbre-», qui crée un écho entre la paraphrase de l’office des morts de Rémi Belleau (« J’ai fait mon lit en ténèbres/ Et sous les tombes funèbres »), et la prière du soir d’Agrippa d’Aubigné (« l’epais des ombres funèbres »/ « flambeau de nos ténèbres 26 ») ; en outre, « L’Hiver » du même Aubigné annonce l’approche de la mort en l’associant à la saison la plus obscure, quand Sponde compare le Monde à une «-ombre 27 -», en une image associant obscurité et éphéméréité. Le poète Jean Mambrino (1923-2012), anthologiste du baroque français 79 Œuvres & Critiques, XLIX, 2 DOI 10.24053/ OeC-2024-0019 28 LF, p.-21-22. 29 PMF, p.-26. 30 PMF, p.-48. 31 LF, p.-21. 32 PMF, p.-37. 33 CL, p.-40. Autre point commun avec certains textes baroques, Mambrino pratique occasionnellement le macabre. Dans le recueil La Ligne du feu , un poème consacré à un adolescent mort brûlé à quinze ans compare l’agonisant à une « bête écorchée sur une table », après quoi sont évoqués les « corps déjà moisis » ou encore les « os cariés 28 » d’autres cadavres. Ce registre est peu fréquent chez le poète, mais se déploie ici avec insistance. Parmi tant de textes baroques de cette veine, Mambrino n’avait que l’embarras du choix ; il a retenu significativement ceux qui méditent la passion du Christ et évoquent avec des détails parfois très crus le spectacle d’un corps supplicié. Jean de La Ceppède décrit le Christ aux outrages, souffrant « dix mille morts », et dont le sang coule dans les yeux en se mêlant aux crachats de ses bourreaux 29 . De fait, le lien opéré entre la passion du Christ et les souffrances de l’humanité est souvent sous-entendu chez Mambrino, comme dans le poème consacré au jeune homme brûlé, qui est significativement daté du Vendredi Saint ; il est plus explicite chez les poètes baroques, notamment dans le dialogue entre l’âme souffrante et le Christ sacrifié que Mambrino retient des Pensées de Pascal, où Jésus affirme : « Les médecins ne te guériront pas, car tu mourras à la fin. Mais c’est moi qui guéris et rends le corps immortel 30 ». Ces souffrances humaines entraînent en effet, chez le poète contemporain comme les poètes de jadis, l’aspiration à un autre univers lumineux. Ainsi le jeune homme brûlé de « La Pierre », sur son lit de souffrance, crie : « J’ai horreur de la chair, cette pâte sanglante,/ Je ne veux plus être touché que par la lumière nue 31 ». De même, Martial de Brives, animé d’un profond dégoût de la vie, écrit-: «-Je me meurs de ne mourir pas 32 -». - La transition de l’apparence au réel-: sainte lumière, nuage, miroir En contrepoint, le monde humain obscur, portant les stigmates de la mort et quasiment invivable, se transfigure en accueillant la manifestation divine. Chez les poètes baroques comme chez leur homologue contemporain, cette irruption de l’absolu au sein de l’univers et du sujet humains est suggérée par la clarté et, simultanément, par sa vision difficile. La lumière « qui ne commence ni ne finit 33 » est chez Mambrino le signe de la présence divine dans la nature, notamment lorsqu’elle surgit à l’aurore : des recueils comme Clairière et Sainte Lumière , parus peu après La Poésie mystique française , mettent en œuvre ce 80 Florent Libral Œuvres & Critiques, XLIX, 2 DOI 10.24053/ OeC-2024-0019 34 Extrait du journal de Claude-Henri du Bord, paru dans Clairière , n°14, 1998, p. 21, qui relate une rencontre avec Julien Green. 35 François Cheng, «-La poésie de Jean Mambrino-», dans Collectif, Jean Mambrino poète de la lumière , op. cit. , p.-8. 36 PMF, p.-54. 37 VA, p.-61. 38 CL, p.-48. 39 SL, p.-149 («-Ce couple de papillons-»). 40 SL, p.-137 («-Que vois-je sans cesse-»). dynamisme lumineux, et il existait déjà une section consacrée à la lumière dans Le Veilleur aveugle dès 1965. La dimension théophanique et joyeuse de cette illumination a été reconnue comme un trait marquant de la poésie de Mambrino par ses confrères écrivains, qu’il s’agisse de Julien Green louant chez lui « la simplicité de la lumière », « cette lumière-là, simple et nue 34 », ou de François Cheng affirmant-: «-la lumière qui jaillit alors est une épiphanie, dans laquelle la vie se révèle à chaque instant comme un don 35 […] ». À l’ère baroque également, la lumière est indéniablement l’une des images les plus fréquentes de la manifestation divine. Mambrino comme ses prédécesseurs expriment le caractère transcendant de cette lumière, pour l’opposer à la simple clarté, par des figures d’opposition, comme l’antithèse ou l’oxymoron de la lumière obscure. Le « rayon sombre et clair de la beauté première 36 » de Malaval n’est pas éloigné de de « L’ombre de la lumière 37 -» du Veilleur aveugle , de la lumière «-ne laissant derrière elle/ que son ombre vermeille » dans Clairière   38 , ou du «-pollen noir/ de la lumière » dans Sainte Lumière   39 . De telles figures d’opposition existent aussi chez les poètes métaphysiques anglais, parmi lesquels Georges Herbert (1593-1633) dont Mambrino cite un extrait en épigraphe au recueil de 1965 : «-But thou art Light and darknes both together.-» Au thème de la lumière vient s’additionner celui de sa réception par l’œil, symbole de la connaissance spirituelle. En écho à la lumière obscure, cette vision est souvent présentée comme paradoxale, ou faisant l’objet d’une médiation ; à cet égard, les textes de Mambrino et ceux des auteurs baroques sont également très proches, témoin le motif du brouillard ou du nuage lumineux, qui occulte le soleil divin tout en le manifestant de manière confuse. Le « divin brouillats » de Claude Hopil a pour écho le nuage lumineux, le voile, ou la « brume de lumière 40 -» chez le poète jésuite, quand ce n’est pas un dispositif de vision plus étrange encore-: Le poète Jean Mambrino (1923-2012), anthologiste du baroque français 81 Œuvres & Critiques, XLIX, 2 DOI 10.24053/ OeC-2024-0019 41 SL, p.-168 («-Un nuage à peine-»). 42 PMF, p.-36-37. 43 SL, p.-117. 44 SL, p.-133. 45 Lire à ce propos l’entretien avec P. Kéchichian, « La critique en délectation », p.