eJournals Papers on French Seventeenth Century Literature 50/98

Papers on French Seventeenth Century Literature
pfscl
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
10.24053/PFSCL-2023-0007
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2023
5098

Attribution implicite et fiction du contrepouvoir : L’Ombre du grand Armand, cardinal, duc de Richelieu, parlante à Jules Mazarin (1649)

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2023
Maxime Cartron
pfscl50980111
PFSCL L, 98 DOI 10. / PFSCL-2023-0007 Attribution implicite et fiction du contrepouvoir : L’Ombre du grand Armand, cardinal, duc de Richelieu, parlante à Jules Mazarin (1649) M AXIME C ARTRON U NIVERSITÉ DE S HERBROOKE , CIREM 16-18 En 1649 paraissait à Paris chez François Noël « ruë Sainct Jacques, aux Colomnes d’Hercules », un in-quarto anonyme intitulé L’Ombre du grand Armand, cardinal, duc de Richelieu, parlante à Jules Mazarin (Fig. 1). Il s’agit, on s’en avise au premier coup d’œil, d’une mazarinade dont voici un bref extrait choisi ci-après : Si les poulets d’Inde qui estoient à Ruel au temps des Barricades premieres pouvoient parler ils vous reprocheroient vos coyonneries et vos laschetez, puis qu’un renard ou quelqu’autre beste les ayant fait une nuit partir et voler d’effroy dans le parc, vous en eustes une si forte alarme, qu’à peine on pust vous rasseurer 1 . On pourrait s’attendre ici à une énième analyse de la rhétorique des mazarinades, ou encore à une étude du positionnement sociologique du libraire au cœur d’une dynamique des contre-pouvoirs, dont ces écrits sont après tout, dit-on d’ordinaire, une émanation patente. Mais le contexte de la recherche que je propose ici est tout autre. Il s’agit en effet plutôt pour moi de réfléchir à la proximité en apparence troublante de cette Ombre du grand Armand, cardinal, duc de Richelieu, parlante à Jules Mazarin avec un auteur important du temps, le poète Georges de Scudéry, à cette époque exilé en Normandie pour avoir pris le parti de Condé contre Mazarin, et dont le Cabinet de 1646 2 et les Discours politiques des Rois de 1647 3 avaient déjà laissé entendre son opposition au nouveau Ministre d’État, jugé bien infé- 1 L’Ombre du grand Armand Cardinal Duc de Richelieu parlante à Jules Mazarin, Paris, François Noël, 1649, n.p. 2 Georges de Scudéry, Le Cabinet de Monsieur de Scudéry, Paris, Augustin Courbé, 1646. 3 Georges de Scudéry, Discours politiques des rois, Paris, Augustin Courbé, 1647. Maxime Cartron PFSCL L, 98 DOI 10.24053/ PFSCL-2023-0007 112 rieur à son prédécesseur 4 . En effet, L’Ombre du grand Armand, cardinal, duc de Richelieu, parlante à Jules Mazarin joue sur un procédé d’intitulation ouvertement connivent : comme l’a déjà signalé Giuliano Ferretti, ce texte « utilise le titre d’une pièce que Scudéry avait écrite contre les poètes anonymes pour défendre la mémoire de son ancien protecteur 5 », Richelieu, décédé le 4 décembre 1642 ; il s’agit de L'Ombre du grand Armand, cardinal duc de Richelieu, prosopopée parue en 1643 6 , « fantasme terrifiant venu pourchasser les poètes qui déshonoraient la France 7 », dans laquelle, par la bouche de son maître, Scudéry pourfend les écrivains qui, selon lui, salissent sa mémoire. De fait Scudéry a toujours voulu s’instituer en conseiller et en exégète du pouvoir, revendiquant ouvertement son statut de créature de Richelieu. La question de l’attribution implicite s’impose dès lors, mais non dans une perspective d’histoire littéraire visant à déterminer qui est véritablement l’auteur. La question que je poserai est, au contraire, la suivante : de quel processus de publication le nom d’auteur, qui