eJournals Papers on French Seventeenth Century Literature 50/99

Papers on French Seventeenth Century Literature
pfscl
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
10.24053/PFSCL-2023-0015
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2023
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Entre docilité apparente et rébellion ouverte : la résonnance des voix des femmes autochtones à travers les mailles du discours jésuite (1632-1672)

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Marie-Christine Pioffet
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PFSCL L, 99 DOI 10. / PFSCL-2023-0015 Entre docilité apparente et rébellion ouverte : la résonnance des voix des femmes autochtones à travers les mailles du discours jésuite (1632-1672) 1 M ARIE -C HRISTINE P IOFFET U NIVERSITÉ Y ORK , C OLLÈGE UNIVERSITAIRE G LENDON Les rapports des missionnaires jésuites avec les femmes autochtones en Nouvelle-France sont complexes. Plusieurs chercheuses comme Chantal Théry 2 , Francine Girard-Ducasse 3 , Dominique Deslandres 4 et plus récemment Marie-Christine Gomez-Géraud 5 n’ont pas hésité à souligner la discrimination de certains religieux pratiquée à l’encontre des femmes. Certes, si les Jésuites entretiennent des liens souvent conflictuels avec celles qu’ils qualifient de 1 Mes travaux sur les textes de la Nouvelle-France ont bénéficié des subsides du CRSHC. Une version préliminaire de cette étude a fait l’objet d’une conférence prononcée le 23 février 2023, dans le cadre du séminaire en ligne du professeur Lewis Seifert de la Brown University intitulé « New Perspectives on New France ». 2 « Un jésuite et un récollet parmi les femmes : Paul Lejeune et Gabriel Sagard chez les Sauvages du Canada », dans Les jésuites parmi les hommes aux XVI e et XVII e siècles, Actes du Colloque de Clermont-Ferrand (avril 1985), Clermont-Ferrand, Presses de l’Université de Clermont-Ferrand II, 1987, p. 105-113 et « Chemins de traverse et stragégies discursives chez Marie de l’Incarnation », Laval théologique et philosophique, vol. 53, n o 2, (juin 1997), p. 303-304. 3 « Les jeux de la nature et le travail de la grâce en Nouvelle-France : la présence des femmes dans les écrits des Jésuites, de 1610 à 1660 », mémoire de maîtrise, Montréal, Université de Montréal, 1981. 4 « Mysticisme, genre et missions lors de l’expansion française aux XVI e et XVII e siècles, une historiographie en effervescence », Études d’histoire religieuse, vol. 4, 2008, p. 132. 5 « Le Jésuite et les femmes. Émergence d’un modèle mystique féminin dans les Nouveaux Mondes ? (XVI e -XVII e siècles) », dans Hélène Michon, Élise Boillet, Denise Ardesi (dir.), Femmes, mysticisme et prophétisme en Europe du Moyen Âge à l’époque moderne, Paris, Classiques Garnier, 2021, p. 254. Marie-Christine Pioffet PFSCL L, 99 DOI 10. / PFSCL-2023-0015 222 « sauvagesses », de « Megeres 6 », de « Tygresse[s] 7 » et d’autres vocables peu amènes, les locutrices amérindiennes 8 occupent une place non négligeable dans leurs célèbres relations 9 , œuvre fortement théâtralisée et constituée de nombreux dialogues. Aussi étrange que cela puisse paraître, les voix des femmes s’avèrent beaucoup plus importantes dans ces écrits que dans ceux de Champlain, de Lescarbot ou des Récollets et dans un grand nombre de documents d’époque 10 , où elles demeurent presque muettes. Je propose donc de revisiter les bribes de conversations rapportées entre les Amérindiennes et les missionnaires contenues dans les relations annuelles (1632-1672) des disciples d’Ignace de Loyola en Nouvelle-France. Dans cet important corpus, composé en large part d’entretiens, je m’intéresserai à quelques types d’interlocutrices, soit aux médiatrices ou complices, aux rebelles, gardiennes des traditions ancestrales, aux pénitentes et enfin à celles que les relateurs présentes comme des âmes d’élite, par la bouche desquelles les missionnaires font l’éloge de la nouvelle Église. La mixité proscrite Avant d’entrer dans le vif du sujet, il n’est peut-être pas inutile de rappeler que la mixité au 17 e siècle n’entre pas dans les mœurs. Lorsque l’Innu 6 Jean de Quen, Relation de ce qui s’est passé en la mission des Pères de la Compagnie de Jesus, au païs de la Nouvelle France, ès années 1655 et 1656, [désormais RJ-1655- 1656], dans Relations des Jésuites : contenant ce qui s’est passé de plus remarquable dans les missions des Pères de la Compagnie de Jésus dans la Nouvelle-France, Montréal, Éditions du Jour, 1972, t. V, p. 27. 7 Paul Lejeune, Relation de ce qui s’est passé en la Nouvelle France en l’annee 1636. [désormais RJ-1636], dans Relations des Jésuites, Montréal, Éditions du Jour, 1972, t. I, p. 66. 8 Nous utilisons ici et ci-après ce terme pour désigner les natives du pays sans parti pris défavorable ni perspective ethnocentrique. 9 Comme le rappelle Isabelle Lachance, les Amérindiennes ne prennent qu’exceptionnellement la parole dans les récits de découverte (voir « La parole de la femme sauvage dans quelques récits de découverte français en Amérique (1558-1618) », dans Le discours rapporté : une question de genre ? Essai sur le genre féminin dans la littérature, dir. Juan Manuel Lopez Munoz, Sophie Marnette, Laurence Rosier, Maline Rotman et Françoise Sullet-Nylander, Bruxelles, EME éditions, 2015, p. 129). 10 Même si les femmes jouent un rôle important dans les conseils et les assemblées, Richard White note : « Women […] are rarely visible in the documents, but their traces appear everywhere » (The Middle Ground, Indians, Empires, and Republics in the Great Lakes Region 1650-1815, Cambridge, Cambridge University Press, 1991, p. 75). Entre docilité apparente et rébellion ouverte PFSCL L, 99 DOI 10. / PFSCL-2023-0015 223 Manitougatche tente de trouver refuge dans le couvent des Jésuites avec sa famille, Paul Lejeune et ses confrères lui répondent sans ambages : [Q]ue luy et ses fils seroient les très-bien venus, mais que les filles et femmes ne couchoient point dans [leurs] maisons, voire mesme qu’elles n’y entroient point en France, et qu’aussi-tost qu’[ils] ser[oient] fermez, que la porte ne leur seroit plus ouverte 11 . Il n’en faut pas plus pour que Chantal Théry affirme de manière lapidaire : « La sauvagesse n’existe plus, aux yeux des missionnaires que par son rapport hiérarchisé aux maris et aux enfants de sexe mâle 12 ». Je ne pense toutefois pas pouvoir la suivre complètement à ce sujet, puisque le même jésuite affirme quelques lignes plus loin et en d’autres occurrences la nécessité « d’instruire les filles aussi bien que les garçons », sans quoi les missionnaires ne feront « rien ou fort peu 13 ». Le supérieur de la mission de Québec n’épargnera d’ailleurs aucun effort pour conquérir leurs âmes. Si la promiscuité hommes-femmes