Papers on French Seventeenth Century Literature
pfscl
0343-0758
2941-086X
Narr Verlag Tübingen
10.24053/PFSCL-2023-0021
121
2023
5099
Constance Cagnat-Debœuf, Laurence Plazenet et Anne Régent-Susini (éds.) : « Je ne vois qu’infini ». Littérature et théologie à l’âge classique, Mélanges en l’honneur de Gérard Ferreyrolles. Paris, Champion, 2022. 703 p.
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2023
Volker Kapp
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PFSCL L, 99 DOI 10. / PFSCL-2023-0021 Constance Cagnat-Debœuf, Laurence Plazenet et Anne Régent- Susini (éds.) : « Je ne vois qu’infini ». Littérature et théologie à l’âge classique, Mélanges en l’honneur de Gérard Ferreyrolles. Paris, Champion, 2022. 703 p. Les éditrices rangent les contributions de ces Mélanges sous cinq rubriques qui correspondent aux domaines traités dans les publications de l’honoré : 1. « Fictions de l’âge classique » (29-126), 2. « Spiritualité : Bible et littérature » (127-260), 3. « Pascal et l’univers des Pensées » (261-462), 4. « Spiritualité : morales du monde » (463-610), 5. « Au plus près de la vérité : Port-Royal » (611-696). Les auteurs ne cessent d’évoquer ses publications et quelques-uns font même imprimer une communication prononcée dans un de ses séminaires, par exemple François Cassingena-Trévedy qui traite brillamment Pascal (« Je te suis présent par ma parole dans l’Écriture… » : Clair-obscur et géométrie dans les Pensées de Pascal », 281-312) et Michel Jarrety (« Cioran moraliste ? », 495-508), qui n’est pas l’unique à dépasser la période de l’âge classique. Selon Olivier Jouslin, Houellebecq « partage beaucoup avec les augustiniens du XVII e siècle et Pascal en particulier » (« Échos pascaliens dans l’œuvre de Michel Houellebecq », 388). Maria Vita Romeo confesse que chaque fois qu’elle a eu « l’occasion de lire Rousseau, son esprit a été ramené à Pascal » (« Rousseau et le jansénisme », 561), et elle rappelle que le dialogue rousseauiste avec le jansénisme s’explique probablement par le fait qu’il « fréquentait des milieux jansénistes durant son séjour à Turin » (567). Amiel a puisé dans les Pensées « sa représentation de l’homme comme oxymore, chimère, énigme, comme manque ontologique, séparé de Dieu comme de luimême » (Emmanuelle Tabet, « Les abîmes de l’âme de Pascal à Amiel », 447). Selon Benedetta Papasoli, Manzoni, qui a lu le Télémaque « en héritier des Lumières », méprise son « style » tout en étant fasciné « par sa modernité » (« L’ange et le capucin : métamorphoses de Mentor dans la littérature moderne », 86). L’âge classique est un des centres d’intérêt des contributions. Philippe Sellier énumère « plusieurs des arguments de Pascal [qui] se trouvent ruinés » en soutenant que son « erreur de congédier la recherche philosophique de Dieu » est fatale puisqu’aujourd’hui ses « preuves apparaissent comme beaucoup moins péremptoires qu’il ne le pensait » (« Pascal au défi de l’aventure humaine », 416-418). Mais heureusement, ses analyses « sur l’énigme que constitue chaque homme, sur sa présence inquiète et rêveuse au sein de cet univers […] ressortent désormais dans toute leur jeunesse et leur éclat » (422). Pierre Force analyse les réserves avancées par L. Thirouin et Chr. Lazzeri contre l’explication pascalienne de la loi naturelle par Ferreyrolles en situant son interprétation dans le contexte historique. Dès qu’on se tourne Comptes rendus PFSCL L, 99 DOI 10. / PFSCL-2023-0021 330 vers les sources, il est évident que « Pascal n’a guère de mal à montrer, usant d’exemples tirés de Sextus Empiricus via Montaigne, qu’aucune loi humaine n’est véritablement universelle, et que les lois et coutumes les plus généralement acceptées souffrent toutes des exceptions » (« Scepticisme cicéronien et loi naturelle dans les Pensées de Pascal », 357). L’interprétation de Ferreyrolles, tenant compte de ces données, est donc plus valable que celles de ses critiques. Constance Cagnat-Debœuf évoque avec beaucoup de connaissance le « jeu avec la matière proverbiale » de Mme de La Fayette (« La cheminée de la Reine : pour une lecture proverbiale de La Princesse de Clèves », 31) qui donne raison à une remarque de Ferreyrolles sur ce roman, dont l’écho dans une revue est analysé par Camille Esmein-Sarrazin (« ‘Ce livre continue à faire bruit’ : La Princesse de Clèves dans le Mercure Galant au cours de l’année 1678 »). Selon Laurent Thirouin, la princesse ne réussit pas « à mettre en harmonie son cœur et son devoir, mais à faire prévaloir sa raison » (« La raison de la princesse », 105). Patrick Dandrey éclaire le dénouement