affleure à la surface du pamphlet, est-il le signe ? Et que peut-on en déduire des éventuelles pratiques du contre-pouvoir de l’époque de la Fronde quand on les envisage dans leur rapport aux stratégies médiatiques et commerciales des imprimeurs-libraires ? De fait, il est assez tentant, de prime abord, d’attribuer le pamphlet à Scudéry, qui aurait choisi l’anonymat pour ne pas révéler trop ostensiblement son identité, tout en s’identifiant clairement, aux yeux des amateurs des lettres et des fidèles de Richelieu, comme son auteur. Il y aurait potentiellement un argument, séduisant mais, on va le voir, qui ne résiste pas à l’analyse, en faveur de cette théorie : celui du genre de la prosopopée, investi par le discours parénétique. Laurent Avezou rapproche ainsi notre texte de deux autres, tout aussi anonymes et également publiés en 1649 : La Mercuriade ou l’adjournement personnel envoyé à Mazarin par le cardinal de 4 Sur cette question, on consultera l’édition du Cabinet procurée par Christian Biet et Dominique Moncond’huy (Paris, Klincksieck, « Théorie et critique à l’âge classique », 1991). 5 Giuliano Ferretti, « Littérature clandestine et lutte politique. L’héritage de Richelieu au temps de Mazarin (1642-1661) », Lucien Bély et Isabelle Richefort (dir.), L’Europe des traités de Westphalie. Esprit de la diplomatie et diplomatie de l’esprit, Paris, PUF, 2000, p. 483. La Mazarinum indique également : « Titre repris de celui du texte de Scudéry, L'ombre du grand Armand (1643). D’après Hubert Carrier, texte paru fin janvier, début février 1649 (Bibliothèque Mazarine, Ms 4682-4, f. 119v) », (https: / / mazarinum.bibliotheque-mazarine.fr/ records/ item/ 15151-l-ombre-dugrand-armand-cardinal-duc-de-richelieu-parlante-a-jules-mazarin? offset=624). 6 Georges de Scudéry, L’Ombre du grand Armand, Paris, N. de Sercy, 1643. 7 Giuliano Ferretti, art. cit., p. 475. Attribution implicite et fiction du contre-pouvoir PFSCL L, 98 DOI 10. / PFSCL-2023-0007 113 Richelieu, en vers burlesques (Fig. 2) et Le Messager du cardinal de Richelieu envoyé des Champs-Elysées à Julle Mazarin (Fig. 3). L. Avezou considère en effet qu’ils illustrent le procédé littéraire consistant à « faire revenir Richelieu sur terre pour semoncer son successeur 8 ». Mais cette « parenté » infra-générique et rhétorique tend à écraser la spécificité de L’Ombre en tant qu’évènement de publication. En effet, il semble plus judicieux, ne serait-ce que par hypothèse théorique, de l’inscrire au sein de la production de Scudéry, dans la mesure où l’aboutissement possible d’une stratégie d’écriture stéganographique pourrait s’y lire : les Discours politiques des rois de 1647 sont dédiés à Mazarin mais ils constituent davantage un avertissement implicite à lui adressé qu’une série d’éloges. De même, les Poésies diverses de 1649 9 , qui reprennent entre autres L'Ombre du grand Armand, cardinal duc de Richelieu, sont dédiées au petit-neveu du défunt ministre, le but du poète étant de réactiver son héritage politique, considéré comme un lieu de mémoire, afin de contribuer à restaurer l’unité nationale, mise à mal en ces temps troublés. En somme, en mettant en réseau ces trois œuvres, on aurait l’anamorphose complète, le miroir de la politique de Richelieu, tendu à Mazarin sous différents angles. Du reste, la prégnance d’une écriture du regard présentant l’œil du maître comme omniscient est le dénominateur commun de ces trois textes : C’est un des Attributs de la gloire dont je joüis avec les Esprits bienheureux, de voir toutes les choses du monde distinctement d’un seul regard, et sans confusion, non pas seulement les passées, et les presentes : mais aussi celles qui seront jusques à la consommation des siecles 10 . Rédigeant actuellement un ouvrage sur les usages politiques du regard dans l’œuvre de Scudéry 11 , il semblerait naturel d’inclure ce passage dans mon étude. Cependant, il faut y renoncer tout de suite, pour des raisons autrement plus solides que celles avancées à l’instant. 