Papers on French Seventeenth Century Literature
pfscl
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
10.24053/PFSCL-2023-0010
61
2023
5098
Delphine Denis (dir.) : Honoré d’Urfé, L’Astrée, troisième partie, édition critique par Jean-Marc Chatelain, Delphine Denis, Camille Esmein-Sarrazin, Laurence Giavarini, Frank Greiner, Françoise Lavocat et Stéphane Macé. Paris, Honoré Champion, 2022. 881 p.
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2023
Volker Kapp
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Comptes rendus PFSCL L, 98 DOI 10. / PFSCL-2023-0010 153 Delphine Denis (dir.) : Honoré d’Urfé, L’Astrée, troisième partie, édition critique par Jean-Marc Chatelain, Delphine Denis, Camille Esmein-Sarrazin, Laurence Giavarini, Frank Greiner, Françoise Lavocat et Stéphane Macé. Paris, Honoré Champion, 2022. 881 p. Ce volume rend de nouveau accessible la troisième partie de L’Astrée, la dernière publiée par Honoré d’Urfé avant sa mort survenue en 1625. Une première version est éditée en 1619 par Du Bray et Varennes et une version remaniée en 1620 par les mêmes éditeurs. Cette dernière version « présente d’assez nombreuses variantes […] surtout quelques additions d’ampleur aux livres 3 et 12 » (40) et « offre pour la première fois la version intégrale et définitive du texte » (41). Malgré sa « composition typographique peu soignée, elle se doit d’être retenue pour l’établissement d’une édition critique » (42), surtout parce que presque toutes les éditions ultérieures en proviennent comme on peut le vérifier grâce au « stemma des éditions de la 3 ème partie » (43). Elle comporte des « guillemets imprimés en marges » qui « signalent au lecteur les énoncés sentencieux […] sans qu’il soit possible de savoir à qui, de l’auteur ou de l’éditeur, on doit imputer la responsabilité de ces signes marginaux, faute de manuscrit et de toute autre source en mesure de l’attester » (41). Puisque le lecteur d’aujourd’hui est rarement en état de reconnaître spontanément ces sentences, il est reconnaissant de découvrir ainsi une dimension du texte qui lui échapperait autrement. Les élucidations lexicales fournies en notes de bas de page sont très utiles. Nous ne mentionnons qu’un exemple : « Rencontrer : au sens militaire d’attaquer, affronter au combat. Ce sens est attesté en moyen français, mais n’est plus enregistré par les dictionnaires du XVII e siècle » (780). On apprécie la reproduction des gravures en taille-douce provenant de l’édition parisienne publiée en 1632-1633 par Auguste Courbé et Antoine de Sommaville en tête de chacun des douze livres. Cette troisième partie est centrée sur le récit du bonheur fragile goûté par Céladon travesti en femme, travestissement qui lui permet de séjourner auprès d’Astrée. Céladon passant pour Alexis, la fille d’Adamas, suscite la curiosité grâce à son identité méconnue et à sa beauté admirée. Ceux qui ignorent son déguisement, surtout Astrée, s’émerveillent de sa ressemblance avec l’amant, supposé mort, de cette dernière. Alexis, qui, lors de la première rencontre d’Astrée « demeura longtemps, sans sçavoir par où commencer » (143), est tiraillée entre l’effort de jouer son rôle qui la rapproche d’Astrée et l’enthousiasme de retrouver le passé malheureux qui détermine sa vie actuelle. Une de ses réflexions caractérise bien son état d’âmes : « […] à ceste heure soubs pretexte qu’on te croit autre que tu n’es pas […] tu prends ces faveurs pour tiennes » (344). Ces considérations la Comptes rendus PFSCL L, 98 DOI 10. / PFSCL-2023-0010 154 font « retomber presque aux mesmes desespoirs où il vivoit autrefois dans sa caverne » (344). Astrée, qui préfère sa vie de bergère à la vie de « celles qui vivent dans les Cours & dans le maniment du monde » (145), justifie les éloges du monde pastoral sans écarter le souvenir du drame de son amour pour Céladon. La description des sentiments éprouvés par les deux amants, de leurs actions ainsi que de celles de leur entourage permet au romancier de développer un registre varié d’intrigues dans une temporalité restreinte à cinq jours et à six nuits. Les nuits passées par Alexis avec Astrée, Philis et Diane dans la même chambre pourraient dévoiler son identité véritable, ce qui contribue