du Tartuffe et du Misanthrope dans la perspective de la rivalité entre comédie et tragédie comme « transition du registre et du plan familiaux et moraux à ceux de l’ordre politique et social » (« Molière ‘tragique’ ? Sur les dénouements de Tartuffe et du Misanthrope », 59). La section consacrée à Bible et littérature contient une étude sur Hippolyte Clément que l’honoré a invité Laurence Plazenet à entreprendre. Cette analyse lui permet de révéler « de quelle façon immédiate, tragique, la question spécifique de la traduction du Cantique des cantiques put affecter la vie de la communauté entre 1684 et 1699 » (« Main basse sur la Bible : à propos d’un inédit d’Hippolyte Clément (1615-1691) », 201). Mme Clément, « femme très pieuse » (205), victime des représailles contre Port-Royal et contrainte en 1679 à s‘exiler, s’installa à Pomponne chez Le Maistre de Sacy et tint « un répertoire scrupuleux des allées et venues qui y avaient lieu » (204), où elle signale l’arrivée à Pomponne, le 2 janvier 1684, de Pierre Lombart » (205). Ce traducteur des Œuvres de Saint Cyrien (1672) et de La Cité de Dieu de saint Augustin, dont la publication ne mentionne pas le nom, est englouti dans le silence après 1684 étant taxé de « fou » (209). Jean Mesnard a montré qu’il souffrit « d’hypocondrie et de dépression […] liées à un vif sentiment de culpabilité d’ordre sexuel » (209). En élucidant le drame de Lombart hanté par des préoccupations religieuses et des angoisses psychiques, Mme Plazenet attire l’attention sur l’évaluation du Cantique des cantiques par les porteparoles de Port-Royal. Elle prouve qu’il « versa quelques gouttes de poison dans la carafe de mauvais vin que Sacy réservait par pénitence à son usage personnel » (225) parce que le traducteur de la Bible voulait exclure ce livre du canon biblique. Dans la préface précédant la publication du Cantique des cantiques en 1689 et 1693, elle juge possible de « voir [la] main » de Lombart, Comptes rendus PFSCL L, 99 DOI 10. / PFSCL-2023-0021 331 qui « y ait travaillé à titre anticipatoire avant 1684, ou après sa sortie de Charenton en 1686 » (233). Elle l’implique également dans les décès de Du Fossé (241) et de Racine (244). L’histoire de P. Lombart peut donc « transformer notre vision des événements qui se produisirent à Port-Royal au cours des dernières années du XVII e siècle » (246), mais cette contribution n’est pas située dans la section sur Port-Royal parce que le drame se concentre sur un livre de l’Ancien Testament. Dans la section sur l’abbaye, Jean Lesaulnier présente les mères Élisabeth- Marguerite et Marie-Anne de Harlay, nommées par l’archevêque de Paris François de Harlay à la tête du monastère de Port-Royal de Paris après la séparation de celui des Champs en 1668. La première, une des sœurs de l’archevêque et assez âgée, n’accepte cette tâche qu’avec réticence et la seconde, une de ses nièces, « ne perdit pas de temps pour tenter d’obtenir du monastère des Champs ce que sa tante n’avait pas voulu ou avait renoncé à demander » (« Les mères de Harlay, abbesses de Port-Royal de Paris 1685- 1706 », 630). Elle est qualifiée d’abbesse « aux folles dépenses » et « poussée à la démission » (633) en 1706. C’est là qu’on trouve un chapitre sur l’abbaye peu connue de Paris. Béatrice Guion montre que le mot acédie « n’apparaît jamais sous la plume des Messieurs de Port-Royal, ni dans leurs écrits spirituels ni même dans les traductions qu’ils donnent des textes antiques les plus classiques sur l’acédie » (« Paresse, ennui, langueur : figures de l’acédie à Port-Royal », 637). Il est « absent des traductions que donnent les Messieurs de Port-Royal de deux des plus importants textes antiques consacrés à cette notion » (654-655), L’Échelle sainte (1652) et les Institutions de Cassien (1667). Elle avance l’hypothèse selon laquelle « la volonté de mettre des écrits spirituels antiques à la disposition du public de leurs temps […] les a amenés à écarter un terme qui aurait pu le dérouter » (658). Selon Jean-Louis Quantin, « la vénérable tradition, classique, biblique et patristique, de la mort des impies continuait de marquer la plupart des esprits » (« Port-Royal et la mort des persécuteurs », 679) et « Port-Royal est prompt à conclure que ses ennemis ont subi la mort réservée aux impies » (670), mais il « fut plutôt athanasien ou chrysostomien dans ses combats et sa résistance » (680) qu’adhérant au texte important De mortibus persecutorum de Lactance redécouvert et publié en 1679. La fascination qu’Antoine Arnauld a exercée sur les milieux mondains et littéraires, retient