-42, où Mambrino affirme : « Je préfère ne pas trop employer le mot ‘‘Dieu’’ qui recouvre tant de fantasmes sanglants, répressifs ou imaginaires, aujourd’hui plus que jamais ». Il cite ensuite Simone Weil-: «-Il faut aimer Dieu comme s’il n’existait pas-». l’ombre ou seulement le songe d’un nuage- - venu de loin presque en dehors - - du temps - fait battre le cœur du monde - - et pose une ombre de lumière - sur les paupières - - de cet enfant - qui songe. 41 Ce passage associe le thème de la vision indirecte, qui s’opère à travers un nuage lumineux, à celui la vision impossible, parce que la lumière doit également traverser les paupières d’un enfant qui dort et songe ! Qu’il s’agisse du brouillard d’Hopil ou du nuage de Mambrino, la divinité se cache tout en se manifestant. Enfin, l’image de la vision spéculaire de l’invisible, chère à Hopil qui évoque le miroir de la foi ou celui de l’ange où le divin se contemple par réflexion 42 , se retrouve chez Mambrino. Ce dernier préfère, en post-romantique, le miroir privilégié que le monde sensible offre au monde intérieur. Il peut s’agir de la nature ; dans Sainte Lumière , un pin « réfléchit/ le jeune soleil », avant de se confondre avec lui 43 . Ce miroir peut aussi être le corps humain, comme le visage où «-traînent les reflets/ d’une lumière inconnue 44 -». - L’inconnaissable et l’indicible divins-: la nuit lumineuse Initié dans les ténèbres de la condition humaine et poursuivi dans une lumière paradoxale, l’itinéraire spirituel tel que le conçoit le poète contemporain se termine par un retour à l’obscurité ; mais cette fois, par opposition à la nuit obscure de la souffrance humaine, il s’agit d’une nuit lumineuse, qui représente la rencontre joyeuse mais inexprimable avec un absolu indicible, qu’au fil des recueils le jésuite appelle d’ailleurs de moins en moins Dieu 45 . Dès son premier recueil Le Veilleur aveugle , Mambrino reprend volontiers la métaphore 82 Florent Libral Œuvres & Critiques, XLIX, 2 DOI 10.24053/ OeC-2024-0019 46 VA, p.-57. 47 VA, citation liminaire. «-[…] la sombra que hace al alma la lámpara de la hermosura de Dios […]. » Juan de la Cruz, Llama de Amor B (entre 1584 et 1586), Canción III, 14, d’après le site San Juan de la Cruz online [url-: https: / / sanjuandelacruz.online/ llama-b/ ]. 48 Son poème « Épiphanie » (PMF, p. 263-264) évoque ainsi une « forêt, la nuit et sans pénombre », où s’opère un cheminement « vers la lumière,/ Les yeux abîmés dans le ciel-». 49 « The sunn is darker then a Tree, / And Thou art more dark then either. » (VA, citation luminaire). 50 VA, p.-33. 51 OC, p.-303. L’italique est du poète. 52 En 2005 encore, à l’occasion d’un entretien, Mambrino évoque le lien entre sa poésie et sa prière, « [u]ne prière proche de l’esprit des mystiques rhénans, où Dieu se montre en se cachant-» ( Jean-Paul Noyé, «-Pour Jean Mambrino.[…]-», art. cit.). de l’impossibilité de la vision de Dieu, d’ailleurs évoquée par l’image de la cécité dès le titre du recueil, en un écho de l’ Exode (XXXIII, 20) : Comment ces yeux verraient-ils sans mourir Le pur rayon qui les a engendrés-? 46 Outre la source biblique, l’imagerie sanjuaniste de la noche oscura évoque l’expérience contemplative au cours de laquelle la divinité est présente au mystique ; elle est sans doute en filigrane dans le même poème, qui évoque la « Main d’ombre » qui scelle les yeux du poète. C’est d’ailleurs à la Vive flamme d’amour de Jean de la Croix que Mambrino emprunte une citation liminaire du Veilleur aveugle où figure le poème précédemment cité : le carme espagnol y décrit « l’ombre que fait dans l’âme le flambeau de la beauté de Dieu 47 ». Patrice de la Tour du Pin, inspiré par le mystique espagnol et lu par Mambrino dès sa jeunesse, fut d’ailleurs peut-être un intermédiaire important qui éveilla le jésuite à cette veine nocturne 48 . Comme celle du carme espagnol et du poète français, comme aussi celle de G. Herbert 49 , la nuit mambrinienne est habitée de lumière : « La nuit enfin est plus radieuse que le jour » précise un poème du Veilleur aveugle   50 ; un texte postérieur de L’Oiseau Cœur évoque «-l’opacité irradiante/ d’ il y a   51 », en associant le thème de l’obscur illuminé à celui de la présence divine dans les apparences, exprimée de manière impersonnelle par la locution « il y a ». Cette imagerie nocturne est sans doute un signe de l’infigurable et de l’indicible divins, d’une voie négative qui refuse toute affirmation ou figuration définitives d’un premier principe. Cette tendance caractéristique de l’œuvre du poète trahit l’influence probable de la mystique rhéno-flamande 52 . Poète du « vide-plénitude » selon l’expression très juste de Le poète Jean Mambrino (1923-2012), anthologiste du baroque français 83 Œuvres & Critiques, XLIX, 2 DOI 10.24053/ OeC-2024-0019 53 Jean Biès, «-Un poète du vide-plénitude, Jean Mambrino-», Clairière , n°2, s.-d. (1984-? ), n. p. 54 Mambrino, «-La nuit sacrée ou transcendance et poésie-», p.-25. 55 OC, p.-302. 56 Kéchichian, «-La critique en délectation-», p.-42. 57 «-Néant du néant-», PMF, p.-35. 58 PMF, p.-58. 59 PMF, p.-35. 60 VA, p.-53. 61 VA, p.-96. 62 VA, p.-21. 63 LF, p.-24. 64 PMF, p. 58-59. Cf . PMF, p. 28 : Hopil parle également d’un « abisme de lumière », en un oxymore qui évoque les «-créneaux blancs de l’abîme-» chez Mambrino. Jean Biès 53 , Mambrino n’hésite pas à parler de « sur-Néant » à propos de Dieu en 1992 54 , l’ayant déjà qualifié de «-Vide 55 -» dès un poème de 1979. On peut voir là une imprégnation de la pensée d’Angelus Silesius, ou encore de celle de maître Eckhart dont le poète contemporain citait en 1986 l’audacieuse formule : «-Que Dieu nous délivre de Dieu 56 ». Ces expressions se révèlent certainement plus radicales que celles des poètes baroques français, pour qui le néant désigne avant tout, comme dans un texte d’Hopil cité dans l’anthologie, l’état de la créature face au Créateur 57 , et non celui-ci. Les poètes mystiques français sont rarement aussi radicaux dans leur expres‐ sion du Dieu inconnaissable et indicible, mais la trace de la voie négative fondée sur l’indicible divin est visible dans les textes anthologisés, à travers des images récurrentes semblables à celles que Mambrino utilise