dans les huttes des Autochtones le choque ouvertement 14 , le missionnaire manifestera plus d’une fois une compassion bien réelle envers les Amérindiennes 15 et notamment envers la femme du sorcier, à qui il prêche la bonne nouvelle en cachette malgré l’opposition de son mari 16 . Certes, les religieux gardent souvent une distance avec les femmes autochtones, sauf quand l’exigent leur ministère apostolique et l’administration des sacrements. Bien que Lejeune refuse d’héberger dans sa maisonnette l’Innue nommée Ouroutiuoucoueu, baptisée sous le nom de Marie, il ne se prive pas de lui porter de la nourriture et de lui rendre régulièrement visite chez elle pour lui prodiguer des leçons de catéchèse 17 . Au reste, il n’en demeure pas moins que, selon la ségrégation des sexes en vigueur dans les missions de la Nouvelle-France, les prédicateurs jésuites s’adressent d’ordinaire d’abord aux hommes, convaincus que la conversion de ces peuples passe d’abord par celle des chefs de clan. Cette préférence n’empêche pas bien sûr les missionnaires 11 Paul Lejeune, Relation de ce qui s’est passé en la Nouvelle France en l’annee 1633 [désormais RJ-1633], dans Relations des Jésuites, Montréal, Éditions du Jour, 1972, t. I, p. 6. 12 « Un jésuite et un récollet parmi les femmes : Paul Lejeune et Gabriel Sagard chez les Sauvages du Canada », art. cité, p. 107. 13 RJ-1633, p. 14. 14 « Une chose me semble plus qu’intolerable, c’est qu’on est pesle-mesle, fille, femme, homme, garçons tous ensemble dans un trou enfumé » (ibid., p. 19). 15 Il aura compassion lorsqu’une vieille femme sera traînée dans la neige (ibid., p. 13). 16 Voir notamment Paul Lejeune, Relation de ce qui s’est passé en la Nouvelle France sur le grand fleuve de S. Laurens en l’annee 1634., [désormais RJ-1634], dans Relations des Jésuites, Montréal, Éditions du Jour, 1972, t. I, p. 65 et 68. 17 Ibid., p. 9. Marie-Christine Pioffet PFSCL L, 99 DOI 10. / PFSCL-2023-0015 224 d’inclure, par la suite, les femmes, puis les enfants, à en juger par l’emploi du temps de Lejeune à la mission de Tadoussac en 1641 : Je [Paul Lejeune ] donnois un temps après le disner, tantost aux hommes, et puis aux femmes qui s’assembloient pour estre instruites, et sur le soir, apres m’estre retiré quelque temps, je faisois faire les prieres avec une instruction publique où les enfants rendoient compte devant leurs peres et meres, de ce qu’ils avoient appris au Catechisme 18 . Le père Claude-Jean Allouez en mission chez les Puans prêche également aux hommes et aux femmes séparément en insistant surtout sur l’enseignement prodigué aux premiers : « J’assemblay les hommes deux fois, leur expliquay amplement nos Mysteres, et l’obligation qu’ils avoient d’embrasser nostre Foy […]. Je les ay souvent visités dans leurs cabanes […]. Un autre jour je fis le Catechisme aux filles et aux femmes, nostre cabanne étoit toute remplie 19 ». Comme l’illustre ce passage, les Jésuites ne répugnent pas à leur ouvrir à l’occasion leur maison. Au reste, la préséance accordée aux hommes dans la stratégie missionnaire jésuite découle de la croyance que leur conversion entraînera celle du clan tout entier 20 . Toutefois, dans les sociétés indigènes matrilinéaires, les mères ont une grande influence sur leurs enfants et même sur leur mari. Paul Lejeune aura tôt fait de le réaliser : Les femmes ont icy un grand pouvoir : qu’un homme vous promette quelque chose, s’il ne tient pas sa promesse, il pense s’estre bien excusé, quand il vous a dit que sa femme ne l’a pas voulu 21 . En vertu de l’empire de ce sexe sur les membres du clan, les disciples d’Ignace de Loyola ne tarderont pas à réviser par la suite leurs stratégies missionnaires en accordant davantage de place aux femmes. Leur approche sélective suscite de vives réactions chez certaines Autochtones, comme en témoigne la réplique de l’une d’entre elles au supérieur de la mission de Québec : 18 Barthélemy Vimont, Relation de ce qui s’est passé en la Nouvelle France en l’année 1641., [désormais RJ-1641], dans Relations des Jésuites, Montréal, Éditions du Jour, 1972, t. II, p. 53. 19 François Lemercier, Relation de ce qui s’est passé de plus remarquable aux missions des Peres de la Compagnie de Jesus en la Nouvelle France, ès années 1669. et 1670., [désormais RJ-1669-1670], dans Relations des Jésuites, Montréal, Éditions du Jour, 1972, t. VI, p. 96. 20 « La premiere est la methode que nous tenons à l’instruction des Sauvages. Nous assemblons les hommes le plus souvent que nous pouvons, car leurs conseils, leurs festins, leurs jeux et leurs danses ne nous permettent pas de les avoir icy à toute heure, ny tous les jours. Nous avons égard particulierement aux Anciens, d’autant que ce sont eux qui determinent et decident des affaires, et tout se fait suivant leur advis » (RJ-1636, p. 78). 21 RJ-1633, p. 21. Entre docilité apparente et rébellion ouverte PFSCL L, 99 DOI 10. / PFSCL-2023-0015 225 [U]ne femme sauvage me demanda si les femmes ne pouvoient pas bien aller au Ciel, aussi bien que les hommes et les enfans ; luy ayant respondu que oüy : Pourquoy donc, replique-t-elle, n’instruis tu point les femmes n’appellans que les hommes et les enfans ? Je luy respondis qu’elle avoit raison, et que nous les ferions venir à leur tour, ce que nous fismes, mais il les fallut bien-tost congedier, pource qu’elles apportoient les petits enfans, qui faisoient un tres-grand bruit 22 . Bien que le missionnaire bannisse ici les filles de l’enceinte de sa maison, tout comme les nourrices et les mères de jeunes enfants des assemblées de catéchumènes, on aurait tort de croire qu’il leur refuse tout enseignement, loin de là. Persuadé que la « Foy ne trouve point de distinction entre les sexes 23 », selon la formule de Barthélemy Vimont, les Jésuites opteront pour une approche plus personnalisée envers les femmes autochtones, allant souvent directement les rencontrer dans leurs cabanes, ou les invitant séparément à assister à leurs leçons dans leur petite maison : « Je donnois un temps apres le disner, tantost aux hommes, et puis aux femmes qui s’assembloient pour estre instruites 24 ». Celles-ci ne se font d’ailleurs guère prier de venir. On les voit même à l’occasion dresser l’oreille à l’extérieur des murs de la chapelle pour entendre les instructions prodiguées et les chants pendant l’office, ce qui ravit les religieux. « Entrons » maintenant « en discours 25 », comme dirait Paul Lejeune. Médiatrices et facilitatrices Régie par une séparation souvent étanche des tâches réservées à chacun des sexes, la société amérindienne attribue notamment aux femmes le rôle d’accueillir les étrangers, qu’ils soient des invités ou des prisonniers de guerre. Sans surprise, les Amérindiennes s’imposent comme médiatrices entre les 22 Paul Lejeune, Relation de ce qui s’est passé en la Nouvelle France en l’annee 1637., [désormais RJ-1637], dans Relations des Jésuites, Montréal, Éditions du Jour, 1972, t. II, p. 76. 