Papers on French Seventeenth Century Literature
pfscl
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
10.24053/PFSCL-2022-0031
121
2022
4997
Tony Gheeraert - Une fantaisie à la manière de Callot. Introduction au Roman comique de Paul Scarron
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2022
Volker Kapp
pfscl49970511
PFSCL XLIX, 97 DOI 10. / PFSCL-2022-0031 511 Tony Gheeraert : Une fantaisie à la manière de Callot. Introduction au Roman comique de Paul Scarron. Presses Universitaires de Rouen et du Havre, 2021. 193 p. Le Roman comique de Scarron est souvent commenté par la critique littéraire qui vante ses qualités en critiquant en même temps ce qu’elle s’ingénie à qualifier de faiblesses. Tony Gheeraert s’efforce de rendre caduques les reproches avancés contre l’incohérence de l’action ou les prétendus défauts structuraux provenant du mélange du « pittoresque » (14) avec un certain « réalisme » (16). Selon lui, « la précision documentaire impressionne » parce que le romancier nous communique « le fruit d’une observation personnelle et attentive » (16) du pays du Maine et du « nord-ouest de la France » (19). Les « petits faits vrais » qui contribuent « à la saveur du livre et à l’admiration des lecteurs, témoignent d’une connaissance précise des lieux et des personnes » (23). Cette précision documentaire du roman est mise en relief par Gheeraert qui, confirmant les analyses de Robert Garapon et Isabelle Trivisani-Moreau, insiste sur « l’esthétique de la surprise » (49). « Le Roman comique travestit le roman héroïque, comme Le Virgile travesti faisait de l’épopée latine » (113). Scarron exploite les possibilités du burlesque pour adresser « un irrévérencieux pied de nez adressé aux tenants des beaux romans, de la belle langue, et du bel ordre monarchique dans le royaume » (121). Il « se plaît à forger des syntagmes désopilants, mêlant burlesque proprement dit et héroïco-comique, par lesquels il dégrade les références antiques et mythiques, sans pour autant réévaluer les réalités triviales » (116). Pour Scarron, la « dénonciation des conventions et du style précieux vise plutôt à sortir la fiction narrative de l’impasse où l’avait menée […] le roman héroïque et sentimental » (91). L’art de son roman réside « dans l’hybridation entre d’une part une écriture qui enfreint les règles du beau langage, et de l’autre des envolées romanesques bien plus conformes aux attentes des doctes comme du public des romans » (119). Récusant la tradition critique qui « répugne à voir autre chose en Scarron qu’un plaisant bouffon » (123) Gheeraert invoque son rôle dans la Fronde et explique en même temps la dévaluation du roman par son auteur comme un jeu ingénieux pour pouvoir imposer le côté contestataire du libertinisme de son histoire sans courir le risque d’une poursuite judiciaire. D’après notre critique, les possibilités du style burlesque permettent au romancier de subvertir l’univers religieux et moral autant que les valeurs civiles du royaume. Les travaux de Mikhail Baktine, « largement remis en cause par la critique récente » (97), fournissent la base de cette interprétation du Roman comique si bien que, dans cette optique, il « flotte sur tout le livre un air de Comptes rendus PFSCL XLIX, 97 DOI 10. / PFSCL-2022-0031 512 ‘charivari’ » (97), qui annonce « la puissance transgressive du rire » (128). Son « discours finalement assez cohérent d’hostilité aux institutions ecclésiastiques et à la foi manifeste une mise en cause du christianisme qui dépasse le cadre d’une simple satire plaisante héritée des vieux fabliaux » (144). Il profite de la période de son canonicat, qui lui permet de connaître « bien le clergé de la région, qu’il allait visiter lorsqu’il accompagnait son maître l’évêque du Mans » (145). Débarrassé de sa charge ecclésiastique, il peut laisser libre cours à son libertinage et par conséquent dans son roman, « le christianisme apparaît privé de dimension spirituelle » (148). La dénonciation du faux-semblant chrétien et la stratégie littéraire de « briser le pacte de lecture » s’accordent dans l’intention de détruire « les fausses créances » (152). En soulignant le « relativisme » en matière religieuse, Gheeraert rend familier le Roman comique aux « esprits d’aujourd’hui » (148). Dans le quatrième chapitre, il esquisse l’histoire du genre du roman comique en tant qu’une « anomalie de l’histoire littéraire » et rattache « au moins partiellement » (69) le Roman comique à ce genre. À la fin du deuxième chapitre, il explique le renvoi à Callot dans le titre de son Introduction en plaçant sa lecture sous l’auspice du peintre « dont l’acide regard conjugue peinture sans concession des réalités humbles ou sinistres, avec une imagination créatrice qui frôle le fantastique » (33). Il qualifie le Roman comique de « roman matériel sinon matérialiste » qui « n’accorde guère de place au sacré » (144). Le burlesque lui semble choisi par le romancier pour transmettre une description exacte de ce qu’il a expérimenté pendant la période de son activité « au Mans comme ‘domestique familier’ de l’évêque Charles II de Beaumanoir-Lavardin » (9) dont il obtint en 1636 le canonicat. Voici donc une lecture qui rapproche ce roman du XVII e siècle de la mentalité d’un grand nombre de nos contemporains. Volker Kapp