dans ses propres vers. La théologie mystique du Pseudo-Denis l’Aréopagite et le ténébrisme de Jean de la Croix, qui ont probablement inspiré le poète contemporain, se retrouvent à divers degrés chez Hopil, Surin, Guyon, cette dernière interpellant Dieu en ces termes antithétiques : « O nuit ! O torrent de lumière 58 -». L’oxymore du soleil divin invisible est présente dans un cantique d’Hopil (« Le Soleil est caché 59 -») comme chez Mambrino (« Le ténébreux soleil où se cache le Verbe 60 »). Par ailleurs, deux autres images sont utilisées par Mambrino, qui ajoutent au sème de l’obscurité celui de l’immensité ; dès 1965, le veilleur aveugle criait à son Dieu : « Tu es la nuit et l’abîme 61 -», ou chantait « les créneaux blancs de l’abîme 62 -»-; en 1974, il use de l’image de l’océan ou de la mer nocturnes : « l’Océan qui roule sur les galets de la nuit 63 -». Or, on retrouve ces deux motifs associés dans le poème de Madame Guyon reproduit dans l’anthologie ; elle y compare Dieu successivement à un « abîme impénétrable », à un « abîme profond », puis à un « vaste Océan », une «-mer d’amour 64 -». En somme, ces images polies par la longue tradition d’un langage aux prises avec l’indicible et l’infini dessinent une 84 Florent Libral Œuvres & Critiques, XLIX, 2 DOI 10.24053/ OeC-2024-0019 65 Dans une émission animée par Mambrino sur France Culture, diffusée en avril 1977 (voir bibliographie). 66 Anthologisé dans PMF, p. 188-189. Dans un entretien donné à Jean Paul Noyé en 2005, Mambrino fait la confidence suivante sur l’influence que la pensée de Teilhard a opéré sur lui, en lui permettant de retisser le lien entre l’homme et Dieu : «-À l’adolescence, un père jésuite m’a fortement marqué. Ce religieux, nourri de la pensée de Teilhard de Chardin, m’a communiqué une image rayonnante de la foi. Dans la grande solitude où je me trouvais, j’ai alors entendu un appel intérieur. Et peu à peu, j’ai découvert un familiarité certaine entre les textes que collectionne Mambrino l’anthologiste et la production de Mambrino poète. II. L’expérience mystique-: entre la nature, le moi et Dieu À ce stade de compréhension, la poésie mystique, même si elle suggère une connaissance paradoxale de l’absolu par l’usage d’images visuelles, reste avant tout un langage, voire un jeu rhétorique séculaire alternant métaphores, hyper‐ boles et oxymores ; cette langue est sans doute falsifiable ou imitable, même par un auteur qui n’aurait connu l’expérience mystique que par l’imagination ou la lecture. Aux yeux de Mambrino, le critère qui fait la valeur de cette langue se trouve dans l’expérience mystique, qui seule l’authentifie. Le poète théorise dans sa préface l’expérience mystique d’une manière qui semble influencée par Albert Béguin. Ce critique a étudié comment la contemplation de la nature permettait aux poètes romantiques de retrouver le chemin du monde intérieur où se lirait la trace de la divinité cachée. En confrontant les textes de Mambrino à son échantillon anthologique baroque, il faut donc tenir compte du potentiel anachronisme de cette conception, mais aussi, paradoxalement, de sa pertinence inattendue. En effet, malgré un rôle de la nature souvent plus limité chez les poètes baroques, deux éléments concordent dans la conception qu’Albert Béguin, Mambrino et certains auteurs baroques se font de l’expérience mystique : l’annihilation du moi ordinaire et sa métamorphose d’une part, et la méditation fondamentale de l’unité de Dieu d’autre part. - Le sentiment du divin dans la nature-: un point d’achoppement-? Du romantisme allemand et de son exégète Albert Béguin, Jean Mambrino re‐ prend l’idée d’un lien étroit unissant la recherche de l’absolu et la contemplation de la nature. Chez un autre de ses poètes favoris, Hopkins, Mambrino souligne que « Dieu n’est nommé qu’à travers la nature 65 ». À la poésie européenne s’ajoutent sans doute d’autres influences, en premier lieu une inspiration fondamentale jamais reniée par Mambrino, celle de Pierre Teilhard de Chardin 66 : selon ce théologien, la nature est porteuse, dans son évolution même, d’une Le poète Jean Mambrino (1923-2012), anthologiste du baroque français 85 Œuvres & Critiques, XLIX, 2 DOI 10.24053/ OeC-2024-0019 chemin de plénitude où l’homme, créé par Dieu à son image et à sa ressemblance, s’en remet à Lui » ( Jean-Paul Noyé, «-Pour Jean Mambrino-[…] », art. cit.). 67 Mambrino « Lire comme on se souvient. ‘‘Devant le volubilis épanoui/ nous prenons notre repas/ nous qui ne sommes que des hommes’’ », Clairière , n°11, 1994 ; n. p. : «-l’absolu est infiniment proche de chaque créature, et peut-être même son envers-». 68 SL, p.-109. 69 Mambrino, «-Le miel du visible-», Clairière , n°6, 1988, p.-16. 70 Ibid . 71 Béguin, L’Âme romantique et le rêve , p.-443-455. dynamique qui la dirige vers le divin. Par ailleurs, Mambrino évoque dans un texte reproduit dans la revue Clairière sa lecture spirituelle personnelle des haïkus inspirés par le bouddhisme zen, où les plus humbles réalités sont reliées à l’absolu, où la face de l’escargot contient celle du Bouddha 67 . Dans la propre poésie de Mambrino, la totalité de la Création se trouve pareillement suspendue à l’infiniment petit et à l’accessoire : dans Sainte Lumière , le nid d’une guêpe maçonne devient « le creux de l’origine », « enfoui/ au fond des voies lactées 68 ». Ce dernier trait du lien vital unissant le macrocosme et le microcosme constitue sans doute, par-delà l’intérêt manifesté par Mambrino pour la poésie japonaise, un héritage des poètes allemands. Mambrino écrit dans un article consacré à Rainer Maria Rilke : « L’arbre, la fontaine, la rose deviennent des catalyseurs, des réceptacles et des échos de la réalité universelle 69 […] » ; à ce propos, il cite aussi une formule de Rilke lui-même : « Nous butinons le miel du visible pour l’accumuler dans la grande ruche d’or de l’invisible 70 ». Or, les poètes baroques ont sans doute une conscience trop grande du péché originel et de la corruption qui, loin de s’étendre à l’homme seul, atteint l’ensemble de la création, pour s’attarder autant au spectacle de la nature ; associant souvent la nature sauvage à un espace diabolique ou du moins repoussant et inconstant, les auteurs du XVIIe siècle n’avaient pas lu Jean-Jacques Rousseau et surtout Étienne de Senancour qui, d’après Albert Béguin, ont donné une dimension spirituelle à la contemplation de la nature dans la tradition littéraire française 71 . De plus, Mambrino, contemporain de la physique quantique, accorde une attention à l’infiniment petit, aux battements d’ailes de papillon, à la plus ténue des brises ; au contraire, la nature mobilisée par les baroques religieux, contrairement à celle des poètes profanes qui sont leurs contemporains, reste assez monotone et convenue dans sa grandiose monotonie. On y sort rarement d’éléments inaltérables et immenses, qu’ils soient célestes comme les soleils ou les étoiles, ou terrestres comme les abîmes et les océans, quand la poésie de Mambrino, où abondent les forêts, les cimes et les sources, évoque souvent une promenade paisible et familière dans la nature sauvage. Malgré tout, certains poèmes se remarquent en ce sens dès le XVIIe siècle, qui donnent de la nature 86 Florent Libral Œuvres & Critiques, XLIX, 2 DOI 10.24053/ OeC-2024-0019 72 PMF, p.-49. 73 Lire par exemple «-L’aube glisse-» (CL, p.-146-147). 74 PMF, p. 10. Même si, d’un autre côté, la volonté hugolienne de percer le mystère des apparences et le caractère visionnaire de l’écriture du poète romantique sont réputés hautement mystiques par Mambrino. 75 VA, p.-79. 76 SL, p.-125, «-Qui es-tu-? -» 77 PMF, p.-6. une image moins sublime et plus intime ; Mambrino en choisit justement quelques-uns, qui font écho au thème de l’aurore tel qu’il existe dans sa poésie. Ainsi la « Prière pour le matin », un sonnet du pasteur Laurent Drelincourt, exprime une pleine confiance au jour naissant qui annonce « le Jour des Saints 72 », à savoir la béatitude promise en l’autre monde. Pareillement, le poète jésuite se plait à décrire à l’aurore le lever du soleil, symbole de la vie spirituelle qui s’empare de l’âme à son éveil 73 . - La dissolution du moi-: un point de rencontre Même si le rôle de la nature est différent chez les post-romantiques et les baro‐ ques, il est en revanche un autre point crucial de l’expérience mystique sur lequel Mambrino et certains poètes anthologisés par lui concordent : la destruction du « moi » ordinaire. Mambrino l’évoque incidemment dans l’avant-propos de son anthologie en jugeant, non sans quelque ironie bienveillante, que le moi hypertrophié d’un Victor Hugo, « vieux faune païen », fait de lui l’exact « contraire d’un vrai poète mystique 74 ». Pour sa part, dès Le Veilleur aveugle , Mambrino évoque en une image frappante l’âme qui « fait exploser son corps/ De cristal et de sang 75 », avant de renaître sous forme d’une « âme-phénix » : dans cette mort, qui peut aussi être comprise comme une extase, le poème exprime assez clairement que le sujet doit mourir à lui-même pour renaître transfiguré. De manière plus radicale encore, un poème de Sainte Lumière affirme l’anéantissement du moi à l’approche du divin-: - Je suis parce que je - - suis en marche vers - celui qui me nie 76 . Les sources de ce motif sont à coup sûr multiples, poétiques autant que religieuses ; outre la tradition chrétienne, l’anthologiste la retrouve sans doute dans les mots d’ordre « La vraie vie est absente » ou encore « Je est un autre » de Rimbaud 77 , considéré par Mambrino comme un poète mystique à part entière ; en outre, les textes d’un Mansur al-Hallaj (858-922), soufi admiré par Mambrino et présent dans La Poésie mystique française par l’entremise de la traduction Le poète Jean Mambrino (1923-2012), anthologiste du baroque français 87 Œuvres & Critiques, XLIX, 2 DOI 10.24053/ OeC-2024-0019 78 PMF, p.-198. 79 PMF, «-En guise de préface-», p.-6. 80 Ibid. 81 PMF, p.-10. 82 PMF, p.-38-42. 83 PMF, p.-54. 84 PMF, p.-60 85 PMF, p.-61. de Louis Massignon, affirment que Dieu l’a « dispensé de [lui]-même 78 ». Dans la préface de son anthologie, Mambrino explique plus clairement en quoi consiste cet effacement du moi : le véritable mystique doit, comme le vrai poète, abandonner « le vaste et subtil réseau des réflexes et des habitudes que la société […] tisse chaque jour autour de nous 79 » ; il doit renoncer à « tout ce qui nous détermine, nous aliène et nous détruit 80 ». Le moi ordinaire, limité par l’éducation et l’utilité sociale, est radicalement incapable de l’expérience poétique et mystique, et il doit lever ses conditionnements pour s’en rendre digne. C’est en cela que la démarche mystique, et celle du poète, engagent « tout l’être du voyageur-» appelé à «-s’efface[r] sans cesse devant les choses 81 -». Ces métamorphoses du sujet mystique ont également pu présider au choix de certains textes du XVIIe siècle mis en avant dans l’anthologie, même si le moi ne s’y efface pas tant devant les « choses » familières du monde sensible, comme chez Mambrino, que directement devant l’infini divin. Ce motif prend la double forme de l’abandon à l’amour divin et de la dissolution du moi proprement dite. D’abord, l’abandon du chrétien à la conduite de l’amour est présente dans le cantique « De l’abandon intérieur » de Surin, qui évoque un homme ayant renoncé à tout bien du corps ou de l’esprit pour ne se fier qu’à la volonté divine ; le sujet mystique, vide de lui-même, est alors représenté comme descendu dans « un grand abîme » sans fond, comme par un « heureux naufrage 82 ». Chez Malaval, autre chantre de l’abandon à la volonté divine après Surin, le sujet devient indifférent à lui-même : « Je ne sens rien en moy de tout ce qui s’y passe », et se trouve ainsi assimilé à un « néant […] perdu dans une paix profonde 83 ». La dissolution du moi, dans un effet de gradation à la fois chronologique et sémantique, est exprimée de manière plus radicale par les trois derniers poèmes du XVIIe siècle inclus dans La Poésie mystique française : Madame Guyon évoque une âme dont le moi est « vide » et habite le « Rien », dans une « solitude profonde 84 -» ; de manière très proche, un poème de Fénelon, que l’anthologiste a judicieusement choisi