23 Barthélemy Vimont, Relation de ce qui s’est passé en la Nouvelle France ès années 1644. et 1645., [désormais RJ-1644-1645], dans Relations des Jésuites, Montréal, Éditions du Jour, 1972, t. III, p. 47. La même déclaration est également reprise par Paul Ragueneau : voir Relation de ce qui s’est passé de plus remarquable en la mission des Peres de la Compagnie de Jesus, aux Hurons, Pays de la Nouvelle France, depuis le mois de May de l’année 1645. jusques au mois de May de l’année 1646., [désormais RPH- 1645-1646], dans Relations des Jésuites, Montréal, Éditions du Jour, 1972, t. III, p. 63. 24 RJ-1641, p. 53. 25 Voir RJ-1636, p. 3. Marie-Christine Pioffet PFSCL L, 99 DOI 10. / PFSCL-2023-0015 226 missionnaires et les autres membres de la tribu. En effet, on peut plus d’une fois percevoir un sentiment de solidarité entre Paul Lejeune et les Montagnaises qui l’accompagnent lors de sa mission volante. C’est sans doute pourquoi une femme du clan de Mestigoit demande à Lejeune d’intercéder auprès de son mari pour qu’il lui donne suffisamment à manger 26 . Que Paul Lejeune, isolé au cours de son hivernage en pays montagnais, interroge une de ses compagnes sur la raison des rassemblements autour du sorcier paraît dès lors tout naturel 27 . C’est encore aux femmes que le même jésuite s’adresse pour retrouver l’enfant qu’il avait lui-même abandonné en forêt. Contrairement à leurs compagnons, celles-ci n’ont du reste aucune difficulté à comprendre le langage rudimentaire et les gestes du missionnaire qui s’évertue maladroitement à leur indiquer l’endroit où se trouvait le petit. Ce sont encore les femmes qui avisent Lejeune de la « malice » du sorcier lorsque celui-ci lui demande de répéter des paroles obscènes dont le visiteur ignore le sens 28 . Devant la détresse du jésuite, tourné constamment en dérision par ses compagnons, une vieille Innue, croyant lui rendre service, lui explique candidement que pour être estimé parmi les membres de sa communauté, il doit, lors des festins, manger beaucoup 29 . De ces quelques exemples ressort clairement la volonté des Amérindiennes de favoriser l’intégration de l’étranger à la collectivité, de jouer les passeuses entre deux cultures. Ainsi, loin d’être toujours hostiles aux missionnaires et à la présence des Européens en général, plusieurs femmes autochtones leur offrent appui et protection. Un Français menacé de mort doit sa survie à une inconnue qui le prévient que son mari a dessein de l’assassiner avec une hache 30 . Le travail missionnaire du père Jacques Bruyas se trouve également favorisé par les services d’une jeune Iroquoise qui lui enseigne les particularités de sa langue en contrepartie de leçons de catéchèse 31 . Il arrive même que les femmes servent de truchement au confessionnal en évoquant les péchés commis par leurs enfants. L’alliance symbolique entre les Jésuites et les nouvelles converties se manifeste encore en la personne d’Anne Outennen, qui parvient à leur donner accès à un captif iroquois pour qu’ils le baptisent en offrant une 26 RJ-1634, p. 62. 27 Ibid., p. 24. 28 Ibid., p. 56. 29 Ibid., p. 31. 30 Voir RJ-1633, p. 17. 31 François Lemercier, Relation de ce qui s’est passé de plus remarquable aux missions des Pères de la Compagnie de Jesus en la Nouvelle France ès années 1667. et 1668., [désormais RJ-1667-1668], dans Relations des Jésuites, Montréal, Éditions du Jour, 1972, t. VI, p. 26. Entre docilité apparente et rébellion ouverte PFSCL L, 99 DOI 10. / PFSCL-2023-0015 227 hache à ses geôliers, comme le rapporte Paul Ragueneau 32 . Et l’on multiplierait en vain les exemples qui prouvent l’existence d’une collaboration entre les religieux et les nouvelles converties. Rebelles et tentatrices À l’opposé de ces facilitatrices, d’autres figures féminines se dressent dans les comptes rendus annuels des missions de la Nouvelle-France comme des adversaires coriaces, voire des ennemies du christianisme. Au premier chef, la femme maléfique, tentatrice ou démoniaque, lieu commun de la littérature missionnaire, frappe l’imaginaire jésuite au début de la mission canadienne. En effet, peu après son arrivée, Paul Lejeune se représente avec horreur les tortures pratiquées par des « femmes enragées » aux dépens des captifs iroquois, d’après les dires de témoins oculaires 33 . Quand le même jésuite réprimande quelques années plus tard les tortionnaires pour leur cruauté envers un captif, certaines femmes s’obstinent à defendre ce rituel de guerre, tandis que leurs compagnons s’inclinent, pour la plupart, sans mot dire devant les remontrances : Les hommes ne me repartirent rien, baissans la teste tout honteux et confus. Quelques femmes nous dirent que les Hiroquois faisoient encore pis à leurs peres, à leurs maris et à leurs enfans, me demandant si j’aimois une si meschante Nation : je leur repars que je ne l’aimois pas, mais qu’ils pouvoient tuer ce miserable sans le traitter avec cette fureur 34 . Par-delà un entêtement souligné en maintes occasions, le portrait des femmes esquissé dans les relations des Jésuites est souvent associé au vice. La figure de la tentatrice n’est pas étrangère à ce tableau. Barthélemy Vimont rapporte qu’une débauchée cherche à corrompre un chrétien, lui enjoignant d’étouffer sa conscience par de perfides paroles : « Mais que crains tu dedans ces bois ? […] personne ne nous void 35 ». Dans ce dernier cas, à la suite des protestations du « bon fidele », le relateur se charge de discréditer tout à fait celle qu’il qualifie d’« impudente personne 36 ». Les Jésuites mèneront une lutte sans merci contre la plupart des coutumes locales, en particulier quand 32 Paul Ragueneau, RPH-1645-1646, p. 58. 33 Paul Lejeune, Brieve relation du voyage de la Nouvelle France faict au mois d’avril 1632., dans Relations des Jésuites, Montréal, Éditions du Jour, 1972, t. I, p. 10. 34 RJ-1636, p. 66. 35 Barthélemy Vimont, Relation de ce qui s’est passé en la Nouvelle France en l’année 1642., [désormais RJ-1642], dans Relations des Jésuites, Montréal, Éditions du Jour, 1972, t. III, p. 65. 