eJournals Papers on French Seventeenth Century Literature 50/98

Papers on French Seventeenth Century Literature
pfscl
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
10.24053/PFSCL-2023-0009
61
2023
5098

Ralph Dekoninck et Pierre-Antoine Fabre (éds.) : Louis Richeome, Le Discours pour les images, avec la collaboration de Lise Constant et Annelyse Lemmens. Grenoble, Jérôme Million, coll. « Atopia », 2022. 364 p.

61
2023
Maxime Cartron
pfscl50980145
PFSCL L, 98 DOI 10. / PFSCL-2023-0009 Ralph Dekoninck et Pierre-Antoine Fabre (éds.) : Louis Richeome, Le Discours pour les images, avec la collaboration de Lise Constant et Annelyse Lemmens. Grenoble, Jérôme Million, coll. « Atopia », 2022. 364 p. « Penser l’image, c’est (…) penser tout court, l’image s’imposant comme la condition même de toute pensée » (p. 65) écrivent Ralph Dekoninck et Pierre-Antoine Fabre à propos de ce texte capital pour la culture du XVII e siècle qu’est le Discours pour les images du jésuite Louis Richeome, publié initialement en 1597. Une telle déclaration fait assez sentir que l’édition critique dont il est question n’est pas due qu’au champ de spécialité des critiques, mais répond à un véritable projet herméneutique. Selon R. Dekoninck et P.-A. Fabre en effet, le Discours pour les images « nous conduit au plus intime du problème de l’image dans l’Europe moderne » (p. 107). Le travail d’édition réalisé ici procède donc d’une double perspective : il s’agit de « le faire mieux connaître de celles et ceux qui, d’une manière ou d’une autre, s’intéressent à la culture et à l’image chrétienne de la première modernité » (p. 5, n. 1) et, dans cette optique, de montrer que le texte de Richeome est un véritable creuset : Explorer le socle théorique de cette passion pour les images, qui se laisse découvrir non seulement à travers ses principaux écrits spirituels (dans les préfaces notamment), mais aussi et d’abord - d’un point de vue chronologique et d’un point de vue théorique - dans son Discours pour les images de 1597 (p. 6). Si un tel programme est on ne peut plus pertinent, le lecteur familier de l’œuvre de Richeome pourrait a priori s’étonner de ne trouver ici que « le troisième volet d’un ouvrage dont le titre complet est le suivant : Trois Discours pour la religion catholique, des miracles, des saints et des images » (p. 6). Mais R. Dekoninck et P.-A. Fabre s’en expliquent de manière tout à fait convaincante : Tout en sachant qu’on ne peut isoler ce volet du reste du triptyque, la question des images étant intimement liée à celle des saints et des miracles - ce qui est bien le cas dans la grande majorité des controverses de cette époque -, on a malgré tout décidé de l’éditer et de le traiter séparément afin de rendre compte de cette théorie de l’image qui sous-tend son œuvre et qui s’inscrit au cœur de la controverse sur les images de cette époque (p. 6-7). Dès lors, il convient d’examiner les modalités retenues par les éditeurs pour rendre compte de toute l’impact de l’œuvre richeomienne sur la culture visuelle du temps. Comptes rendus PFSCL L, 98 DOI 10. / PFSCL-2023-0009 146 Une lecture continuelle et continue du traité La méthode d’approche mérite d’être évoquée car son efficacité et son rendement sont notables : R. Dekoninck et P.-A. Fabre s’attachent patiemment à avancer chapitre par chapitre dans le traité, promouvant un geste de lecture dont la linéarité fait apparaître la structure argumentative et la complexité dialectique de la pensée et de l’écriture de Richeome : ce « parcours à travers les principaux temps et nœuds argumentatifs du Discours pour les images » (p. 56) éclaire de manière limpide les enjeux de l’œuvre, tout en refusant de réduire sa portée et de trancher de manière doctrinaire : « à ces questions, nous ne pouvons apporter de réponse définitive » (p. 8). De ce point de vue, le choix, très fort, de différer la question du traitement des sources (qui débute à la p. 57) démontre toute l’originalité et le caractère « sismographique » de l’œuvre de Richeome, pour évoquer un article récent co-écrit par les éditeurs 1 . De plus, ces derniers ont repris l’index composé par le jésuite car il permet de « rendre compte d’une autre manière du tissu de références de Richeome et de l’entrelacs, dans l’ensemble de son traité, des sujets du miracle, des saints et des images, souterrainement reliés par celui des objets et des cultes reliquaires » (p. 109). De ce point de vue, c’est une lecture du Discours pour les images selon son ordre propre que proposent R. Dekoninck et P.