pour faire écho aux mots de celle qui fut son inspiratrice, met en avant le désir que Dieu détruise en lui « ce qu’à [s]es yeux il reste encore de [lui] », et chante la dépossession totale : « Je ne suis plus désormais à moi-même 85 ». Le fait que Mambrino reprenne dans son anthologie 88 Florent Libral Œuvres & Critiques, XLIX, 2 DOI 10.24053/ OeC-2024-0019 de telles formulations, fort critiquées par certains théologiens du XVIIe siècle dans le cadre de la crise quiétiste 86 , et les mette en regard avec des textes d’autres cultures ou plus modernes, montre une volonté discrète et tacite, mais résolue de réhabilitation des mystiques contestés de la deuxième moitié du XVIIe siècle. - Quête de l’unité divine et simplicité du regard Enfin, dernier point important de l’expérience mystique selon Jean Mambrino, le divin se manifeste à la faveur de la contemplation de la nature et de l’effacement du moi. Mais quelle face d’un Dieu réputé obscur et inconnaissable cette expérience permet-elle réellement d’appréhender ? Le poète jésuite répond d’une manière proche de certains poètes baroques : en méditant sur le monde et lui-même, le poète mystique parvient principalement au sentiment de l’unité fondamentale du monde en Dieu, origine cachée du tout. Cité par Mambrino dans la préface de l’anthologie, Albert Béguin exprimait l’expérience fondamen‐ tale des poètes mystiques comme celle de « l’intuition de l’Unité 87 ». Même si, en 1965, un texte du Veilleur aveugle , qui renvoie à la rose de l’empyrée du Paradis de Dante, évoque un « Triple orage » assimilable à la Trinité, la fin du même poème appelle aussi son lecteur à « oublie[r] son amour en s’oubliant dans l’Un 88 ». Ce primat de l’unité, Mambrino pouvait aussi le trouver d’une autre manière chez un de ses penseurs favoris depuis sa jeunesse, Teilhard de Chardin, chez qui toute l’évolution de la vie biologique concourt vers un point unique, le point oméga identifié au Christ 89 . En outre, il appréciait certains artistes zen d’Extrême-Orient, capables de peindre le tout dans un « unique coup de pinceau » selon la formule de « Tao Tchi » ; ce coup de pinceau, précise Mambrino, « enserre tout le tremblement de l’univers 90 -». Jean Mambrino, tout en restant un poète chrétien, entend peut-être par cette insistance sur l’unité plutôt que sur tout autre attribut divin de la tradition théologique, fonder une poésie mystique chrétienne qui puisse toucher les croyants d’autres religions, ou aux agnostiques et athées, comme Teilhard avait pu également le faire. Le poète Jean Mambrino (1923-2012), anthologiste du baroque français 89 86 Cette dissolution du moi est réputée imaginaire, voire mélancolique par les critiques des mystiques, dans le cadre de la polémique quiétiste. Ils l’opposent à l’humilité chrétienne authentique. Voir La Bruyère, Dialogues sur le quiétisme , dans Œuvres complètes , éd. Julien Benda, Paris, Gallimard, 1951, « Bibliothèque de la Pléiade », dialogue VII, p. 581 et sq ., not. p.-594. 87 PMF, «-En guise de préface-», p.-7. 88 VA, p.-54. 89 Poirel, Mystique , op. cit. , p.-341-342. 90 D’après un texte de J. Mambrino reproduit sur la quatrième de couverture de l’ Oiseau Cœur (Paris, Stock, 1979). « Tao Tchi » est Shitao, poète et moine zen chinois mort en 1707. Œuvres & Critiques, XLIX, 2 DOI 10.24053/ OeC-2024-0019 Or, au XVIIe siècle, certains poètes mystiques se sont illustrés eux aussi en se faisant les avocats d’une oraison dite de simple regard, dont la finalité était précisément de contempler l’unité divine. Ce type de prière fut enseigné sous diverses formes par la mystique ursuline Marie de l’Incarnation et son fils le religieux bénédictin Claude Martin, par Jean de Bernières, et finalement, sous une forme critiquée par les théologiens, par François Malaval et Jeanne Guyon. Certains textes de l’anthologie en portent la trace, en premier lieu, le poème de Jean de Labadie intitulé « Élévation générale d’esprit à Dieu, en veuë de son unité divine 91 ». En allant de l’unité de Dieu à la multiplicité des choses créées, Labadie illustre d’ailleurs parfaitement la citation de Béguin contenue dans la préface de l’anthologie, selon laquelle le poète mystique « procède du connu (de l’intuition de l’Unité) au sensible (à la découverte des choses telles qu’elles sont) 92 ». Parmi les autres textes baroques anthologisés, un cantique d’Hopil évoque, par-delà la Trinité qu’il médite, «-l’unité 93 -» ; Malaval nomme semblablement « l’unique Seigneur 94 », objet de sa pensée ; enfin Madame Guyon voit en lui, de manière plus imagée, le « centre du repos 95 » dont l’âme bénéficie, le terme de « centre » étant cher à Mambrino. Historiquement, les adversaires du « quiétisme » ont souvent critiqué l’oraison de simple regard, dans la formulation qu’en donnent Malaval et Guyon notamment, en la considérant comme primaire et tautologique ; selon eux, il valait bien mieux méditer les attributs variés de Dieu comme sa miséricorde, sa justice, ou les événements de la vie du Christ comme sa passion. Jean de La Bruyère en particulier, dans ses Dialogues sur le quiétisme parus l’année même de la condamnation de Fénelon par Rome (1699), insiste sur le caractère dérisoire d’une contemplation divine qui se limiterait à un seul attribut divin, et qui rendrait selon lui le méditant chrétien aussi ignorant de Dieu que l’avaient été les philosophes antiques 96 . La vaste culture de Mambrino et la démarche poétique qui lui était propre, fondée en dernier recours sur l’indicible, lui ont probablement fait réévaluer ces textes jugés hétérodoxes, comme des manifestations d’une mystique de l’unité qu’il trouvait chez d’autres de ses artistes et penseurs favoris, en réponse peut-être aussi à sa propre formule - inspirée par Angelus Silesius - appelant «-à passer Dieu même 97 -» dans la quête toujours inachevée de la transcendance. 90 Florent Libral 91 PMF, p.-44-45. 92 PMF, p.-7. 93 PMF, p.-30, «-Dans ce nuage espais-». 94 PMF, p.-54, «-Estat de Transformation-». 95 PMF, p.-58. 96 La Bruyère, Dialogues sur le quiétisme , op. cit. , dialogue VIII, p.-604 sq . 