36 Id. Marie-Christine Pioffet PFSCL L, 99 DOI 10. / PFSCL-2023-0015 228 elles se rapportent au traitement des prisonniers et des malades. Même les gestes les plus anodins en apparence font l’objet de leurs remontrances. Les religieux reprochent notamment leur « vanité » à celles qui veulent se glorifier des scalps obtenus par leur mari à la guerre, au plus grand étonnement des principales intéressées 37 . Au nombre des désordres décriés, la consommation d’alcool soulèvera encore les foudres des missionnaires. Lejeune ne cache pas en effet son extrême répugnance devant les femmes en état d’ivresse qui « crient comme des enragées 38 ». À l’instar du comportement de leurs partenaires masculins, la conduite des femmes autochtones est souvent perçue comme erratique et déréglée. Lors de l’Honnonovaroria ou la fête des Songes, elles se déchaînent au même titre que les hommes. L’une d’entre elles, au milieu de ces transports, prit même une arquebuse, « disant qu’elle s’en alloit à la guerre contre la Nation du Chat, qu’elle les combattroit 39 ». François Lemercier, en mission chez les Iroquois, conclut même que « [l]es femmes infideles, par une inclination qui est comme naturelle à ce sexe, sont les plus Religieuses à observer leurs songes, et à suivre les ordres de cette Idole 40 ». Brébeuf, pourtant rompu à l’art de la controverse, admet que les Huronnes et leurs enfants « causoient beaucoup de trouble 41 » parce que plus dépendantes de leurs « vieilles coustumes 42 ». En vérité, les religieux portraiturent les femmes comme très crédules et impressionnables. Soumise à l’ascendant du sorcier Carigonan, l’une des Montagnaises qui accompagnent Lejeune lors de sa mission volante en 1634 regagne sa cabane en criant qu’elle avait aperçu le Manitou ; il n’en fallut pas plus pour plonger tout le clan en alarme 43 . Et le visiteur eut beau déployer toute sa science pour détromper ses hôtes, rien n’y fit. En tant que gardiennes des traditions locales et de leurs croyances, les Amérindiennes se cabrent à l’occasion contre les préceptes du christianisme même quand ils pourraient les avantager. Si surprenant que cela puisse paraître, plusieurs appréhendent d’un fort mauvais œil l’abolition de la polygamie, réclamée par les ouvriers de l’Évangile, de peur de se retrouver sans ressources à la mort de leur époux : Depuis que j’ay presché parmy eux, qu’un homme ne devoit tenir qu’une femme, je n’ay pas esté bien venu des femmes, lesquelles estant en plus grand 37 RJ-1636, p. 65. 38 RJ-1633, p. 10. 39 RJ-1655-1656, p. 27. 40 RJ-1669-1670, p. 73. 41 Jean de Brébeuf, Relation de ce qui s’est passé dans le pays des Hurons en l’année 1636, dans Relations des Jésuites, Montréal, Éditions du Jour, 1972, t. II, p. 79. 42 Id. 43 RJ-1634, p. 61. Entre docilité apparente et rébellion ouverte PFSCL L, 99 DOI 10. / PFSCL-2023-0015 229 nombre que les hommes, si un homme n’en pouvoit espouser qu’une, les autres sont pour souffrir ; c’est pourquoy cette doctrine n’est pas conforme à leur affection 44 . À cette crainte pour leur subsistance s’ajoute celle de voir la mortalité s’installer dans leur communauté. Le baptême envisagé comme un agent mortifère nourrit parfois chez elles une farouche résistance. Ainsi, une vieille iroquoise, « fort attachée à ses superstitions » « querelle rudement » de jeunes chrétiennes, « leur disant entr’autres que le Baptesme n’étoit inventé que pour causer la mort, et qu’elles devoient bien s’attendre à mourir bentôt [sic] 45 ». Outre la peur, il faut ranger l’amour parental au nombre des obstacles à l’évangélisation des Autochtones relevés par les relateurs. Les sentiments qui attachent les mères à leurs enfants justifient leur refus de les confier à autrui. Paul Lejeune s’étonne de la force de cet attachement qu’il condamne à demimot : « Les Sauvages ayment uniquement leurs enfans ; ils ressemblent au Singe, ils les étouffent pour les embrasser trop étroitement 46 ». Les femmes en particulier craignent au plus haut point de se voir séparer de leur progéniture à laquelle elles paraissent souvent plus attachées que leurs conjoints. Dans leur projet éducatif, les Jésuites se heurtent maintes fois à leur opposition. Jacques Buteux, voulant obtenir la garde d’un jeune garçon de dix ans, se voit répondre par la mère de celui-ci : « Je n’ay garde, fit-elle, de te le donner, je l’ayme comme mon cœur 47 ». Paul Lejeune raconte l’année suivante comment les femmes ont tenté de faire avorter le projet de séminaire : « Mais quand il fut question de separer les enfans de leur mere, la tendresse extraordinaire que les femmes Sauvages ont pour leurs enfans arresta tout, et pensa estouffer notre dessein en sa naissance 48 ». Qui plus est, l’hostilité des femmes aux sacrements découle parfois de la conduite des ancêtres qu’il faut imiter. François Lemercier rapporte, qu’alors supérieur de la mission de St-Joseph, il se voyait souvent fermer la bouche durant ses visites. Parmi les irréductibles avec qui il a maille à partir, une mère huronne anéantit ses efforts de rallier à la foi son fils en déclarant « nettement que ni l’enfant, ni personne ne serait baptisé, puisque Akhioca [un de ses parents] ne l’avoit point esté 49 ». 44 RJ-1637, p. 81. 45 RJ-1669-1670, p. 82. 46 Paul Lejeune, Relation de ce qui s’est passé en la Nouvelle France en l’annee 1639., dans Relations des Jésuites, Montréal, Éditions du Jour, 1972, t. II, p. 18. 47 RJ-1636, p. 9. 48 RJ-1637, p. 55. 49 François Lemercier, Relation de ce qui s’est passé en la mission de la Compagnie de Jesus, au pays des Hurons, en l’annee 1637, dans Relations des Jésuites, Montréal, Éditions du Jour, 1972, t. II, p. 127. Marie-Christine Pioffet PFSCL L, 99 DOI 10. / PFSCL-2023-0015 230 L’antagonisme des Amérindiennes peut prendre des allures plus polémiques, voire ouvertement violentes. François Lemercier raconte qu’une Huronne, s’opposant au baptême de son fils, prit dans un excès de « fiévre chaude » « un tison ardent, et se tournant vers le Pere [Pierre Pijart], fit mine de lui vouloir jeter, luy criant qu’il s’en allast 50 ». Non moins réfractaire, une petite fille parvient à faire changer d’avis un malade qui réclamait le baptême, puis, dans un élan de colère, jette par terre le sceau contenant l’eau bénite 51 . Pour vaincre la résistance des Amérindiennes, les Jésuites ne craignent pas de « passe[r] de la douceur aux menaces », comme le confie Paul Lejeune qui constate cependant que « ny l’huile ny le vinaigre n’estoient pas assez puissans, pour guerir une si grande maladie comme est l’opiniastreté 52 ». Quand elle survient, la victoire du missionnaire est parfois provisoire. Celles que les religieux pensent avoir attrapées dans les filets de l’Évangile risquent de glisser, après les faveurs obtenues, dans les mailles de l’apostasie. Ainsi advient-il d’une femme souffrante que Jean de Quen et Paul Lejeune avaient baptisée après de nombreuses visites 53 . Les semences du christianisme, loin d’avoir unifié les nations autochtones, tissent, d’évidence, un fossé entre néophytes et non-baptisés. De même que les chrétiennes répugnent à s’unir avec des animistes, ceux-ci boudent la présence des premières. Telle adepte de leurs croyances ancestrales refuse systématiquement de cohabiter avec un mari chrétien, menaçant de le chasser s’il n’abandonne la foi. Telle autre détourne son compagnon « de son dessein » de se faire chrétien, craignant la discorde dans son ménage 54 . On le voit, à travers les exemples cités, les dialogues entre Jésuites et Amérindiennes témoignent de vives tensions interreligieuses au sein d’un même clan, où s’entrechoquent parfois des valeurs et des idéologies présentées comme inconciliables. Les pénitentes Parmi celles que les Jésuites envisagent comme des ennemies de la foi, certaines se laisseront peu à peu amadouer par les disciples de Loyola, comme 50 Id. 51 Barthélemy Vimont, Relation de ce qui s’est passé en la Nouvelle France en l’année 1640., dans Relations des Jésuites, Montréal, Éditions du Jour, 1972, t. II, p. 83. 