-A. Fabre, et la magistrale « Analyse de quelques pièces centrales du dossier documentaire » (p. 67-96) peut alors, au cœur du texte et de son contexte culturel, révéler toutes les dimensions de l’œuvre. Matérialités R. Dekoninck et P.-A. Fabre prennent dans ce but le soin de dévoiler la construction éditoriale du Discours pour les images, en montrant comment celle-ci influe sur le sens même du texte : Une autre raison nous autorise à l’isoler des deux autres Discours, raison qui tient à la structure même du traité, que réfléchit son titre : Richeome ne définit pas les miracles, les saints et les images comme trois déclinaisons du Discours pour la religion catholique. Ce sont, syntaxiquement, quatre discours plutôt que trois : la religion catholique, les miracles, les saints, les images (p. 7). La note de bas de page complète cette remarque : 1 R. Dekoninck et P.-A. Fabre, « Batailles de l’image. L’œuvre sismographique de Louis Richeome, jésuite et écrivain », Littératures classiques, n o 107, Olivier Leplatre (dir.), Illustrer le livre sous l’Ancien Régime, 2022, p. 233-254. Comptes rendus PFSCL L, 98 DOI 10. / PFSCL-2023-0009 147 Les éditions de 1598 et 1599 modifient en effet le titre de la première édition de 1597 : Trois Discours pour la religion catholique, les miracles, les saincts et les images. Le remplacement de l’article défini « des » par « les » induit une consécution entre la défense de la religion catholique, des miracles, des saints et des images, alors que le premier titre tendait plutôt à subsumer les trois discours sous la défense générique de la religion catholique. Les rééditions, à partir de celle de 1602 (Rouen, Jean Osmont), rétabliront le titre originel en y ajoutant un double point : Trois Discours pour la religion catholique : des miracles, des saincts et des images (p. 7, n. 9). Il est frappant et révélateur que ces éléments éditoriaux en apparence anodins engagent toute l’interprétation, jusqu’à permettre de saisir le sens profond du traité de Richeome : Quatre discours dont trois seulement sont développés puisque le discours pour « la religion catholique » n’existe pas. Ce n’est pas un détail : car cela signifie que les miracles, les saints et les images participent sans doute de la religion catholique, mais ne suffisent pas à la définir, et que sa définition reste ouverte. C’est, de fait, une œuvre ouverte, une apologétique inachevée, dont les pièces restent partiellement déliées, continuent de jouer (p. 7). C’est donc une véritable leçon d’herméneutique éditoriale que nous livrent les éditeurs, qui n’ont plus qu’à remonter le fil de leur hypothèse pour conclure : Richeome ne s’en explique pas, mais on peut en esquisser une raison profonde : précisément centrée sur trois objets qui étaient au centre de la controverse antiprotestante, et anticalviniste en particulier, la place des miracles dans la théodicée, le culte des saints et celui des images, une apologétique chrétienne ne peut cependant s’y résumer, car elle comprend aussi un corpus dogmatique fondamental que le catholicisme tridentin partage encore avec les Réformes. Et c’est, faut-il ajouter, une apologétique d’autant plus inachevée qu’il y manque aussi un autre discours, qui celui-là aurait pu participer d’une apologétique catholique, mais qui ne traverse que souterrainement les trois discours, comme le montre le remarquable index final, clé de lecture de l’ensemble : un discours pour les reliques. Saints, reliques, images : à la trilogie du décret tridentin se substitue une autre trilogie, dans laquelle, plus précisément, les miracles se substituent aux reliques (p. 7). La solidité indéniable de ces analyses est renforcée par l’étude aussi exhaustive que possible à laquelle se sont livrés les éditeurs : si le texte retenu a été copié « à partir de l’exemplaire de la seconde édition de 1598 conservé à la bibliothèque du Centre Sèvres » (p. 108), R. Dekoninck et P.