8 Laurent Avezou, « La légende de Richelieu. Richelieu et la postérité », Richelieu patron des arts, Jean-Claude Boyer, Barbara Gaehtgens et Bénédicte Gady (dir.), Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’homme, « Passages/ Passagen », 2009, p. 526. 9 Georges de Scudéry, Poésies diverses dédiées à Monseigneur le Duc de Richelieu, Paris, Augustin Courbé, 1649. 10 L’Ombre du grand Armand Cardinal Duc de Richelieu parlante à Jules Mazarin, op. cit., n.p. 11 Les « Théâtres sublimes du visible ». Esthétique et politique du regard dans l’œuvre de Georges de Scudéry. Maxime Cartron PFSCL L, 98 DOI 10.24053/ PFSCL-2023-0007 114 En effet, non seulement une telle attitude aurait été suicidaire - Antoine Adam rappelle que Scudéry était dans le collimateur des séides de Mazarin 12 - ou du moins bien imprudente, mais encore, toutes ces interprétations ne reposent que sur une chose : l’intitulation, qui, on le sait, est très souvent - pour ne pas dire toujours - publicitaire sous l’Ancien Régime. Il semble ici bien plus probable que l’imprimeur-libraire ait joué sur l’intitulation du pamphlet afin de l’attribuer implicitement à un gentilhomme revanchard, en perte de vitesse et disgracié, l’anonymat à demi levé par le titre augmentant alors la valeur symbolique et marchande de l’écrit. Par l’intitulation publicitaire, un dispositif de lecture connivent tablant sur la réputation d’un auteur alors très connu dans l’écosystème politique s’invente afin de susciter l’intérêt du public et de se démarquer de la masse des autres pamphlets. La question de l’attribution permet donc d’interroger la fiction du contrepouvoir que construit cette mazarinade, qui sous ses apparences contestataires vise peut-être plus simplement le profit 13 . Il existe de fait un précédent à cette stratégie, un autre imprimeur-libraire ayant voulu profiter du nom d’auteur de Scudéry et de la réputation qui lui était attaché pour « faire le buzz » et augmenter la valeur de la pièce qu’il éditait : il s’agit de la Lettre du chevalier Georges de Paris à Monseigneur le prince de Condé (Fig. 4), qui semble désigner Scudéry mais qu’Hubert Carrier attribue à Le Laboureur : se déploie ici, de façon très claire, une fiction d’attribution, « le racolage des titres 14 » étant fondé sur le recyclage. De ce point de vue, il est piquant de constater que Google Books s’est fait prendre aussi à ce jeu - par automatisme bien entendu -, puisque le texte y est ouvertement attribué à Scudéry 15 . 12 « Une lettre de Servient à Mazarin, le 22 aout 1654, lui attribue les lettres “si importantes et si bien raisonnées” adressées à Condé et qui ont été saisies par la police. Servient propose de le faire arrêter. D’après lui, Scudéry, se sentant menacé, s’est réfugié au palais d’Orléans. D’une lettre de Chapelain, en date du 14 février 1659, il ressort que Scudéry se trouvait établi à Pirou, dans le département de la Manche » (Antoine Adam, Histoire de la littérature française au XVII e siècle [1948], t. 2, Paris, Albin Michel, « Bibliothèque de l’Évolution de l’Humanité », 1997, note 2 p. 77). 13 Sur cette question, voir Mathilde Bombart, « De Luynes à Mazarin, pamphlets réemployés : mémoire discursive ou économie éditoriale ? », Usages du copier-coller aux XVI e et XVII e siècle : extraire, réemployer, recomposer, Marie-Gabrielle Lallemand et Miriam Speyer (dir.), Caen, Presses universitaires de Caen, 2021, p. 199-214. 