52 RJ-1637, p. 17. 53 Ibid., p. 17-18. 54 Paul Lejeune, Relation de ce qui s’est passé en la Nouvelle France en l’annee 1638., [désormais RJ-1638], dans Relations des Jésuites, Montréal, Éditions du Jour, 1972, t. II, p. 127. Entre docilité apparente et rébellion ouverte PFSCL L, 99 DOI 10. / PFSCL-2023-0015 231 la femme du sorcier que Lejeune parvient à instruire en sourdine : « Au commencement elle me répondit qu’elle n’avoit point veu Dieu, et que je luy fisse voir, autrement qu’elle ne pouvoit croire en luy ; elle avoit tiré ceste réponse de la bouche de son mary. Je luy repartis qu’elle croyoit plusieurs choses qu’elle ne voyoit pas […]. Elle s’adoucit petit à petit, et me tesmoigna qu’elle luy vouloit obeïr 55 ». Si, malgré son ouverture à la doctrine du jésuite, elle meurt sans baptême, d’autres renieront définitivement leurs croyances pour embrasser le christianisme. Les Jésuites, voulant témoigner des progrès de l’évangélisation, n’ont de cesse de célébrer les conversions obtenues auprès des plus grandes pécheresses. C’est le cas de Paul Ragueneau, qui rapporte l’étonnante transfiguration d’une « débauchée » notoire, baptisée sous le prénom de Magdeleine après avoir renoncé à son existence antérieure 56 . Il y a d’autres locutrices qui croient que la liturgie baptismale aura raison de tous leurs travers. Ainsi, une catéchumène à l’« humeur si fascheuse, que personne ne la peut supporter » selon ses dires, compte sur l’intercession du Saint-Esprit pour la corriger : « La Foy me changera, repartit cette pauvre Femme : ils [les pères] apprivoisent bien leurs chiens ; quand ils m’auront bien instruite, ils viendront à bout de moy 57 ». Manifestement heureux de l’humilité de la nouvelle recrue, Barthélemy Vimont conclut que « la grace du Baptesme opere puissamment dans un cœur 58 ». Au-delà des compliments sur la ferveur des catéchumènes et des nouvelles converties, le discours jésuite à l’égard des femmes, pour peu qu’on le scrute, reste teinté de nombreux préjugés. Les Amérindiennes qui entretiennent une relation à la sexualité plus libre que les Européennes passent aux yeux des missionnaires pour impudiques : « En un Païs où les femmes et les filles n’ont rien qui les retiennent, où la pudeur que la nature a donnée pour defense à leur sexe, passe pour un opprobre », il est bien difficile de conserver sa vertu, pense Barthélemy Vimont 59 . Les Jésuites, fidèles à l’héritage manichéen de leur époque, parviennent difficilement à aborder les femmes autochtones sans projeter sur elles l’ombre de la malédiction biblique et de l’emprise satanique. Appelé comme arbitre pour régler un différend conjugal, Paul Ragueneau prend d’emblée le parti du mari qui doit, selon lui, « souffr[ir] [l]e martyre » à cause des soupçons d’une épouse injustement jalouse. Tancée par le jésuite, 55 RJ-1634, p. 69. 56 Relation de ce qui s’est passé en la Nouvelle France és années 1645 et 1646, dans Relations des Jésuites, Montréal, Éditions du Jour, 1972, t. III, p. 66-67. 57 RJ-1642, p. 91. 58 Id. 59 Ibid., p. 85. Marie-Christine Pioffet PFSCL L, 99 DOI 10. / PFSCL-2023-0015 232 celle-ci lui obéit, mais tombe toujours dans les mêmes travers 60 . L’entretien que Paul Lejeune a avec la nommée Ouetata Samakheou, qui trouve refuge aux abords de leur couvent est également éloquent sur les idées préconçues qui entachent la réputation des femmes aux yeux du missionnaire. Tâchant de lui inspirer quelque sentiment de contrition et d’humilité, le jésuite presse la moribonde d’avouer plusieurs fautes qu’elle n’a pas commises : « voulant faire exercer quelque acte de douleur de ses pechez pour la disposer au baptesme, je luy rapportay le nom de plusieurs offenses, la menaçant du feu d’enfer, si ayant commis ces crimes, elle n’estoit lavée des eaux Sacramentales 61 ». Réal Ouellet et Alain Beaulieu, qui commentent également le passage, notent avec justesse la volonté de coercition du jésuite qui cherche à « manier » son interlocutrice à sa guise 62 . La citation peut en effet surprendre en ce que, d’une part, le religieux invite la jeune femme à se confesser avant même qu’elle n’ait reçu le baptême et que, d’autre part, loin de l’écouter comme il se doit, il prend les devants de l’interrogatoire et tente même de l’intimider. Cette tentative connaîtra d’ailleurs quelques succès, comme le prouve la réaction émotive de la moribonde : « ceste pauvre malade épouvantée, commence à nommer tout haut ses offenses, disant : Je n’ay point commis ces pechez que tu dis, mais bien ceux-là : s’accusant de plusieurs choses bien vergongneuses 63 ». Conscient d’avoir quelque peu outrepassé son ministère et de lui infliger une contrainte morale que la malade n’était pas prête à supporter, le religieux s’efforce par la suite de tempérer ses propos : « Je luy dis qu’il suffisoit d’en demander pardon en son cœur sans les nommer, la Confession n’estant point necessaire qu’après le Baptesme 64 ». Mais son adoucissement sera de courte durée. Quelques jours plus tard, la voyant en colère et pleurer, il en vint à regretter de lui avoir administré le sacrement : « En second lieu, luy parlant un jour de la mort, après son baptesme, elle se mit à pleurer, se faschant contre moy de ce que je lui parlois d’une chose si horrible. Cela m’estonna un petit ; j’estois quasi fasché de l’avoir baptisée 65 ». Certes, les larmes et la frayeur n’ont rien 60 Paul Ragueneau, Relation de ce qui s’est passé en la mission des Peres de la Compagnie de Jesus, au pays de la Nouvelle France ès années 1651. et 1652., [désormais RJ-1651- 1652], dans Relations des Jésuites, Montréal, Éditions du Jour, 1972, t. IV, p. 10. 61 Paul Lejeune, Relation de ce qui s’est passé en la Nouvelle France en l’annee 1635., [désormais RJ-1635], dans Relations des Jésuites, Montréal, Éditions du Jour, 1972, t. I, p. 9. 62 Rhétorique et conquête missionnaire : le jésuite Paul Lejeune, Québec, Septentrion, 1993, « Présentation », p. 18. 63 RJ-1635, p. 9. 