-A. Fabre ont « toutefois confronté cet exemplaire à d’autres exemplaires de la même édition et à la première édition de 1587 afin de repérer les quelques modifi- Comptes rendus PFSCL L, 98 DOI 10. / PFSCL-2023-0009 148 cations opérées » (p. 108). De fait, la troisième édition corrige « souvent des erreurs introduites dans la seconde, mais la seconde » contient « de notables ajouts par rapport à la première » (p. 24). Une rigueur similaire est observable dans l’étude des sources, « tâche compliquée étant donné que Richeome ne cite aucun de ses devanciers dans ce domaine » (p. 57). L’érudition sans faille des éditeurs leur offre cependant la possibilité de montrer que Richeome va parfois jusqu’à donner des « traductions pures et simples » (p. 58) de ses prédécesseurs, notamment Bellarmino, mais qu’il « amplifie considérablement les arguments présents » (p. 58) chez ces derniers. Ceci conduit les éditeurs à faire retour sur les enseignements de leur travail pour en dégager une ligne de force majeure : On peut lire ce Discours (et ces Discours) comme un immense collage de textes antérieurs, rapportés ou référés, ou plutôt comme un tressage (…). C’est sans doute l’un des plus grands enseignements de cette édition critique, et l’un des plus utiles : car il peut nous permettre de comprendre ce que pouvait être l’ensemble des livres mobilisables dans des traités de ce type, voire même peut-être des florilèges déjà constitués et utilisables ainsi que les sources déjà convoquées par les prédécesseurs immédiats (p. 66). Cette dynamique de l’inventio est d’une importance cruciale pour comprendre les moyens et méthodes d’appropriation du discours au début du XVII e siècle, la remarque sur les florilèges mettant de l’avant le rôle des lectures fragmentaires, « par morceaux » dans ce processus 2 . Au demeurant, R. Dekoninck et P.-A. Fabre n’ont nullement la prétention d’avoir épuisé le sujet, leur modestie les portant à noter : « l’enquête serait ici à poursuivre : elle n’est pas facile, notre information sur l’état des bibliothèques des maisons et des collèges de la Compagnie dans ce dernier XVIe siècle restant très lacunaire » (p. 67, n. 93). Une stylistique sociale Cette édition se recommande également en ce qu’elle substitue à une attendue biographie traditionnelle une approche sociologique de Richeome « écrivain, ou religieux écrivain, plus que religieux et écrivain » (p. 9). Si la place importante de Richeome chez les jésuites, « une Compagnie dans laquelle il a contribué à introduire l’art de l’ouvrage illustré » (p. 14) est bien connue, R. Dekoninck et P.-A. Fabre creusent plus loin encore, en montrant que 2 Voir sur cette question Mathilde Bombart, Maxime Cartron et Michèle Rosellini (dir.), Recueillir, lire, inscrire : recueils et anthologies à l'époque moderne, Lyon, Pratiques & formes littéraires 16-18. Les Cahiers du GADGES, n o 17, 2020, en ligne : https: / / publications-prairial.fr/ pratiques-et-formes-litteraires/ index.php? id=144. Comptes rendus PFSCL L, 98 DOI 10. / PFSCL-2023-0009 149 Richeome s’inscrit dans cet interstice encore très étroit, appelé cependant à un élargissement considérable au siècle suivant : l’interstice spirituel, ni théologie, ni philosophie, ni littérature « profane » ou mondaine, mais en revanche précisément indexé, et cela restera vrai dans toute la suite, sur la vie de l’esprit, c’est-à-dire sur l’exercice du discernement entre les esprits, qui inspirent bonne ou mauvaise position, bonne ou mauvaise exposition à Dieu ; c’est-à-dire, plus concrètement encore, sur la direction spirituelle comme très intime articulation de la sphère cléricale sur la sphère civile (p. 15). Dès lors, le jésuite est appréhendé comme un « fondateur de discursivité » (p. 15) au sens de Foucault, ces déterminations herméneutiques ayant l’immense avantage de considérer le style dans son implication sociale même. En d’autres termes, l’écriture de Richeome est perçue par les éditeurs comme un geste social à part entière : la « querelle de mots » qu’elle excite n’est pas réductible à un simple exercice rhétorique puisqu’il s’agit de « mots qui ont une forte incidence sur la perception et les usages de l’image » (p. 97). De ce point de vue, l’analyse de la polémique avec les protestants occasionnée par la parution des Discours en 1597 (p. 97-105) est d’une rare finesse. Une œuvre de combat En effet, tout en abordant le Discours pour les images pour ce qu’il est en premier lieu, un ouvrage de controverse - la « charge rhétorique et polémique très forte » (p. 59) de l’œuvre richeomienne est mise en évidence à travers toutes ses déclinaisons -, R. Dekoninck et P.