14 Voir Hubert Carrier, Les Muses guerrières. Les Mazarinades et la vie littéraire au milieu du XVII e siècle, Paris, Klincksieck, 1996. 15 Voir https: / / books.google.fr/ books? id=NkZCAAAAcAAJ&pg=PP11&lpg=PP11&dq= Ruel+au+temps+des+Barricades+premieres&source=bl&ots=RmBQeQkGJC& Attribution implicite et fiction du contre-pouvoir PFSCL L, 98 DOI 10. / PFSCL-2023-0007 115 Il faut ajouter à ces éléments le fait que François Noël est l’un des spécialistes de l’impression des Mazarinades 16 , très au courant de ce fait des stratégies médiatiques nécessaires à la bonne marche de la production imprimée de ce secteur. De plus, L’Ombre figure par ailleurs dans le Second recueil des pieces curieuses de ce temps, recueil factice de 1649 (Fig. 5), ainsi que dans le Recueil de diverses pièces qui ont paru durant les mouvemens de l'année 1649 publié en 1650 (Fig. 6). Ces éléments inclinent à nous faire privilégier à la thèse d’un Scudéry pamphlétaire celle de l’efficacité d’une stratégie médiatique fondée sur l’attribution implicite, stratégie tendant à faire primer le plaisir de l’identification connivente au discours politique lui-même, le texte devenant pour ainsi dire secondaire 17 . Dans cette optique, il n’est pas innocent que l’une des impressions conservées par la BnF que j’ai consultée 18 comporte une sorte de cahier iconographique inséré après coup entre la page de titre et le début du texte, dans lequel on trouve un portrait de Mazarin (Fig. 7) avec ses armoiries et la couronne de lauriers, « Jules Mazarin Cardinal, Conseiller du Roy en ses Conseils, Abbe des Abbayes de St. Nabor en Lorraine, de St. Medard de Soissons, et de St. Pierre de Corbie, etc. ». Mention « Baltazar Moncornet excud. Avec privil. du Roy » ; puis un portrait de Richelieu (Fig. 8) avec ses armoiries et la couronne de lauriers, « Armand Cardinal de Richelieu Duc et pair de France Grand M. Chef et Sur-Intendant de la Navigation Gouverneur, et Lieutenant général pour le Roy en pais de bretaigne ». Dus à Balthasar Moncornet, le plus grand « manufacturier » du genre à l’époque et sig=ACfU3U3U2MKLhVryB2tTQFObjigcbegTUQ&hl=fr&sa=X&ved=2ahUKEwjl -e-cxO_mAhUF4YUKHR8IBQgQ6AEwAHoECAUQAQ#v=onepage&q=Ruel%20au %20temps%20des%20Barricades%20premieres&f=false. 16 Voir Hubert Carrier, op. cit. 17 Sur cette question, on se reportera à Christophe Schuwey, « Des livres prétextes ? Supports et produits de librairie », Histoire de l’édition : problématiques et enjeux des partages disciplinaires (XVI e -XVIII e siècle), Sophie Abdela, Maxime Cartron et Nicholas Dion (dir.), Paris, Classiques Garnier, « Constitution de la Modernité », 2023, p. 213-225. 18 L’Ombre du grand Armand cardinal, duc de Richelieu, parlante à Jules Mazarin, Paris, s.n., 1649, BnF 4-LB37-502 (B). Voici les deux autres émissions consultées : L’Ombre du grand Armand cardinal, duc de Richelieu, parlante à Jules Mazarin, Paris, François Noël, rue Saint Jacques, aux colomnes d’Hercules, 1649, BnF 4-LB37- 502 ; L’Ombre du grand Armand cardinal, duc de Richelieu, parlante à Jules Mazarin, Paris, s.n., 1649, BnF 4-LB37-502 (A). L’impression numérisée sur Google Books à partir de l’exemplaire de la Bibliothèque de l’État de Bavière ne comporte pas ces portraits : (https: / / books.google.fr/ books/ about/ L_Ombre_Dv_Grand_Armand_Cardinal_Dvc_D e.html? id=NkZCAAAAcAAJ&redir_esc=y). Maxime Cartron PFSCL L, 98 DOI 10.24053/ PFSCL-2023-0007 116 selon toute vraisemblance insérés après coup dans la plaquette, ces portraits constituent