64 Id. 65 Id. Entre docilité apparente et rébellion ouverte PFSCL L, 99 DOI 10. / PFSCL-2023-0015 233 d’inhabituel chez les femmes en vertu des stéréotypes sexuels que leur prêtent les Jésuites 66 à l’instar de bon nombre de leurs contemporains. Aussi Lejeune en est-il manifestement agacé. Touchée quelques jours plus tard par l’Esprit saint invoqué par les missionnaires, la jeune femme change complètement de disposition, ce dont se félicite le jésuite. Après une série de questions métaphysiques sur la condition des âmes après la mort auxquelles répond le missionnaire d’un ton parfaitement assuré en vertu de sa doctrine, la moribonde conclut son interrogatoire « Nitapoueten, nitapoueten, je croy, je croy, et pour preuve de ma creance, tu ne me verras jamais craindre la mort 67 ». On remarquera au passage l’usage de termes en langue innue qui visent à authentifier la déclaration. Les néophytes font généralement preuve d’un grand zèle dans leur acte de contrition. C’est à qui, parmi les Huronnes nouvellement converties de Québec, s’imposerait la plus lourde pénitence en réparation de ses péchés. Jérôme Lalemant cite en exemple les propos d’une « bonne Huronne » adressés à sa compagne durant la semaine sainte : « Pourquoy ne compatirons-nous pas à nostre bon Sauveur souffrant ? il a esté flagellé si cruellement ! hé bien, flagellons-nous l’une l’autre ; voilà mes espaules prestes, commencez 68 ». Sa compagne, plus docile et appréhensive, lui répond : « Nous n’avons pas permission du Pere 69 ». Dans la suite de la citation, le jésuite se félicite que la « genereuse Huronne », « jugeant que pour se discipliner soy-mesme, il ne falloit pas de permission […], elle se disciplina si rudement, que les marques luy en demeurerent longtemps gravées sur ses epaules 70 ». Ainsi, même à ce sexe sous-estimé en vertu de « la crainte naturelle 71 » qu’on lui prête, rien n’est impossible avec l’aide de Dieu. Les relations des Jésuites, qui visent l’édification des lecteurs, nous fournissent de nombreux exemples de transformations éclatantes. 66 Voir à ce propos Francine Girard-Ducasse, « Les jeux de la nature et le travail de la grâce en Nouvelle-France : la présence des femmes dans les écrits des Jésuites de 1610 à 1660 », op. cit., p. 150. 67 RJ-1635, p. 9. 68 Jérôme Lalemant, Relation de ce qui s’est passé de plus remarquable aux missions des Pères de la Compagnie de Jesus en la Nouvelle France, ès années 1663 et 1664, [désormais RJ-1663-1664], dans Relations des Jésuites, Montréal, Éditions du Jour, 1972, t. V, p. 21. 69 Id. 70 Id. 71 RJ-1635, p. 2. Marie-Christine Pioffet PFSCL L, 99 DOI 10. / PFSCL-2023-0015 234 Des « ame[s] d’élite 72 » C’est en effet grâce à l’action du Saint-Esprit que les nouvelles converties, au dire des relateurs, tiennent bon contre la dérision de leurs proches et résistent aux avances des hommes après leur baptême. L’une d’elles éconduit un de ses compatriotes en ces termes : « pour moy je souffriray plus volontiers la mort, que de commettre le peché dont tu me sollicites 73 ». Les Jésuites se glorifient encore d’autres métamorphoses plus évidentes qu’ils attribuent à l’intercession du Tout-Puissant. À les en croire, des captives, comme Marie Lamkete8ch, armées de leur seul courage et de leur foi, parviennent à couper leurs liens, à fuir les Iroquois 74 , voire à envisager sereinement la mort comme des guerriers. Les relations des Jésuites abondent en ces pseudo-miracles, qui prouvent que la foi anéantit toutes les appréhensions et transforme ces créatures réputées faibles en « femmes fortes 75 ». Que dire encore de toutes ces néophytes qui aspirent au martyre ? Sans surprise, on ne compte plus dans ces écrits à saveur hagiographique les déclarations des nouvelles converties résignées à mourir pour leur foi 76 . Parmi ces chrétiennes exemplaires prêtes au sacrifice ultime, Marie Tsiaoüentes fait face à la menace des hérétiques en disant « que quand on devroit luy couper les bras et les jambes, on luy arracheroit plustost la vie, que la foy 77 ». Ses compagnes affichent la même résolution « avec une generosité égale à celle des martyrs », selon les mots de François Lemercier 78 . Mais, pour certaines, il s’agit bien plus que de paroles de défi. Au nombre de ces « Martyr[e]s » assumées, une Huronne prénommée Dorothée, immolée par les Iroquois, parvient à prononcer un discours articulé sous les tourments, voire à consoler une petite captive de huit ans : « Ma fille, ne pleure pas ny ma mort, ny la tienne ; nous irons aujourd’huy de compagnie au Ciel 79 ». Les autres suppli- 72 RJ-1663-1664, p. 5. 73 Barthélemy Vimont, Relation de ce qui s’est passé en la Nouvelle France ès années 1643 et 1644, dans Relations des Jésuites, Montréal, Éditions du Jour, 1972, t. III, p. 80. 74 Voir RJ-1636, p. 66 et Jérôme Lalemant, Relation de ce qui s’est passé de plus remarquable és missions des Pères de la Compagnie de Jesus, en la Nouvelle France, en l’année 1647, [désormais RJ-1647], dans Relations des Jésuites, t. IV, p. 13. 75 Paul Ragueneau, Relation de ce qui s’est passé de plus remarquable aux missions des Pères de la Compagnie de Jesus, en la Nouvelle France, ès années 1657 et 1658, [désormais RJ-1657-1658], dans Relations des Jésuites, Montréal, Éditions du Jour, 1972, t. V, p. 5. 76 Id. 77 RJ-1669-1670, p. 34. 78 RJ-1657-1658, p. 5. 79 Id. Entre docilité apparente et rébellion ouverte PFSCL L, 99 DOI 10. / PFSCL-2023-0015 235 ciées, non moins courageuses, « s’écrioient au milieu des flammes, qu’elles mouroient Chrestiennes, et qu’elles s’estimoient heureuses que Dieu les vist dans leurs tourmens 80 ». À la lumière de ces quelques exemples, on ne peut que souscrire au jugement d’Allan Greer quand il affirme, à propos du discours de nature hagiographique en Nouvelle-France, que le modèle de sainteté conjugué au féminin comporte des variations par rapport à celui qui règne dans la France métropolitaine 81 . Mais il y a plus que la consécration du courage des « sauvagesses » virilisées. L’éloge des oratrices citées se traduit par leurs connaissances théologiques et leur capacité à prêcher la bonne nouvelle : « [L]es femmes ne cedent point aux hommes en cét office », conclut Jérôme Lalemant 82 . Elles rivalisent à qui mieux mieux pour véhiculer la doctrine qu’on leur a enseignée auprès de leurs compatriotes. Certaines d’entre elles font d’ailleurs figure de véritables théologiennes. À propos d’une fervente néophyte qui tient tête à un « Charlatan », Jérôme Lalement conclut sans crainte d’hyperbole : « Cette femme fait plus de fruit parmy ces pauvres peuples que ne feroient dix grands Docteurs 83 ». Semblablement, Paul Ragueneau vante les connaissances théologiques d’une chrétienne nommée Angélique : « [J]amais je n’ay veu aucun Sauvage qui sceust si bien les mysteres de nostre foy ; le sainct Esprit est un grand Maistre. Spiritus ubi vult, spirat 84 . O quelle confusion pour moy de voir comme ces pauvres Barbares, sans Prestre, sans Messe, ny autre secours, se maintiennent dans une telle pureté et ferveur 85 ». Autre fait étonnant : alors que les Françaises de l’époque ne s’adressent guère en public dans les églises, on voit les nouvelles converties prêcher sans complexe la bonne nouvelle aux infidèles dans des assemblées 86 . 