97 Mambrino, «-La nuit sacrée, ou transcendance et poésie-», art. cit., p.-24. Œuvres & Critiques, XLIX, 2 DOI 10.24053/ OeC-2024-0019 98 ‘‘And the rest is silence”, derniers mots d’ Hamlet de Shakespeare que Mambrino aimait citer, et qu’il place notamment à la fin de la préface de son anthologie (PMF, p.-11). 99 Claude Dandréa, « Un entretien de Jean Mambrino avec Claude Dandréa », Clairière , n°8, 1991, n.-p. 100 Mont au sommet duquel Mambrino, non sans humour ni pertinence, s’est fait photo‐ graphier en 1968 (Collectif, «-Jean Mambrino poète de la lumière-», op. cit. , p.-7). 101 SL, p.-136 («-L’heure est si grande-»). III. Le langage de la ferveur-: d’un lyrisme mystique L’expérience mystique telle que la met en avant le poète anthologiste aboutit en définitive au constat d’une impasse : elle se heurte aux limites du langage et de la pensée, à l’inconnaissable divin. Que reste-t-il à dire et à chanter quand on se heurte à la pauvreté du langage humain, et que l’on aspire au « reste » qui est «-silence 98 -» ? Sans doute, la violence du désir qui porte une créature éphémère et périssable vers l’éternité et la stabilité. - Une poésie du désir : nostalgie de la patrie céleste et mystique nuptiale Le désir de l’absolu est une force motrice de la poésie mystique selon Mambrino, ce qu’il affirme dans sa production critique comme dans la construction de sa propre poésie, où le désir est médiatisé à travers les éléments naturels. Il l’indique dans un entretien donné en 1991 à Claude Dandréa, en commentant les images les plus fréquentes de ses recueils passés : le désir humain s’exprime à travers la cime selon l’axe vertical, dans la mer selon l’axe horizontal, et enfin par le moyen de la caverne ou la clairière incarnant la clôture 99 . Ce lyrisme particulier, que nous dirons indirect, ne prend que rarement la forme du lyrisme mystique à la première personne caractéristique de l’époque baroque. Objets de ce désir, la patrie céleste, l’autre monde sont aussi figurés dans les vers. Chez Jean Mambrino, ils se trouvent représentés par les lointains : par exemple dans Clairière , les crimes inaccessibles, situées bien au-delà de la clairière décrite, évoquent l’image de la montagne, fréquente chez Hopil ; autant d’échos d’un Sinaï ou d’un Thabor 100 , hauteurs où souffle l’esprit. Mambrino use également fréquemment de l’idée d’un autre monde ou d’un autre ciel par-delà le monde visible ordinaire, ainsi dans Sainte Lumière -: - je vois une nuit - derrière le ciel - et derrière la nuit - un autre ciel - plein d’étoiles 101 Le poète Jean Mambrino (1923-2012), anthologiste du baroque français 91 Œuvres & Critiques, XLIX, 2 DOI 10.24053/ OeC-2024-0019 102 CL, p.-46. 103 PMF, pp. 51 et 35. 104 Voir l’image de la colombe qui se tient au creux du rocher (Cant. II, 14). 105 PMF, p.-53. 106 VA, p.-96. De même dans Clairière , le bruissement des arbres de la forêt parle « d’une autre forêt/ ailleurs 102 . » En toute logique, le poète jésuite a prélevé dans la poésie baroque des poèmes qui véhiculent des images tout aussi fugaces de l’autre monde : même si Aubigné décrit longuement la terre nouvelle d’après le jugement dernier, des aperçus plus évasifs sont présents dans la vision béatifique évoquée par Drelincourt ou encore à travers les chœurs angéliques que mentionne Hopil 103 . Même si ces poètes anciens sont plus proches des sources bibliques, plus distants de l’épure tirée des éléments naturels que propose Mambrino, l’image fugace d’un autre lieu mystérieux leur est aussi chère sans doute qu’au veilleur aveugle. Du thème du désir, la transition est facile à celui de l’union amoureuse de l’âme avec le divin, de la consommation de leur amour qui parcourt la grande tradition mystique, étroitement inspirée par Le Cantique des cantiques , ses commentaires ou imitations successifs par Bernard de Clairvaux, Jean de la Croix, François de Sales… C’est là un aspect important de la lyrique baroque, que Mambrino illustre dans son anthologie en citant non seulement Hopil, grand lecteur et commentateur du Cantique , mais surtout François Malaval et son poème au titre programmatique, « Les fuites de l’époux », également inspiré par un verset du Cantique . S’adressant à ses lecteurs appelés « colombes » en référence à l’oiseau symbolique de l’amour comme au style du poème biblique 104 , Malaval rappelle que toute âme est l’épouse du Christ-: Il est caché dans vous plein d’un zele incroyable, Il vous suit, il vous tient. C’est un espoux fidelle, un espoux immuable S’il s’absente, il revient 105 . Les intermittences de la grâce sont ici représentées comme des allées et venues de l’époux divin dans l’espace de l’âme. Jean Mambrino ne pouvait ignorer cette thématique nuptiale qui a sans doute influencé sa démarche anthologique comme son écriture. En témoigne le poème « Nuptial », daté de janvier 1964, où les thèmes du Cantique des cantiques , comme le mariage et le « baiser », sont repris pour suggérer, avec des échos rimbaldiens, la fusion du soleil et de la mer, signe de l’éternité retrouvée par union des contraires 106 . Par la suite, même si Mambrino cherche souvent un lyrisme qui élude le « je » et le « tu » 92 Florent Libral Œuvres & Critiques, XLIX, 2 DOI 10.24053/ OeC-2024-0019 107 OC, p.-257. 108 PMF, p.-8. 109 PMF, p.-5. 110 Daniel Vidal, «-Du pur amour. Mystique et désaffect-», Essaim , n°10, 2002, p.-42-72. 111 VA, p.-34. 112 PMF, p.