beaucoup au suspens de la narration. Un charme particulier provient de l’évocation des souvenirs par Céladon d’une part et de la remémoration des vicissitudes de l’amour malheureux par Astrée d’autre part ainsi que de son évocation des lieux, qui lui sont chers grâce à Céladon dont elle ne sait pas qu’ils sont familiers à celui-ci déguisé en Alexis. La rivière de Lignon, où Céladon a manqué se noyer, et le Forez sont un centre primordial de l’action. Adamas, qui avait décidé l’amoureux désespéré à quitter son exil, ordonne au livre 9, la cérémonie du Guy dans le Temple de l’Amitié d’où il fallait passer dans un lieu « où le Temple d’Astrée avoit esté faict de petits arbres pliez les uns sur les autres en façon de tonne, par le Berger Celadon » (612). Ce temple construit par celui-ci à l’initiative et sous la direction d’Adamas et découvert par les autres bergers au livre 5 de la deuxième partie contient une peinture de la déesse Astrée que la bergère Astrée montre à Alexis en lui donnant l’occasion de souligner la ressemblance avec celle-ci. Cette troisième partie contient également un nombre important de poésies insérées. Urfé invente par exemple l’épisode où Diane découvre sur l’autel du temple d’Astrée les petits rouleaux réunissant les vers écrits par Céladon qu’elle lit alors aux assistants. Le romancier cherche toujours une possibilité d’intégrer ainsi dans la narration du roman la cinquantaine de vers et y réussit bien. Delphine Denis avertit que cette partie « est immédiatement contemporaine de la parution de plusieurs recueils collectifs chez Toussaint du Bray, « dans lesquels Urfé figure en très bonne place » (30). En tant que poète il brigue une autonomie par rapport à Malherbe dont il s’inspire parfois, mais Malherbe méprise ce côté de sa production littéraire. Dans le domaine du roman, son prestige est plus grand que dans celui de la poésie, mais Delphine Denis récuse le cliché selon lequel Malherbe n’est que « le grand réformateur de la poésie » et Urfé « le modèle de la prose d’art moderne » (32). Le nombre des histoires insérées se réduit ici à quatre tandis que la première partie du roman en comptait 15, la deuxième 10. Trois des histoires enchâssées qui lient l’histoire amoureuse et l’histoire politique, Comptes rendus PFSCL L, 98 DOI 10. / PFSCL-2023-0010 155 accordent « un rôle central à un personnage de monarque » (24). Cette thématique est en accord avec la dédicace à Louis XIII qui « renouvelle le geste d’hommage à Henri IV » (47) de la deuxième édition de la première partie en 1610. L’histoire d’Euric, de Daphnide et d’Alcidon contient des signes explicites qui permettent aux contemporains de reconnaître dans Euric le roi Henry IV assassiné en 1617 par Concini. Cet hommage à Henry IV, pour lequel les Playdoyers et œuvres diverses (1681) d’Olivier Patru fournissent « une clé de lecture » (28), combine l’histoire amoureuse avec l’histoire politique selon les principes littéraires des miroirs de prince, qui marquent cette troisième partie de L’Astrée en élargissant la doctrine du comportement en société à celle de la monarchie française de l’époque. Dans le livre 13, l’histoire de Childéric dépeint une situation dramatique qui risque de ruiner le bonheur du Forez. Urfé y décrit les débuts de l’amour de la jeune Silviane avec une délicatesse qu’on admire particulièrement dans cette édition critique lorsqu’on compare la version de 1619 à celle de 1620 (868-875). N’ayant que « dix ou douze ans » et ne cognaisant « pas seulement le nom d’Amour, recevoit tous ces petits services, comme les enfans ont accoustumé de s’en rendre les uns aux autres » (806). Le lieu commun suivant lequel son nom gravé sur l’écorce d’un arbre est attribué par son amant au pouvoir de ses yeux l’émerveille et elle s’écrie : […] voyla ce que je ne croiray jamais » (809), passage ajouté dans l’édition de 1620. Les notes de cette édition critique aident toujours à retrouver le fil des intrigues dans les livres précédents. Ils régalent le lecteur grâce à des informations variées sur les sources exploitées par Urfé et facilitent toujours la compréhension du récit. On ne peut que féliciter cette équipe de rang éminent pour son travail d’éditeurs du texte. Volker Kapp