80 Id. 81 « Among the saints of New France, this basic sexual division of labor persisted, with the males pursuing more active roles and making their voices heard in the historical record, while the females were celebrated as virginal “treasures”. However colonial hagiograhy did display some colonial variations on the metropolitan model where gender difference is concerned » (« Colonial Saints, Gender, Race, and Hagiography in New France », The William and Mary Quarterly, vol. 57, n o 2 (avril 2000), p. 328). 82 Jérôme Lalemant, Relation de ce qui s’est passé de plus remarquable és missions des peres de la Compagnie de Jesus, en la Nouvelle France en l’année 1648., dans Relations des Jésuites, Montréal, Éditions du Jour, 1972, t. IV, p. 33. 83 Ibid., p. 35. 84 « L’esprit souffle où il veut » (Jean, 3, 8). 85 Paul Ragueneau, Relation de ce qui s’est passé de plus remarquable és missions des Pères de la Compagnie de Jesus, en la Nouvelle France, ès années 1650 et 1651, dans Relations des Jésuites, Montréal, Éditions du Jour, 1972, t. IV, p. 24. 86 RJ-1644-1645, p. 47. Marie-Christine Pioffet PFSCL L, 99 DOI 10. / PFSCL-2023-0015 236 Venons-en maintenant à l’éloge de la parole des femmes autochtones, qui, à y regarder de près, s’avère paradoxal. En cela, on remarque une nette différence avec celui des hommes autochtones dont les robes noires ne cessent de louer les talents oratoires exceptionnels. Le discours des femmes n’est au contraire pas évalué en termes de performance rhétorique, mais en termes de ferveur religieuse et de vertu morale. Pour tout éloge du savoir-dire féminin, les Jésuites se contentent de souligner leur éloquence naturelle et leur sincérité. En témoigne la conclusion de Barthélemy Vimont au sujet de la prière rapportée d’une fillette de douze ans : « Voyla toute sa Rhetorique, qui vaut mieux que celle de Ciceron 87 ». Au nombre des compliments les plus fréquents qui servent à qualifier les oratrices autochtones figurent bien sûr l’innocence, l’humilité et la naïveté, attributs qui émaillent de façon répétitive la glose des missionnaires 88 . Ces qualificatifs semblent tout naturels dans un contexte où les pères jésuites n’ont de cesse d’infantiliser les Autochtones. Jacques Buteux se flatte lui-même de nourrir et d’« appât[er] » une paralytique attikamekw « comme un enfant 89 ». La comparaison n’est peut-être pas anodine selon moi : elle démasque la volonté d’assujettir l’Autre, qu’il soit homme ou femme. On se rappellera également que Paul Lejeune, évoquant une erreur contenue dans la relation de 1637 due à une méprise de son imprimeur, écrit cette phrase étonnante : « [O]n fait dire à un enfant ce qu’on veut, quand son pere est absent 90 ». Peut-on en conclure que le relateur comme ses confrères mettent dans la bouche des femmes ce qu’ils veulent ? La question dépasse bien sûr mes compétences. Quoi qu’il en soit, je ne crois guère me tromper en affirmant que la communication idéale aux yeux du jésuite, ancien professeur de collège, est celle qui existe entre le maître et l’élève. Avec ses pupilles autochtones, Paul Lejeune tente manifestement de retrouver l’ascendant dont il jouissait auprès de ses élèves, souhaitant façonner l’esprit de ses ouailles à son gré. Est-elle prononcée par des « Escoliere[s] 91 » modèles, maîtrisant parfaitement le fruit de leur leçon, la parole des Amérindiennes renvoie, par un effet pygmalion, une image flatteuse de ceux qui les ont instruites. Le calcul derrière l’insertion de ces multiples actes de contrition et de zèle religieux paraît évident. On ne se surprendra donc pas si, dans un tel contexte, certaines ferventes catéchumènes font l’apologie des missionnaires et affichent, dans leur profession de foi, une soumission totale à ceux qu’elles envisagent comme leurs pères spirituels : « Nous sommes tous resolus de leur obeïr, et 87 Ibid., p. 29. 88 Voir notamment RJ-1667-1668, p. 8. 89 RJ-1637, p. 17. 90 RJ-1638, p. 32. 91 RJ-1667-1668, p. 26. Entre docilité apparente et rébellion ouverte PFSCL L, 99 DOI 10. / PFSCL-2023-0015 237 de croire tout ce qu’ils nous diront parce qu’ils ne diront rien qui ne soit pour le salut de nos ames ; et que nous voulons estre bienheureux avec eux dans le Ciel », proclamation qui ne manque pas de flatter les relateurs 92 . Placés aux antipodes de ces missionnaires dévoués, les pasteurs hollandais font figure de piètres prédicateurs, préoccupés uniquement par l’appât du gain 93 . Lorsque ceux-ci évoquent leur zèle auprès de quelques Iroquoises, « la plus fervente 94 » du groupe prénommée Marie, leur rétorque : « Vous […] ne nous avez jamais enseigné qu’à mal faire […] Vous enfin que le seul interest attire en ce païs, et non le zele de la Foy » ; « vous ne vous confessez pas ; et c’est neantmoins le seul remede qui efface les pechez 95 ». On ne saurait mieux faire le procès du protestantisme que par ces propos, qui paraissent insufflés par les Jésuites eux-mêmes. Cependant, faut-il considérer comme véridiques toutes les déclarations de ces zélées néophytes insérées dans les relations des Jésuites ? En effet, la question mérite d’être soulevée tant certains discours rapportés au style direct reproduisent de manière quasi mimétique les leçons et les mystères enseignés par les ouvriers de l’Évangile. En outre, comment les relateurs pouvaient en effet reproduire fidèlement des scènes auxquelles ils n’avaient pas assisté la plupart du temps ? Qu’on pense seulement à cette réaction d’une femme qui, par maladresse, fit tomber un tison ardent sur elle : « A mesme temps que son corps sentit la douleur, son cœur fut saisi d’un mouvement de colere : […] ce mouvement vint jusques sur le bout des levres pour sortir avec éclat ; mais cette pensée (n’es-tu pas Chrestienne ? ) se jettant à la traverse, l’arresta tout court, et fit rentrer sa colere sans que jamais elle dist un seul mot. Ce sont ces violences qui ravissent le Ciel 96 ». Ici, le jésuite couche sur papier les pensées présumées de la victime. Celle-ci les eût-elle révélées au narrateur après coup, la précision du détail ne peut que paraître suspecte. Conscient de déborder les limites de leurs connaissances, les Jésuites anticipent d’ailleurs plus d’une fois le scepticisme des lecteurs, réaction que François Lemercier tente notamment de dissiper au sujet des révélations mystiques d’une fille de 14 ans : « Peut estre aura-t-on peine à croire que des Sauvages puissent arriver en si peu de temps à un si haut degré de perfection. Voicy neantmoins ce que la grace a operé en ce cœur innocent 97 ». *** 92 RJ-1669-1670, p. 33-34. 