-53. après Le Veilleur aveugle , en s’effaçant derrière les éléments naturels, des échos à un imaginaire amoureux subsistent, quoique plus légers et fugaces-: L’Oiseau Cœur met ainsi en scène la rencontre de « deux visages », « de chaque côté de l’automne 107 -» - Fadeur de la poésie baroque ou folie du pur amour-? En dépit de ces affinités profondes, Mambrino souligne à mots couverts dans la préface de son anthologie que la lyrique des baroques est un peu trop conventionnelle pour contenir un appel d’amour équivalent à celui que contiennent les vers de Mansur al-Hallaj, qu’il présente comme ayant vécu son amour de Jésus-Christ jusqu’au martyre 108 . Mambrino précise par ailleurs que, selon ses propres critères, l’amour de Dieu peut s’exprimer dans une poésie qui serait purement dévotionnelle, sans être mystique : Car en effet, un poème peut être « religieux », exprimer la dévotion d’un cœur envers le Dieu qu’il adore, et rester bien en deçà du terrible Voyage évoqué [l’expérience mystique] 109 . Il y aurait un point d’incandescence, une différence de radicalité, voire de nature, qui distinguerait le simple amor dei du croyant ordinaire de celui, bien plus dévorant, qui embrase le mystique. La Poésie mystique française témoigne d’une volonté de prélever dans la littérature baroque les pages les plus ardentes qui expriment l’amour divin, fussent-elles hétérodoxes. Selon la conception du pur amour qui s’exprime chez certains auteurs spirituels du XVIIe siècle, l’âme humaine, parvenue au plus haut degré de la contemplation, ne serait plus guidée que par l’amour divin, et deviendrait pour cette raison indifférente à tout, y compris à son propre salut 110 . Mambrino avait pour sa part évoqué significativement, dès Le Veilleur aveugle , le « désir qui détruit/ Tout désir, consommant le désir dans l’absence 111 . » Un poème de Malaval lui fait écho dans l’anthologie, avec cet alexandrin lancé par l’âme à Dieu : « Morte à tous mes désirs, pour vous seul je veux vivre 112 -». Un autre cantique de Surin, à travers le thème de la course ou du pèlerinage de la vie sous la conduite de l’Amour divin, développe le thème de l’indifférence totale : libéré du goût des biens terrestres (strophe 1), des amitiés mondaines (str. 2), de la peur du lendemain et de la Le poète Jean Mambrino (1923-2012), anthologiste du baroque français 93 Œuvres & Critiques, XLIX, 2 DOI 10.24053/ OeC-2024-0019 maladie (str.3 et 4), de la peur de la faim (str. 5), du désir du savoir (str. 6), etc. ; le moi transfiguré du mystique se voit débarrassé de tous ses affects, ne conservant que comme unique passion l’amour de Dieu 113 . De manière plus explicite encore, le syntagme « pur amour » figure dans deux autres textes choisis par Mambrino, l’un de Madame Guyon, et l’autre de Fénelon. L’« Océan du divin amour » de la première, stratégique au sein de l’anthologie, marque le lien entre la thématique lumineuse et la thématique amoureuse : véritable trou noir avant la lettre qui « absorbe » tout « dans sa lumière », mer de « flamme sans brillant », l’amour pur y est désigné par ces images ténébristes comme la force irrésistible qui impose à l’âme un profond silence et une totale inconnaissance 114 . Quant au poème « Je ne puis plus me dépeindre moi-même » de Fénelon, il associe le thème du pur amour au voyage sans chemin, thème fondamental désignant la quête mystique dans la poétique de Mambrino, qu’illustre par exemple l’épigraphe de Clairière emprunté à Franz Kafka : « Il y a un but, mais pas de chemin ». Nul doute que les images multiples de la folie amoureuse, du silence, de la voie inexistante, si chères aux chantres baroques de l’amour pur, ouvrent une voie étrangère à la rationalité commune. Elles trouvent pour cette raison une résonance majeure dans l’exclusion radicale que Mambrino, inspiré sans doute par Martin Heidegger, fait de la « raison technicienne » du champ de la poésie mystique 115 . La lumière que cherche le poète se situe bien au-delà des « éclairs/ Apprivoisés au creux des jarres de la science 116 -», comme il l’écrit encore en des termes que n’aurait sans doute pas désavoués l’auteur de La Grande Beuverie , René Daumal, grand pourfendeur des certitudes autosatisfaites de l’humanité contemporaine, et poète aimé de Mambrino. - En guise de bilan Poète, anthologiste et lecteur enthousiaste, esprit ouvert au dialogue œcumé‐ nique et interreligieux, Mambrino n’aborde pas la poésie baroque française de manière purement historique ou académique. Il la mesure à l’aune de textes qui nourrissent sa propre écriture : Jean de la Croix et son héritier Patrice de la Tour du Pin, les poètes métaphysiques anglais, les poètes de langue allemande, d’Angelus Silesius à Rainer Maria Rilke, ou encore les traditions soufie et zen, parmi tant d’autres lectures. Il ne peut non plus s’empêcher de la lire sans la rapporter aux théories d’Albert Béguin sur le mysticisme romantique, ni 94 Florent Libral 113 PMF, p.-38-42. 114 PMF, p.-58-59. 115 PMF, p.-6. 116 VA, p.-68. Œuvres & Critiques, XLIX, 2 DOI 10.24053/ OeC-2024-0019 au dérèglement rimbaldien de tous les sens. En cela, la production mystique française de la première modernité aurait pu, de manière compréhensible, lui sembler d’un intérêt limité, indigne de figurer dans une anthologie de la poésie mystique au sens où il l’entendait. Pour autant, malgré toutes ces réticences compréhensibles, Mambrino a su prélever ce qui, dans la poésie baroque, pouvait alimenter sa propre réflexion et sa propre pratique littéraires, ou du moins leur faire écho. Il serait aussi inexact que puéril de croire que les poèmes du baroque roussetien ont formé entièrement le goût de Mambrino, aux lectures si éclectiques 117 ; mais il y retrouvait sans doute des images puisées à des sources communes, la poésie de Mambrino comme celle d’Hopil, de Labadie, ou encore de Madame Guyon ayant semblablement hérité, au même titre que lui et tant de poètes spirituels modernes, non seulement de la lecture de l’Écriture et des Pères, mais aussi des deux traditions mystiques rhéno-flamande et carmélitaine. Il n’est toutefois pas exclu qu’un souvenir, une image fugace à l’unité provienne directement d’un des textes convoqués dans La Poésie mystique française. Sans doute informé des travaux de Jean Rousset, Mambrino a su retrouver chez Hopil et d’autres poètes anciens une topique de l’ombre et de la lumière qui représentait la manière dont le sujet mystique s’approche de l’absolu. La section « À l’ombre de la lumière » du Veilleur aveugle   118 , mais aussi les recueils postérieurs à La Poésie mystique française que sont Clairière et Sainte Lumière marquent bien, entre lecture et écriture, la continuité de cette imagerie assimilant à une clarté paradoxale de la révélation de l’absolu, et celui-ci à un soleil caché illuminant la nuit. D’un autre côté, il