-A. Fabre ne l’y réduisent pourtant à aucun moment. Bien au contraire, ils montrent avec verve la singularité de la pratique polémique richeomienne. En remontant à la genèse de l’œuvre, située dans l’« intense conflit entre protestants et catholiques » déclenché par une « image miraculeuse de la Vierge » à « Notre-Dame des Ardilliers, près de Saumur » (p. 29), les spécialistes de la culture visuelle jésuite du XVIIe siècle étudient « l’art de l’amplification qui est une marque de Louis Richeome (et plus généralement de l’écriture spirituelle de son temps, dans un ressort éprouvé de la controverse) » (p. 31) : La bataille se livre sur le terrain de l’évidence de la preuve - qui est aussi celle de l’image -, qui pourrait se dispenser de tout argument. Cette évidence est triple : elle est celle de la volonté divine à instituer les images, celle de l’utilité des images et celle de l’honneur que l’on rend à travers elle à Dieu (p. 37). Comptes rendus PFSCL L, 98 DOI 10. / PFSCL-2023-0009 150 Mais loin de s’en tenir aux espèces, les éditeurs décortiquent patiemment le mécanisme de la polémique richeomienne : À côté des arguments avancés par Richeome, il importe de dire un mot sur la manière dont ils sont articulés les uns aux autres pour former une espèce de « scénario » polémique. Autrement dit, il faut s’intéresser aussi au moule rhétorique dans lequel ils sont coulés pour leur conférer toute leur force persuasive (p. 61). Ce « moule rhétorique » conditionne la portée et la réussite des textes : Le secret du succès consiste donc non seulement à renforcer l’impact de vieux arguments, à les étayer par la dialectique mais aussi et surtout à les habiller de la rhétorique afin de les rendre les plus percutants, art dans lequel Richeome est passé maître. C’est en effet là une de ses forces : non seulement d’être un fin polémiste mais aussi un intelligent rhéteur qui a le souci de ne pas lasser son lecteur en l’assommant par le nombre et le poids des citations et des arguments (p. 62). Le Discours pour les images apparaît ainsi comme une fiction bâtie sur une série de métaphores intimement liées les unes aux autres. Ce réseau métaphorique vient sous-tendre et animer littéralement le discours, qui se révèle être ainsi traversé de part en part par l’image. Or quand l’objet du discours est l’image elle-même, comme dans le cas présent, on ne peut manquer de repérer une certaine volonté de faire coïncider cet objet avec ses modes de légitimation ou d’exécration. La controverse sur l’image est une guerre qui use et abuse de l’image au profit ou au détriment de l’image elle-même (p. 62). « L’image et l’idole » : itérativité du regard Pour analyser ces ressources stratégiques de la controverse sur l’image, dont Richeome use avec un talent indéniable, R. Dekoninck et P.-A. Fabre mettent en évidence le paradigme structurant qui les organise, à savoir la « distinction entre l’image et l’idole » (p. 38), absolument capitale puisque tout l’édifice argumentatif de Richeome repose (…) sur cette opposition structurante entre la vraie image et la fausse image, alors que du côté protestant on tend à voir dans toute image religieuse une idole en puissance dès lors qu’on adopte des croyances envers ses prétendus pouvoirs (p. 38). L’efficacité de cette distinction permet à Richeome, à partir de l’image, d’affirmer que « toute la doctrine protestante fait figure d’idole » (p. 63). La cohérence de la pensée sur l’image du jésuite est totale, et c’est elle que les éditeurs s’attachent à révéler : « ce qui compte, aux yeux de Richeome, est la relation de signification. Une image ne peut être dite vraie si son référent Comptes rendus PFSCL L, 98 DOI 10. / PFSCL-2023-0009 151 est faux » (p. 39). Or « toutes les critiques adressées aux simulacres papistiques par les protestants sont ainsi intelligemment rapportées à cette fausse et diabolique image qu’est l’idole, laissant de la sorte indemne le champ de l’image sainte où la matière est rédimée par le sens et la vérité » (p. 39-40). Par la grâce de cette rhétorique habile, Richeome peut défendre efficacement l’image, lui dont « l’univers » est « fondamentalement scriptoaudio-visuel » (p. 46). En effet, à ses yeux « la parole apparaît comme une médiation nécessaire, Richeome n’ayant d’ailleurs cessé d’apporter cette “bande son” aux images dans ses ouvrages illustrés » (p. 46), toujours dans le but de défendre la « vraie religion » car « l’amour comme la mémoire se nourrissent » de « la vue “réitérée” de l’image » (p. 