93 Id. 94 Ibid., p. 33. 95 Ibid., p. 33-34. 96 RJ-1651-1652, p. 6. 97 RJ-1667-1668, p. 26-27. Marie-Christine Pioffet PFSCL L, 99 DOI 10. / PFSCL-2023-0015 238 Que conclure de ce parcours argumentatif ? Les fragments cités révèlent que le discours rapporté des locutrices autochtones ne jouit que d’une autonomie toute relative par rapport au récit enchâssant du narrateur qui le loue ou le désavoue selon qu’il valorise ou contrarie son projet missionnaire. Présentés comme les dépositaires de la vérité, du sens du monde et de l’absolu, les Jésuites ont le dernier mot dans les dialogues, souvent limités à une seule réplique entendue ou rapportée de seconde main. Aussi faut-il remarquer avec Marie-Christine Gomez-Géraud que la prise en charge du discours des Autochtones par le « je narrant […] de l’institution jésuite […] n’est pas dépouvue d’implication 98 ». À l’exception des marques de contestation retranscrites pour montrer l’aveuglement d’un peuple aux yeux des disciples d’Ignace de Loyola, la parole indigène ne sert d’ordinaire aux missionnaires que de faire-valoir. Les extraits dialogiques, loin de reproduire le fil de conversations authentiques, sont sélectionnés par le narrateur, qui les introduit par une amorce métadiscursive qualifiant d’emblée la réplique et la situant par rapport au projet évangélique 99 . De surcroît, le missionnaire prend souvent la peine d’inclure des xénismes autochtones qui opèrent, comme ce que Roland Barthes appelle des « effets de réel », pour « authentifier ce qu’il raconte 100 ». À défaut d’être fabriqués de toutes pièces, les entretiens sont largement recomposés. Leur valeur d’exemple confère souvent aux professions de foi et aux prières une dimension quasi intemporelle. Celles-ci se dessinent comme des pièces d’anthologie parmi de nombreux actes de dévotion. À l’inverse des discours contestataires ou antagonistes, qui semblent bien ancrés dans un contexte spatio-temporel précis, la plupart des manifestations de piété insérées dans les Relations revêtent un aspect itératif ou sériel, « dont le résultat ultime est un dialogue exemplaire, renvoyant à une série de dialogues-clones implicites », pour reprendre l’image de Gillian Lane-Mercier 101 . Contrairement à certains locuteurs autochtones comme les chefs Grangula, dit « La Grande Gueule », Kondiaronk, surnommé Le Rat, ou même le sorcier Carigonan, pour n’en citer que quelques-uns, les interlocutrices 98 Art. cité, p. 246. 99 Voir par exemple : « Je coucheray en passant une gentille response que fit sa femme » (Jérôme Lalemant, Relation de ce qui s’est passé de plus remarquable ès missions des peres de la Compagnie de Jesus, en la Nouvelle France ès années 1645 et 1646, dans Relations des Jésuites, Montréal, Éditions du Jour, 1972, t. III, p. 39). 100 Voir à ce propos Réal Ouellet, La relation de voyage en Amérique ( XVI e - XVIII e siècles). Au carrefour des genres, Québec, Presses de l’Université Laval, « Les collections de la République des Lettres », 2010, p. 96. 101 La parole romanesque, Ottawa/ Paris, Presses de l’Université d’Ottawa/ Klincksieck, coll. « Semiosis », 1989, p. 221. Entre docilité apparente et rébellion ouverte PFSCL L, 99 DOI 10. / PFSCL-2023-0015 239 amérindiennes, dénuées de toute épaisseur psychologique, émergent d’ordinaire de ce magma textuel comme des figurantes dont la parole a simple valeur testimoniale ou documentaire. Elles se dessinent comme des types plutôt que comme des individus à part entière. Outre les ferventes néophytes, dont on mentionne le nom de baptême et plus rarement celui de leur naissance pour témoigner de la véracité de leur conversion, les locutrices et actrices autochtones restent le plus souvent anonymes. Ainsi, la femme du sorcier, la compagne de Mestigoit, les mères exclusives et réfractaires à confier leurs enfants aux religieux demeurent assez effacées. Contrairement à la gestuelle des hommes, si souvent mise en relief de manière théâtrale, celle des nouvelles converties est complètement occultée. Certaines expressions telles « ame d’élite 102 », ou « Ange de Paradis 103 » utilisées par le narrateur pour caractériser des oratrices témoignent de leur incorporéité. Je ne crois pas exagérer en disant que les Jésuites, myopes sur tout ce qui touche au corps féminin autochtone, s’intéressent davantage à l’esprit qu’à la personne des femmes indigènes. Le plus souvent dépouillées symboliquement de leur enveloppe charnelle, seules leurs voix résonnent à travers les mailles du discours jésuite afin de rendre l’énoncé narratif plus véridique. En tant que porteur d’une double altérité, soit sexuelle et culturelle, le discours féminin, quand il est particularisé, suscite une double méfiance. Alors que les Jésuites sont prêts à gommer la première altérité, faisant leur le verset de saint Paul (« Dans le Christ, il n’y a ni homme ni femme 104 »), ils résistent à envisager les femmes infidèles comme des alter ego. Pour revenir à notre question de départ sur la misogynie jésuite dans les Relations, la réponse mérite une certaine prudence, car si les religieux auront des discussions animées avec certaines Amérindiennes, si certains rituels auxquels elles s’adonnent leur inspirent une franche aversion, s’ils font preuve de condescendance à leur endroit, on ne saurait, je pense, parler d’une haine collective pour les femmes. À preuve, les renégats, les sorciers, les profanateurs et tous ceux que les Jésuites décrient comme les « ennemis de la Foi 105 », incapables de repentir, font l’objet d’une hostilité bien plus virulente. En définitive, la parole des néophytes amérindiennes que le texte exhibe par une glose valorisante paraît d’ordinaire désincarnée. Seules les rebelles, les adversaires des missionnaires prennent corps à travers les mailles du récit par leur gestuelle ou leurs cris et s’avèrent du même coup plus authentiques. Quoique 102 RJ-1663-1664, p. 5. 103 RJ-1636, p. 14. 104 Saint-Paul, Épître aux Colossiens, 3, 11. 105 Jérôme Lalemant, Relation de ce qui s’est passé de plus remarquable aux missions des Pères de la Compagnie de Jesus, en la Nouvelle France, ès années 1659 et 1660, dans Relations des Jésuites, Montréal, Éditions du Jour, 1972, t. V, p. 26 et 28. Marie-Christine Pioffet PFSCL L, 99 DOI 10. / PFSCL-2023-0015 240 les oratrices autochtones soient souvent intimidées ou ridiculisées par le narrateur, leurs actes de parole s’imposent comme un objet d’étude incontournable pour mesurer les heurts que suscite la présence missionnaire et établir les premiers jalons qui mèneraient à une histoire des rapports francoautochtones décolonisée.