était évident que les rapports que la poésie du XVIIe siècle instaurait entre la nature, Dieu et le moi étaient fort différents de ce qu’un héritier des romantiques anglais et allemands pouvait imaginer. Pour autant, Mambrino a su par son choix anthologique mettre en évidence la radicalité de la transformation du moi et de la contemplation de l’unité divine qui marque les écrits de Surin, Guyon, Fénelon ou encore Labadie, en écho à sa propre poésie. Dépassant les divisions confessionnelles qui opposaient les catholiques, les protestants comme Agrippa d’Aubigné et Laurent Drelincourt, et les « chrétiens sans Église 119 » comme Jean Labadie, l’anthologiste a unifié sa perception globale de la poésie mystique baroque sous le signe de l’expression d’un désir fervent. Dans un choix anthologique Le poète Jean Mambrino (1923-2012), anthologiste du baroque français 95 117 Nous n’avons pu traiter en détail du rapport du poète aux mystiques anglais qu’il lisait, méditait et traduisait, ce qui pourrait être l’occasion d’études ultérieures menées par des comparatistes ou des anglicistes. 118 VA, p.-61 sq . 119 Leszek Kolakowski, Chrétiens sans Église : la conscience religieuse et le lien confessionnel au X V I Ie siècle , trad. Anna Posner, Paris, Gallimard, 1987. Œuvres & Critiques, XLIX, 2 DOI 10.24053/ OeC-2024-0019 judicieux, où l’ordre chronologique n’est pas dénué d’une forme inédite de suspens métaphysique, les visions bibliques d’un Aubigné, le morir de no morir d’un Martial de Brives tourné vers le Paradis inaccessible et la mystique nuptiale d’un Hopil conduisent insensiblement aux textes plus radicaux de Surin, de Madame Guyon et de Fénélon ; ces poètes exaltent le pur amour en des expressions paroxystiques, qui rappellent le désir de l’absolu tel que l’envisageait le poète jésuite-: à savoir, comme une présence dans l’objet désiré d’un désirable - les transcendantaux du Beau et du Bien - qui « suscite le désir et le justifie », à l’opposé de la théorie du désir mimétique élaborée par René Girard, et en harmonie avec la métaphysique de Louis Lavelle 120 . Le regard rétrospectif d’un artiste érudit rebelle aux grandes synthèses systématiques est porteur d’enseignements pour le dix-septièmiste en raison même de son décalage. Il permet de remettre en cause l’idée qu’il n’y aurait plus de poésie mystique après Fénelon. En mettant en résonance Hopil ou Madame Guyon avec des textes plus contemporains, Mambrino rappelle que l’audace du langage mystique du XVIIe siècle est aussi radicale que moderne, et ne fut pas sans échos ni sans lendemains : sa propre poésie suffit à le confirmer. Seulement, un point subsiste où Jean Mambrino, comme la critique universitaire d’ailleurs, se trouvent muets. Y eut-il des poètes mystiques du XVIIIe siècle qui formeraient le chaînon manquant entre les mystiques persécutés du XVIIe siècle et leurs successeurs romantiques et post-romantiques ? Ils sont en effet absents de l’anthologie, comme des études savantes. Les ouvrages écrits par Jean-Pierre de Caussade prouvent que les thèmes de l’oraison de simple vue, après les polémiques déclenchées par Bossuet, trouvent une certaine diffusion au siècle des Lumières 121 . Il serait étonnant qu’il n’y ait pas eu, même chez des auteurs obscurs, une sorte de renouveau, même limité et éphémère de la poésie mystique au XVIIIe siècle. Il y a là un angle mort que de futures recherches devraient explorer. Bibliographie - Sources Anthologie de Jean Mambrino La Poésie mystique française , Paris, Seghers, 1973. 96 Florent Libral 120 Claude Dandréa, « Un entretien de Jean Mambrino avec Claude Dandréa », art. cit., n.p. 121 Jean-Pierre de Caussade, Instructions spirituelles en forme de dialogue , Perpignan, Reynier, 1741. Œuvres & Critiques, XLIX, 2 DOI 10.24053/ OeC-2024-0019 122 Nous remercions vivement le personnel de la bibliothèque des Facultés Loyola (Centre Sèvres, Paris), notamment sa directrice M me Alix Lame-Bergis et son adjoint M. Ugo Lumbroso, de nous avoir permis de consulter la collection complète de la revue Clairière , bulletin des amis de Jean Mambrino, source très riche de textes divers, qu’ils soient de la main du poète ou écrits à son sujet. Œuvres poétiques de Jean Mambrino évoquées (1965-1979), et abréviations VA - Le Veilleur aveugle , Paris, Le Mercure de France, 1965. LF - La Ligne du feu , poèmes , Paris, Les Éditeurs français réunis, 1974. CL - Clairière , poème , Paris, Desclée de Brouwer, 1974. SL - Sainte Lumière , poèmes , Paris, Desclée de Brouwer, 1976. Prix Broquette-Gonin de l’Académie française, 1976. OC - L’Oiseau Cœur, poèmes, précédé de Clairière et Sainte Lumière , Paris, Stock, 1979. Prix Guillaume-Apollinaire, 1980. Nous tirons également de cette édition les références à Clairière et Sainte Lumière présentes dans les notes. Textes théoriques et critiques de Jean Mambrino 122 (sélection) 1973 - «-En guise de préface-», dans La Poésie mystique française , p.-5-11. 1977 - « Gérard Manley Hopkins. Hommage de Jean Mambrino », émission diffusée sur France Culture le 19/ 4/ 1977, animée par J. Mambrino, sur la chaîne You Tube «-Éclair brut-». 1978 - « Le miel du visible » [ Études , avril 1978], Clairière , n°6, 1988, p. 14-18 (sur Rilke). 1989 - «-Le cher levain du monde-», Clairière , n°6 bis, 1989, n. p. 1992 - «-La nuit sacrée ou poésie et transcendance-» dans Jean Mambrino, Jean-Claude Renard et Yves-Alain Faivre (dir.), Une certaine nuit. Transcendance et poésie , Mont-de-Marsan, éditions Inter Universitaires, 1992, p. 7-26 (reprise d’une conférence à l’Université de Taïwan en 1990). 1994 - «-Lire comme on se souvient. ‘‘Devant le volubilis épanoui/ nous prenons notre repas/ Nous qui ne sommes que des hommes’’-», Clairière , n°11, 1994, n. p. (sur le haïku). Entretiens donnés par Jean Mambrino Kéchichian, Patrick. «-La critique en délectation-», [ Le Monde des livres , 2 juin 1986], Clairière , n°7, 1990, p.-30-42. Dandréa, Claude. «-Un entretien de Jean Mambrino avec Claude Dandréa-», Clairière , n°8, 1991, n.-p. Noyé, Jean-Paul. « Pour Jean Mambrino. 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