47), laquelle est, pour Richeome, « un signe transitif, dénué de toute opacité » (p. 53). En somme, l’itération d’une image appréhendée comme pure transparence est la garantie d’une défense efficace du catholicisme : en insistant continuellement sur la valeur de l’image, Richeome ramène constamment le protestantisme à son statut d’idole. En effet, le Discours pour les images fournit l’occasion de constater que « plus qu’une théorie de l’image » (p. 57), Richeome développe « une théorie de la représentation » fondée sur un « juste rapport à l’image religieuse » (p. 56) et impliquant « la ressemblance, le lieu, la consécration ou institution - qui ne dépend pas de la nature de la représentation - et l’intention du spectateur, quatre facteurs reliés par le principe-pivot de convenance » (p. 56-57). Ce véritable système est entièrement orienté par la vertu morale que Richeome reconnaît dans l’image : pour lui « refuser l’image c’est refuser la paix. Car l’image s’oppose en tous points à la barbarie : plutôt que de délier et d’éloigner, elle relie et rapproche » (p. 66). « Le corps et l’esprit » : scolastique richeomienne Un autre apport conséquent de ce volume est l’identification de la « rigueur scolastique » (p. 106) qui infuse la pensée richeomienne de l’image : le Discours pour les images déploie de fait une « importante analogie entre les corps et les images » (p. 37) en ce que « Richeome passe du registre de l’instruction à celui de l’émotion sans solution de continuité ; et cela parce que les sens et la raison, le corps et l’esprit ne font pour lui qu’un » (p. 46). Cet hylémorphisme aristotélicien se double d’une réflexion sur les images agissantes : Les pouvoirs des imagines agentes sont ainsi de mouvoir (movere) le corps et l’esprit vers des passions saines et saintes. Et cette contagion mimétique est pour ainsi dire instinctive ; elle est de l’ordre de la prégnance inconsciente (p. 47). Comptes rendus PFSCL L, 98 DOI 10. / PFSCL-2023-0009 152 On retrouve ici tous les apports du projet Schol’Art : Les théories modernes des lettres et des arts à la lumière de la seconde scolastique (France-Italie, 1500- 1700), développé au GEMCA (UC Louvain) et dont R. Dekoninck est l’un des porteurs et animateurs. On notera par ailleurs que l’ouvrage comprend trois illustrations : le frontispice de La Peinture spirituelle analysé « comme une sorte de portrait de son auteur, ou plutôt comme le parcours, ressaisi sous la forme d’un portrait, d’une vie longue déjà (Richeome a 66 ans) dans l’institution de la Compagnie » (p. 14) ; la page de titre des Trois Discours (éd. 1597) ; le frontispice de L’Idolâtrie huguenote, analysé à propos de la controverse de Richeome avec les protestants. Ces figures donnent lieu à des observations d’une grande perspicacité et prouvent l’importance de l’illustration dans les ouvrages de Richeome, tout en en révélant l’intérêt pour l’histoire des textes illustrés du XVIIe siècle, jésuites au premier chef, mais pas uniquement. Enfin, le système d’annotation, pensé soigneusement, mérite d’être évoqué : « nous avons conçu deux types d’annotation : le premier concerne presque exclusivement les références données par Richeome en marge de son texte » (p. 108). L’érudition extraordinaire des éditeurs fait de cet ouvrage le meilleur des guides pour comprendre Richeome et les enjeux de son œuvre, conformément à ses intentions affichées. Quant au « second type d’annotation », il regarde l’interprétation du Discours. Elle reste évidemment ouverte à d’autres analyses. Notre préoccupation a d’abord été celle de repérer l’expression presque ineffable d’une écriture singulière, quand elle affleure à la surface du fleuve d’autorités dans lequel le lecteur peut à tous moments risquer de se noyer (p. 109). Cette recherche de l’individuation dans le champ des ressemblances fait toute la force de ce livre, qui s’impose comme un ouvrage indispensable pour quiconque s’intéresse à la culture visuelle et iconotextuelle du premier XVII e siècle. On notera pour finir que l’ensemble, à la réserve de coquilles vénielles 3 dont on ne saurait tenir rigueur aux auteurs, est admirablement soigné. Maxime Cartron 3 « Le cas de Notre-Dame des Ardilliers est ainsi d’autant plus intéressant pour nous qu’il ne se réduit nullement pas (sic.) » (p. 29) ; « Des hordes de barbares monstrueux, rongés par la gangrène et atteint (sic.) par la folie » (p. 40).