un élément supplémentaire à l’appui de la thèse d’une « machine médiatique » : l’image est partie prenante de la stratégie commerciale de l’imprimeur-libraire, elle la renforce en faisant surgir les corps de l’Histoire et en allouant au texte une fiction d’authenticité 19 . Mais l’effet de sens, on l’aperçoit aisément, est bien hâtif, puisque les deux portraits ne se font pas face mais se succèdent, ne s’accordant ainsi pas optimalement avec la confrontation textuelle à venir. En définitive, ce que construit cette publication, c’est, par l’attribution implicite, une fiction connivente du contre-pouvoir, qui n’est pas sans impact sur l’histoire littéraire, et plus généralement sur l’histoire de l’appréhension du fait littéraire : au lieu de voir dans chaque mazarinade un geste politique, selon la vulgate courante, on peut y distinguer des opérations commerciales et médiatiques visant, plus prosaïquement mais non moins nécessairement, l’enrichissement des imprimeurs-libraires. De ce point de vue, le nom de Scudéry et sa réputation d’auteur étaient des armes précieuses pour développer cette manœuvre éditoriale : en affectant d’être un discours politique au premier degré, prenant appui sur l’autorité des images de l’Histoire, L’Ombre du grand Armand augmente sa valeur symbolique en refusant de s’afficher comme ce qu’elle est pourtant : un produit. Plus encore, elle joue de la mémoire littéraire attachée au genre de l’ombre, qui invite d’emblée à un parallèle avec les dialogues des morts, afin de renforcer sa scénographie publicitaire 20 . Réfléchir à ce type de textes en fonction d’une telle approche est fécond : reconsidérer les opérations éditoriales à l’œuvre ici offre la possibilité de sortir de l’univocité de la perspective rhétorique et permet d’observer des effets de singularisation au sein d’une masse de textes généralement présentée comme relativement indistincte, dont la critique peine bien souvent à 19 « Se faisant galerie des illustres, les portraits (…) mettent à distance » la « dimension polémique » des libelles « et invitent à un regard rétrospectif sur ce qui serait déjà des sources pour l’histoire » (Mathilde Bombart, « La Fronde en recueils », Pratiques & formes littéraires 16-18. Cahiers du GADGES, n o 18 : « Recueils factices. De la pratique de collection à la catégorie bibliographique », Mathilde Bombart (dir.), 2021, https: / / publications-prairial.fr/ pratiques-et-formes-litteraires/ index.php? id=374, § 28). Mathilde Bombart cite à ce sujet la formule de Christian Jouhaud : « conversion de l’action en représentation » (« Frontières des mazarinades, l’Inconnu et l’événement », Écritures de l’événement : les mazarinades bordelaises, Myriam Tsimbidy (dir.), Pessac, Presses Universitaires de Bordeaux, 2015, https: / / doi.org/ 10.4000/ books.pub.15678, § 8). 20 Je remercie Marc André Bernier d’avoir attiré mon attention sur cette dimension de la fabrique publicitaire de L’Ombre. Attribution implicite et fiction du contre-pouvoir PFSCL L, 98 DOI 10. / PFSCL-2023-0007 117 appréhender l’intention réelle. Une telle perspective est d’autant plus importante que l’approche rhétorique a souvent été présentée comme le meilleur moyen de distinguer ces textes les uns des autres, mais aussi de les raccorder entre eux. Ainsi G. Ferretti note-t-il : L’ombre du Grand Armand parlant à Mazarin, le Messager de Richelieu envoyé des Champs-Elysées à Mazarin et le Dialogue entre les deux cardinaux exploitent la même idée : la grandeur du mort domine la petitesse du vivant. Celui-ci apparait confus, tremblant et pitoyable face à l’habileté farouche de son devancier 21 . Sans faire