l’attention de Delphine Reguig qui renvoie au chapitre 28 du traité des Vraies et Fausses Idées vantant l’utilité de l’art d’écrire pour « se faire entendre aux personnes absentes, qui pourraient par même moyen nous rendre réponse sur ce que nous leur aurions écrit » (cité dans « L’Écriture chez Antoine Arnauld, lieu théologique, lieu poétique », 685). Selon Arnauld, « l’écriture est bien une des modalités de la vie de l’homme » (693), c’est pourquoi il riposte à Goibaud-Dubois bannissant la Comptes rendus PFSCL L, 99 DOI 10. / PFSCL-2023-0021 332 rhétorique de la prédication que l’imagination y est nécessaire pour garantir « la transparence » (695) du discours. Christian Belin ouvre la partie consacrée à Pascal par la thèse d’après laquelle on « ne parlait guère de ‘théologie’ pendant le premier millénaire du christianisme » (« ‘L’œil du hibou en face du soleil…’ : saint Thomas, Pascal et la théologie », 261) et affirme en note que la « tradition orthodoxe réserve le titre de ‘théologien’ à trois personnes seulement : l’apôtre Jean, Grégoire de Nazianze et Syméon le Nouveau Théologien » (261). Il mentionne Origène dont l’orthodoxie est contestée, et ignore complètement Denys l’Aréopagite, très apprécié en France, dont La Hiérarchie Céleste développe une doctrine de théologie qui insiste sur le lien entre celle-ci et la sainteté. Ce lien se marginalise par le triomphe de la scolastique au XVI e siècle auquel Pascal s’oppose. Frank Lestringat explique mieux comment Pascal réagit à l’absence de la distinction venue de Ptolémée des différents degrés intermédiaires de la géographie. « Il n’y a plus de juste milieu entre l’infiniment grand et l’infiniment petit, mais un abîme, un double abîme, pourrait-on dire, vers le haut et vers le bas, vers les hauteurs inaccessibles et vers l’infime » (« Pascal, Montaigne et la sphère du monde », 391). Nathalie Rizzoni attire l’attention sur la « carte de géographie allégorique de L’Empire du Cœur » (« Les cartes de géographie qu’on peut appeler morales », 478) que la Carte de Tendre dans Clélie de Mlle de Scudéry présente au XVII e siècle et qu’une série de cartes des années 1750- 1760 rend plus complexe parce que « pas moins de cinq voies fluviales et onze routes aux innombrables bifurcations traversent l’Empire du Cœur » (484). Dans le domaine de la cartographie « particulièrement renouvelé par la science à l’époque » cette suite offre au public « une fantaisie aussi originale qu’inattendue » (490). Parmi les contributions qui attirent l’attention sur un personnage méconnu, il faut mentionner celle de Dominique Millet-Gérard sur le jésuite Giovanni Stephano Menochio (1575-1655), mentionné par Claudel dans son Journal et « le dernier qui illustre ce grand siècle d’exégèse jésuite (1550- 1650) » (« Menochius : un maître de l’exégèse jésuite au XVII e siècle », 189). Un glossaire de Menochius qui éclaire les noms est repris sans nom d’auteur par de « nombreuses bibles catholiques du XIX e siècle » (195). Son nom est associé par Claudel à celui de Lagrange et rejeté comme précurseur de l’exégèse philologique reniant le sens mystique de la Bible. D’autres se concentrent sur des documents importants. Sur la base d’une édition rare des Lettres spirituelles (1746) de Bossuet Jacques Le Brun reconstitue « le rôle des éditeurs remaniant les textes » (« Les éditions des lettres spirituelles de Bossuet au XVIII e siècle : un document nouveau », 162). Olivier Millet révèle « certaines ambiguïtés à la veille de la dissociation entre l’humanisme chrétien érasmien et la Réforme protestante » (« Ad fontes ! Traditions et ambiguïtés d’un mot Comptes rendus PFSCL L, 99 DOI 10. / PFSCL-2023-0021 333 d’ordre humaniste », 542). Le retour aux sources est une formule connue dès l’Antiquité païenne et chrétienne, mais, dès 1516, Érasme « opère un déplacement » en la transférant « du plan scolaire au plan proprement théologique de l’interprétation de la Bible » (555) et en transformant ainsi « la philologie humaniste en méthode théologique » (558). Anne Régent-Susini montre que, dans le domaine spirituel, « le néologisme, au XVII e siècle, reste indissolublement lié au désordre » (« Néologie et polémique : les ‘mots nouveaux’ dans les controverses religieuses de l’âge classique », 256). La plupart des contributions de ces Mélanges correspondent au rang des publications de Gérard Ferreyrolles. Les éditrices soulignent « la joie avec laquelle tous ont souhaité offrir une étude » (7) en son honneur. Ce volume sera dorénavant un manuel qu’aucune bibliothèque valable ne pourra exclure de ses fonds. Volker Kapp