injure à l’éminent historien, il me semble ici qu’il fait primer à tort l’inscription littéraire sur l’inscription médiatique : c’est la seconde qui détermine les usages rhétoriques et scripturaires, et non l’inverse. Ce point révèle l’influence encore considérable d’une certaine histoire littéraire persistant à envisager ses objets de façon textualo-textualiste, puisque les prestiges d’un tel habitus frappent, de manière étonnante, les historiens euxmêmes. À cet égard, la mise en réseau de différentes mazarinades par ce canal méthodologique interroge tout autant : La difficulté du ministre à déléguer son autorité et la réticence à constituer une équipe nombreuse de plumitifs pour faire face aux critiques de ses adversaires ont probablement contribué à l’explosion des libelles durant la guerre civile. Le dépit des Muses (1649), le Discours d’un philosophe indifférent (1649), L’ombre du grand Armand parlant à Mazarin (1649), Le messager de Richelieu envoyé à Mazarin ou encore le Dialogue entre les deux cardinaux (1652) rappellent la misère des écrivains ainsi que leur condition d’orphelins. En jouant sur le parallèle entre les deux cardinaux, ils ont souligné la générosité de l’un et l’avarice de l’autre, les talents du premier (qui les finançait) et la petitesse de l’autre (qui les délaissait) 22 . En laissant de côté la part capitale prise par les éditeurs au profit des effets supposés du texte, G. Ferretti reconduit la légende que la brève étude proposée ici entendait précisément réfuter : celle des « pouvoirs de la littérature 23 », soit, en l’occurrence, d’une efficacité rhétorique des mazarinades, qui sont peut-être parfois, bien plus que des gestes politiques, des gestes opportunistes. 21 Giuliano Ferretti, art. cit., p. 483. 22 Giuliano Ferretti, « L’œuvre de Mazarin au regard des historiens du XVII e siècle », Isabelle de Conihout et Patrick Michel (dir.), Mazarin : les lettres et les arts, Paris- Saint-Rémy-en-l’Eau, Bibliothèque Mazarine-Éditions Monelle Hayot, 2006, p. 374 et 377. 23 Voir Christian Jouhaud, Les Pouvoirs de la littérature : histoire d'un paradoxe, Paris, Gallimard, « NRF essais », 2000. Maxime Cartron PFSCL L, 98 DOI 10.24053/ PFSCL-2023-0007 118 Annexe : Illustrations Fig. 1 : L’Ombre du grand Armand Cardinal Duc de Richelieu parlante à Jules Mazarin, page de titre. Attribution implicite et fiction du contre-pouvoir PFSCL L, 98 DOI 10. / PFSCL-2023-0007 119 Fig. 2 : La Mercuriade ou l’adjournement personnel envoyé à Mazarin par le cardinal de Richelieu, en vers burlesques, 1649. Maxime Cartron PFSCL L, 98 DOI 10.24053/ PFSCL-2023-0007 120 Fig. 3 : Le Messager du cardinal de Richelieu envoyé des Champs- Elysées à Julle Mazarin, 1649. Attribution implicite et fiction du contre-pouvoir PFSCL L, 98 DOI 10. / PFSCL-2023-0007 121 Fig. 4 : Lettre du chevalier Georges de Paris à Monseigneur le prince de Condé, 1649. Maxime Cartron PFSCL L, 98 DOI 10.24053/ PFSCL-2023-0007 122 Fig. 5 : Second recueil des pieces curieuses de ce temps, 1649 Attribution implicite et fiction du contre-pouvoir PFSCL L, 98 DOI 10. / PFSCL-2023-0007 123 Fig. 6 : Recueil de diverses pièces qui ont paru durant les mouvemens de l’année 1649, 1650 Maxime Cartron PFSCL L, 98 DOI 10.24053/ PFSCL-2023-0007 124 Fig. 7 : L’Ombre du grand Armand cardinal, duc de Richelieu, parlante à Jules Mazarin, Paris, s.n., 1649, BnF 4-LB37-502 (B), portrait de Mazarin Attribution implicite et fiction du contre-pouvoir PFSCL L, 98 DOI 10. / PFSCL-2023-0007 125 Fig. 8 : L’Ombre du grand Armand cardinal, duc de Richelieu, parlante à Jules Mazarin, Paris, s.n., 1649, BnF 4-LB37-502 (B), portrait de Richelieu